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Je me suis couchĂ© un peu tard cette nuit. AprĂšs deux heures du matin. Ce matin, dans mon lit, je me le suis trĂšs vite reprochĂ©. Jâaimerais faire tellement. Reprendre la lecture de tel livre commencĂ©e il y a plus de deux mois avant que la pandĂ©mie du Covid-19 ne colonise une grande partie de nos pensĂ©es et de nos Ă©motions. Continuer de faire le tri dans des magazines que jâai depuis 2017 et mĂȘme avant. Faire mes Ă©tirements. Aller acheter des fruits et des lĂ©gumes. Passer voir mon vĂ©lo pour vĂ©rifier si la roue arriĂšre est restĂ©e gonflĂ©e depuis la derniĂšre fois afin de pouvoir reprendre mon vĂ©lo, rassurĂ©, ce soir, pour me rendre Ă mon travail. Ce qui nĂ©cessitera plus dâune heure de vĂ©lo Ă lâaller.
Ma compagne et notre fille Ă©taient parties lorsque je me suis levĂ© environ trente minutes plus tard. Jâai commencĂ© par mes Ă©tirements. A jeun. Comme ça, jâĂ©tais sĂ»r de les faire.
Hier soir, je me suis couchĂ© tard parce-que je suis restĂ© regarder des images de combats. Le combat Georges Foreman/ Muhammad Ali dont jâavais entendu parler, enfant, et sur lequel jâavais lu et aussi vu un trĂšs bon documentaire, When we were kings.
Jâai aussi lu le rĂ©sumĂ© de la biographie de lâacteur Donnie Yen que jâavais dĂ©couvert dans Hero peut-ĂȘtre. Et que je redĂ©couvre dans des extraits de Ip-Man. Bruce Lee, Scott Adkins, Jacky Chan, Jet Li, Van Damme, Chuck Norris, Tony Jaa, Amy Johnston, quelques combats de MMAâŠ. Jâai regardĂ© ou revu des extraits de leurs films. Ainsi que des dĂ©monstrations de Self-DĂ©fense.
Jâai aussi regardĂ© des extraits dâinterviews dâanciens membres du GIGN, mais aussi de StĂ©phane Bourgoin, spĂ©cialiste des tueurs en sĂ©rie que jâavais interviewĂ© deux fois, qui mâavait particuliĂšrement dĂ©niaisĂ© concernant les tueurs en sĂ©rie, et quâun article du Monde de ce 21 avril soupçonne dâĂȘtre un affabulateur.
A ces images de combats et de mort, jâavais prĂ©fĂ©rĂ© des images dâhumoristes au cours de la journĂ©e ou un ou deux jours plus tĂŽt : Mustafa El Atrassi, Bill Burr, Bun Hay Mean, Haroun, Louis C.K. Il faut bien se dĂ©tendre avant un combat ou entre deux combats. MĂȘme si lâon y participe uniquement en tant que⊠spectateur.
Je nâai pas la carriĂšre de combattant ou dâhumoriste quâidĂ©alement, je souhaiterais, aurais souhaitĂ© ou ai pu souhaiter avoir. Pour arriver au niveau de ces humoristes, combattants et ex- intervenants du GIGN, et des autres que je nâai pas citĂ©s, il faut gĂ©nĂ©ralement commencer tĂŽt, souvent avant ses 10 ans, cumuler des heures et des heures et des annĂ©es dâentraĂźnement, donner de sa personne, et, Ă ce que je comprends, cumuler des expĂ©riences dans diverses disciplines, complĂ©mentaires ou opposĂ©es. Ce qui suppose une extrĂȘme persĂ©vĂ©rance ou une certaine dĂ©termination ( dâautres parleront dâengagement) ainsi quâune marge dâerreurs.
Des erreurs, jâen ai faites et je continue dâen faire. Hier, en aidant ma fille Ă faire ses devoirs, je lui ai affirmĂ© :
« Les erreurs, ça sert Ă apprendre ! ». Ma fille avait refait la mĂȘme erreur que quelques heures plus tĂŽt avec exactement la mĂȘme opĂ©ration et les mĂȘmes chiffres. Une erreur de retenue dans son addition. Je croyais quâelle avait bien mĂ©morisĂ© dâautant quâelle sâimplique dans ses devoirs. Mais, non, la distraction, lâinsouciance et un trop grand sentiment de facilitĂ© sans doute lâavaient bernĂ©e.
