
Le théùtre Zingaro ce 8 avril 2025
Ils sont lĂ , tout en bois, immobiles. Ils flottent Ă plusieurs mĂštres au dessus de nous, esprits ou vaisseaux prĂȘts Ă charger pour ces voyages que nous avions imaginĂ©s. Mais nous les avons abandonnĂ©s ou oubliĂ©s. Par le corps et la peur. Par facilitĂ©, aussi.

Ils ne descendront pas. Câest Ă nous de percevoir lâĂ©clat qui leur reste et, pour eux et par eux, de faire le nĂ©cessaire avant de renaĂźtre en poussiĂšre.

Je ne devrais pas avoir Ă le dire mais le théùtre Zingaro est un endroit Ă©trange. Câest le contraire dâun supermarchĂ© du divertissement. MĂȘme sâil sâest adaptĂ© Ă lâĂ©conomie et Ă notre environnement commerçant. Mappemonde du Temps, il nous promet ou nous propose encore notre possible affranchissement. Pourvu que lâon soit aussi proche de notre Ă©tat de conscience que lâon peut lâĂȘtre de la sortie dâune bouche de mĂ©tro.
Autrement, nous repartirons titubant en continuant Ă nous Ă©clabousser de nos dĂ©faites et de nos blessures comme nous sommes venus. Mais au moins, nous aurons essayĂ©, ici aussi, de nous libĂ©rer en mettant un pas devant lâautre. Ce sera dĂ©jĂ mieux que rien.
Pour quelques jours ou quelques heures encore, le festival Fragile se déroute au théùtre Zingaro. Plusieurs artistes y sont déjà passés.
Jâai ratĂ© Mayra Andrade ainsi que MolĂ©cule. Rodolphe Burger, Mehdi Haddab et Sofiane SaĂŻdi, que jâai dĂ©jà « vus », ont fait partie de la liste. Aucune de ces tĂȘtes dâaffiche, Ă ce que je sache, ne fait de publicitĂ© pour une marque de voiture Ă©lectrique ou de slip hybride.
Aucune dâentre elle nâoccupe une activitĂ© rĂ©munĂ©rĂ©e dâinfluenceur ou dâinfluenceuse sur les rĂ©seaux sociaux. Ces musiciennes, musiciens, chanteuses et chanteurs existent et se produisent sans bling-bling, sans rattrapage visuel, et, pour lâinstant, sans intelligence artificielle.
Celles et ceux qui tendent encore lâoreille ou cherchent un peu ont entendu parler dâelles ou dâeux. Pour les autres, câest lâignorance. Car ce nâest pas du Rap et câest peut-ĂȘtre, tout simplement, aussi, une musique « de » vieux et « pour » les vieux.
Car je suis vieux, câest Ă©vident. Et, comme beaucoup de vieux, je fais mon maximum pour lâignorer et pour ne pas me faire repĂ©rer. Jâai un trĂšs bon maquillage. Cependant, comme tous les vieux, je laisse derriĂšre moi un faisceau dâindices qui me ressemblent et me signalent : « Tu vois lĂ -bas, câest un vieux ».
Je dois me faire une raison et continuer dâapprendre Ă me raccorder aux autres tant que cela est possible.
Ce nâest pas facile.
Câest beaucoup plus facile de se faire livrer Ă domicile dâun simple clic, de suivre la file devant soi mais aussi de sâĂ©nivrer dâalgorithmes sans file dâattente. Cela mâest encore arrivĂ© rĂ©cemment. Jâai Ă nouveau pris une bonne cuite dâalgorithmes jusquâĂ trois heures du matin. Ensuite, je me suis vomi. Je me suis senti minable de mâĂȘtre laissĂ© aller une nouvelle fois malgrĂ© tout ce que je savais et connaissais dĂ©jĂ de lâexpĂ©rience.
On se dit que lâon va passer juste quelques minutes Ă regarder pour se distraire un peu. On se convainc que lâon a la maitrise du Temps et quâon lâa bien mĂ©ritĂ© : Le Temps.
On a encore la capacitĂ© de regarder lâheure quâil est. Puis, on voit que lâheure passe mais on se rassure. On nâa toujours pas compris que le Temps nâappartenait Ă personne. Mais ce nâest pas trĂšs grave. On « a » du Temps. On se sent bien comme on est. Devant nous passent les images et les « contenus » sans dĂ©rangement dĂ©sagrĂ©able ni rupture dans une parfaite, propre – et artificielle- continuitĂ©. Ce qui est tellement diffĂ©rent de ce que lâon vit dâordinaire ou survient toujours une moisissure et une contrariĂ©tĂ© quelconque mais toujours viscĂ©rale.
Bien-sĂ»r, si lâon faisait le ratio entre le nombre dâheures passĂ©es Ă regarder ces images et ce que lâon en a retenu, on sâapercevrait que lâon a perdu « notre » Temps. Mais dans ces moments-lĂ , on est trĂšs loin dâĂȘtre fort en calcul mental. Car on est alors beaucoup plus proche dâĂȘtre dâun « bon » cul mental reliĂ© Ă nos besoins dâĂ©tat rĂ©gressif et vĂ©gĂ©tatif. Et tout cela grĂące Ă notre petit Ă©cran que nous pouvons transporter partout oĂč nous allons et oĂč nous le dĂ©cidons.
Mais pour aller au théùtre Zingaro, cela ne marcherait pas. Car pour sây rendre, il faut rester sobre, ĂȘtre encore capable de regarder autre chose que son Ă©cran. Etre volontaire pour employer « son » temps autrement. Et se dĂ©placer.

Afin dây voir Rocio Marquez ce 8 avril, je me suis dĂ©placĂ©. Environ trois quarts dâheure de trajet par les transports en commun. De banlieue Ă banlieue en passant par Paris. Du Val dâOise Ă la Seine Saint Denis.
En convenant au prĂ©alable avec ma fille quâelle resterait Ă la maison faire ses devoirs le temps que sa mĂšre rentre du travail une Ă deux heures plus tard. Jâaurais vraiment voulu emmener ma fille mais elle avait ses « devoirs » pour lâĂ©cole le lendemain. Pour elle, cette soirĂ©e aurait fini tardivement.
Jâai vraiment bien fait de partir plus tĂŽt. Au théùtre Zingaro, on commence Ă lâheure. Jâai eu le temps de mâinstaller, de retrouver cette disposition des tables et des places faite de telle maniĂšre Ă ce que lâon se sente Ă lâaise ici mais, aussi, Ă ce que lâon puisse saluer et converser avec les autres personnes venues comme nous assister au mĂȘme spectacle.
Câest seulement la deuxiĂšme fois que je viens au théùtre Zingaro malgrĂ© ce que jâen avais entendu pendant des annĂ©es. Câest sans doute mieux que rien.
Lâ article sur le concert de Rocio Marquez ce 8 avril au théùtre Zingaro est pour bientĂŽt.

Franck Unimon, ce samedi 12 avril 2025.