As Bestas un film de Rodrigo Sorogoyen sorti en salles ce 20 juillet 2022.
Cet été, je ne partirai pas en vacances.
Notre vie est plus importante que les films que lâon voit. Mais il est plus facile de parler dâun film. Car il est plus facile dâintĂ©resser quelquâun avec un film sâil lâa vu ou compte aller le voir. Pourtant, notre vie autour du film compte. Un Ă©niĂšme soupçon de dopage dans le dernier tour de France cycliste aprĂšs la victoire du Danois Jonas Vingegaard devant le SlovĂšne Tadej Pogacar (vainqueur des deux Tours prĂ©cĂ©dents). On parle un peu moins de la guerre en Ukraine. Comme de lâaugmentation du prix de lâessence (1,84 euro le litre tout Ă lâheure dans une station essence affichant des « prix bas »). On sâĂ©loigne aussi de cette supercherie qui a consistĂ© Ă vouloir nous faire croire que les soignants non vaccinĂ©s contre le Covid pourraient ĂȘtre rĂ©intĂ©grĂ©s dans les effectifs pour essayer dâattĂ©nuer la pĂ©nurie de personnel soignant encore plus critique que dâhabitude cet Ă©tĂ©. Alors que lâobligation dâune quatriĂšme dose de vaccin contre le Covid se profile sĂ»rement pour la rentrĂ©e ou la fin de cette annĂ©e.
Tout cela et dâautres nouvelles donnent envie de partir en vacances. De penser Ă dâautres univers. Mais, comme beaucoup dâautres, je ne le pourrai pas cette fois-ci.
Je ne me plains pas :
Jâai aperçu tout Ă lâheure des personnes ( sĂ»rement Ă©trangĂšres) faisant la queue, sans se dĂ©courager, en plein soleil, devant la sous-prĂ©fecture de ma ville, sans doute pour rĂ©gulariser leur situation administrative. Et je ne les envie pas.
Jâai aperçu, en revenant de Paris par le train, deux vendeurs de cigarettes Ă sauvette interpellĂ©s par la police Ă la gare dâArgenteuil. MĂȘme si lâun des deux vendeurs exhibait un sourire assez moqueur, je ne les envie pas. Cela fait plusieurs mois, maintenant, que ces vendeurs de cigarettes Ă la sauvette sont apparus devant la gare d’Argenteuil. Et que, rĂ©guliĂšrement, s’engagent des courses-poursuites afin d’en attraper un ou deux. Quand ce ne sont pas des rondes policiĂšres pĂ©destres qui sont organisĂ©es pour les chasser ou pour dĂ©busquer leur Ă©ventuel butin.
Par moments, et câest un peu le cas ces derniers jours, la ville oĂč jâhabite me sort par les yeux.
Beaucoup de personnes ressentent ça un jour.

Olga et Antoine (lâactrice Marina FoĂŻs et lâacteur Denis MĂ©nochet) du film As Bestas font partie de ces personnes qui, un jour, sĂ»rement, en ont eu assez de l’endroit oĂč ils vivaient. Mais aussi de la vie qui… les menait. Et, ils ont dĂ©cidĂ© de sâen aller vraiment. De quitter la France pour partir vivre quelque part en Espagne. En Galicie. Dans une rĂ©gion dont ils parlaient plutĂŽt mal la langue au dĂ©part.
Pour faire la vie telle qu’elle leur convient. Au lieu de se plaindre ou de refaire le monde avec des paroles et des hypothĂšses.
Pourquoi, mercredi dernier, suis-je allé voir, à sa sortie, à la premiÚre séance, As Bestas ?
Au lieu du dernier film Marvel Thor : Love and Thunder de Taika Watiti dont le Thor : Ragnarok ( 2017) mâavait particuliĂšrement plu ?
Pourquoi ne suis-je pas allĂ© voir Incroyable mais vrai de Quentin Dupieux sorti dĂ©jĂ depuis le 15 juin de cette annĂ©e ? Quentin Dupieux dont jâai vu un certain nombre de films.
Ou La nuit du 12 de Dominik Moll sorti le 13 juillet ? Alors que le sujet me « plait ». Jâavais beaucoup aimĂ© le prĂ©cĂ©dent film ( Seules les bĂȘtes ) de Dominik Moll.
Sur lâaffiche de As Bestas, on parle dâun « thriller ». Mais ce nâest pas ça qui me lâa fait choisir. Dâabord, il y a Denis MĂ©nochet qui mâavait marquĂ© en particulier dans les films JusquâĂ la garde (2017) (mon article Jusqu’Ă la garde )de Xavier Legrand (dĂ©veloppement de son court mĂ©trage Avant que de tout perdre â 2013- que jâavais aussi vu) etâŠ. Seules les bĂȘtes (2019) de Dominik Moll.
La langue espagnole. Lâambiance du film dans lâextrait que jâen avais vu. Marina FoĂŻs. Et lâhoraire de la sĂ©ance. Câest ce qui mâa poussĂ© Ă aller voir As Bestas. J’avais oubliĂ© que j’avais dĂ©ja vu un film rĂ©alisĂ© par Rodrigo Sorogoyen qui m’avait plutĂŽt plu : El Reino ( 2019).
Ce mercredi 20 juillet, la sĂ©ance de As Bestas Ă©tait Ă 9h ou 9h10 et, rĂ©veillĂ© depuis 4 heures du matin afin dâaccompagner ma fille, ma sĆur, son compagnon et leurs enfants Ă lâaĂ©roport pour quâils y prennent leur avion pour la Guadeloupe, je nâavais pas envie dâattendre la sĂ©ance de 9h30.
Comme souvent lorsque je vais voir un film au cinĂ©ma, je ne connaissais pratiquement rien de lâhistoire.

