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Une semaine qui commence bien

Gare d’Argenteuil, ce lundi 8 novembre 2021 au matin.

 

Une semaine qui commence bien

 

On l’oublie mais….il se passe toujours quelque chose. Je ne devais pas être dans ce train, ce matin. Cela s’est décidé tôt. Avant d’emmener la petite à l’école. Les vacances de la Toussaint étaient terminées.

 

Hier après-midi, j’étais allé voir l’adaptation au théâtre par Daniel Muret du film Garde à vue de Claude Miller. J’en reparlerai. Cette adaptation m’a peut-être influencé.

 

Même si j’avais déjà la volonté d’aller là où je suis allé bien avant ça.

 

Alors que je m’approchais de la gare d’Argenteuil, ce matin, le train omnibus arrivait. Je l’ai pris. Pour aller à Paris, au procès des attentats du 13 novembre 2015.

 

J’allais Ă©couter un podcast sur mon tĂ©lĂ©phone portable puis je me suis dit :

 

«  Non. Je vais prendre le temps de regarder les gens Â».

 

Une gare plus loin, je l’ai vu arriver sans masque. Mais Ă§a ne m’a pas marquĂ©. Il avait un grand sourire. D’origine asiatique. La trentaine ou la quarantaine. Une doudoune jaune. Propre sur lui.

 

Le train est reparti. Il a commencĂ© :

 

« Excusez-moi de vous solliciter (ou de vous dĂ©ranger….) Â».

 

Il a commencĂ© comme un mendiant mais a bifurquĂ© sur :

 

« Depuis deux ans, au moins (…..) Macron, quel bouffon ! (….) Respirez librement. Enlevez vos masques, vos muselières (….) Â».

 

Il a expliquĂ© qu’il s’adressait aux gens qui avaient Ă©teint leur tĂ©lĂ© et « allumĂ© Â» leur cerveau. Il a parlĂ© de la peur qui permettait de nous faire accepter n’importe quoi.

 

« Ă§a se met en place, gentiment… Â». En face de moi, la femme assise près de la fenĂŞtre, dans le sens de la marche, a levĂ© les yeux au ciel lorsqu’elle entendu ça. Comme si elle se sentait mal.

 

Il a poursuivi :

 

« Il y a deux ans, si on nous avait dit : Pour aller au restaurant, il vous faut dĂ©cliner votre identitĂ©, vous auriez dit : « Quoi ?! On est dans quel pays ?! En CorĂ©e du Nord ?! En Chine ?! Â».

 

Pour conclure, il a dit :

 

« Je vais passer parmi vous pour recueillir vos sourires et vos encouragements… Â».

Il est parti dans le sens opposé. Ce qui fait que je ne l’ai plus revu. La femme assise en face de moi s’est levée, puis, elle est partie aussi. Ils étaient peut-être amants. Il aura tout fait pour la faire revenir et ça aura marché.

 

Ils étaient à peine partis tous les deux que des contrôleurs sont arrivés. Je ne sais toujours pas quoi penser de cette coïncidence. Près de notre rangée, un contrôleur d’une quarantaine d’années, les cheveux courts, a fait claquer son brassard fluo de contrôleur autour de son biceps…comme un flic. Cela fait maintenant un ou deux ans que les contrôleurs ont ce genre de brassard. On sent bien que ce brassard a fait monter chez certains leur niveau de virilité mais aussi un certain sentiment d’invulnérabilité. Et c’est pareil chez les femmes contrôleuses.

 

Je n’ai rien contre les flics.

 

Très vite, deux des collègues du contrĂ´leur lui ont fait signe, devant. Lui et peut-ĂŞtre un ou deux autres de ses collègues sont alors partis en renfort. J’ai cru Ă  du rĂ©pit. Mais après avoir rĂ©glĂ© leur affaire, ils sont revenus cinq minutes plus tard :

« ContrĂ´le de vos titres de transport, s’il vous plait Â». Un de ses collègues plus jeunes a prĂ©sentĂ© sa machine afin que nous lui soumettions notre pass navigo. Il a dit bonjour Ă  chacun d’entre nous. J’ai Ă©tĂ© le dernier Ă  sortir mon pass navigo, dĂ©jĂ  lassĂ© par ce dĂ©but de journĂ©e.

Gare de Paris St-Lazare, lundi 8 novembre 2021, au matin.

 

Sur le quai de la gare St Lazare, j’ai aperçu plusieurs contrôleurs qui entouraient un homme. Puis, alors que je suivais le flot des voyageurs, j’ai vu arriver, à contre-courant, plusieurs membres de la police ferroviaire dans leur tenue bleue. Ils longeaient le train.

Il était bientôt neuf heures du matin. Le trajet avait été plus long que d’habitude. Cela m’avait retardé.

 

Je ne vois pas encore très bien quel rapport ces différents événements pouvaient-ils avoir entre eux.

 

Franck Unimon, lundi 8 novembre 2021.

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Jay-Z, Basquiat et Beyoncé à Paris, au Châtelet

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

                          Jay-Z, Basquiat et BeyoncĂ© Ă  Chatelet, ce mois d’octobre 2021

C’est un petit peu une histoire de boulangerie. Non pas que je vous roule dans la farine. Mais parce qu’après une nuit de travail, il y a quelques jours, j’ai repris mon vĂ©lo pour bifurquer jusqu’à celle qui est ma boulangerie prĂ©fĂ©rĂ©e. Mais aussi mon secret. Pour les croissants au beurre et les pains au chocolat. Je vous en dirai moins sur elle que « sur Â» Jay-Z et BeyoncĂ©. Bien que je la connaisse davantage que ces deux-lĂ . Je connais davantage l’image de Jay-Z et BeyoncĂ© que ce qu’ils sont vĂ©ritablement ou ont rĂ©alisĂ© en tant qu’artistes, commerçants ou citoyens. C’est le propre des « stars» d’être beaucoup connues pour et par leur image Ă  la suite d’un ou de plusieurs Ă©vĂ©nements auxquels ils ont contribuĂ© ou participĂ©. Par ailleurs, c’est sans doute souvent comme ça aussi :

 

On parle beaucoup mieux et plus longtemps de ce que l’on ne connaît pas. Ce que l’on connaît vraiment, c’est d’une telle évidence pour soi qu’on ne le mentionne que très rarement. Et puis, parler seulement de ce que l’on ne connaît pas permet de distraire celles et ceux qui nous regardent et nous écoutent tout en conservant nos secrets que ceux-ci voudraient pourtant peut-être bien connaître.

