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Refaire le match

 

Refaire le match

 

Le match et son enjeu sportif me sont totalement passés au dessus de la tête. J’étais au travail lorsqu’il a eu lieu. Mais j’aurais néanmoins pu en voir des images. Aujourd’hui, nous avons tout ce qu’il faut à notre disposition pour faire le plein d’images. Il n’y a rien de plus facile que de trouver un réservoir à images en accès libre et illimité.

 

Lorsque mon collègue médecin a eu fini de regarder le match, je n’ai même pas pensé à lui en parler. J’étais concentré sur ma lecture du livre de Kersauson, Le Monde comme il me parle. Tout en me postant à un endroit stratégique pour repérer l’adolescent qui viendrait éventuellement se présenter devant la porte de la chambre de sa dulcinée.

 

On peut avoir des idĂ©es suicidaires,  des pensĂ©es et des humeurs incertaines entre la psychose et la nĂ©vrose, un trauma personnel, se scarifier quelques fois et avoir une libido en bonne et due forme. Comme connaĂ®tre des moments d’appartenance Ă  l’adolescence la plus frondeuse et la plus insouciante. C’est la vie.

 

Mais c’est aussi notre responsabilité d’adultes et de soignants de nous assurer que le service ne se confonde pas avec un foyer où se pratiquerait la fécondation in vivo. Nous pourrions être bien embarrassés si, un jour, une adolescente quittait le service en étant enceinte de quelques semaines ou de plusieurs jours.

 

Ce serait dommage d’attraper un torticolis

 

J’ai vu les images du rĂ©sultat du match le lendemain matin. Du match de Foot Bayern de Munich contre le PSG de Neymar et M’BappĂ©. Je ne parle pas ici du match sportif qui oppose spermatozoĂŻdes et ovocytes. 

 

C’était pendant ma séance de kiné.

Mon kinĂ© a vu que j’étais happĂ© par les images qui ont suivi le rĂ©sultat du match ainsi que par les commentaires sur Cnews.  Il m’a alors proposĂ© de m’installer en face de la tĂ©lĂ©. Il m’a dit :

« Ce serait dommage que vous attrapiez un torticolis. Et que je vous soigne ensuite pour un torticolis».

Le sensationnel et le répétitif

 

Je pense beaucoup de mal de cette tĂ©lĂ© allumĂ©e en permanence dans cette grande salle de rééducation Open space. D’autant qu’elle est braquĂ©e sur la chaine Cnews qui fait beaucoup dans le sensationnel et le rĂ©pĂ©titif. Le sensationnel angoissant. MĂŞme s’il sort de ce que je vois de cette chaĂ®ne de tĂ©lĂ© une certaine vĂ©ritĂ©, elle prend les Ă©vĂ©nements d’une telle façon que son traitement de l’info agit comme un tord-boyaux :

 

DiarrhĂ©e et pensĂ©es suspectes vous encombrent après l’avoir regardĂ©e. Parce-que vous avez peur ou ĂŞtes en colère.

Beaucoup est fait sur cette chaine pour avoir peur ou être en colère. Pour donner la part belle à tout ce qui peut faire peur ou mettre en colère.

 

Une chaine de télé commotionnelle

 

«  La peur fait vendre Â» ai-je lu rĂ©cemment. Il suffit de regarder Cnews pour en avoir une idĂ©e. On dira que je la considère comme une chaine commotionnelle.

 

C’est plutôt particulier, dans un cabinet de kiné où l’on s’occupe de rééducation, d’avoir choisi de planter Cnews , chaine commotionnelle, presque constamment.

 

Cependant, Cnews m’a permis ce matin-là de découvrir des images que, sans doute, la majorité des autres patients, soit chez eux, soit sur leur téléphone portable toujours allumé pendant leur séance, avaient déjà vues.

 

Je n’ai pas la tĂ©lĂ©. Et si je l’avais, je ne regarderais pas les « informations Â».

Après avoir regardĂ© les « informations Â» chez mes parents pendant des annĂ©es, j’en suis arrivĂ© Ă  me convaincre que le but des « informations Â» est souvent de faire peur, d’inquiĂ©ter ou de mettre en colère. Il se trouve très peu de recul et de perspective dans le journal des « informations Â». La prioritĂ© semble ĂŞtre de fournir rĂ©gulièrement des « nouvelles Â» qui crĂ©ent un malaise, un suspense, du sensationnel. Pas de faire Ă©voluer les mentalitĂ©s. Pas d’apprendre aux gens Ă  relativiser, Ă  nuancer ou Ă  mieux comprendre les Ă©vĂ©nements exposĂ©s.

 

Les journaux d’informations ne préparent pas à la vie

 

 On a compris : pour moi, bien des journaux d’informations ne prĂ©parent pas Ă  la vie. Ils prĂ©parent plutĂ´t aux anxiolytiques et aux antidĂ©presseurs, aux guerres et Ă  l’armement (toutes sortes d’armements et toutes sortes de guerres) comme Ă  la mĂ©fiance voire au racisme envers ses contemporains. Et je regarderais donc des journaux d’informations, certains journaux d’informations, (et d’intimidation) pour ça ?!

Des images de casse près des Champs Elysées

 

J’ai donc « vu Â» ces images de casse près des Champs ElysĂ©es. J’ai entendu certaines rĂ©actions. De Michel Onfray, le philosophe mĂ©diatique, qui constate que le gouvernement passe Ă  tabac les gilets jaunes lorsque ceux-ci manifestent. Mais qu’il laisse faire lorsque des dĂ©linquants cassent. Parce-que le gouvernement a «  peur Â». Et, de ce fait, la situation empire.

 

Sur le plateau de tĂ©lĂ© de CNews, j’ai perçu le mĂŞme Ă©lan et les mĂŞmes remontrances, en gĂ©nĂ©ral, envers le gouvernement. Celui-ci est trop mou et trop complaisant envers «  la racaille Â». D’autres parlent « d’ensauvagement Â». De « sauvageons Â». Une autre personne a parlĂ©, aussi, de certains jeunes « issus de l’immigration Â». Une autre personne encore, qui reprĂ©sentait- Ă©videmment- le Rassemblement National ( ex- Front National) a mis cette violence sur le compte d’une immigration trop importante et mal contrĂ´lĂ©e.

 

Les images montrées et remontrées de jeunes qui cassent des voitures. De jeunes qui se filment. De jeunes qui, fièrement, se montrent défiant l’Autorité et, sans doute, la République française, sont éloquentes.

