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Cinéma

Port Authority

 

 

 

 

 

 Port Authority, un film de Danielle Lessovitz

( En salles depuis le 25 septembre 2019)

 

 

« J’ai vu ce film il y a quatre ou cinq jours. Ce film m’est passé dessus. Il m’a plu. Mais j’ai cru que je ne pourrais pas écrire à son sujet. J’avais pourtant pris quelques notes pendant la séance ».

 

J’avais écrit ça il y a neuf jours. Il y avait une suite que je viens d’effacer.  Je reprends aujourd’hui cet article et j’en clôture la fuite. Et ce sera mon centième article pour mon blog créé l’année dernière. Mon premier article avait été publié le 23 novembre dernier ( Au Lycée ).

 

Une vingtaine de spectateurs se trouvaient dans la salle pour cette première séance matinale de Port Authority à 9h20.

Il y avait différents styles ou différents genres de spectateurs : Du jogger arrivé en short, baskets et débardeur juste avant le début du film, au couple sexagénaire, à la jeune femme gothique aux cheveux en partie verts, piercée et isolée, en passant par le duo de copines. Je crois avoir été le seul homme noir présent.

Il aurait fallu parler de la pub qui a précédé le film puisque la pub nous parle aussi de notre époque et des rôles que nous sommes supposés endosser. Mais j’ai préféré en parler dans un autre article afin de moins me disperser.

 

 

Paul, jeune blanc de Pittsburgh, débarque à New-York. Pittsburgh-New-York, cela représente un trajet de cinq cents kilomètres. Selon wikipédia, la ville de Pittsburgh, en Pennsylvanie, est depuis des années « la première ville américaine pour la qualité de la vie, grâce à sa sécurité, ses universités, sa culture, son économie et sa taille modeste ».

Cela, on ne le perçoit pas forcément en voyant Paul (l’acteur Fionn Whitehead) attendre à la gare routière ( Port Authority) que quelqu’un- sa demie sœur- vienne le chercher. Ce que l’on voit, c’est un jeune homme seul qui compose plusieurs fois un numéro sur son téléphone portable qui sonne dans le vide. Ce que l’on voit aussi, c’est l’indifférence des personnes qu’il sollicite. Aucune ne prend le temps de s’arrêter pour lui répondre. Et lui, un peu naïf, semble croire qu’un de ces passants pourrait connaître sa demie sœur. On peut donc être un jeune américain et ignorer que la vie à New-York, dans son propre pays, se déroule sur une bien plus grande échelle qu’à Pittsburgh.

Ces premières informations sur Paul sont importantes car elles nous rappellent qu’on peut être blanc aux Etats-Unis et être un étranger dans son propre pays.

Ensuite, l’originalité du personnage de Paul est que la ville de New-York est souvent dressée comme celle des opportunités professionnelles où l’on peut venir tailler son rêve américain lorsque cela se passe bien. Si l’on est travailleur et que l’on est un as de la débrouille.

 

Paul est travailleur et sait assez bien se défendre dans la rue. Néanmoins, son rêve (américain) est plutôt de trouver une famille. Pas de faire carrière.

Nous apprendrons très peu de son passé à Pittsburgh avec lequel il cherche à couper les ponts. Mais Pittsburgh est une « ville de ponts » (environ 400 selon Wikipédia à nouveau) et c’est aussi par eux que l’on sort de chez soi et que l’on va vers les autres. Et, ça, c’est beaucoup le personnage de Paul parce qu’il n’a plus rien au début de Port Authority :

Pas d’emploi, pas de qualification particulière, pratiquement pas de famille, pas de talent singulier, pas de projet immédiat donc pas d’avenir évident et pas de toit. Pour survivre, Paul le « homeless » est donc dans la nécessité d’aller vers les autres. Du fait de son dénuement et de sa personnalité, il a la liberté de choisir entre deux options :

Aller vers celles et ceux qui lui ressemblent et ce qu’il « connaît » le mieux. Ou aller vers celles et ceux qu’il ne connaît pas au gré de ses rencontres. Il va d’abord choisir les deux.

 

C’est de cette façon que se fait la rencontre avec Wye (l’actrice Leyna Bloom), transgenre noire et danseuse, qu’il voit d’abord comme une femme, et qu’il se serait peut-être interdit de regarder, de désirer et de rencontrer s’il était resté vivre à Pittsburgh et qu’il y avait « réussi » socialement et économiquement.

Port Authority est un film-pont entre des Amériques qui,  au sein du même pays, habituellement, se côtoient peu :

L’Amérique blanche au ras de la pauvreté, mais néanmoins encore valide et combattive, et l’Amérique des races et des genres. Mais ici, on ne parle pas de l’Amérindien qui, une fois de plus, est inexistant dans le cinéma américain lorsque l’on parle de l’Amérique multi-raciale.

 

 

Il est possible que devant cette histoire, certaines personnes voient Paul comme un simple plouc arriviste qui veut juste se « faire » un homme ou une femme noir (e) et qui représente cette ambivalence prédatrice sexuelle de l’Amérique blanche pour la « créature » noire. « Créature » que l’Amérique, comme au moins la société occidentale blanche a contribué à créer :

Celle qui danse, chante et se reproduit bien et que l’on peut éventuellement tolérer à condition qu’elle ne dépasse pas la place et la limite- y compris odorante- qui lui est allouée telle que l’explique ce riche Coréen à son chauffeur dans le film Parasite réalisé par Bong Joon-Ho (Palme d’or à Cannes cette année).

Le personnage de Paul franchit néanmoins, lui, plusieurs fois les limites et les frontières, sexuelles, mentales et raciales. En ( se) mentant. Et son esprit « bi», comme bicéphale ou bi-conceptuel plutôt que bisexuel, agacera celles et ceux qui réclament que chacun choisisse rapidement son camp ou sa paroisse (sexuelle, raciale, mentale, sociale ou culturelle) et s’y tienne résolument jusqu’à la mort ou jusqu’à sa prochaine réincarnation.

 

 

On peut trouver que la réalisatrice de Port Authority insiste trop sur l’homosexualité puérile, bourrine, aussi stérile que refoulée, de certains des pairs blancs de Paul pour mieux affirmer que, lui, est véritablement hétérosexuel. Mais dans cette Amérique où des blancs presque pauvres sont les soldats indifférents- comme les usagers de la gare routière avec Paul au début du film- d’une Amérique riche et méprisante qui dépouille d’autres presque pauvres, il existe des familles protectrices. Dont celle de Wye qui, en plus d’avoir créé son propre corps dans cette société qui rejette son être et son espèce, a aussi créé sa famille et son espace de toute pièces sans doute avec la même volonté qu’elle s’est transformée en femme.

 

En cela, le personnage de Wye peut sembler avoir plus de maturité, de force et de courage que celui de Paul. La principale différence avec Paul est peut-être pourtant que Wye a achevé sa transition en tant que personne alors que Paul se cherche encore en tant qu’adulte et en tant que personne dans la société au moment de leur rencontre.

D’une façon beaucoup plus douloureuse, en tant que personne transgenre, il en est de même pour le personnage principal de Girl dans le film de Lukas Dhont ( Girl).

On peut aussi voir des films comme Transamerica de Duncan Tucker, Boys don’t cry de Kimberley Pierce ou la série Hit and Miss de Paul Abbot, ou, contrairement au personnage de Wye, des personnes transgenres se cherchent encore. Mais aussi penser à l’intrigue qu’inspire le Major Kusanagi ( incarnée par l’actrice Scarlett Johansson) à une créature dans le remake réalisé par Rupert Sanders en 2017 du manga Ghost in shell qui lui demande :

« What are you ? » (  » Qu’est-ce que tu es ? »). 

 

Concernant Paul, lui reprocher sa lâcheté reviendrait à minimiser la difficulté de certaines décisions dans la vie réelle comme le fait qu’il faut parfois des années voire presqu’une vie pour arriver à se séparer de son passé et de certains modèles de vie et de pensée :

En arrivant à New-York, Paul est encore relié à un certain modèle de réussite par sa demie sœur qui, apparemment, a « réussi » et à qui il convient de ressembler. Soit le modèle standard de la réussite dont la majorité tente généralement de se rapprocher avec voiture, mariage, biens de consommation incarnant une « bonne » intégration sociale, appartement ou maison, bon emploi, amis plutôt blancs, plus ou moins aisés et cultivés, enfants etc….

Avec le personnage de Wye, on est à la fois dans la marge parce-que l’on est dans un milieu noir, transgenre et homo, socialement modeste, mais aussi parce-que l’on est dans un milieu artistique donc créatif et, souvent, précaire et intermittent. Soit le contraire du quotidien balisé et sécurisé de la population « normale » et majoritaire des Etats-Unis  (ou de toute autre nation).

D’où un certain choc social et culturel que les Etats-Unis ainsi que bien d’autres nations « évoluées » et démocratiques ont encore du mal à absorber et à appréhender.

Photos : Alexander Laurent. 

Franck Unimon, ce jeudi 10 octobre 2019.

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Moon France Musique

Ann O’Aro

 

J’ai pris en photo la pochette de cet album il y a un an. Le 27 septembre 2018 exactement. J’ai beaucoup aimé cet album. Mais je n’avais pas osé en parler ou écrire à son sujet. J’avais commencé et puis je me suis arrêté.

 

Même aujourd’hui, en le faisant, je me demande avec une certaine inquiétude ce qui va m’arriver.

Peut-être parce-que Ann O’aro est une très belle femme et que sa voix est Le précipice qui me jette à la tête cette mauvaise conscience que je tète.

Peut-être que sa douleur me coupe et que, par une soudaine infusion, je bats ma coulpe.

 

Lorsque je l’écoute, je me tiens à distance. Sa voix authentifie certaines de mes peurs. Ainsi que l’innocence dont le poids me rappelle comme je suis léger devant le danger. Et qu’il me mange, moi, mes rêves, ma langue, mon squelette et tout ce qui va avec avant même que je puisse lancer un seul des gestes auxquels j’avais promis de plaire.

Le soupçon est l’hameçon que le danger me laisse pour tout horizon.

