
Dissociation
Les algorithmes puissants d’internet ou de youtube m’ont amené cette nuit à regarder un documentaire d’une trentaine de minutes en replay sur Arte consacré au sujet des addictions à la pornographie. J’y ai découvert le témoignage de quelques jeunes Allemands (des hommes exclusivement), plutôt d’un bon milieu socio-culturel apparemment ( journaliste….) qui ont développé cette addiction.
Ps : Concernant notre addiction à nos écrans et aux vidéos qui nous sont très facilement proposées sur nos ordinateurs, tablettes et smartphones via internet, et aux conséquences possibles de cette addiction, je vous invite à lire l’ouvrage Algocratie (vivre libre à l’heure des algorithmes) d’Arthur Grimonpont, paru en 2022.
Cette nuit, après avoir studieusement regardé ce documentaire sur l’addiction à la pornographie, toujours sur « recommandation» des algorithmes, parmi plusieurs propositions manifestement aiguisées par mes navigations précédentes, j’ai regardé un second documentaire d’une trentaine de minutes (c’est la durée à laquelle je me suis limité, que je me suis astreint cette nuit à ne pas dépasser) consacré à ces personnes ( des « hippies ») venant se «réfugier » sur l’ile des Canaries afin d’y changer de vie.
Dans ce documentaire, nous voyons quatre personnes vivant dans une grotte ou ayant vécu dans une grotte. Des personnes de 30-45 ans (même si un homme de 62 ans, devenu riche après avoir travaillé dans l’immobilier, est ensuite venu se joindre à eux) sans enfants.
On pourrait se dire : après avoir prétendu s’intéresser aux addictions en regardant un documentaire tout de même consacré à la pornographie, voilà que maintenant il se mate un documentaire sur un mode de vie inspiré des hippies. Alors que l’on sait très bien que les hippies ne sont pas les derniers pour s’envoyer en l’air et partouzer.
Comme on peut se dire, aussi, que « Changer de vie, les addictions », ces deux sujets semblent peut-être ne rien avoir en commun.
Il est vrai que ce ne sont pas ces deux documentaires « nocturnes » abordant le sujet de l’addiction à la pornographie et de la volonté de changer de vie qui m’ont inspiré le titre de « dissociation » pour ce chapitre. Chapitre, qui, pour ce blog, se résumera à cet article.
En revanche, il y a une forme de dissociation dans le fait, d’une part, que des algorithmes prennent le relais de multiples et incessantes incantations ou sollicitations sociales, culturelles, économiques, publicitaires, mensongères, informationnelles, politiques ou autres pour tenter de tirer parti -et profit- de nos failles psychologiques afin de nous faire adopter des comportements qui nous contredisent, nous nuisent et nous font ignorer nos besoins les plus évidents. Et, d’autre part, le fait qu’un métier comme celui d’infirmier consiste plutôt à être au chevet de celles et ceux qui ont des failles psychologiques et autres sans volonté voire sans espoir d’en tirer un quelconque profit économique et/ou politique.
D’un côté, une société qui « s’enrichit » économiquement avec méthode en vampirisant les forces vives d’une majorité d’êtres humains. En lui faisant payer le prix fort en termes de santé physique, mentale, économique et autre.
D’un autre côté, des infirmières et des infirmiers (pour ne parler que de ces « acteurs » de la santé sociale mais aussi mentale et physique) qui puisent ou ont constamment à puiser dans leurs ressources et leurs réserves personnelles ( qui peut encore croire que la seule application d’horaires à la minute, de protocoles, de slogans, de « trucs », de « recettes », de séances de méditation et de yoga et de cours appris à l’école suffisent pour s’appliquer à veiller sur les autres pendant une bonne quarantaine d’années ?! ) pour en soutenir d’autres, et qui, parallèlement à cela, trinquent et subissent comme la majorité les coûts et les coups de la vie sans s’enrichir matériellement à l’image de ces nouvelles grandes fortunes ou de ces milliardaires qui passent souvent pour des génies, des pionniers, des visionnaires, ou des personnes d’autant plus respectables, exemplaires et indispensables qu’elles ont :
« réussi ».
Qu’est-ce que la réussite ? Pour moi, ce serait de ne pas être pris , d’abord, pour une serpillère ou un domestique. Mais, également, de ne pas être essoré, bousillé, cancérisé et déprimé alors que je suis jeune et désireux de vivre. De parvenir à me maintenir, le plus longtemps possible, en bonne ou en très bonne santé mentale et physique. Ou que, en cas de défaillance de ma part, qu’il se trouvera suffisamment de personnes autour de moi pour intervenir rapidement afin de veiller sur moi afin de me sauver, de me protéger et de m’aider à me remettre sur pied.
Mais aussi pour me conseiller, me guider voire m’escorter hors de ce qui peut m’ atteindre ou me nuire.
Au vu de ces quelques critères, je ne suis pas sûr que la réussite soit au rendez-vous pour beaucoup de monde y compris pour moi-même.
Et, cela, malgré tous les efforts ou sacrifices consentis, jour après jour, année après année en échange d’une éventuelle, future ou hypothétique reconnaissance sociale, économique et personnelle.
Amen.
La reconnaissance faciale est peut-être plus certainement ce qui risque de m’attendre au lieu de la grande reconnaissance sociale attendue par tous après bien des années d’efforts, de responsabilités, de sacrifice et de travail.
Pourtant, constamment, nous baignons dans une sorte de liquide et d’ambiance amniotique, pour ne pas dire hypnotique, qui nous laisse croire ou entrevoir que réussite et bonheur crépitent, gisent – voire, rugissent- et se répandent à nos pieds telles des cascades auxquelles il suffirait de s’abreuver. Alors même que la réussite et le bonheur nous glissent entre les doigts ou que nous n’en apercevons que les reflets sans cesse difractés et qui, bien-sûr, s’éloignent « un peu » lorsque nous en approchons.
