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Echos Statiques

La Vocation et le Talent

 

 

La « Vocation » est peut-ĂȘtre Le mot que je hais Ă  parler du mĂ©tier d’infirmier (voir mon article sur le documentaire De Chaque Instant de Nicolas Philibert dans la catĂ©gorie CinĂ©ma).

La « Vocation » est pour moi une assignation. L’équivalent de la mĂ©daille de chocolat ou de la quatriĂšme place. Du distributeur automatique sur lequel il suffit d’appuyer et qui est «  lĂ  pour ça ! ».

C’est un lot de consolation que rĂ©cupĂšre celle ou celui, souvent plus persuadĂ©(e) que les autres qu’il/elle vaut moins qu’eux. Un leurre.

La « Vocation », c’est ce qui pousse Ă  croire que l’on obtient sa juste rĂ©compense au mĂ©rite : qu’en se taisant, en endurant, en acceptant tout et n’importe quoi, parfois de n’importe qui, un jour, notre consĂ©cration, notre prince ou notre princesse viendra. Alors, toutes celles et tous ceux que l’on aime seront lĂ  pour fĂȘter avec nous ce moment Ă©ternel.

La « Vocation », c’est ce qui incite Ă  s’excuser d’exister, de respirer, de penser. On craint souvent ou toujours de dĂ©ranger, d’ĂȘtre incongru, inappropriĂ©, d’avoir mal agi ou de mal agir.

 

Dans son livre Le Fils du pauvre , Mouloud Feraoun écrit ce passage :

«  (
..) PĂ©nĂ©trĂ© de mon importance dĂšs l’ñge de cinq ans, j’abusai bientĂŽt de mes droits. Je devins immĂ©diatement un tyran pour la plus petite de mes sƓurs, mon aĂźnĂ©e de deux ans. (
.) Elle avait un bon naturel qui lui permettait d’essuyer mes coups et d’accepter mes moqueries avec une mansuĂ©tude peu imaginable chez un enfant de son Ăąge. Toutefois, on ne manqua pas de lui inculquer la croyance que sa docilitĂ© Ă©tait un devoir et mon attitude un droit. Chaque fois qu’il lui arrivait de se plaindre, elle recevait une rĂ©ponse invariable : « N’est-ce-pas ton frĂšre ? Quelle chance pour toi d’avoir un frĂšre ! Que Dieu te le garde ! Ne pleure plus, va l’embrasser ».

GrĂące Ă  ce procĂ©dĂ©, elle avait fini par croire insĂ©parable la formule «  Que Dieu te le garde » du nom du frĂšre et il Ă©tait touchant de l’entendre dire Ă  ma mĂšre en pleurant :

-C’est mon frĂšre, que Dieu me le garde, qui a mangĂ© ma part de viande – Mon frĂšre, que Dieu me le garde, a dĂ©chirĂ© mon foulard.

Petite sƓur, qui es maintenant mĂšre de famille, ton vƓu a Ă©tĂ© exaucĂ©. Dieu t’a gardĂ© ton mauvais frĂšre ».

Le Fils du pauvre, publiĂ© en 1954, relate un passĂ© en Kabylie alors que l’auteur Ă©tait enfant presque cinquante ans avant l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie en 1962. J’ai dĂ©jĂ  parlĂ© dans ce blog (dans la catĂ©gorie  Puissants Fonds) du journal que celui-ci a tenu durant la guerre d’AlgĂ©rie avant d’ĂȘtre assassinĂ© par l’OAS Ă  El-Biar, prĂšs d’Alger.

 

RĂ©cemment, un siĂšcle plus tard, lors de ce mois de dĂ©cembre 2018, une de mes collĂšgues, lors d’une de ces discussions confidentielles qu’il est possible d’avoir lorsque l’on se sent suffisamment en confiance nous a appris qu’il Ă©tait d’usage dans sa famille qu’elle soit celle, au moment de NoĂ«l, qui faisait des cadeaux Ă  tous. Elle Ă©tait un peu triste. Mais sans revendiquer quoique ce soit. Je suis sĂ»r que, rĂ©trospectivement, elle est capable de s’en vouloir d’avoir eu la  « faiblesse » de nous en parler. A notre autre collĂšgue et moi. Et, je suis aussi sĂ»r qu’elle est capable de m’en vouloir de parler d’elle. J’en prends nĂ©anmoins le risque car j’ai Ă©tĂ© et suis comme elle. Et tant d’autres sont comme elle : persuadĂ©s que les rĂŽles de servants et de figurants leur sont dĂ©volus.

Nous Ă©tions pourtant Ă  Paris, capitale culturelle et touristique, renommĂ©e internationalement, entre adultes de plus de quarante ans, porteurs de divers vĂ©cus, de rencontres et de voyages de par le monde. Et notre collĂšgue n’est pas la descendante cachĂ©e de la sƓur de Mouloud Feraoun.

TrĂšs vite, discrĂštement, mon autre collĂšgue et moi avons dĂ©cidĂ© d’essayer de rĂ©parer ça : lors de notre derniĂšre nuit de travail cette annĂ©e avec cette collĂšgue, nous lui avons fait quelques cadeaux. L’une s’est chargĂ©e des achats. Je me suis occupĂ© de la musique d’ambiance. Nous avons bien-sĂ»r partagĂ© les frais.

Notre collĂšgue a Ă©tĂ© surprise et touchĂ©e. Et, elle s’est presque excusĂ©e pour ces attentions que nous lui avons portĂ©es. C’est aussi ça, la vocation. L’attitude de cette collĂšgue un peu embarrassĂ©e d’avoir « bĂ©nĂ©ficié » de nos attentions. La nĂŽtre qui a consistĂ© Ă  spontanĂ©ment essayer d’attĂ©nuer un certain sentiment d’injustice et une certaine peine que nous avons perçue sans attendre, en retour, de recevoir une rĂ©compense ou une reconnaissance quelconques. Bien-sĂ»r, on pourra toujours nous dire que ma collĂšgue et moi nous sommes identifiĂ©s en notre autre collĂšgue et qu’en lui faisant ces cadeaux, nous nous les sommes faits Ă  nous-mĂȘmes et aux enfants que nous sommes demeurĂ©s. Et ce sera aussi vrai comme pour la plupart des cadeaux que nous faisons d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale Ă  notre entourage.

 

Le talent, c’est Ă  mon sens, avoir la conviction, Ă  un moment ou Ă  un autre, que tout ce qui nous arrive ou peut nous arriver de bien est notre droit. La diffĂ©rence principale entre la « vocation » et le « talent » Ă  mes yeux est la quantitĂ© de confiance – et donc de lĂ©gitimitĂ©- que l’on est capable de produire et de se procurer en soi et par les autres. Faute de confiance en soi et d’un sentiment de lĂ©gitimitĂ©, et livrĂ©s aux seules muses de la mĂ©sestime de soi, nous voilĂ  les Ă©lĂšves appliquĂ©s et prĂ©fĂ©rĂ©s de la culpabilitĂ© et de l’autodĂ©nigrement, rotondes de notre impuissance et de nos dĂ©faites Ă  venir qui nous confirmeront que nous sommes bien « nuls » et illĂ©gitimes pour de nouvelles entreprises comme pour d’autres horizons.

Dans cet extrait de Le Fils du pauvre, l’auteur reprĂ©sente le talent. Et, il se dĂ©crit lui-mĂȘme comme un «  enfant gĂąté ». Sa sƓur tyrannisĂ©e reprĂ©sente, elle, la vocation.

On a compris oĂč je veux en venir :

On peut remplacer le mot «  frÚre » par le mot « emploi », « patron », « gouvernement », « salaire », «  maison », « mari », « femme ». «  ami(e ) », « copain/copine » ou « pantalon » ça marche aussi.

Ce passage du livre de Mouloud Feraoun nous rappelle comme beaucoup de nos apprentissages, de nos soumissions futures mais aussi de nos rĂ©voltes, sont la suite de notre enfance que l’on ait vingt, trente, quarante, cinquante ou soixante dix ans. Que l’on soit de droite ou de gauche. Que l’on soit une femme ou un homme. Que l’on soit valide ou invalide. NĂ©vrosĂ© ou psychotique. Que l’on soit hĂ©tĂ©ro ou homo. Que l’on soit riche ou pauvre. Que l’on soit blanc, noir, arabe ou jaune. Que l’on soit catholique ou musulman. Que l’on soit cĂ©libataire ou en couple. Avec ou sans enfants.

Les gilets jaunes ? Oui, les gilets jaunes. Et d’autres. Hier ou demain. Qu’ils se manifestent par la violence physique, matĂ©rielle ou non. Violence physique et matĂ©rielle, je le rappelle, que je dĂ©sapprouve. Parce-que j’en ai encore les moyens. Physiquement, moralement et matĂ©riellement. Pour l’instant. Voir mon article PrivilĂ©giĂ© dans la catĂ©gorie  Echos statiques.

On peut se dĂ©faire de l’engrenage d’une certaine violence que l’on a connue jeune, tĂŽt, trop tĂŽt. C’est l’affaire de la rĂ©silience, du travail thĂ©rapeutique, de la prise de conscience, de la rĂ©flexion, de l’apaisement.

 

Lorsque cela est possible.

 

Cela peut ĂȘtre un travail long et lent dans un monde qui va vite. Ou qui semble aller trĂšs vite puisque nous sommes plus sĂ©duits par la nouveautĂ© et le rĂ©sultat final que par tout ce qui peut leur prĂ©cĂ©der pour les obtenir. Puisque ce que d’autres « rĂ©ussissent » peut nous sembler facile et rapide Ă  rĂ©aliser.

 

Dans son film En LibertĂ© sur lequel je n’ai pas encore Ă©crit, Pierre Salvadori nous montre Ă  nouveau des ĂȘtres inadaptĂ©s ou qui ont du mal Ă  se rĂ©insĂ©rer. En particulier, le personnage tenu par Pio MarmaĂŻ, employĂ© modĂšle (un vrai « diamant ») accusĂ© Ă  tort d’un dĂ©lit et qui sort de prison aprĂšs plusieurs annĂ©es. Vers la fin du film, sa compagne (jouĂ©e par Audrey Tautou), Ă©reintĂ©e par ce droit Ă  vivre par lequel il justifie tous ses actes de violence lui dit :

« T’es revenu innocent avec la cruautĂ© des victimes ! ».

C’est cette cruautĂ©-lĂ  que celles et ceux qui ont la vocation d’infirmier (et de soignant) acceptent parfois ou souvent, pendant des annĂ©es, de recevoir et de retenir pour Ă©viter de la retourner Ă  celles et ceux qui l’infligent. Et s’ils ont du talent, ils parviennent quelques fois Ă  la transformer en art.

 

 

Franck Unimon, ce mercredi 19 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma

Utoya, 22 juillet

                                          Utoya, 22 juillet, Film sorti en salles le 12 décembre 2018.

 

 

Erik Poppe, le rĂ©alisateur, rappelle que ce film est une fiction inspirĂ©e par les tĂ©moignages des victimes (et de leurs proches) du massacre sur l’üle Utoya en NorvĂšge le 22 juillet 2011.

 

 

Pour la fiction, on peut trouver une petite parentĂ© avec Hunger Games d’autant plus que le personnage de Kaja, « l’hĂ©roĂŻne » de Utoya, 22 juillet a un faux air de Jennifer Lawrence. Mais il a sĂ»rement Ă©tĂ© assez difficile, mĂȘme si thĂ©rapeutique, pour les acteurs et actrices (tueur inclus) d’endosser les rĂŽles des victimes d’Utoya.