 

Après un passage dans « ma Â» boulangerie oĂą tout est fait sur place, les pâtisseries originales, le pain avec de la farine de kamut, d’épeautre et les brioches, j’ai choisi de repasser devant le palais de la justice de l’île de la CitĂ©. Nous avons un palais pour goĂ»ter les bonnes choses. Nous avons aussi des palais pour Ă©couter, regarder, commenter, pleurer, endurer, juger et condamner.

Paris, 19 octobre 2021, au matin.

Pendant encore quelques semaines, tous les jours (mĂŞme le samedi et le dimanche ?), quinze victimes des attentats islamistes du 13 novembre 2015 Ă  Paris viendront tĂ©moigner.

Je suis dĂ©jĂ  passĂ© une première fois devant ce grand palais. Je suis ce matin-lĂ  repassĂ© devant car j’ai le projet de venir assister au moins Ă  une audience. Les tribunaux, comme mon travail d’infirmier en psychiatrie, sont ces endroits oĂą l’envers des corps et des comportements nous montrent un autre monde que celui des jolies vitrines ou, parfois, des fortes poitrines qui nous attirent. Nous avons besoin de jolies vitrines. Du moins sommes-nous Ă©duquĂ©s et entraĂ®nĂ©s pour rechercher pratiquement en exclusivitĂ© leur contact et leur proximitĂ©. Cela nous anime. MĂŞme si chaque fois que nous tombons un peu trop amoureuses et amoureux de nouvelles vitrines, nous nous Ă©loignons toujours un peu plus de nos origines. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

J’avais passĂ© la « frontière Â» le long de ces barrières de sĂ©curitĂ© et des forces de police engagĂ©es et je me dirigeais vers Chatelet lorsque j’ai d’abord vu la grosse tĂŞte de Jay-Z. Je l’ai toujours trouvĂ© moche. Le phĂ©nomène Ă©tait amplifiĂ© avec les locks qu’il portait.

Jay-Z n’est pas le seul moche au monde et dans la vie qui, une fois qu’il a rĂ©ussi, est devenu très beau et irrĂ©sistible. Cela fait au moins vingt ans que Jay-Z, maintenant, est devenu beau et irrĂ©sistible. Grâce Ă  sa maestria dans le Rap. Aujourd’hui, on parle moins de lui qu’il y a dix ou quinze ans. Mais il fait partie de ces artistes bien implantĂ©s dans le dĂ©cor. Avoir sa tĂŞte surdimensionnĂ©e sur une affiche gigantesque Ă  Chatelet, en plein Paris, Ă  quelques minutes Ă  pied d’un tribunal oĂą sont en train de se juger des attentats mondialement connus, n’est pas donnĂ© Ă  n’importe qui ! Les personnages Vore et Tina/Reva du très bon film Border d’Ali Abassi ne bĂ©nĂ©ficieront jamais de tout cet Ă©clairage public.

 

Même s’ils racontent une histoire qui a pu être celle de Jay-Z.

 

C’est de leur faute ! Ils n’avaient qu’à faire du Rap et Ă  se sortir du lot !

 

Mais j’avais mal regardé. Sur l’affiche, Jay-Z n’est pas seul. A côté de lui, il y a Beyoncé. La belle Beyoncé. Sa femme ou sa compagne dans la vraie vie.

 

Une autre affiche, sur le cĂ´tĂ©, montre le couple autrement. Lui, Jay-Z, assis qui la regarde ou semble la regarder et elle, toute en formes, dans une longue robe noire près du corps, face Ă  nous. Elle fait un peu « potiche Â», BeyoncĂ©. Sauf que quelques indices nous dissuadent de le penser.

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

D’abord, BeyoncĂ© est debout alors que lui, Jay-Z, est assis. Donc, elle le domine. Ensuite, en observant un peu mieux le « look Â» de Sieur Jay-Z mais aussi le fond de l’affiche, on comprend que nous sommes dans une reproduction d’un tableau du peintre Basquiat, d’origine haĂŻtienne. Peintre mort avant ses trente ans et devenu cĂ©lèbre. Madonna avait connu Basquiat et avait peut-ĂŞtre, ou sĂ»rement, Ă©tĂ© un moment sa maitresse ou une de ses maitresses.

 

C’était il y a longtemps.

 

Avant que le Rap ne devienne ce qu’il est maintenant aux Etats-Unis et en France. Bien avant que le monde, et Chatelet, n’entendent parler de Jay-Z et de Beyoncé.

Basquiat, de son vivant, avait souffert du racisme. Les poches remplies du pĂ©trole des billets de dollars, il s’attristait de ne pouvoir prendre simplement un taxi dans New-York. Les chauffeurs ne s’arrĂŞtant pas parce qu’il Ă©tait….noir comme le pĂ©trole. 

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin dĂ©cembre 2018, lors de l’exposition Ă  la Fondation Louis Vuitton.

 

 

Les locks portĂ©es par Jay-Z ont Ă  voir avec celles que portaient Basquiat mais aussi avec celles portĂ©es par les Rastas. Si l’on parle des Rastas, alors, on parle du Reggae. De Bob Marley, bien-sĂ»r, l’icĂ´ne Reggae en occident et dans le monde (mĂŞme Miles Davis avait jouĂ© un titre, My Man’s Gone now , en hommage Ă  Bob Marley après la mort de celui-ci en 1981).

 

De Bob Marley, l’amateur fidèle de vitrines retient souvent qu’il était l’adepte d’un Peace & Love universel. Mais les titres de Bob Marley et le Reggae en général temporisent aussi des violences et des contestations.

 Â« Europeans stay in Europe and Africans rule Africa ! Â» avait pu chanter le groupe Black Uhuru dans son titre Wicked Act. Black Uhuru fut un court temps  supposĂ©,  par la voix de MichaĂ«l Rose, pouvoir devenir ce qu’avait Ă©tĂ© Bob Marley. La rĂ©fĂ©rence du Reggae dans le monde. Mais le groupe n’a pas rĂ©sistĂ© Ă  son succès. Et puis, une fois de plus, la musique a changĂ© mais aussi la façon de l’écouter.

