Catégories
Cinéma

L’âcre parfum des immortelles

 

 

 

 

 

 

 

L’âcre parfum des immortelles un film de Jean-Pierre Thorn avec la voix de Mélissa Laveaux. 

Au cinéma le 23 octobre 2019. 

 

Article de Franck Unimon

Catégories
Micro Actif

Descartes

 

 

Descartes : Voix et texte, Franck Unimon ce samedi 19 octobre 2019. 

 

Catégories
Ecologie Puissants Fonds/ Livres

Une autre fin du monde est possible

 

 

 

 

 

 

 

  • Les revoilà ! 

 

Il y a maintenant deux ou trois ans, la lecture de leur livre Comment tout peut s’effondrer. Petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes m’avait assommé. Et puis, sous l’effet du déni sans doute, la vie avait continué.

 

Mais les revoilà avec un nouveau livre :

Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) et, cette fois, Pablo Servigne et Raphaël Stevens sont rejoints par Gauthier Chapelle pour la rédaction de ce livre. Et j’ai remis ça. J’ai également lu cet ouvrage. Cela m’a pris plus d’un mois. Bien que ce livre puisse se lire en moins d’une semaine.

Tout autant fourni en bibliographies et références diverses, Une autre fin du monde est possible ( vivre l’effondrement et pas seulement y survivre) est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous à moins de vouloir prendre le risque de passer pour fou, parano, extrémiste, séropositif, négatif, pessimiste ou pour celle ou celui qui a subitement pété plusieurs plombs ou plusieurs câbles en même temps. Le sujet a très mauvaise haleine et transmet des très très mauvaises vibrations. Et cela ne se perçoit peut-être pas dans mes articles mais, dans la vie, j’aime plutôt rire et faire rire.

 

  • obéir

 

 

C’est vraisemblablement pour ces quelques raisons que depuis la fin de sa lecture il y a plusieurs jours maintenant, je me suis abstenu d’en parler. Et que je me suis lancé dans la lecture de Leçons de danse, leçons de vie de Wayne Byars, un ouvrage plus rassurant et pourtant complémentaire avec le récent ouvrage de Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle.

Une autre fin du monde est possible est typiquement le genre de livre dont vous ne parlez pas autour de vous, lorsque vous vivez parmi des gens «normaux », mais qui vous réveille en pleine nuit pour écrire à son sujet. C’est ce qui est en train de m’arriver. Cela m’est bien sûr arrivé pour d’autres articles différents et plus joyeux, mais c’est ce qui m’arrive pour ce livre. Il est 4h35 et tout à l’heure, ce livre m’a en quelque sorte dit ( oui, certains livres et certains mots me parlent) :

« Franck, le moment est arrivé pour toi de parler de moi. C’est mon tour ! J’ai suffisamment attendu ». Et j’ai décidé d’obéir. 

 

  • Le Symptôme Take Shelter

 

 

Le réalisateur Jeff Nichols, au festival de Cannes en 2011.

 

 

 

J’aimerais encore que ma façon de réagir à la lecture de ce livre soit dû au symptôme Take Shelter, titre du film du réalisateur Jeff Nichols où l’acteur Michael Shannon, père de famille et fils d’une schizophrène, commence à avoir des visions d’une catastrophe à venir. Et, malgré la désapprobation générale de la communauté et l’incompréhension de sa femme (l’actrice Jessica Chastain), celui-ci décide, en s’endettant, de construire un abri pour sa fille et sa femme.

Dans Take Shelter, il s’agit d’une catastrophe naturelle qui touche leur région ( au Texas, je crois) et non d’un effondrement mondial. Mais à Cannes, alors que mon collègue journaliste, Johan, et moi l’interviewions- je faisais l’interprète- pour le magazine cinéma Brazil, Jeff Nichols nous avait expliqué qu’en devenant père lui-même, il avait commencé à percevoir le monde comme pouvant être particulièrement menaçant.

Lorsque j’avais lu le précédent ouvrage de Pablo Servigne et Raphaël Stevens Comment tout peut s’effondrer, j’étais moi-même devenu père. Et les trois auteurs de Une autre fin du monde est possible précisent aussi être malgré tout devenus pères. L’âge des enfants n’est pas précisé mais je suppose que nous parlons à chaque fois d’enfants de moins de dix ans, soit un âge où, dans l’espèce humaine, les enfants sont particulièrement vulnérables. Et leurs parents aussi sans doute. Cette précision « psychologique » permettra peut-être de mieux faire comprendre mon état d’esprit alors que j’écris sur cet ouvrage.

 

  • Nous sommes peut-être des oies

 

Pour le reste, selon Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chapelle, ainsi que pour d’autres (scientifiques, auteurs et militants….), l’espèce humaine, en 2019, devant l’effondrement serait à peu près équivalente à celle de ces oies qui, la veille du repas de Noël, estimeraient que tout va pour le mieux car elles sont particulièrement choyées. Ou à ces proies et ces victimes qui, alors qu’elles se rendent à un événement heureux ou anodin, vivent peu après une très mauvaise expérience qui se révèlera définitive ou traumatisante.

 

  • Plusieurs types de réactions d’oies

 

Devant de telles suggestions d’avenir que nos trois auteurs ( et d’autres) justifient largement, on a le choix entre plusieurs types de réactions :

Déni, colère, dépression, renoncement, acceptation….. et Pablo Servigne, Raphaël Stevens et Gauthier Chappelle le savent pour l’avoir vécu eux-mêmes. Dans Comment tout peut s’effondrer, ils expliquaient par exemple que leurs relations avaient pu se tendre avec plusieurs de leurs proches.

Dans Une autre fin du monde est possible, ils évoquent un moment cette conséquence relationnelle et affective, page 264 :

« Qui n’a pas déjà éprouvé des difficultés à trouver oreille attentive lorsqu’il s’agit de parler d’un possible effondrement ? Lorsqu’on découvre tout cela, surtout si c’est dans la solitude, le premier réflexe est de vouloir le partager rapidement avec des proches pour se sentir moins seul, ou parce qu’on les aime et qu’on estime que cette information est capitale pour leur sécurité. Mais attention, lorsque les autres ne sont pas prêts à entendre (et c’est souvent le cas) les réactions sont souvent désagréables tout comme le sentiment de solitude et d’incompréhension qui peut en découler. La première chose à faire est peut-être de prendre le temps d’intégrer tout cela pour soi. Ceux qui n’ont pas la chance d’avoir des proches sensibles à cette thématique peuvent échanger facilement à travers les réseaux sociaux. Lire un article, un commentaire, un livre ou un documentaire sur un sujet que l’on croyait tabou, et en parler librement, redonne du baume au cœur ».

 

  • Une oie tâte du doigt deux groupes d’entraide

 

J’ai lu et voulu que ce livre soit moins « bon » que le précédent. A un moment, en allant voir deux des sites de groupes d’entraide qu’ils citent, je me suis dit qu’il y avait un côté sectaire tout de même dans leur façon de réagir. Mais cela fait aussi partie du déni de vouloir voir le mal et des sectes dès qu’il s’agit de changer de comportement et de vision sur notre vie et sur le monde.

 

  • En coloc au colloque

 

Récemment, un spécialiste des addictions qui intervenait lors d’un colloque organisé sur le thème de « Spiritualité et addictions » m’a donné cette réponse simple afin de faire la différence entre un groupe ou un lieu bienveillant et une secte ou un groupe jihadiste (ou extrémiste) qui proposeraient leur « aide » :

 

Liberté, Gratuité et Charité.

 

  • Dans l’arrondissement de la brèche

 

Il peut en effet être difficile à la fois de continuer de vivre sa vie en s’abstenant de raser les murs tout en se disant- en même temps- que ce monde que nous voyons et que nous avons toujours connu- et construit mentalement- malgré ses apparences de perpétuité toute puissante, a en son foyer une brèche d’éphémère et d’illusoire et que celle-ci grandit de jour en jour que l’on s’en aperçoive ou non. Pour moi, le suicide de Christine Renon, la directrice d’école maternelle publique de Pantin dans le 93 récemment, la dégradation des conditions de travail dans l’école publique,  la dégradation continue des conditions de travail dans l’hôpital public depuis plus d’une vingtaine d’années, la dégradation des conditions de travail dans la police font partie de l’effondrement. 

Servigne et Stevens l’avaient déjà bien expliqué dans Comment tout peut s’effondrer :

L’effondrement a déjà commencé. Que l’on parle du réchauffement climatique ou de la détérioration de notre monde dans les domaines sociologiques, culturels, politiques, économiques et militaires. Avant la grande catastrophe que tout le monde pourra « voir » à l’œil nu ou subir éventuellement, l’effondrement est avant tout une succession de disparitions, de dégradations et de tragédies dont on s’est accommodé ou dont on s’accommode jour après jour.

 

  • Les vers puissants

 

Les hommes politiques ( et j’écris « hommes » parce qu’à ce jour, hormis quelques exceptions, les principaux dirigeants politiques de notre monde sont et ont été des hommes) et les « Puissants » resteront sur la lancée de leur vision archaïque du monde comme ils le font depuis des siècles. Au mieux, ils réagiront dans l’urgence.

