Une fille facile : un film de Rebecca Zlotowski
(sorti en salles le 28 aout 2019)
Jâavais un peu mauvaise conscience en allant voir Une fille facile. Je me demandais si je me rendais Ă cette sĂ©ance pour de bonnes raisons. Sâil existe de « bonnes » raisons pour se rendre au cinĂ©ma.
Voici ce que je « savais » et ce que je voyais en regardant lâaffiche : Lâexposition de la plastique de Zahia Dehar « connue » pour avoir Ă©tĂ© une escort girl avant de devenir une styliste parrainĂ©e par Karl Lagerfeld il y a quelques annĂ©es. Depuis, « plus rien », Walou ! Plus de nouvelles. MĂȘme pas un petit sms. Et puis, ce film qui la faisait revenir au grand jour comme on fait revenir un ingrĂ©dient dans un plat que lâon a fait mijoter avant de le servir.
La carriĂšre de Zahia Dehar fait dĂ©sormais penser aux carriĂšres mĂ©diatiques dâune Loana (la pionniĂšre) dâune Nabila « Non mais, allo quoi ! » ou de toute autre aspirante Ă la reconnaissance sociale devenue cĂ©lĂšbre du fait de sa plastique et de sa participation Ă une Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©.
Mais si lâon ouvre un peu la focale de son indulgence cinĂ©matographique, lâallure de Zahia Dehar nous rapproche davantage des films dâun Russ Meyer que de celui dâun Lodge Kerrigan avec un film en particulier : Claire Dolan. Aucune parentĂ© avec le cinĂ©aste et acteur Xavier Dolan qui avait 9 ans lorsque Claire Dolan est sorti en 1998.
Sauf que ce titre, Une fille facile, signifiait bien quand mĂȘme quâil yâavait une anguille voire plusieurs anchois sous la peau. Pourtant, ce nouveau film de Rebecca Zlotowksi ne ressemblait pas Ă un film dâhorreur.
Pour mâaider Ă mieux me situer moralement sur lâĂ©chelle du voyeur ou de lâa-mateur cinĂ©phile, jâai un moment comptĂ© sur le public prĂ©sent dans la salle. Jâai assez vite changĂ© dâinstrument de mesure. Deux hommes. Puis, une femme Ă tendance anorexique est entrĂ©e. Son visage qui absorbait la nuit hypocalorique de la salle alors quâelle montait les marches pour finir par sâasseoir plusieurs rangs derriĂšre moi semblait vouloir ( me ) dire :
« Moi aussi, je ne suis pas une fille facile ! ».
Nous Ă©tions ainsi quatre ou cinq hommes et une femme farouche lorsque le film a commencĂ©. La premiĂšre image est celle dâune plage Ă lâeau translucide, une sorte de crique paradisiaque, oĂč la silhouette de Zahia Dehar vient sâamarrer Ă notre regard Ă la brasse façon Russ Meyer, donc. Impossible de la rater. Mais cette tranquillitĂ©, ce soleil et cette propretĂ© dĂ©trĂŽnent le monde de plus en plus polluĂ© et bruyant qui est dĂ©sormais le nĂŽtre. De Russ Meyer, nous nageons alors dans le manga Porco Rosso de Miyazaki.
Assez vite, devant la peau et les courbes de Zahia/Sofia on peut penser Ă Brigitte Bardot en version laquĂ©e. Zahia Dehar est aprĂšs tant dâautres et avant dâautres, lâhĂ©ritiĂšre et lâinspiratrice de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui, au cinĂ©ma et ailleurs, sont des Ă©crans Ă fantasmes. Pour rĂ©sumer le synopsis : on les voit, on bande. Ou on se dit que l’on pourra seulement s’accoupler avec son poisson rouge ou, sur dĂ©rogation et en se mettant sur liste d’attente, peut-ĂȘtre avec un cochon d’Inde polygame.
A ceci prĂšs que dans Une fille facile, le personnage de Sofia, sâil provient peut-ĂȘtre de la vie rĂ©elle de Zahia Dehar, doit aussi Ă lâhistoire reprĂ©sentĂ©e par lâactrice LeĂŻla Bekhti (il est sĂ»rement volontaire de la citer au dĂ©but du film) dans le film Tout ce qui brille de GĂ©raldine Nakache et HervĂ© Mimran (2009).
