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Gare de Paris St-Lazare, septembre ou octobre 2021.

 

                                                          Servir

Le Cerveau humain

 

 

Au cours de mon article Trois Maitres + Un , je me suis escrimĂ© Ă  expliquer que je recherchais des Maitres qui pourraient me permettre de me bonifier. Et, que je n’étais pas un esclave recherchant son Maitre esclavagiste.

 

Si, en tant qu’homme Ă  peau noire et de condition sociale moyenne et commune,  je prĂ©fĂšre sans hĂ©sitation vivre aujourd’hui plutĂŽt qu’il y a deux cents ans en France, en repensant un tout petit peu tout Ă  l’heure Ă  l’article Trois Maitres + Un , j’en suis arrivĂ© Ă  la conclusion que, quoique nous pensions, souhaitions et affirmions, nous servons des rĂ©giments de Maitres depuis le commencement de notre existence.

 

Et, cela a sans doute toujours Ă©tĂ© pour l’ĂȘtre humain. Quelle que soit sa couleur de peau, sa culture, ses rites, son ethnie ou sa gĂ©ographie. Au point que, rapidement, on s’y perd parmi tous ses Maitres que l’on sert.

 

D’abord, en nommant mon prĂ©cĂ©dent article Trois Maitres + Un, je me suis trompĂ©. Officiellement, si je me rĂ©fĂšre avec exactitude Ă  des Maitres d’Arts martiaux que je suis allĂ© rencontrer, ou avec lesquels j’ai pratiquĂ© une sĂ©ance sous leur responsabilitĂ©, c’est plutĂŽt Quatre Maitres + Un que mon article aurait dĂ» avoir pour titre.

 

Car j’avais oubliĂ© de mentionner Sifu Roger Itier qui est le premier Maitre que j’avais fait la dĂ©marche d’aller rencontrer. Avant Sensei Jean-Pierre Vignau.

 

Je n’oublie pas mon premier prof de Judo, Pascal Fleury, dĂ©sormais Sensei. Sauf que, comme je l’ai expliquĂ©, Pascal n’était pas Sensei quand j’ai dĂ©butĂ© le judo, il y a trente ans, sous son Ă©gide. D’abord Ă  l’universitĂ© de Nanterre aprĂšs mes Ă©tudes d’infirmier puis, trĂšs vite, sur sa suggestion, dans le club oĂč il enseignait- et enseigne toujours- le judo Ă  Paris, au gymnase Michel Lecomte, Ă  la suite de sa « petite Â» sƓur, la championne olympique de judo, Cathy Fleury.

 

 

Et, je vais aussi me servir de cet « oubli Â» de Sifu Roger Itier pour constituer mon article.

 

Le cerveau humain, notre cerveau, tel que nous l’utilisons gĂ©nĂ©ralement, peut se concentrer sur un nombre limitĂ© d’opĂ©rations. Des neurologistes pourront l’expliquer. Des magiciens ou des arnaqueurs, aussi. Pour ma part, c’est la lecture rĂ©cente d’une interview d’un magicien, qui utilise aussi l’hypnose lors de ses spectacles, qui me l’a rappelĂ©. Mais certains rĂ©alisateurs de cinĂ©ma savent aussi jouer avec les angles morts de notre regard et de notre cerveau pour mieux nous surprendre et nous «manipuler», avec notre consentement, pour nous divertir.

 

Dans mon article Trois Maitres + Un , j’ai oubliĂ© de citer Sifu Roger Itier parce qu’au delĂ  d’un certain nombre d’informations, notre cerveau fait le tri pour se fixer sur celles que nos pensĂ©es et nos Ă©motions distinguent comme prioritaires en fonction de la situation. Et, aussi, parce-que, d’un point de vue affectif, si je reconnais l’expertise de Sifu Roger Itier, sa trĂšs grande culture, sa maitrise pĂ©dagogique et sa trĂšs bonne qualitĂ© d’accueil, je me sens plus attirĂ© par des arts martiaux « japonais Â». MĂȘme si j’ai un peu appris que certains arts martiaux « japonais Â», tels que le karatĂ©, doivent beaucoup Ă  des arts martiaux chinois. Mais, aussi, simplement, que les arts martiaux, d’oĂč qu’ils  « sortent Â», peuvent se complĂ©ter ou complĂštent l’éducation et la formation de ces mĂȘmes Maitres d’Arts martiaux que j’ai pu citer ou que je peux regarder.

