Nous nous accrochons à des décors. S’ils nous sont familiers, ils ne sont pas là pour être apprivoisés. Car ils sont carnivores et nous dévorent.
Le lundi est un décor bien connu. C’est le premier jour de la semaine. Celui par lequel tout commence. La déprime ou l’enthousiasme. L’échine ou les miasmes.
Commencer une semaine, par la première séance de cinéma, celle de 8h05, par Nomadland de Chloé Zhao, j’ai dû le mériter. Peut-être parce-que la semaine dernière, j’ai osé préférer aller regarder Black Widow, un film de super-héros, une grosse production hollywoodienne.
Ce lundi, c’était tout à l’heure, j’étais seul dans la salle. Dehors, il faisait gris, un peu frais et il pleuvait. Cela avait un peu désespéré une de mes collègues de ce matin :
« Un mois de juillet, sans soleil ! On se croirait en Novembre ! ».
Mon collègue de nuit avait essayé de la désamorcer en lui disant : « La pluie, c’est bon pour les tomates ! ».
J’avais été content de pouvoir dire qu’après le travail, j’allais me rendre au cinéma. C’est peut-être pour ça que j’ai été puni en allant voir Nomadland. Ce qui n’était pas prévu, au départ.
Les film Teddy et Sound of Metal étant indisponibles, je me suis rabattu sur Nomadland dont j’avais entendu dire beaucoup de bien à sa sortie il y a plusieurs semaines. Je n’étais pas – encore- tenté par Sans un Bruit 2. J’ai hésité un peu en faveur de Benedetta de Verhoeven avec l’actrice Virginie Efira. J’aime, sous sa fadeur apparente (il y a des actrices et des blondes plus attrayantes) la « rapacité » de son jeu.
Mais j’ai opté pour Nomadland dont j’avais oublié l’histoire. De toute façon, j’aime en savoir le moins possible sur un film avant de le voir. J’avais même oublié que Zhao avait obtenu l’Oscar du meilleur film et de la meilleure réalisatrice en 2021 avec Nomadland. J’en étais resté au prix qu’elle avait obtenu à la Mostra de Venise en 2020.
L’actrice Frances McDormand, dans le rôle de Fern.
J’avais vu et aimé le précédent film de Zhao, The Rider. C’est surtout ça qui m’a décidé à aller voir Nomadland. J’avais aussi oublié que l’actrice Frances McDormand, que j’aime voir jouer, occupait le rôle principal.
On a sans doute, en parlant de Nomadland, fait des comparaisons avec l’œuvre Sur la Route de Jack Kerouac ou avec le film Into The Wild adapté au cinéma par Sean Penn.
Il y a sans doute de ça dans Nomadland. Mais, pour moi, ce film est un alcool fort sans l’ivresse. Malgré son titre, le film nous laisse sur le bord de la route. D’accord, on y roule beaucoup et c’est bien sûr mieux que de vivre parqué sans perspectives dans un hôpital ou ailleurs. Mais ce sont des rêves brisés qui roulent. Celles et ceux dont les décors de vie se sont plantés un jour ou l’autre. Pour raisons économiques. Pour raisons de santé. Pour cause de deuil. Pour cause de stress post-traumatique. A partir de là, le scénario de la vie normale faite de sédentarité, d’emploi en CDI et de réussite matérielle s’est arrêté pour eux. Le rêve américain prend bien-sûr une trempe supplémentaire sans doute nettement supérieure à celle subie le 11 septembre 2001. Sauf que cette blessure apparaît encore modérément dans les grosses productions américaines comme dans les unes des journaux parce-que le pays est encore suffisamment étendu. Parce-que les Etats-Unis sont encore la Première Puissance mondiale. Et parce-que les Etats-Unis n’en sont pas encore au stade où certains de leurs habitants, tels les migrants en provenance d’Afrique, du Maghreb, d’Asie ou du Moyen-orient, traversent la mer en espérant trouver mieux ailleurs.
Quelle ironie de voir ce pays, civilisation de l’automobile, recycler ici, mais en voiture, les transhumances qui avaient sans doute été celles des tribus indiennes, lorsque, à pied ou à cheval, celles-ci avaient été acculées par les colons européens à devoir quitter leurs territoires et leur histoire.
En France et dans les territoires d’Outre-mer, il a existé et il existe des équivalents à ces migrations intérieures mais aussi à certains mouvements sociaux. En France, les mouvements sociaux récents les plus marquants sont bien-sûr ceux des gilets jaunes. En Guadeloupe, en 2009, il y avait eu le mouvement Liyannaj kont pwofitasyon.
Cependant, on peut aussi penser à tous les autres mouvements sociaux qui ont essayé ou qui essaient d’amoindrir ou de défenestrer la « violence du libéralisme ». Il m’est impossible, à un moment ou à un autre, de faire l’économie de cette formulation :
« La violence du libéralisme ».
Surtout lorsque certaines scènes de Nomadland se passent dans l’enceinte d’un site de l’entreprise Amazon, dont le propriétaire, Jeff Bezos, est depuis plusieurs années l’homme le plus riche du monde. Et, dans Nomadland, on voit bien ce que sa richesse et sa réussite doivent – comme bien des richesses et des réussites- aux conditions de vie et de travail plus que pénibles, de quantités de gens, de tous âges, de toute origine ethnographique et de tout niveau socio-culturel confondus.
Le personnage de Fern (interprété par Frances McDormand) nous fait entrer dans le fleuve de toutes ces personnes qu’elle rencontre ou retrouve, et qui, comme elle, sont tout sauf des parasites. Ils travaillent, se font à toutes sortes de jobs, le plus souvent saisonniers, au gré de ce qui leur est possible. Ils forcent l’admiration et le respect tout en n’obtenant rien d’autre de leurs contemporains ou de leur gouvernement des réactions et des sentiments inadaptés :
Incompréhension ( percevoir Fern comme « homeless » au lieu de « houseless » , peur, des réponses inhumaines (le montant des pensions de retraites, par exemple).
Un parallèle est évidemment possible avec notre avenir social en France. Même s’il nous est souvent rappelé que la société américaine et la société française diffèrent, on peut aussi se dire que certains exemples américains louchent de plus en plus vers l’hexagone. Lorsque l’on pense par exemple à la réforme des retraites. Ou à la décision gouvernementale récente, en France, de reculer désormais l’âge du départ à la retraite à 64 ans.
Les seuls maquillages à mon sens trop présents dans Nomadland sont les passages de violons et de piano. Je crois que le film – que j’ai aussi trouvé un peu trop long- aurait été meilleur sans ces anesthésiants :
Une scène entre Fern et sa sœur ou une autre entre Fern et Bob Wells, sans violons et sans piano, en attestent.