TrĂšs vite, pour moi, le sujet du film est le harcĂšlement. Lorsque lâon nous parle de harcĂšlement, câest souvent pour aborder celui des jeunes ou des rĂ©seaux sociaux. Ou, un peu, au travail. Dans As Bestas, le harcĂšlement est le fait des voisins dâOlga et Antoine.
Marina FoĂŻs et Denis MĂ©nochet jouent trĂšs bien et cela a dĂ©jĂ Ă©tĂ© mentionnĂ©. Mais il faut aussi souligner quâen face, Xan (lâacteur Luis Zahera) et son frĂšre Lorenzo (lâacteur Diego Anido) ainsi que, dans une moindre mesure, lâactrice Marie Colomb qui joue le rĂŽle de la fille dâOlga et Antoine, jouent particuliĂšrement bien.
Que jouent Xan (lâacteur Luis Zahera) et son frĂšre Lorenzo (lâacteur Diego Anido) ?

Ils jouent des hommes dâĂąge mur, qui ont toujours vĂ©cu dans cette rĂ©gion montagnarde isolĂ©e, qui ne peuvent plus la voir en peinture, qui nâont jamais pu la quitter et qui croient que leur salut peut venir des Ă©oliennes. En vendant leurs terres pour permettre leur installation. Or, Olga et Antoine, eux, sont contre ainsi que quelques voisins minoritaires. Puisquâils prĂ©fĂšrent continuer Ă vivre lĂ .
As Bestas peut se traduire par « Comme des bĂȘtes » mais une amie dâorigine portugaise mâa appris que cela pouvait aussi signifier « Les pestes ».
Plus que du thriller, je trouve quâil y a du tragique dans As Bestas. Car le mot « thriller » se rapproche trop du spectaculaire.

Dans As Bestas, deux forces vives sâopposent. Celles incarnĂ©es par Xan et son frĂšre Lorenzo qui tournent en rond dans ce pays tout en y faisant la pluie et le beau temps (on le voit bien dans le bar du village oĂč ce sont eux qui font la loi). Et celles apportĂ©es par Olga et Antoine qui, non seulement, dĂ©veloppent un commerce bio moralement vertueux couronnĂ© par un succĂšs Ă©conomique, et qui, en plus, donnent lâimage dâun couple heureux. Un peu comme si des figures (Xan, Lorenzo mais aussi leur mĂšre de 73 ans) que le dĂ©samour laboure se trouvaient un beau jour de maniĂšre rĂ©pĂ©tĂ©e face Ă des tourtereaux du bonheur ( Olga et Antoine) arrivĂ©s dâon ne sait oĂč ( Ah, oui, de la France !).
Ces tourtereaux que sont Olga et Antoine sont pour Xan et Lorenzo les miroirs de leurs barreaux.

Si, moralement, devant les agressions rĂ©pĂ©tĂ©es de Xan et de Lorenzo, on est plus tentĂ© de prendre la dĂ©fense dâOlga et dâAntoine, As Bestas nous demande aussi quelle est notre lĂ©gitimitĂ© Ă aller imposer Ă dâautres notre « rĂ©ussite » et notre idĂ©al lorsque lâon dĂ©cide dâaller sâĂ©tablir prĂšs de chez eux.

Tout bonheur nĂ©cessite un grand sacrifice semble nous dire le rĂ©alisateur. Et le sourire dâOlga Ă la fin du film est sans doute le fruit de ce sacrifice. Mais pour quâil y ait bonheur, aprĂšs un sacrifice, il faut quâil y ait eu beaucoup dâAmour vĂ©cu auparavant semble aussi nous dire le rĂ©alisateur Rodrigo Sorogoyen.
Franck Unimon, ce lundi 25 juillet 2022.