 

Il me semble que si l’on écoute Ann O’aro et que l’on est un garçon, si l’on est un enfant, on peut s’en sortir et savoir comment l’approcher avec suffisamment de douceur. Par contre, si l’on est un homme adulte et que l’on «sait », alors, on s’épuise, on se décourage puis l’on se repousse car on se sent l’auteur impuissant d’un carnage. Etre près d’elle est risqué :

Comment savoir ce que l’on est et ce que l’on fait véritablement alors que l’on marche, transformé, sur le feu et que le feu est la peau de quelqu’un d’autre ?

 

Lorsque j’écoute Ann O’aro, plus je trouve ça beau, plus je me sens mal à l’aise. Et cela arrive souvent. J’ai tellement de mal à retenir ne serait-ce que l’orthographe pourtant simple de son nom. Cela fait pourtant tellement de fois que j’ai lu  et relu son nom d’artiste. La bassesse et le mal qu’elle transforme en Haut, j’ai l’impression que c’est moi qui les ai faits.

Bien-sûr, c’est une illusion. C’est en tout cas ce que je crois. Elle et moi ne nous connaissons pas. Nous ne nous sommes jamais rencontrés. Pourtant, j’en ai l’impression, encerclé, ensorcelé, défié ?, par ce chant de paon qui me fait voir de toutes les couleurs et me prive de toute certitude.

 

Franck Unimon, jeudi 3 octobre 2019.

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Echos Statiques Musique

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

Enfant de la France/ Enfant de la Transe

 

 » Danser, c’est prendre subitement en dégoût tout ce qui empêche de danser »

 » J’aimerais que l’une de mes chansons revienne, dans quelques années, de l’oubli ou des malentendus (…) Faire danser les gens, longtemps après ma mort. La vanité des vanités. Comme ce serait consolant ».

 » Je n’allais pas bien. J’avais quarante et un ans et m’enlisais. Certes, je travaillais dans la plus grosse boite d’Europe, au Cap’tain, en Belgique. Mais ma musique pâlissait, elle devenait minimale, sans âme, la mélodie n’existait plus. Que n’aurais-je donné pour renouer avec des émotions simples ! Je rêvais de compositions, de mes propres chansons, mais tout m’en empêchait. Me manquaient le courage, l’argent, la chance. Je vivais seul, dans une maison qu’un écrivain de jadis  eut appelé masure (….) j’étais un mec à la jeunesse enfuie (…..) sans aucune confiance en lui, odieusement, furieusement, maladivement mélancolique ».

C’est ce qu’a pu écrire Fred Rister dans son livre Faire Danser les gens que j’avais lu cet été. En juillet, je crois. Je m’étais dit que j’en parlerais ainsi que d’autres de mes lectures. Et puis, je suis parti « ailleurs ».

Je ne connaissais pas Fred Rister avant de tomber sur ce livre à la médiathèque. Je « connaissais »  de nom David Guetta avec lequel il a composé plusieurs tubes ces dix ou quinze dernières années.

L’ancien président de la République Jacques Chirac est mort hier ou avant hier et l’on va beaucoup nous en parler et nous en reparler. Et nous expliquer comme il était attachant et comment, avec sa mort, nous avons tous beaucoup perdu en même temps qu’un être exceptionnel.

Bien des hommages à certains défunts « célèbres » me donnent l’impression d’être principalement destinés à nous convaincre comme, nous, les ordinaires, nous avons des vies de merde comparées à tous ces  » Monsieur » et toutes ces « Dame » qui partent. Car c’est bien connu :  » Seuls les meilleurs s’en vont ».

Alors, ce matin, plutôt que de pleurer sur la mort de Jacques Chirac ou d’une autre personnalité- qui aura souvent principalement été obsédée par sa réussite personnelle- que l’on nous sortira bientôt de son dernier souffle,  je choisis de faire un hommage tardif à Fred Rister, décédé dans la cinquantaine, le 20 aout dernier, d’un cancer vraisemblablement. Je n’ai pas vérifié. Mais en lisant son livre, j’avais appris qu’il avait commencé à se battre contre le cancer alors qu’il avait une vingtaine d’années.

Après avoir lu son livre cet été, et donc vraisemblablement quelques semaines avant sa mort, j’avais eu envie de le contacter. De l’interviewer. C’était évidemment déja trop tard et déplacé. Mais certains écrits m’ont déja donné cette envie.

Je n’aime pas particulièrement ce que j’ai pu entendre, pour l’instant, de la musique de David Guetta. Mais j’avais été très touché par le livre simple et sincère de Fred Rister. Bien qu’il laissera sûrement moins de souvenirs que le livre sur la techno écrit par Laurent Garnier, autre DJ français à la renommée internationale.

C’est en réécoutant bien fort un Cd du groupe Tabou Combo que je mets ce matin la dernière touche à cet article. La musique de Tabou Combo, le Kompa, n’a au départ rien à voir a priori avec l’univers musical de Fred Rister, David Guetta, Laurent Garnier et de leurs inspirateurs, contemporains et successeurs.

 

En ce moment, j’écoute beaucoup le quadruple album du groupe Tabou Combo (Gold) emprunté à la médiathèque. C’est une façon pour moi de retrouver des titres que j’ai pu entendre enfant dans les soirées antillaises (baptêmes, mariages, repas familiaux…) où mon père nous emmenait et dont j’ignorais les titres. Et de les réécouter avec mes oreilles d’adulte d’aujourd’hui et amateur de musiques. Depuis hier au moins, je reste « bloqué » sur les titres Allo et Banboch Paramount.

Dès le premier titre du premier Cd ( Tu as volé ) de cet album, j’ai été épaté par le haut niveau musical de Tabou Combo. Comme on dit : « ça joue ! ».

J’ai aussitôt compris pourquoi ce groupe de musique, ainsi que d’autres formations haïtiennes, dominait le champ musical aux Antilles françaises dans les années70 et 80 jusqu’à ce qu’arrive le Zouk et des groupes comme Kassav’ au milieu des années 80 Kassav’ .

 

Mais l’autre point qui me marque en écoutant cet album de Tabou Combo est d’ordre sociologique, culturel, identitaire et sans doute religieux.

La musique de Tabou Combo s’inspire au moins des formations Jazz, Funk, rap, ou latines.  J’ai appris cette semaine que Tabou Combo a par exemple été très populaire voire l’est encore….au Panama !

La musique de Tabou Combo est donc plutôt cosmopolite et métissée.  C’est pourtant une musique noire, voire sauvage et ébouriffée, au sens où c’est le corps qui est mis à l’honneur avec la danse, le rythme et la durée des morceaux. Et que l’on s’y exprime principalement en Créole. Soit le contraire de la plus grande partie des tubes de variété française des années 70 et 80 qui étaient moins faits pour danser et pour entrer en transe. Imaginez-vous en train de danser sur des titres de Sheila, Ringo, Julien Clerc, Charles Aznavour, Mireille Matthieu, Demi Roussos, Alain Souchon, Johnny halliday, Francis Cabrel, Jean-Jacques Goldman, Daniel Balavoine…

Que la transe soit néanmoins possible avec ces artistes pour leurs fervents amateurs, je peux le concevoir. Je précise en outre que j’aime un certain nombre de titres de ces artistes. Mais danser sur leur musique….

 

Alors que les groupes comme Tabou Combo composent des titres pour faire danser les gens tout au long de la nuit et de la vie. Et, ça, c’est plus antillais et noir, africain, noir américain ou latin…qu’européen, cartésien, « Macronien » ou « Hollandais » et blanc.

Du moins, ça l’était particulièrement dans les années 70 et 80.

 

En France, si je dois penser à des artistes qui faisaient danser les gens dans les années 70 et 80, je trouve qui ? Claude François. C’est peut-être pour cette raison ( et cette explication parviendra peut-être enfin à me débarrasser d’une de mes hontes enfantines définitives ) que Claude François, à sa mort à la fin des années 70, était mon chanteur « préféré ».

 

Aujourd’hui, et cela s’est à nouveau vérifié à à la fête de l’Huma il y a quelques jours, il suffit de mettre le titre Alexandrie, Alexandra de Claude François pour que des gens se mettent aussitôt à danser. Maintenant qu’il est mort, peut-être Fred Rister connaîtra-t’il aussi l’honneur d’avoir des vivants qui dansent sur sa musique et qui continueront de le faire.

 

 

On répète souvent que les Noirs ont « la musique dans le sang » ou « dans la peau ». Et des Noirs le pensent eux-mêmes. C’est tellement valorisant. Je pense pourtant que c’est faux. La musique est surtout un fait culturel qui se transmet de génération en génération.  Autrement, comme l’aurait dit Desproges, il suffirait que chaque fois qu’un Noir passe à côté d’un Djembé, fut-il en vitrine, il se mette à jouer du Tam-Tam ou de la guitare basse comme Mozart a composé de la musique. Je peux en témoigner :

J’ai essayé de prendre des cours de guitare basse il y a plusieurs années. Malgré le très bon professeur que j’avais et toute la musique écoulée dans mon corps dès mon enfance, je n’ai jamais réussi à être le musicien extraordinaire que je rêvais d’être et ne le serai jamais. Je le regrette encore amèrement. Quant à la danse, on me prête peut-être certaines aptitudes mais je sais, pour ma part, que le langage de ma danse est limité et stéréotypé.  D’ailleurs, pour tout cela, j’en profite pour vous présenter à vous ainsi qu’à l’Humanité toute entière, mes plus humbles excuses car j’ai failli.

 

Je pourrais être très raciste et de mauvaise foi et dire que tout est évidemment de la faute de mon professeur (blanc) de guitare basse, cet « incapable »  dont la pédagogie était incompatible avec mon « génie » musical nègre. Mais même si l’on est doué pour elle, la musique nécessite travail et régularité. Et j’avais manqué au moins de travail et de régularité dans ma tentative d’apprentissage pratique de la guitare basse débutée tardivement à l’âge adulte.