Servigne, Stevens et Chapelle nous expliquent ( après d’autres sans doute) que «Les trente glorieuses » qui ont suivi la Seconde Guerre Mondiale et qui nous ont toujours été décrites comme une période de grande croissance économique seront peut-être surnommées plus tard « Les trente affreuses » d’un point de vue écologique. Or, nous sommes toujours calés sur ce modèle de développement économique et industriel qui consiste à asservir et exploiter la terre, les êtres (humains et non humains), leur vitalité et leur richesse comme si celles-ci étaient illimitées et négligeables et qu’elles pourraient être remplacées par des innovations technologiques ou éventuellement être retrouvées en abondance sur une autre planète.

 

  • Compost de pommes et solutions

 

Dans Une autre fin du monde, vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre) Servigne, Stevens et Chapelle s’attachent à proposer des solutions.

 

Parmi elles, l’entraide, la solidarité, être dans l’art et dans la culture, le retour à une certaine spiritualité mais aussi réapprendre à vivre avec la nature et selon la nature.

Les trois auteurs nous rappellent comme nous sommes devenus des citadins forcenés de plus en plus connectés et, pourtant, nous sommes de plus en plus coupés de nous-mêmes et des autres humains et non-humains.

On peut les trouver paradoxaux- peut-être afin de nous rassurer- comme ils peuvent à la fois envisager le pire et dire qu’il y aura beaucoup de morts et de souffrance, évoquer la possible émergence de bandes armées, et, en même temps, donner l’impression , à les lire, qu’en cas de catastrophe, il nous « suffira » de rester des personnes civilisées et de faire un travail sur nous-mêmes pour nous en sortir. Alors que ce sera vraisemblablement, un « peu » la panique et la barbarie à certains endroits :

 

  • Nomade’s land 

« L’avenir risque d’être en grande partie nomade » écrivent-ils par exemple (page 264, encore apparemment).

 

  • Superbe parano orientée sud-ouest avec vue dégagée sur la mer, proche de toutes commodités

 

Résumé comme je viens de le faire, ce livre continuera peut-être de passer pour l’ouvrage résultant d’un « complot » de survivalistes bobos permettant, il est vrai, l’essor lucratif d’une économie de la survie au même titre que le Bio, désormais, est devenu une très bonne niche économique- et un très bon investissement comme la fonte de la banquise- pour certains entrepreneurs, certains politiques, certains financiers et certains meneurs religieux ou sectaires. 

 

  • Les premières impressions…

 

On peut aussi rester sur l’impression première qui consiste à voir dans ces «histoires » d’effondrement l’expression d’une certaine parano affirmée qui ferait son coming out. La parano, on le sait, étant cette logique, qui, à partir de certains faits réels, se confectionne et affectionne une seule vérité, la sienne, et repousse voire assujettit ou détruit sans pitié les autres vérités.

Franck Unimon, ce vendredi 18 octobre 2019.

Catégories
Cinéma

Joker

                     

 

                                                     Joker

 

J’aurais aimé dire uniquement beaucoup de bien de ce film réalisé par Todd Philipps et sorti en salle ce 9 octobre. Mais je m’y suis ennuyé. 

Je l’ai trouvé- sûrement comme mon article- trop démonstratif. 
La prestation de Joaquin Phénix lui donnera peut-être l’Oscar et d’autres superlatifs.

Mes réserves concernent principalement la façon dont le film a été réalisé et non son jeu d’acteur. Même si Joaquin Phénix ne me fait pas oublier Jack Nicholson et Heath Ledger – j’ai lu qu’il les faisait oublier- dans les précédents rôles du Joker, son interprétation fait par moments penser au personnage paranoïde de Jack Gyllenhaal dans le très bon Night Call (Nightcrawler) réalisé en 2014 par Dan Gilroy ce qui me plait bien et, beaucoup trop, je trouve….au personnage incarné par Robert De Niro dans Taxi Driver qui a un rôle dans le film. Pour ce côté : je me fais mon film dans ma tête. 

On peut sûrement voir une continuité entre le Taxi Driver de Scorsese et Le Joker. On a aussi le droit d’avoir une grande admiration pour Robert De Niro. Le personnage de De Niro dans Taxi Driver et celui du Joker ici permettent de parler de la schizophrénie et de la duplicité des Etats-Unis mais aussi de celles de notre monde occidental libéral ( viscéral ?). 

On peut aussi penser au personnage de Rorschach dans The Watchmen. D’ailleurs, le message du film sur ces sujets (schizophrénie et duplicité des instances dirigeantes libérales et de nos sociétés occidentales « évoluées ») ainsi que ses parallèles avec le personnage de V pour Vendetta (réalisations cinématographiques d’après les œuvres d’Alan Moore), le mouvement Occupy Wall Street (ou actuellement, pour nous en France, le mouvement des gilets jaunes) lui donnent une grande légitimité. 

Mais, autant on comprend l’évaporation de l’identité du Joker et ce que cette « évaporation » permet à sa personnalité, autant le film, lui, finalement, manque d’une certaine personnalité :

On a donc droit à une musique « appropriée » – et insistante- comme si le réalisateur avait eu peur du vide, du froid, des cicatrices et des silences que le personnage du Joker a dans le bide.

On a droit à des « rituels » répétés ou Arthur Fleck/ Le Joker se fait humilier et bien bousculer y compris gratuitement. Sauf que ces rituels finissent par faire penser à ces passages obligés que l’on trouve dans les circuits touristiques de masse. Un peu comme si le guide faisant une pause devant un coucher de soleil étudié se tournait vers vous et vous disait :

 » C’est maintenant le moment de vous embrasser ».

Malheureusement, dans la salle, personne n’a voulu m’embrasser. Alors, j’ai recommencé à regarder l’écran. Il fallait bien que je m’occupe.

Lorsque Charlize Theron, dans le Monster  de Patty Jenkins se fait humilier, les coups durs et la dégringolade morale qui s’ensuit (et qui précède les meurtres) sont les nôtres. Et il n’est pas nécessaire de mettre autant de tours d’écrous au supplice comme c’est le cas dans Joker pour bien nous faire comprendre qu’il a souffert. Afin de nous pousser à souhaiter qu’il devienne le contraire de la victime. Car Le Joker, c’est l’anti-Elephant ManElephant Man)

Et puis, l’image est peut-être trop propre ou trop parfaite pour un personnage aux noirceurs possessives. Le film est peut-être trop correct. C’est peut-être ça qui m’a dérangé avec Joker. Même s’il y a un évident travail de fait et une bonne correspondance entre le Joker et la figure du Batman dont on comprend bien les futures névroses et sa relation particulière avec ce « fou » qui prend ici la place du roi. 

Franck Unimon

 

Catégories
Echos Statiques

Zombie public

                                           

 

                                              Zombie public

 

J’avais d’abord passé une nuit périssable. Vers deux heures trente, la petite était venue me trouver. Comme établi par sa mère – enfin- fatiguée de se lever en pleine nuit. Puis, j’avais dû changer de pièce à cause du bruit. Tout ça pour me rendre compte trois quarts d’heure plus tard que la petite chantonnait ou se racontait des histoires. Il était alors 3h30 du matin et j’allais l’emmener à l’école quelques heures plus tard. Cette petite « timide » était peut-être à l’école primaire et avait sûrement un très mauvais père mais elle savait déjà plus que lui parler :

« Tu vas me briser le cœur ! » m’avait-elle dit les yeux grand ouverts deux jours plus tôt alors que je la disputais.

En outre, c’était son anniversaire et la veille au soir, il avait fallu renoncer aux devoirs de l’école. Après avoir pourtant très bien commencé la lecture des sons comme demandé par sa maitresse, au bout d’à peine cinq minutes, elle s’y était ensuite refusée et avait fini par s’insurger. Criant qu’elle ne voulait pas faire les devoirs ! C’était nul, l’école et les devoirs ! Quelques jets de coussins par terre avaient suivi.

J’avais alors décrété la fin des devoirs et étais allé expliquer à sa mère qu’il valait mieux passer par la case dîner et dodo. Puisque la petite clamait qu’elle était fatiguée !

Au coucher, je lui avais fait la morale : « Etre grand, c’est faire ses devoirs quand on en a ». Auparavant, à cette petite qui m’avait redit son ambition d’être « une princesse », j’avais déja répondu avec un peu de fiel :

« Tu sais, les princesses, aussi, ont des devoirs ».

 

Au réveil, tout s’était finalement très bien passé avec la petite. Même s’il avait quand même fallu lui rappeler que le temps du dodo était désormais terminé. Et qu’il ne s’agissait plus d’essayer de trouver une position confortable dans son lit afin de mieux dormir. Toilette, rangement des jouets, petit-déjeuner, séparation d’avec maman lors de son départ au travail, fin des devoirs de la veille avant de partir à l’école, tout s’était très bien passé. Et, c’est une petite détendue et chantante que j’avais déposée à l’école sous la pluie fine.