 

Plainte pour « non assistance Ă  personnes en danger Â»

 

Les tĂ©moignages de victimes (voitures cassĂ©es, vitrines de magasins brisĂ©es), sont tout autant incontestables. De mĂŞme que leur grand sentiment de vulnĂ©rabilitĂ©, de colère et d’impuissance. Dans le 8ème arrondissement de Paris, je crois, plainte a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e contre l’Etat pour « non assistance Ă  personnes en danger Â».

 

Débat sur Cnews

 

Sur CNews, une certaine majoritĂ© des intervenants, le journaliste animateur en tĂŞte, estime qu’il faut rĂ©primer. Qu’il faut une tolĂ©rance zĂ©ro. Qu’il n’y a qu’en France qu’on laisse faire ça ! Qu’il existe un sentiment d’impunitĂ© chez ces « racailles Â». l’Etat  français est responsable de ce sentiment d’impunitĂ© des « racailles Â». l’Etat français ne fait rien parce-qu’il a « peur Â» ! Peur d’une bavure policière.  l’Etat français veut ou croit acheter la « paix sociale Â» en laissant faire ces « casseurs Â» !

 

Tout en faisant ma rééducation, j’ai Ă©coutĂ© et regardĂ© ça, en veillant Ă  ne pas me faire mal. A bien expirer lors de l’effort. A bien respirer. Je n’ai eu, alors, aucun avis particulier en prime abord. Cela fait des annĂ©es que nous assistons Ă  des scènes de violence en France. Cela fait des annĂ©es que l’on parle de « racailles Â» et de « sauvageons Â». Il y a des saisons oĂą on en parle davantage. Ainsi que des Ă©vĂ©nements qui forcent le passage vers la première place des sujets traitĂ©s dans les mĂ©dia.

 

Désolé pour les victimes

Je suis Ă©videmment dĂ©solĂ© pour toutes les victimes directes ou indirectes de ces accès de violence.  Je ne vais pas non plus « excuser Â» toute cette casse. Mais lorsque je dis ça, je redis ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dit depuis des annĂ©es. Et ce que certains mĂ©dia se sont presque dĂ©ja engagĂ©s Ă  rĂ©pĂ©ter lors des siècles suivants. Avant cela, dans 50 ans, devant certaines manifestations de violence, des mĂ©dia et des citoyens rĂ©clameront aussi encore plus de rĂ©pression.

Plus de rĂ©pression :

Certaines personnes considèrent qu’il faudrait plus de répression pour réduire ou éteindre ces accès de violence comme ceux qui ont suivi le match de Foot Bayern de Munich/ Le PSG.

 

Il faut bien-sĂ»r une certaine rĂ©pression. Si une personne casse, agresse, tue ou vole, la Loi doit pouvoir le freiner. Pour commencer. Ce qui signifie quand mĂŞme rĂ©pondre Ă  la violence par une autre violence. La violence de l’Etat supposĂ©e ĂŞtre « bonne Â», « Ă©quitable Â»â€¦et dĂ©mocratique. Ce qui peut dĂ©jĂ  faire un peu ricaner car on peut ĂŞtre un citoyen honnĂŞte au casier judiciaire vierge et irrĂ©prochable. Et avoir des doutes sur l’Etat français « bon Â», « Ă©quitable Â» et « dĂ©mocratique Â». Mais on s’en accommode assez facilement parce-que l’on sait aussi que dans d’autres pays, c’est pire. Ou que  Ă§a peut ĂŞtre pire.

 

Il y a des Etats bien plus limitĂ©s que l’Etat français lorsque l’on parle de « bontĂ© Â», « d’équitĂ© Â» et de «dĂ©mocratie Â».

Je préfère vivre en France qu’en Afrique du Sud par exemple. Et je me rappelle encore d’un camarade de fac qui m’avait fait comprendre que lors d’un séjour aux Etats-Unis, autant, lui, pourrait passer facilement dans certains Etats parce qu’il était blanc. Autant, pour moi, ça pourrait se gâter parce-que je suis noir. Or, la police des Etats-Unis est selon moi plus frontale et bien plus agressive que la police française. Même sans homicide.

Une de mes copines de Fac, une belle eurasienne plutĂ´t tranquille, m’avait racontĂ© l’interpellation qu’elle et son copain (blanc) avaient connus aux Etats-Unis. Alors qu’ils visitaient en voiture….un parc national. Ils avaient eu droit Ă  l’interpellation comme «  dans les films Â». Mains sur le capot etc….Tout ça juste pour un contrĂ´le de papiers.

Il y a quelques mois, un ami a fait un pĂ©riple en voiture aux Etats-Unis avec un de ses fils. Il a pris la route du Blues. Un très beau sĂ©jour de plusieurs mois au cours duquel il a pu prendre de très belles photos. Cela a Ă©tĂ© plus fort que moi pendant son pĂ©riple. Je me suis demandĂ© si, moi, homme noir, j’aurais pu faire le mĂŞme pĂ©riple aux Etats-Unis. Sans connaĂ®tre certains dĂ©sagrĂ©ments « causĂ©s Â» par ma seule couleur de peau. Je reste persuadĂ© que j’aurais connu quelques difficultĂ©s Ă  certains endroits.

L’Aveuglement

 

Ce qui m’ennuie avec la répression réclamée par ces personnes si sûres d’elles qu’elles se contentent de s’exprimer sur un plateau de télé ou à travers des média, c’est que la répression est aveugle. A l’aveuglement de ces personnes qui réclament plus de répression, correspond l’aveuglement de la répression.

 

Lorsque l’on devient une machine à répression, on ne fait plus dans le détail. Tout ce qui dépasse ou n’est pas dans les cases ou dans le protocole est bon pour la matraque, le clé de bras, les gaz lacrymogènes, le plaquage au sol ou le cercueil.

 

On tape d’abord. On réfléchit peut-être ensuite.

 

Il y a des fois où c’est bien-sûr comme ça qu’il faut agir. Et d’autres fois où ça sera inadéquat de réprimer pour réprimer.

 

 

RĂ©primer pour faire respecter la Loi dans l’instant, Oui. Tu casses une voiture, un endroit ou une personne, il est normal qu’on t’arrĂŞte. Si tu veux casser selon les règles, tu t’en prends Ă  quelqu’un qui est prĂ©venu, qui est d’accord pour te combattre, et, Ă©ventuellement, pour te casser aussi. Parce qu’il sait et peut se dĂ©fendre. Si tu t’en prends Ă  ton Ă©gal en matière de violence, cela peut ĂŞtre acceptable. Par contre, dans le cas de figure, oĂą, en sociĂ©tĂ©, tu t’en prends Ă  plus vulnĂ©rable que toi, il est normal que la Loi te reprenne. Parce-que nous sommes dans une dĂ©mocratie. Et d’autres ajouteraient : Parce-que nous sommes dans une rĂ©publique et entre personnes civilisĂ©es.