 

Le Reggae, mais aussi sa version Dub, est donc une musique qui a la particularitĂ© de mettre une bonne ambiance, dĂ©tendue, faite de Ah-Ah-Ah, et de danse auto-berçante. Alors qu’elle chante souvent la tristesse, une mĂ©moire traumatique, la colère et l’espoir. Le Rap, dans sa constitution et ses origines, lui devrait beaucoup.  Billie Eilish et Aurora ?  

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin dĂ©cembre 2018, lors de l’exposition Ă  la fondation Louis Vuitton.

 

On est loin de se douter de ce qui compose le Reggae si on ne le sait pas. Ou si personne ne nous l’a racontĂ© lorsque l’on peut voir, par exemple, un Tiken Jah Fakoly, « un ancien Â», danser sur sa musique.  Je me suis dĂ©jĂ   interrogĂ© sur ce paradoxe qui consiste Ă  danser et Ă  crĂ©er une musique dansante pour parler de sujets graves. Mais c’est certainement seulement comme ça que ça peut « marcher Â» pour attirer et toucher un plus grand auditoire.

 

Danser et sourire

 

 

Presqu’autant que par la pauvretĂ©, la faim, la douleur ou la peur, on devient infirme lorsque l’on devient inapte Ă  danser, Ă  rĂŞver comme Ă  sourire. Mais, au dĂ©part, on ne fait pas particulièrement attention Ă  ça, lorsque l’on perd la facultĂ© de danser, de rĂŞver et de sourire ou que celle-ci diminue. Tant que l’on peut continuer Ă  se dĂ©placer de diffĂ©rentes façons et que l’on a Ă  effectuer un certain nombre de tâches qui nous occultent. 

Paris, 19 octobre 2021, le matin.

 

Ces deux grandes affiches de Jay-Z et de BeyoncĂ© ne m’ont ni fait sourire ou danser. Du reste, elles ne sont pas lĂ  pour ça. J’ai fini par voir aussi que c’était une pub pour les bijoux Tiffany’s. Et, qui mieux que BeyoncĂ© pouvait porter un collier de la joaillerie de luxe Tiffany’s ? Je n’imagine pas le mĂŞme collier autour du cou de Jay-Z.

Jay-Z et BeyoncĂ© font partie, depuis plusieurs annĂ©es, des multimillionnaires. Moi, je fais partie des personnes qui ont rĂ©gulièrement, depuis des annĂ©es, un dĂ©couvert bancaire. Aucun producteur, aucun artiste mais aussi aucune cĂ©lĂ©britĂ© ou spĂ©cialiste de n’importe quel type n’a besoin de mes services. Ma vie et celle de Jay-Z et BeyoncĂ© sont incomparables. Des bijoux de haute valeur, une rĂ©ussite sociale, artistique et Ă©conomique, sont des trophĂ©es de guerre pour celle ou celui qui, Ă  l’origine, aurait dĂ» se contenter de rester le tĂ©moin ou le spectateur des victoires sociales des autres. Avec cette pub, on est très loin du constat amer fait dans le film Retour Ă  Reims de Jean-Gabriel PĂ©riot – d’après l’ouvrage de Didier Eribon- oĂą la plus grande partie des personnes issues d’un milieu social modeste et moyen sabordent d’elles-mĂŞmes leurs aptitudes et leurs ambitions. Jay-Z et BeyoncĂ© ont su inverser le processus. Et, sur cette affiche, plus grande que l’endroit oĂą j’habite,  lorsque l’on lève la tĂŞte, on voit donc deux pilotes d’essai qui se sont rendus aux bons endroits, au bon moment, avec les bonnes cargaisons, les bonnes munitions et les bonnes intuitions. Celles qui permettent de s’installer, d’ĂŞtre acceptĂ©s, de durer, et d’ĂŞtre recherchĂ©s pour des facultĂ©s particulières : des qualitĂ©s artistiques et/ou une cĂ©lĂ©britĂ© maintenue.

 

Ma sĹ“ur a nĂ©anmoins soulignĂ© le paradoxe de la perruque blonde pour BeyoncĂ©. Elle que tant de jeunes femmes noires prennent pour modèle. 

 

Une mesquinerie entre filles, aussi, peut-être. Je n’avais pas remarqué cette perruque blonde. J’ai alors essayé d’expliquer que cette perruque blonde est une mise en scène. La perruque blonde, cela permet d’imiter et de se moquer de la femme parfaite, souvent blonde, dans l’idéal esclavagiste et raciste au moins américain :

« Regardez-moi, une femme noire, une descendante d’esclave ! Je suis devenue plus que votre Ă©gale maintenant. Je peux mĂŞme poser sur ma tĂŞte l’attribut de votre fĂ©minitĂ© dont je fais un postiche si je le veux Â».

 

J’ai ajoutĂ© que cette robe moulante qui met en avant les  formes dĂ©sirables de l’assurĂ©e BeyoncĂ© peut aussi vouloir dire aux hommes qui la « voudraient Â» qu’elle leur est incessible. Elle tient toute seule bien que sous le regard de Jay-Z, qui, malgrĂ© tout son gĂ©nie (vu que le peintre Basquiat est dĂ©sormais considĂ©rĂ© comme un gĂ©nie. Une exposition de ses Ĺ“uvres s’est d’ailleurs tenue il y a environ deux ans dans la fondation….Louis Vuitton , voir Basquiat   et aussi L’exposition )      est un peu Ă  la renverse devant elle.

Photo d’une des oeuvres de Basquiat, prise fin dĂ©cembre 2018, lors de l’exposition Ă  la fondation Louis Vuitton.

 

Ma sĹ“ur n’a pas Ă©tĂ© très convaincue par mon analyse. Et, je ne vais pas me faire plus intelligent que je ne le suis. On peut projeter tout un tas d’intentions dans ce que l’on regarde et ce que l’on entend. On peut se raconter tout un monde qui n’existe pas, finalement. J’ai choisi le titre de cet article en mettant Jay-Z devant car si j’avais mis le prĂ©nom de BeyoncĂ© au dĂ©but, nous aurions butĂ© un peu sur le son « B » de son prĂ©nom. ( J’avais d’abord intitulĂ© cet article Jay-Z et BeyoncĂ©…avant de finalement rajouter plusieurs plusieurs photos des oeuvres de Basquiat ainsi que son nom au titre). 