Pour le cinĂ©ma, on pourra se rapprocher du film Elephant de Gus Van Sant (palme d’or Ă  Cannes en 2003) inspirĂ© de la tuerie au lycĂ©e de Columbine en 1999. Sauf que les deux meurtriers du lycĂ©e de Columbine ont Ă©tĂ© reconnus comme des tueurs de masse et qu’ils ont agi aux Etats-Unis, pays oĂč la lĂ©gislation sur les armes peut rendre celles-ci aussi accessibles que certains produits de consommation courants. (voir le film Les Veuves de Steve McQueen )

Dans mes souvenirs, Elephant dĂ©roulait une atmosphĂšre en suspension Ă  l’intĂ©rieur de laquelle, des lycĂ©ens livrĂ©s Ă  eux-mĂȘmes se faisaient tuer sans que l’on ait le temps d’apprendre Ă  les connaĂźtre un peu.

Dans Utoya, 22 juillet, le rĂ©alisateur humanise davantage ses victimes avant que le terroriste ne dĂ©marre son activitĂ© meurtriĂšre en tenue de policier. Quelques heures plus tĂŽt, il avait dĂ©clenchĂ© un attentat Ă  Oslo. Dans le film, on ne verra jamais son visage. On n’entendra jamais son nom. On apercevra sa silhouette, quelques secondes, de loin, depuis le contrebas d’une falaise, vers la fin du film. C’est plus respectueux des victimes et aussi des faits : personne n’a eu l’idĂ©e de lui tirer le portrait alors qu’il abattait ces jeunes idĂ©alistes de gauche.

MĂȘme s’il arrive que l’on aperçoive quelques corps inconscients ou blessĂ©s, Utoya, 22 juillet s’attache principalement Ă  rester proche des victimes qui se cachent, essaient de comprendre ce qui se passe, fuient ou tentent de prendre des dĂ©cisions.

AprĂšs dix minutes de dĂ©tonations par Ă  coups, plusieurs spectatrices et spectateurs (il m’a semblĂ© qu’il y’avait un petit peu plus de femmes que d’hommes) dans la salle ont commencĂ© Ă  soupirer tant la situation Ă©tait stressante. Quant Ă  moi, depuis mon siĂšge confortable et sĂ©curisĂ© de spectateur, il m’a pris l’envie de saisir une grosse branche d’arbre mort afin d’aller la fracasser sur la nuque de l’agresseur. Non par hĂ©roĂŻsme : j’aurais Ă©tĂ© autant voire plus effrayĂ© que tous ces jeunes d’une moyenne d’ñge comprise entre 18 et 25 ans Ă  vue d’Ɠil ( mĂȘme si le jeune Tobias a sans doute 14-15 ans). Et j’aurais peut-ĂȘtre Ă©tĂ© en Ă©tat de choc, en position fƓtale, bien incapable de courir pour sauver ma peau sur l’üle d’Utoya ce 22 juillet.

Mais par besoin d’en finir soit pour moi, soit par sacrifice pour d’autres, j’ai eu envie d’attraper une grosse branche.

A l’image de ces jeunes qui se sont fait tirer dessus comme des pigeons Ă  la foire, les chiffres de ce massacre tombent : Utoya, ce 22 juillet 2011, nous rappelle le film, c’est une tuerie d’une durĂ©e de 72 minutes. 77 morts, 99 blessĂ©s graves, 300 personnes touchĂ©es ensuite par un stress post-traumatique. Le film dure 1h33. C’est bien-sĂ»r 1h33 de trop. Mais ce film, en plus de rendre hommage d’une certaine façon aux victimes et Ă  leurs proches, a au moins deux buts :

Informer sur les menaces profondes que peuvent reprĂ©senter les mouvements d’extrĂȘme droite qui fondent sur les gouvernements comme sur des plages paradisiaques.

PrĂ©venir, peut-ĂȘtre, les futures victimes potentielles (et avant eux, leurs tuteurs, Ă©ducateurs ou parents) de tout tueur comme de tout agresseur Ă©ventuel.

Cette deuxiĂšme partie est peut-ĂȘtre ma façon de me rassurer de maniĂšre rationnelle comme le personnage de Petter qui a d’abord besoin de se persuader que l’attaque qu’ils subissent est un «  exercice d’entraĂźnement ». Car, il est bien difficile de se prĂ©parer Ă  ce genre d’expĂ©rience. Comme le prĂ©cise Jean-Paul Mari dans son livre Sans Blessures apparentes :

 « (
.) A l’heure de la survie, plus de jeu social, d’interrogations existentielles. En une heure d’assaut, face au danger, le soldat en apprend plus sur lui-mĂȘme que pendant des annĂ©es de bureau ».

Les jeunes militants de l’üle d’Utoya Ă©taient des civils. Et aussi des pacifistes. Pour ce que l’on perçoit d’eux, ils Ă©taient plutĂŽt ouverts au dialogue et optimistes que portĂ©s sur le pugilat pour s’affirmer ou survivre. Face Ă  eux, un homme armĂ©, prĂ©parĂ©, dĂ©terminĂ©, portant sur lui un uniforme reprĂ©sentant l’autoritĂ©, qui les prend par surprise sur un lieu isolĂ© ( une Ăźle ) , plutĂŽt festif, dĂ©pourvu de moyens de sĂ©curitĂ© comme de repli et oĂč la communication tĂ©lĂ©phonique est mauvaise. C’est dire l’impasse.

Et, encore, le fait que les téléphones portables existaient déjà en 2011 a sûrement contribué à diminuer le nombre de morts et de blessés.

Pour prĂ©venir ce genre de tragĂ©die, certains prĂ©fĂšrent une prĂ©sence armĂ©e et constante. D’autres, le droit Ă  porter une arme sur soi.

Je me demande Ă  partir de quel Ăąge et, comment, prĂ©parer au mieux son enfant Ă  la survenue possible de certains crimes Ă©tant donnĂ© qu’ĂȘtre en permanence sur la dĂ©fensive, c’est aussi l’amputer de son innocence : avoir peur de tout et se mĂ©fier de tous, c’est aussi se priver de certaines ressources. Dans Utoya, 22 juillet, les quelques liens sociaux maintenus entre plusieurs victimes, mĂȘme insuffisants pour se dĂ©barrasser de leur agresseur et ĂȘtre totalement solidaires, leur permettent aussi de se soutenir.

Pour moi, Utoya, 22 juillet, n’est pas un film Ă  aimer : la prioritĂ©, ici, n’est pas d’aimer. Mais de le voir afin de rĂ©flĂ©chir au genre de vie que l’on veut avoir et sur les modĂšles que l’on veut dĂ©fendre ou laisser aux autres, Ă  commencer par soi-mĂȘme.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

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Cinéma

Les Veuves

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Veuves réalisé par Steve McQueen. Film sorti en salles le 28 novembre 2018.

 Visages d’un sĂ©pulcre creux, quatre femmes sont l’atoll de ce film carrĂ©. Deux autres sont cachĂ©es.

Comme lors de tout rythme initiatique, les héroïnes commencent par dérouiller.

Nous les voyons encaisser la mort. Elles se font Ă©jecter de leur zone de confort.

La «  zone de confort », dans un monde Ă©tabli selon les process de rĂ©ussite du rĂšgne masculin, blanc, libĂ©ral et occidental varie d’une femme Ă  l’autre.

Au tout dĂ©but du film, Veronica Rawlings ( l’actrice Viola Davis) est la Reine noire qui supprime, de par sa seule prĂ©sence dans le lit et dans la vie de son mari blanc ( jouĂ© par Liam Neeson), plusieurs gĂ©nĂ©rations de racisme social, mĂ©diatique et cinĂ©matographique. C’est une femme d’avenir, Ă©duquĂ©e, Ă©mancipĂ©e et plutĂŽt bourgeoise.

Le personnage interprĂ©tĂ© par Michelle Rodriguez est une commerçante indĂ©pendante, mĂšre de famille et Ă©pouse robuste d’un braqueur addict et flageolant. C’est elle qui tient la boutique.

Alice Gunner (l’actrice Elizabeth Debicki) est la grande blonde, mannequin d’argile d’origine polonaise, si peu sĂ»re de sa valeur qu’elle garde les coups de son compagnon et qu’elle dĂ©pend de l’escorte de sa mĂšre qui voit en son corps son meilleur capital.

Et puis, il y’a l’outsider, Belle (l’actrice Cynthia Erivo), physique de boxeuse, mĂšre cĂ©libataire, coiffeuse, baby-sitter au domicile des autres plus que chez elle, qui ne compte pas ses heures de travail pour s’en sortir.

Une Latinos, une Slave ( se rappeler que le mot “esclave” vient du mot ” slave”), deux Afro-amĂ©ricaines, Steve MacQueen a formĂ© son quartĂ© fĂ©minin avant le saut d’obstacles :

InfidĂ©litĂ©, double infidĂ©litĂ©, ambition politique et sociale (l)acĂ©rĂ©e, hĂ©ritage paternel, Les Veuves est peut-ĂȘtre un film de deuil sur les annĂ©es Obama. La prĂ©sidence Obama a peu modifiĂ© la trajectoire des inĂ©galitĂ©s et des violences entre les femmes et les hommes, entre les noirs et les blancs, entre les flics blancs armĂ©s, adultes, et les jeunes noirs interdits d’insouciance. Mais aussi entre noirs. L’ennemi est partout. Aux sentiments, mieux vaut prĂ©fĂ©rer les alliances par intĂ©rĂȘt commun tarifĂ©. Ce sont les meilleures assurances.

Pendant ce temps-lĂ , dans cette ville des Etats-Unis oĂč se passe l’histoire, les armes restent en vente libre et une mĂšre peut enseigner Ă  sa fille qu’une arme est un meilleur compagnon qu’une peluche ou un copain.

Bound, des ex-frĂšres Wachowski, Fresh, de Boaz Yakin, McQueen s’est probablement passĂ© de la vision de ces deux films pour donner Ă  ses hĂ©roĂŻnes le pouvoir de se servir de leurs « faiblesses » pour se tailler la part du lion dans le film.

De leur cĂŽtĂ©, les hommes servent les fantĂŽmes d’un passĂ© redoublĂ© ou traumatique. Colin Firth, homme politique par transmission et par vĂ©nalitĂ©, est asservi aux postulats passĂ©istes et racistes du pĂšre (l’acteur Robert Duvall).

Harry Rawlings (Liam Neeson), le braqueur de haute précision, a une tùche sur son CV personnel.

Les deux frĂšres Manning (l’acteur Bryan Tyree Henry et Daniel Kaluuya Ă  nouveau remarquable aprĂšs Get Out et le premier Sicario) en ont assez du ghetto et veulent en ĂȘtre.

On peut trouver ce film de McQueen plus « mainstream » que les prĂ©cĂ©dents. Son fond est pourtant plusieurs fois aussi lourd qu’un sac de frappe que l’on reçoit de face.

Plusieurs scÚnes sont virtuoses. Citons-en quelques unes :

Une séance de coaching conjugo-politique avec Colin Firth et sa femme en hors champ.

Une dispute/réconciliation entre Viola Davis et Elizabeth Debicki.

Michelle Rodriguez et un autre veuf.

Le personnage de Daniel Kaluuya donne son avis sur l’Art et le Rap.

Quand un politicien noir en campagne rend visite Ă  une veuve noire.

Un prĂȘche sur la nĂ©cessitĂ© de faire entrer l’Amour dans l’équation.

 

Comment ne pas aimer ce film ?

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Croisements/ Interviews

Le Fait Eric

 

 

 

 

 

 

 

 

 

MĂšre normande, pĂšre malgache, il est d’abord parti de Caen. J’ai rencontrĂ© l’ami Eric Moscardo-Rabenja il y’a environ dix ans Ă  l’universitĂ© de Saint-Denis en banlieue parisienne.

Nous Ă©tions tous les deux acteurs dans un court-mĂ©trage rĂ©alisĂ© par des Ă©tudiantes en cinĂ©ma. Nous avons fait connaissance pendant que l’équipe technique procĂ©dait aux rĂ©glages ou que d’autres de nos partenaires tournaient. De contact facile, l’esprit Ă  la tĂȘte, la conversation avec Eric s’est aisĂ©ment faite.