Avant que je ne reparte, la maitresse à l’entrée de la cour s’était subitement rappelée : Pour savoir où nous en étions concernant le nombre de perles à assembler par dix, à raison d’une perle par jour, pour arriver au chiffre cent, il suffisait de regarder dans le cahier jaune. En effet, trois jours plus tôt, je m’étais à nouveau excusé auprès d’elle car nous nous étions perdus dans le nombre de perles, sa maman et moi. Et, la veille encore, ma compagne (ou ma femme pour s’harnacher scrupuleusement au protocole social) m’avait répondu :

« ça fait trop de choses, on verra ça pendant les vacances scolaires ! ».

 

Après l’école ce matin, j’avais un peu d’avance pour me rendre à la Banque Postale. Au 20ème siècle, le très grand physicien du rire Pierre Desproges avait découvert le principe selon lequel « lorsque l’on plonge un corps dans un liquide, le téléphone sonne ». C’était avant internet et la téléphonie mobile. Lorsque ça avait sonné plusieurs fois à l’interphone deux jours plus tôt, j’avais refusé de me lever. J’étais plongé dans l’écriture et j’en avais assez ! Ce devait encore être un voisin qui avait oublié ses clés et sonnait un peu partout pour entrer dans l’immeuble !

Puis, dans notre boite à lettres- trop petite- j’avais trouvé cet avis de passage du facteur m’informant de mon absence alors qu’il avait l’intention de me délivrer un colis. Je devrais donc me rendre à la Banque Postale à partir du lendemain à 14h. Ce matin, deux jours plus tard, j’étais à mi-chemin lorsque je me suis rappelé que la Banque Postale, désormais, ouvrait à 9h30 et non plus à 9h voire à 8h30 comme avant. Quand ses agences étaient ouvertes dans d’autres endroits de la ville. Depuis deux ou trois mois, maintenant, son agence commerciale avait été rapatriée dans ce centre commercial que j’avais toujours très vite et très mal supporté et évité le plus possible. Ce centre commercial me faisait un peu le même effet que le tabac fumé.

Pendant des années, je pouvais être en présence de l’un comme de l’autre sans m’en sentir gêné. Aujourd’hui, dès que je suis dans un lieu clos en leur compagnie, je me sens agressé.

J’ai dû être le premier client à entrer dans ce centre commercial dont un vigile aimable et accueillant m’a ouvert la porte. C’était la première fois que je venais aussi tôt. En prenant l’escalator en marche, j’ai regardé ses allées et ses cendres encore vides de tout mouvement. Posté devant la grille fermée de la Banque Postale avec une bonne demi-heure d’avance, il s’agissait d’adopter une stratégie permettant d’enlever le temps d’attente de mes pensées. Pour cela, je me suis rabattu sur le journal gratuit de la ville. Parcouru en cinq minutes. J’ai flirté un peu avec mon téléphone portable (sms, réseau social…) avant de l’éteindre à nouveau. Entretemps, assez rapidement, d’autres personnes sont venues me rejoindre devant La banque postale. Des mamans, certaines voilées, et quelques hommes d’une bonne quarantaine d’années. Si au début, j’étais calme, j’ai commencé à me sentir un peu stressé. Ce centre commercial était un cercueil. Et j’avais l’impression que mon soulagement viendrait plus de ma sortie de celui-ci que de l’obtention de mon colis. Il y avait de plus en plus de monde derrière moi et sur mes côtés. Une bonne trentaine de personnes. Quelques fois, des employés de la Banque Postale se faufilaient entre nous. Un ou une de leur collègue leur ouvrait alors le rideau de fer et la nouvelle ou le nouvel employé ( e ) se courbait pour entrer dans ce lieu que nous convoitions et qui redevenait à nouveau physiquement inaccessible.

J’ai entendu la musique d’ambiance du centre commercial. Une musique de chiotte comme souvent. A quelques mètres devant nous, à travers le rideau refermé, j’ai aperçu l’écran du téléviseur sur lequel passait une pub puis une autre. Tout près de nous, devant la grille fermée, entre deux distributeurs, il y avait cette pancarte publicitaire montrant une jeune femme svelte en pantalon, élégante, maquillée, souriante, pouvant avoir la vingtaine comme la trentaine. Et, un peu plus haut, cette « maxime » :

« Les tarifs de la banque postale ne changent pas en 2019. Nous protégeons votre pouvoir d’achat ». J’ai pensé à un de mes rendez-vous avec notre «conseillère », dans une autre banque, quelques mois plus tôt. Celle-ci, comme bon nombre de ses semblables, expliquerait sans doute qu’elle aime beaucoup le « relationnel » avec les clients. Mais je m’étais trouvé dans un bureau en contre-plaqué alors qu’elle accédait à son ordinateur professionnel. Et, hormis une bouteille d’eau, son sac, une ou deux photos, ses stylos et une bricole, je m’étais dit que cet endroit qui faisait office de banque pourrait tout aussi bien être transformé en tout autre chose.

Notre conseillère s’était ensuite préoccupée de moi en s’en tenant à des protocoles édictés soit par son ordinateur, soit par sa hiérarchie et les axes décidés lors de réunions, soit par sa formation, et, bien-sûr, par son tempérament en dernier ressort.

A travers le rideau baissé, ce matin, nous avons vu les employés de la banque postale se faire la bise pour se dire bonjour. Dans « notre » banque, à l’ouverture, j’avais vu les employés se faire une poignée de main ou une accolade qui signait leur appartenance à l’agence comme à l’équipe.

Ce matin, à la Banque postale, la responsable d’équipe, une femme d’environ trente ans, s’est mise derrière un guichet. Et la dizaine d’employés, face à elle pour la plupart, l’ont écouté. Je « connaissais » de vue certains des employés. En fait, nous ne connaissons pas ces gens que nous voyons voire revoyons dans ces lieux et ces administrations dont nous attendons souvent des services qui ont pourtant tant d’importance pour nous. Alors que, de leur côté, ces professionnels et ces personnels s’impliquent comme ils le peuvent dans l’exercice de leurs fonctions et selon des objectifs qui leur ont été fixés. Et, ce matin, comme tant d’autres jours, à nouveau, nous étions là, nous, la clientèle, de l’autre côté du rideau fermé tels des zombies ou des animaux de zoo. Nous étions patients et disciplinés. Pourtant, je me suis demandé ce que donnerait une pareille situation si, pour une quelconque raison nous poussant à la panique ou à la colère, nous nous étions impatientés et que, de l’autre côté du rideau, ces mêmes employés avaient dû nous recevoir.

J’ai l’impression que l’agence a été ouverte avec un peu de retard. Je me suis avancé le premier avec ma carte d’identité et mon avis de passage du facteur puisque j’étais le premier arrivé. Une jeune femme, la « responsable » d’équipe que j’avais aperçu, m’a indiqué une table ronde devant laquelle il fallait attendre. Je me suis arrêté devant cette table ronde qui m’arrivait presque à la poitrine et où aucun agent de la Banque postale ne m’attendait. J’ai entendu une employée de la banque postale dire à un ou plusieurs de ses collègues :

« On accueille d’abord les gens ». Pendant ce temps, d’autres agents régulaient la circulation, montrant à telle cliente ou tel client où se diriger selon ses «besoins ». Un agent de la sécurité du centre accueil est entré, détendu. Mais je me suis demandé ce qu’il aurait bien pu faire, tout seul, en cas de tumulte.

Après quelques minutes, une femme d’une cinquantaine d’années s’est mise devant nous un peu comme la responsable « d’équipe » l’avait fait avec eux. Montrant un avis de passage à hauteur de visage, elle a dit d’une voix moyennement forte :

« Je m’occupe des instances. Vérifiez bien la date sur votre avis de passage. Car si le facteur est passé hier, le colis sera disponible le lendemain à partir de 14h». Puis, elle s’est occupée de moi. J’étais bien dans les clous. Elle m’a ramené mon colis et m’a souhaité une bonne journée. Je l’ai remerciée et je suis reparti de cet endroit sans regret. Je n’ai pas encore regardé ce qu’il y a dans ce colis.

Franck Unimon, ce jeudi 17 octobre 2019.

Catégories
Jeu

Elephant Man

 

Elephant Man Mis en scène par David Bobée

 

Il y a si longtemps que l’on croit les connaître, désormais, ces deux rochers accrochés à la notoriété en même temps qu’arrachés à la sobriété :

 

En 1985-1986, Béatrice Dalle était l’étincelle que Jean-Jacques Beineix, le réalisateur de 37°2, avait attendu, persuadé qu’elle était quelque part alors qu’il la cherchait toujours pour son film après avoir « vu » auparavant bien des actrices.

Dalle n’avait pas pris de cours de théâtre et n’avait pas fait escale dans une école de cinéma. Elle avait quitté sa province, en bisbilles avec sa famille, avant ses 16 ans. Et c’est elle que Beineix avait choisie. D’accord, elle n’avait pas une ride et était très belle. Mais elle était surtout sans bride.