Alors qu’en mettant le son de Jay-Z, d’abord, ça glisse mieux. Je le prĂ©cise en vue de rĂ©pondre Ă  d’Ă©ventuelles critiques « fĂ©ministes » ultĂ©rieures de mon titre. Lorsque je serai « connu ».   

Bien-sĂ»r, je n’ai pas pensĂ© Ă  tout ça, dehors, devant ces affiches. J’ai juste Ă©tĂ© happĂ© par leur vision imprĂ©vue. On se rappelle qu’au dĂ©but, tout ce que je voulais, c’était, après une nuit de travail, reprendre mon vĂ©lo, changer d’itinĂ©raire afin de pouvoir retourner dans une boulangerie ; repasser devant le tribunal oĂą se jugent les attentats du 13 novembre 2015. Puis, prendre mon train de banlieue afin de rentrer chez moi.  Je me suis trouvĂ© subitement devant une image agrandie d’un rappeur que j’ai reconnu. Je me suis arrĂŞtĂ©. J’ai pris des photos. Ensuite, le lendemain matin, je suis revenu pour reprendre en photo une de ces deux affiches sous un autre angle, le long de la Seine, car, la veille en retournant au travail par un trajet inhabituel, j’avais remarquĂ© que l’on pouvait la voir diffĂ©remment. Voici les faits. Peut-ĂŞtre que dans les jours qui viendront, je me ferais poser des rajouts pour avoir des locks ou adopterais-je une perruque blonde, ceci est une supposition. 

Paris, le 20 octobre 2021, le matin.

 

Franck Unimon, dimanche 24 octobre 2021.

 

 

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La Gare du Nord

                                                  La Gare du Nord

 

Elle est connue comme la plaque tournante de différents trafics. Un trafic, c’est l’endroit ou plusieurs mondes et diverses langues, croyances, histoires, pratiques et lois peuvent se rencontrer et se heurter beaucoup plus et bien plus rapidement qu’on ne le croit. Pour quelques secondes. Plusieurs heures, plusieurs mois, plusieurs années, pour toujours.

 

MalgrĂ© bien des efforts de rĂ©novation, de mĂ©nage et de patrouilles policières, elle est sale et internationale. Elle est très pauvre et aussi très friquĂ©e. Elle sent l’urine et le stĂ©rile.  

 

Beaucoup est possible avec elle. Mais cela ne veut pas dire que cela sera facile pour autant. Car cela sera selon les conséquences de la correspondance que l’on y prendra. Certains aimeraient pouvoir l’étrangler. D’autres lui trouvent une toison particulière que les autres gares, plus hypocrites et plus soumises, n’ont pas.

 

Elle peut nous permettre de prendre le train pour l’étranger, pour la banlieue, d’aller jouir au loin. Dans toutes sortes de banlieues, des plus sensibles, des plus avantagées, des plus inaccessibles, aux plus mortes. Mais aussi de s’éloigner un peu plus du Paris chic.

 

Je n’aime pas particulièrement la gare du Nord mais elle me ramène en Ecosse, à Paris et à Marseille la même année. Certaines gares gardent ce pouvoir. Même si ensuite, la ligne s’enfuit ou disparaît, il nous reste l’attrait.

 

C’est au terminus d’une station de bus, à la Gare du Nord, que ce 1er septembre 2021, j’ai joint un ami qui habite maintenant à Bordeaux. A nos débuts, il vivait encore à Evreux. Et moi, à Cergy-Pontoise.

 

Nous nous sommes connus pendant notre service militaire dans un service de psychiatrie adulte où nous exercions notre fonction d’infirmier auprès d’appelés, de quelques civils et gradés.

Le syndrome anxio-dépressif et la tentative de suicide étaient une cause fréquente d’hospitalisation. Tel appelé parti au loin apprenait que sa copine le quittait. Tel autre, en vivant l’expérience de la séparation, de la vie militaire, entrait dans une des gares de la psychose. Un cuisinier se mettait à entendre des voix mais aussi à voir des choses. Sa hiérarchie militaire lui expliquait qu’avec un peu de volonté, il parviendrait à écumer tout ça. En changeant de mode de cuisson et de casserole. En trouvant d’autres ingrédients. Il faisait peut-être très bien la cuisine. Et, s’il partait, ses bons petits plats allaient manquer. Sauf que mon cher gradé, la psychose hallucinatoire obéit à d’autres commandements que ceux des plats en sauce et des voies ferrées militaires.

Un autre appelé était dans une torpeur, une dépression peut-être mélancolique, qui n’avait d’égal que la désolation dans laquelle se décomposait sa très jolie fiancée lors de ses visites. Avant son départ pour le service militaire, ils avaient prévu de se marier.

J’avais appris lors du transfert en province d’un grand patient ingénieur que le Largactil, c’était très bien car cela donnait de plus longues érections.

Je me rappelle aussi de ce patient schizophrène qui, de colère, avait balancĂ© quelques objets saillants dans sa chambre. Son père nous avait dit : «  Il est sympa. Il faut juste lui parler Â».

Il est vrai qu’une fois calmĂ©, ce patient nous avait parlĂ© de….Bourdieu et de son livre qui venait de sortir. La Misère du monde : La France parle. Un pavĂ© que j’avais achetĂ© et que je n’ai toujours pas pris le temps de lire près de trente ans plus tard.

 

Hier, mon ami de l’armée m’a dit avoir reçu des mauvaises nouvelles autour de lui récemment. On pourrait dire que ce sont des nouvelles du front. Parmi elles, un couple de ses amis, très en peine de réussir à enfanter, était enfin parvenu, grâce à une FIV, à procréer. Seulement, trois semaines avant l’accouchement, un examen venait de révéler que l’enfant à naître était porteur d’une atteinte cérébrale.

 

Aujourd’hui, ce 2 septembre 2021, c’est le jour officiel de la rentrée scolaire, du moins, en région parisienne. Chaque rentrée est une plaque tournante. Beaucoup est possible. Mais cela ne veut pas dire que cela sera facile pour autant.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 2 septembre 2021.

