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Le Daim

Le Daim

 

 

Extension du domaine de la chute ou voyage « pataud », Le Daim, le dernier film de Quentin Dupieux , sorti ce 19 juin 2019, est tout en aimants presque chromĂ©s d’anachronismes.

Dans Le Daim, Quentin Dupieux poursuit sa route, sa trĂšve, son rĂȘve amĂ©ricain parallĂšle dont il continue d’équiper la bande son : C’est Ă©tonnant comme ses films emploient la route ou ce qui s’en rapproche mais aussi comme les situations du Daim – comme sans doute de ses autres films- se raccordent bien aux bretelles sonores de quelques titres de son premier album Analog Worms Attack ( livrĂ© en 1999, l’annĂ©e du film Matrix) comme de son premier tube : Flat Beat.

Ecoutez des titres comme Bad Start, No Day Massacre, Last Night A DJ Killed My Dog, trois des titres de son premier album Analog Worms Attack. D’abord, vous constaterez peut-ĂȘtre qu’aujourd’hui oĂč des artistes comme Jain et Aya Nakamura tapent le son, ces trois titres de Quentin Dupieux/ Mr Oizo sont loin d’en ĂȘtre les seconds. Mais aussi qu’ils collent Ă  la peau de Georges tel du plomb dans le fond de la gorge.

Qui est Georges ? Georges est un emballage ou un homme dans la quarantaine, emportĂ© par l’acteur Jean Dujardin sur une autoroute Ă  pĂ©age dans une vieille Audi sans Ă©lectronique. Cette voiture Audi est immatriculĂ©e dans le 92. Donc en rĂ©gion parisienne dans le dĂ©partement considĂ©rĂ© comme ” le plus riche de France”. La voiture Audi et l’appartenance au dĂ©partement 92 sont Ă  premiĂšre vue des symboles de rĂ©ussite Ă©conomique.

La voiture de Georges date peut-ĂȘtre aussi de l’annĂ©e 92 ou de la fin des annĂ©es 90. Si l’on tient compte du modĂšle automobile mais aussi du tableau de bord.

Georges a des goĂ»ts musicaux trĂšs sĂ»rs : Dans sa voiture passe « Et si tu n’existais pas », interprĂ©tĂ©e par Joe Dassin, un chanteur « franco-amĂ©ricain » trĂšs annĂ©es 70-80 (dĂ©cĂ©dĂ© en 1980 d’un « malaise cardiaque » Ă  41 ans) Ă©galement trĂšs connu pour son titre L’étĂ© Indien. Quentin Dupieux laisse filtrer suffisamment de « bizarreries » dans ses films pour que ceux-ci en deviennent multipistes. Les traces qu’on y trouve peuvent donc ĂȘtre les « tracks » de nos sillons personnels. Cela convient Ă  certains spectateurs et Ă  certaines humeurs plutĂŽt qu’à d’autres.

 

« Je promets de ne plus porter de blouson de toute ma vie » semble ĂȘtre le nouvel ordre que Georges veut imposer Ă  celles et ceux qu’il rencontre aprĂšs qu’il ait passĂ© le pĂ©age et changĂ© en quelque sorte de route, de dĂ©pression… et de dimension. On peut Ă©videmment jouer sur les mots et voir la « paix-Ăąge » dans le pĂ©age. Georges est Ă  ce moment de sa vie oĂč il aspire Ă  trouver un second souffle et Ă  faire
.le mĂ©nage. Cela commence par cette veste de cadre qu’il porte au dĂ©but du film et qu’il va remplacer par cette veste en daim achetĂ©e au prix fort Ă  un vendeur ( l’acteur Albert Delpy ) facĂ©tieux ou tout autant enluminĂ© que lui. En voyant l’acteur Albert Delpy, on se dit que ce personnage du vendeur aurait aussi pu ĂȘtre jouĂ© par l’acteur Philippe Nahon ou par l’acteur Jean-François StĂ©venin. AndrĂ© Dujardin/ Georges, quant Ă  lui, ressemble alors au JosĂ© Garcia du Extension du domaine de la lutte (1999) adaptĂ© par Philippe Harel d’aprĂšs le livre de Michel Houellebecq. RĂŽle qui avait permis de dĂ©couvrir l’aptitude dramatique de JosĂ© Garcia avant son rĂŽle dans Le Couperet (2005) de Costa-Gavras. Mais c’est un Georges Ă©galement proche de L’Homme Ă  tĂȘte de Chou de Gainsbourg pour la transformation psychique que va connaĂźtre son personnage.

Au fait ! Le Daim, ici, c’est peut-ĂȘtre l’équivalent masculin du mot « Dinde ». Georges est un banni du gĂ©nie. Et il est au ban du monde. On s’abstiendra de voir en lui un sujet d’admiration. Et, c’est pourtant la seule petite lueur qui lui reste : celle de ce petit voyant rouge qui s’allume lorsqu’il met en marche sa camĂ©ra numĂ©rique et qu’il se voit rĂ©alisateur « dans le vrai cinĂ©ma ! ». D’autant que « Le numĂ©rique, c’est ce qui se fait de mieux ! ».