Ensuite, après le très grand succès de 37°2 (qui rendra également célèbre son auteur, l’écrivain Philip Djian ) elle s’était insérée dans la partition de divers films d’auteur. Parmi lesquels, le Trouble Everyday ( en 2001) de Claire Denis avec Alex Descas mais aussi A l’intérieur ( en 2007) de Julien Maury et Alexandre Bustillo qui annonçaient peut-être l’adaptation ( très bien approuvée par la critique) de Lucrèce Borgia par David Bobée à nouveau à la manœuvre avec ce Elephant Man.

Aujourd’hui, on connaît bien plus Béatrice Dalle et Jean-Hugues Anglade (l’autre acteur principal de 37°2 ) que Jean-Jacques Beineix, pourtant un des réalisateurs prometteurs des années 80-90. Celui-ci a fait un certain retour sur sa carrière cinématographique dans son livre Sur les chantiers de la gloire.

Mais on connaît « bien » Dominique Besnehard qui avait aussi été l’agent de Béatrice Dalle à l’époque de 37°2 et les années qui ont suivi. Agent d’acteurs pendant des années, également acteur par exemple pour Pialat, producteur, inspirateur de la série Dix pour cent et Président , depuis ce mois de septembre, de la commission d’Aide sélective à la distribution de films au CNC, Dominique Besnehard a aussi raconté dans son livre Casino d’hiver son amour pour sa Béatrice Dalle. Et comment il était parti la chercher alors qu’elle s’écumait dans la drogue avec son Joey Starr, alors son compagnon, bad boy, et un des piliers Rap du groupe NTM.

Pourquoi le pseudo « Starr » ? En mémoire de ces esclaves qui, un jour, trouveraient ou atteindraient leur bonne étoile. Une étoile de mer, c’est souvent joli fut-elle celle d’un shérif, mais on oublie souvent dans le sable qu’elle fait aussi partie des espèces carnivores. Joey Starr-Didier Morville-ex/ Jaguarr Gorgone, de son côté, a aussi connu une carrière dissonante.

Dans sa première autobiographie, Mauvaises fréquentations, il raconte aussi devoir une partie de ses succès à des rencontres qu’il n’aurait jamais dû faire dans un schéma dit normal. Je l’ai déjà écrit dans un de mes articles antérieurs:

Il aurait été très difficile dans les années 90 d’imaginer que Joey Starr, aujourd’hui, serait le comédien recherché qu’il est que ce soit au cinéma ou pour des séries télévisées. Pour ma part, il y a plus d’une dizaine d’années, je le donnais mort avant ses quarante ans au vu de certains de ses excès très médiatisés. Ma pudibonderie et mon ignorance incrustées jusque dans le fond de mes dents m’ont largement donné tort. J’aurais peut-être mieux fait, comme Joey Starr à une époque, de me faire poser des dents en or. Ça m’aurait peut-être aussi réussi. J’ignore ce que vous en pensez mais en attendant, Joey Starr, aussi, tout comme Béatrice Dalle, a eu une enfance rudoyée. Lui, comme Béatrice Dalle, aurait pu encore plus mal tourner que ce que l’on « sait » :

Si l’on considère leur image publique, plutôt que des créatures de rêve, Béatrice Dalle et Joey Starr sont des créatures de carnage. Personne ne s’étonnera si l’on parle d’eux comme de « bêtes de scène ». Et c’est comme cela qu’en 2019 on arrive très facilement à Elephant Man.

 

 

Mais Béatrice Dalle et Joey Starr ont aussi des armatures people. Cela crée vis-à-vis de Elephant Man un rapport ambivalent en allant le voir….aux Folies Bergères. Il est difficile de savoir si l’on y va en tant que ( pour) voyeur de notre propre folie- et de notre racisme- ordinaire parce que ce sont deux «vedettes » plus ou moins monstrueuses, sachant qu’aujourd’hui, dire d’un artiste qu’il est « monstrueux » est très flatteur.

Si l’on y va parce-que l’on aime leur jeu d’acteur et que l’on est curieux de voir l’alchimie de leurs deux présences scéniques « sachant » ce que l’on croit savoir de leur histoire commune et séparée.

Ou si l’on veut « voir » ce que peut donner sur scène le Elephant Man que l’on a vu au cinéma en noir & blanc réalisé par un autre David ( David Lynch dans les années 80). Même si, au départ, l’œuvre originale The Elephant Man avait été crééé par l’auteur américain Bernard Pomerance pour le théâtre.

 

Ces questions restent solitaires après la représentation car Béatrice Dalle et Joey Starr jouent du trouble véhiculé par leur image publique. Ce qui est le propre, généralement, de l’artiste ou de la personne qui a du coffre.

Béatrice Dalle, sur scène, dit par exemple sûrement avec une réelle jubilation :

« Je suis juste une femme qui compose dans un monde d’hommes » et « Ce que j’expose, c’est une illusion ».

Joey Starr/Elephant Man, quant à lui, ânonne, comme le lui enseigne son nouveau maitre, Frédérik Treves (l’acteur Christophe Grégoire ?), le jeune chirurgien londonien ambitieux et réputé :

« Si je vis selon les règles, je serai heureux » et « Les règles nous rendent heureux car elles sont faites pour notre bien ». L’entendre dire ça peut revêtir un aspect comique tant la « réussite » artistique et professionnelle de Joey Starr incarne, aussi, plutôt le contraire de cette croyance. Mais il répète seulement à voix haute, sur scène, ce que la majorité des citoyens du monde et de France consent à penser : La pièce qui dure apparemment près de deux heures trente est loin d’être vide.

Elephant Man est le contraire d’une pièce « people » dont le socle repose uniquement sur l’affiche Dalle/ Starr. C’est bien sûr très bien écrit.

Et il y a la scénographie : Bien qu’il y ait quelques anachronismes, nous sommes à la fin du 19ème siècle. Et ce décor clinique et froid qui imite la céramique impeccable réplique avec précision le craquement des camps de concentration qui « arriveront » un demi siècle plus tard ; le nucléaire ; la médiatisation du tueur en série avec la figure de Jack l’Eventreur ; et leur consanguinité cachée avec le monde médical, économique et occidental blanc tout puissant de cette fin du 19ème siècle qui nous asservit encore.

Pouvoir rampant, omniprésent et viscéral, cette pensée de fin du 19ème siècle secrète l’esclavage, la névrose traumatique des vétérans de guerre du 20ème et du 21ème siècle, du professeur David Banner hanté par son inconscient colossal, Hulk. Joey Starr, de par son personnage d’Elephant Man, endosse tout ça. Ainsi que le harcèlement, la condition des migrants d’aujourd’hui. Cela lui donne une allure christique. Une image qui m’a marqué de Joey Starr, sur scène, est ce moment où recouvert tout entier par une couverture, émerge uniquement sa tête. Il paraît alors avoir le corps d’un enfant chétif, avec une tête d’adulte, qui fait penser aux enfants dénutris, battus ou à…E.T. Mais avec sa cathédrale, il peut aussi rappeler le personnage de Quasimodo. Et pour « appartenir » à la science, il évoquera aussi la créature du Dr Frankestein. 

 

Dans au moins une autre scène, sitôt que ses bourreaux apparaissent la nuit, période où les cauchemars que nous retenons le jour nous échappent, hypnotisé, en transes ou fanatisé, Joey Starr/ Elephant Man entame une danse comme sur un manège durant laquelle il déclame tel qu’il a été dressé. Le décor, pour l’époque, est peut-être high tech et parfait tout comme peut l’être le décor stérile de l’informatique et des nouvelles technologies. Mais celles et ceux qui l’occupent, les hommes qui dirigent ce bloc et ce décor, sont déviants et le crament comme nous continuons de cramer le bloc et le décor de notre monde que notre regard – intercepté par des écrans- ne voit pas. Elephant Man doit guérir d’une tare qui lui a été imputée. Il doit expier. Même si ce sont ceux qui l’exploitent selon une éthique commerciale, scientifique ou morale – victorienne- qui sont tarés. Mais ils le sont trop et sont par ailleurs trop nombreux, organisés, et trop violents pour être arrêtés.

Bytes ( l’acteur Michaël Cohen), le premier « Maitre » d’Elephant Man, à l’allure plutôt virile, très assurée, et sans doute homme charmeur, est ainsi le croquis du proxénète, du compagnon et du père conjugal, du dealer mais aussi de l’homme dépendant soumis à la petite cuillère de ses rêves de gloire. Homme criminel, il est libre de ses mouvements et de ses jugements tandis qu’Elephant Man, innocent, servile, respectueux des règles et vulnérable, aura une vie de repenti enfermé : D’abord au cirque puis à l’hôpital.

 

Joey Starr est le comédien principal d’Elephant Man. Je crois que cela aurait été mieux qu’il conserve sa voix et son intonation habituelle même si, en les retrouvant à la toute fin, son personnage semble nous dire que, depuis le début, il nous a joué ce que l’on attendait de lui sur scène…comme dans la vie.

