
Le Couple de la Saint-Valentin/ La femme dans l’homme
Dans la cour du lycée, chaque fois que Khadija, d’origine kabyle, apercevait son frère aîné dans les environs, elle arrêtait de me parler et son regard se calcinait. Nous ne faisions que discuter. Son frère aîné ne s’est jamais approché. Et, elle ne m’a jamais appris ensuite qu’il lui avait fait des reproches. Mon geste le plus déplacé à son encontre avait été de lui dire un jour :
« Il te va bien, ton Jean moulant ». Je crois que cela l’avait flattée.
Avant les épreuves du Bac qui annonçaient la fin de la récréation de toutes nos théories et notre entrée en matière dans le monde des adultes, catastrophé, alors qu’il avait toujours été très sûr de lui, Abdelkader, très bon élève, s’était immédiatement inquiété de son futur lorsqu’il serait en couple avec sa femme qu’il ne connaissait pas encore :
« Mais qu’est-ce que je vais pouvoir lui raconter ?! ». Pris de « cours », je n’avais pas su quoi lui répondre. Je n’avais pas encore étudié ce programme.
Sept ans plus tard, après mon service militaire, et alors que j’avais déjà « reçu » la vie en pleine face et assez brutalement en devenant infirmier à vingt et un ans, j’avais été horrifié lorsque Tsé, une de mes collègues, m’avait appris que deux de nos collègues mariés et plus âgés avaient eu une liaison ensemble. J’avais alors totalement oublié que, enfant, régulièrement, les week-end, j’avais vu mon père découcher deux ou trois jours de suite, après s’être pomponné auparavant, une bonne heure durant, dans la salle de bain. Salle de bain dont il avait auparavant pris soin de fermer la porte à clé. C’était l’époque où ma mère m’avait appris, qu’un jour, elle quitterait mon père. Qu’elle était « jeune et fraîche ».
C’était aussi l’époque où mon père savait me prévenir de ne jamais me « laisser commander par une femme ». Mais, aussi, que « la femme blanche » était l’ennemie. Ce qui, ensuite, m’a beaucoup aidé dans mes relations amoureuses en France où il y a si peu de femmes blanches.
Cela, tout en étant très content de m’exhiber, comme son fils, à quelques blancs, dont une femme que nous étions, un jour, allés saluer. Cette femme, en me voyant sur le seuil de la porte de son appartement, s’était émerveillée à me voir. Et, ce, à la grande fierté de mon père. Je ne me rappelle pas de la voix ou de la présence d’un homme alors que mon père était parti me montrer à cette dame souriante et plutôt jolie pour ce que mes souvenirs d’enfant ont pu me laisser d’elle. Je devais avoir moins de huit ans. J’étais alors un mignon petit garçon. Je ne faisais alors pas encore trop chier le monde avec mes élucubrations. C’est plus tard que j’ai commencé à mettre une mauvaise ambiance en adoptant certains comportements et en ayant certains propos.

C’était il y a quarante ans ou plus. Depuis, ma mère et mon père se sont mariés. Et, ils vivent au « pays » où ils sont retournés vivre il y a quelques années.
« C’est vrai que, seuls, des fois, on s’ennuie » m’avait dit la mère d’une copine. « Il faut se régénérer, perpétuer son nom… » m’avait informé mon parrain, un jour où je l’avais croisé et où il avait été étonné que je n’aie « toujours pas d’enfants ». J’avais une trentaine d’années. Et, entendre qu’il fallait « se régénérer » m’avait fait ricaner plutôt qu’encouragé.
« Il ne faut pas attendre cinquante ans pour faire des enfants ! » m’avait indiquĂ© un peu plus tard, Ă Montebello, en Guadeloupe, un de mes cousins, mon aĂ®nĂ© de deux ou trois ans. J’avais plus de trente ans. J’étais cĂ©libataire, sans enfant. Bien que venu rendre visite, j’Ă©tais pour lui- qui avait apparemment rĂ©ussi sa vie puisqu’il avait donnĂ© la vie deux fois- ni plus, ni moins, l’Ă©quivalent d’un homme sans testicules. Ou qui ne savait pas comment s’en servir.
Nous Ă©tions chez ses parents chez lesquels il Ă©tait retournĂ© vivre, Ă près de quarante ans. Après s’être sĂ©parĂ© des mères de ses deux filles. PlutĂ´t que de rester seul dans sa maison qui Ă©tait juste Ă cĂ´tĂ©, il me l’avait montrĂ©e du doigt. Maison qui Ă©tait «fermĂ©e » m’avait-il appris. Ce cousin « expert » en vie conjugale m’avait expliquĂ© ses sĂ©parations par le fait que:
« L’homme a une certaine conception de la vie… la femme en a une autre ».
