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Corona Circus Pour les Poissons Rouges

Une semaine qui commence bien

Gare d’Argenteuil, ce lundi 8 novembre 2021 au matin.

 

Une semaine qui commence bien

 

On l’oublie mais….il se passe toujours quelque chose. Je ne devais pas être dans ce train, ce matin. Cela s’est décidé tôt. Avant d’emmener la petite à l’école. Les vacances de la Toussaint étaient terminées.

 

Hier après-midi, j’étais allé voir l’adaptation au théâtre par Daniel Muret du film Garde à vue de Claude Miller. J’en reparlerai. Cette adaptation m’a peut-être influencé.

 

Même si j’avais déjà la volonté d’aller là où je suis allé bien avant ça.

 

Alors que je m’approchais de la gare d’Argenteuil, ce matin, le train omnibus arrivait. Je l’ai pris. Pour aller à Paris, au procès des attentats du 13 novembre 2015.

 

J’allais écouter un podcast sur mon téléphone portable puis je me suis dit :

 

«  Non. Je vais prendre le temps de regarder les gens ».

 

Une gare plus loin, je l’ai vu arriver sans masque. Mais ça ne m’a pas marqué. Il avait un grand sourire. D’origine asiatique. La trentaine ou la quarantaine. Une doudoune jaune. Propre sur lui.

 

Le train est reparti. Il a commencé :

 

« Excusez-moi de vous solliciter (ou de vous déranger….) ».

 

Il a commencé comme un mendiant mais a bifurqué sur :

 

« Depuis deux ans, au moins (…..) Macron, quel bouffon ! (….) Respirez librement. Enlevez vos masques, vos muselières (….) ».

 

Il a expliqué qu’il s’adressait aux gens qui avaient éteint leur télé et « allumé » leur cerveau. Il a parlé de la peur qui permettait de nous faire accepter n’importe quoi.

 

« ça se met en place, gentiment… ». En face de moi, la femme assise près de la fenêtre, dans le sens de la marche, a levé les yeux au ciel lorsqu’elle entendu ça. Comme si elle se sentait mal.

 

Il a poursuivi :

 

« Il y a deux ans, si on nous avait dit : Pour aller au restaurant, il vous faut décliner votre identité, vous auriez dit : « Quoi ?! On est dans quel pays ?! En Corée du Nord ?! En Chine ?! ».

 

Pour conclure, il a dit :

 

« Je vais passer parmi vous pour recueillir vos sourires et vos encouragements… ».

Il est parti dans le sens opposé. Ce qui fait que je ne l’ai plus revu. La femme assise en face de moi s’est levée, puis, elle est partie aussi. Ils étaient peut-être amants. Il aura tout fait pour la faire revenir et ça aura marché.

 

Ils étaient à peine partis tous les deux que des contrôleurs sont arrivés. Je ne sais toujours pas quoi penser de cette coïncidence. Près de notre rangée, un contrôleur d’une quarantaine d’années, les cheveux courts, a fait claquer son brassard fluo de contrôleur autour de son biceps…comme un flic. Cela fait maintenant un ou deux ans que les contrôleurs ont ce genre de brassard. On sent bien que ce brassard a fait monter chez certains leur niveau de virilité mais aussi un certain sentiment d’invulnérabilité. Et c’est pareil chez les femmes contrôleuses.

 

Je n’ai rien contre les flics.

 

Très vite, deux des collègues du contrôleur lui ont fait signe, devant. Lui et peut-être un ou deux autres de ses collègues sont alors partis en renfort. J’ai cru à du répit. Mais après avoir réglé leur affaire, ils sont revenus cinq minutes plus tard :

« Contrôle de vos titres de transport, s’il vous plait ». Un de ses collègues plus jeunes a présenté sa machine afin que nous lui soumettions notre pass navigo. Il a dit bonjour à chacun d’entre nous. J’ai été le dernier à sortir mon pass navigo, déjà lassé par ce début de journée.

Gare de Paris St-Lazare, lundi 8 novembre 2021, au matin.

 

Sur le quai de la gare St Lazare, j’ai aperçu plusieurs contrôleurs qui entouraient un homme. Puis, alors que je suivais le flot des voyageurs, j’ai vu arriver, à contre-courant, plusieurs membres de la police ferroviaire dans leur tenue bleue. Ils longeaient le train.

Il était bientôt neuf heures du matin. Le trajet avait été plus long que d’habitude. Cela m’avait retardé.

 

Je ne vois pas encore très bien quel rapport ces différents événements pouvaient-ils avoir entre eux.

 

Franck Unimon, lundi 8 novembre 2021.

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Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Paris, au Châtelet

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

                          Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Chatelet, ce mois d’octobre 2021

C’est un petit peu une histoire de boulangerie. Non pas que je vous roule dans la farine. Mais parce qu’après une nuit de travail, il y a quelques jours, j’ai repris mon vélo pour bifurquer jusqu’à celle qui est ma boulangerie préférée. Mais aussi mon secret. Pour les croissants au beurre et les pains au chocolat. Je vous en dirai moins sur elle que « sur » Jay-Z et Beyoncé. Bien que je la connaisse davantage que ces deux-là. Je connais davantage l’image de Jay-Z et Beyoncé que ce qu’ils sont véritablement ou ont réalisé en tant qu’artistes, commerçants ou citoyens. C’est le propre des « stars» d’être beaucoup connues pour et par leur image à la suite d’un ou de plusieurs événements auxquels ils ont contribué ou participé. Par ailleurs, c’est sans doute souvent comme ça aussi :

 

On parle beaucoup mieux et plus longtemps de ce que l’on ne connaît pas. Ce que l’on connaît vraiment, c’est d’une telle évidence pour soi qu’on ne le mentionne que très rarement. Et puis, parler seulement de ce que l’on ne connaît pas permet de distraire celles et ceux qui nous regardent et nous écoutent tout en conservant nos secrets que ceux-ci voudraient pourtant peut-être bien connaître.