Photo prise l’année dernière pendant le premier confinement.
Des soignants héroïques et irresponsables
La vaccination contre le Covid :
Les soignants, en France, se sont peu fait vacciner contre le Covid. 57 % des soignants environ se sont faits vacciner. De quels soignants parle-t’on ? Des médecins ? Des infirmiers ? Des aides-soignants ? Des « soignants »….ces anonymes qui étaient autant de « héros de la Nation » l’année dernière lors du premier confinement. Et qui, aujourd’hui, compteraient parmi eux un certain nombre d’irresponsables.
Facile….et obligatoire :
Car, aujourd’hui, contrairement à l’année dernière pendant le premier confinement, il est facile de se faire vacciner contre le Covid.
Il est aussi de plus en plus obligatoire de se faire vacciner pour partir à l’étranger. En vacances, par exemple. Nous sommes au mois de juillet et, après un nouveau « confinement » pour parer à la pandémie du coronavirus, beaucoup de gens sont partis en vacances.
Gare du Nord, juillet 2021.
On peut aussi voir des réclames encourageant à la vaccination anti-covid afin de se rendre à des événements de masse festifs : matches de foot, concerts….
Mais on peut aussi s’attendre, à ce que, bientôt, ou dès maintenant, la vaccination anti-Covid soit un avantage lors de certaines démarches en vue d’obtenir un emploi. Ou, sur les sites de rencontres, pour « dénicher » un partenaire ou une partenaire.
Je m’étais dit que j’allais donner mon avis un de ces jours sur le sujet de la vaccination anti-covid. Mais je n’étais pas pressé. Et puis, la lecture de l’éditorial (signé Jérôme Chapuis) du journal La Croix de ce mercredi 7 juillet 2021 m’a tellement contrarié que je me suis dit que je ne devais plus traîner pour écrire à ce sujet.
Irresponsable :
Parce-que je fais encore partie de ces irresponsables. A ce jour, je ne me suis pas encore fait vacciner contre le ou la Covid. Je suis et serais donc un irresponsable en plus d’être un égoïste. Je retranscris ce passage de l’éditorial du journal La Croix de ce 7 juillet qui m’a particulièrement poussé à écrire :
« (…..) A l’heure où menace une quatrième vague de Covid, le chiffre laisse songeur. A l’hôpital, au début de l’été, seuls les deux tiers des soignants avaient reçu une première dose de vaccin (….). Cette défiance persistante conduit le gouvernement à envisager pour eux la vaccination obligatoire. De nombreux soignants y voient une atteinte à leur liberté. Argument discutable, d’abord parce que la liberté individuelle doit toujours être mise en balance avec l’intérêt général. Ensuite parce que leur métier amène ces professionnels à côtoyer malades et personnes âgées qui sont précisément les plus vulnérables face au virus. De ce point de vue, dès lors qu’il est admis qu’elle ne comporte pas d’effets indésirables, la vaccination des soignants apparaît comme une obligation morale (….) ».
Discutable :
L’atteinte à « ma » liberté est un argument discutable selon cet éditorial. Hé, bien, discutons, car, autrement, une fois de plus, si je ne prends pas l’initiative de « discuter » c’est quelqu’un d’autre qui le fera à ma place. Et, vu la façon dont l’éditorialiste du journal La Croix mais aussi d’autres journaux s’expriment, je préfère m’exprimer moi-même. Pour changer avec cette « normalité » qui fait de beaucoup de soignants de simples exécutants.
Pour commencer, je suis favorable à la vaccination. Mais pas n’importe comment : je suis autant prudent vis à vis de ce vaccin anti-Covid que je ne l’avais été vis-à-vis de tous ces applaudissements sincères et répétés que l’on nous avait adressés l’année dernière lorsque nous étions des « héros ». D’ailleurs, j’aimerais reparler un peu de cette époque un peu trop vite et trop facilement oubliée maintenant qu’il est devenu « entendu » que tout le monde doive se faire vacciner pour « l’intérêt général ».
L’époque des « héros » :
Elle a duré à peu près deux mois et demi d’un point de vue médiatique. De mi-mars à fin juin pour faire large. Mais c’est la période comprise entre le début du premier confinement en mars 2020 et début Mai qui m’importe le plus.
Quelques « Une » du journal Libération l’année dernière lors du premier confinement.
Cette « époque », qui a duré cinq à six semaines, a été une époque d’angoisse et de peur assez maximale. Je me souviens de cette angoisse pour l’avoir ressentie. Et, je me souviens, aussi, que, durant ces cinq à six semaines, nous, les héros, nous « devions » continuer d’aller au travail pour « l’intérêt général » pendant que la quasi-totalité, ou une bonne partie, de la population restait confinée chez elle. Tant tout le monde avait peur et était angoissé.
Suite de quelques « Une » du journal Libération l’année dernière pendant le premier confinement.
Il y a sûrement eu des endroits, des régions, des quartiers en France, où des gens, lors du premier confinement, ont continué de se balader comme d’habitude. Mais ces endroits, ces régions ou ces quartiers n’étaient pas concernés par ceux que j’ai traversés lorsque je me suis rendu au travail lors de ces cinq à six semaines. Pareil dans les transports en commun.
J’ai écrit : « Nous devions continuer d’aller au travail…. ». Je vais préciser : Je tenais à aller au travail lors de cette époque particulière. Même si le service où je travaillais a été moins exposé que d’autres services (Ehpad, services d’urgences et de réanimation somatiques ) à des clusters, je savais que nous vivions une époque particulière, historique, et je tenais à la vivre. Comme à contribuer, à mon niveau, à ce que le travail pour « l’intérêt général » continue.
Photo prise l’année dernière pendant le premier confinement.
J’allais déja oublier de cette époque dorée le « privilège » qu’ont eus certains de mes collègues héroïques, en France ou ailleurs, de recevoir des courriers anonymes de voisins. Non pour les encourager. Ou, plutôt, oui. Mais pour les encourager à déménager. En leur expliquant qu’en tant que soignants, ils étaient devenus une menace pouvant contaminer…. tout l’immeuble.
Aujourd’hui, c’est ni plus ni moins la Nation toute entière que des ex-soignants héroïques seraient susceptibles de contaminer, selon certains esprits très développés, avec leurs âneries consistant à traîner pour se faire vacciner.
Je repense aussi au témoignage -que j’avais lu- de cette soignante, qui, lors du premier confinement, expliquait s’être interdite d’embrasser sa fille pour des raisons sanitaires. Alors, je vais sûrement paraître complètement à côté de la plaque mais j’ai toujours continué d’embrasser ma fille de la même manière. Et, j’avais eu de la peine pour cette « collègue » ainsi que pour ces lourdes privations affectives qu’avaient pu connaître sa fille.