 

Je crois au fait que la musique, dans certaines cultures et certains milieux sociaux, est une fête et une promotion du corps en même temps qu’un événement social alors que dans d’autres cultures et dans certains milieux sociaux, il est honteux de « bouger », de transpirer, de crier ou de faire «bouger » son corps et ses attributs sexuels en public même s’ils sont recouverts de vêtements. C’est évidemment une façon différente de vivre avec son corps et sa sexualité. Là où certains dogmes sociaux et culturels décident d’interdire et de limiter le déplacement et les élans des corps, dernières marches avant l’orgasme, la transe, la « révélation » ou la révolution, d’autres dogmes, lors de certains rituels sociaux, leur commandent de démontrer et d’exhiber leur endurance, leur harmonie, leur puissance et leur sensualité. Car il s’agit sûrement de montrer comme on est un bon parti pour une nuit ou pour la vie.

 

Il y a bientôt deux ans maintenant, au conservatoire d’Argenteuil où j’accompagnais ma fille à son cours d’initiation à la danse, au chant et à la musique, j’avais entendu un petit de l’âge de ma fille demander à voix haute à sa mère s’ils avaient dansé son père et elle à leur mariage. La maman, souriant d’être interpellée publiquement de cette façon par son fils, lui avait répondu, comme une évidence, que, non, ils n’avaient pas dansé lors de leur mariage. Je suis persuadé que l’on peut faire et vivre un très beau mariage sans danser. Mais je suis aussi tout autant persuadé qu’il est inconcevable pour un Antillais que la musique et la danse soient absentes de son mariage ou de tout événement particulier de sa vie. J’ai encore un peu honte vingt ans plus tard d’avoir très mal choisi le DJ qui avait animé la soirée d’un de mes pots de départ. Je suis sûrement le seul à me rappeler de cette erreur de casting.

Et il y avait bien-sûr de la musique et de l’espace pour danser à mon mariage. Au préalable, j’avais pris soin de constituer moi-même la liste des titres et de la transmettre au DJ afin qu’il la passe.

Et, si j’avais pu financièrement, j’aurais fait venir un groupe de Gro-Ka. En Bretagne.

 

Et je garde encore un souvenir très mitigé de cette connaissance alors en couple avec un Antillais. Cette femme m’avait appris ne pas aimer la musique antillaise. Ce qui était son droit. En revanche, sa remarque suivante m’avait froissé alors qu’elle constatait, avec un certain dédain victorieux :

« Maintenant, il a compris : il écoute au casque ! ».

 

Je crois qu’à partir des années 80 et 90, sans doute avec l’apport des musiques « noires », en particulier de la Techno et de la house de Detroit et de Chicago, mais aussi de la musique africaine et du Zouk, le rapport à la musique et à la danse s’est transformé et un peu plus « ouvert » en France  :

Bien avant cela, il y avait évidemment déja des Blancs qui dansaient et aimaient danser ou en avaient besoin. On sait nous citer et nous remémorer par exemple les Fred Astaire et les Gene Kelly et d’autres artistes tels Ninjinsky et tous leurs prédécesseurs en Europe.

Désormais, des musiques comme la Salsa, le Zouk, le Kompa, le Hip-Hop, le Ragga, la Rumba congolaise, le M’balax, le Raï, le Maloya et bien d’autres « autrefois » plus considérées comme des genres « ethniques » réservés aux non-blancs sont plus dansées- et écoutées- par les Blancs. Et dans une interview, l’un des membres du groupe Justice peut dire de façon décontractée que le Rap fait partie des musiques qu’il écoute. Il y a quarante ans, il n’était peut-être pas né ou seulement depuis peu, le même n’aurait pas pu dire ça : en France,  Le Rap était plutôt la musique écoutée par  des jeunes en colère qui avaient du mal à se faire accepter de la société française et des élites installées ( comme Jacques Chirac et d’autres) et refusaient de se laisser dominer par elles.

 

A la fête de l’Huma il y’a bientôt dix jours, avant sa venue sur scène, le groupe Kassav’ comme le 11 Mai dernier à la Défense ( Un Moon France en Concert) , a « mis » un titre du groupe Akiyo, un groupe de « tambours » de référence en Guadeloupe et que je n’ai jamais « vu » en public.

A la fête de l’Huma( Quelques photos de la fête de l’Huma 2019) ,  Sonjé (rappelle-toi/ N’oublie pas) le premier titre de Kassav’ interprété sur scène rappelait cette époque (sans doute en Afrique, donc, avant l’esclavage mais aussi lors de l’esclavage aux Antilles ) où la communauté, toutes générations confondues, dansait et vivait autour du Tambour dans une certaine unité.

Je ne crois pas l’avoir entendu mentionné dans leur chanson mais lors d’un enterrement, aux Antilles, la musique est présente. Et des anecdotes sur la défunte ou le défunt peuvent aussi être racontées.

 

J’aime écrire et dire que mon père m’a raconté qu’un de mes cousins éloignés du côté maternel, Marcel Lollia dit Vélo, était allé jouer à l’enterrement d’un de ses amis même si, au départ, les personnes endeuillées voyaient cela d’un mauvais œil. Sûrement parce-que ça faisait « mauvais genre », qu’il présentait mal (Vélo est mort pauvre, alcoolique et quasi SDF alors qu’il avait une cinquantaine d’années) et aussi parce qu’il était venu avec son tambour plutôt qu’avec une tenue vestimentaire protocolaire.

 

Egalement en Guadeloupe, à la mort de ma grand-mère maternelle, j’avais appris qu’un de mes cousins avait joué du Ka.

 

Pour extraordinaires qu’elles soient, ces deux histoires me semblent complètement normales. Pourtant, si je reviens un peu à moi et que je prends quelques secondes pour les regarder depuis une perspective de citadin «parisien » rationnel et lambda, ce que je suis aussi, je m’aperçois qu’elles auraient de quoi apparaître encore « exotiques » ou «bizarres » pour certains esprits pourvus d’une autre logique et d’autres « principes » face à la vie et à  la mort. Même si depuis les années 90 à peu près, le rapport à la danse et à la musique a changé en France, cela est vrai pour une certaine partie de la population française :

 

Les événements festifs cet été à Nantes qui se sont mal terminés ( avec un affrontement avec les forces de l’ordre et plusieurs noyés dont un, Steve,  dans des circonstances très douteuses) indiquent quand même que la musique et la fête peinent aussi difficilement à coexister avec les Autorités de notre pays et certaines et certains en province mais aussi à Paris.

 

 

Il demeure néanmoins : depuis longtemps, pour moi, lors d’un enterrement, l’absence de musique et de rires est pire que la mort elle-même.

 

En écoutant cet album de Tabou Combo depuis quelques jours, groupe que j’ai entendu depuis mon enfance en France et en Guadeloupe, je comprends donc mieux (là où je le subissais principalement jusqu’alors) ce décalage culturel évident qui existait et subsiste encore entre moi, ce monde dont je viens, et certains de mes amis, amies, copains, copines et collègues blancs et français jusqu’au bout du corps, des oreilles et des ongles de façon assez « traditionnelle » ou « conventionnelle ». Surtout s’ils restaient et restent cantonnés à leurs repères culturels et musicaux souvent faits de musique anglo-saxonne ou de titres exclusivement français, musiques et titres, qu’un métis culturel comme moi (mais aussi bon nombre de mes compatriotes aux Antilles) ingéraient très tôt et continuent d’ingérer par ailleurs en parallèle.

 

 

A parler musique, j’ai une anecdote pour illustrer à la fois ce décalage et cette fermeture d’esprit d’ordre culturel de certains de nos amies et amis français et blancs  » traditionnels » ou « conventionnels » en dépit de leur sincère  amitié pour nous, les Noirs, les autres, les différents ou les fous de France :

 

L’année dernière ou cette année, un de mes amis m’a proposé d’aller avec lui à un concert de musique. La place de concert était très chère. Et c’est sans doute ce qui m’a d’emblée fait reculer même si j’aime beaucoup cet ami et aurais été volontaire pour aller écouter en concert cet artiste dont j’aime plusieurs titres :

La place de concert était en moyenne à 70 euros.

 

Cet ami avait déjà acheté sa place. Et, il s’y rendait avec au moins une autre personne qui avait déjà également sa place de concert. Alors que j’écris cet article, j’oublie le nom de cet artiste qui a fait partie des Pink Floyd. Cet «oubli» vient sans doute du fait que cette anecdote m’a finalement permis de me rendre compte , l’année de mes 50 ans, que j’avais régulièrement vécu ce genre de situation en France :

Où, moi, le Français noir, le Français d’origine antillaise, le Négropolitain, le Moon France (Moon France ), le Bounty, Le Nègre volant non identifié ( selon certaines définitions « affectueuses » de mes compatriotes pour les Antillais  nés comme moi en France) je peux me faire à la musique et à une langue d’ailleurs ( distincte de celle de mes ancêtres et de mes origines) et la faire mienne tout en gardant celle que m’ont donnée mes parents tandis que mes amis « blancs », eux, s’abstiennent de faire la même démarche vers mon univers musical. Et culturel.

 

Et, à propos de cet ami, je m’étais avisé que si je pouvais, moi, me rendre au concert qu’il me proposait et y prendre plaisir, lui, ne viendrait jamais avec moi à un concert de Kassav’ ou de Zouk. La différence, pour moi, ne provient pas seulement du fait que certaines personnes vont avant tout à un concert de musique pour la « cérébraliser » là ou d’autres y vont avant tout ou principalement pour danser et chanter. Je suis moi-même très cérébral.

 

La différence provient selon moi aussi du fait que certaines personnes, noires ou blanches, sont plus ouvertes que d’autres tout simplement. Pour certaines personnes, aller vers un certain inconnu, musical ou autre, revient très vite à aller se risquer dans un coupe-gorge en dents de scie ou à aller à la rencontre de fous dangereux en liberté dans un asile psychiatrique. Car, évidemment, si l’on peut aimer se rendre à un concert pour danser et chanter, on peut tout aussi bien être aussi celle ou celui qui sera content(e ) d’aller écouter, assis, de la musique classique ou une musique qui ne « se danse pas » et ne se chante pas. Un peu plus haut dans cet article, je brocarde un peu certains artistes français majeurs. Mais si j’avais pu me rendre, j’aurais aimé me rendre à un concert de Johnny Halliday. Je me suis abstenu de le faire sur la fin de sa carrière car j’ai refusé de me rendre à un de ses concerts pour le voir en minuscule sur grand écran parmi une foule plus que nombreuse. Et, si j’avais la disponibilité pour cela, j’aurais la curiosité d’aller voir la plupart des autres artistes ( pour celles et ceux qui sont encore vivants) que j’ai cités avec lui.