Demain, c’est la Saint Valentin et l’on va à nouveau nous rappeler que l’Amour peut tout et est plus fort que tout. Lorsque j’étais célibataire, je l’ai beaucoup pensé. Que ce soit lorsque j’accumulais les histoires à la « mords moi le nœud ». Ou lorsque j’ai concentré tant de solitude que j’étais dans une quête affective régulière. A une époque, le livre Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq m’a beaucoup parlé. Comme son adaptation cinématographique ensuite par Philippe Harel avec lui-même et José Garcia dans son premier grand rôle dramatique.
Si j’ai rarement envié la place de ces amis et connaissances qui se sont mariés et ont ensuite fait des enfants selon un protocole bien établi avec, pour certains, l’achat de la maison, j’ai pu davantage leur envier cette impression de « complétude » affective que je voyais chez eux. Alors que moi, je devais assez régulièrement partir à la chasse afin de m’assurer un minimum de subsistance affective. Même si j’ai aussi connu des moments très agréables, tout seul, tranquillement dans mon coin. Sauf que cette solitude demeurait aussi lorsque j’avais à nouveau des besoins affectifs.
J’ai aussi pu être très docte en présence des parents de certaines de mes copines. Je m’entendais bien en général avec les parents de mes copines. Et j’aimais discuter. Je me rappelle avoir placé en plein repas chez les parents d’une de mes copines, avoir lu que beaucoup de couples se séparaient parce-que la femme refusait de faire des fellations. Est-ce mon insouciance ou l’ouverture d’esprit de celle qui aurait pu devenir ma belle-mère ? Mais celle-ci s’était alors mise à rire tandis que le père, lui, n’avait fait aucun commentaire. Et ma copine, d’alors, quant à elle, ne m’en avait pas voulu. Cela n’a pas été ensuite la raison de notre séparation.
Aujourd’hui, je trouve que les relations entre les femmes et les hommes sont devenues encore plus difficiles. L’Amour, le désir, il n’y a rien de plus facile. C’est la partie, ou les parties, sans jeux de mots, les plus faciles d’une relation pourvu, bien-sûr, que celles-ci soient partagées.
Ensuite, ça se crispe lorsque la relation commence à s’établir ou cherche à s’établir. Selon les mœurs. Selon l’époque. Aujourd’hui, j’ai l’impression qu’un homme a le choix entre être parfait ou être un goret. Qu’est-ce qu’être parfait ? Personne ne le sait vraiment, c’est ça qui est drôle.

Est-ce qu’une personne parfaite, femme ou homme, a plus de chances qu’une autre de plaire ? Bien-sûr que non. Ce serait même plutôt le contraire. Ça, aussi, c’est drôle.
Récemment, j’ai prêté à une collègue la trilogie Pusher de Nicholas Winding Refn. J’attends qu’elle me donne son avis. J’ai néanmoins d’abord fait la grimace lorsqu’elle m’a dit, qu’en « échange », elle me prêterait le dernier livre de Mona Chollet, Réinventer l’amour dont j’avais entendu parler et à propos duquel j’ai lu des très bonnes critiques.
Je lui ai exprimé mes réserves. Et cette collègue s’est empressée de me rassurer.
Je lis très facilement, je crois, des Ĺ“uvres de femmes ou ayant trait aux relations humaines comme aux sentiments. Mais il s’exprime dĂ©sormais, en France, une telle exigence Ă propos de la façon dont doit ou devrait se comporter Ă peu près tout homme pour ĂŞtre considĂ©rĂ© comme Ă peu frĂ©quentable pour certaines femmes que je deviens mĂ©fiant devant ce type d’ouvrage qui traite de « l’Amour » tel qu’il pourrait ou devrait ĂŞtre entre les hommes et les femmes.
Par exemple, je suis désormais très suspicieux lorsqu’un homme, fut-il sincère, se déclare « féministe». Car, pour moi, ce terme peut être une formule plus qu’une pratique. Comme les termes « communication », « gay friendly », « tolérance » « ouverture d’esprit » qui font très jolis dans une conversation et sont faciles à prononcer. Et sont à la portée de n’importe qui. En théorie. Comme les termes « chaleureux », « familial », « démocratie », « élégance » peuvent aussi faire très joli dans une présentation ou dans un discours.
Certaines expériences et rencontres sont nécessaires pour évoluer et pour apprendre. Mais pour cela, il faut au moins que deux personnes d’horizons assez différents acceptent de se rencontrer un minimum. Alors que j’ai l’impression que pour certaines personnes, tous les Savoirs sont innés ou devraient l’être. Non. Même si l’on est volontaire, certains Savoirs doivent s’acquérir et il nous est impossible de les deviner même si ces Savoirs sont évidents pour d’autres.