Suite des « Une » du journal Libération l’année dernière pendant le premier confinement.
Des héros sans filets de protection
Pourtant lors de cette époque particulière, de mars à mai 2021, je ne me voyais pas et ne me vois toujours pas comme un héros. Même si cette ambiance a été pesante. Même si nous avons travaillé le plus souvent sans masques anti-Covid. Ou, sans masques FFP2 en tout cas, décrits comme ceux étant les plus à même de nous offrir la protection maximale contre ce virus si contagieux et potentiellement mortel.
Je me rappelle aussi être retourné dans cette pharmacie où, fin février 2020, un pharmacien m’avait affirmé que cette épidémie du Covid ne nous concernait pas. Quelques semaines plus tard, en plein confinement, non seulement cette pharmacie ne vendait plus de masques FFP2 ( à près de 4 euros l’unité) pour cause de « rupture de stock »; mais tous les employés de cette pharmacie, du vigile aux pharmaciens, en passant par la femme ou l’homme de ménage, portaient , eux, un masque FFP2. Donc, moi, le héros, je devais me contenter de l’air désolé d’un(e ) des employé (es) de cette grande pharmacie, située en plein Paris, et des applaudissements du 20 heures, pour me « vacciner » contre le Covid.
Avec le lavage des mains.
Début Mai 2020 : Premier miracle
Et puis, début Mai 2020, premier miracle, les supermarchés- et les pharmacies- se sont mis à pondre des masques anti-Covid. Pas les FFP2. Mais des masques anti-Covid néanmoins. Qu’il a fallu payer. Moi, le héros, comme tout le monde, je suis passé à la caisse pour acheter ces masques. Et, plus d’un an plus tard, je continue, désormais, d’acheter des masques anti-Covid régulièrement. Mais, aussi, de me laver les mains. Je fais beaucoup confiance à ces deux gestes barrières (port du masque et lavage des mains). Et, je crois que, désormais, le port du masque fera souvent partie de notre quotidien.
A l’intérieur de la Gare du Nord, juillet 2021.
Juillet 2021 : Second miracle
Nous sommes le 8 juillet 2021, et, moi, « le héros », à ce jour, je n’ai pas contracté le Covid. Ou alors j’ai contracté une forme si « transparente », si « discrète », que je ne l’ai pas sentie passer.
Depuis mars de l’année dernière, je n’ai pas été en arrêt de travail pour cause de Covid. Par contre, certains de mes collègues ont été arrêtés pour cause de Covid. Quelques uns de mes collègues, pour parler de ceux qui ont été touchés lors de ce mois de mars 2021, s’étaient relâchés concernant le port du masque. Or, je le répète :
Je porte régulièrement un masque au travail et dans les transports en commun comme dans les lieux publics ( sur mon nez et ma bouche). Et, je me lave les mains.
Je porte si souvent un masque qu’il y a environ dix jours, c’est à ce port prolongé que j’ai attribué des écoulements nasaux répétés pendant un à deux jours. Alors que je n’étais pas enrhumé. Je me suis fait quelques lavages de nez avec du stérimar et c’est passé.
Certains de mes amis ou connaissances, aussi, ont attrapé le Covid.
Des amis et des connaissances qui l’ont attrapé à leur travail ou en d’autres circonstances. Circonstances auxquelles je suis extérieur. Je n’étais pas en contact direct avec eux.
Donc, au vu de ces quelques constatations, je « capte » assez difficilement cette urgence de la vaccination, me concernant. Même, si, je le redis, je suis favorable à la vaccination. Mais pas n’importe comment. Passons maintenant au reste de ce qui est dit dans cet éditorial du journal La Croix.
« La liberté individuelle doit toujours être mise en balance avec l’intérêt général »
J’admets complètement le fait que des soignants aient pu contaminer des patients. Bien avant la pandémie du coronavirus, on parlait déjà de certaines maladies nosocomiales.
Donc, oui, les soignants ont à prendre certaines précautions pour protéger celles et ceux dont ils s’occupent : c’est la moindre des choses. Et, je ne discute pas les chiffres qui ont pu être donnés en termes de contamination du Covid dans les Ehpad.
Par contre, je me demande si ces soignants « contaminants » avaient….des masques. S’ils avaient de quoi se laver les mains comme il se doit. S’ils avaient le temps de le faire, aussi.
Parce-que cette pandémie du Covid a aussi mis sur la table un fait chronique dans les institutions de soins de la France : une certaine pénurie de personnel et/ou une certaine pénurie de matériel.
S’il a manqué des masques anti-Covid dans les Ehpad comme il a pu en manquer dans d’autres services de soins, il n’y a rien d’étonnant à ce que la contagion du virus ait pu autant s’étendre.
Mais « La liberté individuelle doit toujours être mise en balance avec l’intérêt général », ça, c’est une pensée forte !
Ce 8 juillet 2021, pour celles et ceux qui ont pu partir, les grandes vacances- ou vacances d’été- ont commencé. Mais, que je considère ces vacanciers ou ces personnes contentes d’être à une terrasse de café ou de restaurant, ou, simplement, en train de faire les soldes, je ne vois pas cet « intérêt général ». Ce que je vois, c’est surtout un « intérêt personnel » multiplié pratiquement par toutes ces personnes environnantes ou parties en vacances.
Si l’on tient tant que ça à me parler de « La liberté individuelle doit toujours être mise en balance avec l’intérêt général », je me dis qu’à nouveau, on me prend pour un idiot. Comme lorsque, l’année dernière, on a essayé de me faire croire que j’étais un « héros de la Nation ». Et qu’il était normal pour moi (et pour d’autres) de partir au combat sans armes ( sans masques) au devant d’une mort presqu’assurée.
Parce qu’il y a plein d’exemples courants où « l’intérêt général » est secondaire :
Les industriels du Tabac qui vendent leur poison légalement depuis des années et font de gigantesques chiffres d’affaires. Pareil pour les vendeurs d’alcools et de spiritueux.
Les constructeurs automobiles et leur Diesel polluant qui a fait beaucoup de contents et de nostalgiques parmi les automobilistes.
Ces autres constructeurs automobiles qui avaient trafiqué leur logiciel anti-pollution sur leurs voitures.
On verra bientôt quels effets néfastes a engendré la téléphonie mobile dans nos vies.
J’imagine bien qu’un journal comme La Croix, et d’autres, relatent aussi ces faits. Sauf qu’il est bien plus facile de faire pression sur des soignants qui restent des subalternes. Même si on veut bien les admirer et les applaudir de temps en temps tant qu’ils obéissent et se dévouent pour trois fois rien. La profession de soignant a ceci de particulier qu’il semble souvent légitime de pouvoir bénéficier du maximum de ses compétences et de ses disponibilités pour un salaire et une reconnaissance minimale.
