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Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

 » Danser, c’est prendre subitement en dĂ©goĂ»t tout ce qui empĂȘche de danser »

 » J’aimerais que l’une de mes chansons revienne, dans quelques annĂ©es, de l’oubli ou des malentendus (…) Faire danser les gens, longtemps aprĂšs ma mort. La vanitĂ© des vanitĂ©s. Comme ce serait consolant ».

 » Je n’allais pas bien. J’avais quarante et un ans et m’enlisais. Certes, je travaillais dans la plus grosse boite d’Europe, au Cap’tain, en Belgique. Mais ma musique pĂąlissait, elle devenait minimale, sans Ăąme, la mĂ©lodie n’existait plus. Que n’aurais-je donnĂ© pour renouer avec des Ă©motions simples ! Je rĂȘvais de compositions, de mes propres chansons, mais tout m’en empĂȘchait. Me manquaient le courage, l’argent, la chance. Je vivais seul, dans une maison qu’un Ă©crivain de jadis  eut appelĂ© masure (….) j’Ă©tais un mec Ă  la jeunesse enfuie (…..) sans aucune confiance en lui, odieusement, furieusement, maladivement mĂ©lancolique ».

C’est ce qu’a pu Ă©crire Fred Rister dans son livre Faire Danser les gens que j’avais lu cet Ă©tĂ©. En juillet, je crois. Je m’Ă©tais dit que j’en parlerais ainsi que d’autres de mes lectures. Et puis, je suis parti « ailleurs ».

Je ne connaissais pas Fred Rister avant de tomber sur ce livre Ă  la mĂ©diathĂšque. Je « connaissais »  de nom David Guetta avec lequel il a composĂ© plusieurs tubes ces dix ou quinze derniĂšres annĂ©es.

L’ancien prĂ©sident de la RĂ©publique Jacques Chirac est mort hier ou avant hier et l’on va beaucoup nous en parler et nous en reparler. Et nous expliquer comme il Ă©tait attachant et comment, avec sa mort, nous avons tous beaucoup perdu en mĂȘme temps qu’un ĂȘtre exceptionnel.

Bien des hommages Ă  certains dĂ©funts « cĂ©lĂšbres » me donnent l’impression d’ĂȘtre principalement destinĂ©s Ă  nous convaincre comme, nous, les ordinaires, nous avons des vies de merde comparĂ©es Ă  tous ces  » Monsieur » et toutes ces « Dame » qui partent. Car c’est bien connu :  » Seuls les meilleurs s’en vont ».

Alors, ce matin, plutĂŽt que de pleurer sur la mort de Jacques Chirac ou d’une autre personnalitĂ©- qui aura souvent principalement Ă©tĂ© obsĂ©dĂ©e par sa rĂ©ussite personnelle- que l’on nous sortira bientĂŽt de son dernier souffle,  je choisis de faire un hommage tardif Ă  Fred Rister, dĂ©cĂ©dĂ© dans la cinquantaine, le 20 aout dernier, d’un cancer vraisemblablement. Je n’ai pas vĂ©rifiĂ©. Mais en lisant son livre, j’avais appris qu’il avait commencĂ© Ă  se battre contre le cancer alors qu’il avait une vingtaine d’annĂ©es.

AprĂšs avoir lu son livre cet Ă©tĂ©, et donc vraisemblablement quelques semaines avant sa mort, j’avais eu envie de le contacter. De l’interviewer. C’Ă©tait Ă©videmment dĂ©ja trop tard et dĂ©placĂ©. Mais certains Ă©crits m’ont dĂ©ja donnĂ© cette envie.

Je n’aime pas particuliĂšrement ce que j’ai pu entendre, pour l’instant, de la musique de David Guetta. Mais j’avais Ă©tĂ© trĂšs touchĂ© par le livre simple et sincĂšre de Fred Rister. Bien qu’il laissera sĂ»rement moins de souvenirs que le livre sur la techno Ă©crit par Laurent Garnier, autre DJ français Ă  la renommĂ©e internationale.