L’arrivée de Béatrice Dalle sur scène est une agréable surprise : on sait qu’elle figure dans la pièce, on l’attend et on se demande quand elle va se montrer. Et puis, elle arrive. Elle a un plaisir évident sur scène et dans le fait de jouer avec Joey Starr. Je suis plus partagé sur son jeu vers la fin lors de la mort d’Elephant Man/ Joey Starr.

 

 

L’arrière du décor est assuré par une large vitre panoramique qui permet de voir arriver et partir les personnages : Quelle belle perspective ! On dira que cela reflète aussi très bien notre monde de voyeurs, certaines back rooms, ou nous remémore que nous sommes des êtres de passage. Mais en terme de jeu, ce dispositif rappelle très bien comme jouer, c’est d’abord avoir une présence physique. D’ailleurs, lorsque Joey Starr/ Elephant Man sort définitivement de la scène après sa mort, juste avant d’entrer en coulisses, il est sorti de son rôle et ça s’est vu à sa façon de se tenir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Avec un duo Starr/ Dalle aussi « connu » et qui sait remplir l’espace, il est peut-être difficile de se faire remarquer à son avantage en tant que partenaire de jeu…. Si les comédiens qui interprètent  l’infirmière ( Clémence Ardoin?), le chirurgien Treves ( Christophe Grégoire?) « Jack l’éventreur » ou encore l’employé de l’hôpital ( Radouan Leflahi ? ) se démarquent , La danseuse XiaoYi Liu est celle qui y parvient le mieux :

Le temps d’un solo, elle évolue dans une dimension où personne ne peut la rejoindre ; animale, araignée éventrée, zombie, danseuse de Butô, elle fait ressusciter plus d’une fois nos cristallins. Que sa gestuelle soit minimaliste ou remorque tout l’espace. Heureusement que son solo le plus long dure seulement quelques minutes car il aurait pu nous faire oublier le reste. Je me demande ce qui a donné l’idée à David Bobée de l’inclure dans ce projet mais il a bien fait.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 15 octobre 2019.

Catégories
Cinéma

Port Authority

 

 

 

 

 

 Port Authority, un film de Danielle Lessovitz

( En salles depuis le 25 septembre 2019)

 

 

« J’ai vu ce film il y a quatre ou cinq jours. Ce film m’est passé dessus. Il m’a plu. Mais j’ai cru que je ne pourrais pas écrire à son sujet. J’avais pourtant pris quelques notes pendant la séance ».

 

J’avais écrit ça il y a neuf jours. Il y avait une suite que je viens d’effacer.  Je reprends aujourd’hui cet article et j’en clôture la fuite. Et ce sera mon centième article pour mon blog créé l’année dernière. Mon premier article avait été publié le 23 novembre dernier ( Au Lycée ).

 

Une vingtaine de spectateurs se trouvaient dans la salle pour cette première séance matinale de Port Authority à 9h20.

Il y avait différents styles ou différents genres de spectateurs : Du jogger arrivé en short, baskets et débardeur juste avant le début du film, au couple sexagénaire, à la jeune femme gothique aux cheveux en partie verts, piercée et isolée, en passant par le duo de copines. Je crois avoir été le seul homme noir présent.

Il aurait fallu parler de la pub qui a précédé le film puisque la pub nous parle aussi de notre époque et des rôles que nous sommes supposés endosser. Mais j’ai préféré en parler dans un autre article afin de moins me disperser.

 

 

Paul, jeune blanc de Pittsburgh, débarque à New-York. Pittsburgh-New-York, cela représente un trajet de cinq cents kilomètres. Selon wikipédia, la ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie, est depuis des années « la première ville américaine pour la qualité de la vie, grâce à sa sécurité, ses universités, sa culture, son économie et sa taille modeste ».

Cela, on ne le perçoit pas forcément en voyant Paul (l’acteur Fionn Whitehead) attendre à la gare routière ( Port Authority) que quelqu’un- sa demie sœur- vienne le chercher. Ce que l’on voit, c’est un jeune homme seul qui compose plusieurs fois un numéro sur son téléphone portable qui sonne dans le vide. Ce que l’on voit aussi, c’est l’indifférence des personnes qu’il sollicite. Aucune ne prend le temps de s’arrêter pour lui répondre. Et lui, un peu naïf, semble croire qu’un de ces passants pourrait connaître sa demie sœur. On peut donc être un jeune américain et ignorer que la vie à New-York, dans son propre pays, se déroule sur une bien plus grande échelle qu’à Pittsburgh.

Ces premières informations sur Paul sont importantes car elles nous rappellent qu’on peut être blanc aux Etats-Unis et être un étranger dans son propre pays.

Ensuite, l’originalité du personnage de Paul est que la ville de New-York est souvent dressée comme celle des opportunités professionnelles où l’on peut venir tailler son rêve américain lorsque cela se passe bien. Si l’on est travailleur et que l’on est un as de la débrouille.

 

Paul est travailleur et sait assez bien se défendre dans la rue. Néanmoins, son rêve (américain) est plutôt de trouver une famille. Pas de faire carrière.

Nous apprendrons très peu de son passé à Pittsburgh avec lequel il cherche à couper les ponts. Mais Pittsburgh est une « ville de ponts » (environ 400 selon Wikipédia à nouveau) et c’est aussi par eux que l’on sort de chez soi et que l’on va vers les autres. Et, ça, c’est beaucoup le personnage de Paul parce qu’il n’a plus rien au début de Port Authority :

Pas d’emploi, pas de qualification particulière, pratiquement pas de famille, pas de talent singulier, pas de projet immédiat donc pas d’avenir évident et pas de toit. Pour survivre, Paul le « homeless » est donc dans la nécessité d’aller vers les autres. Du fait de son dénuement et de sa personnalité, il a la liberté de choisir entre deux options :

Aller vers celles et ceux qui lui ressemblent et ce qu’il « connaît » le mieux. Ou aller vers celles et ceux qu’il ne connaît pas au gré de ses rencontres. Il va d’abord choisir les deux.

 

C’est de cette façon que se fait la rencontre avec Wye (l’actrice Leyna Bloom), transgenre noire et danseuse, qu’il voit d’abord comme une femme, et qu’il se serait peut-être interdit de regarder, de désirer et de rencontrer s’il était resté vivre à Pittsburgh et qu’il y avait « réussi » socialement et économiquement.

Port Authority est un film-pont entre des Amériques qui,  au sein du même pays, habituellement, se côtoient peu :

L’Amérique blanche au ras de la pauvreté, mais néanmoins encore valide et combattive, et l’Amérique des races et des genres. Mais ici, on ne parle pas de l’Amérindien qui, une fois de plus, est inexistant dans le cinéma américain lorsque l’on parle de l’Amérique multi-raciale.

 

 

Il est possible que devant cette histoire, certaines personnes voient Paul comme un simple plouc arriviste qui veut juste se « faire » un homme ou une femme noir (e) et qui représente cette ambivalence prédatrice sexuelle de l’Amérique blanche pour la « créature » noire. « Créature » que l’Amérique, comme au moins la société occidentale blanche a contribué à créer :

Celle qui danse, chante et se reproduit bien et que l’on peut éventuellement tolérer à condition qu’elle ne dépasse pas la place et la limite- y compris odorante- qui lui est allouée telle que l’explique ce riche Coréen à son chauffeur dans le film Parasite réalisé par Bong Joon-Ho (Palme d’or à Cannes cette année).

Le personnage de Paul franchit néanmoins, lui, plusieurs fois les limites et les frontières, sexuelles, mentales et raciales. En ( se) mentant. Et son esprit « bi», comme bicéphale ou bi-conceptuel plutôt que bisexuel, agacera celles et ceux qui réclament que chacun choisisse rapidement son camp ou sa paroisse (sexuelle, raciale, mentale, sociale ou culturelle) et s’y tienne résolument jusqu’à la mort ou jusqu’à sa prochaine réincarnation.

 

 

On peut trouver que la réalisatrice de Port Authority insiste trop sur l’homosexualité puérile, bourrine, aussi stérile que refoulée, de certains des pairs blancs de Paul pour mieux affirmer que, lui, est véritablement hétérosexuel. Mais dans cette Amérique où des blancs presque pauvres sont les soldats indifférents- comme les usagers de la gare routière avec Paul au début du film- d’une Amérique riche et méprisante qui dépouille d’autres presque pauvres, il existe des familles protectrices. Dont celle de Wye qui, en plus d’avoir créé son propre corps dans cette société qui rejette son être et son espèce, a aussi créé sa famille et son espace de toute pièces sans doute avec la même volonté qu’elle s’est transformée en femme.

 

En cela, le personnage de Wye peut sembler avoir plus de maturité, de force et de courage que celui de Paul. La principale différence avec Paul est peut-être pourtant que Wye a achevé sa transition en tant que personne alors que Paul se cherche encore en tant qu’adulte et en tant que personne dans la société au moment de leur rencontre.

D’une façon beaucoup plus douloureuse, en tant que personne transgenre, il en est de même pour le personnage principal de Girl dans le film de Lukas Dhont ( Girl).

