Le défaut à la bouche
Nous mourrons demain, câest certain. Et, comme rien ne se meurt dans le bon pain, aujourdâhui, je suis parti assez loin piocher dans deux nouvelles boulangeries.
Câest mon beau-frĂšre qui, un jour, a mis le doigt sur ma folie prĂ©levĂ©e dans le pain.
Pour du bon pain, moi qui en ai pourtant mangĂ© de lâindustriel pendant des annĂ©es, je ferais des kilomĂštres. Câest comme avec le thĂ© que jâavais pu boire longtemps au moyen de sachets achetĂ©s en supermarchĂ©, aromatisĂ©s et trĂšs sucrĂ©s. Comme ces musiques aussi piquantes que ces moustiques que jâavais pu Ă©couter en boucle. Ou tels ces films mal doublĂ©s en version française et ces Ă©missions de mauvaise qualitĂ© qui avaient pu me fixer pendant des heures, m’insufflant leur testostĂ©rone histrionique, me laissant bouche bĂ©e, la pensĂ©e dessĂ©chĂ©e et avec pour seule activitĂ© potentielle celle du chromosome prĂ©parant son naufrage.
EnfermĂ©, mon monde sâouvre par paliers.
Je trouve dans le pain, quâil soit au levain ou non, une nouvelle forme de vie qui mâĂ©loigne du gravier. Tout peut ĂȘtre prĂ©texte pour en dĂ©couvrir un nouveau et me faire lâatelier de sa dĂ©couverte. Ce matin, aprĂšs deux nuits de travail, câĂ©tait pour donner suite Ă un rendez-vous quâon mâavait fixĂ© Ă Nation.
AprĂšs ça, je suis parti Ă la recherche des deux inconnues. Lâune, rue de la Chine, lâautre, avenue Gambetta. Le dĂ©faut Ă la bouche, viens, que je te touche.
Il Ă©tait plus de midi lorsque je me suis rapprochĂ© de la premiĂšre, la boulangerie Pan Vivo . Trois auxiliaires fliquettes mâavaient devancĂ©. Il ne restait plus beaucoup de pain. Une belle rangĂ©e, sur lâĂ©tage supĂ©rieur dâun chariot, Ă©tait devancĂ©e du panneau « rĂ©servĂ© ». Jâai appris quâil se prĂ©parait la fournĂ©e du lendemain.
Une des fliquettes a sursautĂ©. Elle ne sâattendait pas Ă me trouver derriĂšre elle. Elle ne mâavait pas entendu venir. Cela faisait une bonne minute que jâĂ©tais lĂ . Quâest-ce que cela aurait Ă©tĂ© si nous nous Ă©tions trouvĂ©s, seuls, elle et moi, dans une partielle obscuritĂ© ?
Pour continuer de dĂ©dramatiser, je lui ai demandĂ© quelle Ă©tait la station de mĂ©tro la plus proche. En regardant sur son smartphone, elle et ses collĂšgues mâont rĂ©pondu quâelles nâĂ©taient pas du coin. Quâelles Ă©taient du 12 Ăšme arrondissement. Elle est partie comme ça, captivĂ©e par son smartphone. Je croyais quâelle se renseignait pour mon mĂ©tro. Elle mâa quittĂ© comme une miche.
Elle devait lire un sms ou avait peut-ĂȘtre reçu un Like sur un site de rencontres.
Régime pain sec.
Pour me consoler, jâai pris une bonne livrĂ©e de pain de la veille vendue avec une rĂ©duction de 30 pour cent. Il y en avait pour deux kilos dâarmature.
Le jeune vendeur Ă lâaccent italien mâa dit que, de toute façon, enroulĂ© dans des sacs en coton, il pouvait se garder cinq jours.
A lâautre boulangerie, La Gambette Ă pain , il y avait plus de choix. Mais il y avait aussi la queue. Jâai attendu mon tour dehors avant de pouvoir entrer. Il faisait froid aujourdâhui.
Une fois Ă lâintĂ©rieur, jâai fait un festival. Je nâĂ©tais pas du coin. Je venais pour la premiĂšre fois. Je venais de loin. Je nâallais pas me contenter dâune demie baguette de pain ou dâun croissant au beurre et repartir.
Jâai dĂ» faire comprendre Ă lâemployĂ©e que, non, je nâavais pas fini. Jâavais encore dâautres articles Ă prendre.
Au final, je suis reparti avec deux sacs de pain et de viennoiserie.
Etoiles et toiles.
En descendant les marches. Tout en bas, le sandwich Kebab, dernier exemplaire, qui a Ă©tĂ© mon copieux dĂ©jeuner. AprĂšs ça, on reste sage et boire un verre d’eau suffit.
Puis, je me suis rabattu sur la station de mĂ©tro Gambetta . Je me suis mĂȘme permis de faire un passage dans un magasin de dvds et de blu-ray oĂč jâĂ©tais passĂ© il y a quelques annĂ©es.
Mais je nây ai pas trouvĂ© le film que je cherchais. Le blu-ray du film MUD de Jeff Nichols.
Cette photo est ratée. On ne voit rien.
JâĂ©tais bien chargĂ© dans le mĂ©tro, avec mes deux sacs de pain, ma boite de pĂątisseries. Mais jâĂ©tais assis. Le trajet a Ă©tĂ© assez rapide.
A la station Quatre-Septembre, Ă trois ou quatre stations de la gare St Lazare, extinction des feux et petite voix :
« En raison de la prĂ©sence dâune personne sur la voie ferrĂ©e, le trafic est momentanĂ©ment interrompu sur la ligne 3 du mĂ©troâŠ.. ». Je me suis Ă nouveau fait confirmer que depuis bientĂŽt deux mois, les incidents de toutes sortes se cumulent dans les transports en commun. Jâai vraiment bien fait dâopter pour un vĂ©lo pliant quand je me rends au travail. Mais jâen parlerai mieux dans ma rubrique VĂ©lo Taffe .
Dans le mĂ©tro, station Quatre-Septembre, sâensuivent quelques minutes dâattente et de rĂ©flexion et la fin du suspense :
« Le trafic reprendra Ă 15h15 ». Il Ă©tait 14h50. Je nâavais pas dĂ©jeunĂ© ni fait ma sieste.
Sortir de la station, marcher jusquâĂ une station de bus. Le prendre jusquâĂ la gare St Lazare. Rien ne mâa dĂ©tournĂ© de lâarĂŽme du bon pain. Car câest une valeur refuge.
Nous sommes arrivés sains et saufs à domicile.
Franck Unimon, ce vendredi 5 mars 2021.