 

Après un passage dans « ma » boulangerie où tout est fait sur place, les pâtisseries originales, le pain avec de la farine de kamut, d’épeautre et les brioches, j’ai choisi de repasser devant le palais de la justice de l’île de la Cité. Nous avons un palais pour goûter les bonnes choses. Nous avons aussi des palais pour écouter, regarder, commenter, pleurer, endurer, juger et condamner.

Paris, 19 octobre 2021, au matin.

Pendant encore quelques semaines, tous les jours (même le samedi et le dimanche ?), quinze victimes des attentats islamistes du 13 novembre 2015 à Paris viendront témoigner.

Je suis déjà passé une première fois devant ce grand palais. Je suis ce matin-là repassé devant car j’ai le projet de venir assister au moins à une audience. Les tribunaux, comme mon travail d’infirmier en psychiatrie, sont ces endroits où l’envers des corps et des comportements nous montrent un autre monde que celui des jolies vitrines ou, parfois, des fortes poitrines qui nous attirent. Nous avons besoin de jolies vitrines. Du moins sommes-nous éduqués et entraînés pour rechercher pratiquement en exclusivité leur contact et leur proximité. Cela nous anime. Même si chaque fois que nous tombons un peu trop amoureuses et amoureux de nouvelles vitrines, nous nous éloignons toujours un peu plus de nos origines. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

J’avais passé la « frontière » le long de ces barrières de sécurité et des forces de police engagées et je me dirigeais vers Chatelet lorsque j’ai d’abord vu la grosse tête de Jay-Z. Je l’ai toujours trouvé moche. Le phénomène était amplifié avec les locks qu’il portait.

Jay-Z n’est pas le seul moche au monde et dans la vie qui, une fois qu’il a réussi, est devenu très beau et irrésistible. Cela fait au moins vingt ans que Jay-Z, maintenant, est devenu beau et irrésistible. Grâce à sa maestria dans le Rap. Aujourd’hui, on parle moins de lui qu’il y a dix ou quinze ans. Mais il fait partie de ces artistes bien implantés dans le décor. Avoir sa tête surdimensionnée sur une affiche gigantesque à Chatelet, en plein Paris, à quelques minutes à pied d’un tribunal où sont en train de se juger des attentats mondialement connus, n’est pas donné à n’importe qui ! Les personnages Vore et Tina/Reva du très bon film Border d’Ali Abassi ne bénéficieront jamais de tout cet éclairage public.

 

Même s’ils racontent une histoire qui a pu être celle de Jay-Z.

 

C’est de leur faute ! Ils n’avaient qu’à faire du Rap et à se sortir du lot !

 

Mais j’avais mal regardé. Sur l’affiche, Jay-Z n’est pas seul. A côté de lui, il y a Beyoncé. La belle Beyoncé. Sa femme ou sa compagne dans la vraie vie.

 

Une autre affiche, sur le côté, montre le couple autrement. Lui, Jay-Z, assis qui la regarde ou semble la regarder et elle, toute en formes, dans une longue robe noire près du corps, face à nous. Elle fait un peu « potiche », Beyoncé. Sauf que quelques indices nous dissuadent de le penser.

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

D’abord, Beyoncé est debout alors que lui, Jay-Z, est assis. Donc, elle le domine. Ensuite, en observant un peu mieux le « look » de Sieur Jay-Z mais aussi le fond de l’affiche, on comprend que nous sommes dans une reproduction d’un tableau du peintre Basquiat, d’origine haïtienne. Peintre mort avant ses trente ans et devenu célèbre. Madonna avait connu Basquiat et avait peut-être, ou sûrement, été un moment sa maitresse ou une de ses maitresses.

 

C’était il y a longtemps.

 

Avant que le Rap ne devienne ce qu’il est maintenant aux Etats-Unis et en France. Bien avant que le monde, et Chatelet, n’entendent parler de Jay-Z et de Beyoncé.

Basquiat, de son vivant, avait souffert du racisme. Les poches remplies du pétrole des billets de dollars, il s’attristait de ne pouvoir prendre simplement un taxi dans New-York. Les chauffeurs ne s’arrêtant pas parce qu’il était….noir comme le pétrole. 

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la Fondation Louis Vuitton.

 

 

Les locks portées par Jay-Z ont à voir avec celles que portaient Basquiat mais aussi avec celles portées par les Rastas. Si l’on parle des Rastas, alors, on parle du Reggae. De Bob Marley, bien-sûr, l’icône Reggae en occident et dans le monde (même Miles Davis avait joué un titre, My Man’s Gone now , en hommage à Bob Marley après la mort de celui-ci en 1981).

 

De Bob Marley, l’amateur fidèle de vitrines retient souvent qu’il était l’adepte d’un Peace & Love universel. Mais les titres de Bob Marley et le Reggae en général temporisent aussi des violences et des contestations.

 « Europeans stay in Europe and Africans rule Africa ! » avait pu chanter le groupe Black Uhuru dans son titre Wicked Act. Black Uhuru fut un court temps  supposé,  par la voix de Michaël Rose, pouvoir devenir ce qu’avait été Bob Marley. La référence du Reggae dans le monde. Mais le groupe n’a pas résisté à son succès. Et puis, une fois de plus, la musique a changé mais aussi la façon de l’écouter.