Je suis souvent restĂ© perplexe devant la superficialitĂ© et l’infirmitĂ© des rapports entre les humains du milieu du thĂ©Ăątre, du cinĂ©ma mais aussi du journalisme cinĂ©ma qui peuvent pourtant se dĂ©vouer Ă  bien des Ɠuvres « gĂ©nĂ©reuses » et « humaines ».

Tout semble perpĂ©tuĂ© par une prise d’intĂ©rĂȘt immĂ©diate. A moins qu’il ne s’agisse de ces embarras communs, embruns qui nous dominent, lorsque l’on ne sait quoi dire Ă  un autre nous-mĂȘme. Ou de cette angoisse qui oblige. A faire du rendement et du recel de prĂ©sence plutĂŽt que des rencontres. Pour se prouver que l’on a bien travaillé ; que l’on a bien produit ; que l’on a Ă©tĂ© efficace ; que l’on a fait quelque chose de soi et de son temps.

On peut ĂȘtre dĂ©cisif en dĂ©posant que lorsqu’il est difficile de gagner sa vie- dans un milieu ultra-compĂ©titif- pour se nourrir et ĂȘtre reconnu Ă  la hauteur de son Ă©nergie, on n’a pas le temps pour jouer Ă  la balle au prisonnier, conter fleurette et faire du tricot.

Il est Ă©tonnant comme certaines personnes- mĂȘme dĂ©cĂ©dĂ©es- donnent encore l’impression de manquer de temps.

Le pire est que ce sous-dĂ©veloppement relationnel touche mĂȘme des univers professionnels supposĂ©s habilitĂ©s Ă  le traiter. Exemple : les techniques et dĂ©cisions gouvernementales et managĂ©riales dans les hĂŽpitaux et les lieux de soins.

Mais on peut aussi, bien-sûr, préférer évoquer pudiquement- et sincÚrement- le charme des       « affinités ».

 

Le sens de la droiture. Le fait d’avoir longtemps Ă©tĂ© un « artiste caché ».

 

Je crois avoir dĂ©celĂ© quelques affinitĂ©s entre Eric et moi. Pourtant, j’éviterai de trop le dĂ©shabiller. Car, mĂȘme si l’artiste, au moins, s’expose devant les autres, c’est souvent Ă  titre provisoire et partiel. Lors de certains moments prĂ©cis et identifiĂ©s par lui (ou elle) oĂč il ou elle est raccord pour se prĂ©senter autrement qu’à l’accoutumĂ©e.

Cela peut peut-ĂȘtre se comparer, jusqu’à un certain point, Ă  une forme d’envoutement, oĂč l’on fait refluer vers soi et en soi, toutes ces vies dĂ©nombrĂ©es, retenues, saisies, claquemurĂ©es, ignorĂ©es, confiĂ©es et aperçues dont on hĂ©rite et que l’on restitue – par parcelles- sur la scĂšne. Vies qu’on oublie ou que l’on oubliera une fois la scĂšne ou le plateau de tournage Ă©teints alors qu’elles auront entretemps Ă©treint d’autres mĂ©moires avant que l’on s’en retourne Ă  notre ordinaire.

 

Je suis peut-ĂȘtre sous l’influence de mes Ă©lucubrations, Ă©lĂ©ments variables de mes bizarreries et autres dĂ©rangements.

 

Eric est nĂ© le 3 octobre. Je suis nĂ© le 2. On peut donc dire que l’on se suit.

Lors de notre derniĂšre rencontre, il Ă©tait trĂšs amusant de voir comme, Ă  tour de rĂŽle, chacun voyait dans le parcours de l’autre, une inspiration possible pour Ă©crire une histoire ou un scĂ©nario de court-mĂ©trage.

AprĂšs avoir travaillĂ© une vingtaine d’annĂ©es dans les AĂ©roports de Paris, depuis trois ou quatre ans, Eric est devenu un artiste Ă  temps complet. Il a Ă©crit un premier One Man Show qu’il a jouĂ© Ă  Paris et Ă  Madagascar. Il continue de se former au jeu d’acteur et Ă  l’écriture de projet. Il participe Ă  des tournages. Il joue au thĂ©Ăątre. Il a un agent.

 

Lorsque j’avais reçu le dvd du court-mĂ©trage oĂč nous avions jouĂ© ensemble, je l’avais trouvĂ© meilleur acteur que moi. Je me souviens encore du passage oĂč, face camĂ©ra, il balance :

« J’t’ai toujours dit que je voulais pas d’une bande de chiards ! ».

 

 

Franck, ce vendredi 14 décembre 2018.

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Cinéma

Millenium : Ce qui ne me tue pas

Millenium : Ce qui ne me tue pas, réalisé par Fede Alvarez.

 

Sortie en salles le 14 novembre 2018.

 

Mes articles sont longs. Celui-ci sera court. J’avais aimĂ© les prĂ©cĂ©dents avec Noomi Rapace et Rooney Mara. Avec une prĂ©fĂ©rence pour Noomi Rapace qui a confirmĂ© son envergure d’actrice dans le Promotheus (2012) de Ridley Scott.

J’ai beaucoup aimĂ© l’affiche de Millenium : Ce qui ne me tue pas. Elle est trĂšs photogĂ©nique.

J’avais bien remarquĂ© que peu de critiques s’épanchaient sur ce film. Mais j’avais envie de revoir Lisbeth Salander. Dans ce film, Lisbeth Salander est James Bond, le NĂ©o de Matrix et Robin des Bois tout Ă  la fois. Une femme peut ĂȘtre plus forte et plus intelligente qu’un homme. Mais, ici, elle reste faible devant quelques puissants clichĂ©s du scĂ©nario.

GrĂące Ă  ce film, j’ai nĂ©anmoins reçu deux ou trois enseignements. Il faut toujours avoir quelques amphĂ©tamines Ă  portĂ©e de main. Au cas oĂč on nous injecterait une forte dose de sĂ©datifs sur la scĂšne d’un crime qui vient d’ĂȘtre commis.

Le monde se rĂ©partit en deux sphĂšres : celle des surdouĂ©s qui voient tout et peuvent tout en agissant seuls. Et celle des idiots d’Etat qui ne voient pas qu’une camĂ©ra miniature a tout filmĂ© du crime qui vient d’avoir lieu malgrĂ© la garde rapprochĂ©e prĂ©sente.

Il faut toujours se mĂ©fier de sa sƓur surtout si on l’a battue aux Ă©checs, enfant. Car, plus tard, elle voudra prendre sa revanche et portera une longue robe rouge.

Certains hommes sont frĂ©quentables : Les hackers solitaires sans libido. Les journalistes qui risquent leur vie pour une enquĂȘte. Et les hackers. Surtout si ces derniers ont pour spĂ©cialitĂ© d’ĂȘtre des tireurs Ă©mĂ©rites suffisamment habiles pour transporter des armes au doigt et Ă  l’oeil.

La maitrise de l’informatique permet de prendre le pouvoir Ă  peu prĂšs n’importe oĂč, n’importe quand. Le bug informatique n’existe pas.

Une baignoire protÚge des explosifs. Lors du prochain attentat, si possible, se précipiter dans la baignoire la plus proche.

Un homme rendu aveugle se dĂ©place plus vite dans la neige jusqu’à la route qu’une voiture de course.

 

Dans les premiĂšres minutes du film, nous assistons pourtant Ă  une scĂšne de violence conjugale particuliĂšrement bien rĂ©alisĂ©e. Ensuite, Millenium ou non, le film rejoint l’incurie de ces grosses productions folles de la rĂšgle selon laquelle Ă  partir d’un certain nombre de scĂšnes d’actions et de revirements, mĂ©caniquement, le public va se mettre Ă  « aimer » un film et affluer dans les salles quelque soit le contenu
.

 

Je viens de recevoir un sms de Lisbeth Salander. Celle-ci m’affirme qu’en persistant Ă  Ă©crire pour mon blog, je poursuis le mĂȘme but que ce film. Pour l’instant, elle ne me menace pas m’écrit-elle. Mais elle me met en demeure de fournir un peu plus de contenu que ce que j’ai pu voir dans ce film. Je vais me rapprocher de la baignoire.

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.

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Cinéma

Kabullywood ( sortie en salles le 6 février 2019).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AprĂšs sept annĂ©es, j’ai recomposĂ© le trajet des projections de presse. Pour aller voir le film Kabullywood rĂ©alisĂ© par Louis Meunier en Afghanistan oĂč il a vĂ©cu
dix annĂ©es.

Je suis parti avec un peu d’avance. Le film sortira en salles le 6 fĂ©vrier 2019.

Alors, je me suis attardĂ©. J’avais du temps. A la gare, je me suis laissĂ© descendre par l’escalator. A mesure que je dĂ©clinais, j’ai commencĂ© Ă  regarder cette publicitĂ© qui passe et repasse depuis des journĂ©es, peut-ĂȘtre depuis plusieurs semaines, peut-ĂȘtre depuis des annĂ©es, Ă  l’intĂ©rieur de ce magasin de vĂȘtements pour jeunes beautĂ©s. Ordinairement, cette publicitĂ© et tant d’autres rĂ©clames de toutes sortes s’accumulent sur mes trajets depuis mon rĂ©veil. Et je les passe comme s’il s’agit de simples tentacules, de simples tables de calculs et de conjugaisons, que j’écarte en croyant qu’elles ne me laissent aucune trace.

Ce matin-lĂ , j’ai regardĂ© cette publicitĂ© jusqu’au bout, plantĂ© devant la vitrine du magasin alors que d’autres personnes continuaient plus loin.

Quatre ou cinq jeunes femmes, on dirait des adolescentes, aussi jolies que des mannequins, sont ensemble dans une piĂšce. Elles ont l’ennui et l’oisivetĂ© pour seuls projets. Elles souffrent beaucoup de leur inactivitĂ©. Elles finiraient presque par se haĂŻr. Elles ne se parlent pas. Elles se regardent du coin de l’Ɠil d’une maniĂšre pesante en attendant que l’une d’entre elles trouve ce qu’elles pourraient bien faire.

Puis, le dĂ©clic arrive je ne sais comment. Le groupe de filles s’anime. On casse le sapin de NoĂ«l. Car on est des rebelles. On se retrouve toutes belles Ă  une station de ski, sur la neige et dans un tĂ©lĂ©phĂ©rique oĂč l’on rigole comme des folles en buvant du champagne Ă  volontĂ©. L’argent n’est pas un problĂšme. Et la vie non plus dĂšs lors que l’on s’amuse et que l’on peut dĂ©penser un argent qui nous vient d’on ne sait oĂč.

Cette pub doit durer Ă  peine une minute. Elle passe en boucle lĂ  oĂč je l’ai vue et sur d’autres Ă©crans. Un certain nombre d’adolescents, de prĂ©-adolescents et d’enfants, Ă©trangers et du pays gobent cette pub – et d’autres- de façon illimitĂ©e, seuls ou tandis que les adultes qui sont avec eux regardent ailleurs. En repartant, je me suis demandĂ© le montant du budget allouĂ© Ă  la rĂ©alisation de cette pub. Il est sĂ»rement facile Ă  connaĂźtre.

De maniÚre arbitraire, je me suis trÚs vite convaincu que le budget obtenu pour la réalisation de cette pub est sûrement plus élevé que celui dont a bénéficié Louis Meunier pour « faire » Kabullywood mais aussi pour le distribuer.

Cette pub, et quelques autres, compteront bien plus de spectateurs et de visiteurs que le film de Louis Meunier. Pour une question de moyens financiers et aussi parce-que le rĂȘve proposĂ© par cette pub est plus facilement accessible, davantage grand public, que celui dĂ©fendu par ce film qui sortira dans bien moins de salles que cette pub ne compte d’écrans dans toute la France.