Si nous voyons en Georges un ratĂ© qui se trouve pour monastĂšre un hĂŽtel Ă  la Barton Fink ( des frĂšres Coen) perdu prĂšs des montagnes, lui se voit en Cow-Boy conquĂ©rant. A travers lui et son personnage en perte de repĂšres qui rappelle aussi le personnage de Vincent Lindon dans La Moustache (2005), Dupieux filme aussi notre impossibilitĂ© d’inventer notre vie au jour le jour. Car nos vies sont de plus en plus quadrillĂ©es. Par l’urbanisation. Par les technologies modernes et numĂ©riques qui sont Ă©vacuĂ©es, dĂ©sactivĂ©es ( la carte bancaire) ou finissent Ă  la poubelle dans Le Daim :

La scĂšne du tĂ©lĂ©phone portable rappelle en effet celle du Nokia dans Matrix, Ă  l’époque oĂč Nokia (entreprise finlandaise) Ă©tait le numĂ©ro 1 mondial (« Jusqu’en 2011 ») en tĂ©lĂ©phonie mobile. Alors qu’aujourd’hui, les marques Samsung (CorĂ©e du sud), Apple (AmĂ©ricaine) et Huawei (Chinoise) semblent constituer le trio de tĂȘte dans ce domaine. Et l’on peut voir dans Le Daim diffĂ©rents marqueurs d’un monde enrubannĂ© de cellophane dans les annĂ©es 70-80 :

des Baskets Nike typées années 80, une télévision portative en noir et blanc


Attirer le regard, exister, s’ancrer, semble de plus en plus difficile dans notre monde de voyeurs et de reflets Ă  couper au montage oĂč beaucoup peut ĂȘtre refait.

Au passage, Dupieux nous parle de la prĂ©caritĂ© avec le personnage d’AdĂšle Haenel, monteuse prĂ©caire et rĂ©signĂ©e qui se rĂ©vĂšlera ĂȘtre une Rosetta (1999) des FrĂšres Dardenne ou une Christine Blanc du film Elle est des nĂŽtres (2002) de Siegrid Alnoy.

L’actrice AdĂšle Haenel, en barmaid et dans son rĂŽle, fait de plus en plus penser Ă  l’actrice Mathilde Seigner Ă  force de se rassembler dans cet air renfrognĂ© qui nous l’a prĂ©sentĂ©e et avec lequel elle nous prend en Ă©tau. Mais quand elle sourit, elle ressemble Ă  elle-mĂȘme et c’est trĂšs beau. Dupieux nous donne aussi quelques trucs sur le cinĂ©ma en nous parlant de l’importance du montage Ă  travers l’exemple du film Pulp Fiction (1994) de Tarantino ( PrĂ©nom : Quentin). Il se fait alors- briĂšvement- l’égal d’un mĂ©cano qui Ă©duquerait les futurs acquĂ©reurs et consommateurs de ces moteurs particuliers que sont les images.

Il peut dĂ©router qu’un artiste comme Dupieux qui maitrise, cĂ©lĂšbre les technologies « nouvelles » et assure sa vie Ă©conomique et personnelle grĂące Ă  elles, tienne un tel discours. Mais, au fond, dans les annĂ©es 90 Ă  l’époque de la « French Touch », en tant que musicien techno, et avant de devenir cinĂ©aste, il exprimait dĂ©jĂ  des idĂ©es allant dans le sens contraire. Et, Ă  l’écouter, sa techno « sale » au sens noble contrastait par exemple avec la musique « sublimĂ©e », proprette et nacrĂ©e d’un groupe comme Air et, avec celle, plus tard, d’un groupe comme Daft Punk, dont on ne sait plus aujourd’hui si leur musique nous touche parce qu’elle nous rappelle ce qu’elle a Ă©tĂ©. Parce qu’elle est devenue une institution et une norme et que tout le monde (beaucoup de monde) la connaĂźt, l’écoute et danse dessus. Ou parce qu’elle nous libĂšre vĂ©ritablement. En Ă©coutant l’album Homework (1997) des Daft Punk,  je ne me posais pas ce genre de questions.

A la fin de Le Daim, Georges « l’albinos » (voir le film Noi Albinoi rĂ©alisĂ© par Dagur Kari en 2002), ressemble Ă  l’acteur Edouard Baer. Puis, un petit peu, Ă  l’acteur Marcelo Mastroianni, capable de jouer « les mecs banals » selon Fellini, je crois.

Peut-ĂȘtre que pour l’acteur AndrĂ© Dujardin, le film Le Daim permettra d’exister davantage, et, mieux, au cinĂ©ma.

 

Franck Unimon, ce vendredi 28 juin 2019.

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