 

Donc, au départ, réprimer des casseurs est justifié. Sauf qu’au sein des casseurs, les profils sont différents.

 

D’abord, il faudrait parler de l’effet de groupe.

 

L’effet de groupe

 

On peut parler de « racailles Â», de « sauvageons Â» et « d’ensauvagement Â» si on veut. Mais c’est selon moi très insuffisant. Il faut parler de l’effet de groupe. Je serais très curieux de savoir comment se comportent ces casseurs que nous avons aperçus Ă  la tĂ©lĂ© dans la vie de tous les jours. Et lorsqu’ils sont seuls. On ne le saura jamais avec exactitude. Mais je m’attends Ă  certaines surprises.

 

D’abord, on va parler des casseurs pour lesquels il est dĂ©jĂ  « trop tard Â» pour espĂ©rer les rĂ©insĂ©rer. Qu’ils soient meneurs dans la casse ou suiveurs.

 

Je vais rappeler ce que l’on sait dĂ©jĂ  et qui, pourtant, est souvent oubliĂ© dans certains mĂ©dia depuis des dizaines d’annĂ©es. Vous allez voir le scoop !

 

On ne naĂ®t pas casseur. On ne naĂ®t pas racaille. Et on ne naĂ®t pas violent sur la place publique. Je ne crois pas que beaucoup de parents aient dit de leur enfant dĂ©linquant :

« Dès sa naissance, dĂ©jĂ , il cassait tout dans son berceau  ! Â».

 

Lorsque Simone de Beauvoir Ă©crit «  On ne naĂ®t pas femme, on le devient Â», encore aujourd’hui, on trouve ça très sensĂ©. Et on opine plutĂ´t facilement de la tĂŞte. Mais, Ă©tonnamment, on n’applique pas ce raisonnement pour la « racaille Â» et les « casseurs Â».

 

Les casseurs « endurcis Â»

 

Ceci pour dire que cela prend un certain temps pour devenir un « casseur Â» et une « racaille Â». Quelques annĂ©es. Et lors de ces manifestations de violence comme ce week-end, certains de ces casseurs sont dĂ©jĂ  beaucoup trop engagĂ©s dans la violence.  Et leurs capacitĂ©s d’insertion dans la sociĂ©tĂ© sont devenues proportionnellement si restreintes que les rĂ©primer aura pour effet de les stopper provisoirement. Puis, de contribuer, comme une sorte de retour de flammes, Ă  les radicaliser et Ă  les enrager davantage contre la sociĂ©tĂ©.

 

Ces casseurs  » endurcis » ne sont pas seulement engagĂ©s dans la violence. Leur rĂ©putation au sein du groupe auquel ils se rĂ©fèrent et auquel ils appartiennent est aussi engagĂ©e. Avoir une rĂ©putation de «dur Â» au sein de certains groupes, c’est beaucoup plus valorisant et porteur que d’être celui ou celui sur qui tout le monde peut pisser et cracher. Et c’est aussi plus valorisant et porteur d’avoir une rĂ©putation de dur que d’aller pointer Ă  Pole Emploi si l’on est sans travail. Ou si l’on a du mal Ă  en trouver.

 

Ça peut aussi ĂŞtre plus valorisant et plus porteur d’avoir un CV de « dur Â» que d’accepter un emploi oĂą l’on est en bas de l’échelle sociale et que l’on vous donne des ordres. C’est Ă©galement plus valorisant d’être connu comme Ă©tant «  un dur Â»  que d’accepter de faire un travail oĂą l’on s’ennuie.

 

Dans la vie de tous les jours, celles et ceux qui sont Rock and roll attirent les regards et le dĂ©sir mĂŞme s’ils s’attirent aussi des ennuis avec la justice et la santĂ©. A cĂ´tĂ©, celles et ceux qui respectent toutes les lois, qui sont toujours « gentils Â» et « polis Â», apparaissent souvent fades. On les « aime bien Â» mais on ne recherche pas auprès d’eux le grand frisson….

 

 

Ces casseurs « endurcis Â» voire « Ă©mĂ©rites Â», au pire, seront des futurs candidats pour toutes sortes de dĂ©linquances, le grand banditisme ou le terrorisme. Au « mieux Â», ce seront des futurs dĂ©pressifs, des futurs alcooliques, des futurs toxicomanes (s’ils ne le sont pas dĂ©jĂ ) ou de futurs suicidĂ©s.  Quand leur violence, qui leur sert  de bouclier et d’élan vital, s’effritera en se frottant de trop près Ă  l’impuissance.

 

Quelques uns de ces casseurs « endurcis Â» peuvent s’en tirer, faire repentance et monter l’échelle sociale. Par exemple dans le milieu artistique et culturel. Ou peut-ĂŞtre en montant un commerce qui marche bien.  En se convertissant Ă  une religion. En trouvant un emploi pĂ©renne. Et ils peuvent ĂŞtre citĂ©s en exemple. Comme susciter beaucoup d’attirance au sein du « système Â» car ils ou elles sont hors norme. Ils ou elles sont si « spĂ©ciaux ». Ils sont revenus de tout. 

 

Mais pour des exceptions comme eux, combien de futurs braqueurs ? De futurs terroristes ? De futurs dĂ©pressifs ? De futurs macchabĂ©es  après une overdose, Ă  la suite d’un accident de la route ou un règlement de comptes qui a mal tournĂ© ?

 Ces chiffres-lĂ , si on les connaĂ®t, on n’en veut pas sur la place publique. Parce-que l’on a « besoin Â» de « racailles Â», de « sauvageons Â» et « d’ensauvagement Â» pour s’enivrer de sensationnel. C’est presque aussi bon que la cocaĂŻne et c’est lĂ©gal.

 

C’est aussi pratique d’avoir des « sauvageons Â» et de la « racaille Â» pour pratiquer une certaine politique. Sur le plateau de Cnews, mais il n’était pas le seul, le reprĂ©sentant du Rassemblement National a Ă©tĂ© particulièrement bon Ă©lève pour rĂ©citer ses Ă©lĂ©ments de langage. Il avait très bien assimilĂ© ses fiches mĂ©mo-techniques.   

 

Un effet paradoxal :

 

 

RĂ©primer et seulement rĂ©primer ces casseurs « endurcis Â» a un effet paradoxal. Il faut bien-sĂ»r les rĂ©primer et les arrĂŞter. Mais seulement et toujours les rĂ©primer aura pour effet de les renforcer dans leurs accès de violence.