 

 

 

 

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Célébrités

 

                                                     CĂ©lĂ©britĂ©s

Un jour, toutes ces personnes que j’ai aimĂ©es Ă©couter,  regarder, ainsi que leurs Ĺ“uvres. Qui m’ont guidĂ©, protĂ©gĂ© et aidĂ© Ă  me dĂ©cider. Que j’ai souvent- ou toujours- placĂ©es au dessus de moi, de mes idĂ©es. Grâce auxquelles j’ai fait mes choix, me suis fâchĂ©, ai Ă©voluĂ©.

 

Toutes ces personnes que je n’ai jamais rencontrées. Avec lesquelles je n’ai pas vécu. Auxquelles je ne me suis pas confronté. Toutes ces statues.

 

Toutes ces personnes, religieuses, politiques, artistes, intellectuelles, riches, charismatiques et belles, un jour, je m’apercevrai qu’elles n’ont pas existé. Et que, depuis le début, c’est moi et le plus grand nombre qui les avons fait vivre, rendus vibrants et exceptionnels. Elles, elles se sont présentées ou avait déjà été mises là par d’autres, avant nous, qui les avaient fait vivre, entretenues, et nous avaient ensuite passé le relais.

 

Sans toutes celles et tous ceux qui nous ont précédés et qui les ont fait vivre, il ne serait resté que des ruines ou quelques échos migratoires plus ou moins persistants.

 

C’est par ce genre de mystère que nous pouvons aussi rĂ©aliser certaines inventions. L’observation et l’imitation ne sont pas les seuls moyens dont nous disposons pour inventer. La projection, le fait de se protĂ©ger en l’autre, de confondre « Je Â» avec « toi Â» ou « Je Â» avec « nous Â», est un de nos plus grands pouvoirs.

 

Il nous distingue, pour l’instant, de beaucoup d’espèces. Grâce Ă  lui nous pouvons nous diriger. Nous propulser dans l’espace et aussi ailleurs. Car il peut, aussi, nous rendre, très fous :

 

C’est à dire, connus du plus grand nombre.

 

Franck Unimon, dimanche 6 juin 2021. 

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Argenteuil Pour les Poissons Rouges

Avant de rentrer

 

                                                        Avant de rentrer

 

Avant de rentrer, j’ai passé quelques minutes dans la rue à remuer le ciel.

 

Je trouve que depuis le mois de mars, il y a, de nouveau, comme l’annĂ©e dernière, une très belle luminositĂ© dehors. Et, tout Ă  l’heure près du boulevard oĂą se trouve notre immeuble, en regardant vers la gare, le ciel Ă©tait beau. ChargĂ© de nuages et d’histoires. ClairsemĂ© de liserĂ©s de lumière. Avec le soleil, qui, cachĂ© par les nuages, devenait lune.

Et les gens passaient à pied sans regarder pour aller à la gare. Les voitures tournaient. Les bus passaient. Pendant que d’autres personnes, debout, faisaient la queue devant le laboratoire d’analyses médicales.

 

Je me suis dit que c’était parce-que, nous, les êtres humains, nous sommes devenus incapables de faire attention à ce qui se passe dans le ciel, mais aussi de l’admirer, que nous sommes devenus malades. Que nous avons besoin de faire des analyses. Que nous avons besoin de toutes sortes de drogues. Que nous avons besoins de consoles de jeux.

 

J’ai profité de ces quelques minutes, dehors, à prendre des photos et à essayer de saisir le soleil. Même si, en soi, cette partie de la ville n’est pas jolie.

 

Car je me suis dit que tant que j’étais capable d’être content de moments pareils, que tout allait bien. Que je me portais encore suffisamment bien. Même si, je suis aussi régulièrement et souvent toutes ces personnes qui, en bien des circonstances, partent faire des analyses médicales. Prennent des drogues. Tournent dans leur voiture. Prennent le bus.

 

Sans regarder.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 30 avril 2021.

 

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Pour les coquines et les coquins Pour les Poissons Rouges

Le défaut à la bouche

 

                                                 Le dĂ©faut Ă  la bouche

 

Nous mourrons demain, c’est certain. Et, comme rien ne se meurt dans le bon pain, aujourd’hui, je suis parti assez loin piocher dans deux nouvelles boulangeries.

 

C’est mon beau-frère qui, un jour, a mis le doigt sur ma folie prĂ©levĂ©e dans le pain. 

 

Pour du bon pain, moi qui en ai pourtant mangĂ© de l’industriel pendant des annĂ©es, je ferais des kilomètres. C’est comme avec le thĂ© que j’avais pu boire longtemps au moyen de  sachets achetĂ©s en supermarchĂ©, aromatisĂ©s et très sucrĂ©s. Comme ces musiques aussi piquantes que ces moustiques que j’avais pu Ă©couter en boucle. Ou tels ces films mal doublĂ©s en version française et ces Ă©missions de mauvaise qualitĂ© qui avaient pu me fixer pendant des heures, m’insufflant leur testostĂ©rone histrionique, me laissant bouche bĂ©e,  la pensĂ©e dessĂ©chĂ©e et avec pour seule activitĂ© potentielle celle du chromosome prĂ©parant son naufrage.

 

Enfermé, mon monde s’ouvre par paliers.

 

Je trouve dans le pain, qu’il soit au levain ou non, une nouvelle forme de vie qui m’éloigne du gravier. Tout peut être prétexte pour en découvrir un nouveau et me faire l’atelier de sa découverte. Ce matin, après deux nuits de travail, c’était pour donner suite à un rendez-vous qu’on m’avait fixé à Nation.

 

Après ça, je suis parti Ă  la recherche des deux inconnues. L’une, rue de la Chine, l’autre, avenue Gambetta. Le dĂ©faut Ă  la bouche, viens,  que je te touche.

 

 

 

Il Ă©tait plus de midi lorsque je me suis rapprochĂ© de la première, la boulangerie Pan Vivo. Trois auxiliaires fliquettes m’avaient devancĂ©. Il ne restait plus beaucoup de pain. Une belle rangĂ©e, sur l’étage supĂ©rieur d’un chariot, Ă©tait devancĂ©e du panneau «  rĂ©servĂ© Â». J’ai appris qu’il se prĂ©parait la fournĂ©e du lendemain.