 

 

 

 

A Kaboul, en Afghanistan, Sikandar, Shab et leurs amis dĂ©cident de restaurer le cinĂ©ma Aryub pour en faire un centre culturel. C’est leur façon de rĂ©sister Ă  la refonte de l’intĂ©grisme religieux aprĂšs le dĂ©part des armĂ©es occidentales. L’Afghanistan fait partie de ces pays davantage connus en occident pour la guerre et ses « fous » de Dieu. Louis Meunier s’attache aussi Ă  nous montrer ce qu’il peut de la culture et de l’histoire de ce pays avant cette folie. Il le fait selon moi avec respect. MĂȘme si la camĂ©ra est un regard et que chaque culture peut vivre diffĂ©remment le fait d’ĂȘtre vue ou emportĂ©e par l’Ɠil d’un Ă©tranger.

«  La libertĂ© n’est jamais acquise », constate Sikandar (l’acteur Omid Rawendah) vers la fin du film. Pour si Ă©loignĂ©e de la nĂŽtre que puisse nous paraĂźtre la vie en Afghanistan, nous pouvons peut-ĂȘtre trouver ici le conte un peu prĂ©monitoire de ce qui pourrait nous advenir en occident. Si la libertĂ© n’est jamais acquise et que la religion, l’argent et une certaine publicitĂ© devenaient l’unique vĂ©ritĂ©.

Le dossier de presse nous le rappelle :

« (
.) Dans les annĂ©es 70, le pays faisait figure de havre de libertĂ© et se trouvait dans une Ă©bullition culturelle faite de concerts, de dĂ©filĂ©s de mode, de projections de films ! ».

Kabullywood a des maladresses pour certaines de ses interprĂ©tations et pour ce qui est du dĂ©roulement de l’histoire. On pourra lui trouver des vertus comiques involontaires Ă  voir la prĂ©sentation caricaturale de certains protagonistes (mention spĂ©ciale au frĂšre de Shab). Evidemment, le principal est ailleurs. Car au travers de ce film, la vie nous arrĂȘte Ă  plusieurs reprises. Nettement. Sans artifices. Ce peut-ĂȘtre par une certaine lumiĂšre du pays. Un visage ou un regard (ceux par exemple du projectionniste Naser Nahimi qui joue son propre rĂŽle).

Certains moments de musique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous couvert de fiction, Kabullywood a des qualités documentaires. Et biographiques.

Le tournage du film a connu plusieurs attentats et menaces.

Si plusieurs des comĂ©diens se sont depuis exilĂ©s et ont intĂ©grĂ© le ThĂ©Ăątre du Soleil, l’actrice principale, Roya Heydari (Shab) a choisi de rester en Afghanistan pour continuer de s’engager.

 

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.

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Cinéma

Girl

 

Girl film de Lukas Dhont sorti en salles le 10 octobre 2018

«  Il y’a des choses que l’on ne peut pas changer » affirme Ă  Victor une de ses professeures de danse, dans une des meilleures Ă©coles de danse classique du pays.

A l’ñge oĂč dans l’univers des comics, certains jeunes dĂ©couvrent leurs super pouvoirs de mutants, Victor, lui, ploie sous l’encombrement de son corps de garçon.

Il lui faut forcer pour obtenir ce que la majorité des jeunes femmes a de naissance ou acquis plus tÎt que lui en travaillant «  doucement ».

La stricte discipline de la chirurgie et de la danse classique de haut niveau sert de justaucorps au film de Lukas Dhont. Et l’on souffre avec Lara-Victor, cĂŽtĂ© pile et cĂŽtĂ© face.

Lorsqu’une consultation avec la chirurgienne nous apprend que le corps de Lara-Victor est une cartouche dont il faut vider le pĂ©nis et sur laquelle il convient de pratiquer une colostomie qu’il gardera jusqu’à la – « trĂšs lente »- cicatrisation.

Lorsque ses rĂ©pĂ©titions de danse, en groupe ou en individuel, exigent qu’il transforme en profondeur son rapport Ă  la gravitĂ© terrestre. Car son corps est dĂ©ja raide de son expĂ©rience de vie de garçon pourtant gracile. Or «  Le poids doit participer Ă  l’action ».

D’un cĂŽtĂ© comme de l’autre, Lara-Victor se porte volontaire pour se confronter Ă  certains canons de perfection. Il lui faut en tout point ĂȘtre un modĂšle. Les hĂ©sitations de son corps et de son Ăąge ne sont plus de mise :

« Si tu retiens ton mouvement, tu tombes. Danse en profondeur. Tu dois travailler plus dur ».

Cependant, la chorégraphie des contradictions demeure un exercice imposé :

« Toi, tu veux tout de suite devenir une femme. Il faut vivre ton adolescence ».

Lara doit tenir. Elle peut Ă  la fois compter sur l’affection – idĂ©alisĂ©e ?- de son entourage proche. Elle doit aussi raviver son pĂšre lorsque celui perd pied. Et se heurter Ă  son petit frĂšre qu’elle materne quand celui-ci se rĂ©volte et la rejette.

Jeune homme insuffisamment sĂ»r de sa fĂ©minitĂ©, Lara Ă©vite les douches collectives aprĂšs ses rĂ©pĂ©titions de danse. Elle Ă©vite aussi les bouches des garçons. Mais elle boit les paroles des jeunes rivales de son Ă©cole de danse qui la guettent et mĂ©disent alors que l’instance de leur corps est un supplice pour elle :

« Les gens parlent beaucoup ».

Devenir femme, prendre la place de quelqu’un d’autre dans un monde de compĂ©tition, et pourtant se jeter en pĂąture pour se faire accepter par la norme du groupe qu’elle s’est choisie- celui des apprenties danseuses de son Ă©cole – cela a un prix.

Un prix d’autant plus Ă©levĂ© que Lara n’est pas une leader pour s’imposer face Ă  la dictature du groupe de filles et de leurs hormones. Plus que d’autres, elle doit suivre cette consigne :

«  VĂ©rifiez votre espace ». Autrement, l’humiliation infligĂ©e par le groupe prĂ©cĂšdera la mutilation chirurgicale.

Sauf que Lara est celle qui, les pieds en sang, prend parfois une Ă©chelle pour s’étirer dans le mensonge. Et pour croire que devenir adulte, c’est tout affronter toute seule. Son sourire d’élite et sa voix douce saupoudrent des semi-remorques de peine.

«  Je sais que tu souffres. Je ne céderai pas ». «  Tu ne te facilites pas la tùche, hein ? ».

Si Lara expose volontiers son corps aux jugements des autres, elle reste close sur ses Ă©mois. Ce sont donc les autres qui doivent dĂ©duire ce qu’elle pense et ressent mĂȘme lorsqu’avec eux le courant ne passe pas. Et ce sont les autres filles qui s’accomplissent devant elle. Ce faisant, L’identitĂ© de Lara, reste floue. Au contraire de cette dĂ©termination, assez proche de celle du SamouraĂŻ, finalement, pour changer de sexe. La cisaille contre la grisaille.

 

 

A la fin de la sĂ©ance, je me suis tournĂ© vers une spectatrice pour l’interroger. Elle m’a rĂ©pondu avoir Ă©tĂ© «  prise jusqu’aux Ÿ du film » puis avoir ressenti une « fatigue du film ».

Girl a en effet peut-ĂȘtre Ă©tĂ© un peu trop appuyĂ©. Selon WikipĂ©dia, le film a Ă©tĂ© trĂšs bien reçu par la critique mĂȘme si l’unanimitĂ© est incomplĂšte :

 

« CamĂ©ra d’or, le Prix FIPRESCI et la Queer Palm, alors que Victor Polster remporte le Prix d’interprĂ©tation de la section Un certain regard. L’accueil des professionnels du cinĂ©ma est unanimement trĂšs positif, mais le film est cependant critiquĂ© par des militants de la cause trans».

(Source Wikipédia)

 

Girl justifie Ă  mon sens bien plus d’attention que le Black Swan (2010-2011) de Daren Aronofsky qui avait donnĂ© l’Oscar Ă  Natalie Portman pour son interprĂ©tation. Bien-sĂ»r, dans le film d’Aronofsky, le trouble identitaire Ă©tait d’un autre genre et l’on Ă©tait davantage dans le fantastique. Mais pour ce qu’il suggĂšre et sa profondeur, Girl est selon moi supĂ©rieur.

Sur un thĂšme assez proche, j’avais aussi bien aimĂ© les films Transamerica (2004) de Duncan Tucker et Man on High Heels ( 2015) de Jin Jang.

 

 

Franck, ce mardi 11 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

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Les Pompiers pour qui ?!

DĂšs que l’on a un emploi- et mĂȘme un peu avant- et quelques responsabilitĂ©s, il existe au moins deux sortes de courses, deux sortes de cultures, auxquelles beaucoup de citoyens ont bien du mal Ă  se soustraire. La premiĂšre consiste Ă  se presser afin d’arriver sur le lieu de travail Ă  peu prĂšs Ă  l’heure. Pour la version “single” et sans enfant. Pour la version ” familiale” ou parent seul avec enfant(s) en bas Ăąge, cela peut donner : Se rĂ©veiller, se prĂ©parer, puis rĂ©veiller, prĂ©parer, maintenir une bonne humeur,  emmener-dĂ©poser sa progĂ©niture Ă  l’heure Ă  la crĂšche, chez l’assistante maternelle, Ă  l’Ă©cole. Et, ensuite ” se presser afin d’arriver sur le lieu de travail Ă  peu prĂšs Ă  l’heure”. Personne ne s’en plaint car tout le monde le sait : ” Ce n’est que du bonheur !”.

La seconde course trĂšs courante se rĂ©sume Ă  se dĂ©pĂȘcher de rentrer chez soi comme si la planĂšte allait exploser et qu’il n’ y’a que chez soi que l’on pourra Ă©chapper au nĂ©ant.

A moins que ce ne soit pour mourir dans l’harmonie en couple, en famille, avec sa maitresse, son amant, son selfie ou en regardant sur Ă©cran, avant de trĂ©passer, les images de l’Apocalypse.

 

Avant, je vivais et travaillais en banlieue parisienne. J’allais à Paris principalement pour mon plaisir.

Depuis que je travaille dans Paris intra-muros, moi, le lent supersonique, je fais partie de ces chevaux de trait qui concourent Ă  chaque fois dans cette Ă©preuve de compĂ©tition- pour bourrins- oĂč la moindre seconde, la moindre inclinaison du corps dans les escalators, le moindre placement de pied dans les escaliers, le train, le mĂ©tro, sur les quais, sur l’accĂ©lĂ©rateur ou la pĂ©dale de vĂ©lo, semble de nature tantĂŽt Ă  nous inclure dans un sentiment de fĂ©licitĂ©, tantĂŽt dans un vĂ©cu de contrariĂ©. Selon que l’on a pu accĂ©der Ă  l’intĂ©rieur du transport en commun ou Ă  la bretelle de sortie convoitĂ©s, obtenir une place assise, Ă©viter le feu rouge, les embouteillages ou cet insupportable piĂ©tinement derriĂšre tant d’autres en attendant de passer Ă  notre tour la machine Ă  composter ou porte de validation. Laquelle sera ensuite supplantĂ©e par la machine Ă  cafĂ©, la pause cigarette, la pause dĂ©jeuner, la pause canapĂ©, la pause potin, la pause popotin, la pause portable ou internet afin de trouver de quoi nous injecter comme rĂ©compense, stimulant ou consolation.

 

J’ai encore un peu de patine humaine et j’évite donc, pour le moment, de donner des coups de sabots, des coups de postĂ©rieur ou autres, afin de me frayer un passage dans les entrailles de cette chair qui fait partie de notre vie active. Pourtant, chacune de mes nouvelles participations Ă  cet engouement contribue un peu plus Ă  mon dĂ©membrement. Et, un jour peut-ĂȘtre, alors que je mettrai un pied sur le quai, on entendra rĂ©sonner dans toute la gare mes hennissements. Ceux de celui qui appartiendra dĂ©sormais Ă  l’espĂšce vaillante et chevaline.

