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Utoya, 22 juillet

                                          Utoya, 22 juillet, Film sorti en salles le 12 décembre 2018.

 

 

Erik Poppe, le rĂ©alisateur, rappelle que ce film est une fiction inspirĂ©e par les tĂ©moignages des victimes (et de leurs proches) du massacre sur l’üle Utoya en NorvĂšge le 22 juillet 2011.

 

 

Pour la fiction, on peut trouver une petite parentĂ© avec Hunger Games d’autant plus que le personnage de Kaja, « l’hĂ©roĂŻne » de Utoya, 22 juillet a un faux air de Jennifer Lawrence. Mais il a sĂ»rement Ă©tĂ© assez difficile, mĂȘme si thĂ©rapeutique, pour les acteurs et actrices (tueur inclus) d’endosser les rĂŽles des victimes d’Utoya.

Pour le cinĂ©ma, on pourra se rapprocher du film Elephant de Gus Van Sant (palme d’or Ă  Cannes en 2003) inspirĂ© de la tuerie au lycĂ©e de Columbine en 1999. Sauf que les deux meurtriers du lycĂ©e de Columbine ont Ă©tĂ© reconnus comme des tueurs de masse et qu’ils ont agi aux Etats-Unis, pays oĂč la lĂ©gislation sur les armes peut rendre celles-ci aussi accessibles que certains produits de consommation courants. (voir le film Les Veuves de Steve McQueen )

Dans mes souvenirs, Elephant dĂ©roulait une atmosphĂšre en suspension Ă  l’intĂ©rieur de laquelle, des lycĂ©ens livrĂ©s Ă  eux-mĂȘmes se faisaient tuer sans que l’on ait le temps d’apprendre Ă  les connaĂźtre un peu.

Dans Utoya, 22 juillet, le rĂ©alisateur humanise davantage ses victimes avant que le terroriste ne dĂ©marre son activitĂ© meurtriĂšre en tenue de policier. Quelques heures plus tĂŽt, il avait dĂ©clenchĂ© un attentat Ă  Oslo. Dans le film, on ne verra jamais son visage. On n’entendra jamais son nom. On apercevra sa silhouette, quelques secondes, de loin, depuis le contrebas d’une falaise, vers la fin du film. C’est plus respectueux des victimes et aussi des faits : personne n’a eu l’idĂ©e de lui tirer le portrait alors qu’il abattait ces jeunes idĂ©alistes de gauche.

MĂȘme s’il arrive que l’on aperçoive quelques corps inconscients ou blessĂ©s, Utoya, 22 juillet s’attache principalement Ă  rester proche des victimes qui se cachent, essaient de comprendre ce qui se passe, fuient ou tentent de prendre des dĂ©cisions.

AprĂšs dix minutes de dĂ©tonations par Ă  coups, plusieurs spectatrices et spectateurs (il m’a semblĂ© qu’il y’avait un petit peu plus de femmes que d’hommes) dans la salle ont commencĂ© Ă  soupirer tant la situation Ă©tait stressante. Quant Ă  moi, depuis mon siĂšge confortable et sĂ©curisĂ© de spectateur, il m’a pris l’envie de saisir une grosse branche d’arbre mort afin d’aller la fracasser sur la nuque de l’agresseur. Non par hĂ©roĂŻsme : j’aurais Ă©tĂ© autant voire plus effrayĂ© que tous ces jeunes d’une moyenne d’ñge comprise entre 18 et 25 ans Ă  vue d’Ɠil ( mĂȘme si le jeune Tobias a sans doute 14-15 ans). Et j’aurais peut-ĂȘtre Ă©tĂ© en Ă©tat de choc, en position fƓtale, bien incapable de courir pour sauver ma peau sur l’üle d’Utoya ce 22 juillet.

Mais par besoin d’en finir soit pour moi, soit par sacrifice pour d’autres, j’ai eu envie d’attraper une grosse branche.