Je ne connais rien des origines sociales de Zahia Dehar dans la vraie vie mais jâai appris depuis que BB Ă©tait au dĂ©part la fille dâun « riche industriel ». En plus dâĂȘtre trĂšs belle, BB Bardot Ă©tait donc plutĂŽt dâun milieu trĂšs friquĂ© lorsquâelle a dĂ©barquĂ© sur la planĂšte du cinĂ©ma qui lâavait ensuite consacrĂ©e DĂ©esse. Lâhistoire de Une fille facile, câest celle de NaĂŻma, 16 ans (lâactrice Mina Farid) qui vit Ă Cannes depuis sa naissance, au bord de la mer, et qui nâa jamais pris le bateau pour une promenade en mer tandis que sa mĂšre fait des mĂ©nages dans un hĂŽtel ou dans un restaurant plutĂŽt de luxe.
Une fille facile, câest dâabord lâhistoire de sa cousine Sofia (Zahia Dehar), plus ĂągĂ©e, qui dĂ©barque lors des grandes vacances. On ne sait pas vraiment quel est son mĂ©tier ni Ă quoi ressemble sa vie ordinairement. Mais câest bien elle qui capte principalement notre attention lorsque lâon pose son Ćil sur lâaffiche du film. Mettre cette histoire Ă Cannes, ville-Ă©crin du festival de Cannes truffĂ© de mondanitĂ©s et fait de ce soleil du sud qui cache la misĂšre et le racisme, câest donner Ă ce film des racines sociales rĂ©alistes. En dĂ©pit du joli minois de Zahia Dehar, de la jeunesse du personnage de NaĂŻma (lâactrice Mina Farid, donc), du beau temps, on est aussi un peu dans Ken Loach avec Une fille facile. Lâhorreur y est sociale et en sous-main. Parce-que Sofia et NaĂŻma sont deux frondeuses qui, le temps dâun Ă©tĂ©, dĂ©cident de provoquer les Ă©vĂ©nements et dâentrer dans un royaume qui leur est gĂ©nĂ©ralement fermĂ© :
Celui des nantis qui prospÚrent, prennent du bon temps et qui piétinent sans retenue les grands piliers « Liberté, égalité, Fraternité » de la démocratie qui les abritent plus que la majorité qui trime pour une vie tout juste supportable.
Clotilde Courau est « dĂ©licieuse » dans le personnage de Calypso lorsquâelle tente de sâen prendre Ă Sofia de toute sa morgue sociale ; comme un serpent le ferait avec une souris pour passer le temps ou un aspirateur avec un grain de poussiĂšre. Alors quâelle est dĂ©sormais Princesse de par son mariage dans la vie civile, on se demande ce qui dans son rĂŽle de Calypso relĂšve du biographique ou de lâimaginaire. Et se rappeler que dans La MĂŽme, elle incarnait la mĂšre, pauvre et artiste ratĂ©e, d’Edith Piaf, donne Ă son personnage de comtesse dans Une fille facile un cĂŽtĂ© encore plus piquant.
La rĂ©alisatrice Rebecca Zlotowski entremĂȘle ainsi Ă plusieurs reprises le cinĂ©ma et la vraie vie et crĂ©e de ce fait un petit labyrinthe de vraisemblances. Dans cette frontiĂšre cloĂźtrĂ©e entre les trĂšs riches et les presque pauvres, Une fille facile peut aussi faire penser au film Les Apaches de Thierry de Peretti dont lâhistoire se passe cette fois en Corse, « lâĂźle de BeautĂ© ».
Conte de fĂ©es pour adultes, Une fille facile est lâhistoire dâune transmission entre Sofia, lâaĂźnĂ©e, et sa jeune cousine, NaĂŻma, alors que celle-ci va bientĂŽt devenir femme. La mĂšre de NaĂŻma,  toute en sacrifice devant l’ordre social malgrĂ© la trĂšs belle vue qu’elle a sur la mer et l’horizon depuis son balcon, et pleine d’espoir pour NaĂŻma, ne peut pas transmettre ce Savoir.
A la fin de Une fille facile , on ressent pour Sofia une certaine affection Ă voir comment elle a armĂ© sa jeune cousine pour la vie. Ainsi que ce que cela lui coĂ»te d’avoir des rĂȘves et d’oser les provoquer.
Franck Unimon, ce vendredi 20 septembre 2019.