 

Je fais partie de ces personnes qui peuvent se rendre à un concert pour découvrir une artiste ou un artiste que je ne connaîs pas ou que je  n’ai jamais entendu. Au même titre qu’en allant voir un film, je veux en savoir le moins possible sur l’histoire.

 

Je ne connaissais pas Brigitte Fontaine avant d’être emmené par une amie à un de ses concerts au Bataclan il y a une quinzaine d’années. D’autres personnes auraient eu la même curiosité et la même disponibilité que moi, blanches ou noires. Alors que d’autres s’y seraient catégoriquement opposées. Il aurait presque fallu leur proposer une prépa concert avec une cellule de débriefing à la sortie. Et c’était plusieurs années avant le très douloureux attentat « du » Bataclan.

 

Dans la même idée, je n’avais jamais écouté le moindre titre de Joe Bonamassa lorsque Christophe Goffette, mon ancien rédacteur en chef de Brazil et également rédacteur en chef, alors, du magazine musical XCrossroads m’avait permis de me rendre à un de ses concerts à Paris. J’avais découvert l’artiste sur scène, donc dans les meilleures conditions, en me rendant seul à son concert. Au très grand plaisir de cette découverte (je me répète) musicale avait répondu l’attitude étonnante d’un des spectateurs assis juste à côté de moi.

Alors que j’avais voulu converser civilement avec lui, celui-ci, dès l’extinction des lumières dans la salle, au début du concert, avait rabattu avec autorité sur son visage une paire de lunettes noires. Et, il avait arboré l’air sérieux et buté de celui qui n’était pas là pour rigoler ou discuter. Cette attitude étrange, mettre des lunettes noires dans une salle déjà noire, et plutôt hautaine de façon déplacée (Ps : la musique de Joe Bonamassa et sa façon de chanter doivent beaucoup au Blues)  m’avait informé que cet homme qui se tenait près de moi était plutôt du genre (très) fermé sur lui-même. Ce qui ne m’avait pas empêché d’aimer le très bon concert de Joe Bonamassa. Même si, ensuite, ses albums que j’ai écoutés m’ont fait moins d’effet.

 

Aujourd’hui, en France, les Angèle, Aya Nakamura, Soprano et autres artistes peuvent être écoutés par un public varié, adulte comme enfant.  Notre fille nous a surpris récemment à chantonner Balance ton quoi d’Angèle à la maison. Depuis, j’ai fait une réservation sur cet album pour l’emprunter prochainement à la médiathèque. Et, récemment, j’ai étonné une « jeune » de vingt ans en lui apprenant que j’avais acheté le dernier Cd d’Aya Nakamura et que je regrettais de l’avoir ratée à la fête de l’Huma.

Moi, le quinquagénaire, je continue de prendre le temps- et le plaisir- de découvrir et d’écouter de nouveaux artistes « connus » ou « populaires », en France ou ailleurs, au même titre qu’un morceau de musique classique, de musique perse, de Zouk ou d’autres genres musicaux. La pile de Cds que je continue d’emprunter régulièrement à la médiathèque en atteste. Ainsi que les films que je vais voir pour reparler (un peu) cinéma.

 

Même si j’ai évidemment, aussi, mes standards, la musique est ce qui me permet de rester jeune.

 

Je me rappelle de cette rencontre que deux amis (Jérome et Driss) et moi avions faites, avant nos vingt ans, à la radio FIP où nous nous étions présentés comme ça, un jour.

 

L’animateur radio qui avait eu la gentillesse de nous recevoir quelques minutes dans leur local de vinyles (des étagères pleines de vinyles) avait dit à un de ses collègues qui allait partir en voyage :

 

« N’oublie pas la musique ! ».

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 septembre 2019.

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Croisements/ Interviews Musique

Quelques photos de la fête de l’Huma 2019

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Echos Statiques

BDA

 

Pour la deuxième foi(s) de ma vie, je suis allé à la fête de l’Huma cette année. J’ai pour l’instant renoncé à regarder tous ces grands concerts qui s’y sont déroulés dans le passé. Et que j’ai raté.

 

C’est une forme de déni. 

 

Pendant des années, pour moi, la fête de l’Huma, c’était peu pratique de s’y rendre. Dans une contrée un peu trop éloignée de la banlieue que je connaissais. Ma ville de banlieue d’alors, Cergy-Pontoise, se trouve plus au nord et à l’ouest. La Courneuve, c’était un peu plus bas, à l’Est et, en transports en commun, ces deux points cardinaux s’opposaient plus qu’ils se rejoignaient.

Lors de mon existence de Cergyssois, je ne me souviens de personne en particulier, parmi mes amis proches ou collègues,  qui m’ait proposé d’aller à la fête de l’Huma. Il est bien-sûr nécessaire de savoir faire montre d’initiative personnelle. Autrement, il est tant d’opportunités que l’on rate « faute » de vouloir faire certaines expériences et d’être à découvert à la seule condition d’être entouré ou escorté  par celles et ceux que l’on connaît ou que l’on croit connaître.

Mais j’ai aussi des limites. Et la fête de l’Huma, pour moi, pendant des années, cela se trouvait plus loin que mes limites. C’était une curiosité. Je savais qu’elle existait et ça me suffisait.

 

 

En pratique, aujourd’hui, depuis Argenteuil, il m’est plus facile d’ aller à la fête de l’Huma en transports en commun.  Je prends  le bus 361, puis à la gare d’Epinay sur Seine, je prends le tramway numéro 11. Après l’arrêt Dugny-La Courneuve qui arrive assez vite, dix bonnes minutes de marche suffisent pour être à la fête de l’Huma. Et tout ça sans être obligé de repiquer par Paris en transports en commun pour descendre à l’arrêt Le Bourget avec la ligne B du RER.

Mais si je l’avais véritablement voulu, j’aurais évidemment pu me rendre à la fête de l’Huma il  y a dix ou vingt ans.

 

En 2014, c’est depuis la ligne 7 du métro que j’avais marché pour la première fois jusqu’à la fête de l’Huma. Lorsque l’on aime marcher et que l’on va à un festival de musique pour un groupe de musique que l’on tient particulièrement à voir et à écouter pour la première fois sur scène, trente minutes de marche sont facilement supportables. Surtout si l’on refuse de dépendre d’un bus ou d’une navette qu’il faut attendre pour une durée indéterminée en raison d’une très forte affluence.

 

Massive Attack était le groupe que je tenais à voir en 2014. Massive Attack. 2014. C’était il y a cinq ans.

 

Cinq ans.

 

Je n’avais pas prévu que lorsque je me mettrais à écrire cet article sur « ma » fête de l’Huma de cette année 2019, que ces simples mots  » Massive Attack » et l’année  » 2014″ me feraient dévier vers une certaine peine dans le contexte de notre année 2019 qui va se terminer d’ici un trimestre.

Je m’attendais plutôt à écrire un article principalement joyeux – j’en suis capable- assorti de photos de concerts et peut-être de courts extraits vidéos de concerts dont je suis très content et qui, je l’espère, vous feront aussi plaisir. Car c’est pour se faire plaisir que l’on se rend généralement à un festival de musique. Ce festival de musique fut-il engagé et orienté  politiquement de manière explicite comme l’est celui de la fête de l’Huma.

On va rarement à un festival de musique pour avoir envie de se suicider ou pour déprimer parce-que l’on se sent décidément trop joyeux et trop léger et qu’il est temps que ça cesse, un peu ! C’est donc content que je suis retourné à la fête de l’Huma cette année. D’abord avec femme et enfant. Puis, seul le lendemain pour Youssou N’Dour et Kassav’.

 

Je me culpabilisais un petit peu d’être venu à la fête de l’Huma uniquement pour la musique, la fête et la bonne nourriture. Je suis maintenant « rassuré » :

Repenser à l’année 2014 et au nom du groupe Massive Attack m’a rétrospectivement rapporté une certaine conscience dont je croyais m’être séparé le temps du festival.

 

En 2014, je crois me rappeler que le journal Charlie Hebdo tenait un stand à la fête de l’Huma comme chaque année depuis un moment. Cette présence de Charlie Hebdo m’avait intrigué. Je n’avais pas creusé davantage. C’était une information comme une autre.

 

2014, c’était évidemment avant l’année 2015 et avant la « massive attaque » des attentats de Charlie Hebdo; de l’assassinat de la policière Clarissa Jean-Philippe qui pensait intervenir sur un simple accident de circulation; les attentats de l’hyper-casher de Vincennes; du Stade de France;  du Bataclan; de Nice…. je ne vais pas vous faire un dessin mais j’ai appris depuis peu qu’il y’aurait 15 000 kalashnikovs en « liberté » dans cette France parallèle et invisible faite de trafics. Et que le bilan  du Bataclan est le résultat de trois kalashnikovs face à un public enfermé, surpris, paniqué et désarmé.

 

Un de mes anciens amis et collègue, Scapin- décédé entre 2014 et 2016-  d’un cancer quelques années avant de prendre sa retraite,  et dont la date anniversaire, de son vivant, était le 6 septembre, m’avait appris que la bouffée délirante aigüe ou BDA  était :

 

« Un coup de tonnerre dans un ciel serein« .

 

Hier soir, une de mes collègues également infirmière diplômée en soins psychiatrique a subitement fait référence à cette phrase qu’elle connaissait aussi de ses études. Elle s’est un peu trompée. Elle a d’abord parlé  » d’un éclair dans un ciel serein ». La phrase de mon ami m’est aussitôt revenue. Après l’avoir précisée à cette collègue qui se rapproche de la retraite, j’ai été étonné de me sentir aussi touché et triste à réentendre cette phrase. Par elle, c’était réentendre mon ami dans la nuit. Revenir en arrière.