 

Le Reggae, mais aussi sa version Dub, est donc une musique qui a la particularité de mettre une bonne ambiance, détendue, faite de Ah-Ah-Ah, et de danse auto-berçante. Alors qu’elle chante souvent la tristesse, une mémoire traumatique, la colère et l’espoir. Le Rap, dans sa constitution et ses origines, lui devrait beaucoup.  Billie Eilish et Aurora ?  

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la fondation Louis Vuitton.

 

On est loin de se douter de ce qui compose le Reggae si on ne le sait pas. Ou si personne ne nous l’a raconté lorsque l’on peut voir, par exemple, un Tiken Jah Fakoly, « un ancien », danser sur sa musique.  Je me suis déjà  interrogé sur ce paradoxe qui consiste à danser et à créer une musique dansante pour parler de sujets graves. Mais c’est certainement seulement comme ça que ça peut « marcher » pour attirer et toucher un plus grand auditoire.

 

Danser et sourire

 

 

Presqu’autant que par la pauvreté, la faim, la douleur ou la peur, on devient infirme lorsque l’on devient inapte à danser, à rêver comme à sourire. Mais, au départ, on ne fait pas particulièrement attention à ça, lorsque l’on perd la faculté de danser, de rêver et de sourire ou que celle-ci diminue. Tant que l’on peut continuer à se déplacer de différentes façons et que l’on a à effectuer un certain nombre de tâches qui nous occultent. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

Ces deux grandes affiches de Jay-Z et de Beyoncé ne m’ont ni fait sourire ou danser. Du reste, elles ne sont pas là pour ça. J’ai fini par voir aussi que c’était une pub pour les bijoux Tiffany’s. Et, qui mieux que Beyoncé pouvait porter un collier de la joaillerie de luxe Tiffany’s ? Je n’imagine pas le même collier autour du cou de Jay-Z.

Jay-Z et Beyoncé font partie, depuis plusieurs années, des multimillionnaires. Moi, je fais partie des personnes qui ont régulièrement, depuis des années, un découvert bancaire. Aucun producteur, aucun artiste mais aussi aucune célébrité ou spécialiste de n’importe quel type n’a besoin de mes services. Ma vie et celle de Jay-Z et Beyoncé sont incomparables. Des bijoux de haute valeur, une réussite sociale, artistique et économique, sont des trophées de guerre pour celle ou celui qui, à l’origine, aurait dû se contenter de rester le témoin ou le spectateur des victoires sociales des autres. Avec cette pub, on est très loin du constat amer fait dans le film Retour à Reims de Jean-Gabriel Périot – d’après l’ouvrage de Didier Eribon- où la plus grande partie des personnes issues d’un milieu social modeste et moyen sabordent d’elles-mêmes leurs aptitudes et leurs ambitions. Jay-Z et Beyoncé ont su inverser le processus. Et, sur cette affiche, plus grande que l’endroit où j’habite,  lorsque l’on lève la tête, on voit donc deux pilotes d’essai qui se sont rendus aux bons endroits, au bon moment, avec les bonnes cargaisons, les bonnes munitions et les bonnes intuitions. Celles qui permettent de s’installer, d’être acceptés, de durer, et d’être recherchés pour des facultés particulières : des qualités artistiques et/ou une célébrité maintenue.

 

Ma sœur a néanmoins souligné le paradoxe de la perruque blonde pour Beyoncé. Elle que tant de jeunes femmes noires prennent pour modèle. 

 

Une mesquinerie entre filles, aussi, peut-être. Je n’avais pas remarqué cette perruque blonde. J’ai alors essayé d’expliquer que cette perruque blonde est une mise en scène. La perruque blonde, cela permet d’imiter et de se moquer de la femme parfaite, souvent blonde, dans l’idéal esclavagiste et raciste au moins américain :

« Regardez-moi, une femme noire, une descendante d’esclave ! Je suis devenue plus que votre égale maintenant. Je peux même poser sur ma tête l’attribut de votre féminité dont je fais un postiche si je le veux ».

 

J’ai ajouté que cette robe moulante qui met en avant les  formes désirables de l’assurée Beyoncé peut aussi vouloir dire aux hommes qui la « voudraient » qu’elle leur est incessible. Elle tient toute seule bien que sous le regard de Jay-Z, qui, malgré tout son génie (vu que le peintre Basquiat est désormais considéré comme un génie. Une exposition de ses œuvres s’est d’ailleurs tenue il y a environ deux ans dans la fondation….Louis Vuitton , voir Basquiat   et aussi L’exposition )      est un peu à la renverse devant elle.

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin décembre 2018, lors de l’exposition à la fondation Louis Vuitton.

 

Ma sœur n’a pas été très convaincue par mon analyse. Et, je ne vais pas me faire plus intelligent que je ne le suis. On peut projeter tout un tas d’intentions dans ce que l’on regarde et ce que l’on entend. On peut se raconter tout un monde qui n’existe pas, finalement. J’ai choisi le titre de cet article en mettant Jay-Z devant car si j’avais mis le prénom de Beyoncé au début, nous aurions buté un peu sur le son « B » de son prénom. ( J’avais d’abord intitulé cet article Jay-Z et Beyoncé…avant de finalement rajouter plusieurs plusieurs photos des oeuvres de Basquiat ainsi que son nom au titre). 

Alors qu’en mettant le son de Jay-Z, d’abord, ça glisse mieux. Je le précise en vue de répondre à d’éventuelles critiques « féministes » ultérieures de mon titre. Lorsque je serai « connu ».   

