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Sans Blessures Apparentes

Sans Blessures Apparentes (Enquête sur les damnés de la guerre) de Jean-Paul Mari ( 2008).

 

« Je vais sans doute écrire sur votre livre Sans blessures apparentes que je
cite déjà dans un article sur lequel je travaille encore en ce moment ».

 

Je suis l’insouciant qui a écrit cela hier dans un mail à son auteur, Jean-Paul Mari. Cela me paraissait simple à ce moment-là. J’allais « parler » du stress post-traumatique, le sujet de son livre Sans Blessures apparentes, paru en 2008.

 

Jean-Paul Mari est « journaliste-écrivain et grand reporter » (ainsi que réalisateur de documentaire). J’ai été content lorsque Jean-Paul Mari a répondu à mon mail. J’ai entrevu une rencontre possible, de nouvelles perspectives. Une espèce de conte de fée. Cet état a subsisté quelques secondes ou quelques minutes.

 

Je vais sans doute écrire à propos du livre de Jean-Pierre Mari, Sans blessures apparentes. C’est mon intention.

 

Pourtant, je ne parviens pas à agencer mes phrases correctement. Je suis un îlot face à des éléments beaucoup plus puissants que lui :

Les reportages de guerre de Jean-Paul Mari ; les expériences traumatiques vécues par d’autres figures qui – pendant des années- sont apparues comme indémontables et dures au mal.

Des grands reporters. Des militaires de carrière. Ces personnages, vous savez, qui inspirent les auteurs de romans, les producteurs et les réalisateurs de cinéma. Et auxquels on a envie de ressembler :

«  Bigger than life ! ». «  You can do it ! ». « Quand on veut, on peut ! ».

Des héros, des légendes, qui convoquent notre dépendance à la mythologie. Des personnes qui ont su bannir ces quelques faiblesses usitées :

Procrastination, lâcheté, suffisance, égoïsme, société de consommation, auto-aveuglement, Ikéa…

Des personnes, qui au contraire de l’artiste Paul Personne il y’a plusieurs années, se sont abstenues- ont pu s’abstenir- de chanter :

« Donne moi une seconde de courage ».

 

Certaines de ces personnes, de ces personnalités, citées dans le livre de Jean-Paul Mari, tel Hélie de St Marc ou «  Sorj » sont par ailleurs devenues écrivains.

 

Le seul reproche que je ferais au livre Sans blessures apparentes, c’est que l’on y reste beaucoup entre mecs. Y compris lorsqu’il nous raconte certaines de ses séances avec son psychiatre-psychanalyste «  aveugle mais clairvoyant », taquin et bienveillant. Ce sera, si je peux me le permettre, ma seule véritable critique.

Critique que je nuance tout de suite : peut-être a-t’il été impossible à Jean-Paul Mari, pour diverses raisons, d’être suffisamment proche de femmes grands reporters ou militaires de carrière afin de nous faire part, aussi, de leurs expériences.

 

Mais je crois avoir compris la cause de mon hébétude il y’a quelques minutes (ou il y’a quelques semaines : car je reprends cet article ce vendredi 30 novembre 2018) lorsqu’il a été question de parler de ce livre-ci de Jean-Paul Mari.

J’ai de l’admiration pour ce que Jean-Paul Mari –et d’autres- ont vécu. Je m’estime incapable d’aller aussi loin qu’eux. Or, ce livre est le fait de personnes prêtes à prendre des risques insoupçonnés pour découvrir ce qu’elles sont et ce qu’elles font sur terre. Un extrait de Sans Blessures apparentes pour s’en apercevoir :

« (….) A l’heure de la survie, plus de jeu social, d’interrogations existentielles. En une heure d’assaut, face au danger, le soldat en apprend plus sur lui-même que pendant des années de bureau ».

Jusque là, l’affiche du cinéma grand public tient encore le devant de la scène et chacune et chacun trouvera en soi le visage de son héroïne ou de son héros préféré, de celle ou celui qui lui apparaît inébranlable et opérationnel en toute circonstance.

Cependant, Sans blessures apparentes a peu d’affinités avec l’univers de Barbara Cartland.