C’est en rĂ©Ă©coutant bien fort un Cd du groupe Tabou Combo que je mets ce matin la derniĂšre touche Ă  cet article. La musique de Tabou Combo, le Kompa, n’a au dĂ©part rien Ă  voir a priori avec l’univers musical de Fred Rister, David Guetta, Laurent Garnier et de leurs inspirateurs, contemporains et successeurs.

 

En ce moment, j’écoute beaucoup le quadruple album du groupe Tabou Combo (Gold) empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque. C’est une façon pour moi de retrouver des titres que j’ai pu entendre enfant dans les soirĂ©es antillaises (baptĂȘmes, mariages, repas familiaux
) oĂč mon pĂšre nous emmenait et dont j’ignorais les titres. Et de les rĂ©Ă©couter avec mes oreilles d’adulte d’aujourd’hui et amateur de musiques. Depuis hier au moins, je reste « bloqué » sur les titres Allo et Banboch Paramount.

DĂšs le premier titre du premier Cd ( Tu as volĂ© ) de cet album, j’ai Ă©tĂ© Ă©patĂ© par le haut niveau musical de Tabou Combo. Comme on dit : « ça joue ! ».

J’ai aussitĂŽt compris pourquoi ce groupe de musique, ainsi que d’autres formations haĂŻtiennes, dominait le champ musical aux Antilles françaises dans les annĂ©es70 et 80 jusqu’à ce qu’arrive le Zouk et des groupes comme Kassav’ au milieu des annĂ©es 80 Kassav’ .

 

Mais l’autre point qui me marque en Ă©coutant cet album de Tabou Combo est d’ordre sociologique, culturel, identitaire et sans doute religieux.

La musique de Tabou Combo s’inspire au moins des formations Jazz, Funk, rap, ou latines.  J’ai appris cette semaine que Tabou Combo a par exemple Ă©tĂ© trĂšs populaire voire l’est encore
.au Panama !

La musique de Tabou Combo est donc plutĂŽt cosmopolite et mĂ©tissĂ©e.  C’est pourtant une musique noire, voire sauvage et Ă©bouriffĂ©e, au sens oĂč c’est le corps qui est mis Ă  l’honneur avec la danse, le rythme et la durĂ©e des morceaux. Et que l’on s’y exprime principalement en CrĂ©ole. Soit le contraire de la plus grande partie des tubes de variĂ©tĂ© française des annĂ©es 70 et 80 qui Ă©taient moins faits pour danser et pour entrer en transe. Imaginez-vous en train de danser sur des titres de Sheila, Ringo, Julien Clerc, Charles Aznavour, Mireille Matthieu, Demi Roussos, Alain Souchon, Johnny halliday, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Daniel Balavoine…

Que la transe soit nĂ©anmoins possible avec ces artistes pour leurs fervents amateurs, je peux le concevoir. Je prĂ©cise en outre que j’aime un certain nombre de titres de ces artistes. Mais danser sur leur musique….

 

Alors que les groupes comme Tabou Combo composent des titres pour faire danser les gens tout au long de la nuit et de la vie. Et, ça, c’est plus antillais et noir, africain, noir amĂ©ricain ou latin
qu’europĂ©en, cartĂ©sien, « Macronien » ou « Hollandais » et blanc.

Du moins, ça l’Ă©tait particuliĂšrement dans les annĂ©es 70 et 80.

 

En France, si je dois penser Ă  des artistes qui faisaient danser les gens dans les annĂ©es 70 et 80, je trouve qui ? Claude François. C’est peut-ĂȘtre pour cette raison ( et cette explication parviendra peut-ĂȘtre enfin Ă  me dĂ©barrasser d’une de mes hontes enfantines dĂ©finitives ) que Claude François, Ă  sa mort Ă  la fin des annĂ©es 70, Ă©tait mon chanteur « prĂ©fĂ©ré ».

 

Aujourd’hui, et cela s’est Ă  nouveau vĂ©rifiĂ© Ă  Ă  la fĂȘte de l’Huma il y a quelques jours, il suffit de mettre le titre Alexandrie, Alexandra de Claude François pour que des gens se mettent aussitĂŽt Ă  danser. Maintenant qu’il est mort, peut-ĂȘtre Fred Rister connaĂźtra-t’il aussi l’honneur d’avoir des vivants qui dansent sur sa musique et qui continueront de le faire.