 

 C’est un travail très difficile d’accrocher humainement avec une personne violente. De croire en elle et de lui proposer des perspectives qui pourront, peut-ĂŞtre, après plusieurs annĂ©es, lui permettre de prĂ©fĂ©rer la vie en sociĂ©tĂ© Ă  la violence. Il faut prendre le temps d’apprendre Ă  la connaĂ®tre. Avoir suffisamment de patience, d’empathie voire de sympathie pour elle malgrĂ© ce qu’elle a pu faire. MalgrĂ© ses limites, ses impatiences et ses moments de violence.

 

Il est sĂ»rement beaucoup plus facile, et plus rapide, par contre, de parler sur un plateau de tĂ©lĂ©, ou ailleurs, et d’affirmer qu’il faut plus de rĂ©pression. De la mĂŞme façon qu’il y a des endurcis et des rĂ©cidivistes de la « casse Â» et de la « violence Â», en face, il y a aussi des endurcis et des rĂ©cidivistes qui exigent constamment « plus de rĂ©pression Â».

 

On voit la suite : l’escalade de part et d’autre. Plus de violence d’un cĂ´tĂ© et plus de rĂ©pression de l’autre.

 

Mais il est vrai que certains casseurs endurcis sont sans doute dĂ©jĂ  perdus pour la vie « normale Â» quoiqu’on puisse leur proposer. Parce-que c’est trop tard. Lorsqu’ils faisaient moins de bruit, moins de dĂ©gâts, et qu’ils Ă©taient encore « rĂ©cupĂ©rables Â», c’était lĂ  qu’il aurait fallu tenter de les aider Ă  sortir d’une certaine violence.

 

Vorace :

 

 

Je le rappelle : je suis pour une certaine rĂ©pression. Mais pas pour une rĂ©pression totale comme semblent le rĂ©clamer et le fantasmer certaines personnes qui, Ă  mon avis, dĂ©chanteraient si elles avaient Ă  vivre dans la dictature qu’elles demandent Ă  demi mot. Parce-que la rĂ©pression que ces personnes exigent est vorace. Elle s’étendrait, aussi, Ă  un moment ou Ă  un autre, Ă  des honnĂŞtes citoyens. Car après l’avoir utilisĂ©e contre les « sauvageons Â» et les «  racailles Â», certaines de ses pratiques ayant fait leurs « preuves Â», il se trouverait et se trouveront des sensibilitĂ©s et un certain Pouvoir pour les appliquer Ă  une nouvelle catĂ©gorie de personnes. Mais avant d’en arriver lĂ , il faudra d’abord en « finir Â» avec les casseurs.

 

 

Les casseurs « opportunistes Â» ou de passage :

 

Ce paragraphe me sera sĂ»rement reprochĂ©. Car on aura peut-ĂŞtre –encore- le sentiment ou la conviction, en le lisant, que je cautionne les manifestations violentes rĂ©centes. Alors que je condamne ces violences. Mais voici ce que je crois :

On dit bien, « il faut que jeunesse se passe Â». Ou «  Il faut que jeunesse se fasse Â». On pourrait ironiser en Ă©crivant :

 

«  Il faut plutĂ´t que certaines jeunesses se cassent Â» ou « Il faut que certaines jeunesses se tassent Â».

 

Il y a sûrement des personnes d’un âge adulte assez avancé (25-30 ans) parmi ces casseurs que l’on a aperçus dans ces quelques images montrées sur Cnews et ailleurs.

 

Mais je crois plutôt à des jeunes dont l’âge moyen se situe autour des 25 ans au maximum. Contrairement à la moyenne d’âge des gilets jaunes probablement plus élevée. Cependant, je n’ai pas de preuves. Je n’étais pas avec ces jeunes au moment des faits. Je ne les connais pas. Et je n’en n’ai rencontré aucun.

 

Mais j’ai Ă©tĂ© jeune. Je travaille avec des jeunes. Cela ne fait bien-sĂ»r pas du tout  de moi la personne la plus efficiente. Cela ne fait pas non plus de moi un modèle d’ouverture et de sagesse.  Je peux ĂŞtre très rigide. Je ne suis pas toujours la personne la mieux inspirĂ©e au travail comme avec ma propre fille pour commencer.

 

Mais me rappeler encore un peu de ma jeunesse et travailler avec des jeunes me permet ou « m’aide» Ă  revoir certaines particularitĂ©s de cette pĂ©riode de vie comprise entre, disons, 14 et 25 ans. Parce que la rencontre, dans mon travail,  de jeunes diffĂ©rents, filles comme garçons, de milieux sociaux et de cultures variĂ©es, aux comportements divers, dans un certain nombre de circonstances me donne aussi des indices. Et entretient peut-ĂŞtre une certaine mĂ©moire.

 

Une certaine mĂ©moire d’une certaine « jeunesse Â»

 

Je « sais Â» ou me souviens que dans cette fourchette d’âge comprise entre 14 et 25 ans, pour schĂ©matiser, alors que se rapproche l’âge adulte, on  a peur.

 

Individuellement, on a peur de ne pas ĂŞtre Ă  la hauteur de certaines responsabilitĂ©s qui nous attendent. Quel que soit le profil que l’on a. Que l’on soit d’un bon milieu social ou non. Que l’on soit un bon Ă©lève ou non. Et notre norme de pensĂ©e de rĂ©fĂ©rence, c’est plutĂ´t celle du groupe. Celle des copines et des copains de notre âge. Pas celle des adultes. Puisque l’on est adolescent ou jeune adulte. A moins, bien-sĂ»r, d’avoir un adulte de rĂ©fĂ©rence, parent, Ă©ducateur ou autre. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et cet adulte de rĂ©fĂ©rence n’est pas toujours prĂ©sent. Et on ne lui dit pas tout non plus. Lorsque vous Ă©tiez plus jeunes (je m’adresse principalement aux adultes de plus de trente ans qui liront cet article) vous avez racontĂ©, vous, Ă  un adulte ? :

 

« Aujourd’hui, j’ai commencĂ© Ă  me masturber Â». « Hier, j’ai fumĂ© un joint Â». « J’ai couchĂ© avec untel Â».

« L’autre jour, je suis allĂ© voler dans un supermarchĂ©. Personne ne m’a attrapĂ© Â».