 

Je sais par exemple que Sensei Jean-Pierre Vignau, Sensei LĂ©o Tamaki, Sensei RĂ©gis Soavi et sans doute Sifu Roger Itier ont tĂątĂ©, pratiquĂ©, de plusieurs arts martiaux et sports de combats, souvent en parallĂšle, pendant environ une dizaine d’annĂ©es Ă  chaque fois avant de « s’arrĂȘter Â» Ă  un moment donnĂ© sur un Art martial plus spĂ©cifiquement. Je ne connais pas suffisamment le parcours martial de Sensei Manon Soavi pour en parler. 

 

Le spectateur ou l’admirateur lambda, devant des Maitres d’arts martiaux ou devant des pratiquants Ă©mĂ©rites de sports de combats, va peut-ĂȘtre principalement retenir l’éclat physique ou sportif de la performance rĂ©alisĂ©e. Sauf que cette « performance Â» physique ou cette espĂšce d’alchimie martiale devient possible techniquement,tactiquement et d’un point de vue fonctionnel du fait  d’une pratique rĂ©guliĂšre et multipliĂ©e.

 

GrĂące Ă  cette pratique rĂ©guliĂšre multipliĂ©e, voire dĂ©multipliĂ©e, le cerveau de l’auteur ou de l’autrice de la « performance Â» a Ă©voluĂ© au point de pouvoir se permettre des connexions et des crĂ©ations de solutions psychomotrices quasi-instantanĂ©es. Lesquelles solutions quasi-instantanĂ©es sont adaptĂ©es Ă  des situations de danger et d’impasse que le spectateur ou l’admirateur lambda, placĂ© devant dans les mĂȘmes situations, aurait peut-ĂȘtre autant de possibilitĂ©s de rĂ©ussir que nous n’en n’avons de gagner au loto lorsque nous y jouons pour la premiĂšre fois.

 

Ces connexions et crĂ©ations cĂ©rĂ©brales quasi-instantanĂ©es « harmonisĂ©es Â» avec les aptitudes physiques et Ă©motionnelles de leur autrice ou auteur ne sont pas des analyses d’ordre Ă©conomique ou philosophique qui dĂ©coulent de statistiques ou de modĂ©lisations préétablies. Mais bien des adaptations humaines en temps rĂ©el. Une situation se prĂ©sente avec son lot de stimuli et d’informations diverses et pressantes, le pratiquant Â« Ă©largi Â» par ses expĂ©riences- et son Ă©volution qui en a rĂ©sultĂ©- rĂ©agit et s’adapte assez vite. La pratiquante ou le pratiquant « Ă©largi Â» et qui s’est bonifiĂ© ne tergiverse pas pour prendre telle dĂ©cision. Pour rĂ©aliser et s’engager dans telle action- adĂ©quate- Ă  tel moment. Elle ou il ne se dit pas : «  Oh, non, si je fais ça, je vais rater mon mĂ©tro qui arrive Ă   telle heure Â» ; « Oh, non, je vais salir mon beau pantalon blanc tout neuf que j’ai pris beaucoup de temps  Ă  repasser Â».

