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Un supermarché pour tout

 

Un supermarché pour tout

Ce matin, je suis retourné dans un Décathlon. Je cherchais des mitaines pour faire du vélo. Les miennes commencent à être usées. Et un short, tendance cuissard, pour faire du vélo.

 

Aujourd’hui, on peut se rendre dans une enseigne de cette chaine – Décathlon– de grands magasins de sport comme chez le boulanger ou le marchand de primeurs. Trente ans plus tôt, dans les années 60, cela eut été inconcevable. C’était un autre monde.

 

C’est pareil pour certaines grandes enseignes de bricolage. Et d’autres enseignes telles que la Fnac qui agrège librairie, informatique, photographie, produits high tech, Cds, Blu-rays et autres. Il y a aussi Darty. S’y rendre est une formalité.

 

On entend encore parler de la mort des petits commerces et de l’artisanat. Mais on n’est pas à ça près. D’abord, on fait avec ce qui se trouve à proximité, ce qui est moins cher et le plus pratique. Les supermarchés offrent des grandes quantités, de la variété. Et nous sommes preneurs. Je suis preneur.

 

Avant d’aller à Décathlon, j’ai confié mon vélo à un petit magasin de cycles qui a ouvert à quelques minutes de là, il y a quelques mois :

La Roue Liber.

 Pour des nouveaux patins de frein. J’ai préféré passer par un petit magasin à une chaine telle que Décathlon. Ceci afin de soutenir un peu économiquement les petits commerces.

 

Je m’échappe de plus en plus des grandes surfaces. Sauf quand je n’ai pas le choix.

 

Dans le petit magasin de cycles, La Roue Liber,  j’ai été étonné lorsque celle qui m’avait accueilli m’a demandé :

« Vous voulez boire, quelque chose ? ». J’étais en train de refermer mon sac à dos et j’allais partir à Décathlon.  

 

J’ai accepté de prendre un verre d’eau. En me l’apportant, cette même personne m’a dit :

 

« Vous pouvez aller vous asseoir sur la terrasse. C’est à nous ». Devant le magasin de cycles, se trouve en effet une petite terrasse. Près de la route. Donc, à portée des pots d’échappement des voitures des rues parisiennes. Mais, lorsque l’on passe du temps à Paris, on est immunisé contre ce genre de paradoxe. Et puis, une telle proposition détonait dans,  pratiquement, toute ma vie de consommateur. 

 

Alors, mettons-ça sur le fait que ce magasin de cycles vient d’ouvrir. Qu’il se constitue sa clientèle. Et que dans d’autres commerces, telles les concessions automobiles ou certains opticiens, on fait aussi ce genre de proposition.

 

Après mon verre d’eau, je suis parti vers la grande enseigne du sport (Décathlon). J’avais à peine fait quelques mètres que je suis passé devant une pâtisserie tenue par un couple japonais. Je ne l’avais jamais vue auparavant. Le couple Chiba. Angélique, qui tient cette pâtisserie avec son mari, m’a parlé. Mais j’avais « mon » Décathlon en tête. Alors, je lui ai répondu que je reviendrais plus tard.

 

 

Sur le chemin, je suis passé devant un autre magasin d’articles de sport. Une marque plutôt cotée, assez technique, qui, depuis plusieurs années, s’est ouverte au grand public : La marque Salomon. Avant, même s’il y en a encore peu, aujourd’hui, en plein Paris, on trouvait moins ou pas de magasins représentant exclusivement cette marque.  

 

En vitrine, j’ai aperçu un pantalon qui m’a plu. Dans le magasin, j’ai demandé conseil à l’un des vendeurs. Le vendeur ne voyait pas de quel pantalon il s’agissait. Il a accepté de me suivre dans la rue où je le lui ai montré. Pour finalement m’apprendre qu’il s’agissait d’un article….pour femme

 

S’adressant à moi comme si je comprenais  son langage, le vendeur m’a annoncé qu’il s’agissait d’un pantalon « chino » et « wide ».

 

Je n’ai pas compris tout de suite.  Je lui ai fait répéter. J’ai même compris « Wild ».

Peut-être parce-que, dehors, face à lui, je me suis senti un peu soupesé par le vendeur en tant que valeur sur le marché du sexe. Car j’ai oublié de dire que je m’étais mis à mon avantage pour cette sortie :  

Cycliste noir moulant, mi-cuisses, baskets, allure sportive. Puisque j’avais pris mon vélo et qu’il faisait chaud.  

 

Les femmes ont les jupes, les robes, les décolletés, les  bustiers, les les jambes nues et autres prompteurs à cristaux liquides. Un retard d’acclimatation peut étourdir et faire perdre un peu le goût de l’heure et du temps qui passe. Cependant,  nous, les hommes, en été, ou lorsqu’il fait chaud, l’équivalent de notre panoplie érotique ou sensuelle peut-être une certaine allure sportive.  Avec ou sans marcel. Avec ou sans gamelle.

 

Le magasin Salomon n’avait pas encore reçu ce type de pantalon. Je pouvais en trouver sur le site internet. A voix haute, je me suis soudainement plongé dans un abysse d’incertitudes inéluctables :

Pouvais-je- en- tant -qu’homme-porter- un- tel- pantalon- puisqu’il- s’agissait- d’un article- féminin ?

Notre vendeur, empathique, et pragmatique, m’a alors dit :

« Il m’arrive de mettre des vêtements pour femmes. Ça va passer crème ! ». Il fallait juste que je me fasse à l’idée que c’était un pantalon “taille haute”. 