A l’image de ces jeunes qui se sont fait tirer dessus comme des pigeons Ă  la foire, les chiffres de ce massacre tombent : Utoya, ce 22 juillet 2011, nous rappelle le film, c’est une tuerie d’une durĂ©e de 72 minutes. 77 morts, 99 blessĂ©s graves, 300 personnes touchĂ©es ensuite par un stress post-traumatique. Le film dure 1h33. C’est bien-sĂ»r 1h33 de trop. Mais ce film, en plus de rendre hommage d’une certaine façon aux victimes et Ă  leurs proches, a au moins deux buts :

Informer sur les menaces profondes que peuvent reprĂ©senter les mouvements d’extrĂȘme droite qui fondent sur les gouvernements comme sur des plages paradisiaques.

PrĂ©venir, peut-ĂȘtre, les futures victimes potentielles (et avant eux, leurs tuteurs, Ă©ducateurs ou parents) de tout tueur comme de tout agresseur Ă©ventuel.

Cette deuxiĂšme partie est peut-ĂȘtre ma façon de me rassurer de maniĂšre rationnelle comme le personnage de Petter qui a d’abord besoin de se persuader que l’attaque qu’ils subissent est un «  exercice d’entraĂźnement ». Car, il est bien difficile de se prĂ©parer Ă  ce genre d’expĂ©rience. Comme le prĂ©cise Jean-Paul Mari dans son livre Sans Blessures apparentes :

 « (
.) A l’heure de la survie, plus de jeu social, d’interrogations existentielles. En une heure d’assaut, face au danger, le soldat en apprend plus sur lui-mĂȘme que pendant des annĂ©es de bureau ».

Les jeunes militants de l’üle d’Utoya Ă©taient des civils. Et aussi des pacifistes. Pour ce que l’on perçoit d’eux, ils Ă©taient plutĂŽt ouverts au dialogue et optimistes que portĂ©s sur le pugilat pour s’affirmer ou survivre. Face Ă  eux, un homme armĂ©, prĂ©parĂ©, dĂ©terminĂ©, portant sur lui un uniforme reprĂ©sentant l’autoritĂ©, qui les prend par surprise sur un lieu isolĂ© ( une Ăźle ) , plutĂŽt festif, dĂ©pourvu de moyens de sĂ©curitĂ© comme de repli et oĂč la communication tĂ©lĂ©phonique est mauvaise. C’est dire l’impasse.

Et, encore, le fait que les téléphones portables existaient déjà en 2011 a sûrement contribué à diminuer le nombre de morts et de blessés.

Pour prĂ©venir ce genre de tragĂ©die, certains prĂ©fĂšrent une prĂ©sence armĂ©e et constante. D’autres, le droit Ă  porter une arme sur soi.

Je me demande Ă  partir de quel Ăąge et, comment, prĂ©parer au mieux son enfant Ă  la survenue possible de certains crimes Ă©tant donnĂ© qu’ĂȘtre en permanence sur la dĂ©fensive, c’est aussi l’amputer de son innocence : avoir peur de tout et se mĂ©fier de tous, c’est aussi se priver de certaines ressources. Dans Utoya, 22 juillet, les quelques liens sociaux maintenus entre plusieurs victimes, mĂȘme insuffisants pour se dĂ©barrasser de leur agresseur et ĂȘtre totalement solidaires, leur permettent aussi de se soutenir.

Pour moi, Utoya, 22 juillet, n’est pas un film Ă  aimer : la prioritĂ©, ici, n’est pas d’aimer. Mais de le voir afin de rĂ©flĂ©chir au genre de vie que l’on veut avoir et sur les modĂšles que l’on veut dĂ©fendre ou laisser aux autres, Ă  commencer par soi-mĂȘme.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

5 réponses sur « Utoya, 22 juillet »

L’affiche de ce film m’a transmis des frissons. Bien avant de lire le synopsis, j’ai su qu’une histoire Ă©mouvante s’y cachait. Je pense qu’elle me fera dĂ©couvrir des choses et me donnera mĂȘme les larmes aux yeux.

Bonjour Emmanuelle,
Je te confirme que ce film a de quoi donner les larmes aux yeux. Fort heureusement, le rĂ©alisateur respecte les victimes. Et il n’y’a pas de voyeurisme ou de scĂšne crue dans le film. Malheureusement, je crois ce film nĂ©cessaire. Et je crois qu’il fait aussi partie des films Ă  voir. A cĂŽtĂ© d’autres films plus lĂ©gers et plus drĂŽles, aussi, : ). Histoire de ne pas voir que l’horreur sur Terre. Il y’a aussi de belles choses. : ).

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