On peut aussi voir des films comme Transamerica de Duncan Tucker, Boys don’t cry de Kimberley Pierce ou la série Hit and Miss de Paul Abbot, ou, contrairement au personnage de Wye, des personnes transgenres se cherchent encore. Mais aussi penser à l’intrigue qu’inspire le Major Kusanagi ( incarnée par l’actrice Scarlett Johansson) à une créature dans le remake réalisé par Rupert Sanders en 2017 du manga Ghost in shell qui lui demande :

« What are you ? » (  » Qu’est-ce que tu es ? »). 

 

Concernant Paul, lui reprocher sa lâcheté reviendrait à minimiser la difficulté de certaines décisions dans la vie réelle comme le fait qu’il faut parfois des années voire presqu’une vie pour arriver à se séparer de son passé et de certains modèles de vie et de pensée :

En arrivant à New-York, Paul est encore relié à un certain modèle de réussite par sa demie sœur qui, apparemment, a « réussi » et à qui il convient de ressembler. Soit le modèle standard de la réussite dont la majorité tente généralement de se rapprocher avec voiture, mariage, biens de consommation incarnant une « bonne » intégration sociale, appartement ou maison, bon emploi, amis plutôt blancs, plus ou moins aisés et cultivés, enfants etc….

Avec le personnage de Wye, on est à la fois dans la marge parce-que l’on est dans un milieu noir, transgenre et homo, socialement modeste, mais aussi parce-que l’on est dans un milieu artistique donc créatif et, souvent, précaire et intermittent. Soit le contraire du quotidien balisé et sécurisé de la population « normale » et majoritaire des Etats-Unis  (ou de toute autre nation).

D’où un certain choc social et culturel que les Etats-Unis ainsi que bien d’autres nations « évoluées » et démocratiques ont encore du mal à absorber et à appréhender.

Photos : Alexander Laurent. 

Franck Unimon, ce jeudi 10 octobre 2019.

Catégories
Moon France Musique

Ann O’Aro

 

J’ai pris en photo la pochette de cet album il y a un an. Le 27 septembre 2018 exactement. J’ai beaucoup aimé cet album. Mais je n’avais pas osé en parler ou écrire à son sujet. J’avais commencé et puis je me suis arrêté.

 

Même aujourd’hui, en le faisant, je me demande avec une certaine inquiétude ce qui va m’arriver.

Peut-être parce-que Ann O’aro est une très belle femme et que sa voix est Le précipice qui me jette à la tête cette mauvaise conscience que je tète.

Peut-être que sa douleur me coupe et que, par une soudaine infusion, je bats ma coulpe.

 

Lorsque je l’écoute, je me tiens à distance. Sa voix authentifie certaines de mes peurs. Ainsi que l’innocence dont le poids me rappelle comme je suis léger devant le danger. Et qu’il me mange, moi, mes rêves, ma langue, mon squelette et tout ce qui va avec avant même que je puisse lancer un seul des gestes auxquels j’avais promis de plaire.

Le soupçon est l’hameçon que le danger me laisse pour tout horizon.

 

Il me semble que si l’on écoute Ann O’aro et que l’on est un garçon, si l’on est un enfant, on peut s’en sortir et savoir comment l’approcher avec suffisamment de douceur. Par contre, si l’on est un homme adulte et que l’on «sait », alors, on s’épuise, on se décourage puis l’on se repousse car on se sent l’auteur impuissant d’un carnage. Etre près d’elle est risqué :

Comment savoir ce que l’on est et ce que l’on fait véritablement alors que l’on marche, transformé, sur le feu et que le feu est la peau de quelqu’un d’autre ?

 

Lorsque j’écoute Ann O’aro, plus je trouve ça beau, plus je me sens mal à l’aise. Et cela arrive souvent. J’ai tellement de mal à retenir ne serait-ce que l’orthographe pourtant simple de son nom. Cela fait pourtant tellement de fois que j’ai lu  et relu son nom d’artiste. La bassesse et le mal qu’elle transforme en Haut, j’ai l’impression que c’est moi qui les ai faits.

Bien-sûr, c’est une illusion. C’est en tout cas ce que je crois. Elle et moi ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Pourtant, j’en ai l’impression, encerclé, ensorcelé, défié ?, par ce chant de paon qui me fait voir de toutes les couleurs et me prive de toute certitude.

 

Franck Unimon, jeudi 3 octobre 2019.

Catégories
Echos Statiques Musique

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

 » Danser, c’est prendre subitement en dégoût tout ce qui empêche de danser »

 » J’aimerais que l’une de mes chansons revienne, dans quelques années, de l’oubli ou des malentendus (…) Faire danser les gens, longtemps après ma mort. La vanité des vanités. Comme ce serait consolant ».

 » Je n’allais pas bien. J’avais quarante et un ans et m’enlisais. Certes, je travaillais dans la plus grosse boite d’Europe, au Cap’tain, en Belgique. Mais ma musique pâlissait, elle devenait minimale, sans âme, la mélodie n’existait plus. Que n’aurais-je donné pour renouer avec des émotions simples ! Je rêvais de compositions, de mes propres chansons, mais tout m’en empêchait. Me manquaient le courage, l’argent, la chance. Je vivais seul, dans une maison qu’un écrivain de jadis  eut appelé masure (….) j’étais un mec à la jeunesse enfuie (…..) sans aucune confiance en lui, odieusement, furieusement, maladivement mélancolique ».

C’est ce qu’a pu écrire Fred Rister dans son livre Faire Danser les gens que j’avais lu cet été. En juillet, je crois. Je m’étais dit que j’en parlerais ainsi que d’autres de mes lectures. Et puis, je suis parti « ailleurs ».

Je ne connaissais pas Fred Rister avant de tomber sur ce livre à la médiathèque. Je « connaissais »  de nom David Guetta avec lequel il a composé plusieurs tubes ces dix ou quinze dernières années.

L’ancien président de la République Jacques Chirac est mort hier ou avant hier et l’on va beaucoup nous en parler et nous en reparler. Et nous expliquer comme il était attachant et comment, avec sa mort, nous avons tous beaucoup perdu en même temps qu’un être exceptionnel.

Bien des hommages à certains défunts « célèbres » me donnent l’impression d’être principalement destinés à nous convaincre comme, nous, les ordinaires, nous avons des vies de merde comparées à tous ces  » Monsieur » et toutes ces « Dame » qui partent. Car c’est bien connu :  » Seuls les meilleurs s’en vont ».

Alors, ce matin, plutôt que de pleurer sur la mort de Jacques Chirac ou d’une autre personnalité- qui aura souvent principalement été obsédée par sa réussite personnelle- que l’on nous sortira bientôt de son dernier souffle,  je choisis de faire un hommage tardif à Fred Rister, décédé dans la cinquantaine, le 20 aout dernier, d’un cancer vraisemblablement. Je n’ai pas vérifié. Mais en lisant son livre, j’avais appris qu’il avait commencé à se battre contre le cancer alors qu’il avait une vingtaine d’années.

Après avoir lu son livre cet été, et donc vraisemblablement quelques semaines avant sa mort, j’avais eu envie de le contacter. De l’interviewer. C’était évidemment déja trop tard et déplacé. Mais certains écrits m’ont déja donné cette envie.

Je n’aime pas particulièrement ce que j’ai pu entendre, pour l’instant, de la musique de David Guetta. Mais j’avais été très touché par le livre simple et sincère de Fred Rister. Bien qu’il laissera sûrement moins de souvenirs que le livre sur la techno écrit par Laurent Garnier, autre DJ français à la renommée internationale.

C’est en réécoutant bien fort un Cd du groupe Tabou Combo que je mets ce matin la dernière touche à cet article. La musique de Tabou Combo, le Kompa, n’a au départ rien à voir a priori avec l’univers musical de Fred Rister, David Guetta, Laurent Garnier et de leurs inspirateurs, contemporains et successeurs.

 

En ce moment, j’écoute beaucoup le quadruple album du groupe Tabou Combo (Gold) emprunté à la médiathèque. C’est une façon pour moi de retrouver des titres que j’ai pu entendre enfant dans les soirées antillaises (baptêmes, mariages, repas familiaux…) où mon père nous emmenait et dont j’ignorais les titres. Et de les réécouter avec mes oreilles d’adulte d’aujourd’hui et amateur de musiques. Depuis hier au moins, je reste « bloqué » sur les titres Allo et Banboch Paramount.

Dès le premier titre du premier Cd ( Tu as volé ) de cet album, j’ai été épaté par le haut niveau musical de Tabou Combo. Comme on dit : « ça joue ! ».

J’ai aussitôt compris pourquoi ce groupe de musique, ainsi que d’autres formations haïtiennes, dominait le champ musical aux Antilles françaises dans les années70 et 80 jusqu’à ce qu’arrive le Zouk et des groupes comme Kassav’ au milieu des années 80 Kassav’ .

 

Mais l’autre point qui me marque en écoutant cet album de Tabou Combo est d’ordre sociologique, culturel, identitaire et sans doute religieux.

La musique de Tabou Combo s’inspire au moins des formations Jazz, Funk, rap, ou latines.  J’ai appris cette semaine que Tabou Combo a par exemple été très populaire voire l’est encore….au Panama !

