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Peu M’importe si L’Histoire Nous Considère Comme des Barbares

Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares

Un film de Radu Jude en salles le 20 février 2019.

Ioana/Mariana, Roumaine plutôt coquette d’une trentaine d’années, est un « monstre d’érudition ». C’est aussi une forte personnalité. Elle pourrait être navigatrice, chef d’entreprise, espionne, chercheuse. Elle est metteure en scène. A la faveur d’une commémoration, sa gageure est de reconstituer à notre époque un pan de l’Histoire de la Roumanie lors de la Seconde Guerre Mondiale. Et, Ioana a à cœur de rappeler à ses contemporains la participation zélée de la Roumanie dans l’application de la Shoah.

Lorsque l’on évoque la solution finale et l’antisémitisme, il est plutôt assez rare, en France, d’y associer la Roumanie. On pense plutôt à l’Allemagne nazie bien-sûr, à la France, la Pologne, l’Autriche, la Russie et l’ex-URSS…

En effet.

A titre d’exemple : il y’a deux ou trois ans, la lecture de Les Cavaliers de l’Apocalypse, très bien écrit par Jean Marcilly en 1974 d’après le récit de Ion. V Emilian, ex officier du 2ème régiment de Calarashis pendant la Seconde Guerre Mondiale, avait étonné par son grand mutisme sur le sujet de l’antisémitisme et de la Shoah. A la fin du récit qui coïncidait avec la fin de l’épopée des Calarashis et la défaite militaire de la Roumanie, seuls le prénom et le nom de Simon Wiesenthal étaient prononcés du bout des lèvres. La « rencontre » de Simon Wiesenthal semblait fortuite et anecdotique. Presque « people » : Les motifs de sa « célébrité » étaient à peine éclairés et on aurait tout aussi bien pu nous parler d’une rencontre avec Paris Hilton à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cela aurait été pareil.

En revanche à la fin de Les Cavaliers de l’Apocalypse, l’admiration pour le Général américain Patton, bénéficiait de bien plus de lumière : Peut-être parce que l’on apprécie mieux un héros militaire que l’on estime pourvu du même sens de l’honneur que soi même si, comme Ion. V Emilian, on faisait alors partie du camp des vaincus. Peut-être aussi parce-que le Général Patton incarnait l’éclat de la virilité victorieuse là où Wiesenthal, lui, représentait celui qui, une fois la guerre et la peur « finies », s’était donné pour mission d’aller ausculter les décombres.

Par ailleurs, un peu de recherche nous permet d’apprendre que Jean Marcilly, l’auteur du livre Les Cavaliers de l’Apocalypse paru en 1974, donc, deviendra plus tard ( dans les années 80) durant un temps le compagnon de la première épouse de Jean-Marie Lepen et mère de Marine Lepen.

En 1974, Jean-Marie Lepen est depuis deux ans le Président du Front National, parti d’extrême droite français d’ascendance fasciste. Jean-Marie Lepen dirigera le FN jusqu’en 2011. Depuis ce 1er juin 2018, le Front National a été rebaptisé Rassemblement National par Marine Lepen, et, cela, après sa propre défaite aux élections présidentielles de 2017 face à Emmanuel Macron.

Cette « parenthèse » permet de faire un raccordement avec Antonescu, chef – d’extrême droite- du gouvernement roumain lors de la Seconde guerre Mondiale et à qui l’on doit cette déclaration- avant son exécution en 1946 pour crimes de guerre- qui donne le titre du film :

Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares. Le film sortira le 20 février soit dans une semaine et un peu plus de soixante dix ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Ioana/Mariana, du fait de son âge, n’a pas connu cette période. Mais ses grands-parents, voire ses parents, sans aucun doute.

Pour aborder ce sujet, Radu Jude (Ours d’Argent de la meilleure mise en scène au festival du film de Berlin pour son film Aferim en 2015) fait un film dans le film : l’interprète principale se présente comme Iona Iacob, soit son véritable prénom et son véritable nom, et non comme le personnage de Mariana. Et nous assistons aux premières répétitions de comédiens amateurs dont certains pourraient être les grands-parents de Iona/Mariana. On peut un moment espérer trouver un cousinage avec le Looking for Richard mis en scène et interprété par Al Pacino. Mais Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares est plus sec et plus réaliste.

Le côté bon enfant et à la bonne « franquette » du début du film qui nous rapprochent un moment d’un certain ennui laissent peu à peu la place à un film très moral et, à l’image d’Ioana/Mariana, plein d’érudition. On y côtoie la mémoire des armes et des musées, mais aussi celle de figures littéraires ou d’historiens qui ont soit été victimes de l’antisémitisme soit des personnalités qui ont effectué des recherches sur le rôle pris par la Roumanie dans la Shoah. Citons Isaac Babel, Raoul Hilberg, Dennis Deletant…

Les Cavaliers de l’Apocalypse s’attardait sur la menace communiste expansionniste comme raison principale de l’alliance de la Roumanie avec l’Allemagne nazie. Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares nous apprend que les « Bolchéviques et les youpins » étaient perçus depuis des années comme « les ennemis » endémiques déclarés des Roumains. Et peu importait qu’au pays des « Bolchéviques », des juifs soient victimes de pogroms ou des purges staliniennes….

Le film de Radu Jude nous pousse à nous interroger sur ce qui installe au sein d’une population, d’une communauté ou d’une société la permanence d’une pensée hostile à l’encontre d’un certain groupe de personnes au point de finir par trouver « normal » et justifié de l’exterminer ou de le stigmatiser. A voir Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares, on comprend que cette pensée hostile provient d’assez « loin » dans le temps :

Elle s’impose après des décennies, des générations, sans doute des siècles ou peut-être après des millénaires de croissance et d’expansion. Convoyés au moins par la force de certaines superstitions et de certaines traditions, l’antisémitisme, toutes les haines en « isme » ainsi que toutes leurs mutations, peuvent alors sembler plus résistants à l’érudition, à la morale et au Temps, que notre environnement au glyphosate et à la pollution atmosphérique. Ioana/Mariana, témoin de notre époque, en fait la difficile expérience. Elle, qui, pourtant, accepte de ne pas être aimée et défend son projet avec ruse et ténacité a par ailleurs du mal à se composer un avenir affectif. Mais elle a résisté et va continuer de le faire. Ainsi que quelques uns autour d’elle, dans la foule comme dans l’anonymat.

Franck Unimon, ce mercredi 13 février 2019.

4 réponses sur « Peu M’importe si L’Histoire Nous Considère Comme des Barbares »

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