 

On fait des conneries. Certaines plus graves que d’autres. Et, en groupe, cela s’amplifie. Cela est d’ailleurs vrai même pour les adultes. Même s’il s’agit d’autres sortes de conneries moins visibles sur la place publique qu’une casse de voitures dans une rue près des Champs Elysées.

 

Parmi les jeunes casseurs « opportunistes Â» ou de « passage Â», il doit bien s’en trouver quelques uns qui ont cassĂ© ce week-end pour faire comme les copains.

Pour ĂŞtre avec les copains.  Pour kiffer. Pour se sentir très forts. Sans rĂ©flĂ©chir aux consĂ©quences. Et le reste du temps, ces mĂŞmes jeunes casseurs « opportunistes Â» ou de « passage Â»  sont plutĂ´t tranquilles. Ce sont peut-ĂŞtre des jeunes bien Ă©levĂ©s et de « bonne famille Â». Qui sont bons Ă  l’école ou en sport. Ou qui pourraient ĂŞtre bons.

 Il ne s’agit pas d’une attitude rĂ©flĂ©chie de leur part. Je ne pense pas que ces jeunes, casseurs opportunistes ou de passage, se soient dit :

« Je suis un bon Ă©lève en classe. Mon casier judiciaire est vierge. Je suis un jeune sans problèmes. Tout le monde me connaĂ®t et j’ai une bonne cote. C’est bon, j’ai une très bonne couverture. Je peux aller casser quelques voitures et quelques vitrines de magasins avec les copains. On ne pourra pas me retrouver. Il ne m’arrivera rien Â».

Quelques uns de ces jeunes «  bien sous tous rapports Â» ont peut-ĂŞtre eu ce raisonnement très calculateur mais ils sont Ă  mon avis une minoritĂ©.

 

Le piège du tout répressif

 

Le « piège Â», avec ce tout rĂ©pressif demandĂ© par certaines personnes est qu’il suffit que ces jeunes casseurs opportunistes ou de passage assistent Ă  une bavure ou soient victimes d’une bavure pour que cela se passe très mal ensuite. On dira :

« Ils n’avaient pas  Ă  ĂŞtre lĂ  Ă  tout casser. Tant pis pour eux ! Et les victimes de leurs comportements, vous pensez aux victimes de leurs comportements ?! Â».

 

Oui, je pense aux victimes de leurs comportements. A celles et ceux qui n’ont rien demandĂ© et qui se sont trouvĂ©es sur leur passage. Des personnes, d’ailleurs,  ( les victimes) qui pourraient autant faire partie des patients que mes collègues et moi rencontrons…. comme certains de ces jeunes casseurs ou agresseurs.

Un casseur de passage ou opportuniste qui est le tĂ©moin direct d’une bavure ou qui en est victime du fait d’une rĂ©pression jusque-boutiste peut se radicaliser. Et il peut devenir un violent d’un autre type. Du type plus persistant. Du genre politisĂ© tendance extrĂ©miste ou terroriste. 

 

A l’inverse, un casseur de passage ou opportuniste, peut, aussi, passĂ©e une certaine pĂ©riode, de lui-mĂŞme, ou après avoir Ă©tĂ© interpellĂ©, se retirer de ce genre de manifestation violente. Parce qu’il a compris la « leçon Â» et la sanction. Parce qu’il a compris de lui-mĂŞme que la violence Ă©tait allĂ©e trop loin du cĂ´tĂ© de ses copains.

Parce qu’il a d’autres projets et d’autres intérêts dans l’existence. Et qu’il a les moyens de les réaliser.

 

Cependant, il y a aussi parmi ces casseurs, endurcis ou de passage, des personnes qui sont soit des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal à se déterminer d’un point de vue identitaire.

 

Des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal à se déterminer d’un point de vue identitaire

 

Sur CNews et ailleurs, il y a eu un fait qui s’est Ă  nouveau rĂ©pĂ©tĂ© et qui se rĂ©pète depuis des annĂ©es voire depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations sur les plateaux de tĂ©lĂ© et dans certains mĂ©dia. Je ne sais pas si je suis obsĂ©dĂ© par cette observation.  SĂ»rement. Mais je crois que ce fait  change, aussi, un peu, la façon de voir les Ă©vĂ©nements. Parce-que, je peux ĂŞtre très satisfait de mon analyse et me tromper totalement. Mais si mon analyse est juste, je n’ai aucun mĂ©rite. Parce-que j’écris, je crois, des Ă©vidences qui sont pourtant souvent absentes de certains plateaux tĂ©lĂ© comme de certains mĂ©dia lorsque l’on parle de certains faits de violence dus Ă  des jeunes ou Ă  certains jeunes « issus de l’immigration Â».

 

Sur le plateau de Cnews, lors du « dĂ©bat Â» concernant les faits de violence de la veille, une majoritĂ© de blancs, femmes comme hommes. Bien-sĂ»r, on peut ĂŞtre blanc et ĂŞtre très ouvert Ă  l’autre. Comme on peut ĂŞtre noir et ĂŞtre raciste et très Ă©troit d’esprit.

 

Alors, je continue : je me demande lesquels, parmi ces intervenants lors de ce dĂ©bat sur Cnews, et dans quelles proportions, Ă©taient issus d’un milieu social modeste ou dĂ©favorisĂ© ? Ou, tout simplement:

Lesquels,  parmi ces intervenantes et intervenants, et dans quelles proportions, et combien de temps, avaient grandi dans une citĂ© ou un quartier Ă©quivalent oĂą la rĂ©putation d’être « un dur Â» (ou « une dure Â») est plus gratifiant que d’avoir de bonnes notes Ă  l’école ou d’être calme et sans histoires ?

 

Je me rĂ©pète : je n’approuve pas ces actes de violence qui ont suivi le match Bayern de Munich/ Le PSG. Et, plus jeune, je n’aurais pas fait partie des casseurs parce qu’à cette heure-lĂ , j’aurais Ă©tĂ© chez mes parents. Soit couchĂ©. Soit en train de faire mes devoirs ou en train de lire. Quoiqu’il en soit, mes parents ne m’auraient pas permis, mĂŞme Ă  18 ans, d’aller sur les Champs ElysĂ©es après la fin d’un match de Foot. On pourra dire que j’ai eu une bonne Ă©ducation. Je ne suis pourtant pas persuadĂ© qu’avoir une Ă©ducation très sĂ©curitaire, et parfois très enfermĂ©e, comme celle que j’ai pu avoir, ait toujours Ă©tĂ© une Ă©ducation appropriĂ©e me prĂ©parant toujours au mieux pour ma vie d’adulte. Mais ce qui est certain, c’est qu’en pratique, en Ă©tant chez mes parents Ă  « l’heure des poules Â», je n’aurais pas pu faire partie des casseurs de ce dimanche soir. Il y a pourtant sĂ»rement eu un certain nombre de jeunes sortis dimanche soir, et d’autres soirs, « issus de l’immigration Â» ou non, qui n’ont rien cassĂ© du tout. Mais, comme souvent, on parle, on parlera et on reparlera de celles et ceux qui cassent et agressent.