La musique de Tabou Combo est donc plutôt cosmopolite et métissée.  C’est pourtant une musique noire, voire sauvage et ébouriffée, au sens où c’est le corps qui est mis à l’honneur avec la danse, le rythme et la durée des morceaux. Et que l’on s’y exprime principalement en Créole. Soit le contraire de la plus grande partie des tubes de variété française des années 70 et 80 qui étaient moins faits pour danser et pour entrer en transe. Imaginez-vous en train de danser sur des titres de Sheila, Ringo, Julien Clerc, Charles Aznavour, Mireille Matthieu, Demi Roussos, Alain Souchon, Johnny halliday, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Daniel Balavoine…

Que la transe soit néanmoins possible avec ces artistes pour leurs fervents amateurs, je peux le concevoir. Je précise en outre que j’aime un certain nombre de titres de ces artistes. Mais danser sur leur musique….

 

Alors que les groupes comme Tabou Combo composent des titres pour faire danser les gens tout au long de la nuit et de la vie. Et, ça, c’est plus antillais et noir, africain, noir américain ou latin…qu’européen, cartésien, « Macronien » ou « Hollandais » et blanc.

Du moins, ça l’était particulièrement dans les années 70 et 80.

 

En France, si je dois penser à des artistes qui faisaient danser les gens dans les années 70 et 80, je trouve qui ? Claude François. C’est peut-être pour cette raison ( et cette explication parviendra peut-être enfin à me débarrasser d’une de mes hontes enfantines définitives ) que Claude François, à sa mort à la fin des années 70, était mon chanteur « préféré ».

 

Aujourd’hui, et cela s’est à nouveau vérifié à à la fête de l’Huma il y a quelques jours, il suffit de mettre le titre Alexandrie, Alexandra de Claude François pour que des gens se mettent aussitôt à danser. Maintenant qu’il est mort, peut-être Fred Rister connaîtra-t’il aussi l’honneur d’avoir des vivants qui dansent sur sa musique et qui continueront de le faire.

 

 

On répète souvent que les Noirs ont « la musique dans le sang » ou « dans la peau ». Et des Noirs le pensent eux-mêmes. C’est tellement valorisant. Je pense pourtant que c’est faux. La musique est surtout un fait culturel qui se transmet de génération en génération.  Autrement, comme l’aurait dit Desproges, il suffirait que chaque fois qu’un Noir passe à côté d’un Djembé, fut-il en vitrine, il se mette à jouer du Tam-Tam ou de la guitare basse comme Mozart a composé de la musique. Je peux en témoigner :

J’ai essayé de prendre des cours de guitare basse il y a plusieurs années. Malgré le très bon professeur que j’avais et toute la musique écoulée dans mon corps dès mon enfance, je n’ai jamais réussi à être le musicien extraordinaire que je rêvais d’être et ne le serai jamais. Je le regrette encore amèrement. Quant à la danse, on me prête peut-être certaines aptitudes mais je sais, pour ma part, que le langage de ma danse est limité et stéréotypé.  D’ailleurs, pour tout cela, j’en profite pour vous présenter à vous ainsi qu’à l’Humanité toute entière, mes plus humbles excuses car j’ai failli.

 

Je pourrais être très raciste et de mauvaise foi et dire que tout est évidemment de la faute de mon professeur (blanc) de guitare basse, cet « incapable »  dont la pédagogie était incompatible avec mon « génie » musical nègre. Mais même si l’on est doué pour elle, la musique nécessite travail et régularité. Et j’avais manqué au moins de travail et de régularité dans ma tentative d’apprentissage pratique de la guitare basse débutée tardivement à l’âge adulte.

 

Je crois au fait que la musique, dans certaines cultures et certains milieux sociaux, est une fête et une promotion du corps en même temps qu’un événement social alors que dans d’autres cultures et dans certains milieux sociaux, il est honteux de « bouger », de transpirer, de crier ou de faire «bouger » son corps et ses attributs sexuels en public même s’ils sont recouverts de vêtements. C’est évidemment une façon différente de vivre avec son corps et sa sexualité. Là où certains dogmes sociaux et culturels décident d’interdire et de limiter le déplacement et les élans des corps, dernières marches avant l’orgasme, la transe, la « révélation » ou la révolution, d’autres dogmes, lors de certains rituels sociaux, leur commandent de démontrer et d’exhiber leur endurance, leur harmonie, leur puissance et leur sensualité. Car il s’agit sûrement de montrer comme on est un bon parti pour une nuit ou pour la vie.

 

Il y a bientôt deux ans maintenant, au conservatoire d’Argenteuil où j’accompagnais ma fille à son cours d’initiation à la danse, au chant et à la musique, j’avais entendu un petit de l’âge de ma fille demander à voix haute à sa mère s’ils avaient dansé son père et elle à leur mariage. La maman, souriant d’être interpellée publiquement de cette façon par son fils, lui avait répondu, comme une évidence, que, non, ils n’avaient pas dansé lors de leur mariage. Je suis persuadé que l’on peut faire et vivre un très beau mariage sans danser. Mais je suis aussi tout autant persuadé qu’il est inconcevable pour un Antillais que la musique et la danse soient absentes de son mariage ou de tout événement particulier de sa vie. J’ai encore un peu honte vingt ans plus tard d’avoir très mal choisi le DJ qui avait animé la soirée d’un de mes pots de départ. Je suis sûrement le seul à me rappeler de cette erreur de casting.

Et il y avait bien-sûr de la musique et de l’espace pour danser à mon mariage. Au préalable, j’avais pris soin de constituer moi-même la liste des titres et de la transmettre au DJ afin qu’il la passe.

Et, si j’avais pu financièrement, j’aurais fait venir un groupe de Gro-Ka. En Bretagne.

 

Et je garde encore un souvenir très mitigé de cette connaissance alors en couple avec un Antillais. Cette femme m’avait appris ne pas aimer la musique antillaise. Ce qui était son droit. En revanche, sa remarque suivante m’avait froissé alors qu’elle constatait, avec un certain dédain victorieux :

« Maintenant, il a compris : il écoute au casque ! ».

 

Je crois qu’à partir des années 80 et 90, sans doute avec l’apport des musiques « noires », en particulier de la Techno et de la house de Detroit et de Chicago, mais aussi de la musique africaine et du Zouk, le rapport à la musique et à la danse s’est transformé et un peu plus « ouvert » en France  :

Bien avant cela, il y avait évidemment déja des Blancs qui dansaient et aimaient danser ou en avaient besoin. On sait nous citer et nous remémorer par exemple les Fred Astaire et les Gene Kelly et d’autres artistes tels Ninjinsky et tous leurs prédécesseurs en Europe.

Désormais, des musiques comme la Salsa, le Zouk, le Kompa, le Hip-Hop, le Ragga, la Rumba congolaise, le M’balax, le Raï, le Maloya et bien d’autres « autrefois » plus considérées comme des genres « ethniques » réservés aux non-blancs sont plus dansées- et écoutées- par les Blancs. Et dans une interview, l’un des membres du groupe Justice peut dire de façon décontractée que le Rap fait partie des musiques qu’il écoute. Il y a quarante ans, il n’était peut-être pas né ou seulement depuis peu, le même n’aurait pas pu dire ça : en France,  Le Rap était plutôt la musique écoutée par  des jeunes en colère qui avaient du mal à se faire accepter de la société française et des élites installées ( comme Jacques Chirac et d’autres) et refusaient de se laisser dominer par elles.

 

A la fête de l’Huma il y’a bientôt dix jours, avant sa venue sur scène, le groupe Kassav’ comme le 11 Mai dernier à la Défense ( Un Moon France en Concert) , a « mis » un titre du groupe Akiyo, un groupe de « tambours » de référence en Guadeloupe et que je n’ai jamais « vu » en public.

A la fête de l’Huma( Quelques photos de la fête de l’Huma 2019) ,  Sonjé (rappelle-toi/ N’oublie pas) le premier titre de Kassav’ interprété sur scène rappelait cette époque (sans doute en Afrique, donc, avant l’esclavage mais aussi lors de l’esclavage aux Antilles ) où la communauté, toutes générations confondues, dansait et vivait autour du Tambour dans une certaine unité.

Je ne crois pas l’avoir entendu mentionné dans leur chanson mais lors d’un enterrement, aux Antilles, la musique est présente. Et des anecdotes sur la défunte ou le défunt peuvent aussi être racontées.

 

J’aime écrire et dire que mon père m’a raconté qu’un de mes cousins éloignés du côté maternel, Marcel Lollia dit Vélo, était allé jouer à l’enterrement d’un de ses amis même si, au départ, les personnes endeuillées voyaient cela d’un mauvais œil. Sûrement parce-que ça faisait « mauvais genre », qu’il présentait mal (Vélo est mort pauvre, alcoolique et quasi SDF alors qu’il avait une cinquantaine d’années) et aussi parce qu’il était venu avec son tambour plutôt qu’avec une tenue vestimentaire protocolaire.