 

Cette façon de s’adapter Ă  des situations de plus en plus dĂ©licates, Ă  mesure que l’expĂ©rience du pratiquant augmente, se transpose dans notre vie de tous les jours. Et dans tous les mĂ©tiers oĂč dans tous ces moments oĂč nous avons certaines responsabilitĂ©s. Une motarde rĂ©guliĂšre- et prudente– depuis une dizaine d’annĂ©es aura certainement plus d’aptitudes Ă  garder son sang froid et Ă  prendre les bonnes dĂ©cisions si un automobiliste dĂ©boite subitement devant elle comparativement Ă  un jeune motard chien fou persuadĂ© d’ĂȘtre un champion du monde de moto. D’un cĂŽtĂ©, vous aurez une personne compĂ©tente qui saura dĂ©jĂ  respecter les bonnes distances et se rappeler qu’elle est mortelle. D’un autre cĂŽtĂ©, vous aurez un meurtrier ou un suicidaire qui s’ignore.

 

Avec cette illustration, il serait facile de rĂ©sumer en se disant que ce jeune motard est l’esclave de son ego. S’il n’y avait que l’ego qui soit notre Maitre
.

Car si nous avons des Maitres assez permanents tels que notre ego, nous avons aussi, je trouve, d’autres Maitres, seulement transitoires, mais nĂ©anmoins persistants dans notre existence.

Point de vue depuis la butte d’Orgemont, Ă  Argenteuil, septembre 2021.

 

En emmenant ma fille Ă  l’école, ce matin

 

Nous sommes un lundi. Comme beaucoup d’adultes, ce lundi matin, j’ai emmenĂ© ma fille Ă  son Ă©cole. La pandĂ©mie du Covid semble derriĂšre nous. MĂȘme s’il reste encore bien des gestes (port du masque Ă  certains endroits, rappels de l’obligation du pass sanitaire ou de la nĂ©cessitĂ© de la vaccination contre le Covid sur des Ă©crans de la ville ou dans des spots d’informations dans les trains ou dans les gares
) l’ambiance gĂ©nĂ©rale, depuis fin aout, dĂ©but septembre, consiste sans ambiguĂŻtĂ© Ă  « tourner la page Â». Aujourd’hui, dans les journaux, il faut chercher – quand il y en a- des articles relatifs au Covid et aux vaccins ou traitements anti Covid. En France, dans les mĂ©dia, on ne parle pas trop non plus de la catastrophe sanitaire aux Antilles ou dans les Dom du fait du Covid parce-que la majoritĂ© des gens n’y sont pas vaccinĂ©s contre le Covid. En abordant Ă  nouveau le sujet de la pandĂ©mie, alors que la majoritĂ© des gens l’a aujourd’hui dĂ©laissĂ©, je « montre Â» que la pandĂ©mie du Covid est en partie restĂ©e Maitre de certains endroits de ma mĂ©moire. MĂȘme si, hier, chez moi, je n’ai rien fait de dĂ©libĂ©rĂ© pour, parmi plusieurs piles de journaux, retomber sur un ancien exemplaire du journal gratuit 20 Minutes datĂ© du 9 juin 2021.

La premiÚre page du journal gratuit  » 20 minutes » du 9 juin 2021.

 

Dans cet exemplaire du journal gratuit 20 minutes, en premiĂšre page, on faisait allusion de façon dĂ©contractĂ©e Ă  la fin  fin du confinement. Plusieurs pages plus loin, le sujet portait sur la rĂ©ouverture des terrasses et des restaurants dans l’article Une forme de libĂ©ration pour les relations.  Et un ou deux autres articles traitaient aussi du Covid et de ses Ă  cĂŽtĂ©s : les relations amoureuses (l’article Un vaccin pour avoir sa dose « d’amour et de sexe Â» ), une infirmiĂšre «  soupçonnĂ©e de fournir des certificats de vaccination
sans avoir vaccinĂ© Â».

 

 

Un autre article, « Le tĂ©lĂ©travail entraĂźne un vrai changement de culture Â» abordait, lui, la stratĂ©gie suivie par certaines entreprises pour remĂ©dier au confinement de ses employĂ©s. La veille, le 8 juin, «  au cours d’un dĂ©placement Ă  Tain-l’Hermitage Â»  (dans la DrĂŽme), le PrĂ©sident Emmanuel Macron s’était fait «  gifler par un homme prĂ©sent dans la foule Â». L’article La Classe politique encaisse les claques en parle.