 

En 2014, année de ma « première » fête de l’Huma, j’ai l’impression que l’on portait un peu moins d’attention au réchauffement climatique de la planète et à l’Effondrement. On ne parlait évidemment pas du tout de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. De Jair Bolsonaro à présidence du Brésil. D’Emmanuel Macron, président de la France.

On ne parlait pas non plus des gilets jaunes dont c’était hier le 45ème samedi de manifestation et de protestation d’affilée. Ou du Brexit.

 

 

Dimanche dernier, sur la grande scène de la fête de l’Huma, Dilma Roussel est venue tenir un discours en Français. Patrick le Hyaric, le directeur actuel du journal l’Humanité, en grande difficulté financière, se tenait près d’elle. Il n’était plus le Patrick Hyaric que j’avais aperçu fin aout en allant acheter mes bons de soutien à la fête de l’Huma( lire La fête de l’Huma). Ce jour-là, il était quelque peu isolé près de la Fontaine des innocents malgré la présence d’une trentaine de personnes. Un animateur ou un candidat vedette de l’émission Danse avec les stars ou de The Voice Kid aurait aisément attiré l’attention d’une foule plus conséquente.

Mais dimanche dernier, à la fête de l’Huma, plusieurs milliers de personnes qui attendaient le concert de Kassav’ ont écouté Dilma Roussel tenir un discours anti-Bolsonaro et pro-Lula.

Après elle, Priscilla, une des « meneuses » du mouvement des gilets jaunes est venue s’exprimer. Je ne la connaissais pas. Elle a rappelé le nombre de personnes qui ont perdu un oeil du fait de l’usage du LBD par les forces de l’ordre lors des manifestations des gilets jaunes. Ainsi que le nombre de blessés autres. Elle a aussi évoqué- et démenti- le fait que le mouvement des gilets jaunes ait été qualifié « d’homophobe » et de « raciste » afin d’être discrédité par le gouvernement Macron.

 

 

Bien-sûr, les interventions de Dilma Roussel et de Priscilla avaient des allures de grossière propagande communiste datant d’avant la chute du mur de Berlin devant des milliers de festivaliers ultra-connectés.

Mais ce qui échappe à la propagande, c’est le fait que, désormais, en France quatre journaux traditionnels ( au format papier) se soustraient encore à la mainmise de groupes industriels et financiers :

L’Humanité, en grande difficulté financière.

Charlie Hebdo , renfloué économiquement pour l’instant « grâce » à l’attentat et au sacrifice de plusieurs de ses membres en janvier 2015.

La Croix

Le Canard Enchaîné qui fournissait encore cette information dans son numéro de ce mercredi 18 septembre 2019 en page 3 dans l’article Milliardaires et médiavores signé O.B.-K.

Le Canard Enchaîné de cette semaine nous apprend aussi que Matthieu Pigasse, copropriétaire du journal Le Monde et désormais propriétaire du festival Rock en Seine qui se déroule à St-Cloud fin aout, essaie de revendre ses parts restantes à l’industriel milliardaire tchèque Kretinsky. ( article de Christophe Nobili Ces patrons qui rêvent d’un « Monde » du silence  également en page 3).

 

Ce qui échappe aussi à la propagande, je crois, c’est cette impression qu’en cinq ans, nous avons perdu un peu plus d’insouciance. Surtout si l’on regarde d’un peu plus près la destruction continue de plusieurs des services publics ( écoles, hôpitaux, transports, police- celle qui secourt-…).

 

Pourtant, il a fait ( trop) beau pendant cette édition de la fête de l’Huma. Un homme du service d’ordre du festival nous arrosait d’eau pour nous rafraichir en plein soleil alors que Priscilla, une des meneuses du mouvement des gilets jaunes, nous parlait depuis la grande scène. Si bien que je n’ai pas pu la filmer ou la prendre en photo de face.

La même collègue qui m’avait rappelé cette phrase apprise par mon ancien ami sur la bouffée délirante aigüe m’a appris que, pendant longtemps, aller à la fête de l’Huma signifiait devoir patauger dans la boue en raison des pluies de la fin de l’été.

 

 

A la fête de l’Huma où circulait aussi apparemment la  » drogue du viol » selon les propos d’une des animatrices de la scène Zebrock invitant à la prudence, j’ai ressenti l’envie d’une vie meilleure. C’était peut-être une rustine passagère. Sorti de ce cadre, chacune et chacun retournant très vite à ses automatismes et ses obéissances routinières.

Dans le tramway du retour, deux jeunes d’une vingtaine d’années ont commencé à chanter L’internationale  d’abord à voix basse comme s’ils avaient un peu honte de leur coming out idéologique puis, pour finir,  à tue-tête en sortant sur le quai avant la fermeture des portes. Cela m’a semblé plus théâtral qu’autre chose. Mais une passagère était d’un avis contraire. Elle aussi, m’a-t’elle répondu, il pouvait lui arriver de chanter aussi fort sous la douche. J’ai opté pour la croire sur parole et j’ai préféré me taire.

 

En face de moi, une femme d’une soixantaine d’années, plutôt belle, un caddie de courses à côté d’elle ( mais que pouvait-elle bien y transporter pour refuser ensuite que je l’aide à le porter dans les escaliers au terminus ?) a entamé une discussion avec la passagère à ses côtés et moi. Elle nous a appris être allée un peu par hasard à la fête de l’Huma pour la première fois en 1991. Pour aller voir Johnny. Elle avait entendu dire que le concert était gratuit. Une fois sur place, elle avait accepté de payer et ne l’avait pas regretté. Depuis, elle revenait chaque année. Cette fidélité -qui peut être générationnelle- à la fête de l’Huma me semble être une de ses spécificités. J’aurais pu ou dû parler un peu plus de ses  stands où se déroulent un certain nombre de conférences ainsi que des concerts de divers horizons. De ses multiples coins restauration appétissants à un tarif assez compétitif même si j’ai été surpris de voir que l’on pouvait y manger un plat…de langoustes à 35 euros. Et qu’en dépit du propos écologique officiel, les gobelets en plastique jetable restaient la norme.

 

Enfin, j’aurais aussi pu détailler l’anecdote qui m’a d’abord fait croire qu’il était possible de payer à l’intérieur de la fête de l’Huma avec sa carte bancaire ou avec des chèques vacances. Cette « négligence » m’a contraint à sortir de la fête de l’Huma pour aller au distributeur de billets le plus proche, à une vingtaine de minutes à pied. Là,  j’ai ensuite dû faire la queue autant de temps avant de pouvoir retirer quelques espèces. A la fête de l’Huma, on paie principalement avec des chèques et des espèces.

 

Si, contrairement à 2014, j’ai encore aujourd’hui mon bracelet jaune de festivalier de la fête de l’Huma 2019 et que je dors, me douche, travaille et vais à la piscine avec, c’est sans doute que je reste attaché à cette utopie qu’est notre humanité. Fut-elle amoindrie par certains tonnerres dans un ciel serein ou touchée par cette pluie qui coche certaines de nos journées telle celle de ce dimanche, semblable en cela à celui de certaines éditions passées de la fête de l’Huma que je ne connaitrai pas.

Afin de préserver le plaisir- que j’espère partagé- des photos que j’ai prises de la fête de l’Huma, je préfère les insérer dans un prochain article qui leur sera pleinement consacré.

Franck Unimon, ce dimanche 22 septembre 2019.

 

 

 

 

 

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Cinéma

De sable et de feu

 

 

De sable et de feu un film de Souheil Ben Barka

(en salles depuis ce 18 septembre 2019)

 

De Sable et de feu : L’histoire d’une rencontre manquée entre l’Orient et L’Occident, entre le sable et le feu ou entre le sabre et le peu.

 

 

 

 

Sorti ce mercredi 18 septembre, De Sable et de feu agrège les critiques dépréciatives. Tandis que j’écris cet article, il continue sans doute d’être découpé au sécateur et d’être jeté à la poubelle y compris par des journalistes en principe attachés aux thèmes qu’il traite.

Je comprends d’abord ce parti pris.

 

 

Lorsque j’avais découvert ce film, je m’étais d’abord, aussi, senti très éconduit par mes premières impressions : De Sable et de feu ( Le rêve impossible) ressemblait davantage, malgré son budget de production visiblement bien ganté, à un feuilleton au jeu caricatural. Le héros, Domingo Badia/ Ali Bey, qui a réellement existé comme plusieurs des protagonistes de l’Histoire (située entre 1804 et 1812) est un équivalent «oriental » de Lawrence D’Arabie ou de Donnie Brasco avec un côté James Bond. Mais dans De Sable et de feu, il est interprété par un acteur( Rodolfo Sancho) qui nous rappelle …. l’humoriste Michaël Youn. On peut bien-sûr être un humoriste et être un très bon acteur dramatique. C’est très courant. (Voir des comédiens comme José Garcia dans Extension du domaine de la Lutte et Le Couperet ou Benoit Poelvoorde dans Entre ses mains). C’est souvent le contraire qui est plus rare.

 

 

Sauf que dans De Sable et de feu ( production italo-marocaine), le propos est historique, tragique et actuel. Mais le maquillage qui grime l’acteur Rodolfo Sancho (Ali Bey/Domingo Badia) et le fait qu’il s’exprime d’abord en Français nous rappellent en priorité un remake d’Aladin avec Kev Adams ou d’Iznogoud (Michaël Youn fait partie du casting).

Si l’on reste collé à cette devanture, les premières images de Sable et de feu nous mettent un ippon cinématographique si oppressant que l’on restera au sol pendant près des deux heures que dure le film à nous demander s’il s’agit d’une tarte à la crème à laquelle notre karma nous aura enchaîné suite à une de nos mauvaises actions récentes.

 

Pourtant, De Sable et de feu est très bien écrit. Les deux scénaristes, Souheil Ben Barka et Bernard Stora, ont bien creusé leur sujet. Ou la tombe de nos idées et de nos rencontres.