 

Il existe des moyens trĂšs simples de sonner le tocsin contre nos propres toxines. Pour bien ensemencer le dĂ©but de nos journĂ©es, de nos aprĂšs-midis ou de nos nuits de travail de façon plus Ă©cologique et humaine : partir en avance. Marcher lentement. Prendre le temps et apprendre Ă  respirer. Notre prof de chant au conservatoire de thĂ©Ăątre d’Argenteuil nous rĂ©pĂ©tait quelques fois :

«  Je suis sĂ»re qu’il n’y’aurait pas de guerres si les gens savaient respirer ! ».

MĂ©ditation, relaxation, yoga, art martial, pratique sportive, pratique socialisante, pacifiste et crĂ©ative, dĂ©sormais, mĂȘme des applications nous les enseignent afin de nous permettre de trouver des issues Ă  notre stress chronique. Mais lorsqu’arrive le dĂ©part pour le travail, nous restons nombreux Ă  avoir de bonnes raisons de dĂ©taler sous le coup de rasoir de la derniĂšre minute ou de la derniĂšre seconde.

En rentrant du travail, cependant, je suis gĂ©nĂ©ralement beaucoup plus relĂąchĂ©. Et, je laisse aux autres les premiĂšres places du tiercĂ© alors qu’ils filent au travail, Ă  un rendez-vous ou chez eux.

 

Ce dimanche matin, je me laisse donc facilement distancer par les quelques juments et canassons descendus comme moi à la gare. Et, je prise mon temps pour rentrer chez moi. Je suis aussi assez fatigué. Mes sabots clochent lentement contre les pavés.

Les rues sont dĂ©sertes. Lui, je le trouve allongĂ© sur le trottoir, le haut du corps adossĂ© contre le muret d’un Moneygram. Il faudra peut-ĂȘtre un jour effectuer une Ă©tude Ă  propos de cette intersection. Car Ă  peu prĂšs au mĂȘme endroit, il y’a bientĂŽt un an maintenant, j’y avais trouvĂ© un homme ĂągĂ©, Ă  peu prĂšs confus, perdu, le visage un peu ensanglantĂ© aprĂšs un rasage maladroit. Et, un peu plus haut, quelques mois plus tard, alors que j’emmenais ma fille Ă  l’école maternelle, un jeune Ă©tudiant du Garac m’avait sollicitĂ© pour joindre sa mĂšre aprĂšs qu’une bande l’ait repĂ©rĂ© dans le train puis menacĂ© en vue d’obtenir son tĂ©lĂ©phone portable.

J’avais pu contacter une des filles de l’homme ĂągĂ©. Celle-ci Ă©tait venue le chercher en voiture quelques minutes plus tard.

J’avais Ă©coutĂ© le jeune Ă©tudiant. Je l’avais interrogĂ© afin de m’assurer de sa crĂ©dibilitĂ©. Puis, j’avais joint sa mĂšre avant de laisser le fils parler Ă  sa mĂšre avec mon tĂ©lĂ©phone portable.

Sa mĂšre m’avait ensuite remerciĂ© par sms. Quelques semaines plus tard, j’avais recroisĂ© notre jeune homme Ă  la gare St Lazare. Nous nous Ă©tions un peu parlĂ©s. Il m’avait semblĂ© avoir rĂ©cupĂ©rĂ© de sa mĂ©saventure. Lors de notre premiĂšre rencontre, j’avais insistĂ© quant au fait que seul face Ă  plusieurs, dĂšs lors que ses agresseurs Ă©taient parvenus Ă  l’encercler dans un endroit isolĂ©, il avait bien fait de leur cĂ©der son tĂ©lĂ©phone portable et de ne pas essayer de rĂ©sister.

Ma fille, ĂągĂ©e alors de quatre ans et quelques mois, m’avait reparlĂ© de cette rencontre survenue sur le trajet de son Ă©cole. Je lui avais bien-sĂ»r expliquĂ© les faits en m’appliquant Ă  une certaine sobriĂ©tĂ©.

 

Ce dimanche matin, lorsque je passe devant notre homme du jour, je pense d’abord qu’il cuve. Nous sommes au lendemain du troisiĂšme samedi de manifestation des «  Gilets jaunes » Ă  Paris et dans toute la France mais aussi Ă  l’üle de La RĂ©union (pour les endroits oĂč ce mouvement de contestation sociale au dĂ©part spontanĂ© et sans leader officiel a pour l’instant le plus fait parler de lui).

J’envisage notre homme comme un manifestant ayant pris part à la manifestation de la veille. Mais ça, c’est d’abord ce que j’ai envie de croire bien qu’il ne porte aucun gilet jaune.

En effet, une semaine plus tĂŽt, je me suis senti coupable d’ĂȘtre restĂ©, comme souvent, extĂ©rieur Ă  ce mouvement de contestation et de manifestation sociale. J’approuve ce mouvement de contestation sociale tel qu’il a Ă©tĂ© initiĂ©. Je comprends les raisons originelles de ce mouvement. Je dĂ©sapprouve les tentatives de rĂ©cupĂ©ration politiques et syndicales. Ainsi que la stratĂ©gie du gouvernement Macron (et de celles et ceux qui suivront) pour discrĂ©diter ce mouvement et ceux qui lui ressemblent et lui ressembleront.

Je dĂ©sapprouve aussi le fait que certaines personnes ou organisations en profitent pour casser pour des raisons extĂ©rieures Ă  la colĂšre de dĂ©part. Mais je crois qu’il est trĂšs difficile voire impossible de faire exactement le tri entre la colĂšre comprĂ©hensible de certains citoyens qui cassent ou bloquent certains endroits du pays pour exister car c’est tout ce qu’il leur reste comme moyen. Et la jouissance de certains qui cassent pour casser et/ou qui se servent du mouvement spontanĂ© des « gilets jaunes » pour leur propre intĂ©rĂȘt.

 

Je participe rarement Ă  des manifestations. Je me mĂ©fie beaucoup des effets de groupe. J’ai l’impression de disposer de plus de clairvoyance- mĂȘme si je me trompe- en pensant seul qu’en me contentant de suivre aveuglement, sans rĂ©flĂ©chir, un groupe de personnes. Je sais que mon raisonnement, poussĂ© Ă  l’extrĂȘme, est une absurditĂ©. Car, ĂȘtre seul, c’est aussi ĂȘtre isolĂ©, vulnĂ©rable, incomplet, incompĂ©tent et impuissant. Je sais aussi que l’on a besoin des autres et qu’il est nĂ©cessaire d’avoir des alliĂ©s. Alors, disons que je suis trĂšs attachĂ© au fait de pouvoir choisir mes alliĂ©s plutĂŽt que de me les voir imposĂ©s un peu Ă  la roulette russe. Mais que trouver de bons alliĂ©s, cela peut nĂ©cessiter du temps.

 

Pendant toutes ces considĂ©rations, notre homme «  du dimanche » reste inerte devant moi. Et, je suis bien-sĂ»r seul face Ă  lui. Quelques minutes plus tĂŽt, avant de le trouver, un autre homme m’avait accostĂ© alors que je marchais devant lui. Dans un Français approximatif, cet homme de « derriĂšre » (il Ă©tait derriĂšre moi) m’avait interpellĂ© poliment pour me demander si j’avais une feuille de papier cigarette Ă  rouler. Non. Il Ă©tait reparti dans le sens opposĂ©.

 

Et moi, aprĂšs m’ĂȘtre Ă©loignĂ© de cet homme, maintenant je rebrousse chemin.

 

Notre homme inerte cuve peut-ĂȘtre son alcool. Il a une respiration rĂ©guliĂšre, ample et apaisĂ©e. C’est bien-sĂ»r trĂšs bien. Mais il n’a pas rĂ©pondu lorsque je lui ai parlĂ©. Il n’a pas rĂ©agi. Je ne sais rien de ce qu’il a pris. Je me mets Ă  penser Ă  Basquiat, qui, lors de son overdose fatale, avait donnĂ©, aussi, Ă  sa petite amie de l’époque, l’impression de dormir paisiblement.

Alors, j’appelle le 15. Tout en me disant que du fait de la manifestation des « gilets jaunes » et des affrontements avec les «  forces de l’ordre », les services sanitaires d’urgence ont dĂ» ĂȘtre particuliĂšrement sollicitĂ©s la veille.

Le samedi 1er dĂ©cembre : « 263 » personnes «  ont Ă©tĂ© blessĂ©es au cour des violences  dont 133 dans la capitale » selon le journal gratuit 20 Minutes de ce lundi 3 dĂ©cembre. Toujours selon ce mĂȘme journal gratuit « (
) «  Gilets jaunes. Le mouvement durera si le gouvernement ne recule pas, estiment deux experts ».

La dame du SAMU me demande des renseignements. Je lui rĂ©ponds. Lieu. Age approximatif de l’homme. CaractĂ©ristiques de la respiration. Pas de trace de sang apparente. Pas de rĂ©action.

Elle me demande de le stimuler en le touchant. Je le fais parce qu’elle me le dit de le faire parce-que, seul, je me dispenserais d’une pareille initiative : il m’est impossible de prĂ©voir la rĂ©action de cet homme lorsque je vais le toucher. Je suis pour lui un inconnu. Il aurait pu avoir une rĂ©action, instinctive, de dĂ©fense ou de protection telle que mordre ma main par exemple lorsque, dans un premier temps, j’avais entrepris de la passer devant ses narines afin de m’assurer qu’il respirait. Avant d’appeler le SAMU.

Je suis au tĂ©lĂ©phone avec cette dame du SAMU lorsque notre homme bouge la tĂȘte, puis se gratte le nez. J’en informe la dame du SAMU. La dame du SAMU me demande si je peux rester avec lui le temps que les pompiers arrivent. Et elle me sollicite afin que je continue les stimulations. J’accepte. Elle me remercie et raccroche.

Quelques secondes plus loin, notre homme commence à ouvrir les yeux. Il me regarde. Je lui parle :

« Bonjour Monsieur. J’ai appelĂ© le SAMU. Les pompiers vont venir s’occuper de vous ».

Assez vite, il se met sur pied, devant moi :

« Les pompiers pour qui ?! ».

« Pour s’occuper de vous car vous n’allez pas bien. Vous ne pouvez pas rester là ».

« Moi, je vais pas bien ?! ». Devant moi, cet homme m’explique maintenant :

« Il ne faut pas appeler les pompiers ! Ils vont croire que c’est grave ! ».

Je comprends sa logique. Mais moi, j’étais face Ă  ce dilemme que je lui traduis :

«  Et moi, comment je fais pour savoir que ce n’est pas grave ? ».

Lui : « Hein ?! ». Il me regarde, son visage prĂšs du mien comme si je suis presque la moitiĂ© d’un idiot. L’esprit peut-ĂȘtre encore assombri par les reflets de l’alcool bien que son haleine soit « neutre ». Mais aussi parce-que le Français n’est pas sa langue maternelle. Ou peut-ĂȘtre pour mieux discerner si je tiens plus de l’homme ou du cheval. Il mesure entre cinq Ă  dix centimĂštres de plus que moi et tangue un peu.

Il reprend :

« (
.) Comment tu fais pour 
savoir que ce n’est pas grave ?! Tu parles aux gens
. ».

Moi : «  Mais je t’ai parlé ! ». (Vu qu’il m’a tutoyĂ© et au vu de l’aspect un peu sec et sans glaçons de l’échange, je le tutoie aussi).

Lui : «  A moi, tu m’as parlé ?! »

Moi : « Mais est-ce que tu te rends compte que je me suis inquiété pour toi ?! ».

Lui : « Quand on s’inquiĂšte pour quelqu’un, on fait pas ça ! 
On lui parle ! ».

A ce moment de notre discussion, je me demande s’il envisage de me frapper vu qu’il est prĂšs de moi, visiblement plus remontĂ© que reconnaissant, et qu’il m’attribue de mauvaises intentions Ă  son encontre. La situation me paraĂźt bien-sĂ»r prendre une tournure quelque peu ironique bien que, je le sais, probable : le secouriste agressĂ©.

Il a un peu reculĂ© lorsqu’il me dit, assez agressif, voire un peu menaçant :

«  Reste attendre
tes pompiers, tes policiers
. ».