 

C’était seulement il y a quatre mois. Cela m’a paru trĂšs trĂšs loin.

 

La perception du temps et des Ă©vĂ©nements  par notre cerveau nous permet aussi d’évacuer plus facilement certaines expĂ©riences, ultra sensibles il y a quelques mois, anecdotiques quelques mois plus tard. C’est souvent pareil avec les histoires d’amour ou chargĂ©es d’affectivitĂ© et d’émotions particuliĂšres. Sauf lorsque l’issue a Ă©tĂ© trop douloureuse.

 

Le cerveau des personnes victimes d’un stress post-traumatique, telles que celles victimes des attentats du 13 novembre 2015 dont le jugement se poursuit Ă  Paris, lui, continue de vivre et de revivre l’évĂ©nement traumatique comme s’il Ă©tait toujours prĂ©sent et, aussi, comme s’il pouvait Ă  nouveau se reproduire.  Pour certaines de ces victimes, leur cerveau a comme perdu de sa plus grande capacitĂ© Ă  recevoir de nouvelles informations, plus apaisantes, de la vie et du monde. Le 9 juin 2021, pour beaucoup de personnes et moi, cela paraĂźt dĂ©jĂ  trĂšs loin. Le 13 novembre 2015, pour les personnes qui ont vĂ©cu ces attentats ou qui en ont Ă©tĂ© traumatisĂ©es, c’est encore tout « frais Â» ou encore « trop chaud Â».

 

 

Comme il n’y a pas eu d’incident ou de surprise extraordinaire pour moi alors que j’ai emmenĂ© ma fille Ă  son Ă©cole, mon cerveau a dĂ©jĂ  oubliĂ© une bonne partie de ce qui a pu se passer durant le trajet pour retenir certains aspects du rĂ©veil de ma fille, de ses prĂ©paratifs et de ce qui s’est passĂ© ou dit jusqu’à l’école. Ma fille, bien-sĂ»r, aura sĂ»rement une mĂ©moire diffĂ©rente de ce qui s’est passĂ©. Et, elle m’en parlera peut-ĂȘtre un jour ou peut-ĂȘtre cette aprĂšs-midi lorsque je retournerai la chercher.

 

Il est nĂ©anmoins un « Ă©vĂ©nement Â» qui m’a marquĂ© alors que je revenais de l’école.

Photo prise à Cergy-St-Christophe, début octobre 2021.

 

L’évĂ©nement qui m’a marquĂ© :

 

En revenant de l’école, j’ai cru faire une bonne affaire en dĂ©plaçant ma voiture afin de la rapprocher de chez nous, dans la rue. J’ai donc pris ma voiture, me suis retrouvĂ© derriĂšre une file d’autres vĂ©hicules qui attendaient au feu rouge. Puisque c’était l’heure de pointe oĂč beaucoup de personnes partaient au travail. Alors que je reprendrai le travail demain, de nuit.  

Dans la rue, plus proche, oĂč je croyais avoir vu deux bonnes places, en fait, il n’y avait pas de quoi se garer. Il y avait bien un espace vide les deux fois entre deux voitures. Lorsque j’avais aperçu ces deux espaces Ă  une vingtaine de mĂštres au minimum en emmenant ma fille Ă  l’école, j’avais cru qu’il y avait de quoi se garer. Ordinairement, je ne me trompe pas. Ce matin, je me suis trompĂ©. J’ai donc dĂ» repartir et me garer ailleurs. Presque aussi loin que lĂ  oĂč j’avais garĂ© ma voiture initialement. Puisqu’entre-temps, une automobiliste ou un automobiliste avait rangĂ© sa voiture lĂ  oĂč Ă©tait encore la mienne avant que je ne dĂ©cide de la dĂ©placer. Ce genre de dĂ©convenue arrive. Il y a pire. MĂȘme si j’aurais pu me contenter de laisser ma voiture lĂ  oĂč elle Ă©tait au dĂ©part, bien garĂ©e. Mais un peu loin de chez moi.