Jâaurais peut-ĂȘtre pu ou dĂ» ajouter :
« Les erreurs, ça sert Ă apprendre ! A condition de savoir ou de pouvoir sâen rendre compte ».
Evidemment, un enfant, un novice, un dĂ©butant ou un innocent a du mal Ă sâapercevoir de ses erreurs. Comme pour trouver la solution. Câest donc aux personnes qui les entourent et qui en sont responsables de, autant que possible, les Ă©duquer, les sensibiliser et de les prĂ©server de certaines dĂ©convenues.
Je ne suis pas toujours persuadĂ©, en tant quâadulte et en tant que pĂšre, de toujours ĂȘtre le bon exemple pour ma fille. Tant mieux pour eux si certains parents sont convaincus, lorsqu’ils se regardent, d’ĂȘtre ou d’avoir Ă©tĂ© les meilleurs parents de l’univers. Mais, hier, alors que nous dĂ©jeunions ensemble et que ma fille me parlait, je lâĂ©coutais tout en voguant dans ma tente psychique.
Ma fille Ă©tait et est dans lâinstant prĂ©sent comme tous les enfants. Moi, jâĂ©tais dans un de ces moments oĂč ma conscience chemine, entre le passĂ©, le prĂ©sent et le futur. On dira que jâĂ©tais dans la contemplation. Ou dans lâextrapolation : ma fille me parlait et tandis que je lâĂ©coutais Ă la surface, en profondeur, jâĂ©tais ailleurs. Il y a dâautres moments oĂč câest elle qui est ailleurs alors que nous lui parlons, ma compagne et moi. Et il est plein dâautres fois oĂč celles et ceux Ă qui lâon cherche Ă sâadresser sont ailleurs. Il y a aussi dâautres fois oĂč nous portons notre attention sur les autres vĂ©ritablement mais oĂč, ceux-ci, ne nous voient pas et restent ensuite persuadĂ©s dâĂȘtre sans valeur. Câest lâHistoire des ĂȘtres humains. Nous avons beau avoir des agendas, beaucoup de bonnes intentions thĂ©oriques et pleins dâinventions technologiques, lorsque ce moteur que nous avons tous Ă lâintĂ©rieur nous pousse vers cet ailleurs, il est difficile de savoir quand nous nous rencontrons vraiment.
Heureusement, en partageant lâintimitĂ© dâune personne ou avec la rĂ©pĂ©tition des rencontres, mathĂ©matiquement, il arrive des moments oĂč nous sommes bien disposĂ©s en mĂȘme temps. OĂč nous sommes en phase, comme on dit. Ceci pour dire que, finalement, dans lâHistoire des relations humaines, sans doute sommes nous en permanence comme la terre, le soleil et la lune. Nous nous tournons autour. Un certain nombre de fois, tout est bien alignĂ©. Dâautres fois, comme nous vivons dans le mĂȘme pĂ©rimĂštre physique et gĂ©ographique, câest la collision, lâillusion ( nous croyons ĂȘtre proches les uns des autres mais, en fait, des milliers de kilomĂštres nous sĂ©parent) ou lâignorance.
Depuis, jâai oubliĂ© de quoi je voulais prĂ©cisĂ©ment parler. Etre ailleurs, ou vouloir ĂȘtre ailleurs, ça, jâai commencĂ© avant mes dix ans. Comme tout le monde, je pense. Et, de ce cĂŽtĂ©-lĂ , jâai continuĂ© lâentraĂźnement comme tout le monde, aussi, je pense.
Evidemment, en regardant cette nuit ces images de combat, jâai sans doute essayĂ© de voir si jây Ă©tais ou si je pouvais y ĂȘtre. Ce qui est impossible, ne serait-ce que physiquement. Câest bien à ça que nous servent les images. A faire lâexpĂ©rience cĂ©rĂ©brale, Ă©motionnelle, voire physique dâun Ă©vĂ©nement que lâon ne peut pas vivre directement, physiquement, dans lâinstant prĂ©sent. On le vivra peut-ĂȘtre un jour. On lâa peut-ĂȘtre pleinement vĂ©cu dans le passĂ©. Mais lorsquâon le regarde, on ne le vit pas totalement. Les images que nous regardons et qui nous captivent sont peut-ĂȘtre souvent des Ă©toiles mortes que, nous, les vivants, nous regardons afin de pouvoir nous guiderâŠ.
