Catégories
Argenteuil Corona Circus

Un acte politique

Photo prise ce mercredi 18 aout 2021 à Argenteuil, non loin de la mairie et de la médiathÚque.

                                                 Un acte politique

La foule

 

 

« Tout acte est politique Â». Nous avons tous entendu ça un jour. A partir de lĂ , tirer la chasse d’eau dans les toilettes ou laisser dĂ©border la cuvette des chiottes- sans les nettoyer- peut aussi ĂȘtre vu comme un acte politique. Pisser par terre sans essuyer, aussi. 

 

Je n’ai pas de passĂ© de militant politique. J’ai trĂšs peu mouillĂ© le maillot dans des manifestations ou dans des assemblĂ©es syndicales, associatives ou autres. Je me mĂ©fie des mouvements de foule et de groupe. Il y a bien-sĂ»r ma conversion trĂšs facile au « thĂ©orĂšme Â» de l’humoriste Pierre Desproges qui expliquait que pour connaĂźtre le quotient intellectuel d’un groupe ou d’une foule, qu’il fallait le diviser par le nombre de personnes qui le ou la constituait.

 

Mais il y ‘a d’autres paramĂštres qui comptent pour moi et qui rejoignent ce « thĂ©orĂšme Â».

 

Une foule, Ă  moins d’y aller en famille, c’est beaucoup de personnes inconnues. On peut bien sĂ»r y faire des rencontres indispensables. Mais, le plus souvent, la plus grande partie de celles et ceux que nous avons cĂŽtoyĂ©es restent pour nous des anonymes. On est moins maitre de soi dans une foule. En terme de repli, d’esprit critique mais aussi pour nos dĂ©cisions.

 

D’une certaine façon, se mĂȘler Ă  la foule, c’est lui faire confiance. Et, tout le monde qui constitue cette foule se livre Ă  cette confiance assez aveugle. On suit le mouvement. Ça peut donner Ă  vivre des moments trĂšs agrĂ©ables, de liesse ou de grande communion.  Pacifique ou destructrice. Ça peut aussi revenir Ă  se retrouver dans une cuvette remplie de dĂ©sherbant lorsque ça dĂ©rape. Ou lorsque la peur remplace solidement le fragile sĂ©diment d’union.

 

Les incendies du Monde

 

Ces deux-trois derniers jours, on parle de plus en plus des incendies en Chine, en Russie et dans une autre partie du Monde. Tout cela est liĂ© Ă  la dĂ©sertification et au rĂ©chauffement climatique. On parle aussi des Talibans qui ont repris l’Afghanistan depuis le dĂ©part des derniĂšres troupes militaires amĂ©ricaines. L’opticien avec lequel j’ai mes habitudes m’a parlĂ© des conditions de vie qui se sont particuliĂšrement dĂ©gradĂ©es au Liban ces derniĂšres semaines. Il est trĂšs difficile d’y trouver du pain. De l’essence pour les voitures. Les gens ont droit Ă  vingt litres d’essence. Les coupures d’Ă©lectricitĂ© sont frĂ©quentes. La retraite n’existe pas au Liban. On y travaille jusqu’Ă  la mort. Son grand-pĂšre, atteint d’un cancer, travaillait encore une semaine avant sa mort.  

 

Ces sujets- et d’autres- sont inquiĂ©tants. Ils permettent aussi de parler d’autres sujets que la pandĂ©mie du Covid, des pro-vaccins, des anti-vaccins, et des dĂ©sunions profondes que ces sujets causent.

 

Mais sans parler de ça, et avant mĂȘme que de nouveaux actes terroristes n’assombrissent encore plus nos visages, quelques Ă©vĂ©nements quotidiens banals nous montrent dĂ©jĂ  que notre union gĂ©nĂ©rale a une composition assez voisine de celle de certains de ces produits que l’on achĂšte en grande surface.

 

Il y a un peu plus de trois ans, alors que l’on parlait davantage des attentats terroristes islamistes, une jeune femme avait dĂ» subir l’insistance d’un homme en public. C’était dans le mĂ©tro Ă  une heure de pointe. L’homme Ă©tait un « beau bĂ©bĂ© Â», d’un mĂštre quatre vingt Ă  un mĂštre quatre vingt dix. Il devait porter un vĂȘtement militaire pour que je me sois imaginĂ© qu’il devait ĂȘtre du genre engagĂ© dans l’armĂ©e. Laquelle lui permettait sans doute d’avoir des rĂšgles de vie. Une tenue de route. Des ordres Ă  appliquer. Une discipline.