 

Avant de rentrer, je me suis dĂ©cidĂ© pour aller m’acheter des lames de rasoir. Je me suis rasĂ© hier soir. Et, j’avais envie de prĂ©voir. Lorsque j’éprouverai Ă  nouveau le besoin de me raser, c’est agrĂ©able de savoir que l’on a ce qu’il faut sous la main. C’est ici que ça commence.

 

Des lames de rasoir, j’en achĂšte depuis des annĂ©es. Il n’y a pas de risque mortel Ă  aller acheter des lames de rasoir. Il n’est pas encore nĂ©cessaire de pratiquer un art martial ou un sport de combat, ou de courir trĂšs vite, pour aller acheter des lames de rasoir au pĂ©ril de sa vie.

Mais, ce matin, j’ai eu soudainement besoin de me demander :

 

« Et, si, un jour, il n’y a plus de lames de rasoir, je ferais comment ? Â». AussitĂŽt, je me suis dit. HĂ© bien, je ferais sans doute sans. Je porterais davantage la barbe. Mais comme il y a les lames de rasoir que je recherche prĂšs de chez moi en attendant, j’y vais. C’est lĂ  oĂč j’ai retrouvĂ© un de mes trĂšs nombreux Maitres. Un supermarchĂ©.

 

Pendant que j’y Ă©tais pour m’acheter des lames de rasoir, j’en ai « profitĂ© Â», aussi, pour m’acheter un peu de chocolat.

 

J’en ai profitĂ© ? Qui en a vĂ©ritablement le plus profitĂ© ?

 

Le supermarchĂ© est un Maitre qui, comme chaque Maitre, a ses particularitĂ©s. Lui, ses particularitĂ©s, c’est qu’il est  toujours au mĂȘme endroit. Ou trĂšs facilement reconnaissable, comme ses « jumeaux Â», lorsque je vais dans un autre endroit, une autre ville. A certaines heures ouvrables.

Ce supermarchĂ©, prĂšs de chez moi, je l’ai aperçu un jour, comme une de ces places de parking vides ou que j’ai crues vides, prĂšs de chez moi. Mon cerveau l’a localisĂ© et mĂ©morisĂ©. Et, dĂšs que j’ai besoin de quelque chose en particulier que je sais pouvoir trouver chez lui, j’y vais. Aux heures ouvrables que j’ai aussi mĂ©morisĂ©es. Elles sont souvent faciles Ă  retenir pour mon cerveau.

 

On peut bien mettre une petite musique d’ambiance choisie, modifier la disposition des rayons, changer en partie le personnel (j’ai appris ce matin qu’un des vigiles sympathiques qui me demandait assez rĂ©guliĂšrement «  Et, comment, elle va, la petite ? Â» est parti depuis au moins six mois, du jour au lendemain, et qu’il travaille maintenant Ă  Paris), j’y retournerai. Je suis un client que l’on pourrait appeler « fidĂ©lisĂ© Â» ou suffisamment fidĂ©lisĂ©. 

 

Je « viens Â» moins souvent qu’auparavant. Parce qu’entre temps, j’ai commencĂ© Ă  frĂ©quenter d’autres Maitres, un peu plus Ă©loignĂ©s, qui me donnent le sentiment d’ĂȘtre moins chers et de me faire  Ă©conomiser lorsque je rĂ©alise de « grandes courses Â». Mais, aussi, peut-ĂȘtre, parce-que ma fille ayant grandi, je m’autorise plus facilement, aujourd’hui, Ă  augmenter mes distances de dĂ©placement lorsque je pars faire des courses.

 

Néanmoins, dÚs que je veux effectuer de petites courses rapides prÚs de chez moi, surtout aux heures assez creuses, je retourne chez ce Maitre. Ainsi que chez un ou deux autres, dont un petit marché, pas trÚs loin de chez moi. Et ça tourne comme ça.