 

Egalement en Guadeloupe, à la mort de ma grand-mère maternelle, j’avais appris qu’un de mes cousins avait joué du Ka.

 

Pour extraordinaires qu’elles soient, ces deux histoires me semblent complètement normales. Pourtant, si je reviens un peu à moi et que je prends quelques secondes pour les regarder depuis une perspective de citadin «parisien » rationnel et lambda, ce que je suis aussi, je m’aperçois qu’elles auraient de quoi apparaître encore « exotiques » ou «bizarres » pour certains esprits pourvus d’une autre logique et d’autres « principes » face à la vie et à  la mort. Même si depuis les années 90 à peu près, le rapport à la danse et à la musique a changé en France, cela est vrai pour une certaine partie de la population française :

 

Les événements festifs cet été à Nantes qui se sont mal terminés ( avec un affrontement avec les forces de l’ordre et plusieurs noyés dont un, Steve,  dans des circonstances très douteuses) indiquent quand même que la musique et la fête peinent aussi difficilement à coexister avec les Autorités de notre pays et certaines et certains en province mais aussi à Paris.

 

 

Il demeure néanmoins : depuis longtemps, pour moi, lors d’un enterrement, l’absence de musique et de rires est pire que la mort elle-même.

 

En écoutant cet album de Tabou Combo depuis quelques jours, groupe que j’ai entendu depuis mon enfance en France et en Guadeloupe, je comprends donc mieux (là où je le subissais principalement jusqu’alors) ce décalage culturel évident qui existait et subsiste encore entre moi, ce monde dont je viens, et certains de mes amis, amies, copains, copines et collègues blancs et français jusqu’au bout du corps, des oreilles et des ongles de façon assez « traditionnelle » ou « conventionnelle ». Surtout s’ils restaient et restent cantonnés à leurs repères culturels et musicaux souvent faits de musique anglo-saxonne ou de titres exclusivement français, musiques et titres, qu’un métis culturel comme moi (mais aussi bon nombre de mes compatriotes aux Antilles) ingéraient très tôt et continuent d’ingérer par ailleurs en parallèle.

 

 

A parler musique, j’ai une anecdote pour illustrer à la fois ce décalage et cette fermeture d’esprit d’ordre culturel de certains de nos amies et amis français et blancs  » traditionnels » ou « conventionnels » en dépit de leur sincère  amitié pour nous, les Noirs, les autres, les différents ou les fous de France :

 

L’année dernière ou cette année, un de mes amis m’a proposé d’aller avec lui à un concert de musique. La place de concert était très chère. Et c’est sans doute ce qui m’a d’emblée fait reculer même si j’aime beaucoup cet ami et aurais été volontaire pour aller écouter en concert cet artiste dont j’aime plusieurs titres :

La place de concert était en moyenne à 70 euros.

 

Cet ami avait déjà acheté sa place. Et, il s’y rendait avec au moins une autre personne qui avait déjà également sa place de concert. Alors que j’écris cet article, j’oublie le nom de cet artiste qui a fait partie des Pink Floyd. Cet «oubli» vient sans doute du fait que cette anecdote m’a finalement permis de me rendre compte , l’année de mes 50 ans, que j’avais régulièrement vécu ce genre de situation en France :

Où, moi, le Français noir, le Français d’origine antillaise, le Négropolitain, le Moon France (Moon France ), le Bounty, Le Nègre volant non identifié ( selon certaines définitions « affectueuses » de mes compatriotes pour les Antillais  nés comme moi en France) je peux me faire à la musique et à une langue d’ailleurs ( distincte de celle de mes ancêtres et de mes origines) et la faire mienne tout en gardant celle que m’ont donnée mes parents tandis que mes amis « blancs », eux, s’abstiennent de faire la même démarche vers mon univers musical. Et culturel.

 

Et, à propos de cet ami, je m’étais avisé que si je pouvais, moi, me rendre au concert qu’il me proposait et y prendre plaisir, lui, ne viendrait jamais avec moi à un concert de Kassav’ ou de Zouk. La différence, pour moi, ne provient pas seulement du fait que certaines personnes vont avant tout à un concert de musique pour la « cérébraliser » là ou d’autres y vont avant tout ou principalement pour danser et chanter. Je suis moi-même très cérébral.

 

La différence provient selon moi aussi du fait que certaines personnes, noires ou blanches, sont plus ouvertes que d’autres tout simplement. Pour certaines personnes, aller vers un certain inconnu, musical ou autre, revient très vite à aller se risquer dans un coupe-gorge en dents de scie ou à aller à la rencontre de fous dangereux en liberté dans un asile psychiatrique. Car, évidemment, si l’on peut aimer se rendre à un concert pour danser et chanter, on peut tout aussi bien être aussi celle ou celui qui sera content(e ) d’aller écouter, assis, de la musique classique ou une musique qui ne « se danse pas » et ne se chante pas. Un peu plus haut dans cet article, je brocarde un peu certains artistes français majeurs. Mais si j’avais pu me rendre, j’aurais aimé me rendre à un concert de Johnny Halliday. Je me suis abstenu de le faire sur la fin de sa carrière car j’ai refusé de me rendre à un de ses concerts pour le voir en minuscule sur grand écran parmi une foule plus que nombreuse. Et, si j’avais la disponibilité pour cela, j’aurais la curiosité d’aller voir la plupart des autres artistes ( pour celles et ceux qui sont encore vivants) que j’ai cités avec lui.

 

Je fais partie de ces personnes qui peuvent se rendre à un concert pour découvrir une artiste ou un artiste que je ne connaîs pas ou que je  n’ai jamais entendu. Au même titre qu’en allant voir un film, je veux en savoir le moins possible sur l’histoire.

 

Je ne connaissais pas Brigitte Fontaine avant d’être emmené par une amie à un de ses concerts au Bataclan il y a une quinzaine d’années. D’autres personnes auraient eu la même curiosité et la même disponibilité que moi, blanches ou noires. Alors que d’autres s’y seraient catégoriquement opposées. Il aurait presque fallu leur proposer une prépa concert avec une cellule de débriefing à la sortie. Et c’était plusieurs années avant le très douloureux attentat « du » Bataclan.

 

Dans la même idée, je n’avais jamais écouté le moindre titre de Joe Bonamassa lorsque Christophe Goffette, mon ancien rédacteur en chef de Brazil et également rédacteur en chef, alors, du magazine musical XCrossroads m’avait permis de me rendre à un de ses concerts à Paris. J’avais découvert l’artiste sur scène, donc dans les meilleures conditions, en me rendant seul à son concert. Au très grand plaisir de cette découverte (je me répète) musicale avait répondu l’attitude étonnante d’un des spectateurs assis juste à côté de moi.

Alors que j’avais voulu converser civilement avec lui, celui-ci, dès l’extinction des lumières dans la salle, au début du concert, avait rabattu avec autorité sur son visage une paire de lunettes noires. Et, il avait arboré l’air sérieux et buté de celui qui n’était pas là pour rigoler ou discuter. Cette attitude étrange, mettre des lunettes noires dans une salle déjà noire, et plutôt hautaine de façon déplacée (Ps : la musique de Joe Bonamassa et sa façon de chanter doivent beaucoup au Blues)  m’avait informé que cet homme qui se tenait près de moi était plutôt du genre (très) fermé sur lui-même. Ce qui ne m’avait pas empêché d’aimer le très bon concert de Joe Bonamassa. Même si, ensuite, ses albums que j’ai écoutés m’ont fait moins d’effet.

 

Aujourd’hui, en France, les Angèle, Aya Nakamura, Soprano et autres artistes peuvent être écoutés par un public varié, adulte comme enfant.  Notre fille nous a surpris récemment à chantonner Balance ton quoi d’Angèle à la maison. Depuis, j’ai fait une réservation sur cet album pour l’emprunter prochainement à la médiathèque. Et, récemment, j’ai étonné une « jeune » de vingt ans en lui apprenant que j’avais acheté le dernier Cd d’Aya Nakamura et que je regrettais de l’avoir ratée à la fête de l’Huma.

Moi, le quinquagénaire, je continue de prendre le temps- et le plaisir- de découvrir et d’écouter de nouveaux artistes « connus » ou « populaires », en France ou ailleurs, au même titre qu’un morceau de musique classique, de musique perse, de Zouk ou d’autres genres musicaux. La pile de Cds que je continue d’emprunter régulièrement à la médiathèque en atteste. Ainsi que les films que je vais voir pour reparler (un peu) cinéma.

 

Même si j’ai évidemment, aussi, mes standards, la musique est ce qui me permet de rester jeune.

 

Je me rappelle de cette rencontre que deux amis (Jérome et Driss) et moi avions faites, avant nos vingt ans, à la radio FIP où nous nous étions présentés comme ça, un jour.

 

L’animateur radio qui avait eu la gentillesse de nous recevoir quelques minutes dans leur local de vinyles (des étagères pleines de vinyles) avait dit à un de ses collègues qui allait partir en voyage :

 

« N’oublie pas la musique ! ».

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 septembre 2019.

Catégories
Croisements/ Interviews Musique

Quelques photos de la fête de l’Huma 2019