
Les Zozos
Les micros et les images sont devenus, ou restés, nos idoles.
Des zozos, Ă©chappĂ©s des zoos de nos pensĂ©es ou de sables oubliĂ©s, sâaccaparent les micros et les images autour desquels nous danserons comme dans un bal.
Les zozos frĂ©quentent les plateaux de tĂ©lĂ© et les endroits rĂ©servĂ©s aux privilĂ©giĂ©s oĂč lâon sâexprime. On y mange bien. On sây maquille ou on les maquille. On y fait des rencontres. On leur ouvre les portes. On leur Ă©crit certaines fois leurs discours, leurs interventions ou leurs articles. On les coache et les conseille. On les Ă©pouse. On est content de les reconnaĂźtre et de leur dire tout le bien que lâon pense dâelles et dâeux. Ils et elles font ensuite leur numĂ©ro devant dâautres invitĂ©s trĂšs sĂ©lectionnĂ©s. Des spectateurs les Ă©coutent et les regardent avec une trĂšs grande Ă©coute et un plus haut soin. Ecoute et soin que ces spectateurs sont peut-ĂȘtre incapables dâattribuer Ă leur propre vie comme Ă leurs proches.
Les zozos ont un pouvoir de dĂ©tournement de fond la pensĂ©e, de lâattention et de la crĂ©ativitĂ© extraordinaires !
Le second bal :
Le second bal est dâune si grande banalitĂ© quâil semble arrimĂ© Ă la perpĂ©tuitĂ©.
Depuis quelques jours, le froid git de plus en plus dans nos viscÚres et dans nos os. Ce matin, sur mon vélo, aprÚs le travail, il devait faire quelques degrés au dessus de zéro.
« DĂ©construire », « Changer les codes », « changer de logarithme », sont les formules ou les nouveaux habitants rĂ©guliĂšrement convoquĂ©s et admis. LĂ oĂč ça « compte » :
LĂ oĂč « ça se sait », lĂ oĂč cela « sâentend » et se « voit » que lâon pense et agit. Si cela ne se « sait » pas, ne « sâentend » pas ou ne « se voit » pas, câest que cela nâexiste pas. Câest la rĂšgle absolue de notre bal ordinaire et quotidien.
Eux, on ne les voit pas et on ne les entend pas, les Tony Allen de la construction. Dans ces moments-lĂ , on ne leur demande pas sâils sâappellent Xavier-Pavel, Krishna-GĂ©rald, Mamadou-Anne, Eric-Mustapha, Paolo-ValĂ©rie, Emmanuel-Joao. Sâils ont cinq femmes, chacun. Sâils sont musulmans, athĂ©es, bouddhistes, vĂ©gĂ©tariens, carnivores, chrĂ©tiens ou superstitieux. Sâils Ă©coutent du Rap, du Fado, de la musique congolaise ou de la musique classique. Sâils savent lire et Ă©crire. Si leurs enfants sont dans de bonnes Ă©coles. Et sâils comprennent quand on leur parle. Sâils fument du cannabis ou boivent de lâalcool. Sâils sont transgenres, homos ou queer. Sâils contactent des cam-girls ou des cam-boys. Sâils jouent Ă la play-station. Sâils sont en rĂšgle.
Ils travaillent.
Et, nous, nous passons ou partons au travail.
Ensuite, quand leur travail sera terminĂ©, leur prochaine mission sera de laisser la place aux touristes, Ă de nouveaux habitants, Ă des usagers, aux consommateurs et Ă des orateurs qui parleront de grandeur ou, au contraire, de dĂ©cadence en pensant Ă De Gaulle. Un homme qui, il y a plus dâun demi siĂšcle a Ă la fois contribuĂ© Ă dĂ©livrer la France mais a aussi interdit Ă des arabes et Ă des noirs- qui sâĂ©taient battus pour la France- de dĂ©filer sur les Champs ElysĂ©es pour fĂȘter la libĂ©ration.
Mais cela ne change rien au fait que, eux là , qui travaillent maintenant prÚs des Champs Elysées, réapparaitront plus tard. Quel que soit le numéro de la vague de la pandémie. Dans un autre chantier, un fait divers, une cité ou sur un échiquier électoral. Et ainsi de suite.

Franck Unimon, mercredi 1er décembre 2021.