 

«  Passer Crème ! ».  Cette expression, je l’ai découverte par hasard en écoutant un concours d’éloquence il y a un ou deux ans.

 

Au Décathlon, je n’ai pas trouvé ce que je cherchais. Ni éloquence. Ni crème. Les mitaines étaient moches. Il n’y avait pas le short que je recherchais, non plus. Mais j’ai trouvé un  vendeur qui a bien voulu m’aider. Pendant toutes ces années, j’avais été suffisamment négligent pour laisser le code barre sur mes mitaines usagées. Cet article ne se vend plus m’a appris le jeune vendeur. « C’est un vieil article » a-t’il continué  tel un expert qui, examinant au microscope les lignes de ma main, s’aperçoit qu’il a affaire à un objet désuet. Puis, il m’a assuré  que j’avais dû le payer «  six euros ». Les nouvelles- et moches- mitaines présentes devant moi dans les rayons coûtent désormais 20 euros.  

 

Les employés des enseignes comme Décathlon sont désormais souvent de passage. Comme dans les banques. On se rappelle davantage du nom de l’enseigne, de l’article ou de la marque que l’on achète.

 

Après Décathlon, je me suis arrêté dans la pâtisserie tenue par le couple japonais. J’ai appris qu’elle existait depuis…42 ans.

 

« Tout est fait maison », concernant les pâtisseries, m’a appris Angélique. Celle-ci, la soixantaine, s’est affairée pour me servir. Il y avait sans doute le côté commercial qui consiste à vouloir faire acheter le plus de produits. Mais, aussi, la volonté de conseiller.

 

Un habitué est arrivé. Un homme en costume cravate. L’heure du déjeuner approchait. Comme Angélique s’occupait de moi, après l’avoir saluée, il s’est installé tranquillement en terrasse. Angélique a continué à me parler des autres thés disponibles. Fouillant dans ses placards, elle sortait des grands paquets de hojicha, de Gemmaïcha. Elle m’a parlé d’un thé Sencha qu’elle venait de recevoir et qu’elle allait goûter. Mais celui que j’avais pris était très bon ! Elle vendait du Matcha, aussi. Mais, le matcha, lui ai-je dit, je ne sais pas le faire. Alors, Angélique de me dire :

 

« Un jour, si vous avez le temps, je vous montrerai ». Je lui ai répondu :

« Je prendrai le temps ». Elle s’est mise à rire. Approuvant sans doute ma conduite.

 

Au moment de partir, je l’ai remerciée en Japonais : « Arigato Gozaimasu ». Alors, s’inclinant vers moi avec déférence, Angélique m’a également répondu en Japonais.

 

J’ai récupéré mon vélo à La Roue Liber. J’ai été content de la rapidité des « travaux ». J’avais été informé par sms -alors que j’étais encore au Décathlon- qu’il était prêt.

 

Ensuite, je suis passé dans cette pharmacie, près de la gare de St Lazare, qui a, depuis peu,  changé d’emplacement. Elle est s’est maintenant rapprochée d’un grand hôtel : Le Hilton.

 

L’intérieur a été modifié. Très éclairé. Cela se veut modélisé. Prestigieux. Mais, impossible de trouver les huiles essentielles. Une personne de la pharmacie, souriante, me répond que, désormais, il suffit de faire la commande en appuyant sur un grand écran. Et que le flacon arrive dans une sorte de boite. Mais ça ne marche pas. On ne peut pas sélectionner l’huile essentielle que je souhaite acheter. L’écran « cale »  à la lettre « G ». Je dois donc me passer de l’huile essentielle que je comptais acheter.

 

J’escompte trouver du dentifrice. On m’indique où se trouvent les tubes de dentifrice. Parmi les différents dentifrices, je ne trouve pas le dentifrice que je cherche. « Avant » le déménagement, je le trouvais facilement. Je sors de la pharmacie sans rien acheter. J’irai ailleurs, une autre fois, dans un supermarché où je trouverai ce que je « cherche ».

 

Il y a des supermarchés pour tout. Partout. Bientôt, il y aura aussi des supermarchés où nous trouverons des premiers prix pour nos tombes. Bien-sûr, tout n’est pas perdu. Puisqu’il y a eu des pauses  et des oasis tels que ce magasin de cycles et cette pâtisserie. Et, il en existe d’autres. Certaines de ces oasis viennent de se créer ou vont se créer. D’autres sont là depuis longtemps et sont seulement connues des habitués ou de leur proche voisinage.

 

A La Roue Liber, le réparateur, prévenant, m’a engagé à ne pas appuyer trop fort sur les freins. Afin, de me réhabituer au système de freinage. Je l’ai écouté avec approbation.

 

Le monde dans lequel nous vivons, auquel nous appartenons en grande partie, et qui nous consomme, autant que nous le consommons, n’aime pas freiner. Ses freins sont  défectueux ou usés. Ou brutaux. Il faudrait sans doute partir loin de tout ça avant l’irrémédiable. Savoir sortir, au bon moment, de ces supermarchés- et de leurs hiérarchies- depuis longtemps établis dans notre tête. Cela peut sans doute s’apprendre au jour le jour. Car nous avons encore plus de pensées et de rêves qu’il n’existe de supermarchés.

 

Franck Unimon, ce jeudi 3 juin 2021.  

 

 

 

 

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