Paris 20Ăšme, octobre 2021.

 

« Mon but, c’est de dĂ©courager ! »

 

 

J’ai bien sĂ»r plus d’estime personnelle pour les Maitres d’Arts martiaux que j’ai citĂ©s rĂ©cemment que pour les supermarchĂ©s. NĂ©anmoins, ma vie, telle que je l’ai choisie et telle que je la pratique depuis des annĂ©es, depuis mon enfance, me rend mes Maitres supermarchĂ©s ou marchĂ©s indispensables. On parlera de la sociĂ©tĂ© de consommation, et dans ce domaine, mes Maitres supermarchĂ©s et marchĂ©s, en connaissent des rayons, c’est vrai.

 

Et, malgrĂ© les travers que ces Maitres entretiennent en moi, je ne me rĂȘve pas encore vivant isolĂ© Ă  cinquante kilomĂštres de la premiĂšre bourgade oĂč je pourrais acheter un peu de pain et un peu de beurre. Car nous  avons tellement d’autres Maitres par ailleurs que nous avons adoptĂ©s avec les annĂ©es dont certains ont dĂ©jĂ  pris le relais de plusieurs de nos Maitres « traditionnels Â» ou « classiques Â». La tĂ©lĂ©vision, nos tĂ©lĂ©phones portables, nos ordinateurs, internet, nos employeurs. Certaines de nos relations et de nos habitudes. Notre ego.

 

Sensei Jean-Pierre Vignau m’avait dit, lors d’une de nos premiĂšres rencontres :

 

« Mon but, c’est de dĂ©courager Â». Plusieurs mois plus tard, je continue de repenser Ă  cette phrase de temps Ă  autre. Pour moi, le but de Jean-Pierre est de dĂ©courager l’ego. Pourquoi viens-tu pratiquer ? Tes intentions sont elles sincĂšres ? As-tu vraiment besoin de pratiquer avec moi ? Pourquoi ?! Si tes intentions sont profondes et que c’est le moment pour toi, tu tiendras. Autrement, tu partiras.

Jean-Pierre peut ĂȘtre dĂ©crit comme « un personnage Â» ou perçu comme un « malade mental Â» du fait de certaines de ses positions. Mais, jusqu’alors, Jean-Pierre m’a toujours bien accueilli. Je suis allĂ© le rencontrer les deux premiĂšres fois chez lui. C’était en plein confinement. J’ai lu sa biographie ainsi que le dernier livre sorti Ă  son propos.

 Si j’ai cru percevoir une premiĂšre pointe d’animositĂ© ou de contrariĂ©tĂ© chez lui, mais qu’il a vite rĂ©frĂ©nĂ©e, c’était au tĂ©lĂ©phone il y a quelques semaines. Quand je venais de lui apprendre que je n’étais pas – alors- vaccinĂ© contre le Covid et que, de ce fait, je ne pouvais pas pour l’instant, prendre des cours avec lui. Le Jean-Pierre que je suis allĂ© saluer la semaine derniĂšre- j’étais alors doublement vaccinĂ© contre le Covid- aprĂšs avoir passĂ© du temps au Dojo Tenshin- Ecole Itsuo Tsuda Ă©tait Ă  nouveau un Jean-Pierre, disposĂ© et simple. S’absentant de son cours quelques instants pour venir me saluer. Visiblement touchĂ© par ma visite. Paraissant aminci. Ce qu’il m’a confirmĂ©, me rĂ©pondant simplement :

 

« J’ai perdu cinq kilos car je voulais maigrir Â».

 

Sensei Jean-Pierre Vignau a 75 ans peut-ĂȘtre un peu plus. Sensei RĂ©gis Soavi, 71. Souvent, je trouve, les Maitres d’Arts martiaux vivent vieux. Au delĂ  de 80 ans. NĂ©anmoins, le Temps est un de nos Maitres. Et, si nous avons tous des Maitres, il est des pĂ©riodes dans notre vie oĂč nous avons la possibilitĂ© de choisir de servir certains de nos Maitres plutĂŽt que d’autres.