Ce qu’ils racontent, c’est, à nouveau, la rencontre manquée entre l’Orient et l’Occident. L’arrogance de l’Occident au 19ème siècle lorsque le rayonnement de sa culture et sa supériorité militaire lui donnaient déjà la prétention -faite d’intégrisme- de pouvoir, seul, comprendre et diriger/digérer la vie et l’univers.

 

De Sable et de feu raconte aussi une partie des origines de l’intégrisme islamiste actuel. On y entend des phrases comme « Les vrais croyants sont les musulmans ! ». « Mon Dieu exige et punit ! » (….) « J’attends celui qui nous parlera en vérité  ! ». Tandis que la voix d’Ali Bey/ Domingo Badia répond à son ex-maitresse Lady Hester Stanhope ( l’actrice Carolina Crescentini qui se distingue des autres acteurs du film), ex sujette britannique, qui s’est entretemps débaptisée et convertie à un Islam extrémiste et se fait désormais appeler Méliki :

« Le Coran est pardon ».

 

On a bien-sûr déja entendu ça dans d’autres oeuvres cinématographiques mieux accueillies par le public et les critiques. Mais rappeler ces fanatismes est nécessaire.

 

« Le Pouvoir est un puissant aphrodisiaque » nous dit aussi De Sable et de feu. Et, tout au long du film, la recherche du Pouvoir par les armes, la ruse, la politique ainsi que par la religion, est permanente. Cette recherche coule le long de l’épine dorsale des différents personnages historiques que l’on voit interprétés dans cette fresque historique qui nous montre l’un des vrais visages de notre monde actuel en Occident et en Orient.

Antisémitisme, esclavage, intégrismes politiques et religieux, luttes de pouvoir,  mégalomanies, désertion de la pensée et de l’autocritique, trouble identitaire et/ou impossibilité à faire son deuil qui trouvent un exutoire dans le fanatisme et le terrorisme….je trouve à De Sable et de feu de grandes vertus pédagogiques dans le tempo de notre quotidien. Sa conclusion ressemble à la fin tragique d’une histoire d’amour. Si sa morale m’apparaît aujourd’hui moins réaliste- pour l’histoire entre Ali Bey et Méliki- que celle d’un Star Wars, c’est peut-être parce-qu’il est plus facile de regarder en face un Star Wars que les  invraisemblances dans lesquelles nos visages et nos histoires  repoussent et continuent de s’ensabler.

Franck Unimon, ce vendredi 20 septembre 2019.

(Article revisité et complété ce mardi 24 septembre 2019).

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Cinéma

Une fille facile

 

 Une fille facile : un film de Rebecca Zlotowski

(sorti en salles le 28 aout 2019)

 

J’avais un peu mauvaise conscience en allant voir Une fille facile. Je me demandais si je me rendais à cette séance pour de bonnes raisons. S’il existe de « bonnes » raisons pour se rendre au cinéma.

Voici ce que je « savais » et ce que je voyais en regardant l’affiche : L’exposition de la plastique de Zahia Dehar « connue » pour avoir été une escort girl avant de devenir une styliste parrainée par Karl Lagerfeld il y a quelques années. Depuis, « plus rien », Walou ! Plus de nouvelles. Même pas un petit sms. Et puis, ce film qui la faisait revenir au grand jour comme on fait revenir un ingrédient dans un plat que l’on a fait mijoter avant de le servir.

La carrière de Zahia Dehar fait désormais penser aux carrières médiatiques d’une Loana (la pionnière) d’une Nabila « Non mais, allo quoi ! » ou de toute autre aspirante à la reconnaissance sociale devenue célèbre du fait de sa plastique et de sa participation à une émission de téléréalité.

Mais si l’on ouvre un peu la focale de son indulgence cinématographique, l’allure de Zahia Dehar nous rapproche davantage des films d’un Russ Meyer que de celui d’un Lodge Kerrigan avec un film en particulier : Claire Dolan. Aucune parenté avec le cinéaste et acteur Xavier Dolan qui avait 9 ans lorsque Claire Dolan est sorti en 1998.

 

Sauf que ce titre, Une fille facile, signifiait bien quand même qu’il y’avait une anguille voire plusieurs anchois sous la peau. Pourtant, ce nouveau film de Rebecca Zlotowksi ne ressemblait pas à un film d’horreur.

Pour m’aider à mieux me situer moralement sur l’échelle du voyeur ou de l’a-mateur cinéphile, j’ai un moment compté sur le public présent dans la salle. J’ai assez vite changé d’instrument de mesure. Deux hommes. Puis, une femme à tendance anorexique est entrée. Son visage qui absorbait la nuit hypocalorique de la salle alors qu’elle montait les marches pour finir par s’asseoir plusieurs rangs derrière moi semblait vouloir ( me ) dire :

« Moi aussi, je ne suis pas une fille facile ! ».

 

Nous étions ainsi quatre ou cinq hommes et une femme farouche lorsque le film a commencé. La première image est celle d’une plage à l’eau translucide, une sorte de crique paradisiaque, où la silhouette de Zahia Dehar vient s’amarrer à notre regard à la brasse façon Russ Meyer, donc. Impossible de la rater. Mais cette tranquillité, ce soleil et cette propreté détrônent le monde de plus en plus pollué et bruyant qui est désormais le nôtre. De Russ Meyer, nous nageons alors dans le manga Porco Rosso de Miyazaki.

Assez vite, devant la peau et les courbes de Zahia/Sofia on peut penser à Brigitte Bardot en version laquée. Zahia Dehar est après tant d’autres et avant d’autres, l’héritière et l’inspiratrice de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui, au cinéma et ailleurs, sont des écrans à fantasmes. Pour résumer le synopsis : on les voit, on bande. Ou on se dit que l’on pourra seulement s’accoupler avec son poisson rouge ou, sur dérogation et en se mettant sur liste d’attente, peut-être avec un cochon d’Inde polygame.

A ceci près que dans Une fille facile, le personnage de Sofia, s’il provient peut-être de la vie réelle de Zahia Dehar, doit aussi à l’histoire représentée par l’actrice Leïla Bekhti (il est sûrement volontaire de la citer au début du film) dans le film Tout ce qui brille de Géraldine Nakache et Hervé Mimran (2009).

 

Je ne connais rien des origines sociales de Zahia Dehar dans la vraie vie mais j’ai appris depuis que BB était au départ la fille d’un « riche industriel ». En plus d’être très belle, BB Bardot était donc plutôt d’un milieu très friqué lorsqu’elle a débarqué sur la planète du cinéma qui l’avait ensuite consacrée Déesse. L’histoire de Une fille facile, c’est celle de Naïma, 16 ans (l’actrice Mina Farid) qui vit à Cannes depuis sa naissance, au bord de la mer, et qui n’a jamais pris le bateau pour une promenade en mer tandis que sa mère fait des ménages dans un hôtel ou dans un restaurant plutôt de luxe.

Une fille facile, c’est d’abord l’histoire de sa cousine Sofia (Zahia Dehar), plus âgée, qui débarque lors des grandes vacances. On ne sait pas vraiment quel est son métier ni à quoi ressemble sa vie ordinairement. Mais c’est bien elle qui capte principalement notre attention lorsque l’on pose son œil sur l’affiche du film. Mettre cette histoire à Cannes, ville-écrin du festival de Cannes truffé de mondanités et fait de ce soleil du sud qui cache la misère et le racisme, c’est donner à ce film des racines sociales réalistes. En dépit du joli minois de Zahia Dehar, de la jeunesse du personnage de Naïma (l’actrice Mina Farid, donc), du beau temps, on est aussi un peu dans Ken Loach avec Une fille facile. L’horreur y est sociale et en sous-main. Parce-que Sofia et Naïma sont deux frondeuses qui, le temps d’un été, décident de provoquer les événements et d’entrer dans un royaume qui leur est généralement fermé :

Celui des nantis qui prospèrent, prennent du bon temps et qui piétinent sans retenue les grands piliers « Liberté, égalité, Fraternité » de la démocratie qui les abritent plus que la majorité qui trime pour une vie tout juste supportable.

Clotilde Courau est « délicieuse » dans le personnage de Calypso lorsqu’elle tente de s’en prendre à Sofia de toute sa morgue sociale ; comme un serpent le ferait avec une souris pour passer le temps ou un aspirateur avec un grain de poussière. Alors qu’elle est désormais Princesse de par son mariage dans la vie civile, on se demande ce qui dans son rôle de Calypso relève du biographique ou de l’imaginaire. Et se rappeler que dans La Môme, elle incarnait la mère, pauvre et artiste ratée, d’Edith Piaf, donne à son personnage de comtesse dans Une fille facile un côté encore plus piquant.

La réalisatrice Rebecca Zlotowski entremêle ainsi à plusieurs reprises le cinéma et la vraie vie et crée de ce fait un petit labyrinthe de vraisemblances. Dans cette frontière cloîtrée entre les très riches et les presque pauvres, Une fille facile peut aussi faire penser au film Les Apaches de Thierry de Peretti dont l’histoire se passe cette fois en Corse, « l’île de Beauté ».

Conte de fées pour adultes, Une fille facile est l’histoire d’une transmission entre Sofia, l’aînée, et sa jeune cousine, Naïma, alors que celle-ci va bientôt devenir femme. La mère de Naïma,  toute en sacrifice devant l’ordre social malgré la très belle vue qu’elle a sur la mer et l’horizon depuis son balcon, et pleine d’espoir pour Naïma, ne peut pas transmettre ce Savoir.

A la fin de Une fille facile , on ressent pour Sofia une certaine affection à voir comment elle a armé sa jeune cousine pour la vie. Ainsi que ce que cela lui coûte d’avoir des rêves et d’oser les provoquer.

 

Franck Unimon, ce vendredi 20 septembre 2019.

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Argenteuil Echos Statiques

A l’école de ma fille

 

A l’école de ma fille

 

 

A l’école de ma fille, il y a eu cette réunion tout à l’heure. La première de l’année, deux semaines après la rentrée à l’école primaire. Nous étions environ une centaine de parents. Un papa pour quinze mamans en moyenne. L’équipe enseignante était exclusivement féminine.