 

LĂ , livrĂ© Ă  lui-mĂȘme, parachutĂ© dans la vie et l’isolement social,  il avait bu quelques biĂšres. En canettes ou en petites bouteilles de verre. Il Ă©tait plus lourdaud qu’un pervers Ă  la Fourniret. Mais il Ă©tait nĂ©anmoins imposant, intimidant et Ă  cĂŽtĂ© de la plaque.

La jeune femme avait peine Ă  se soustraire de ses « avances Â». Dans le mĂ©tro qui s’ébrouait, sur la ligne 4, personne ne bougeait. Un de ces mĂ©tros « serpent Â» oĂč toutes les voitures communiquent entre elles.

 

C’est en entrant dans le mĂ©tro et en m’asseyant  Ă  quelques mĂštres que j’ai vu ça. Ce jour-lĂ , je n’ai pas rĂ©flĂ©chi. Parce-que pour agir « juste Â», c’est cela le paradoxe, que ce soit en amour, lors d’une dispute ou pour aider quelqu’un, il faut aussi savoir
ne pas rĂ©flĂ©chir. Savoir se faire confiance. S’exprimer comme ça nous vient.

 

L’homme aux lunettes jaunes

 

Ce jour-lĂ , j’ai Ă©tĂ© suffisamment confiant pour, trĂšs vite, faire signe Ă  la jeune femme de venir s’asseoir Ă  cĂŽtĂ© de moi. Une place Ă©tait libre. La jeune femme a vu mon geste puisqu’elle s’est dĂ©placĂ©e jusqu’à moi. Je ne suis plus sĂ»r qu’elle se soit assise Ă  cĂŽtĂ© de moi. Mais je sais lui avoir parlĂ© et lui avoir demandĂ© oĂč elle voulait descendre. C’était une ou deux stations de mĂ©tro plus loin.

Quelque chose dans mon attitude avait vraiment dĂ» lui inspirer confiance car, Ă  cette Ă©poque, je portais des lunettes de vue plus ou moins Ă  double foyer dont les premiers verres Ă©taient de couleur jaune. Si j’était plutĂŽt content de mon choix alors, aujourd’hui, lorsque je revois certaines photos de moi avec ces lunettes, je me dis que je n’étais pas du tout Ă  mon avantage.

 

Le gros bĂ©bĂ©, lui, seul sur la piste, comme si une femme l’avait plantĂ© en plein slow, s’était un peu Ă©nervĂ©. Il avait jetĂ© sa canette de biĂšre par terre. De la mousse avait coulĂ©. Il avait fait quelques pas  dans notre direction. Un autre homme, plus jeune que moi, plus petit que notre « gorille Â», mais aussi plutĂŽt longiligne s’était comme mis sur la trajectoire de « l’envahisseur Â». Lequel avait aboyĂ© des propos ou des menaces que notre deuxiĂšme homme, notre deuxiĂšme ligne, avait laissĂ© passer. Puis, ça avait Ă©tĂ© « tout Â».

 

Notre jeune femme avait pu sortir du mĂ©tro. Je serais incapable de la dĂ©crire. Je me rappelle qu’un homme, un peu plus loin, m’avait ensuite adressĂ© un regard. Comme si, pour lui, j’avais pu constituer une forme de soutien. Alors que j’estimais ĂȘtre presque rien. Je ne sais pas de quoi j’aurais Ă©tĂ© capable si notre « homme Â» avait Ă©tĂ© agressif physiquement envers moi. Je n’y avais pas rĂ©flĂ©chi en faisant signe Ă  cette jeune femme. Je n’avais pas eu le temps d’avoir peur. Mais j’avais eu le temps de me dire qu’en cas de nouvel attentat (ce devait ĂȘtre aprĂšs l’attentat du Bataclan), la plupart de ces personnes prĂ©sentes dans ce mĂ©tro, ce jour-lĂ , seraient parties dans tous les sens. Et que les terroristes auraient pu en faire ce qu’ils voulaient. Dans les rues de Paris et au Bataclan, les terroristes avaient pris leur pied en tirant sur des gens Ă  balles rĂ©elles comme dans une fĂȘte foraine. Dans ce qui venait de se passer avec cette jeune femme, je ne voyais pas de quel genre d’Ă©chappatoire nous aurions pu disposer face Ă  un scĂ©nario terroriste identique Ă  celui du Bataclan. Et, cela, les terroristes le savent. L’Etat, aussi. 

L’Ami de quelqu’un

 

C’est aussi pour cela, sĂ»rement, que je me mĂ©fie des foules. Lors d’une action commune, je prĂ©fĂšre ĂȘtre entourĂ© de peu de personnes et bien les connaĂźtre. Et, Ă©videmment, plus cette action commune sera dĂ©licate, plus j’aurai sans doute besoin de bien connaĂźtre ces personnes qui m’entourent afin de pouvoir mieux me coordonner avec elles. On critique trĂšs souvent les personnes qui, dans les transports en commun, ne bougent pas en cas d’agression. Cette « passivitĂ© Â» s’explique aussi par le fait que toutes ces personnes entre elles ne se connaissent pas et ne connaissent pas la victime. Et, l’agresseur ou les agresseurs profitent  aussi de cette brĂšche. De cette opportunitĂ©.