 

Servir

 

Choisir sa ou son Maitre, c’est, aussi savoir la servir ou le servir. Ce verbe, « Servir Â», est virulent dans une dĂ©mocratie. Servir/Maitre, lĂ , aussi, on a de quoi avoir peur. On peut penser Ă  la servilitĂ©, Ă  la servitude. Et, pourtant, nous servons tous quelqu’un ou quelque chose. Mais, lĂ , aussi, il importe de savoir qui, quand et pourquoi.

 

J’aurai pris beaucoup de temps, deux ou trois mois, pour lire la biographie de l’ancien officier lĂ©gionnaire parachutiste Helie de Saint Marc, Ă©crite par un de ses neveux, l’historien Laurent Beccaria.

 

 

Beccaria, mon aĂźnĂ© de cinq ans, est nĂ© en 1963. Helie de Saint Marc, dĂ©cĂ©dĂ© aujourd’hui, Ă©tait encore vivant lorsque Laurent Beccaria, historien de formation, lui a consacrĂ© cette biographie en 1988. Beccaria avait alors 25 ans lorsqu’il a confrontĂ© Helie de Saint Marc Ă  plusieurs Ă©pisodes de sa vie. De Saint Marc, nĂ© en 1922, avait 66 ans en 1988. Il est dĂ©cĂ©dĂ© en 2013.

 

 Beccaria, pour la rĂ©daction de cet ouvrage, avait aussi rencontrĂ© diverses personnes, dont des militaires de carriĂšre, qui avaient connu HĂ©lie de Saint Marc. A l’époque, oĂč, Ă  peine majeur, celui-ci Ă©tait devenu rĂ©sistant sous l’occupation nazie. Pendant sa dĂ©portation au camp de concentration Ă  Buchenwald. Pendant la guerre d’Indochine. Pendant la guerre d’AlgĂ©rie oĂč HĂ©lie de Saint Marc avait fait partie des officiers militaires qui, sur sollicitation du GĂ©nĂ©ral Challe,  avaient organisĂ© le putsch contre le GĂ©nĂ©ral de Gaulle en AlgĂ©rie en avril 1961 afin que celle-ci reste française.

Les intentions de Helie de Saint Marc (lesquelles intentions n’étaient pas partagĂ©es par d’autres « putschistes Â» qui, eux, voulaient surtout garder l’AlgĂ©rie au bĂ©nĂ©fice exclusif de la France et des Français) Ă©taient de sauver les harkis de l’exĂ©cution qui les attendait en cas d’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie. De donner plus de droits aux AlgĂ©riens Ă  Ă©galitĂ© avec les Français. Ainsi que d’assurer la victoire militaire de l’armĂ©e française. Helie de Saint Marc fut ensuite jugĂ© pour avoir participĂ© Ă  ce putsch, condamnĂ©, puis rĂ©habilitĂ© dans ses droits dix Ă  quinze ans aprĂšs sa condamnation.

 

La vie et la carriĂšre militaire d’un Helie de Saint Marc, qui a aussi Ă©crit des livres plutĂŽt reconnus pour leur valeur de tĂ©moignage comme pour leur valeur littĂ©raire, sont faites d’un engagement et d’une loyautĂ© qui dĂ©passent largement ceux de l’individu lambda, qui, comme moi, tout Ă  l’heure, est allĂ© tranquillement s’acheter ses lames de rasoir dans un pays en paix.

 

Helie de Saint Marc avait choisi cette vie de militaire puis de lĂ©gionnaire parachutiste. Avant cela, il avait Ă©tĂ© dĂ©portĂ©, avait failli mourir deux ou trois fois pendant sa dĂ©portation Ă  Buchenwald. Sans ce vĂ©cu de dĂ©portĂ©, donnĂ© Ă  la faim, Ă  la maladie et Ă  l’impuissance,  peut-ĂȘtre n’aurait-il pas eu, ensuite, cette volontĂ© de s’engager comme il l’a fait dans l’armĂ©e. Ou en tant que militaire et lĂ©gionnaire, il a ensuite tuĂ©. Ainsi que commandĂ© dont des lĂ©gionnaires de nationalitĂ© allemande, qui, quelques annĂ©es plus tĂŽt, au camp de Buchenwald, auraient pu faire partie de ses tortionnaires.