La suite est assez prévisible. Les soignants, si l’on désigne ici des aide-soignants et des infirmiers, sont majoritairement des femmes : le sexe dit « faible » même si les moeurs prennent l’ascenseur et évoluent.
En attendant, « nous », les soignants ( aides-soignants et infirmiers, femmes et hommes), nous ne vendons pas de pop corn, d’automobiles ; nous ne vendons pas de coca-cola, de tabac, de bonbons, d’alcools, de films grands publics, de pubs, d’engrais chimiques, de cosmétiques, de parfums, de spectacles, de cannabis, d’armes, de téléviseurs, de téléphones portables, d’ordinateurs, de médicaments ou d’assurances. Nous essayons par contre de remédier à certaines conséquences de ces usages comme de ces objets.
Nos bonnes intentions nous honorent, certes. Mais cet honneur nous rétribue assez peu socialement mais aussi matériellement. De ce fait, nous disposons de moins de poids économique et politique que tous ces industriels et entrepreneurs précités – et d’autres- qui produisent et incitent à certains usages en réalisant en permanence des contorsions autour de « l’intérêt général ». A eux, les contorsions, les réseaux d’influence et le chiffre d’affaires. Pour nous, soignants, les pressions, la diminution des effectifs comme de nos moyens.
Vers une vaccination obligatoire pour les soignants :
La vaccination anti-Covid va devenir obligatoire pour les soignants prochainement. D’une façon ou d’une autre. A moins, peut-être, de partir à la retraite- en évitant l’EHPAD- dans les trois mois qui viennent. Sauf s’il survient un autre « miracle ».
Un autre « miracle » :
Dans l’éditorial du journal La Croix, « j’aime beaucoup » la partie :
« De ce point de vue, dès lors qu’il est admis qu’elle ne comporte pas d’effets indésirables, la vaccination des soignants apparaît comme une obligation morale (….) ».
Subitement, l’éditorialiste s’est rappelé que les vaccins anti-Covid comportent quand même quelques risques pour la santé. Et qu’il serait prudent, pour lui, de se couvrir. Car par qui est-il « admis qu’elle (la vaccination) ne comporte pas d’effets indésirables » ?!
Même si la plupart des personnes vaccinées la supportent plutôt bien, nous manquons de recul et de certitudes concernant ces vaccins. Et une « revue » ( en ligne) plutôt sérieuse comme Prescrire mentionne aussi certains effets secondaires indésirables constatés et souligne le manque de recul actuel à propos de ces vaccins anti-Covid.
Alors, l’autre « miracle », serait, pour moi, que d’ici quelques mois, on s’aperçoive qu’une vaccination généralisée reste insuffisante ou injustifiée.
Et, si ce miracle n’a pas lieu et que le vaccin devient obligatoire- le plus probable à mon avis- j’aurai non seulement gagné quelques mois supplémentaires de recul. Mais, en plus, en cas d’effet indésirable avéré par la suite, il me sera peut-être plus facile de le faire reconnaître.
Un ami- vacciné- m’a bien expliqué récemment qu’être vacciné n’empêchera pas d’attraper le Covid mais protègera contre des formes plus graves. Ce que je veux bien croire. Ce que j’ai plus de mal à croire, c’est à cet espoir que nous plaçons de plus en plus dans un vaccin pour continuer de vivre dans le même monde. Comme si un vaccin pouvait à lui seul nous permettre d’exister alors que nous faisons beaucoup par ailleurs pour nous détruire.
Entre les Tuileries et la place de la Concorde, juillet 2021.
Puisque c’est toujours de la faute des autres, tout est parti d’un cd du groupe Sonic Youth.
Je n’ai pas revu les films, ces forêts, où on la trouve. Je suis seul avec mes pensées, ces vieillesses condamnées sur lesquelles il faut apprendre à veiller. Si l’on tient à prévenir le déclin de notre humanité.
Béatrice Dalle, trois fois. Béatrice Dalle, pourquoi. Ma prudence me répète que je ne la connais pas. Mais, déja, pour la première fois dans mon blog, je crée une rubrique uniquement pour elle. Parce-que parler d’elle m’évoque peut-être le cheval de Troie.
Le physique de charme est un fusil de chasse. Mais cette arme a une particularité dangereuse : partout où elle passe, on la repère au lointain. Sa détentrice- ou son détenteur- doit savoir s’en servir ou la quitter. Sinon, cette arme sera son enterrement ou sa rétention. Et, elle sera le trophée de celle ou celui qui la brandira. Qui la tisonnera.
Je me rappelle un peu d’une partie de sa cinématographie. Dans son livre Que Dalle un livre sur l’actrice et comédienne Béatrice Dalle / Béatrice Dalle, Louvrier nous apprend qu’hormis avec les réalisateurs Jim Jarmusch et Abel Ferrara, elle a fait peu d’efforts pour connaître une carrière aux Etats-Unis. Parce qu’elle ne parle pas Anglais.
Si tu cours longtemps et vite, et que tu es sur la défensive devant la moindre limite, comment te suivre, Béatrice Balle ? Il faut un certain recul pour atteindre quelqu’un. Mais aussi pour l’attendre.
Louvrier parle du Rap et de Joey Starr. Mais il y a d’autres musiques. Peut-être du Free Jazz ou ne serait-ce que du Free…gaz.
En 1986, Dalle est dans 37°2. Après les Punks (que Louvrier cite). Après Nina Hagen, le Reggae de Police(groupe de Reggae blanc influencé par le Punk), la mort de Bob Marley. La lecture de Que Dalle nous informe que Sting, l’auteur des tubes du groupe Police, était « fou » d’elle et voulait la rencontrer. Mais « dans » la France de Mitterrand et de Jack Lang, elle avait d’autres évidences.
Dans la France de Giscard, je ne vois pas de place pour 37°2. Et puis, rester dans les années 70 et 80, c’est se tenir très loin d’aujourd’hui et de demain.
Récemment, à l’anniversaire d’une amie, à Levallois (oui, grâce à Louvrier, je sais qu’à une époque, Dalle a vécu à Levallois) en parlant de mon blog, j’ai répondu à quelqu’un avec qui je sympathisais que j’avais, entre-autres, écrit sur Béatrice Dalle. Il a été un peu étonné. Sûr de moi, j’ai alors avancé, tel un attaché de presse bien au fait de ses projets :
« Elle fait toujours des films ».
J’étais néanmoins dans la salle pour voir le film Lux Aeterna de Gaspar Noé. Un réalisateur dont j’ai vu plusieurs des films depuis Seul Contre tous avec « feu » Philippe Nahon. Au contraire de Seul contre tous (un chef-d’œuvre, selon moi) je n’ai pas souscrit à l’intégralité de Lux Aeterna. J’ai pour l’instant renoncé à écrire dessus. Mais il m’en reste quelque chose. De même pour Climax.
