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Cinéma

Selfie

AprĂšs Marche avec les loups   Selfie, donc. Plusieurs milliers d’annĂ©es d’évolution- et de massacres- afin de pouvoir continuer Ă  nous consacrer avec de plus en plus de moyens Ă  nos plus grandes idoles:

 

Notre image et nos Ă©motions.

 

Il y avait plus de monde dans la salle de cinĂ©ma, Ă  la  sĂ©ance de 9 heures du matin, pour venir voir Selfie que Marche avec les loups.

Nous Ă©tions Ă  peu prĂšs quatre ou cinq pour Marche avec les loups dont un homme avec des bottes en caoutchouc. Et prĂšs d’une vingtaine ou plus, la veille Ă  la mĂȘme heure, pour Selfie.

 

Les deux Ɠuvres sorties le 15 janvier 2020 ont des attraits diffĂ©rents. D’un cĂŽtĂ©, avec Selfie, nous avons une comĂ©die avec des personnalitĂ©s que l’on aime bien ou que l’on dĂ©couvre : Voir Blanche Gardin dans la bande annonce m’a tout de suite donnĂ© envie d’aller voir ce film. Mais le film a d’autres cartes Ă  jouer avec Elza Zylberstein, Maxence Tual, Max Boublil, Manu Payet, Fanny Sidney (dĂ©couverte dans la sĂ©rie Dix pour cent), EstĂ©ban, Finnegan Oldfield, Haroun, Sam Karmann, Marc Fraize  et d’autres qui me reprocheront peut-ĂȘtre – mais j’espĂšre qu’ils arriveront Ă  me le pardonner- de les « oublier Â» dans cette liste.

D’un autre cĂŽtĂ©, dans Marche avec les loups, nous avons un film documentaire rĂ©alisĂ© par Jean-Michel Bertrand, la soixantaine, pas sexy, peu connu,  sauf par quelques loups,  des Ă©cologistes, des adeptes des documentaires animaliers, dont son prĂ©cĂ©dent, ou par les quelques unes et quelques uns qui ont envie de le tirer comme un pigeon. On aurait mis comme titre Mike Horn part se battre avec des loups ou Rocky avec les Loups, cela aurait sĂ»rement plus donnĂ© envie de venir. Mais, lĂ , une marche avec des loups alors que l’industrie des trottinettes Ă©lectriques, des vĂ©los pliables et des engins motorisĂ©s personnels est en pleine croissance
 Bien des spectateurs ont sans doute prĂ©fĂ©rĂ© Ă©viter cette aventure mĂȘme si, Ă  mon avis, le film Selfie et le documentaire de Jean-Michel Bertrand ont bien des points communs.

 

Pour le dire trĂšs grossiĂšrement : les loups dont Jean-Michel Bertrand veut croiser le regard, au moins regardent-ils vraiment ce qui les environnent. Et ils sont aussi de moins implacables prĂ©dateurs que celles et ceux que nous engraissons et au devant desquels nous allons souvent volontairement en consommant. Peut-ĂȘtre parce-que consommer en tout genre- et payer pour cela- nous permet d’obtenir en Ă©change un Savoir magique et une protection. Et comme les effets de ce Savoir et de cette protection ne durent pas, il nous faut consommer/acheter Ă  nouveau ces Ă©lĂ©ments qui semblent nous permettre de les obtenir ou de nous en rapprocher. Ce besoin de Savoir et de protection et, aussi, de conquĂȘte, remonte bien chez l’ĂȘtre humain Ă  l’époque des loups. A l’époque oĂč l’ĂȘtre humain a dĂ» apprendre Ă  vivre et Ă  survivre sur le territoire des loups ou d’un autre prĂ©dateur en chair et en os. Aujourd’hui, il existe par exemple des prĂ©dateurs numĂ©riques, Ă©conomiques et industriels bien plus coriaces. Le documentaire de Jean-Michel Bertrand nous le dit dans une forme et un langage peut-ĂȘtre anciens qui ne parlent dĂ©jĂ  plus Ă  beaucoup d’entre nous. Mais la comĂ©die Selfie nous le dit aussi d’une autre façon ainsi qu’avec une plus grande cruautĂ© qu’on minimise comme Ă  chaque fois que l’on rit et que l’on est capable de rire d’une tragĂ©die. Parce-que tant que l’on peut rire, on a l’impression de garder encore un peu le contrĂŽle sur ce qui nous Ă©chappe. Alors qu’il nous est tout de suite impossible de rire lorsque l’on rencontre un loup et d’ajouter :

 

«C’est bon, je contrĂŽle Â».