Moi : «  Ne reste pas sur la route ! » ( Il se trouve alors sur la route, sur le passage piĂ©tons). J’ajoute : «  Il y’a des voitures qui passent ! ». Il quitte aussitĂŽt la route et se remet sur le trottoir face Ă  moi. Quelques mĂštres et quelques secondes nous sĂ©parent.

Puis, il se retourne et sans ajouter un mot, me tourne le dos, traverse l’avenue en restant bien en rythme sur le passage piĂ©ton. Aucune voiture ne passe. TrĂšs vite, il s’échappe de ma vue. Il marche Ă  une allure plutĂŽt rapide pour un mourant s’il est mourant ou pour un homme en train de faire une overdose s’il fait une overdose. Il me semble que j’aurais Ă©tĂ© incapable de me dĂ©placer aussi vite :

 

Je suis évidemment rassuré pour sa santé.

 

Je rappelle le SAMU. Une collĂšgue de la dame que j’ai eue me rĂ©pond. Je lui explique. Je lui dis aussi que notre homme Ă©tait un «  peu » tendu et que je me suis demandĂ© s’il allait me frapper. (S’il l’avait fait, j’aurais Ă©tĂ© obligĂ© de changer de registre : je serais devenu victime ou agresseur de « mon » patient. OĂč cela se serait-il terminé ? Au commissariat ?).

Au téléphone avec le SAMU, je hasarde que notre homme devait avoir des problÚmes de papier.

(Mais peut-ĂȘtre avait-il dĂ©ja un casier judiciaire pour Ă©briĂ©tĂ© ou pour trouble de l’ordre public ?).

La dame du SAMU prend ça avec humour. Elle me demande quelques informations complĂ©mentaires concernant la tenue vestimentaire de notre homme. Oh, oui, je m’en souviens bien.

Cette dame du SAMU me dit :

« C’est bien, monsieur, vous avez eu les bons rĂ©flexes ». Je la sais sincĂšre. Je considĂšre qu’elle parle de mon premier appel pour prĂ©venir le SAMU. Pour moi, les bons rĂ©flexes ont aussi Ă©tĂ© de laisser partir notre homme. Lorsqu’il aura dĂ©grisĂ©, je me demande de quoi et de qui il se souviendra. D’ĂȘtre tombĂ© sur un baltringue (moi) qui a failli le mettre dans la merde ?!

En rentrant, je raconte l’histoire Ă  ma compagne. AmusĂ©e, elle me dit :

« Cela aurait été drÎle que, finalement, ce soit pour toi que les pompiers viennent ».

Franck, ce lundi 3 décembre 2018.

 

PS : Cet article a d’abord Ă©tĂ© Ă©crit avant l’article https://balistiqueduquotidien.com/privilegie/Je l’ai corrigĂ© et complĂ©tĂ© ce dimanche 9 dĂ©cembre 2018.

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« (
.) La rĂ©alitĂ©, c’est que, pour ĂȘtre un bon entrepreneur, il ne faut pas aimer l’argent, mais miser sur l’audace et savoir se mettre en danger » a « assuré » lors d’une interview de cinq pages un milliardaire Ă  la retraite. Les photos de l’interview Ă©taient quant Ă  elle assurĂ©es par une photographe de renom.

L’interview datait dĂ©jĂ  de prĂšs de six mois lorsque je suis tombĂ© dessus cette semaine. Dans le magazine d’un quotidien prestigieux : Le Monde. AprĂšs une page de pub pour le tĂ©lĂ©phone portable Huawei P20 Pro que je sais depuis cette semaine Ă©galement ĂȘtre « Le » tĂ©lĂ©phone portable du moment, devant l’Iphone et le Samsung Galaxy qui sont au tĂ©lĂ©phone portable depuis des annĂ©es ce que sont Messi et Ronaldo au Ballon d’or.

 

Il y’a un ou deux jours, sur ce rĂ©seau social, une connaissance a entre-autres Ă©crit qu’elle comprenait la colĂšre des « gilets jaunes » mĂȘme si elle ne «  la partage pas ».

 

Nous sommes le mercredi 5 dĂ©cembre 2018 et dans trois jours, le mouvement de manifestation des « gilets jaunes » va Ă  nouveau faire parler de lui pour le troisiĂšme ( quatriĂšme ) samedi de suite si mes comptes sont bons. Sur les Champs-ElysĂ©es, une des vitrines de la rĂ©ussite Ă©conomique et culturelle de la France, l’expression de cette manifestation au dĂ©part spontanĂ©e, populaire, bien que virulente, est dĂ©sormais dĂ©peinte comme celle par laquelle le « chaos » peut dĂ©filer en France. Soit du fait de l’Etat qui a d’emblĂ©e haussĂ© le ton et menacĂ© Ă  l’annonce de la toute premiĂšre manifestation des « gilets jaunes ». Soit du fait du caractĂšre quelque peu incontrĂŽlable et aveugle de certaines manifestations de violence lors de ce mouvement des « gilets jaunes ». Soit du fait, aussi, de la rĂ©cupĂ©ration de ce mouvement. On ne sait plus. On ne sait plus si la violence, lors des manifestations des « gilets jaunes » vient d’abord de l’Etat, ou des casseurs qui en profitent, ou de personnes rĂ©ellement en colĂšre, ou d’organisations d’extrĂȘme droite, anarchistes ou d’extrĂȘme gauche. L’organigramme de ces expressions de violence est difficile Ă  Ă©tablir ou Ă  lire pour le quidam que je suis. Et, bien-sĂ»r, comme souvent, lors d’une pĂ©riode de trouble, les principaux acteurs directs ou indirects de cette situation sont peu disposĂ©s Ă  se faire tirer le portrait lors d’une photo de classe permettant de clairement les identifier.

 

Depuis deux ou trois semaines, donc, discuter du mouvement «  des gilets jaunes » peut susciter divers avis contraires au sein d’une mĂȘme famille, d’un mĂȘme groupe d’amis, de connaissances ou de collĂšgues. Et cela peut dĂ©boucher vraisemblablement sur des dĂ©saccords profonds pour ne pas mentionner des diffĂ©rends Ă  caractĂšre dĂ©finitif. Car chacune et chacun se sent « expert » sur le sujet. Chacun et chacune est Ă  vif sur le sujet.

 

Je vais donc m’attacher Ă  parler de celui que je connais le mieux pour parler du mouvement des « gilets jaunes ». C’est Ă  dire, que je vais parler de moi. Le travers Ă  parler de soi, c’est de faire Ă©talage de son nombrilisme et de son narcissisme plutĂŽt que de sa conscience et de sa rĂ©elle connaissance d’un sujet donnĂ©. L’avantage, c’est que je suis prĂ©venu dĂšs le dĂ©but du piĂšge Ă  Ă©viter en parlant de moi.

En soi, le narcissisme et le nombrilisme peuvent ĂȘtre socialement tolĂ©rĂ©s. Car si le narcissisme et le nombrilisme Ă©taient rĂ©dhibitoires, les rĂ©seaux sociaux auraient pĂ©riclitĂ© depuis longtemps. Et si le narcissisme et le nombrilisme donnaient des gages d’éternitĂ©, des personnalitĂ©s populaires et admirĂ©es comme François Mitterand, Jean d’Ormesson, Jacques-Yves Cousteau et bien d’autres seraient encore en vie. Mitterand et Cousteau sont deux “personnalitĂ©s” que j’ai pu admirer Ă  divers moments de ma vie. Cousteau, alors que j’Ă©tais enfant, pour ses dĂ©couvertes extraordinaires dans la mer. Mitterand, alors que j’Ă©tais adolescent puis adulte. Mitterand, D’Ormesson et Cousteau ont au moins en commun d’avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une certaine longĂ©vitĂ© ainsi que de campagnes de communication profilĂ©es habilement de maniĂšre Ă  façonner d’eux une “belle” image.

En matiĂšre de narcissisme et de nombrilisme, tout est affaire de dosage pour que cela reste supportable et convivial. Je ne dispose pas des moyens de ces dĂ©funts en termes de com’ et de relations.  J’espĂšre donc rĂ©ussir Ă  bien doser ma mixture afin qu’elle puisse facilement ĂȘtre avalĂ©e cul-sec. KampaĂŻ ! Tchin ! Tchin !

 

Si j’ai bien retenu, le mouvement des « gilets jaunes » provient des exclus. De celles et ceux qui sont pris Ă  la gorge financiĂšrement et socialement depuis des annĂ©es. Et qui n’en peuvent plus. S’il regroupe des personnes de diffĂ©rents horizons sociaux, culturels et Ă©conomiques, il est fait, aussi, de personnes qui touchent le SMIC ou qui sont sous le seuil de pauvretĂ©. Je pourrais maintenant filer sur internet afin de me renseigner prĂ©cisĂ©ment sur le montant du SMIC (le salaire minimum afin d’avoir une vie Ă  peu prĂšs dĂ©cente) et me faire beau en me prĂ©sentant comme celui qui sait exactement quel est son montant. Je vais plutĂŽt me fier Ă  ma mĂ©moire et tant pis si je me ridiculise :

La derniĂšre fois que j’ai vĂ©rifiĂ©, le SMIC Ă©tait Ă  1100 euros ( 1184 euros aprĂšs vĂ©rification ) et je crois que l’on parle d’un seuil de pauvretĂ© lorsque l’on touche un salaire Ă©gal ou infĂ©rieur Ă  900 euros par mois.

En France, en 2018, on est considĂ©rĂ© comme pauvre lorsque l’on touche un salaire Ă©gal ou infĂ©rieur Ă  900 euros par mois.

Au vu de ces deux chiffres, je suis un privilĂ©giĂ©. Je le savais dĂ©jĂ  selon mes propres critĂšres mais ces deux chiffres me contraignent Ă  l’admettre que je le veuille ou non.

Je suis un privilégié parce-que je touche un peu plus de deux fois le SMIC chaque mois.

Mais aussi, parce qu’il y’a 11 ans maintenant, j’ai pu m’acheter un F2 sur le marchĂ© de l’ancien en m’endettant sur 25 ans. Dans une ville de banlieue proche de Paris si «  bien » rĂ©putĂ©e qu’alors que les prix de l’immobilier dans Paris et dans des villes voisines de Paris nĂ©cessitent presque une formation de cosmonaute pour les atteindre, les prix de l’immobilier pratiquĂ©s dans ma ville stagnent voire baissent depuis plusieurs annĂ©es. A Argenteuil, j’ai parfois l’impression qu’il faudrait presque donner une prime spĂ©ciale aux futurs acquĂ©reurs Ă©ventuels.

 

J’ai une voiture. Cette information a son importance puisque l’augmentation du coĂ»t de l’essence a Ă©tĂ© le dĂ©clencheur du mouvement «  des gilets jaunes ». Depuis plusieurs annĂ©es, je vois la voiture comme ce qui me donne une certaine indĂ©pendance de dĂ©placement. Mais je la vois aussi comme un objet de luxe malgrĂ© son caractĂšre Ă©minemment utile. Le coĂ»t d’entretien d’une voiture est assez Ă©levĂ©, entre l’assurance, les rĂ©visions, le carburant et les Ă©ventuelles rĂ©parations. Bien des personnes n’ont pas les moyens de s’offrir une voiture. J’ai obtenu mon permis il y’a 23 ans. En 23 ans, j’ai eu deux voitures. Ma premiĂšre avait plus de 100 00 kilomĂštres au compteur lorsque je l’ai achetĂ©e. J’ai Ă©tĂ© obligĂ© de m’en sĂ©parer au bout de six ans aprĂšs que sa colonne de direction ait Ă©tĂ© cassĂ©e. On avait essayĂ© de me la voler. Parce qu’elle faisait partie des voitures faciles Ă  voler ai-je appris par la suite : C’était une Opel Corsa.

Pour acheter ma voiture actuelle, j’ai d’abord dĂ» faire un crĂ©dit que j’ai remboursĂ© pendant trois Ă  quatre ans. Cela fait dix sept ans que j’ai la mĂȘme voiture. Depuis que je me suis mariĂ© et ai eu une fille, ma voiture est parfois un petit peu petite.