Dans le Que Dalle de Pascal Louvrier, il est plusieurs fois fait état de sa bouche. Cet organe aurait été perçu comme « trop » grand chez elle au début de sa carrière. Presqu’un naufrage.
J’ai oublié.
Sa bouche est la graine que nulle gravité n’aliène. Pourtant, dans J’ai pas sommeil, l’acteur Alex Descas- dont je parlerai un jour- s’en prend à elle :
« Tu ne seras jamais prête ! ».
Devant sa nudité inquiète, mes articles, aussi, sans doute, ne seront jamais prêts.
Aucun événement immédiat ou particulier porté à ma connaissance ne me permet de savoir la raison pour laquelle je pense à lui ce matin. Un dimanche.
Comme d’autres membres de ma famille, avant ma naissance, il était venu par avion pour le mariage de son petit frère. Le dernier. Un de mes oncles paternels. Une force de la nature, le plus grand parmi ses frères et ses sœurs, surnommé « Le dindon ». Si mes souvenirs sont exacts. Car tout cela se passe en Créole et en métropole :
En France.
En France, on n’a pas de pétrole, mais on a une métropole. Du Créole. Et des people.
Il était petit. Peut-être l’un des plus petits parmi les frères de mon père, aussi présent.
Mais il avait une classe réglée comme une montre suisse. Une classe que je lui avais découverte ce jour-là. Plus que mon père qui s’y connaissait pourtant en « style ». Plus que mon oncle qui se mariait.
Dans son costume gris, il portait l’élégance et l’assurance. Il avait fumé une cigarette devant moi, mon père et cet oncle qui se mariait. Avec tout autant de présence. Dans ma famille, du côté de mes oncles et de mes tantes, paternels comme maternels, fumer est un acte suffisamment rare, étranger voire proscrit, pour marquer un esprit. Au moins le mien.
La cigarette, c’est bien-sûr le fait du Blanc. Mais c’est aussi une aventure qui ne vaut pas, peut-être, celle de la fierté, de la réputation, de la force physique, du sport, de la musique, de la voiture, de la voix ferme et haute, du geste, du rhum et de la verge.
Lui, il avait fumé comme s’il s’agissait d’une formalité. Aucune remarque ne lui avait été faite alors que l’on peut être si à cheval concernant telle action qui signifie que l’on se prend pour un blanc. Et l’on reste, du moins suis-je souvent resté, proche de ce poste frontière. Presque l’ultime intime d’un certain sentiment de noyade. Tout près de cette limite où s’observent- telles deux éternelles vierges maquerelles toujours en demande d’un godemiché- celle qui serait d’un côté l’identité blanche et, de l’autre, l’identité noire.
Moi, l’adolescent, les cheveux encore hauts à la Michaël Jackson d’avant le défrisage et la dépigmentation, emménagé dans des vêtements et des chaussures que ma mère sans doute avait choisi pour moi, et derrière mes lunettes du même acabit, j’étais bloqué face à ces trois hommes : cet oncle, celui qui se mariait, mon père.
Et je faisais peine à voir. Mes oncles et mon père me le faisaient bien savoir.
Reprenant un des arguments de mon père, cet oncle avait statué que « même un handicapé » faisait de son mieux. Alors que moi, j’étais gauche, contenu :
Plus dans le brouillard que débrouillard.
Les derniers souvenirs que j’ai de cet oncle avant ce mariage, c’étaient sa maison, en Guadeloupe à Petit-Bourg. Sa femme, souriante et affirmée, leurs trois enfants, deux cousines et un cousin, dont chaque prénom débute par la lettre U. Comme mon nom de famille. Je m’en aperçois seulement maintenant alors que je repense à cette balançoire faite d’un pneu, chez eux, qui nous envoyait presque au dessus du vide.
Quelques années après ce mariage, j’ai entendu parler de son divorce. Par bribes.
Car je n’étais pas adulte.
J’ai appris qu’il jouait. De retour en Guadeloupe pendant les vacances, où notre père nous conduisait, nous passions devant son ancienne maison, sans doute habitée par son ex-femme et les enfants sans nous arrêter. Cette vie-là n’avait pas existé.
J’ai revu cet oncle plusieurs fois ensuite. Souvent chez mon grand-père. Pas si loin que ça de son ancienne maison. Il ne portait plus de costume. Il vivait dans une case en tôle, pas si loin que ça de son ancienne maison. Se déplaçait en mobylette. S’était fait des « amis » parmi des jeunes qui vivaient de peu.
Assez régulièrement, j’entendais ça et là des commentaires le concernant (mon père, mon grand-père) où l’on se désolait de son mode de vie. En métropole, à Paris, on aurait parlé de zonard plus ou moins SDF. Sauf qu’il avait son coin, ne mourait pas de faim et qu’il faisait toujours partie de la famille où il continuait d’avoir son mot à dire. Je ne crois pas qu’il exerçait un métier régulier et officiel. Et, je ne sais pas quel métier il exerçait dans son autre vie. Mais je le crois plutôt habile de ses mains. Comme bien des hommes de la famille de mon père et de mes ascendants du côté tant paternel comme maternel où le métier de maçon, voire charpentier, est une nomenclature.
Je n’ai jamais discuté avec lui de ce qui s’était passé dans sa vie. Je n’ai donc jamais pu écouter ce qu’il en disait. Mais j’ai cru trouver dans son attitude une forme d’acceptation du verdict qui l’avait touché : le divorce et sa suite.
C’est au décès de mon grand-père paternel que j’ai eu un contact téléphonique avec une de ses filles. Je ne l’avais pas vue depuis des années.
J’étais venu pour l’enterrement de mon grand-père paternel. J’avais fait un discours- le seul discours dit à l’enterrement de mon grand-père par un membre de la famille ou un proche- dans l’église, remplie, de Petit-Bourg. Et, j’avais aussi filmé une partie de l’enterrement.
Cette cousine souhaitait que je lui envoie les images. Je les lui avais envoyées et j’avais appris qu’elle était devenue infirmière ou peut-être cadre-infirmière. J’avais senti en elle une certaine affection pour son père. Lequel, jusqu’à sa mort, est resté dans cet état de « vagabond » ou de semi-vagabond, se montrant souvent pieds nus, avec un short rapiécé, un chapeau et une chemise, et tutoyant le rhum en certaines occasions.
Je n’ai jamais parlé de lui avec mon père. Car je ne suis pas un homme.