 

 

On rĂ©pĂšte souvent que les Noirs ont « la musique dans le sang » ou « dans la peau ». Et des Noirs le pensent eux-mĂȘmes. C’est tellement valorisant. Je pense pourtant que c’est faux. La musique est surtout un fait culturel qui se transmet de gĂ©nĂ©ration en gĂ©nĂ©ration.  Autrement, comme l’aurait dit Desproges, il suffirait que chaque fois qu’un Noir passe Ă  cĂŽtĂ© d’un DjembĂ©, fut-il en vitrine, il se mette Ă  jouer du Tam-Tam ou de la guitare basse comme Mozart a composĂ© de la musique. Je peux en tĂ©moigner :

J’ai essayĂ© de prendre des cours de guitare basse il y a plusieurs annĂ©es. MalgrĂ© le trĂšs bon professeur que j’avais et toute la musique Ă©coulĂ©e dans mon corps dĂšs mon enfance, je n’ai jamais rĂ©ussi Ă  ĂȘtre le musicien extraordinaire que je rĂȘvais d’ĂȘtre et ne le serai jamais. Je le regrette encore amĂšrement. Quant Ă  la danse, on me prĂȘte peut-ĂȘtre certaines aptitudes mais je sais, pour ma part, que le langage de ma danse est limitĂ© et stĂ©rĂ©otypĂ©.  D’ailleurs, pour tout cela, j’en profite pour vous prĂ©senter Ă  vous ainsi qu’à l’HumanitĂ© toute entiĂšre, mes plus humbles excuses car j’ai failli.

 

Je pourrais ĂȘtre trĂšs raciste et de mauvaise foi et dire que tout est Ă©videmment de la faute de mon professeur (blanc) de guitare basse, cet « incapable »  dont la pĂ©dagogie Ă©tait incompatible avec mon « gĂ©nie » musical nĂšgre. Mais mĂȘme si l’on est douĂ© pour elle, la musique nĂ©cessite travail et rĂ©gularitĂ©. Et j’avais manquĂ© au moins de travail et de rĂ©gularitĂ© dans ma tentative d’apprentissage pratique de la guitare basse dĂ©butĂ©e tardivement Ă  l’ñge adulte.

 

Je crois au fait que la musique, dans certaines cultures et certains milieux sociaux, est une fĂȘte et une promotion du corps en mĂȘme temps qu’un Ă©vĂ©nement social alors que dans d’autres cultures et dans certains milieux sociaux, il est honteux de « bouger », de transpirer, de crier ou de faire «bouger » son corps et ses attributs sexuels en public mĂȘme s’ils sont recouverts de vĂȘtements. C’est Ă©videmment une façon diffĂ©rente de vivre avec son corps et sa sexualitĂ©. LĂ  oĂč certains dogmes sociaux et culturels dĂ©cident d’interdire et de limiter le dĂ©placement et les Ă©lans des corps, derniĂšres marches avant l’orgasme, la transe, la « rĂ©vĂ©lation » ou la rĂ©volution, d’autres dogmes, lors de certains rituels sociaux, leur commandent de dĂ©montrer et d’exhiber leur endurance, leur harmonie, leur puissance et leur sensualitĂ©. Car il s’agit sĂ»rement de montrer comme on est un bon parti pour une nuit ou pour la vie.

 

Il y a bientĂŽt deux ans maintenant, au conservatoire d’Argenteuil oĂč j’accompagnais ma fille Ă  son cours d’initiation Ă  la danse, au chant et Ă  la musique, j’avais entendu un petit de l’Ăąge de ma fille demander Ă  voix haute Ă  sa mĂšre s’ils avaient dansĂ© son pĂšre et elle Ă  leur mariage. La maman, souriant d’ĂȘtre interpellĂ©e publiquement de cette façon par son fils, lui avait rĂ©pondu, comme une Ă©vidence, que, non, ils n’avaient pas dansĂ© lors de leur mariage. Je suis persuadĂ© que l’on peut faire et vivre un trĂšs beau mariage sans danser. Mais je suis aussi tout autant persuadĂ© qu’il est inconcevable pour un Antillais que la musique et la danse soient absentes de son mariage ou de tout Ă©vĂ©nement particulier de sa vie. J’ai encore un peu honte vingt ans plus tard d’avoir trĂšs mal choisi le DJ qui avait animĂ© la soirĂ©e d’un de mes pots de dĂ©part. Je suis sĂ»rement le seul Ă  me rappeler de cette erreur de casting.