NĂ©anmoins, je suis un privilĂ©giĂ©. Lorsque j’ai besoin d’un vĂ©hicule, ma voiture est lĂ . MĂȘme si je lui prĂ©fĂšre largement les transports en commun et la marche, je sais pouvoir en disposer lorsque j’en ai besoin. C’est un luxe.

Un autre de mes luxes est de pouvoir rembourser mes crĂ©dits lorsque j’en contracte mĂȘme si je suis constamment Ă  dĂ©couvert du fait de mauvaises habitudes prises il y’a des annĂ©es. Mauvaises habitudes ( de cĂ©libataire sans enfant peut-ĂȘtre) dont j’ai du mal Ă  me dĂ©barrasser mĂȘme si je suis aujourd’hui plus raisonnable.

 

Je suis aussi un privilĂ©giĂ© parce-que j’ai un emploi de fonctionnaire. MĂȘme si le statut de fonctionnaire est menacĂ© et que je suis un exĂ©cutant parmi d’autres, je dispose encore de la sĂ©curitĂ© de l’emploi. Et d’un salaire qui arrive tous les mois Ă  une date rĂ©guliĂšre.

 

Je peux encore partir en vacances avec femme et enfant. Généralement en été. En France. Un peu moins en Guadeloupe ou à la Réunion. Car il faut un budget plus élevé pour ces deux destinations.

 

Je peux m’inscrire dans un club de sport. Et pratiquer ma discipline sportive Ă  peu prĂšs rĂ©guliĂšrement. Je ne pousse pas la vice jusqu’à me contenter de m’inscrire juste pour le plaisir de contempler ma licence en me disant avec gourmandise : « Je peux le faire ».

 

Mon casier judiciaire est vierge. Je rĂ©ussis Ă  payer mes impĂŽts dans les dĂ©lais. AprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©tenteur d’une carte orange, j’ai finalement optĂ© pour un Pass Navigo. Je n’aurais de toute façon pas eu le choix vu que tout a Ă©tĂ© fait pour nous obliger Ă  adopter le Pass Navigo.

A NoĂ«l, et pour certains anniversaires, je peux acheter quelques cadeaux Ă  mes proches : sƓur, frĂšre, neveux, niĂšces, compagne, ma fille, amis. LĂ , encore, du fait de mes mauvaises habitudes prises il y’a plusieurs annĂ©es, j’ai recours au dĂ©couvert bancaire. Je n’ai, Ă  ce jour, pas connu le statut d’interdit bancaire. Je suis un privilĂ©giĂ©.

 

Je suis aussi un privilĂ©giĂ© parce-que, en grande partie grĂące Ă  mes parents, j’ai pu ĂȘtre un « bon  élĂšve”. Un « bon » citoyen. Une personne qui fait ses devoirs. Qui a pu obtenir un diplĂŽme professionnel Ă  mĂȘme de lui assurer un emploi stable. Qui se tient Ă  carreaux et qui se dĂ©foule lĂ  oĂč la sociĂ©tĂ© l’y autorise : en employant un langage respectueux et policĂ©; en frĂ©quentant les clubs de sport; en consommant dans les magasins de grande distribution aux heures autorisĂ©es; en partant faire des voyages quand c’est permis et lĂ  oĂč c’est permis; en recourant Ă  des moyens lĂ©gaux, actions et comportements dont il est possible d’effectuer une traçabilitĂ© satisfaisante et constante.

 

Lorsqu’à la gare de Cergy St-Christophe – ville oĂč j’ai habitĂ© pendant une quinzaine d’annĂ©es Ă  partir de 1985- la SNCF avait dĂ©cidĂ© d’installer des composteurs ( ou plutĂŽt des portes de validation ) ayant pour effet immĂ©diat de restreindre notre libertĂ© de mouvement et de dĂ©placement, je m’y Ă©tais adaptĂ©. Je me souviens avoir entendu un jeune, sans doute encore mineur, qui, apprenant cette nouveautĂ© avait dit Ă  un de ses copains :

” T’inquiĂšte, on va tout dĂ©foncer !”. Sa remarque m’avait surpris et un peu inquiĂ©tĂ©. La ville de Cergy St-Christophe a bĂ©nĂ©ficiĂ©, aussi, d’une assez mauvaise rĂ©putation. En quinze ans, je n’y ai connu aucun problĂšme. Et, lorsque les portes de validation avaient finalement Ă©tĂ© installĂ©es, rien n’avait Ă©tĂ© dĂ©foncĂ©. Ou alors je dormais pendant ce temps-lĂ  et la SNCF s’Ă©tait empressĂ©e de tout rĂ©parer avant mon rĂ©veil.

Lorsqu’à la gare d’Argenteuil, il y’a environ cinq annĂ©es, la SNCF a dĂ©cidĂ© d’installer des portes de validation ayant les mĂȘmes effets qu’à la gare de Cergy St-Christophe, comme la majoritĂ© des usagers, je m’y suis lĂ  aussi adaptĂ©.

Depuis quelques semaines, la gare St Lazare par laquelle j’accĂšde Ă  Paris, est en train de se doter de plus de deux cents composteurs ( 140 exactement : au delĂ  du chiffre 130, je ne rĂ©ponds plus de rien en matiĂšre de calcul). Officiellement, c’est pour :

« AmĂ©liorer notre confort ». Je ne vois pas de quel confort il est question lorsqu’aux heures de pointe, dĂ©jĂ , nous sommes tel du bĂ©tail qui piĂ©tine vers ses diverses correspondances.

 

 

J’ai oubliĂ© les chiffres, mais, en semaine, la gare de Paris St Lazare ( crĂ©Ă©Ă© en 1837 ), voit passer des milliers de personnes ( 300 000 personnes par jour/ 100 millions de voyageurs par an d’aprĂšs les chiffres trouvĂ©s ce jeudi 6 dĂ©cembre sur le net ). Elle est la gare ferroviaire recevant le plus grand nombre d’usagers dans Paris. Il est vrai qu’une fois que je suis dans le train, j’évite les embouteillages.Et qu’en pĂ©riode de grĂšve des trains, Argenteuil Ă©tant proche de Paris, j’en pĂątis moins que celles et ceux qui vivent dans des villes de banlieue plus Ă©loignĂ©es. Je suis lĂ  aussi un privilĂ©giĂ©.

 

Avec l’arrivĂ©e de ces portes de validation, bientĂŽt, l’usager qui Ă©chouera Ă  les franchir pour “dĂ©faut” de prĂ©sentation du titre de transport adĂ©quat, ou parce-qu’il ne remplira pas certaines critĂšres, sera peut-ĂȘtre dĂ©clarĂ©….invalide. Et ces portes de validation aujourd’hui prĂ©sentĂ©es de maniĂšre ludique et inoffensives par la SNCF se rĂ©vĂ©leront peut-ĂȘtre plus tard comme des “outils” de refoulement s’appliquant aux individus indĂ©sirables. On pensera en prioritĂ© aux terroristes et aux dĂ©linquants identifiĂ©s. Mais ces profils pourront ĂȘtre Ă©largis aux mendiants, personnes en recherche d’emploi, femmes et hommes d’un certain Ăąge etc….

 

Ma vision, peu originale, force peut-ĂȘtre le trait. NĂ©anmoins, en pratique, il m’est difficile de percevoir ces portes de validation comme des atouts en termes de confort. Si leur fonction est de lutter par exemple contre la fraude, la majoritĂ© des usagers va devoir subir la contrainte de ces portes “juste” pour rĂ©duire un comportement qui est le fait d’une minoritĂ©.  Et afin que cette  “mission” puisse ĂȘtre rĂ©alisĂ©e dans les meilleures conditions, nous voilĂ  encore un peu plus mis Ă  contribution, un peu plus infantilisĂ©s et davantage sĂ©questrĂ©s en pleine jour en toute lĂ©galitĂ© sans que nous soyons auteurs du moindre dĂ©lit.

 

 

Depuis deux ou trois ans, le projet du ” Grand Paris” nous a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme une belle avancĂ©e dans bien des domaines. J’y ai cru. Et ce sera sans doute le cas pour certains aspects. Mais, lĂ , est-ce le rĂ©sultat de prĂšs de dix annĂ©es de trajet par le train pour me rendre au travail Ă  Paris cumulĂ©es avec cette arrivĂ©e proche de ces ” portes de validations” ? Mais le projet du             ” Grand Paris” mĂȘme devancĂ© par l’organisation des Jeux Olympiques en 2024 qui nous promet une crĂ©ative campagne de communication, bien plus sĂ©duisante que celle de la SNCF pour les dites- portes de validation, pour nous en expliquer les formidables retombĂ©es, me rend de plus en plus circonspect. Peut-ĂȘtre parce-que je vieillis.

C’est peut-ĂȘtre parce-que je vieillis que, depuis plusieurs annĂ©es, j’ai parfois l’impression que nous vivons dans un pays qui se renferme de plus en plus. Tandis que l’on y ouvre plus de centres commerciaux, que l’on y crĂ©e plus de nouveaux projets immobiliers que l’on ne crĂ©e d’hĂŽpitaux ou que l’on n’ouvre de services et de centres de soins mais aussi d’écoles ou de classes. Pourtant, il y’a un hĂŽpital dans ma ville et contrairement Ă  bien des parents, pour le moment, nous pouvons emmener notre fille Ă  l’école en une dizaine de minutes Ă  pied. MĂȘme si le personnel de l’école publique a de moins en moins de moyens pour mener Ă  bien ses diverses missions et que celle-ci inspire de plus en plus un certain sentiment de suspicion, je suis un privilĂ©giĂ©. MĂȘme si plusieurs parents que nous avons cĂŽtoyĂ©s ont pu, aprĂšs plusieurs candidatures, faire admettre leur enfant (certains de l’ñge de notre fille encore en maternelle) dans l’école privĂ©e voisine Ă  raison de 300 euros par mois.

Bien que vieilli et peut-ĂȘtre aigri, je suis encore plutĂŽt en bonne santĂ©. Lorsque j’ai besoin de soins, j’ai encore la possibilitĂ© de les payer. S’il le faut. Et, lorsque je l’estime nĂ©cessaire, je peux encore choisir un spĂ©cialiste considĂ©rĂ© comme particuliĂšrement compĂ©tent.

Pour l’instant, je n’ai pas encore Ă  choisir entre faire un plein d’essence, faire des courses ou acheter des vĂȘtements pour ma fille.

Mon tĂ©lĂ©phone portable est un Iphone 5S. Je l’ai depuis plus de deux ans. L’Iphone actuel doit ĂȘtre un numĂ©ro 7 ou 8. J’ai oubliĂ©. Avant lui, je changeais de tĂ©lĂ©phone portable environ tous les deux ou trois ans. Depuis que je sais que la fabrication des tĂ©lĂ©phones portables est un dĂ©sastre Ă©cologique, j’essaie de voir comment je peux Ă©viter de contribuer Ă  la dĂ©rive Ă©cologique gĂ©nĂ©rale. Ce qui est un exercice difficile car l’obsolescence programmĂ©e de mon tĂ©lĂ©phone portable va peut-ĂȘtre me forcer Ă  en changer.

Notre ordinateur portable a sept ou huit ans. Je n’ai aucune intention d’en changer. Il marche de maniĂšre satisfaisante. Je suis un privilĂ©giĂ©.

J’ai Ă©crit et rĂ©pĂ©tĂ© un certain nombre de fois dans cet article comme je suis un privilĂ©giĂ©. Je le suis. J’ai pourtant parfois besoin de m’en convaincre. J’ai quelques fois un peu de mal Ă  m’en convaincre.  « De l’audace, se mettre en danger », il me semble que chacun et chacune, de par les choix qui lui incombent, de par les responsabilitĂ©s qui le concernent Ă  un moment ou plusieurs moments de sa vie, fait preuve ou a fait preuve d’audace et s’est mis ou se met en danger. Pourtant, il est bien des fois oĂč cela n’a pas suffi.