Cet oncle est un fantôme de plus dans la famille. Peut-être qu’écrire, c’est aussi s’adresser à ses fantômes, retranscrire leurs réponses ou les souvenirs qu’ils nous laissent. Après, on en fait toute une histoire que d’autres écouteront, caresseront ou liront peut-être.
Parler de cendres, ce n’est d’abord pas très réjouissant. Mais, ce matin, je ne prends pas les cendres par le biais dépressif. Je pense aussi à cette cérémonie où l’on marche sur le feu. En Inde mais aussi dans les régions d’Outre-Mer. Aux Antilles comme à la Réunion.
Je me dis aussi que les cendres, cela peut aussi être les migrations de tous ces oiseaux qui parcourent des milliers de kilomètres, chaque saison. Mais aussi de ces créatures terrestres ou animales qui nous entourent et que l’on connaît beaucoup moins bien que ces autoroutes, ces trains ou ces bateaux qui nous permettent de partir en vacances. Car elles sont là, nos principales migrations. Dans nos congés et nos week-end.
A moins d’être de grands voyageurs. D’effectuer des déplacements pour notre travail. Ou de changer d’emploi, d’adresse ou de rôle régulièrement.
Ce matin, je me mesure aux cendres de mon oncle. Celles de sa vie, de sa contre-vie ou de cette cigarette fumée devant moi à ce mariage. Car, peut-être, bientôt, vivrais-je moi aussi une certaine migration.
Notre imagination est faite de toutes sortes de migrations. Ensuite, c’est nous qui décidons. De jeter les dés et de nous lancer derrière eux. Ou de les regarder.
Béatrice Dalle, aujourd’hui, fait moins parler qu’il y a « longtemps » : il y a dix ou vingt ans.
J’ai acheté ce livre parce que Béatrice Dalle me « parlait ». Comme un conflit pourrait parler à des vieux qui y avaient participé en tant que simple appelés ou appuis militaires. Ce qu’ils sont devenus ensuite, c’est un autre problème. Et, avant tout, et surtout, le leur. Ce que je raconte ensuite, ici, c’est peut-être aussi, avant tout, et surtout, mon problème.
Lorsque j’avais acheté ce livre consacré à Béatrice Dalle, je faisais déjà partie des vieux. Mais, bien entendu, je ne l’avais pas vu comme ça, ce jour-là. Aujourd’hui, je suis un peu plus réaliste :
Même si, en apparence, j’ai encore un look assez jeune, je vois bien que je fais partie des vieux. On peut être myope et visionnaire.
Ainsi, je vais spontanément vers des musiques – mais aussi vers des pratiques- qui montrent bien que je ne suis plus jeune. Récemment, lors d’une rencontre professionnelle, celle qui m’a reçu m’a dit :
« De toute façon, si vous m’envoyez un mail, je le recevrai sur mon portable ». Le fait que je sois autrement plus qualifié qu’elle pour le travail que j’effectuerai peut-être pour sa « boite », est ici accessoire. J’avais compris à cette simple phrase que j’étais vieux. Tant pour ces valeurs et ce mode de vie que cette « jeune » justifie et défend. Que pour cette façon d’offenser sans même s’en apercevoir.
J’ai regardé dans les yeux ma jeune interlocutrice. Ses beaux yeux bleus. Mais je n’étais pas amoureux. J’avais bien plus d’expérience qu’elle et voire qu’elle n’en n’aurait jamais pour ce travail pour lequel je la rencontrais. Pourtant, c’était elle qui dirigeait l’entretien. Très certainement, m’a-t’elle trouvé l’abord froid et rigide de celui qui borde un monde qu’elle ne connaît pas. Elle ne sait pas qu’une grande partie de ma vie comme celle d’autres que je connais ou ai connus, se dévalue à mesure qu’elle devient un exemple à suivre. Et, j’en suis aussi en partie responsable :
J’ai refusé de devenir responsable de ce monde qu’elle défend.
Béatrice Dalle, dans l’ouvrage de Louvrier, est un moment comparée à Brigitte Bardot et à Marilyn Monroe. Régulièrement, se succèdent des personnalités et des idoles de toutes sortes qui en rappellent d’autres. Et si cela se perpétue, c’est parce-que cela rend plus polis certains de nos échecs. Que l’on soit jeunes ou vieux.
Mentionner Bardot, Monroe et Dalle, c’est additionner les sex-symbol. Un sex-symbol, c’est festif. Ça met en alerte. Ça donne envie de consommer. De se transformer en superlatif.
Mais c’est une histoire triste. Telle qu’elle m’a racontée. Celle d’une enfant d’une famille nombreuse sacrifiée parmi d’autres. Bonne élève d’une école dont elle a dû se retirer à l’école primaire. Afin de s’occuper de frères et de sœurs plus jeunes. Mais, aussi, pour faire la cuisine. Pourquoi elle plus qu’une autre ? Et, en quoi, cela aurait-il été plus juste qu’une autre soit choisie ?
Ma mère est une femme gentille. Comme aurait pu l’être le personnage joué par l’acteur Tim Robbins dans Mystic River réalisé par Clint Eastwood.
Ma mère est donc l’opposée d’une Béatrice Dalle. Si l’une et l’autre ont quitté leurs parents avant leur majorité, leur tempérament les sépare. Béatrice Dalle a pu « se prendre la gueule » avec des femmes et des hommes, connus ou inconnus. Elle a aussi connu la rue. Eté punk. Elle peut baptiser des injures et professer des menaces qui ont valeur de futur. Ma mère n’a jamais prononcé le moindre gros mot devant moi. Elle a fait baptiser ses enfants.
Dans le livre qu’il a consacrée à Béatrice Dalle, le journaliste Pascal Louvrier relate que celle-ci a pu faire penser à une « panthère ». Ma mère n’a rien de la panthère. Mais j’aurais aimé qu’elle le soit. Qu’elle puisse l’être. Qu’elle sache l’être. Qu’elle puisse griffer. Elle ne le fera jamais. Au lieu de griffer, elle priera. Béatrice Dalle est croyante à sa façon, parle de Jésus-Christ mais elle et ma mère ne sont pas faites de la même ferveur religieuse. J’attends de voir Béatrice Dalle dans un film de Bruno Dumont.
Ma mère a été et est une très belle femme. C’est une femme capable. A son âge, beaucoup aimeraient avoir sa forme physique. Sa souplesse. Son endurance. Son dynamisme.
Mais elle est une de ces multiples femmes- déployées et employées- qui ont trop accepté un peu tout et n’importe quoi. Piégées sans doute par leur trop grande endurance, leur naïveté et leur indéfectible indulgence pour leurs peurs.
Certaines réussites sont là pour masquer certains échecs. Normalement, ma mère a réussi. Son mariage. Ses enfants. Sa maison. Ses activités. Elle peut parler. Discrètement. Mais elle a plus subi de vérités qu’elle n’en n’a dit.