 

Une des fliquettes a sursautĂ©. Elle ne s’attendait pas Ă  me trouver derrière elle. Elle ne m’avait pas entendu venir. Cela faisait une bonne minute que j’étais lĂ . Qu’est-ce que cela aurait Ă©tĂ© si nous nous Ă©tions trouvĂ©s, seuls, elle et moi, dans une  partielle obscuritĂ© ?

 

Pour continuer de dédramatiser, je lui ai demandé quelle était la station de métro la plus proche. En regardant sur son smartphone, elle et ses collègues m’ont répondu qu’elles n’étaient pas du coin. Qu’elles étaient du 12 ème arrondissement. Elle est partie comme ça, captivée par son smartphone. Je croyais qu’elle se renseignait pour mon métro. Elle m’a quitté comme une miche.

 

Elle devait lire un sms ou avait peut-être reçu un Like sur un site de rencontres.

Régime pain sec.

 

Pour me consoler, j’ai pris une bonne livrée de pain de la veille vendue avec une réduction de 30 pour cent. Il y en avait pour deux kilos d’armature.

 

 

Le jeune vendeur à l’accent italien m’a dit que, de toute façon, enroulé dans des sacs en coton, il pouvait se garder cinq jours.

 

A l’autre boulangerie, La Gambette Ă  pain, il y avait plus de choix. Mais il y avait aussi la queue. J’ai attendu mon tour dehors avant de pouvoir entrer. Il faisait froid aujourd’hui.

 

 

Une fois à l’intérieur, j’ai fait un festival. Je n’étais pas du coin. Je venais pour la première fois. Je venais de loin. Je n’allais pas me contenter d’une demie baguette de pain ou d’un croissant au beurre et repartir.

 

J’ai dû faire comprendre à l’employée que, non, je n’avais pas fini. J’avais encore d’autres articles à prendre.

 

 

Au final, je suis reparti avec deux sacs de pain et de viennoiserie.

 

 

 

 

 

Etoiles et toiles.

 

En descendant les marches. Tout en bas, le sandwich Kebab, dernier exemplaire, qui a Ă©tĂ© mon copieux dĂ©jeuner. Après ça, on reste sage et boire un verre d’eau suffit.

 

 

Puis, je me suis rabattu sur la station de métro Gambetta. Je me suis même permis de faire un passage dans un magasin de dvds et de blu-ray où j’étais passé il y a quelques années.

 

 

Mais je n’y ai pas trouvé le film que je cherchais. Le blu-ray du film MUD de Jeff Nichols.

 

Cette photo est ratée. On ne voit rien.

 

J’étais bien chargé dans le métro, avec mes deux sacs de pain, ma boite de pâtisseries. Mais j’étais assis. Le trajet a été assez rapide.

 

 

A la station Quatre-Septembre, Ă  trois ou quatre stations de la gare St Lazare,  extinction des feux et petite voix :

 

« En raison de la prĂ©sence d’une personne sur la voie ferrĂ©e, le trafic est momentanĂ©ment interrompu sur la ligne 3 du mĂ©tro….. Â». Je me suis Ă  nouveau fait confirmer que depuis bientĂ´t deux mois, les incidents de toutes sortes se cumulent dans les transports en commun. J’ai vraiment bien fait d’opter pour un vĂ©lo pliant quand je me rends au travail. Mais j’en parlerai mieux dans ma rubrique VĂ©lo Taffe.

 

Dans le mĂ©tro, station Quatre-Septembre, s’ensuivent quelques minutes d’attente et de rĂ©flexion et la fin du suspense :

 

« Le trafic reprendra Ă  15h15 Â». Il Ă©tait 14h50. Je n’avais pas dĂ©jeunĂ© ni fait ma sieste.

 

Sortir de la station, marcher jusqu’à une station de bus. Le prendre jusqu’à la gare St Lazare. Rien ne m’a détourné de l’arôme du bon pain. Car c’est une valeur refuge.

 

Nous sommes arrivés sains et saufs à domicile.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 5 mars 2021.

 

 

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Pour les Poissons Rouges

Ton appel

 

 

                                                                  Ton appel

Je sais que tu n’appelleras pas. Il me reste suffisamment de luciditĂ©. Mais je continuerai de m’en tenir au mĂŞme emploi du temps. A attendre cet appel. Trois fois par semaine, Ă  la mĂŞme heure, je me posterai près de chez toi. Grâce au rĂ©sultat d’une filature de prĂ©caution, je sais oĂą. Je ferai très attention.  Si cela s’apprenait, ce serait le dĂ©sastre.

 

Tout a commencĂ© lorsque nous nous sommes rencontrĂ©s. C’était peut-ĂŞtre il y a des annĂ©es maintenant. Au travail ou ailleurs. Cela n’a aucune d’importance. Il ne s’est rien passĂ© ou dit de particulier.  Tu m’as sĂ»rement oubliĂ© depuis comme d’autres avant toi car je fais partie du dĂ©cor. J’ai simplement Ă©tĂ© sensible Ă  ton aura. Mais impossible de l’expliquer. A toi comme Ă  qui que ce soit. Je n’ai pas envie de dĂ©ranger. Cela ne sert Ă  rien d’essayer d’expliquer. Il faut sĂ©duire, c’est tout. Or, moi, je ne sĂ©duis pas.

 

D’autres ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© enfermĂ©s pour des situations similaires Ă  la mienne. Lorsqu’ils ont jouĂ© leur va-tout et se sont jetĂ©s Ă  l’eau. Ils croyaient qu’on les Ă©couterait, qu’on les accepterait.  Cela a Ă©tĂ© catastrophique ou ridicule. Ils se sont fait humilier.

 

Je n’ai pas cette naĂŻvetĂ©. Moi, je me tais. Je ne me rĂ©pands pas sur l’espace public. J’en fais une affaire privĂ©e. Personne ne peut me reprocher quoique ce soit tant que je reste Ă  ma place. C’est ce que je fais. Je le fais très bien et tous les jours.  Depuis le temps, j’ai acquis une certaine expĂ©rience dans ce domaine. Tous les jours, je me polis et me rends irrĂ©prochable. Il n’y a que durant cette heure « avec Â» toi, oĂą, enfin, je suis autrement.

