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Cinéma

Rafiki

 

« Il semblerait que ce soit un film généreux et miÚvre ».

 

Il y’a plusieurs semaines, au sortir d’une sĂ©ance dans un complexe de cinĂ©ma Ă  Paris, je l’ai reconnu. Sans doute un souvenir de sĂ©ances de presse partagĂ©es, chacun dans son coin, du temps oĂč j’écrivais pour Brazil. C’était Ă©tonnant de tomber sur lui dans cet endroit.

Durant quelques mĂštres, j’ai marchĂ© derriĂšre lui.

 

Je me suis dĂ©cidĂ© Ă  l’accoster. Accessible et sympathique, il m’a alors appris avoir Ă©tĂ© mis Ă  la retraite de l’hebdomadaire dans lequel j’avais pu lire un certain nombre de ses critiques de cinĂ©ma pendant des annĂ©es. Il intervient encore dans l’émission Le Masque et la plume que je connais de nom.

J’ai dĂ©fendu Rafiki. Il m’a Ă©coutĂ©. Il a alors rĂ©pondu que, comme le lui a recommandĂ© un jour Jacques Lourcelles – qu’il m’a prĂ©sentĂ© comme un « historien du cinĂ©ma »- il est impĂ©ratif de toujours se faire soi-mĂȘme sa propre opinion d’un film en allant le voir.

Je l’ai Ă©coutĂ© Ă  mon tour : j’ignorais qui Ă©tait Jacques Lourcelles.

Deux mois sont passés depuis que ce critique de cinéma et moi nous sommes croisés.

Et, c’est seulement aujourd’hui que je viens de faire quelques recherches sur le net pour dĂ©couvrir l’identitĂ© de Jacques Lourcelles. Ce qui fera sourire ou grimacer celles et ceux qui sont au fait de ses engagements et d’une certaine histoire du mĂ©tier de critique et d’historien du cinĂ©ma.

Alors que nous allions nous sĂ©parer, notre critique cinĂ©ma de Le Masque et la Plume et moi, j’ai pensĂ© Ă  dire mon nom et Ă  Ă©voquer mon projet de crĂ©er un blog : trop souvent, de par le passĂ©, lorsqu’il m’est arrivĂ© de croiser des personnes « mĂ©diatisĂ©es », j’ai oubliĂ© cette rĂšgle Ă©lĂ©mentaire, en usage pourtant lors de toute rencontre comme lors de tout cĂ©rĂ©monial social, qui consiste
.Ă  se prĂ©senter. Peu importe que notre interlocutrice ou notre interlocuteur «  mĂ©diatisé », choisisse ensuite de classer sans suite ces « faibles » moments que nous avons passĂ©s avec lui. On acquiert davantage de prĂ©sence et de consistance en donnant son nom et son prĂ©nom plutĂŽt qu’en se confinant soi-mĂȘme Ă  double tour avec prĂ©caution dans l’effacement et l’autodĂ©nigrement. Comme l’a Ă  peu prĂšs dit rĂ©cemment l’artiste Kheiron dans une interview Ă  propos de certains acteurs-renommĂ©s- de son dernier film (Mauvaises herbes, sorti ce 21 novembre 2018) :

« Si tu traites les gens comme des stars, ils vont rĂ©agir comme des stars ». J’ai enviĂ© Ă  Kheiron l’évidence d’une telle assurance mais aussi d’une si grande clairvoyance que je vois comme ce qui lui a permis, avec le travail et certaines aptitudes, Ă  « rĂ©ussir » sa carriĂšre comme il a entrepris de le faire.

Les deux hĂ©roĂŻnes du film Rafiki de Wanuri Kahiu (sorti en salles ce 26 septembre 2018) envieraient davantage la belle assurance de Kheiron. MĂȘme si je crois aussi au fait que l’on peut faire une force de ses faiblesses. Je repense par exemple Ă  l’actrice Yolande Moreau Ă  qui un de ses profs, avant qu’elle ne devienne la comĂ©dienne Yolande Moreau que l’on « connaĂźt », avait pu dire afin qu’elle croie en ses capacitĂ©s au moins de comĂ©dienne : «  Vends tes faiblesses ! ».

Il y’a du Ken Loach dans cette phrase : «  Vends tes faiblesses ! ». Et, cela me rappelle cette scĂšne dans Raining Stones oĂč le prĂȘtre envoie bouler Dieu et la Loi, devant la dĂ©tresse et la culpabilitĂ© du hĂ©ros, pĂšre croyant et de condition modeste, qui a « fauté » pour offrir un peu de rĂȘve Ă  sa fille.

 

« Vends tes faiblesses ! ».

 

Au dĂ©but de Rafiki, Kena et Ziki sont chacune Ă  leur façon des jeunes femmes prometteuses, bien Ă©duquĂ©es, raisonnables et respectables. En conformitĂ© avec ce que l’on attend d’elles. Aucune faiblesse Ă  vendre a priori.

Kena (l’actrice Samantha Mugatsia) avec son physique de garçon manquĂ© Ă  la Syd Tha Kid (une des artistes du groupe californien The Internet) est plutĂŽt de classe moyenne. Elle fait la navette entre ses parents divorcĂ©s, les Ă©tudes, le petit commerce de son pĂšre et le foot avec les copains.

Ziki, elle (l’actrice Sheila Munyva) est la jeune bourgeoise insouciante qui Ă©met une sorte d’excentricitĂ© capillaire ostentatoire. Tout se passe bien pour les deux jeunes femmes tant que chacune vit dans sa jarre.

Nous sommes dans le KĂ©nya d’aujourd’hui, Ă  Nairobi, pays plutĂŽt prospĂšre Ă©conomiquement et assez stable politiquement malgrĂ© certains Ă©vĂ©nements rĂ©cents particuliĂšrement violents.

 

Rafiki se dĂ©roule dans un Ă©crin Ă  l’écart des menaces terroristes et des actes de dĂ©linquance.

 

Mais Kena et Ziki ont la faiblesse de s’attirer l’une et l’autre. Les jarres se brisent. Et, Ă  mesure qu’elles se dĂ©couvrent et commencent Ă  s’émanciper, elles dĂ©couvrent les limites de leur libertĂ© comme celles de la comprĂ©hension de leurs proches. Lesquels sont autant voire plus corsetĂ©s qu’elles ne le sont par certains stĂ©rĂ©otypes sociaux. PĂ©ril pĂ©riphĂ©rique, la solitude de Kena et Ziki ne fond pas alors qu’elles sont perçues…comme de mauvaises herbes.

On peut vendre ses faiblesses ou chanter Come Smoke My Herb comme l’artiste Me’Shell NdĂ©gĂ©ocello dans une sociĂ©tĂ© qui l’accepte. Kena et Ziki vivent dans une autre sociĂ©tĂ©. Leur amour (comme tout amour ?) est rĂ©volutionnaire ou un luxe que leur entourage perçoit comme un mauvais sort jetĂ© au visage de toute la communautĂ© et de toutes les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes.

Ça fait penser Ă  RomĂ©o et Juliette version LGBTI ? Oui. Rafiki est un film rĂ©volutionnaire au moins pour son sujet ; parce qu’il a Ă©tĂ© interdit au Kenya ; parce- qu’il s’agit du premier film kenyan sĂ©lectionnĂ© au festival de Cannes ; parce qu’il nous montre une autre couleur que celle des safaris, des splendides paysages africains, et de ces femmes et hommes africains, « c’est formidable ! » qui ont toujours la banane et nous redonnent le sourire pour la journĂ©e.

 

Franck, ce mardi 27 novembre 2018.

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