Béatrice Dalle, c’est le contraire.
Ça tombe très bien qu’aujourd’hui, on parle moins de Béatrice Dalle comme sex-symbol.
Parce-que toutes ces histoires de sexe, de drogue et de frasques (des histoires de jeunes) m’empêchaient sans doute de comprendre qu’au cinéma, ou ailleurs, ce qui pouvait me déranger chez Béatrice Dalle mais aussi me donner envie d’aller la voir, c’était de pouvoir m’imaginer un peu ce que ma mère aurait pu être ou faire de différent.
Je vais peut-être au cinéma afin de pouvoir imaginer des différences. Et, pour moi, Béatrice Dalle permet ça.
Que Dalle un livre sur l’actrice et comédienne Béatrice Dalle
Ecrit par Pascal Louvrier et Béatrice Dalle
Hésiter entre la lecture de UCHIDESHI Dans Les Pas du Maitre (Apprendre ce qui ne peut être enseigné) de Maitre Jacques Payet, 8 ème Dan, Shihan, au sein de l’organisation Aikido Yoshinkan. Et la lecture du livre sur l’actrice et comédienne Béatrice Dalle.
Opter pour ce dernier. Et se sentir d’abord éclaboussé par de la poussière de honte. Une fois de plus, avoir cédé aux séductions de la forme. Au lieu de déterrer de soi ces peurs qui nous martèlent les vertèbres.
Nos peurs sont des productions incessantes. Les combattants sont celles et ceux qui, jour après jour, les voient s’amonceler sur leur compteur. Et qui ont appris et apprennent de leurs peurs. Et qui répètent des gestes, parfois des incantations, ou des Savoirs, en vue de leur répondre.
Ce sont des voix qui leur parlent, à toute heure, à eux seuls, et que personne d’autre n’entend, d’abord. Du moins ont-ils souvent cette impression.
Pas de combattant sans peur.
Mais comparer une actrice ou un acteur, Dalle ou autre, à un combattant tel que Maitre Jacques Payet, c’est aussi tenter de vouloir parer un miroir des mêmes mérites et des mêmes héritages que le diamant.
La différence entre les deux reste quand même que, une fois « choisi », l’un (l’actrice ou l’acteur) est si puissamment éclairé, entouré, stylisé, entraîné, conseillé qu’il est presque condamné à réussir.
Je repense à l’actrice Adèle Exarchopoulos tellement mise en valeur par Kechiche dans La Vie d’Adèle ( 2013)que je m’étais dit :
« Si après ça, elle ne réussit pas une belle carrière au cinéma, elle ne pourra pas dire qu’elle n’a pas été aidée ».
La combattante ou le combattant, longtemps, est bien moins entouré que l’actrice ou l’acteur. C’est peut-être, aussi, ce qui le pousse à surgir. Car, soit il restera victime, oublié, dominé ou enfermé. Soit il vivra. En se mettant à vivre, la combattante ou le combattant commence à éblouir celles et ceux qui l’entourent. Parce que vivre, c’est notre histoire à tous. Sauf que pour beaucoup, vivre reste une intention ou une tentation. Alors que pour la combattante ou le combattant, vivre est une action.
L’actrice et l’acteur se mettent à vivre lorsque l’on dit : « Action ! ». La combattante et le combattant vivent parce qu’ils agissent. En dehors du combat. Au cours du combat. Mais, aussi, après le combat.
Le combat, c’est le temps absolu. L’extrême. Aucunfaux semblant possible.
Il y a maintenant un jeu de mot très facile à faire : le contraire du combat, plus que la défaite, c’est le coma. Etre dans le coma, c’est bien-sûr être allongé dans un lit d’hôpital dans un service de réanimation. Peut-être en mourir. Peut-être en sortir. Peut-être en revenir diminué, paralysé ou transformé.
Mais le coma, c’est aussi laisser quelqu’un d’autre ou une substance agir ou faire des rêves à notre place. Puis exécuter au détail près. Comme des rails nous menant vers une destination préétablie par quelqu’un d’autre que nous et à laquelle nous accepterions de nous rendre sans conditions.
A ce stade de cet article, par lequel je me suis laissé « détourner », il faudrait maintenant vraiment parler du livre.
Normalement, ce que j’ai écrit m’a déjà disculpé concernant le fait d’avoir « préféré » d’abord lire cet ouvrage sur Béatrice Dalle. Mais la normalité peut aussi être une folie souvent acceptée par le plus grand nombre. Alors, je vais prendre mes précautions et m’en tenir à ce que j’avais prévu de mettre en préambule.
La lecture de la « biographie » de l’acteur Saïd TAGHMAOUI, SAÏD TAGHMAOUI De La Haine A Hollywood dont j’ai rendu compte il y a quelques jours m’a influencé. Saïd Taghmaoui/ De la Haine A Hollywood
Dans son livre, TAGHMAOUI ne dit pas un mot sur Béatrice Dalle et Joey Starr. Pourtant, il est impossible qu’ils ne se soient croisés.
Ils ont à peu près le même âge. Sont entrés dans le grand bal de la scène médiatique à peu près au même moment même si Dalle fait un peu figure « d’aînée » avec 37°2 de Beineix, sorti en 1986.
Ils ont eu des amis et des intérêts communs : Au moins Le Rap, Les Tags, les graffitis, la banlieue parisienne défavorisée ( Taghmaoui, Morville) Benoit Magimel, les frères Cassel ( Vincent et/ou Rockin’ Squat).
Si leur adresse et leur réussite artistique (TAGHMAOUI, DALLE, Joey Starr/ Morville) doivent à leur présence physique ainsi qu’à leurs origines sociales et personnelles, elles doivent aussi à leur intelligence particulière (du jeu, du texte, pour faire certaines rencontres existentielles et décisives) ainsi qu’à leur travail d’avoir duré alors, qu’au début, dans leur vie mais aussi comme lors de leur arrivée dans le milieu de la musique ou du cinéma, rien ne le garantissait.
Pour le dire simplement et sans mépris : Aucun des trois ne venait d’un milieu social et intellectuel privilégié et, d’une façon ou d’une autre, tous les trois ont connu ce que l’on appelle la « zone ». Que ce soit la prison, les gardes à vue, la drogue, la rue. Dans un pays officiellement démocratique et universel comme la France, celles et ceux qui réussissent et sont aux avant postes de la société ont généralement d’autres profils, d’autres CV, voire d’autres prénoms, que ces trois-là.
Et, avec ces trois-là, aussi, le même « miracle » s’est plus ou moins répété (davantage avec Dalle et Joey Starr en France, toutefois) :
Une fois que chacun de ces trois-là a réussi à bien planter sa tente dans le décor avide de la réussite artistique, économique, commerciale et Jet Set de ce pays, ils sont devenus désirables. Respirables. Par le plus grand nombre. Spectateurs et parasites compris.