Bien-sûr, je n’ai pas pensé à tout ça, dehors, devant ces affiches. J’ai juste été happé par leur vision imprévue. On se rappelle qu’au début, tout ce que je voulais, c’était, après une nuit de travail, reprendre mon vélo, changer d’itinéraire afin de pouvoir retourner dans une boulangerie ; repasser devant le tribunal où se jugent les attentats du 13 novembre 2015. Puis, prendre mon train de banlieue afin de rentrer chez moi.  Je me suis trouvé subitement devant une image agrandie d’un rappeur que j’ai reconnu. Je me suis arrêté. J’ai pris des photos. Ensuite, le lendemain matin, je suis revenu pour reprendre en photo une de ces deux affiches sous un autre angle, le long de la Seine, car, la veille en retournant au travail par un trajet inhabituel, j’avais remarqué que l’on pouvait la voir différemment. Voici les faits. Peut-être que dans les jours qui viendront, je me ferais poser des rajouts pour avoir des locks ou adopterais-je une perruque blonde, ceci est une supposition. 

Paris, le 20 octobre 2021, le matin.

 

Franck Unimon, dimanche 24 octobre 2021.

 

 

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La Gare du Nord

                                                  La Gare du Nord

 

Elle est connue comme la plaque tournante de différents trafics. Un trafic, c’est l’endroit ou plusieurs mondes et diverses langues, croyances, histoires, pratiques et lois peuvent se rencontrer et se heurter beaucoup plus et bien plus rapidement qu’on ne le croit. Pour quelques secondes. Plusieurs heures, plusieurs mois, plusieurs années, pour toujours.

 

Malgré bien des efforts de rénovation, de ménage et de patrouilles policières, elle est sale et internationale. Elle est très pauvre et aussi très friquée. Elle sent l’urine et le stérile.  

 

Beaucoup est possible avec elle. Mais cela ne veut pas dire que cela sera facile pour autant. Car cela sera selon les conséquences de la correspondance que l’on y prendra. Certains aimeraient pouvoir l’étrangler. D’autres lui trouvent une toison particulière que les autres gares, plus hypocrites et plus soumises, n’ont pas.

 

Elle peut nous permettre de prendre le train pour l’étranger, pour la banlieue, d’aller jouir au loin. Dans toutes sortes de banlieues, des plus sensibles, des plus avantagées, des plus inaccessibles, aux plus mortes. Mais aussi de s’éloigner un peu plus du Paris chic.

 

Je n’aime pas particulièrement la gare du Nord mais elle me ramène en Ecosse, à Paris et à Marseille la même année. Certaines gares gardent ce pouvoir. Même si ensuite, la ligne s’enfuit ou disparaît, il nous reste l’attrait.

 

C’est au terminus d’une station de bus, à la Gare du Nord, que ce 1er septembre 2021, j’ai joint un ami qui habite maintenant à Bordeaux. A nos débuts, il vivait encore à Evreux. Et moi, à Cergy-Pontoise.

 

Nous nous sommes connus pendant notre service militaire dans un service de psychiatrie adulte où nous exercions notre fonction d’infirmier auprès d’appelés, de quelques civils et gradés.

Le syndrome anxio-dépressif et la tentative de suicide étaient une cause fréquente d’hospitalisation. Tel appelé parti au loin apprenait que sa copine le quittait. Tel autre, en vivant l’expérience de la séparation, de la vie militaire, entrait dans une des gares de la psychose. Un cuisinier se mettait à entendre des voix mais aussi à voir des choses. Sa hiérarchie militaire lui expliquait qu’avec un peu de volonté, il parviendrait à écumer tout ça. En changeant de mode de cuisson et de casserole. En trouvant d’autres ingrédients. Il faisait peut-être très bien la cuisine. Et, s’il partait, ses bons petits plats allaient manquer. Sauf que mon cher gradé, la psychose hallucinatoire obéit à d’autres commandements que ceux des plats en sauce et des voies ferrées militaires.

Un autre appelé était dans une torpeur, une dépression peut-être mélancolique, qui n’avait d’égal que la désolation dans laquelle se décomposait sa très jolie fiancée lors de ses visites. Avant son départ pour le service militaire, ils avaient prévu de se marier.

J’avais appris lors du transfert en province d’un grand patient ingénieur que le Largactil, c’était très bien car cela donnait de plus longues érections.

Je me rappelle aussi de ce patient schizophrène qui, de colère, avait balancé quelques objets saillants dans sa chambre. Son père nous avait dit : «  Il est sympa. Il faut juste lui parler ».

Il est vrai qu’une fois calmé, ce patient nous avait parlé de….Bourdieu et de son livre qui venait de sortir. La Misère du monde : La France parle. Un pavé que j’avais acheté et que je n’ai toujours pas pris le temps de lire près de trente ans plus tard.

 

Hier, mon ami de l’armée m’a dit avoir reçu des mauvaises nouvelles autour de lui récemment. On pourrait dire que ce sont des nouvelles du front. Parmi elles, un couple de ses amis, très en peine de réussir à enfanter, était enfin parvenu, grâce à une FIV, à procréer. Seulement, trois semaines avant l’accouchement, un examen venait de révéler que l’enfant à naître était porteur d’une atteinte cérébrale.

 

Aujourd’hui, ce 2 septembre 2021, c’est le jour officiel de la rentrée scolaire, du moins, en région parisienne. Chaque rentrée est une plaque tournante. Beaucoup est possible. Mais cela ne veut pas dire que cela sera facile pour autant.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 2 septembre 2021.