 

Je continue de m’étonner devant cette importante « migration » des enfants entre la petite section de maternelle et la fin de l’école maternelle :

Un bon nombre des enfants qui était dans la classe maternelle de ma fille a disparu de cette école publique. Un certain nombre est parvenu à se faire « recruter » par l’école privée du coin placée à dix minutes à pied de là. D’autres enfants sont partis continuer leur scolarité ailleurs, dans le public ou dans une autre ville de banlieue ou de province. La meilleure copine de ma fille est par exemple partie cet été pour Nantes avec ses parents.

 

Au Cp, ma fille est dans une classe de 27 enfants. Ils étaient 29 à son entrée en petite section de maternelle. En maternelle cette année, une classe supplémentaire a été crééé in extremis et à l’école primaire la fermeture d’une classe a finalement pu être évitée.

 

Invitée en cela par la directrice de l’école, une enseignante a pris la parole devant nous. Elle était à l’aise pour s’exprimer en public, se mettant devant l’assemblée, assise, de ses autres collègues enseignantes, directrice incluse, pour parler devant nous. En quelques minutes, elle nous a expliqué que la « spécificité » de cette école, c’était sa classe à destination des enfants non-francophones. En maternelle, dès la petite section,  j’avais déja remarqué un petit, sans doute ukrainien, qui ne parlait pas Français à son entrée en maternelle. Je me rappelle de la directrice de l’école maternelle d’alors ( nous en sommes à la quatrième nouvelle directrice pour cette même école maternelle) disant à la mère de cet enfant :

« Ce n’est pas un problème. On lui apprendra à parler le Français ».

L’année dernière, ce garçon était dans la classe de ma fille. Il nous était arrivé de retour de l’école de faire un peu de chemin avec lui et sa mère. Je la croisais assez souvent et nous nous saluions.  Cette année, je ne vois plus ce petit.

 

Devant nous, l’enseignante a expliqué que cela était « une grande richesse » que d’avoir des enfants qui ne parlaient pas Français. Pour les autres enfants.

En accord avec elle, des parents de ces enfants non-francophones étaient venus à l’école, donnant par exemple un cours de cuisine à la classe en Arabe. Ou s’exprimant en Moldave ou en Ukrainien. En outre, cela valorisait l’enfant qui voyait sa mère ou son père « faire classe » à l’école.

 

Une mère, peut-être originaire du Pakistan ou du Bangladesh, a ensuite demandé comment on pouvait prendre rendez-vous avec le médecin scolaire. Elle a parlé d’un enfant souffrant d’autisme et de la charge que cela pouvait représenter pour la maitresse. La directrice a expliqué qu’il y’avait une obligation légale de recevoir tout enfant à l’école quel que soit son handicap. Et qu’il convenait de faire une demande à la MDPH, souvent traduite par  » la maison du handicap »,  afin d’obtenir une AVS ( aide à la vie scolaire).

 

La directrice de l’école a présenté l’équipe pédagogique. Une des enseignantes nous a expliqué que des enseignants assuraient l’étude et étaient donc en mesure d’aider les enfants à faire leurs devoirs.

 

La directrice de l’école nous a informé qu’il n’y avait plus de secrétaire. Et qu’elle-même fait classe les jeudis et vendredis. De ce fait, il est plus difficile d’ouvrir la porte aux retardataires. Il convient de prévenir les maitresses au préalable lorsqu’un enfant se rend ou revient d’une consultation chez l’orthophoniste et de faire en sorte, autant que possible, que celui-ci parte à sa consultation ou en revienne plutôt lors de la récréation. Elle a rappelé les heures d’ouverture et de fermeture de l’école. 8h30/11h30. 13h30/16h30. (Pas d’école les mercredis et les samedis du moins au Cp )

 

La directrice a poursuivi en disant que laisser un message téléphonique en cas de problème, c’est « bien » mais qu’il vaut mieux, aussi, laisser un mot dans le cahier prévu à cet effet et que chaque enfant a à sa disposition.

Elle a continué en informant que si un enfant a une maladie contagieuse, qu’il faut éviter de l’emmener à l’école.

La directrice a aussi expliqué comment voter lors des élections des parents d’élèves : il faut voter pour une liste et non pour une personne. Si l’on vote pour une seule personne, le vote est annulé.

 

Une mère qui fait partie de l’association des parents d’élèves a présenté un peu la FCPE. Elle a enjoint les parents présents à venir à la prochaine réunion prévue la semaine suivante ainsi qu’aux prochaines réunions. Elle a insisté quant au fait que l’on pouvait venir quand on voulait et quand on le pouvait.

 

Ces diverses interventions se sont faites dans un contexte posé. Les mots employés étaient plutôt simples et pédagogiques. Le débit utilisé, plutôt tranquille. Mais je suis assez à l’aise avec la langue française qui est ma première langue. Et la situation ( être dans une réunion parmi plein de gens que l’on ne connait pas alors que l’on sait que cet endroit peut être déterminant pour l’avenir de son enfant et aussi pour soi)  ne m’a pas stressé. Je me suis néanmoins un peu demandé si des efforts particuliers de compréhension avaient pu être nécessaires pour certains des parents présents.

 

Ensuite, nous sommes sortis. Dans la cour de l’école, chaque parent a rejoint la maitresse de son enfant. Et, c’est avec la maitresse que nous nous sommes retrouvés dans la classe de nos enfants, assis à leur place. Certains parents étaient avec leur enfant. D’autres, non.

 

La maitresse de notre fille a expliqué comment ça se passait en classe. Elle  a expliqué le programme de l’année. Elle s’est montrée simple et disponible. Un petit garçon de sa classe, présent avec son papa, intervenait régulièrement pour poser une question ou faire une remarque.

La maitresse nous a demandé si nous avions des questions. Il y en a eu quelques unes. Puis, la maitresse a tenu à aborder certains sujets :

Eviter autant que possible les écrans pour les enfants. Pas plus de vingt minutes par jour deux ou trois fois par semaine. Que ce soit écran de téléphone portable, écran d’ordinateur, console de jeux, télévision. Elle a évoqué des études qui révélaient que la trop grande fréquentation des écrans empêchait les enfants d’apprendre à se concentrer mais aussi à accepter la frustration. Elle nous a invité à, plutôt, proposer à nos enfants de s’amuser avec leurs jouets, de préparer avec nous des repas, ce qui leur permettrait d’apprendre beaucoup. J’ai suggéré le dessin. Elle a acquiescé. Elle a aussi dit que l’on pouvait laisser les enfants « s’ennuyer ». Il n’y a pas eu de protestation de la part des parents présents.

 

Donner à manger aux enfants avant qu’ils viennent à l’école. Autrement, en classe, « ils dorment… » a-t’elle expliqué. Et pour les enfants qui disent qu’ils n’ont pas faim, voir ce qu’ils aiment manger. Et pas des bonbons.

 

Signer le cahier de devoirs mais pas uniquement le signer. S’assurer que les devoirs ont bien été faits. Faire faire les devoirs  » sans conflit ». Pas plus de vingt minutes en semaine. Voire trente minutes pendant le week-end.

 

Rappeler aux enfants d’aller faire pipi au moment de la récréation ou avant d’aller à l’école. Un certain nombre d’enfants manifeste son envie de pipi pendant la classe. Or, les toilettes sont loin et elle ne peut pas laisser un enfant se rendre seul dans les toilettes. Alors, quand cela est indispensable, elle demande à un autre enfant de l’accompagner, souvent un CE1 pour un enfant de sa classe de CP. Et lorsqu’il y a des accidents, elle a des vêtements de rechange qu’elle nous demande de bien vouloir laver et de lui restituer ensuite.

 

Les enfants doivent plutôt être couchés à 21h au plus tard car ils sont  » en pleine croissance ». Maintenant, si l’on rentre tard du travail, on fait comme on peut.

 

Ces quelques règles de vie nous étaient familières. Mais j’ai vu dans la nécessité de leur rappel le fait que ces règles étaient encore étrangères à un certain nombre de parents de cette école, de cette ville où nous habitons, et sans aucun doute dans d’autres endroits en France. Certainement que lorsque l’on vit par exemple dans le monde de P’TiT Quinquin ( voir l’article sur la série de Bruno Dumont P’TiT Quinquin et Coincoin et les Z’inhumains ) dans celui dépeint par Romain Gavras dans son film Le Monde est à toi ou dans celui décrit par Oxmo Puccino dans son titre Peu de Gens Le Savent que ce genre de règles peut ressembler à de la masturbation intellectuelle, à une peine de prison ou à de la métaphysique.

 

La maitresse a insisté quant au fait qu’elle avait besoin des parents pour que les enfants réussissent bien à l’école. Aucun parent présent ne l’a contredite.

Elle nous a dit qu’elle serait toujours disponible pour nous recevoir en cas de besoin. Qu’il fallait seulement la prévenir.

Elle a aussi précisé qu’en cas de mécontentement à son égard, qu’il valait mieux venir en discuter avec elle plutôt que de garder ça pour soi. Avec un grand sourire, elle nous a dit :

« Je peux encaisser ». Le père du petit garçon qui intervenait souvent a alors dit:

« C’est bien, ça, de pouvoir encaisser « .

 

Ce soir, j’ai décidé d’écrire cet article en priorité. A l’origine,  j’avais plutôt prévu d’écrire sur le film De sable et de feu réalisé par Souheil Ben Barka qui sortira ce 18 septembre 2019 ainsi que sur le film Une fille facile réalisé par Rebecca Zlotowski ( en salles depuis ce 28 aout 2019).

 

Car j’ai tenu, de nouveau, à saluer le travail de toutes ces enseignantes et enseignants de l’école publique impliqués à l’image de la maitresse de l’école de ma fille cette année ainsi que les années précédentes et futures. 