Et il y avait bien-sĂ»r de la musique et de l’espace pour danser Ă  mon mariage. Au prĂ©alable, j’avais pris soin de constituer moi-mĂȘme la liste des titres et de la transmettre au DJ afin qu’il la passe.

Et, si j’avais pu financiĂšrement, j’aurais fait venir un groupe de Gro-Ka. En Bretagne.

 

Et je garde encore un souvenir trĂšs mitigĂ© de cette connaissance alors en couple avec un Antillais. Cette femme m’avait appris ne pas aimer la musique antillaise. Ce qui Ă©tait son droit. En revanche, sa remarque suivante m’avait froissĂ© alors qu’elle constatait, avec un certain dĂ©dain victorieux :

« Maintenant, il a compris : il écoute au casque ! ».

 

Je crois qu’Ă  partir des annĂ©es 80 et 90, sans doute avec l’apport des musiques « noires », en particulier de la Techno et de la house de Detroit et de Chicago, mais aussi de la musique africaine et du Zouk, le rapport Ă  la musique et Ă  la danse s’est transformĂ© et un peu plus « ouvert » en France  :

Bien avant cela, il y avait Ă©videmment dĂ©ja des Blancs qui dansaient et aimaient danser ou en avaient besoin. On sait nous citer et nous remĂ©morer par exemple les Fred Astaire et les Gene Kelly et d’autres artistes tels Ninjinsky et tous leurs prĂ©dĂ©cesseurs en Europe.

DĂ©sormais, des musiques comme la Salsa, le Zouk, le Kompa, le Hip-Hop, le Ragga, la Rumba congolaise, le M’balax, le RaĂŻ, le Maloya et bien d’autres « autrefois » plus considĂ©rĂ©es comme des genres « ethniques » rĂ©servĂ©s aux non-blancs sont plus dansĂ©es- et Ă©coutĂ©es- par les Blancs. Et dans une interview, l’un des membres du groupe Justice peut dire de façon dĂ©contractĂ©e que le Rap fait partie des musiques qu’il Ă©coute. Il y a quarante ans, il n’Ă©tait peut-ĂȘtre pas nĂ© ou seulement depuis peu, le mĂȘme n’aurait pas pu dire ça : en France,  Le Rap Ă©tait plutĂŽt la musique Ă©coutĂ©e par  des jeunes en colĂšre qui avaient du mal Ă  se faire accepter de la sociĂ©tĂ© française et des Ă©lites installĂ©es ( comme Jacques Chirac et d’autres) et refusaient de se laisser dominer par elles.

 

A la fĂȘte de l’Huma il y’a bientĂŽt dix jours, avant sa venue sur scĂšne, le groupe Kassav’ comme le 11 Mai dernier Ă  la DĂ©fense ( Un Moon France en Concert) , a « mis » un titre du groupe Akiyo, un groupe de « tambours » de rĂ©fĂ©rence en Guadeloupe et que je n’ai jamais « vu » en public.

A la fĂȘte de l’Huma( Quelques photos de la fĂȘte de l’Huma 2019) ,  SonjĂ© (rappelle-toi/ N’oublie pas) le premier titre de Kassav’ interprĂ©tĂ© sur scĂšne rappelait cette Ă©poque (sans doute en Afrique, donc, avant l’esclavage mais aussi lors de l’esclavage aux Antilles ) oĂč la communautĂ©, toutes gĂ©nĂ©rations confondues, dansait et vivait autour du Tambour dans une certaine unitĂ©.