 

Je suppose que ceux qui ont cassĂ© dimanche soir, pour les plus actifs et les plus meneurs, sont ordinairement des individus de « seconde zone Â». Des individus que l’on ne voit pas. Ou, en tout cas, que l’on ne voit pas lorsqu’ils sortent de chez eux : lorsqu’ils sortent de leur quartier. Lorsque l’on y regarde bien, il y a aussi quelque chose de très triste et d’assez pathĂ©tique dans cette jeunesse qui a cassĂ© ce dimanche soir :

 

Pour s’illustrer et se faire remarquer (j’ai aperçu quelques jeunes filmant l’action avec leur tĂ©lĂ©phone portable) ils en sont rĂ©duits Ă  tout casser. Si les dĂ©gâts qu’ils ont causĂ©s sont bien sĂ»r un  grave prĂ©judice pour leurs victimes, ils s’occasionnent au passage un prĂ©judice dont ils ignorent sĂ»rement certaines consĂ©quences. Ils se coupent un peu plus de la sociĂ©tĂ©. Et, s’ils ont Ă©tĂ© victimes eux-mĂŞmes ou se sentent victimes, de façon lĂ©gitime ou non, de la sociĂ©tĂ© française, on les enferme et on les enfermera uniquement dĂ©sormais dans la case des « sauvageons Â» et de «  la racaille Â».

 

 Avant de les enfermer en prison.

 

 

Une prison identitaire

 

Surtout qu’il y a sûrement une prison dans laquelle se trouve en partie, ou beaucoup, certains de ces jeunes casseurs de ce dimanche soir et d’autres fois. La prison identitaire.

 

Lorsque l’on est enclavé entre deux directions identitaires apparemment incompatibles, l’une française et l’autre étrangère, entre l’enfance et l’âge adulte, entre la réussite personnelle et sociale et le sentiment d’échec ou d’errance, on peut soit déprimer et s’effondrer. Soit parvenir à se maintenir la tête hors de l’eau par différents moyens. Soit exploser. Et casser.

 

Et, face Ă  cela, certains affirment qu’il faut…. plus de rĂ©pression. RĂ©pression. Ce mot lĂ  les fait rĂŞver. On dirait que ce mot est tout pour eux. On va « juste Â» rĂ©primer et tout va aller mieux ensuite.

 

D’un autre cĂ´tĂ©, ĂŞtre jeune et ĂŞtre dĂ©jĂ  prisonnier d’une rĂ©putation de « sauvageon Â» et de « racaille», c’est quand mĂŞme plus dĂ©courageant et plus handicapant que d’être perçu comme « un espoir Â» ou un « prodige Â». MĂŞme si les jeunes qualifiĂ©s de « racailles Â» et de « sauvageons Â» vont affirmer fièrement, devant les copains, qu’ils s’en battent les couilles ou se marrer.

Parce qu’une fois que l’on a fini de tout casser, avec les copains, que l’on s’est bien dĂ©foulĂ©, ou amusĂ© Ă  le faire, et que l’on a remportĂ© quelques trophĂ©es, l’ordinaire du quotidien nous reprend. Et casser plus de voitures et de vitrines de magasins ne changera rien, au fond, Ă  la vie qui nous effraie et qui nous frustre. MĂŞme en volant quantitĂ© d’objets. MĂŞme en suscitant l’admiration ou la crainte dans notre entourage direct. On finira bien par s’en apercevoir un jour ou l’autre. Qu’il y ait la rĂ©pression de la police et de la justice ou non.

 

Une casse d’autant plus mal perçue d’un point de vue moral

 

Mais ce qu’une partie des citoyens « veut Â», c’est des rĂ©sultats immĂ©diats. Je le comprends : je n’aurais pas aimĂ© retrouver  la vitrine de mon magasin Ă©clatĂ©e en mille morceaux. Je n’aurais pas aimĂ© ĂŞtre agressĂ© physiquement par plusieurs personnes.

 

En plus, les consĂ©quences Ă©conomiques du Covid-19, que l’on appelle de plus en plus « La Â» Covid, comme si ce virus Ă©tait hermaphrodite ( on va bientĂ´t apprendre que ce virus a Ă©tĂ© finalement transmis par des escargots) ont rendu toute cette casse d’autant plus « sensible Â» d’un point de vue moral :

 

On considère sĂ»rement ces jeunes casseurs comme d’autant plus irresponsables alors que l’on « sait» que la pandĂ©mie du Covid-19 a mis des gens au chĂ´mage ; va en mettre d’autres au chĂ´mage ; Et avoir d’autres effets catastrophiques Ă  court et Ă  moyen terme sur l’ensemble de la sociĂ©tĂ©.

 

Ces jeunes casseurs ne se sentent pas concernés a priori par tout ça du fait, en partie, de leur insouciance (ça va avec leur âge). Mais peut-être aussi parce qu’ils n’ont rien à perdre. Ou parce qu’à peine adultes, ils ont déjà tout perdu ou à peu près tout perdu. Ou qu’ils se considèrent déjà comme exclus de la société française et de la société des adultes travailleurs.

 

Mais ce genre de considĂ©rations est secondaire pour les adeptes de la rĂ©pression car l’urgence est Ă  l’ordre. Et, pour que la rĂ©pression soit active, il faut d’abord que la police intervienne et ait les moyens d’intervenir au lieu de laisser faire «  la racaille Â» et «  les sauvageons Â».

 

La police

 

Je n’aimerais pas être agent de la paix en 2020 dans les zones urbaines où des affrontements fréquents ont lieu entre certains jeunes et les forces de l’ordre.

 

RĂ©sumer la police Ă  une meute de racistes et d’incapables revient au mĂŞme, pour moi, que rĂ©sumer des jeunes « issus de l’immigration Â» Ă  des sauvageons et Ă  de la racaille.

 

Il y a des racistes, des incapables ainsi que des casseurs dans la police. De même qu’il y a des erreurs médicales à l’hôpital. Ou des erreurs de jugement. Cela ne signifie pas que tous les policiers sont des incapables, des casseurs et des racistes. Et qu’il n y a que des erreurs médicales et du personnel médical et paramédical incompétent et des juges dilettantes.