Je ne fais pas exception. Au début du livre, avant sa toute première rencontre avec elle, Pascal Louvrier raconte son appréhension vis-à-vis des réactions de Béatrice Dalle qui avait pour réputation d’être imprévisible et, bien-sûr, d’être peu fréquentable. Une fétichiste des options racaille. Ces appréhensions, je les ai longtemps eues vis-à-vis d’elle comme vis-à-vis de Joey Starr . Et les jugements moraux dépréciatifs définitifs -fondés bien-sûr sur des éclats médiatiques et certaines de leurs attitudes- que d’autres ont pu avoir sur eux, je les ai eus aussi.
Et, cela va dans les deux sens : Dalle, pour parler d’elle, ne brille pas non plus par une tolérance de tous les instants pour autrui. Même si elle est capable de gentillesse ou de prendre la défense de celles et ceux qu’elle perçoit comme victime. Lors d’un tournage comme dans la vie.
Car, Dalle « vomit » aussi les tièdes. Et les méritants. Toutes celles et tous ceux qui font de leur mieux et qui, à ses yeux, sont « faibles » ou ne valent pas qu’on s’attarde sur eux : les gens sans particularité évidente, monocordes et lambda qui se fondent dans le décor social comme dans une boite à chaussures.
Ce faisant, elle répète comme d’autres, y compris comme celles et ceux qui l’adorent, certaines injustices et certains préjugés, que, comme ses adorateurs, elle condamnera ailleurs. Et en d’autres circonstances selon des critères sélectionnés par eux. Et par elle.
Cela, c’est le paradoxe permanent du « Star Système » que l’on évolue dans le cinéma hautement commercial ou dans le cinéma d’auteur :
Pour peu que l’on soit admiré et aimé par des personnalités du monde du spectacle, de l’art ou de l’intellect, on sera excusé et défendu contre les bien-pensants et les bons élèves besogneux qui, les abrutis ! , ne peuvent rien faire de mieux- et de plus- que de réfléchir de travers. Comme on pisse sur le sol en ratant l’urinoir ou la cuvette des toilettes. Avant, évidemment, de partir prestement et lâchement, en laissant tout en l’état sans même se laver les mains.
C’est mon principal reproche au livre de Louvrier : cette façon de mettre Dalle sur un piédestal et de, pratiquement, tout justifier et tout accepter de certains de ses actes « déflagrants ».
Je vais néanmoins m’abstenir de frimer dans ces quelques lignes. Au tout début du livre, je me suis bien dit :
« J’aurais pu mieux écrire ». « J’aurais pu mieux faire ».
Mais, par la suite, je me suis avisé que Louvrier a effectué un très gros et très bon travail derecherche. Que ce soit dans les archives mais aussi auprès de Dalle et de quelques personnes qui ont travaillé avec elle et dont certaines sont devenues des proches :
DominiqueBesnehard, l’agent qui l’a découverte et qui est aussi un de ses protecteurs et un de ses proches. Un protecteur dévoué et idéal.
Besnehard a aussi été l’agent de TAGHMAOUI. Mais à lire celui-ci, sa rencontre avec Besnehard a nettement moins été à son avantage.
Du reste, pour avoir lu- avec plaisir- l’ autobiographie Casino d’Hiver de Besnehard ( parue en 2014), je « sais » que TAGHMAOUI ne figure pas parmi les rencontres qui ont le plus marqué Besnehard, humainement et artistiquement. Au contraire de BéatriceDalle, Jean-Claure Brialy, Nathalie Baye, Marlène Jobert ou MauricePialat par exemple.
Je garde d’ailleurs un très bon souvenir de ses pages sur Pialat.
La réalisatrice Claire Denis est aussi « convoquée » pour parler de Béatrice Dalle dans Que Dalle.
Tout comme le photographe Richard Aujard.
Ainsi que le réalisateur Jean-Jacques Beineix, bien-sûr, dont j’avais aimé lire l’autobiographie parue en 2006 : Les Chantiers de la Gloire.
Ma seconde excuse pour avoir choisi de lire Que Dalle avant celui de Sensei Payet est que le livre de celui-ci est sorti récemment. En 2021 pour la version française. Celui consacré à Dalle, en 2008 puis en 2013. Je crois l’avoir acheté en 2013. Cela fait donc huit ans que je l’avais parmi plein d’autres livres. Sur le cinéma et d’autres thèmes.
Entre les années 80-90 et le « récit » parcellaire, de sa relation à ressorts et à sorts avec Joey Starr/ Didier ou avec son premier mari et ses autres amants et mari(s) sans omettre certaines parties judiciaires de sa trajectoire, et les années qui ont suivi, j’ai appris à mieux regarder Dalle et celles et ceux qui lui ressemblent. Pour tout dire : je l’avais toujours fait. Car il n’y a aucune raison pour que, subitement, je sois devenu plus sensé. Elephant Man
Même si je me distingue des mâles alpha et de ces personnes « destroy » ou « rock’n’roll » (femmes ou hommes) qui captent tant le regard de Béatrice Dalle et l’imaginaire des réalisateurs et des photographes comme des stylistes de toutes sortes, ma vie normale et mentale, comme celle de beaucoup d’autres, est moins monocorde et plate qu’elle ne le paraît. Sauf que je le garde pour moi. Par précaution. Par peur.
Mais, aussi, pour protéger les autres.
Car c’est aussi, ça, l’un des très grands secrets de beaucoup de gens normaux : avoir cette capacité, trop grande sans doute, de tenir en laisse certaines folies. Et laisser à d’autres l’initiative de se jeter dans les gueules mais aussi dans les trous de diverses folies que l’on a pu soi-même, suivre, observer, tuyauter, tutoyer, dissimuler. Ou condamner.
Les gens normaux peuvent être de très grands comédiens. Ils le sont tant qu’ils jouent leur vie puis l’oublient. La folie, psychiatrique, comme la dépression, bien-sûr, est régulièrement proche à trop souvent se renier.
Alors, quelques fois, lorsque les gens normaux tombent sur une Béatrice Dalle, ou une autre ou un autre, ça peut aussi leur donner envie de se rapprocher. Mais pas trop près. Car ça leur rappelle quelqu’un. Peut-être, aussi, que ça leur rappelle leur adolescence. L’époque des révoltes, des mutations et des rêves les plus excessifs. Lorsque ça bouge et que ça s’agite. Parce-que, c’est bien connu, le calme, le quotidien et l’immobilité, c’est l’extinction et la soumission assurées. Et, ça, c’est bien-sûr pour les faibles et les moins que rien.