 

 

 

 

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Célébrités

 

                                                     Célébrités

Un jour, toutes ces personnes que j’ai aimées écouter,  regarder, ainsi que leurs œuvres. Qui m’ont guidé, protégé et aidé à me décider. Que j’ai souvent- ou toujours- placées au dessus de moi, de mes idées. Grâce auxquelles j’ai fait mes choix, me suis fâché, ai évolué.

 

Toutes ces personnes que je n’ai jamais rencontrées. Avec lesquelles je n’ai pas vécu. Auxquelles je ne me suis pas confronté. Toutes ces statues.

 

Toutes ces personnes, religieuses, politiques, artistes, intellectuelles, riches, charismatiques et belles, un jour, je m’apercevrai qu’elles n’ont pas existé. Et que, depuis le début, c’est moi et le plus grand nombre qui les avons fait vivre, rendus vibrants et exceptionnels. Elles, elles se sont présentées ou avait déjà été mises là par d’autres, avant nous, qui les avaient fait vivre, entretenues, et nous avaient ensuite passé le relais.

 

Sans toutes celles et tous ceux qui nous ont précédés et qui les ont fait vivre, il ne serait resté que des ruines ou quelques échos migratoires plus ou moins persistants.

 

C’est par ce genre de mystère que nous pouvons aussi réaliser certaines inventions. L’observation et l’imitation ne sont pas les seuls moyens dont nous disposons pour inventer. La projection, le fait de se protéger en l’autre, de confondre « Je » avec « toi » ou « Je » avec « nous », est un de nos plus grands pouvoirs.

 

Il nous distingue, pour l’instant, de beaucoup d’espèces. Grâce à lui nous pouvons nous diriger. Nous propulser dans l’espace et aussi ailleurs. Car il peut, aussi, nous rendre, très fous :

 

C’est à dire, connus du plus grand nombre.

 

Franck Unimon, dimanche 6 juin 2021. 

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Argenteuil Pour les Poissons Rouges

Avant de rentrer

 

                                                        Avant de rentrer

 

Avant de rentrer, j’ai passé quelques minutes dans la rue à remuer le ciel.

 

Je trouve que depuis le mois de mars, il y a, de nouveau, comme l’année dernière, une très belle luminosité dehors. Et, tout à l’heure près du boulevard où se trouve notre immeuble, en regardant vers la gare, le ciel était beau. Chargé de nuages et d’histoires. Clairsemé de liserés de lumière. Avec le soleil, qui, caché par les nuages, devenait lune.

Et les gens passaient à pied sans regarder pour aller à la gare. Les voitures tournaient. Les bus passaient. Pendant que d’autres personnes, debout, faisaient la queue devant le laboratoire d’analyses médicales.

 

Je me suis dit que c’était parce-que, nous, les êtres humains, nous sommes devenus incapables de faire attention à ce qui se passe dans le ciel, mais aussi de l’admirer, que nous sommes devenus malades. Que nous avons besoin de faire des analyses. Que nous avons besoin de toutes sortes de drogues. Que nous avons besoins de consoles de jeux.

 

J’ai profité de ces quelques minutes, dehors, à prendre des photos et à essayer de saisir le soleil. Même si, en soi, cette partie de la ville n’est pas jolie.

 

Car je me suis dit que tant que j’étais capable d’être content de moments pareils, que tout allait bien. Que je me portais encore suffisamment bien. Même si, je suis aussi régulièrement et souvent toutes ces personnes qui, en bien des circonstances, partent faire des analyses médicales. Prennent des drogues. Tournent dans leur voiture. Prennent le bus.

 

Sans regarder.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 30 avril 2021.

 

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Le défaut à la bouche

 

                                                 Le défaut à la bouche

 

Nous mourrons demain, c’est certain. Et, comme rien ne se meurt dans le bon pain, aujourd’hui, je suis parti assez loin piocher dans deux nouvelles boulangeries.

 

C’est mon beau-frère qui, un jour, a mis le doigt sur ma folie prélevée dans le pain. 

 

Pour du bon pain, moi qui en ai pourtant mangé de l’industriel pendant des années, je ferais des kilomètres. C’est comme avec le thé que j’avais pu boire longtemps au moyen de  sachets achetés en supermarché, aromatisés et très sucrés. Comme ces musiques aussi piquantes que ces moustiques que j’avais pu écouter en boucle. Ou tels ces films mal doublés en version française et ces émissions de mauvaise qualité qui avaient pu me fixer pendant des heures, m’insufflant leur testostérone histrionique, me laissant bouche bée,  la pensée desséchée et avec pour seule activité potentielle celle du chromosome préparant son naufrage.

 

Enfermé, mon monde s’ouvre par paliers.

 

Je trouve dans le pain, qu’il soit au levain ou non, une nouvelle forme de vie qui m’éloigne du gravier. Tout peut être prétexte pour en découvrir un nouveau et me faire l’atelier de sa découverte. Ce matin, après deux nuits de travail, c’était pour donner suite à un rendez-vous qu’on m’avait fixé à Nation.

 

Après ça, je suis parti à la recherche des deux inconnues. L’une, rue de la Chine, l’autre, avenue Gambetta. Le défaut à la bouche, viens,  que je te touche.

 

 

 

Il était plus de midi lorsque je me suis rapproché de la première, la boulangerie Pan Vivo. Trois auxiliaires fliquettes m’avaient devancé. Il ne restait plus beaucoup de pain. Une belle rangée, sur l’étage supérieur d’un chariot, était devancée du panneau «  réservé ». J’ai appris qu’il se préparait la fournée du lendemain.