Par exemple, certaines personnes croient encore que les enfants sont « le ciment du couple ». Et que les attentions portĂ©es en tant que parents aux enfants sont interchangeables avec les attentions portĂ©es au dĂ©part au couple. Pour ces personnes, ĂŞtre parents, s’occuper des enfants, justifie d’oublier tout ce qui a trait au couple et a pu donner envie Ă l’autre d’ĂŞtre en couple avec nous. Ainsi certaines personnes ignorent ou tiennent Ă ignorer que l’absence ou le manque de fantaisie, la routine, le manque d’optimisme permanent ou rĂ©pĂ©titif, les tâches quotidiennes et mĂ©nagères toujours prioritaires peuvent tuer un couple ou une relation d’une manière gĂ©nĂ©rale.
Et si l’Amour et le désir sont les stimulants du départ de feu d’une rencontre, et sont plus glamours, les peurs communes- et souvent invisibles- que l’on partage avec l’autre sont souvent plus «responsables » de ce qui nous pousse à aller vers une personne plutôt que vers une autre. Mais aussi à rester avec elle ou à la quitter.
La violence sexuelle meurtrière et condamnable de certains hommes vient peut-ĂŞtre aussi du fait que la sexualitĂ©, imposĂ©e mais aussi consentie de part et d’autre, reste un critère de jugement moral, d’estime de soi et de la valeur qui nous est attribuĂ©e. La sexualitĂ© que l’on a nous donne un certain sentiment d’importance. Mais aussi un certain sentiment de puissance. Y compris en termes de puissance de sĂ©duction. L’expression  » ĂŞtre un bon coup » ou « être un bon parti » peut autant s’appliquer Ă un homme qu’une femme. Que l’on parle de sa valeur et de son prestige social ou de sa valeur sexuelle.
Si un homme violeur abuse de sa force et impose sa puissance, il est des femmes qui se sentent aussi puissantes Ă sĂ©duire, y compris sexuellement, des femmes ou des hommes, qu’elles dĂ©sirent ou convoitent. Un film sorti rĂ©cemment relate la dernière histoire de l’Ă©crivaine Marguerite Duras avec un homme nettement plus jeune qu’elle et, d’après ce que j’ai compris, si tous deux ont pu aimer parler littĂ©rature, Duras a aussi beaucoup apprĂ©ciĂ© en profondeur le « style » du corps de son dernier amant. On doit pouvoir parler pour elle d’une sexualitĂ© rĂ©solument carnivore. Et, j’ai cru comprendre qu’Edith Piaf, aussi, avait pu aussi avoir une sexualitĂ© particulièrement vorace. Ou Amy Winehouse.
Donc, la sexualité peut aussi être une arme de puissance pour une femme. Y compris pour tenir ou retenir une partenaire ou un partenaire. L’expression « tenir quelqu’un par les couilles » me semble très explicite de ce point de vue. Même si, depuis, nous avons connu un ancien Président américain qui a pu se vanter d’être incapable de s’empêcher d’attraper les femmes « par la chatte ».
La sexualité, que l’on soit peu ou beaucoup porté dessus, garde, je crois, tant pour les femmes que pour les hommes, une importance particulière dans les relations.
Rares sont les personnes, hommes ou femmes, qui se vantent ou se valorisent d’avoir peu de relations sexuelles. Au mieux, certaines personnes affirmeront que la sexualité a pour elles assez peu d’importance ou en a moins qu’à une époque de leur vie. Sauf bien-sûr si ces personnes évoluent dans un univers où la sexualité est limitée à certaines fonctionnalités telles que, au hasard, séduire une partenaire ou un partenaire afin de créer un couple, procréer. Ou si, « bien-sûr », la sexualité est perçue comme une activité amorale ou proscrite.
Au départ, je voulais appeler cet article La femme dans l’homme. En m’inspirant un peu de la réponse de l’artiste Catherine Lara à cette question qui lui avait été posée il y a plusieurs années :
« Que regardez-vous en premier chez un homme ? ».
Réponse de Catherine Lara : « Sa femme ».

Puis, je me suis dit qu’un titre pareil- La femme dans l’homme- était un petit peu trop vieux jeu. Ou que cela ferait « trop » typé hétéro. Puisqu’aujourd’hui, on parle plus facilement de relations amoureuses entre deux personnes du même sexe, mais aussi d’un autre « genre ». J’ai appris récemment que le terme « cisgenre » est un terme qui serait moins discriminant à employer afin d’éviter d’exclure toutes les personnes qui sont extérieures ou étrangères aux normes hétérosexuelles standards.
Pourtant, malgré mes « efforts », cet article apparaîtra encore trop normé et trop guindé pour certaines Valentine et certains Valentin. Mais, au moins, aurais-je essayé d’aborder ce sujet de l’Amour avec mes propres pensées et sincérité. Sans me contenter de réciter.
Bonne Saint Valentin !
Franck Unimon, ce dimanche 13 février 2022.