 

Qu’est-ce je te trouve exactement ? Difficile Ă  dĂ©finir. Difficile Ă  retenir. Je te trouve tout. C’est comme un rĂŞve dĂ©clarĂ© qui ne peut se soustraire Ă  mes pensĂ©es. Cette heure avec toi, j’en fais mon affaire. Rien ne doit dĂ©passer. Personne ne doit interfĂ©rer. Pas mĂŞme mes propres peurs. Alors, je prĂ©pare toujours tout Ă  l’avance. Je m’entraine mentalement Ă  revenir secrètement. Pour l’instant, tu ne vois rien, tu ne sens rien. Enfin, je ne crois pas et c’est aussi bien. C’est très bien comme ça, cette sorte d’entente sans conflit. On peut croire que l’absence de conflit est synonyme d’ennui. Pas pour moi. Je prĂ©fère rester dans mon coin telle une bĂ©quille posĂ©e contre un mur. Ou cĂ©der chaque fois que l’on veut que je me batte ou que l’on me contredit. Je n’ai rien Ă  perdre et rien Ă  prouver non plus. Je veux juste ĂŞtre tranquille avec toi de temps en temps. Et, pour ça, je veux pouvoir ne laisser aucune trace.  Après ça, le reste suivra puisque tout est rĂ©glĂ©. Et qu’il suffit de s’en tenir Ă  une routine consentie de part et d’autres. Avoir très peu d’ambition m’aide beaucoup. Cela m’évite bien des dĂ©sillusions. Je ne suis pas comme toutes ces personnes qui attendent beaucoup chaque fois qu’elles entreprennent une action. Je me concentre seulement sur cette heure avec toi sur laquelle je veille comme s’il s’agissait d’une fleur qui pousse dans un pot. Je prends soin de la qualitĂ© de la terre, de l’eau que j’y mets. Mais aussi de la façon dont je la verse. Il faut ĂŞtre doux et parler dĂ©licatement. Sans brusquer. C’est un bercement de tout mon poids au dessus de toi. Pour l’instant, tu ne sens rien mais ça viendra. Tu verras.

 

Franck Unimon, ce mercredi 20 janvier 2021.

 

 

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Le mec foireux

 

                                                Le mec foireux

Corps uniformes. Horaires chloroformes.

 

 

Pour rĂ©ussir un projet, il faudra d’abord apprendre Ă  se sĂ©parer du mec foireux, conduit incessant de problèmes dans lequel on finit par tomber sans pouvoir remonter. Ou  difficilement. Et seulement par les Ă©gouts.

 

Alors que vous ferez connaissance en toute dĂ©contraction, le mec foireux ne vous dira jamais, la voix suave et entĂŞtante :

 

«  Je suis un mec ou une fille foireuse Â».  D’abord parce qu’il estime avoir une vie normale. Ensuite, parce-que, comme tout le monde, il a besoin de compagnie.

 

Le mec foireux est intelligent et grand travailleur : il travaille Ă  votre perte.

 

Souvent sympathique, vous vous attacherez facilement Ă  lui quelle que soit sa composition :

 

Laine, cachemire, coton, papier toilette,  bois, soie, aqueux, huileux, gazeux, laiteux, synthĂ©tique ou plastique. Parce-que le mec foireux a beaucoup de charisme.

 

Si votre projet se résume à partir faire des courses sur le marché près de chez nous, vous pourrez emmener le mec foireux avec nous. Il surviendra bien une tonne d’incidents entre le moment où vous sortirez et rentrerez chez vous. Mais il y a de fortes chances pour que cela soit drôle. Et puis, le mec foireux a de la conversation. On s’ennuie rarement avec lui.

 

Lorsque des projets avancés se présenteront, le plus difficile sera de savoir s’éloigner de lui discrètement sans le vexer. Après tout ce temps passé ensemble.

 

Le mec foireux est très susceptible et a beaucoup de mĂ©moire. La vengeance d’un mec foireux a tous les attributs de la sanction interplanĂ©taire et hĂ©rĂ©ditaire. D’ailleurs, le mec foireux est nĂ© Ă  la suite d’une histoire qu’il trimballe vraisemblablement depuis plusieurs mythologies. Ou après d’officieuses et illĂ©gales manipulations gĂ©nĂ©tiques- qui ont foirĂ©- dont les auteurs n’ont jamais Ă©tĂ© identifiĂ©s avec certitude :

 

DivinitĂ©s ? Grammairiens ? MathĂ©maticiens ? Philosophes ? MĂ©decins ? Artistes ? Escargots ? SpermatozoĂŻdes ?

 

 

Le mec foireux peut être votre meilleur ami, votre conjoint ou votre conjointe. Un cousin ou une cousine. Mais il peut aussi être un très bon collègue, votre médecin votre patron….et, avant tout, vous-même. Parce-que là où le mec foireux excellera, ce sera en pédagogie pour bien vous faire comprendre que si tout a foiré et ne pouvait que foirer depuis le début, c’est à cause de vous.

 

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 21 février 2021.

 

 

 

 

 

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Tu ressembles à ça ?!

 

 

J’ai aperçu son visage grâce à la porte entre-ouverte de son bureau. C’était la première fois que je le voyais vraiment. Lui et tous les autres se connaissaient depuis des années. Mais, moi, le petit nouveau, je les découvrais tous à cette époque des masques. Cela faisait à peine un mois que j’étais avec eux, et ce que je voyais, c’étaient des yeux, des fronts, des cheveux et assez peu de visages sauf, bien-sûr, au moment des repas. Pour ceux que je partageais avec certaines et certains d’entre eux. Ou épisodiquement lors de certaines pauses.

 

Je devais avoir presque dix ans, lorsque je me suis avancĂ© pour lui dire :

 

« Ah ? Tu ressembles Ă  ça ?! Â». Il Ă©tait près de 19H. Comme la veille, pour dĂ©buter cette journĂ©e qui allait se terminer vers 20h, je m’étais levĂ© Ă  5h50. Et, jusque lĂ , tout s’était bien passĂ© avec l’ensemble des personnes et des situations rencontrĂ©es.