 

 

Je n’aimerais pas ĂŞtre agent de la paix en 2020 parce-que si certains jeunes sont entravĂ©s entre deux directions de vie apparemment inconciliables, bien des policiers se sentent  sĂ»rement certaines fois en contradiction avec certaines de leurs valeurs lorsqu’ils doivent exĂ©cuter certaines directives.

 

Faire peur :

 

On rĂ©pète que la police ne fait plus peur. Qu’elle puisse et sache se faire respecter, c’est nĂ©cessaire. Mais je trouve ça Ă©tonnant que l’on attende avant tout de la police qu’elle fasse principalement peur. Voire qu’elle ne puisse faire que ça. Inspirer de la peur. 

 

Si la police n’inspirait que de la peur, nous vivrions sous  un autre rĂ©gime politique. MĂŞme le citoyen lambda et innocent la fuirait. Croiser une voiture de police sur la route alors que l’on conduit en respectant scrupuleusement le code de la route nous donnerait des palpitations.  Il suffirait qu’un policier ou une policière nous regarde pour avoir aussitĂ´t le sentiment d’être indigne d’exister.  En nous rendant Ă  un commissariat pour dĂ©clarer que la vitre avant de notre voiture a Ă©tĂ© cassĂ©e et le vol de certains objets, nous n’aurions qu’à acquiescer sans reprendre ou contredire l’agent de police si celui-ci a mal compris nos propos.

 

Une police qui fait peur est aussi une police qui compterait plus d’agents qui pourraient se permettre à peu près n’importe quoi.

 

Avoir du Pouvoir, en particulier celui d’intimider et de commander, inspire quand mĂŞme Ă  quelques personnes une certaine ivresse des grandeurs.  Ainsi qu’ une certaine paresse de la rĂ©flexion et de l’autocritique. Cela peut venir très rapidement lorsque l’on voit certaines femmes et hommes politiques dès qu’ils accèdent au Pouvoir. Ou, plus simplement, certaines personnes qui deviennent cadres au sein d’une entreprise tandis que leurs collègues sont restĂ©s de « simples Â» employĂ©s.

Alors, un agent de police qui ferait exclusivement peur, serait d’autant plus effrayant qu’il porte sur lui  une arme lĂ©tale que le citoyen « normal Â» n’a pas le droit d’avoir sur lui.

Un citoyen « normal Â» qui peut ĂŞtre menottĂ©, immobilisĂ© et qui peut ĂŞtre contraint de rendre des comptes sans s’opposer ni rĂ©sister. Qu’il soit Ă  pied ou dans un vĂ©hicule.  Qu’il se rende Ă  son travail ou chez le mĂ©decin. Qu’il ait une urgence personnelle ou non. Qu’il soit seul ou avec sa femme et ses enfants.

 

Selon certains syndicats policiers, l’impunitĂ© dont jouissent certains dĂ©linquants rĂ©cidivistes met Ă  mal leur travail et leur crĂ©dibilitĂ©. Je les comprends. Mais ce qui me dĂ©range aussi, c’est que la police soit Ă  la fois la baĂŻonnette et  la marionnette dont l’Etat se sert contre certains mouvements sociaux (gilets jaunes et autres). Alors que ces mouvements sociaux proviennent, aussi, comme pour les jeunes casseurs,  mais pour d’autres raisons peut-ĂŞtre, de dĂ©gradations de conditions de vie rĂ©pĂ©tĂ©es sur plusieurs annĂ©es.

 

 

Les parents des « sauvageons Â» et de la « racaille Â» :

Assez frĂ©quemment, on « aime Â» bien aussi taper sur les parents des « sauvageons Â» et de la «racaille Â». Ces parents sont souvent considĂ©rĂ©s comme des irresponsables responsables des exactions de leurs enfants. C’est vrai qu’il y a un hĂ©ritage. Mais il faut voir de quel hĂ©ritage on parle. On « sait Â» que l’on peut ĂŞtre pauvre, dĂ©favorisĂ©, noir, arabe, chinois, musulman, juif, « issu de l’immigration Â» et ĂŞtre en règle avec la Loi. Lorsqu’il a Ă©tĂ© nommĂ© dernièrement Ministre de l’IntĂ©rieur, GĂ©rald Darmanin a cru judicieux de faire savoir qu’il Ă©tait petit fils « d’immigrĂ© Â» ou qu’il avait des origines immigrĂ©es. J’ai trouvĂ© ça très hypocrite ou très fayot de sa part. MĂŞme si, Ă©videmment, c’était sa façon de dire que l’on peut ĂŞtre d’origine immigrĂ©e en France et y rĂ©ussir socialement.

Mais j’ai trouvĂ© ça très hypocrite  et très calculĂ© de sa part car je crois qu’il faut ĂŞtre très hypocrite ou vraiment très ignorant pour passer sur le fait que la couleur de peau importe presque autant, voire plus, que les origines personnelles pour accĂ©der Ă  une certaine rĂ©ussite sociale en France. Et il en est de mĂŞme pour les prĂ©noms que l’on porte : ça passe mieux de s’appeler Mathilde ou Sandrine que de s’appeler AĂŻcha ou Aya si l’on aspire Ă  certaines (bonnes) Ă©coles.  MĂŞme si on peut certainement trouver des AĂŻcha et des Aya dans les bonnes Ă©coles.

 

Dans le monde du travail, s’appeler Mouloud ou Gérald ne produit pas le même effet sur un CV selon l’endroit où l’on postule en France. Si l’on postule en tant que balayeur, on peut s’appeler Mouloud. Aucun problème. On peut même s’appeler Mamadou. Cela ne sera pas un handicap. Par contre, si l’on postule en tant que consultant ou en tant qu’ingénieur, s’appeler Gérald sera en France plutôt un bon début. Même si Mouloud pourra malgré tout obtenir le poste finalement. Car il y a de bonnes surprises aussi en France.

 

Mais on « sait Â» aussi que si l’on a des parents pauvres, dĂ©pressifs, au chĂ´mage, alcooliques, exploitĂ©s, larguĂ©s, humiliĂ©s, Ă©puisĂ©s moralement et physiquement, qui ont des tĂŞtes et des vies de vaincus plutĂ´t que des tĂŞtes et des vies de vainqueurs, que cela joue un peu quand mĂŞme quant au modèle Ă  suivre lorsque l’on est enfant. Que ces parents soient blancs, jaunes, arabes, noirs ou jupitĂ©riens.