 

Une des fliquettes a sursauté. Elle ne s’attendait pas à me trouver derrière elle. Elle ne m’avait pas entendu venir. Cela faisait une bonne minute que j’étais là. Qu’est-ce que cela aurait été si nous nous étions trouvés, seuls, elle et moi, dans une  partielle obscurité ?

 

Pour continuer de dédramatiser, je lui ai demandé quelle était la station de métro la plus proche. En regardant sur son smartphone, elle et ses collègues m’ont répondu qu’elles n’étaient pas du coin. Qu’elles étaient du 12 ème arrondissement. Elle est partie comme ça, captivée par son smartphone. Je croyais qu’elle se renseignait pour mon métro. Elle m’a quitté comme une miche.

 

Elle devait lire un sms ou avait peut-être reçu un Like sur un site de rencontres.

Régime pain sec.

 

Pour me consoler, j’ai pris une bonne livrée de pain de la veille vendue avec une réduction de 30 pour cent. Il y en avait pour deux kilos d’armature.

 

 

Le jeune vendeur à l’accent italien m’a dit que, de toute façon, enroulé dans des sacs en coton, il pouvait se garder cinq jours.

 

A l’autre boulangerie, La Gambette à pain, il y avait plus de choix. Mais il y avait aussi la queue. J’ai attendu mon tour dehors avant de pouvoir entrer. Il faisait froid aujourd’hui.

 

 

Une fois à l’intérieur, j’ai fait un festival. Je n’étais pas du coin. Je venais pour la première fois. Je venais de loin. Je n’allais pas me contenter d’une demie baguette de pain ou d’un croissant au beurre et repartir.

 

J’ai dû faire comprendre à l’employée que, non, je n’avais pas fini. J’avais encore d’autres articles à prendre.

 

 

Au final, je suis reparti avec deux sacs de pain et de viennoiserie.

 

 

 

 

 

Etoiles et toiles.

 

En descendant les marches. Tout en bas, le sandwich Kebab, dernier exemplaire, qui a été mon copieux déjeuner. Après ça, on reste sage et boire un verre d’eau suffit.

 

 

Puis, je me suis rabattu sur la station de métro Gambetta. Je me suis même permis de faire un passage dans un magasin de dvds et de blu-ray où j’étais passé il y a quelques années.

 

 

Mais je n’y ai pas trouvé le film que je cherchais. Le blu-ray du film MUD de Jeff Nichols.

 

Cette photo est ratée. On ne voit rien.

 

J’étais bien chargé dans le métro, avec mes deux sacs de pain, ma boite de pâtisseries. Mais j’étais assis. Le trajet a été assez rapide.

 

 

A la station Quatre-Septembre, à trois ou quatre stations de la gare St Lazare,  extinction des feux et petite voix :

 

« En raison de la présence d’une personne sur la voie ferrée, le trafic est momentanément interrompu sur la ligne 3 du métro….. ». Je me suis à nouveau fait confirmer que depuis bientôt deux mois, les incidents de toutes sortes se cumulent dans les transports en commun. J’ai vraiment bien fait d’opter pour un vélo pliant quand je me rends au travail. Mais j’en parlerai mieux dans ma rubrique Vélo Taffe.

 

Dans le métro, station Quatre-Septembre, s’ensuivent quelques minutes d’attente et de réflexion et la fin du suspense :

 

« Le trafic reprendra à 15h15 ». Il était 14h50. Je n’avais pas déjeuné ni fait ma sieste.

 

Sortir de la station, marcher jusqu’à une station de bus. Le prendre jusqu’à la gare St Lazare. Rien ne m’a détourné de l’arôme du bon pain. Car c’est une valeur refuge.

 

Nous sommes arrivés sains et saufs à domicile.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 5 mars 2021.

 

 

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Ton appel

 

 

                                                                  Ton appel

Je sais que tu n’appelleras pas. Il me reste suffisamment de lucidité. Mais je continuerai de m’en tenir au même emploi du temps. A attendre cet appel. Trois fois par semaine, à la même heure, je me posterai près de chez toi. Grâce au résultat d’une filature de précaution, je sais où. Je ferai très attention.  Si cela s’apprenait, ce serait le désastre.

 

Tout a commencé lorsque nous nous sommes rencontrés. C’était peut-être il y a des années maintenant. Au travail ou ailleurs. Cela n’a aucune d’importance. Il ne s’est rien passé ou dit de particulier.  Tu m’as sûrement oublié depuis comme d’autres avant toi car je fais partie du décor. J’ai simplement été sensible à ton aura. Mais impossible de l’expliquer. A toi comme à qui que ce soit. Je n’ai pas envie de déranger. Cela ne sert à rien d’essayer d’expliquer. Il faut séduire, c’est tout. Or, moi, je ne séduis pas.

 

D’autres ont déjà été enfermés pour des situations similaires à la mienne. Lorsqu’ils ont joué leur va-tout et se sont jetés à l’eau. Ils croyaient qu’on les écouterait, qu’on les accepterait.  Cela a été catastrophique ou ridicule. Ils se sont fait humilier.

 

Je n’ai pas cette naïveté. Moi, je me tais. Je ne me répands pas sur l’espace public. J’en fais une affaire privée. Personne ne peut me reprocher quoique ce soit tant que je reste à ma place. C’est ce que je fais. Je le fais très bien et tous les jours.  Depuis le temps, j’ai acquis une certaine expérience dans ce domaine. Tous les jours, je me polis et me rends irréprochable. Il n’y a que durant cette heure « avec » toi, où, enfin, je suis autrement.