Jâavais prĂ©vu de parler du don. Du don de soi. Je sais que la pandĂ©mie du Covid-19 a fait de nous, «officiellement », les soignants, des « hĂ©ros » avec dâautres professions :
les cytokines, les pompiers, les Ă©boueurs, les caissiers, les enseignants ( oui, je mets les enseignants dedans car le travail Ă distance effectuĂ© par les enseignants, mĂȘme sâil a Ă©tĂ© limitĂ© par les moyens de certains parents et par la technologie elle-mĂȘme, est pour moi une trĂšs grande force dâengagement ), travailleurs sociaux, policiers etcâŠ.
Dans la vie courante, « normale » et ne serait-ce quâavec notre administration ( je pense ici au service de la Direction de notre employeur) on verra ce quâil restera du crĂ©dit que lâon porte aux hĂ©ros. Mais, en attendant, jâai bien compris quâil ne suffit pas de donner de soi aveuglement pour recevoir une quelconque reconnaissance et compensation. Non. Cela ne suffit pas. En Ă©tant mĂȘme un peu provocateur, je crois quâil faut donner moins pour recevoir plus. Car, lorsque lâon donne trop, sans compter, on encourage forcĂ©ment quelquâun, Ă un moment ou Ă un autre, Ă se reposer sur nous tandis que lâon sâĂ©puise. Et, au final, on termine K.O.
Câest ce qui est arrivĂ© Ă Georges Foreman Ă Kinshasa en 1974 face Ă Muhammad Ali, un de mes hĂ©ros dâenfance.
De Georges Foreman, avant le match, on louait la force physique hors norme. Muhammad Ali partait perdant selon certains pronostics. En regardant et en (re)découvrant le match, cette nuit, je me suis demandé comment tous ces experts avaient pu ignorer à ce point certaines évidences :
Georges Foreman Ă©tait beaucoup plus limitĂ© techniquement que Muhammad Ali. Sa gamme de coups. Ses dĂ©placements Ă©taient monolithiques. Ali esquivait beaucoup mieux, Ă©tait plus mobile. Ali Ă©tait plus rapide sur ses appuis et sur ses directs. Il a touchĂ© Foreman au visage trĂšs vite. La plupart des coups qu’il porte Ă Foreman sont situĂ©s au visage. Signe quâil nâavait pas peur. Signe de sa dĂ©termination. Il est allĂ© Ă l’essentiel. LĂ oĂč il savait pouvoir faire le plus mal Ă Foreman. Le mettre en colĂšre, lui faire perdre la raison. Le dĂ©saxer mentalement. Muhammad Ali avait aussi pour lui la ruse, la stratĂ©gie.
En outre, Muhammad Ali a donnĂ© Ă Foreman ce quâil a voulu lui donner. Et Foreman a foncĂ© sans rĂ©flĂ©chir. Il a donnĂ© de sa personne comme il le pouvait en se faisant manipuler par Ali : Foreman a rĂ©agi comme Ali le souhaitait. Ali Ă©tait pourtant connu. Foreman avait trop dâassurance. Il a boxĂ© sans sa tĂȘte. Il sâest vidĂ© tout seul de sa puissance et de sa rĂ©sistance. Et Muhammad Ali lâa mis K.O vers la fin du 8Ăšme round.
DâaprĂšs les images, Ali sâattendait Ă ce que le match dure plus longtemps mĂȘme si Foreman, depuis un ou deux rounds, glissait de plus en plus.
Ce match de boxe montre la différence qui existe entre un boxeur stratégique et un boxeur exécutant. Et sans doute aussi entre un boxeur qui a débuté assez tÎt et incorporé une gestuelle ou une grammaire technique et un autre qui devait principalement ses victoires à sa force physique hors norme.
Nous, les spectateurs du quotidien, qui sortons peu Ă peu du confinement, jâespĂšre que nous serons plus des Muhammad Ali que des Georges Foreman. MĂȘme si Muhammad Ali a aussi fait de sacrĂ©es erreurs dans sa vie (concernant Malcolm X ou Joe Frazier par exemple) et que Georges Foreman, par ailleurs, est une personne de valeur.
Franck Unimon, ce mardi 12 Mai 2020.