 

Et ces parents largués et dépossédés d’eux-mêmes ne sont pas tous des parents parasites ou haineux envers la France et la société. Ce peut être des parents qui ont véritablement donné de leur personne et qui se sont entamés pour obtenir une vie courante qui fait difficilement rêver. Et, selon l’environnement où ils habitent et vivent avec leurs enfants, il peut y avoir plus de débouchés et d’exemples immédiats dans la délinquance que dans les études et l’emploi.

 

Dans mon collège, j’ai pu ĂŞtre marquĂ© par certains Ă©lèves qui faisaient partie de la section haut niveau de natation de la ville. Dans la cour de l’école, ils  dĂ©notaient. Les cheveux assez souvent dĂ©colorĂ©s par le chlore, ils se regroupaient souvent ensemble. J’en ai connu deux dans une de mes classes. Ils Ă©taient  plutĂ´t bons Ă©lèves. La mère de l’un des deux m’a  gracieusement donnĂ© des cours de maths en 4ème ou en 3ème. Mais malgrĂ© mon assiduitĂ© Ă  ces cours particuliers, j’étais dĂ©jĂ  une cause perdue pour les maths oĂą son fils, par contre, mon camarade de classe, Ă©tait bon. Un de ses frères aĂ®nĂ©s dĂ©tenait un record de France en athlĂ©tisme. Leur père Ă©tait mĂ©decin et avait son cabinet. Et ils vivaient dans une maison individuelle. Dans la mĂŞme ville, Ă  Nanterre, je vivais quant Ă  moi au 6ème Ă©tage dans un appartement, en location, avec mes parents, dans un immeuble HLM de 18 Ă©tages. C’était un petit peu le jour et la nuit, quand mĂŞme, non ?

 

Ces collĂ©giens qui appartenaient Ă  la section haut niveau de natation faisaient partie des bons Ă©lĂ©ments du collège. Ils se singularisaient en tout cas plus de cette façon que comme des collĂ©giens bagarreurs ou Ă  problèmes. On retrouve Ă  nouveau le phĂ©nomène de groupe et aussi d’identification Ă  un groupe dans lequel ils se sentaient vraisemblablement valorisĂ©s mais aussi entraĂ®nĂ©s. Sauf que, lĂ , il s’agissait d’un groupe vertueux et modèle. Et non d’un groupe de casseurs ou de bagarreurs. La bagarre et la casse ne faisaient pas partie des valeurs premières de ce groupe de jeunes nageurs de haut niveau. Cela n’empĂŞche pas et n’a sans doute pas empĂŞchĂ© qu’ensuite, certains « membres Â» de ce groupe de natation de haut niveau aient pu mal « tourner Â» Ă  partir de la fin du collège et des annĂ©es de lycĂ©e. Ou ensuite. NĂ©anmoins, la « photo Â» que je garde de ce groupe de nageurs de haut niveau lorsque je repense Ă  cette Ă©poque, est celle de jeunes qui avaient la rĂ©putation de faire des vagues seulement dans un bassin de natation. Certainement que par la suite, il en a Ă©tĂ© tout autrement pour quelques unes ou quelques uns de ces nageurs. Mais, en attendant, plusieurs de nos « casseurs Â» de ce week-end, Ă  la mĂŞme pĂ©riode de leur vie, celle du collège, faisaient sĂ»rement dĂ©jĂ  des vagues autour d’eux.

 

Une autre sorte de prison

 

Lâcher- en apparence- la bride aux jeunes casseurs et « tabasser Â» les gilets jaunes via la police est peut-ĂŞtre un acte de lâchetĂ© de l’Etat. Mais c’est peut-ĂŞtre, aussi, une dĂ©cision choisie. Et stratĂ©gique. Cela permet de laisser pourrir un certain climat social.

Et d’obtenir l’accord voire la bĂ©nĂ©diction de la population pour plus de police. Pour plus de contrĂ´les. Moins de libertĂ©s individuelles. Pour plus de rĂ©pression. Pour plus de « sĂ©curitĂ© Â». Pour plus de justice expĂ©ditive et punitive. Pour plus de prisons. Pendant le dĂ©bat sur Cnews, il a aussi pu ĂŞtre affirmĂ© qu’il fallait plus de prisons !

 

Il faut sûrement plus de prisons comme il faut aussi de la répression face à la casse. D’accord. Mais il faut voir ce qui se passe ensuite dans les prisons. Ce qu’on y fait. Et pour qui. Si c’est pour créer, au travers de nouvelles prisons, de nouvelles pépinières de radicalisation et d’inadaptations sociales, il est difficile de se contenter de ces seules solutions. Parce qu’un certain nombre des détenus sortent un jour de prison. Et s’ils sont encore plus inadaptés à la sortie qu’à l’arrivée, ils retourneront à ce qu’ils savent faire et iront retrouver les seuls qui les accepteront. Leurs proches et celles et ceux qui leur ressemblent…..

 

Avec la pandémie du Covid-19, et le plan Vigie Pirate en raison du risque terroriste, sans omettre la façon dont nous sommes pistés sur internet chaque fois que nous nous connectons ou effectuons un achat ou une recherche, nos libertés individuelles ont déjà perdu une certaine amplitude. Nous avons appris à nous en accommoder. Or, tout ce que l’on nous promet pour cette rentrée à venir et pour les deux ou trois prochaines années, c’est plus d’efforts à produire, donc plus d’enfermement d’une façon ou d’une autre.

 

Finalement, j’ai l’impression que ces dĂ©bats rĂ©pĂ©tĂ©s et millimĂ©trĂ©s, autour de la « racaille Â» et des «sauvageons Â» qui n’ont pas Ă©voluĂ© tant que ça depuis des annĂ©es, sont aussi une autre sorte de prison. Et que nous sommes encore (très) loin ĂŞtre sortis de ce type de prison. Parce-que la principale finalitĂ© de cette prison- mentale- est de s’auto-rĂ©gĂ©nĂ©rer indĂ©finiment. Seuls les visages et les noms de ses reprĂ©sentants et de ses gardiens changent.

 

Une chaine comme Cnews ou tout autre mĂ©dia identique qui tourne en boucle nous hypnotise avec du vide. Le vide de l’angoisse, de la peur, du sensationnel et de l’amnĂ©sie. Le plus ironique serait d’apprendre qu’un certain nombre des casseurs de ce week-end, lorsqu’ils sont devant la tĂ©lĂ©,  perçoivent Cnews comme une des chaines de rĂ©fĂ©rence. Comme l’une des chaines tĂ©lĂ© qu’il convient de regarder rĂ©gulièrement.

 

Franck Unimon, mercredi 26 aout 2020.

 

 

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