 

 

Ajoutons Ă  cela, presque au milieu de ces deux sĂ©ances de cinĂ©ma 
la mort de Kobe Bryant. Du basketteur amĂ©ricain Kobe Bryant que, bien-sĂ»r, tout le monde « connaĂźt Â», dans l’accident de cet hĂ©licoptĂšre qu’il pilotait Ă  premiĂšre vue.

Cette mort,  alors que Kobe Bryant Ă©tait ĂągĂ© de 40 ans et accompagnĂ© de sa fille de 13 ans,  a connu et connaĂźt un trĂšs grand « retentissement Â» mĂ©diatique. MĂȘme le PrĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump, plus « vertueux Â» pour la haine et les tweets belliqueux Ă  tout propos s’en est « Ă©mu Â».

 

Comme beaucoup de monde s’est dĂ©jĂ  exprimĂ© Ă  propos de votre mort, Monsieur Kobe Bryant, j’aimerais, Ă  mon tour, m’exprimer :

Mourir Ă  quarante ans, au dĂ©part, c’est trĂšs moche. Surtout aujourd’hui oĂč l’on peut vivre jusqu’à 70 ou 80 ans si l’on sait Ă©viter les selfies qui nous font le coup du lapin. A condition bien-sĂ»r d’avoir la santĂ© et une retraite dĂ©cente afin d’éviter de devoir aller pointer Ă  l’ArmĂ©e du Salut ou de devoir partir pour aller faire la manche dans la rue oĂč Ă   la sortie des magasins. Et, vous, Monsieur Kobe, aprĂšs nous avoir tant fait rĂȘver sur un parquet de basket, vous aviez tout ce qu’il fallait pour continuer d’avoir une vie de rĂȘve. Une vie que nous aurions Ă©tĂ© nombreux Ă  souhaiter avoir et que nous aurions consciencieusement peut-ĂȘtre fait connaĂźtre moyennant quelques selfies ou vidĂ©os sur Youtube ou les rĂ©seaux sociaux Ă  la façon de tant d’autres cĂ©lĂ©britĂ©s et personnalitĂ©s que vous avez sĂ»rement rencontrĂ©es et inspirĂ©es.

 

 Mais, je souhaiterais que vous reveniez dunker au moins une fois pour nous refaire la dĂ©monstration suivante et mettre tout le monde d’accord sur un point :

 

Vous ĂȘtes mort trop vite et c’est trĂšs triste. Et je ne pense pas Ă  votre fille de 13 ans dont la mort est tout aussi triste. D’abord, je pense Ă  ces autres passagers qui sont morts avec vous et dont personne, apparemment, n’a rien Ă  faire. Pour votre fille et vous, j’ai vu l’image d’une jolie fresque gĂ©ante et souriante qui honore dĂ©ja votre souvenir en attendant d’autres nombreux tĂ©moignages de « notre Â» trĂšs grande affection pour vous. On peut s’attendre Ă  ce que des pĂ©lĂ©rinages  aient lieu Ă  certains endroits oĂč seront disposĂ©s des Ă©lĂ©ments de votre mĂ©moire.

Par contre, en dehors de votre fille, pour celles et ceux qui Ă©taient dans l’hĂ©licoptĂšre avec vous, rien ! Leur fait le plus mĂ©morable sera de s’ĂȘtre Ă©crasĂ©s avec vous mais on ne retiendra ni leur nom, ni leur visage, ni leur Ăąge et ni leur histoire. Parce-que nous sommes comme ça, Monsieur Kobe Bryant, vous le savez bien.  On vous retiendra vous et votre fille. En cela, nous respecterons fidĂšlement, sans doute, ce que vous avez toujours voulu. Marquer l’Histoire.