Les migrants qui se noient dans la mer mĂ©diterranĂ©e parce qu’ils fuient la guerre, la peur, la misĂšre, font montre d’une audace dont je suis incapable. Et ils se mettent en danger Ă  un point tel que le privilĂ©giĂ© que je suis ignore. Pourtant, pour un certain nombre d’entre eux, ça n’a pas suffi et ça ne suffira pas.

Bien des « gilets jaunes » qui manifestent font preuve d’une audace Ă©quivalente. Et ils se mettent aussi en danger. Il n’y’a aucun milliardaire parmi eux. Du moins, pour l’instant. Et, moi, le privilĂ©giĂ©, je reste abritĂ©. J’observe. Je me culpabilise. Je pĂšse le pour et le contre. Je me dis qu’aller manifester est trop risquĂ©. Mais aussi qu’il est trĂšs difficile de s’y retrouver entre les casseurs, celles et ceux qui rĂ©cupĂšrent le mouvement, les forces de l’ordre qui, lorsqu’elles chargeront, ne feront pas de dĂ©tail entre les gentils manifestants et les autres.

Les « gilets jaunes » manifestent-ils uniquement pour une question d’argent ? A mon avis, non.

Bien-sĂ»r, je dĂ©sapprouve les actes de violence aveugles qui touchent, heurtent, celles et ceux qui se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment, alors que certains cassent, frappent, dĂ©truisent. Mais l’origine d’une bonne partie ces violences est nĂ©anmoins bien prĂ©sente depuis des annĂ©es dans cette sociĂ©tĂ© dont nous sommes les citoyens. Les citoyens
.privilĂ©giĂ©s.

 

Franck, ce mercredi 5 décembre 2018.

PS : j’Ă©tais en colĂšre en Ă©crivant cet article hier. Et, plusieurs heures aprĂšs l’avoir Ă©crit, je m’Ă©tonnais de ressentir autant de colĂšre. Je me demandais d’oĂč elle provenait. Pourtant, je n’ai rien cassĂ© sur mon passage en allant prendre le train pour me rendre sur Paris. Et, je n’ai bousculĂ© personne dans le mĂ©tro, dans les escalators ou ailleurs. Ce matin, ce jeudi 6 dĂ©cembre, j’attribue la colĂšre que j’ai ressenti hier Ă  un retour de flamme de mon sentiment de culpabilitĂ©. Je me suis senti coupable lors du premier ou du deuxiĂšme samedi de manifestation des “gilets jaunes” Ă  Paris. Si j’Ă©tais restĂ© chez moi ce jour-lĂ , je me serais mieux portĂ©. Mais ce samedi-lĂ , j’avais dĂ©cidĂ© de me faire plaisir. Et, j’Ă©tais parti acheter- consommer- du thĂ© dans un magasin oĂč j’ai mes habitudes. En sortant du mĂ©tro, je m’Ă©tais retrouvĂ© en plein marchĂ©. Les commerces de bouche Ă©taient bondĂ©s. Pour toutes ces personnes prĂ©sentes sur le marchĂ© et dans ces commerces, la vie continuait sans une fĂȘlure. Tandis que sur les Champs ElysĂ©es et ailleurs en France, des personnes manifestaient car au bout du rouleau. Lors du trajet, j’avais pourtant entendu l’annonce rĂ©pĂ©tant que telles stations de mĂ©tro n’Ă©taient pas desservies. Mais je n’avais pas tout de suite fait le rapprochement avec les “gilets jaunes”. Dans le magasin de thĂ©, oĂč se trouvait un couple d’un certain Ăąge, je m’Ă©tais mĂȘme interrogĂ© Ă  voix haute sur la raison pour laquelle ces stations de mĂ©tro n’Ă©taient pas desservies. La femme du couple m’avait alors regardĂ© en souriant sans un mot. Savait-elle ?

Je manifeste rarement. Je me mĂ©fie beaucoup des effets de groupe. Je sais que la vie est faite de nuances. Je continue d’apprendre Ă  essayer de les saisir. Mais ce samedi-lĂ , Ă  me voir faire partie de celles et ceux qui, dans cet arrondissement de Paris plutĂŽt privilĂ©giĂ©, faisaient apparemment leurs courses sans se prĂ©occuper des lendemains tandis que d’autres…..je me suis senti coupable. Pourtant, je suis un privilĂ©giĂ©. Je crois….

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Cinéma

Rafiki

 

« Il semblerait que ce soit un film généreux et miÚvre ».

 

Il y’a plusieurs semaines, au sortir d’une sĂ©ance dans un complexe de cinĂ©ma Ă  Paris, je l’ai reconnu. Sans doute un souvenir de sĂ©ances de presse partagĂ©es, chacun dans son coin, du temps oĂč j’écrivais pour Brazil. C’était Ă©tonnant de tomber sur lui dans cet endroit.

Durant quelques mĂštres, j’ai marchĂ© derriĂšre lui.

 

Je me suis dĂ©cidĂ© Ă  l’accoster. Accessible et sympathique, il m’a alors appris avoir Ă©tĂ© mis Ă  la retraite de l’hebdomadaire dans lequel j’avais pu lire un certain nombre de ses critiques de cinĂ©ma pendant des annĂ©es. Il intervient encore dans l’émission Le Masque et la plume que je connais de nom.

J’ai dĂ©fendu Rafiki. Il m’a Ă©coutĂ©. Il a alors rĂ©pondu que, comme le lui a recommandĂ© un jour Jacques Lourcelles – qu’il m’a prĂ©sentĂ© comme un « historien du cinĂ©ma »- il est impĂ©ratif de toujours se faire soi-mĂȘme sa propre opinion d’un film en allant le voir.

Je l’ai Ă©coutĂ© Ă  mon tour : j’ignorais qui Ă©tait Jacques Lourcelles.

Deux mois sont passés depuis que ce critique de cinéma et moi nous sommes croisés.

Et, c’est seulement aujourd’hui que je viens de faire quelques recherches sur le net pour dĂ©couvrir l’identitĂ© de Jacques Lourcelles. Ce qui fera sourire ou grimacer celles et ceux qui sont au fait de ses engagements et d’une certaine histoire du mĂ©tier de critique et d’historien du cinĂ©ma.

Alors que nous allions nous sĂ©parer, notre critique cinĂ©ma de Le Masque et la Plume et moi, j’ai pensĂ© Ă  dire mon nom et Ă  Ă©voquer mon projet de crĂ©er un blog : trop souvent, de par le passĂ©, lorsqu’il m’est arrivĂ© de croiser des personnes « mĂ©diatisĂ©es », j’ai oubliĂ© cette rĂšgle Ă©lĂ©mentaire, en usage pourtant lors de toute rencontre comme lors de tout cĂ©rĂ©monial social, qui consiste
.Ă  se prĂ©senter. Peu importe que notre interlocutrice ou notre interlocuteur «  mĂ©diatisé », choisisse ensuite de classer sans suite ces « faibles » moments que nous avons passĂ©s avec lui. On acquiert davantage de prĂ©sence et de consistance en donnant son nom et son prĂ©nom plutĂŽt qu’en se confinant soi-mĂȘme Ă  double tour avec prĂ©caution dans l’effacement et l’autodĂ©nigrement. Comme l’a Ă  peu prĂšs dit rĂ©cemment l’artiste Kheiron dans une interview Ă  propos de certains acteurs-renommĂ©s- de son dernier film (Mauvaises herbes, sorti ce 21 novembre 2018) :

« Si tu traites les gens comme des stars, ils vont rĂ©agir comme des stars ». J’ai enviĂ© Ă  Kheiron l’évidence d’une telle assurance mais aussi d’une si grande clairvoyance que je vois comme ce qui lui a permis, avec le travail et certaines aptitudes, Ă  « rĂ©ussir » sa carriĂšre comme il a entrepris de le faire.

Les deux hĂ©roĂŻnes du film Rafiki de Wanuri Kahiu (sorti en salles ce 26 septembre 2018) envieraient davantage la belle assurance de Kheiron. MĂȘme si je crois aussi au fait que l’on peut faire une force de ses faiblesses. Je repense par exemple Ă  l’actrice Yolande Moreau Ă  qui un de ses profs, avant qu’elle ne devienne la comĂ©dienne Yolande Moreau que l’on « connaĂźt », avait pu dire afin qu’elle croie en ses capacitĂ©s au moins de comĂ©dienne : «  Vends tes faiblesses ! ».

Il y’a du Ken Loach dans cette phrase : «  Vends tes faiblesses ! ». Et, cela me rappelle cette scĂšne dans Raining Stones oĂč le prĂȘtre envoie bouler Dieu et la Loi, devant la dĂ©tresse et la culpabilitĂ© du hĂ©ros, pĂšre croyant et de condition modeste, qui a « fauté » pour offrir un peu de rĂȘve Ă  sa fille.

 

« Vends tes faiblesses ! ».

 

Au dĂ©but de Rafiki, Kena et Ziki sont chacune Ă  leur façon des jeunes femmes prometteuses, bien Ă©duquĂ©es, raisonnables et respectables. En conformitĂ© avec ce que l’on attend d’elles. Aucune faiblesse Ă  vendre a priori.

Kena (l’actrice Samantha Mugatsia) avec son physique de garçon manquĂ© Ă  la Syd Tha Kid (une des artistes du groupe californien The Internet) est plutĂŽt de classe moyenne. Elle fait la navette entre ses parents divorcĂ©s, les Ă©tudes, le petit commerce de son pĂšre et le foot avec les copains.

Ziki, elle (l’actrice Sheila Munyva) est la jeune bourgeoise insouciante qui Ă©met une sorte d’excentricitĂ© capillaire ostentatoire. Tout se passe bien pour les deux jeunes femmes tant que chacune vit dans sa jarre.

Nous sommes dans le KĂ©nya d’aujourd’hui, Ă  Nairobi, pays plutĂŽt prospĂšre Ă©conomiquement et assez stable politiquement malgrĂ© certains Ă©vĂ©nements rĂ©cents particuliĂšrement violents.

 

Rafiki se dĂ©roule dans un Ă©crin Ă  l’écart des menaces terroristes et des actes de dĂ©linquance.

 

Mais Kena et Ziki ont la faiblesse de s’attirer l’une et l’autre. Les jarres se brisent. Et, Ă  mesure qu’elles se dĂ©couvrent et commencent Ă  s’émanciper, elles dĂ©couvrent les limites de leur libertĂ© comme celles de la comprĂ©hension de leurs proches. Lesquels sont autant voire plus corsetĂ©s qu’elles ne le sont par certains stĂ©rĂ©otypes sociaux. PĂ©ril pĂ©riphĂ©rique, la solitude de Kena et Ziki ne fond pas alors qu’elles sont perçues…comme de mauvaises herbes.

On peut vendre ses faiblesses ou chanter Come Smoke My Herb comme l’artiste Me’Shell NdĂ©gĂ©ocello dans une sociĂ©tĂ© qui l’accepte. Kena et Ziki vivent dans une autre sociĂ©tĂ©. Leur amour (comme tout amour ?) est rĂ©volutionnaire ou un luxe que leur entourage perçoit comme un mauvais sort jetĂ© au visage de toute la communautĂ© et de toutes les gĂ©nĂ©rations prĂ©cĂ©dentes.

Ça fait penser Ă  RomĂ©o et Juliette version LGBTI ? Oui. Rafiki est un film rĂ©volutionnaire au moins pour son sujet ; parce qu’il a Ă©tĂ© interdit au Kenya ; parce- qu’il s’agit du premier film kenyan sĂ©lectionnĂ© au festival de Cannes ; parce qu’il nous montre une autre couleur que celle des safaris, des splendides paysages africains, et de ces femmes et hommes africains, « c’est formidable ! » qui ont toujours la banane et nous redonnent le sourire pour la journĂ©e.

 

Franck, ce mardi 27 novembre 2018.