Ma vision, lors de ce dernier dimanche du mois de juillet, un mois de grandes vacances estivales, est sans doute trop pessimiste. Pourtant, je n’ai pas promis de me tuer cette nuit ou avant l’arrivée du mois d’aout 2023. Et encore moins de me muter en grand gourou ou en marabout.
Ni gourou, ni loup-garou, j’aimerais seulement être sûr de pouvoir et de savoir quand arrêter de m’agiter lorsque l’on me présente, comme cela arrive fréquemment, toutes sortes d’opportunités, d’affaires à ne pas manquer et des bons coups qui sont, finalement, des plans foireux ou stériles, pour ne pas dire des plans de désespoir, des pertes de temps, d’argent et d’énergie.
Dire qu’il faut apprendre à faire le tri ne suffit pas.
Je crois qu’il faut aussi être discipliné. Savoir être discipliné. Apprendre à se discipliner. Apprendre à rester lucide et concentré. Et clairvoyant. Ne pas partir dans tous les sens.
C’est à dire :
Savoir rester suffisamment attentif et perméable à ce qui nous entoure sans pour autant se laisser ou se faire embarquer n’importe où et vers n’importe quoi, n’importe qui.
Savoir rester ancré.
En se mettant dans un état finalement assez proche d’une certaine…dissociation.
Je sais que ce terme de « dissociation » fait partie des symptômes d’une maladie psychiatrique. Mais je sais aussi que ce terme est employé, selon moi à bon escient, au moins par Léo Tamaki, un expert en Aïkido qui se reconnaîtra s’il parcourt les lignes de cet article et qui en sourira certainement ( lire Les 24 heures du Samouraï au dojo d’Herblay ce 20 et ce 21 Mai 2023, 2ème édition ).
Nous ne parlons sans doute pas de la même dissociation, bien-sûr. Au sens psychiatrique, la dissociation emporte ou dévie son sujet ou sa victime. Un peu comme un sous-marin qui, par cinquante ou cent mètres de fond, prendrait l’eau par ses écoutilles et qui tenterait de rester maitre de sa trajectoire et de sa vitesse malgré la force des courants et les grands volumes d’eau qui le perturbent de plus en plus.
Le terme « dissociation » employé par cet expert en Aïkido pourrait aussi être employé par un musicien, un batteur par exemple, lorsque celui-ci est capable, avec sa main droite de réaliser de façon répétée et harmonieuse un geste différent de celui de sa main gauche. Et l’on pourrait dire ça, bien-sûr, d’une pianiste. Ou d’une personne adepte du jonglage.
Un exemple simple de cette action très difficile à maitriser- la dissociation- me suffira, je pense, pour l’illustrer.
Récemment, j’ai revu sur youtube ( dont les séduisants et puissants algorithmes savent nous retenir pendant des heures devant des vidéos qu’ils nous proposent) un extrait de ce concert du bassiste Foley McCreary avec le batteur Chris Dave. Ils étaient accompagnés du saxophoniste Zhenya Strigalev. Voici la vidéo en question. Si « sa majesté » Youtube accepte que je la partage :
https://youtu.be/2ZaMEGnI5iQ
C’était à Londres aux alentours de 2009 dans une reprise spéciale de You are under arrest, un titre interprété par Miles Davis dans les années 80.
Au début du titre, Foley McCreary décide d’une ligne de basse qu’il répète. Une ligne de basse qu’on pourra estimer comme « simple » si l’on fait abstraction du fait que Foley est un exceptionnel joueur de basse et que, nous, nous sommes surtout les spectateurs moyens d’un concert de musique ou, plus simplement :
Nous sommes des amateurs de musique qui regardons des professionnels qui sont, généralement, aussi, des passionnés ou des « fous » de musique.
Je ne suis pas certain que je pourrais vraiment supporter de passer plusieurs jours de suite avec ces musiciennes et musiciens que j’admire. De suivre leur rythme de vie intégralement. Car celles-ci et ceux-ci, probablement, me parleraient de musique, parleraient de musique et joueraient de la musique bien au delà de ce que je serais capable de supporter. Et sans doute, cette analogie est-elle possible avec d’autres artistes ou des Maitres d’Arts martiaux comme avec toute personne passionnée par et pour….sa discipline. Peut-être aussi peut-on se dire que cette passion serait aussi envahissante et dévorante que certains délires, mal maitrisés et mal canalisés, qui amènent certaines personnes à se retrouver enfermées…dans un service de psychiatrie. Ou isolées de leurs proches.
Dans cette vidéo, neuf minutes durant, Foley » le mutant » va tenir sa ligne de basse malgré les « attaques » rythmiques variées de Chris Dave et ses chorus avec le saxophoniste Zhenya Strigalev.
On pourrait s’amuser à imaginer que Chris Dave et Zhenya Strigalev sont des algorithmes qui font tout pour détourner Foley McCreary de ses limites et de sa ligne de basse. Pour nous, spectateurs et amateurs de musique, ces neuf minutes de musique sont une expérience hors norme. Et un très grand plaisir si l’on aime ce genre de musique. Foley McCreary réalise devant nous la dissociation parfaite.
Sauf que dans la vraie vie, nous sommes rarement des Foley McCreary. Et, en plus, il nous faut tenir bien plus que neuf minutes par vingt quatre heures pour tenir notre propre cap. Celui qui nous assure de nous rapprocher véritablement de ce qui nous convient véritablement.
Franck Unimon, ce dimanche 30 juillet 2023.