 

L’école publique va mal. Au même titre que l’hôpital public. Et la police. Cela fera grimacer certaines et certains de voir associer l’école publique, l’hôpital public et la police. Car s’il est des institutions que l’on veut souvent remercier – même s’il est aussi des expériences très contrariantes à l’école et à l’hôpital- il est aussi des institutions que l’on veut ou que l’on a besoin de détester. Ce soir, si je rajoute le mot « police » à cet article, c’est sans aucun doute parce-que j’ai lu le livre de Frédéric Ploquin La Peur a changé de camp 2ème partie . Lequel livre m’a aidé à mieux comprendre, malgré certains travers de la police, comment une école, un hôpital et une police qui vont et font « mal » découlent d’une société qui va mal ou qui a fait et qui fait des mauvais choix politiques, sociologiques, économiques et donc, écologiques.

 

Tout à l’heure, j’ai été à nouveau marqué par cet enthousiasme des enseignantes rencontrées malgré les conditions de travail et les difficultés diverses qu’elles peuvent vivre. La maitresse de notre fille est restée avec nous jusqu’à dix neuf heures vingt voire dix neuf heures trente. Après la réunion qui avait débuté vers dix huit heures, elle était encore disponible dans la cour de l’école pour répondre aux parents qui la sollicitaient. Ses autres collègues étaient sans doute encore présentes dans l’école. Et ce sont , elles aussi, des femmes et des mères qui ont une vie personnelle et qui, comme la plupart d’entre nous, les vendredis soirs et d’autres soirs de la semaine, aspirent aussi à quitter leur travail. Pourtant, ce soir encore, j’ai trouvé chez la maitresse de ma fille, cette attitude assez fréquente de la professionnelle qui vous donne beaucoup et qui, néanmoins, donne l’impression de douter d’en avoir suffisamment fait et donné comme d’avoir été suffisamment claire avec vous lorsque vous l’avez interrogée. Et, pendant ce temps-là, dans la vie courante ou dans certaines administrations des personnes habilitées en principe à vous recevoir et à vous renseigner vont vous envoyer chier ou vous baragouiner des réponses sans queue ni tête sans décodeur !

 

J’ai aussi été marqué par ce décalage qui semble permanent, entre, d’un côté ces parents jamais contents et jamais satisfaits de l’école, et, de l’autre côté, ces enseignants pourtant dévoués qui font de leur mieux. Le pire étant qu’il n’y a pas de morale à cela :

On peut être un parent conciliant et pâtir de l’incompréhension du corps enseignant. Comme on peut être un parent chiant et obtenir une certaine considération de ce même corps enseignant que l’on sera prêt à critiquer et à dévoyer à la moindre contrariété.

 

Franck Unimon

 

 

 

 

 

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Micro Actif

P’TiT Quinquin et Coincoin et les Z’Inhumains version audio

 

La version écrite est disponible ici P’TiT Quinquin et Coincoin et les Z’inhumains

 

 

Franck Unimon, vendredi 6 septembre 2019.

 

 

Catégories
Cinéma

P’TiT Quinquin et Coincoin et les Z’inhumains

 

 

 

P’TiT Quinquin (2014) et Coincoin et les Z’inhumains (2018)

Une série fabriquée (écrite et réalisée) par Bruno Dumont.

 

Bruno Dumont parle d’un « naturel falsifié » à propos de ses films. Et cela depuis son film La Vie de Jésus. Dumont affirme aussi se dérober à toute sociologie et à toute psychologie. On peut l’entendre s’exprimer sur ces sujets et d’autres dans les compléments des deux dvds.

Sa série se déploie néanmoins telle une carte sensible de plusieurs des sillons de notre époque :

Solitude et absence de perspectives dans le monde rural, la féminisation du travail agricole, le problème des migrants et des sans papiers, le racisme, le rejet de l’autre, l’intégrisme islamiste, l’amour homosexuel, la place de la maladie mentale dans la société, la disparition de la mémoire collective concernant l’horreur de la guerre, l’enracinement consanguin de la pensée fasciste, un certain voyeurisme et opportunisme journalistique, les prêtres pédophiles, peut-être aussi indirectement la pollution dans la deuxième saison et sûrement un dévorant pessimisme concernant l’avenir.

 

Le commandant de gendarmerie Van Der Weyden et son lieutenant Carpentier sont chargés de l’enquête après qu’un premier meurtre insolite est découvert dans un bunker non loin de la mer. Chaque meurtre, où qu’il se déclare, est un incendie et une tempête.

Comme on est dans le cinéma de Dumont, on n’est guère surpris par l’allure iconoclaste et la bouille des deux gendarmes et des deux acteurs qui les campent (deux comédiens non professionnels et jardiniers dans la vie civile nous apprend Dumont dans le bonus du dvd de la première saison). On a déjà vu ça au moins dans L’Humanité en 1999 (palme d’or à Cannes et objet de polémique).

 

Mais l’incompétence est une doctrine dont le commandant Van Der Weyden (Bernard Pruvost) et le lieutenant Carpentier ( Philippe Jore) sont les extrêmes. On pourrait s’extraire du verglas dans lequel leurs agissements et leurs raisonnements nous entraînent en les considérant comme des idiots et des attardés mentaux, lointains rescapés d’une guerre depuis longtemps perdue -et oubliée- contre la bêtise et l’ignorance. Mais ce serait rapidement passer sur le fait que ces deux gendarmes sont, finalement, à l’image de cette humanité qui nous arrête :

 

Deux personnes incapables de desserrer les boulons de leur condition quels que soient leurs efforts et leur volonté. Nos deux héros restent ainsi insérés viscéralement hors des standards du film hollywoodien ou du polar « labellisé». Dans ces deux cinémas, l’hollywoodien et le « labellisé », les héros restent des perdantes et des perdants photogéniques dont la lutte contre le destin a des vertus héroïques, érotiques et possiblement douloureusement initiatiques. Dans le cinéma de Dumont, ces béquilles sont supprimées. Même si ses films savent très bien s’affilier à l’érotisme, à l’amour, à l’optimisme, la tendresse comme à l’humour. Mais ceux-ci sont des surgissements aussi naïfs qu’obstinés, et aussi des impasses, dans une vie d’ordures d’autant plus brutale qu’elle s’étale durablement et se déverse tel un océan dans « le trou du cul du monde ».

 

Série plus qu’hybdride, P’TiT Quinquin et CoinCoin et les Z’inhumains imbrique des genres cinématographiques que chacun reliera au gré de ses souvenirs et de ses références telle une sorte de planche de salut ou de Rorschach de son cinéma intérieur. On peut y trouver du Une Nuit en enfer de Tarantino, de L’Ennui de Cédric Khan avec l’actrice Sophie Guillemin d’après le roman de Moravia, du Matrix des ex-frères Wachowski avec ses agents dupliqués, du Dumont bien-sûr (L’Humanité, Flandres, Hadewijch …) mais aussi The Faculty de Robert Rodriguez ou, tout simplement, une parodie particulière des Taxi de Luc Besson et de bien d’autres films de course-poursuite qui ont pu inspirer ce dernier.

 

La deuxième saison, CoinCoin et les Z’inhumains nous fait moins décoller du binaire. Cela peut-être dû à une moindre inspiration du réalisateur à moins que celui-ci, à trop chercher à se dépareiller de lui-même, se sera finalement privé de certaines ouvertures:

« Voir son clone, c’est voir le néant » fait-il dire au commissaire Van Der Weyden.

 

Par ailleurs, ce magma noir mystérieux d’origine extra-terrestre qui tombe subitement sur les uns et les autres a néanmoins des points de ressemblance avec des activités très humaines : Ce peut-être le pétrole, énergie fossile amenée à se tarir et à emporter avec sa disparition celle de notre monde actuel. Ce peut-être la pollution et les maux de notre monde sous toutes leurs formes. Mais cela peut aussi être le cinéma, dont celui de Dumont, qui tombe sur l’existence de ces comédiens non-professionnels qui n’avaient pas prévu de se retrouver un jour dans une série ou un film. L’acteur interprétant le P’TiT Quinquin (Alane Delhaye) accompagnait par exemple quelqu’un pour le casting de la série lorsqu’il a attiré l’attention.

Le comédien non-professionnel Emmanuel Schotté, le héros du film L’Humanité (et palme d’or comme sa partenaire, Séverine Caneele, pour son interprétation) fait une apparition dans CoinCoin et les Z’inhumains et on regrette de le voir si peu. Ce qui nous amène à reparler de cette « consommation » que Dumont fait des comédiens non-professionnels dans son cinéma.

 

D’abord, il est difficile de s’empêcher de faire une rapide comparaison avec le cinéma d’un Abdelatif Kechiche, autre « falsificateur » du naturel. D’un côté, on a Dumont adepte de la prise unique et de peu de répétitions qui va chercher des comédiens non professionnels. De l’autre côté, on a Kechiche, sorte d’addict des prises, qui entend faire lâcher prise et ne comprend pas qu’un comédien professionnel puisse compter le nombre de fois qu’il a mis son jeu dans la prise.

 

Dans CoinCoin et les Z’Inhumains, le jeu d’acteur de Bernard Pruvost (le commissaire Van Der Weyden) est comme gâché. Dumont semble se comporter avec cet acteur comme le lieutenant Pharaon de Winter (le comédien Emmanuel Schotté) dans L’Humanité lorsqu’il embrassait certaines personnes sur la bouche avant de les abandonner. S’il est courant que des réalisateurs se servent des acteurs comme d’une pâte à modeler ou d’une sculpture, avec leur consentement, il est étonnant de voir Dumont embarquer son « héros » ( le commissaire Van Der Weyden) véritablement bon comédien dans P’TiT Quinquin dans un certain enlisement par la suite. Surtout qu’en regardant P’TiT Quinquin et CoinCoin et les Z’inhumains, Dumont rappelle à nouveau, y compris à l’auteur de cet article, comédien formé, qu’il est bien des inconnus, adultes et enfants, complètement étrangers au jeu d’acteur, qui, même s’ils sont guidés par les indications qui leur sont données dans une oreillette, déboisent le regard.

La version audio de cet article est disponible ici P’TiT Quinquin et Coincoin et les Z’Inhumains version audio

Franck Unimon, vendredi 6 septembre 2019.