 

Après avoir dit ça, je suis resté là, sur le seuil. Il était seul, assis derrière son bureau. Il n’avait pas l’air occupé. Quelques jours plus tôt, lors de notre première rencontre où il avait opté pour garder son masque alors que je déjeunais, ça s’était passé de façon détendue. J’avais fait de l’humour à propos de son refus de se découvrir. J’avais mentionné l’importance de préserver sa pudeur. Il l’avait bien pris.

 

Il a commencĂ© Ă  m’expliquer plutĂ´t sĂ©rieusement qu’il s’était laissĂ© pousser la moustache. C’était comme une sorte de confession que je ne demandais pas. J’ai compris qu’il n’était pas très satisfait du rĂ©sultat. Mais qu’il avait fait de son mieux. Et puis, il a tiquĂ© sur le terme : « Tu ressembles Ă  ça ?! Â». J’ai aussitĂ´t rĂ©cupĂ©rĂ© toutes mes annĂ©es. Je n’avais pas dix ans. J’étais dans mon nouvel emploi depuis Ă  peine un mois. Et, j’y faisais connaissance avec un nouvel environnement ainsi qu’avec une bonne cinquantaine de nouvelles et de nouveaux collègues. Dès les dĂ©buts, j’avais dĂ©jĂ  entendu parler de Radio Langue de pute, qui, ici, Ă©mettait sur bien des frĂ©quences comme partout. Sauf qu’ici, les frĂ©quences affleuraient davantage au grand jour. Le matin, un collègue qui terminait sa nuit, proche de la retraite, que je croisais pour la première fois, m’avait dit avec le sourire :

 

« J’ai entendu parler de toi. Tu verras, ici, c’est une petite famille…. (sous-entendu : tout se sait rapidement et les ragots sont fournis avec le wifi et la fibre optique intĂ©grĂ©s) Â».

 

Debout, de l’autre cĂ´tĂ© du bureau de ce nouveau collègue, je l’ai regardĂ© buter sur ce que je venais de dire. Nos propos peuvent ĂŞtre bilingues ou trilingues. Mais il Ă©tait trop tard pour que je me reprenne. Ni lui ni moi n’avions dix ans. Je savais pertinemment qu’isolĂ© et pris au pied de la lettre, le terme « Ă§a Â» pouvait ĂŞtre dĂ©gradant. Mais ce n’était pas mon intention en disant « Ă§a Â». Et le contexte avait aussi son importance :

 

Hormis nos proches et celles et ceux que nous connaissions dĂ©jĂ  avant la pandĂ©mie du covid et l’épopĂ©e des masques que nous vivons depuis plusieurs mois, notre cerveau compose une certaine image avec le peu que nous voyons du visage des autres. Le dĂ©calage est frĂ©quent mais il nous apprend quelque chose sur notre perception- imparfaite-  et immĂ©diate de notre environnement.  Et ce n’est pas une histoire de manque d’intĂ©rĂŞt.

 

Un peu plus tĂ´t, ce jour-lĂ , je crois, alors qu’elle dĂ©jeunait, j’avais vu de profil une personne que j’avais vue jusque lĂ  seulement de face. Mais que je connaissais uniquement porteuse d’un masque. En la voyant dĂ©masquĂ©e pour la première fois alors qu’elle mangeait devant moi, je m’étais demandĂ© si c’était bien la mĂŞme personne. Alors que je savais que c’était  elle ! Je pensais, pourtant, l’avoir plus d’une fois plus que que bien regardĂ©e :

 

Je l’avais rencontrĂ©e lors de mes trois entretiens de prĂ©-embauche, elle comme moi portant notre masque.  Je la trouvais plutĂ´t sympathique. Elle Ă©tait dĂ©sormais ma supĂ©rieure hiĂ©rarchique en chef.

 

 

Mais impossible de parler de ça Ă  mon nouveau collègue. J’étais trop imbibĂ© par ce qui Ă©tait en train de se dĂ©rouler. D’autant qu’à deux reprises, pour essayer de dĂ©samorcer le malentendu, j’avais baissĂ© mon propre masque et lui avais dit avec le sourire :

 

« Moi, je ressemble Ă  ça ! Â».

 

 A le voir continuer de rĂ©gurgiter ma phrase « Tu ressembles Ă  ça ?! Â», je me suis dit :

 

Soit cet homme, toute sa vie durant, a aspiré à s’élever socialement.

Soit, malgrĂ© son envergure, il a toujours eu une mauvaise image de lui. Et moi, le « jeune Â» nouveau  collègue, en moins de dix secondes, j’avais Ă©crabouillĂ© tout ça.

 

 

Je n’avais pas rĂŞvĂ© de lui  par la suite. Mais j’allais savoir assez vite lorsque je retournerais au travail si Radio Langue de pute avait lancĂ© un avis de recherche Ă  mon sujet. Ou si une vendetta Ă©tait en cours me concernant.

 

Des histoires de vengeance peuvent se décider pour bien moins que ça.

 

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.

 

 

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Pourtant, je ne lui voulais aucun mal.

 

 

Nous nous sommes revus tout à fait par hasard. J’ai été étonné mais aussi content de le revoir.

Je l’ai appelé par son prénom pour être sûr.

 

Félix ?

 

Il a approuvé, assis au milieu de deux ou trois inconnus.

Je me suis avancé vers lui. Ils n’existaient plus ou alors seulement comme assistants de cette rencontre.

 

Enthousiaste, j’ai dĂ©bitĂ© le peu dont je me rappelais. FĂ©lix a souri. Son sourire Ă©tait un feuilletĂ© d’embarras, de sĂ©nilitĂ© et de surprise. C’était le sourire de celui qui regrettait. Pourtant, je ne lui voulais aucun mal. 

Félix regrettait, quinze ans plus tôt, d’avoir choisi de m’oublier. Alors que moi, je pouvais encore parler de la marque de sa voiture, du groupe de musique qu’il aimait écouter. Des prénoms de plusieurs femmes avec lesquelles il avait besognées. Là où il avait travaillé.

Mais, lui, il ne savait rien de moi.

Félix m’a appris être à la retraite depuis quatre ans. Ensuite, il m’a raccompagné prudemment vers la sortie. Pourtant, je ne lui voulais aucun mal. On l’a laissé faire.

Nous nous reverrons peut-être dans quinze ans. Et ce sera peut-être moi qui, ce jour-là, fermerai définitivement la porte derrière lui. Celle de l’oubli.

 

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.