Je ne crois pas l’avoir entendu mentionnĂ© dans leur chanson mais lors d’un enterrement, aux Antilles, la musique est prĂ©sente. Et des anecdotes sur la dĂ©funte ou le dĂ©funt peuvent aussi ĂȘtre racontĂ©es.

 

J’aime Ă©crire et dire que mon pĂšre m’a racontĂ© qu’un de mes cousins Ă©loignĂ©s du cĂŽtĂ© maternel, Marcel Lollia dit VĂ©lo, Ă©tait allĂ© jouer Ă  l’enterrement d’un de ses amis mĂȘme si, au dĂ©part, les personnes endeuillĂ©es voyaient cela d’un mauvais Ɠil. SĂ»rement parce-que ça faisait « mauvais genre », qu’il prĂ©sentait mal (VĂ©lo est mort pauvre, alcoolique et quasi SDF alors qu’il avait une cinquantaine d’annĂ©es) et aussi parce qu’il Ă©tait venu avec son tambour plutĂŽt qu’avec une tenue vestimentaire protocolaire.

 

Egalement en Guadeloupe, Ă  la mort de ma grand-mĂšre maternelle, j’avais appris qu’un de mes cousins avait jouĂ© du Ka.

 

Pour extraordinaires qu’elles soient, ces deux histoires me semblent complĂštement normales. Pourtant, si je reviens un peu Ă  moi et que je prends quelques secondes pour les regarder depuis une perspective de citadin «parisien » rationnel et lambda, ce que je suis aussi, je m’aperçois qu’elles auraient de quoi apparaĂźtre encore « exotiques » ou «bizarres » pour certains esprits pourvus d’une autre logique et d’autres « principes » face Ă  la vie et Ă   la mort. MĂȘme si depuis les annĂ©es 90 Ă  peu prĂšs, le rapport Ă  la danse et Ă  la musique a changĂ© en France, cela est vrai pour une certaine partie de la population française :

 

Les Ă©vĂ©nements festifs cet Ă©tĂ© Ă  Nantes qui se sont mal terminĂ©s ( avec un affrontement avec les forces de l’ordre et plusieurs noyĂ©s dont un, Steve,  dans des circonstances trĂšs douteuses) indiquent quand mĂȘme que la musique et la fĂȘte peinent aussi difficilement Ă  coexister avec les AutoritĂ©s de notre pays et certaines et certains en province mais aussi Ă  Paris.

 

 

Il demeure nĂ©anmoins : depuis longtemps, pour moi, lors d’un enterrement, l’absence de musique et de rires est pire que la mort elle-mĂȘme.

 

En Ă©coutant cet album de Tabou Combo depuis quelques jours, groupe que j’ai entendu depuis mon enfance en France et en Guadeloupe, je comprends donc mieux (lĂ  oĂč je le subissais principalement jusqu’alors) ce dĂ©calage culturel Ă©vident qui existait et subsiste encore entre moi, ce monde dont je viens, et certains de mes amis, amies, copains, copines et collĂšgues blancs et français jusqu’au bout du corps, des oreilles et des ongles de façon assez « traditionnelle » ou « conventionnelle ». Surtout s’ils restaient et restent cantonnĂ©s Ă  leurs repĂšres culturels et musicaux souvent faits de musique anglo-saxonne ou de titres exclusivement français, musiques et titres, qu’un mĂ©tis culturel comme moi (mais aussi bon nombre de mes compatriotes aux Antilles) ingĂ©raient trĂšs tĂŽt et continuent d’ingĂ©rer par ailleurs en parallĂšle.

 

 

A parler musique, j’ai une anecdote pour illustrer Ă  la fois ce dĂ©calage et cette fermeture d’esprit d’ordre culturel de certains de nos amies et amis français et blancs  » traditionnels » ou « conventionnels » en dĂ©pit de leur sincĂšre  amitiĂ© pour nous, les Noirs, les autres, les diffĂ©rents ou les fous de France :

 

L’annĂ©e derniĂšre ou cette annĂ©e, un de mes amis m’a proposĂ© d’aller avec lui Ă  un concert de musique. La place de concert Ă©tait trĂšs chĂšre. Et c’est sans doute ce qui m’a d’emblĂ©e fait reculer mĂȘme si j’aime beaucoup cet ami et aurais Ă©tĂ© volontaire pour aller Ă©couter en concert cet artiste dont j’aime plusieurs titres :

La place de concert Ă©tait en moyenne Ă  70 euros.