 

Aujourd’hui, on se dit facilement ĂȘtre l’ami de quelqu’un. Mais c’est une formule. Y compris une formule de politesse. Il est facile d’ĂȘtre l’ami de quelqu’un lorsque tout sourit. Et c’est agrĂ©able, aussi. On ne peut pas souhaiter rester en permanence sur le qui-vive et dans la mĂ©fiance. On ne peut pas passer son temps Ă  devoir ramper constamment dans la boue et le froid, en pleine nuit, le ventre vide, afin d’échapper Ă  des furies. Ou juste pour se rendre Ă  une sĂ©ance de cinĂ©ma ou pour prendre un verre dans un bar avec quelqu’un.

 

L’anomalie

 

Aujourd’hui, j’ai raccompagnĂ© ma fille Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville. J’ai vite renoncĂ© Ă  faire remarquer aux bibliothĂ©caires que je « connais Â» et qui me « connaissent Â» qu’il y a une grosse anomalie dans le fait que des gens comme moi, non vaccinĂ©s contre le Covid, soient dĂ©sormais interdits d’accĂšs de la mĂ©diathĂšque. Je crois que faire part de cette anomalie aux bibliothĂ©caires les mettrait mal Ă  l’aise. Je me suis contentĂ© de les saluer de loin. Nous nous sommes souris. Je me suis aussi demandĂ© combien de fois faudrait-il que des usagers familiers comme moi repassent et restent ainsi presqu’à la « porte Â» de la mĂ©diathĂšque pour que l’une ou l’un d’entre eux, Ă  un moment donnĂ©, finissent par se dire qu’il y a quelque chose qui cloche dans cette situation. Je me suis aussi demandĂ© combien de temps, si j’étais Ă  leur place, ou lorsque je suis Ă  leur place dans mon travail, me faudrait-il/me faut-il, pour m’apercevoir qu’il y a quelque chose qui cloche dans ma conduite au regard de certaines situations.

 

L’anomalie est  que la mairie de ma ville ne propose aucune alternative. Car les impĂŽts que je paie depuis des annĂ©es contribuent au financement des institutions publiques comme les mĂ©diathĂšques et les hĂŽpitaux publics. L’Etat et donc la mairie de ma ville n’ont donc aucune lĂ©gitimitĂ© Ă  m’interdire totalement l’accĂšs Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville. Ou, ils se doivent de me proposer un service alternatif. Car je paie pour ce service public avec mes impĂŽts. Or, depuis plusieurs jours maintenant, l’Etat prend l’argent de mes impĂŽts mais ne me rend pas le service pour lequel mes impĂŽts- et ceux des autres citoyens vaccinĂ©s et non-vaccinĂ©s contre le Covid- le paient. Et, la mairie de ma ville se comporte donc comme un exĂ©cutant zĂ©lĂ© de l’Etat. C’est un exĂ©cutant de poids mais, aussi, un exĂ©cutant dĂ©cĂ©rĂ©brĂ© qui manque totalement de recul. Et qui manque, lĂ , Ă  sa mission d’inclusion sociale et culturelle.

Lorsqu’une entreprise prend l’argent ou reçoit de l’argent de ses actionnaires, elle lui doit des contreparties. Sauf si les actions n’ont plus de valeur. Dans ce cas, les actionnaires ont perdu leur argent. Refuser l’accĂšs Ă  des institutions publiques Ă  des personnes qui paient leurs impĂŽts parce-qu’, actuellement, ces personnes ne fournissent pas de passe sanitaire ou de test PCR ou antigĂ©nique nĂ©gatif, cela signifie aussi que, pour l’Etat, les “actions” du service public n’ont aucune valeur. 

 

C’est presque le contenu du mail que j’ai envoyĂ© tout Ă  l’heure Ă  la mairie de ma ville.  Je ne sais pas quand ce mail sera lu. Nous sommes en plein mois d’aout, pendant les grandes vacances. Et, je ne suis personne. Je n’ai pas des millions de vues sur une chaine Youtube. Je n’ai aucun ami dans les sphĂšres politiques, mĂ©diatiques ou dans le monde des affaires. Mais mon mail est sans doute un acte politique. Et, je n’ai pas prĂ©vu d’aller boire de la biĂšre dans un mĂ©tro en attendant que l’on me rĂ©ponde.

 

Franck Unimon, ce mercredi 18 aout 2021.

 

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.