En tant que militaire, il s’est aussi liĂ© avec des populations indigĂšnes. Il a Ă©galement Ă©tĂ© blessĂ©. Il a vu mourir. Puis, sur ordre, en Indochine, Il a dĂ» abandonner des personnes qui s’étaient engagĂ©es pour la France tout en sachant, comme d’autres, que toutes ces personnes qui s’étaient dĂ©vouĂ©es Ă  la France, allaient ĂȘtre exĂ©cutĂ©es par les vainqueurs du conflit.

 

En AlgĂ©rie, De Saint Marc a Ă  nouveau commandĂ©, sans doute tuĂ© et fait tuer. Vu Ă  nouveau mourir. De Saint Marc Ă©tait opposĂ© Ă  la torture. Et, s’il a connu ou croisĂ© le lieutenant Le Pen, le pĂšre « de », leurs opinions politiques et humanitaires Ă©taient diffĂ©rentes. Dans la biographie de Laurent Beccaria, tĂ©moignages Ă  l’appui de militaires mais aussi de journalistes, De Saint Marc est dĂ©crit comme un « idĂ©aliste » mais aussi comme le contraire d’un fanatique. 

 

Toutes les personnes qui, aujourd’hui, demain ou hier, en France ou ailleurs, militaires ou non, ressemblent Ă  Helie de Saint Marc et qui sont prĂȘtes Ă  mourir pour servir un pays ou des valeurs sont Ă  mon avis plus libres que l’individu que je suis qui a peur de se faire mal mais aussi de la mort.  

 

Pourtant, Ă  mon niveau, comme chaque individu lambda, je sers aussi quelqu’un ou quelque chose. La loyautĂ© et l’engagement, on les retrouve aussi chez toute personne impliquĂ©e et consciencieuse dĂšs lors qu’elle va chercher Ă  assumer une responsabilitĂ© qui lui est confiĂ©e. Un Maitre d’Art martial, un militaire, un pompier, un policier, un gendarme Ă©voluent dans ces activitĂ©s humaines oĂč des femmes et des hommes engagent ou peuvent engager directement leur corps et leur vie en poussant la loyautĂ© et l’engagement plus loin que l’individu lambda. Le terroriste et le fanatique, aussi.

 

 

D’oĂč l’importance de savoir choisir ses Maitres lorsque l’on commence Ă  servir. Mais pour pouvoir choisir ses Maitres, il faut dĂ©jĂ  comprendre que nous avons besoin de Maitres. Or, comme l’a dit Sensei Jean-Pierre Vignau, «  avant de m’appeler Maitre, il faut dĂ©jĂ  en avoir connu plusieurs Â».

 

ConnaĂźtre un Maitre, le frĂ©quenter, et apprendre Ă  se connaĂźtre, puisque c’est souvent pour cela que l’on va vers un Maitre, cela prend du temps. Cela ne se fait pas en quelques clics, quelques flirts et quelques sms. Donc, connaĂźtre plusieurs Maitres, plusieurs vies
.

 

Servir, ensuite. Un militaire, un pompier, un policier ou un gendarme n’ont pas beaucoup de latitude pour ce qui est de dĂ©cider de choisir qui elles ou ils vont servir. Que ce soit leurs supĂ©rieurs directs ou politiques. Elles et ils ont le choix entre obĂ©ir. Mourir. Vivre. RĂ©ussir. Echouer ou dĂ©missionner. L’employĂ©e ou l’employĂ© lambda qui part tranquillement faire ses courses au supermarché .

 

 

Franck Unimon, lundi 18 octobre 2021.

 

 

 

 

 

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