 

Qu’est-ce je te trouve exactement ? Difficile à définir. Difficile à retenir. Je te trouve tout. C’est comme un rêve déclaré qui ne peut se soustraire à mes pensées. Cette heure avec toi, j’en fais mon affaire. Rien ne doit dépasser. Personne ne doit interférer. Pas même mes propres peurs. Alors, je prépare toujours tout à l’avance. Je m’entraine mentalement à revenir secrètement. Pour l’instant, tu ne vois rien, tu ne sens rien. Enfin, je ne crois pas et c’est aussi bien. C’est très bien comme ça, cette sorte d’entente sans conflit. On peut croire que l’absence de conflit est synonyme d’ennui. Pas pour moi. Je préfère rester dans mon coin telle une béquille posée contre un mur. Ou céder chaque fois que l’on veut que je me batte ou que l’on me contredit. Je n’ai rien à perdre et rien à prouver non plus. Je veux juste être tranquille avec toi de temps en temps. Et, pour ça, je veux pouvoir ne laisser aucune trace.  Après ça, le reste suivra puisque tout est réglé. Et qu’il suffit de s’en tenir à une routine consentie de part et d’autres. Avoir très peu d’ambition m’aide beaucoup. Cela m’évite bien des désillusions. Je ne suis pas comme toutes ces personnes qui attendent beaucoup chaque fois qu’elles entreprennent une action. Je me concentre seulement sur cette heure avec toi sur laquelle je veille comme s’il s’agissait d’une fleur qui pousse dans un pot. Je prends soin de la qualité de la terre, de l’eau que j’y mets. Mais aussi de la façon dont je la verse. Il faut être doux et parler délicatement. Sans brusquer. C’est un bercement de tout mon poids au dessus de toi. Pour l’instant, tu ne sens rien mais ça viendra. Tu verras.

 

Franck Unimon, ce mercredi 20 janvier 2021.

 

 

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Pour les Poissons Rouges

Le mec foireux

 

                                                Le mec foireux

Corps uniformes. Horaires chloroformes.

 

 

Pour réussir un projet, il faudra d’abord apprendre à se séparer du mec foireux, conduit incessant de problèmes dans lequel on finit par tomber sans pouvoir remonter. Ou  difficilement. Et seulement par les égouts.

 

Alors que vous ferez connaissance en toute décontraction, le mec foireux ne vous dira jamais, la voix suave et entêtante :

 

«  Je suis un mec ou une fille foireuse ».  D’abord parce qu’il estime avoir une vie normale. Ensuite, parce-que, comme tout le monde, il a besoin de compagnie.

 

Le mec foireux est intelligent et grand travailleur : il travaille à votre perte.

 

Souvent sympathique, vous vous attacherez facilement à lui quelle que soit sa composition :

 

Laine, cachemire, coton, papier toilette,  bois, soie, aqueux, huileux, gazeux, laiteux, synthétique ou plastique. Parce-que le mec foireux a beaucoup de charisme.

 

Si votre projet se résume à partir faire des courses sur le marché près de chez nous, vous pourrez emmener le mec foireux avec nous. Il surviendra bien une tonne d’incidents entre le moment où vous sortirez et rentrerez chez vous. Mais il y a de fortes chances pour que cela soit drôle. Et puis, le mec foireux a de la conversation. On s’ennuie rarement avec lui.

 

Lorsque des projets avancés se présenteront, le plus difficile sera de savoir s’éloigner de lui discrètement sans le vexer. Après tout ce temps passé ensemble.

 

Le mec foireux est très susceptible et a beaucoup de mémoire. La vengeance d’un mec foireux a tous les attributs de la sanction interplanétaire et héréditaire. D’ailleurs, le mec foireux est né à la suite d’une histoire qu’il trimballe vraisemblablement depuis plusieurs mythologies. Ou après d’officieuses et illégales manipulations génétiques- qui ont foiré- dont les auteurs n’ont jamais été identifiés avec certitude :

 

Divinités ? Grammairiens ? Mathématiciens ? Philosophes ? Médecins ? Artistes ? Escargots ? Spermatozoïdes ?

 

 

Le mec foireux peut être votre meilleur ami, votre conjoint ou votre conjointe. Un cousin ou une cousine. Mais il peut aussi être un très bon collègue, votre médecin votre patron….et, avant tout, vous-même. Parce-que là où le mec foireux excellera, ce sera en pédagogie pour bien vous faire comprendre que si tout a foiré et ne pouvait que foirer depuis le début, c’est à cause de vous.

 

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 21 février 2021.

 

 

 

 

 

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Tu ressembles à ça ?!

 

 

J’ai aperçu son visage grâce à la porte entre-ouverte de son bureau. C’était la première fois que je le voyais vraiment. Lui et tous les autres se connaissaient depuis des années. Mais, moi, le petit nouveau, je les découvrais tous à cette époque des masques. Cela faisait à peine un mois que j’étais avec eux, et ce que je voyais, c’étaient des yeux, des fronts, des cheveux et assez peu de visages sauf, bien-sûr, au moment des repas. Pour ceux que je partageais avec certaines et certains d’entre eux. Ou épisodiquement lors de certaines pauses.

 

Je devais avoir presque dix ans, lorsque je me suis avancé pour lui dire :

 

« Ah ? Tu ressembles à ça ?! ». Il était près de 19H. Comme la veille, pour débuter cette journée qui allait se terminer vers 20h, je m’étais levé à 5h50. Et, jusque là, tout s’était bien passé avec l’ensemble des personnes et des situations rencontrées.