 

Cet ami avait dĂ©jĂ  achetĂ© sa place. Et, il s’y rendait avec au moins une autre personne qui avait dĂ©jĂ  Ă©galement sa place de concert. Alors que j’écris cet article, j’oublie le nom de cet artiste qui a fait partie des Pink Floyd. Cet «oubli» vient sans doute du fait que cette anecdote m’a finalement permis de me rendre compte , l’annĂ©e de mes 50 ans, que j’avais rĂ©guliĂšrement vĂ©cu ce genre de situation en France :

OĂč, moi, le Français noir, le Français d’origine antillaise, le NĂ©gropolitain, le Moon France (Moon France ), le Bounty, Le NĂšgre volant non identifiĂ© ( selon certaines dĂ©finitions « affectueuses » de mes compatriotes pour les Antillais  nĂ©s comme moi en France) je peux me faire Ă  la musique et Ă  une langue d’ailleurs ( distincte de celle de mes ancĂȘtres et de mes origines) et la faire mienne tout en gardant celle que m’ont donnĂ©e mes parents tandis que mes amis « blancs », eux, s’abstiennent de faire la mĂȘme dĂ©marche vers mon univers musical. Et culturel.

 

Et, Ă  propos de cet ami, je m’étais avisĂ© que si je pouvais, moi, me rendre au concert qu’il me proposait et y prendre plaisir, lui, ne viendrait jamais avec moi Ă  un concert de Kassav’ ou de Zouk. La diffĂ©rence, pour moi, ne provient pas seulement du fait que certaines personnes vont avant tout Ă  un concert de musique pour la « cĂ©rĂ©braliser » lĂ  ou d’autres y vont avant tout ou principalement pour danser et chanter. Je suis moi-mĂȘme trĂšs cĂ©rĂ©bral.

 

La diffĂ©rence provient selon moi aussi du fait que certaines personnes, noires ou blanches, sont plus ouvertes que d’autres tout simplement. Pour certaines personnes, aller vers un certain inconnu, musical ou autre, revient trĂšs vite Ă  aller se risquer dans un coupe-gorge en dents de scie ou Ă  aller Ă  la rencontre de fous dangereux en libertĂ© dans un asile psychiatrique. Car, Ă©videmment, si l’on peut aimer se rendre Ă  un concert pour danser et chanter, on peut tout aussi bien ĂȘtre aussi celle ou celui qui sera content(e ) d’aller Ă©couter, assis, de la musique classique ou une musique qui ne « se danse pas » et ne se chante pas. Un peu plus haut dans cet article, je brocarde un peu certains artistes français majeurs. Mais si j’avais pu me rendre, j’aurais aimĂ© me rendre Ă  un concert de Johnny Halliday. Je me suis abstenu de le faire sur la fin de sa carriĂšre car j’ai refusĂ© de me rendre Ă  un de ses concerts pour le voir en minuscule sur grand Ă©cran parmi une foule plus que nombreuse. Et, si j’avais la disponibilitĂ© pour cela, j’aurais la curiositĂ© d’aller voir la plupart des autres artistes ( pour celles et ceux qui sont encore vivants) que j’ai citĂ©s avec lui.

 

Je fais partie de ces personnes qui peuvent se rendre Ă  un concert pour dĂ©couvrir une artiste ou un artiste que je ne connaĂźs pas ou que je  n’ai jamais entendu. Au mĂȘme titre qu’en allant voir un film, je veux en savoir le moins possible sur l’histoire.

 

Je ne connaissais pas Brigitte Fontaine avant d’ĂȘtre emmenĂ© par une amie Ă  un de ses concerts au Bataclan il y a une quinzaine d’annĂ©es. D’autres personnes auraient eu la mĂȘme curiositĂ© et la mĂȘme disponibilitĂ© que moi, blanches ou noires. Alors que d’autres s’y seraient catĂ©goriquement opposĂ©es. Il aurait presque fallu leur proposer une prĂ©pa concert avec une cellule de dĂ©briefing Ă  la sortie. Et c’était plusieurs annĂ©es avant le trĂšs douloureux attentat « du » Bataclan.