 

Etre un guerrier ou un battant, c’est bien-sûr beaucoup mieux que d’être une victime ou du bétail le jour des soldes. Mais l’état de grâce du guerrier et du battant est provisoire. Dans la vraie vie, les grandes figures apparemment indestructibles ont aussi leurs fissures. Une fois leur Ki lézardé, Les héros dépriment comme n’importe qui voire davantage que n’importe qui. S’il leur faut apprendre à se relever comme tout le monde, le plus difficile pour eux est peut-être de devoir aussi accepter, devant leurs mortes ailes, de se découvrir vulnérables à l’image du commun des mortels.

 

Cet autre extrait de Sans Blessures apparentes peut peut-être nous en convaincre :

 « (….) Plus la guerre menée a été longue et sauvage, plus le sevrage sera brutal. Soudain tout s’arrête (….). Autour d’une nappe blanche, les Présidents des deux camps apposent leurs élégantes signatures à la plume au bas d’un Traité et décident que la guerre est finie, le chaos révolu et le crime à nouveau immoral. Ainsi, d’un coup, d’un seul, il faudrait tout oublier ! Redevenir doux comme un agneau, père attentif, mari aimant, citoyen modèle, bien à l’heure le dimanche pour la partie de boules à la sortie de la messe ou de dominos après la mosquée (….)».

 

 

Ce livre me parle, car dans notre vie « ordinaire », nous pouvons, dans une certaine mesure, ressentir ce que ressentent certains militaires et journalistes qui se rendent au chevet d’un conflit armé. Certaines situations de notre quotidien professionnel et personnel peuvent également agir tels des sérums de vérité ou devenir des expériences traumatisantes ou traumatiques.

Un jour, alors que pendant des années nous avons su et pu grâce à nos forces vives surmonter bien des épreuves et sauver les meubles, nos limites au moins morales peuvent venir toquer à notre porte. Bien que cela ne nous ressemble pas, nous flanchons et nous nous enlisons dans un mauvais polar qui prend le dessus sur notre volonté.

Cela peut être sous la forme d’une ancienne relation affective nocive ou pathologique, fantôme qui revient et dont on a du mal à se détacher ; cela peut-être sous la forme d’une addiction ; d’un accident « bête » ; d’une tentative de suicide ; d’une dépression ; d’un mal quelconque ; d’une maladie grave. Ou d’un manquement à nos responsabilités personnelles et professionnelles.

Même s’il nous reste alors des (belles) années à vivre, notre désactivation prononcée nous indique que nous avons trop exigé de nous-mêmes pendant trop longtemps. Ou que nous nous sommes beaucoup leurrés sur ce que nous sommes. Il nous reste alors grossièrement deux options : soit nous nous sommes trop éprouvés et tenons malgré tout (par orgueil ou par sacrifice) à perpétuer les mêmes actes ou les mêmes exploits en mémoire d’un passé devenu délétère. Alors, le pire pour nous est à venir sous la forge d’un suicide à retardement ou à prise rapide.

Soit nous comprenons qu’il nous faut changer de vie, de projets, de destinée, couper le cordon ombilical avec certaines exigences et certains réflexes de notre passé, et, pour cela, au besoin, nous acceptons de nous faire soutenir et aiguiller par des personnes de confiance, volontaires, résistantes et rédemptrices. C’est cette seconde option que Jean-Paul Mari, et plusieurs des personnes dont il parle dans son livre, ont pu choisir.

 

A la fin de son livre, Jean-Paul Mari fournit une bibliographie et adresse des remerciements à des personnes, des professionnels et des associations que l’on aurait tort d’ignorer. C’est peut-être dû à mon insolence, à ma vanité- et à mon besoin d’une certaine féminité- cependant, si la lecture de Sans Blessures apparentes m’a rappelé deux livres qui me semblent avoir des points communs avec lui :

 

Ils ne mouraient pas tous mais tous étaient frappés ( journal de la consultation souffrance et travail) ( 2008) de Marie Pezé, psychologue-psychanalyste, ouvrage dont Marc-Antoine Roudil et Sophie Bruneau avaient réalisé un documentaire deux ans auparavant.

 

Je ne lui ai pas dit au revoir : des enfants de déportés parlent (1996) de Claudine Vegh, psychiatre-psychanalyste.

Franck Unimon, ce jeudi 16 aout 2018.

 

 

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