 

Après avoir dit ça, je suis resté là, sur le seuil. Il était seul, assis derrière son bureau. Il n’avait pas l’air occupé. Quelques jours plus tôt, lors de notre première rencontre où il avait opté pour garder son masque alors que je déjeunais, ça s’était passé de façon détendue. J’avais fait de l’humour à propos de son refus de se découvrir. J’avais mentionné l’importance de préserver sa pudeur. Il l’avait bien pris.

 

Il a commencé à m’expliquer plutôt sérieusement qu’il s’était laissé pousser la moustache. C’était comme une sorte de confession que je ne demandais pas. J’ai compris qu’il n’était pas très satisfait du résultat. Mais qu’il avait fait de son mieux. Et puis, il a tiqué sur le terme : « Tu ressembles à ça ?! ». J’ai aussitôt récupéré toutes mes années. Je n’avais pas dix ans. J’étais dans mon nouvel emploi depuis à peine un mois. Et, j’y faisais connaissance avec un nouvel environnement ainsi qu’avec une bonne cinquantaine de nouvelles et de nouveaux collègues. Dès les débuts, j’avais déjà entendu parler de Radio Langue de pute, qui, ici, émettait sur bien des fréquences comme partout. Sauf qu’ici, les fréquences affleuraient davantage au grand jour. Le matin, un collègue qui terminait sa nuit, proche de la retraite, que je croisais pour la première fois, m’avait dit avec le sourire :

 

« J’ai entendu parler de toi. Tu verras, ici, c’est une petite famille…. (sous-entendu : tout se sait rapidement et les ragots sont fournis avec le wifi et la fibre optique intégrés) ».

 

Debout, de l’autre côté du bureau de ce nouveau collègue, je l’ai regardé buter sur ce que je venais de dire. Nos propos peuvent être bilingues ou trilingues. Mais il était trop tard pour que je me reprenne. Ni lui ni moi n’avions dix ans. Je savais pertinemment qu’isolé et pris au pied de la lettre, le terme « ça » pouvait être dégradant. Mais ce n’était pas mon intention en disant « ça ». Et le contexte avait aussi son importance :

 

Hormis nos proches et celles et ceux que nous connaissions déjà avant la pandémie du covid et l’épopée des masques que nous vivons depuis plusieurs mois, notre cerveau compose une certaine image avec le peu que nous voyons du visage des autres. Le décalage est fréquent mais il nous apprend quelque chose sur notre perception- imparfaite-  et immédiate de notre environnement.  Et ce n’est pas une histoire de manque d’intérêt.

 

Un peu plus tôt, ce jour-là, je crois, alors qu’elle déjeunait, j’avais vu de profil une personne que j’avais vue jusque là seulement de face. Mais que je connaissais uniquement porteuse d’un masque. En la voyant démasquée pour la première fois alors qu’elle mangeait devant moi, je m’étais demandé si c’était bien la même personne. Alors que je savais que c’était  elle ! Je pensais, pourtant, l’avoir plus d’une fois plus que que bien regardée :

 

Je l’avais rencontrée lors de mes trois entretiens de pré-embauche, elle comme moi portant notre masque.  Je la trouvais plutôt sympathique. Elle était désormais ma supérieure hiérarchique en chef.

 

 

Mais impossible de parler de ça à mon nouveau collègue. J’étais trop imbibé par ce qui était en train de se dérouler. D’autant qu’à deux reprises, pour essayer de désamorcer le malentendu, j’avais baissé mon propre masque et lui avais dit avec le sourire :

 

« Moi, je ressemble à ça ! ».

 

 A le voir continuer de régurgiter ma phrase « Tu ressembles à ça ?! », je me suis dit :

 

Soit cet homme, toute sa vie durant, a aspiré à s’élever socialement.

Soit, malgré son envergure, il a toujours eu une mauvaise image de lui. Et moi, le « jeune » nouveau  collègue, en moins de dix secondes, j’avais écrabouillé tout ça.

 

 

Je n’avais pas rêvé de lui  par la suite. Mais j’allais savoir assez vite lorsque je retournerais au travail si Radio Langue de pute avait lancé un avis de recherche à mon sujet. Ou si une vendetta était en cours me concernant.

 

Des histoires de vengeance peuvent se décider pour bien moins que ça.

 

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.

 

 

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Pour les Poissons Rouges

Pourtant, je ne lui voulais aucun mal.

 

 

Nous nous sommes revus tout à fait par hasard. J’ai été étonné mais aussi content de le revoir.

Je l’ai appelé par son prénom pour être sûr.

 

Félix ?

 

Il a approuvé, assis au milieu de deux ou trois inconnus.

Je me suis avancé vers lui. Ils n’existaient plus ou alors seulement comme assistants de cette rencontre.

 

Enthousiaste, j’ai débité le peu dont je me rappelais. Félix a souri. Son sourire était un feuilleté d’embarras, de sénilité et de surprise. C’était le sourire de celui qui regrettait. Pourtant, je ne lui voulais aucun mal. 

Félix regrettait, quinze ans plus tôt, d’avoir choisi de m’oublier. Alors que moi, je pouvais encore parler de la marque de sa voiture, du groupe de musique qu’il aimait écouter. Des prénoms de plusieurs femmes avec lesquelles il avait besognées. Là où il avait travaillé.

Mais, lui, il ne savait rien de moi.

Félix m’a appris être à la retraite depuis quatre ans. Ensuite, il m’a raccompagné prudemment vers la sortie. Pourtant, je ne lui voulais aucun mal. On l’a laissé faire.

Nous nous reverrons peut-être dans quinze ans. Et ce sera peut-être moi qui, ce jour-là, fermerai définitivement la porte derrière lui. Celle de l’oubli.

 

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.