 

Dans la mĂȘme idĂ©e, je n’avais jamais Ă©coutĂ© le moindre titre de Joe Bonamassa lorsque Christophe Goffette, mon ancien rĂ©dacteur en chef de Brazil et Ă©galement rĂ©dacteur en chef, alors, du magazine musical XCrossroads m’avait permis de me rendre Ă  un de ses concerts Ă  Paris. J’avais dĂ©couvert l’artiste sur scĂšne, donc dans les meilleures conditions, en me rendant seul Ă  son concert. Au trĂšs grand plaisir de cette dĂ©couverte (je me rĂ©pĂšte) musicale avait rĂ©pondu l’attitude Ă©tonnante d’un des spectateurs assis juste Ă  cĂŽtĂ© de moi.

Alors que j’avais voulu converser civilement avec lui, celui-ci, dĂšs l’extinction des lumiĂšres dans la salle, au dĂ©but du concert, avait rabattu avec autoritĂ© sur son visage une paire de lunettes noires. Et, il avait arborĂ© l’air sĂ©rieux et butĂ© de celui qui n’était pas lĂ  pour rigoler ou discuter. Cette attitude Ă©trange, mettre des lunettes noires dans une salle dĂ©jĂ  noire, et plutĂŽt hautaine de façon dĂ©placĂ©e (Ps : la musique de Joe Bonamassa et sa façon de chanter doivent beaucoup au Blues)  m’avait informĂ© que cet homme qui se tenait prĂšs de moi Ă©tait plutĂŽt du genre (trĂšs) fermĂ© sur lui-mĂȘme. Ce qui ne m’avait pas empĂȘchĂ© d’aimer le trĂšs bon concert de Joe Bonamassa. MĂȘme si, ensuite, ses albums que j’ai Ă©coutĂ©s m’ont fait moins d’effet.

 

Aujourd’hui, en France, les AngĂšle, Aya Nakamura, Soprano et autres artistes peuvent ĂȘtre Ă©coutĂ©s par un public variĂ©, adulte comme enfant.  Notre fille nous a surpris rĂ©cemment Ă  chantonner Balance ton quoi d’AngĂšle Ă  la maison. Depuis, j’ai fait une rĂ©servation sur cet album pour l’emprunter prochainement Ă  la mĂ©diathĂšque. Et, rĂ©cemment, j’ai Ă©tonnĂ© une « jeune » de vingt ans en lui apprenant que j’avais achetĂ© le dernier Cd d’Aya Nakamura et que je regrettais de l’avoir ratĂ©e Ă  la fĂȘte de l’Huma.

Moi, le quinquagĂ©naire, je continue de prendre le temps- et le plaisir- de dĂ©couvrir et d’écouter de nouveaux artistes « connus » ou « populaires », en France ou ailleurs, au mĂȘme titre qu’un morceau de musique classique, de musique perse, de Zouk ou d’autres genres musicaux. La pile de Cds que je continue d’emprunter rĂ©guliĂšrement Ă  la mĂ©diathĂšque en atteste. Ainsi que les films que je vais voir pour reparler (un peu) cinĂ©ma.

 

MĂȘme si j’ai Ă©videmment, aussi, mes standards, la musique est ce qui me permet de rester jeune.

 

Je me rappelle de cette rencontre que deux amis (JĂ©rome et Driss) et moi avions faites, avant nos vingt ans, Ă  la radio FIP oĂč nous nous Ă©tions prĂ©sentĂ©s comme ça, un jour.

 

L’animateur radio qui avait eu la gentillesse de nous recevoir quelques minutes dans leur local de vinyles (des Ă©tagĂšres pleines de vinyles) avait dit Ă  un de ses collĂšgues qui allait partir en voyage :

 

« N’oublie pas la musique ! ».

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 septembre 2019.

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