 

 

Ensuite, malheureusement, vous n’ĂȘtes ni le premier ni le dernier ĂȘtre humain  Ă  mourir bĂȘtement en dehors de votre domaine de prĂ©dilection oĂč vous Ă©tiez un demi-dieu. Tel grand champion d’escalade Ă  mains nues est ainsi mort en tombant dans les escaliers. Tel autre trĂšs grand alpiniste s’est tuĂ© lors d’une ascension « facile Â». Les exemples sont nombreux. Vous pourrez en discuter avec ces personnes ainsi qu’avec quelques anonymes qui ont connu la mĂȘme fin entre deux ou trois dunks que vous saurez, j’en suis sĂ»r, faire admirer dans l’au-delĂ .

Dans Selfie, rĂ©alisĂ© par cinq rĂ©alisateurs, le couple parental jouĂ© par Blanche Gardin et Maxence Tual est un corps perdu dans la recherche du nombre de vues. Il y a du Marina FoĂŻs dans le personnage de Blanche Gardin. Je pense Ă  la Marina FoĂŻs du Le Grand Bain de Gilles Lellouche. Et au cĂŽtĂ© « limite Â» de leur jeu : elles peuvent toutes les deux dire et commettre des horreurs avec dĂ©licatesse, humour et innocence. Cela rappelle un peu le jeu de Marie Trintignant. Et l’affection que l’on peut avoir pour ces trois femmes et actrices.

Face à Blanche Gardin, Maxence Tual est extraordinaire dans sa version 3.0 du raté lambda qui se croit artiste du réel. Et leurs trois mÎmes font partie du gros lot de Selfie.

Cinq rĂ©alisateurs et autant de scĂ©naristes, ça donne un film Ă  sketches autour des rĂ©seaux sociaux et de l’omniprĂ©sence du numĂ©rique et de la technologie qui se sont substituĂ©s Ă  notre pensĂ©e, nos connaissances et Ă  nos intuitions. Les rĂ©seaux sociaux et les nouvelles technologies sont devenues les expĂ©riences ultimes. Celles pour lesquelles on est prĂȘt Ă  tout afin d’entrer dans leurs cases et critĂšres. Pour en utiliser les pouvoirs et les Savoir magiques.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les nazis utilisaient de la pervitine pour ĂȘtre performants malgrĂ© le fait que les rats testĂ©s en laboratoire avec ce produit finissaient par se ronger les pattes ( article de Sorj Chalandon Ă  propos du documentaire Hitler, blitzkrieg et drogues de Jason Sklaver ( Etats-Unis) dans Le Canard EnchaĂźnĂ© de ce mercredi 29 janvier). Dans Selfie, on bouffe de façon illimitĂ©e des rĂ©seaux sociaux et des nouvelles technologies jusqu’à en ronger tout notre environnement personnel et mental.

«  Je dĂ©sire qui, putain ?! Â» finit par se demander Manu Payet qui s’en remet Ă  l’algorithme qui lui fait rĂ©guliĂšrement des suggestions d’achat personnalisĂ©es.

 

 

Dans selfie , le reste et les autres ne comptent plus vraiment. Ils font partie du décor.

«  Les gens, c’est pas important Â». «  19 millions de vues, c’est plus Qu’intouchables Â».

 

Le film a ses chutes de tension. Vers la fin, ça ressemble aussi Ă  l’agitation de rats dans un laboratoire. Mais entre-temps, on aura vu du monde tirer un portrait juste- mĂȘme dans ses caricatures- et trĂšs drĂŽle de notre Ă©poque. Bien-sĂ»r, il y a une bonne quantitĂ© « de scĂšnes et de rĂ©pliques potentiellement cultes Â»

 

Selfie n’est pas un chef d’Ɠuvre mais je crois que face Ă  lui,  il existera trois grosses catĂ©gories de personnes :

 

Celles et ceux qui regretteront d’avoir Ă©tĂ© absents de son casting. Celles et ceux qui l’ont vu. Et celles et ceux qui ne l’ont pas (encore) vu.

 

MĂȘme si je ne crois pas qu’il fera plus d’entrĂ©es Qu’intouchables.

 

Franck Unimon, ce vendredi 31 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

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