Au cinéma : Limbo de Soi Cheang ou Mission : Impossible Dead Reckoning partie 1 de Christopher McQuarrie ?
Hier, après plusieurs semaines ou plusieurs mois d’absence, je suis retourné au cinéma. J’ai d’abord vu le film Limbo du réalisateur Hong-Kongais Soi Cheang. Un film très plébiscité par la critique. Je viens par exemple de lire sur le net, pour le qualifier, la phrase « un bijou de noirceur ». Mais, aussi : « Le polar de l’année ».
A Paris, j’avais interviewé Soi Cheang, je crois, lorsque j’étais journaliste cinéma bénévole pour le magazine Brazil. Sans doute pour le film Accident réalisé…en 2009. Il y a 14 ans, donc. Comme nous vivons avec notre temps, je vais plutôt parler d’hier.
Hier, après Limbo, au lieu de rentrer chez moi, je suis allé voir à la suite le premier volet du dernier Mission : Impossible Dead Reckoning partie 1 « avec » l’acteur Tom Cruise en Star du film.
Ce sont deux films sortis récemment ( ce 12 juillet 2023 pour l’un et l’autre) que j’avais très envie d’aller voir. Et ce sont deux films qui m’ont « déçu ».
J’ai tout de même une nette préférence pour Limbo.
J’ai d’abord aimé la photo, le noir et blanc. L’ambiance polar. Les nervures colorées des installations électriques de la ville où se tient l’enquête. Ou, plutôt, la tempête.
J’ai aimé le côté « confucéen » de Limbo, je dirais, où plusieurs des protagonistes portent un fardeau ou sont dans une impasse tel un destin et essaient ou de se racheter ou de l’accepter. J’ai aimé le personnage féminin de Wong To, plusieurs fois maltraitée, et qui est une description assez complète des multiples violences infligées aux femmes dans notre société masculine, urbaine, jeune, riche et moderne.
J’ai aimé la combattivité de Wong To, sa débrouillardise supérieure, bien supérieure finalement, à celle des femmes des deux flics qui sont les autres héros du film.
Je me suis dit que ce film ne pouvait être qu’asiatique pour avoir pu s’autoriser à montrer un personnage féminin sur grand écran se faire malmener de cette façon. En France, on estimera peut-être que ces violences répétées sur le personnage de Wong To font de nous des voyeurs et des complices. Pour ma part, je considère ces parties du films plutôt comme les documents testamentaires des victimes de violences morales et physiques qui disparaissent généralement dans l’indifférence générale.
J’ai moins aimé le côté Seven du film, pour faire un rapprochement avec le film américain avec Brad Pitt et Morgan Freeman, pour l’ambiance.
J’ai moins aimé l’antagonisme, car il fallait bien en créer un, assez toc entre, d’un côté le flic expérimenté de terrain, instinctif, roublard, assez expéditif, adepte de la justice personnelle et le jeune flic intello, premier de la classe, bon élève, bien sous tous rapports, d’une intelligence très supérieure, binoclard et bien-sûr marié à une épouse toute docile, patiente, compréhensive et bien-sûr enceinte de lui.
D’un côté, le bourrin au grand cœur, de l’autre, la classe politique de celui qui a fait de très bonnes études et qui pourrait prétendre plus tard à une carrière exceptionnelle.Pourtant, au départ, cela me plaisait beaucoup que l’un des deux héros porte des lunettes. Car on voit encore très rarement des héros de films d’action ou de polars qui portent des lunettes. Mais dans Limbo, cette caractéristique est un peu trop téléphonée, un peu trop scolaire. Le réalisateur ne fait pas grand chose, je trouve, pour développer davantage le personnage de Will Ren à partir de ses lunettes. C’est juste un « truc » qui va permettre, à un moment donné du film, d’avoir son importance. Même si, bien-sûr, on peut très bien avoir une très bonne vue organique et être frappé de cécité morale ou de coeur….
On remarquera aussi que les deux femmes des flics qui sont bien-sûr des épouses « modèles » et des Pénélope n’ont pas d’autre possibilité que de vivre dans un écrin ou dans un cocon en demeurant dans l’enceinte d’une ignorance complète- ou virginale- du monde et de sa violence. Pour l’avoir peut-être ignorée, une des deux est durement exposée à la violence du monde extérieur qui éclate bien-sûr par surprise.
Comme un viol.
Comme on le voit, il y a des très bonnes choses dans Limbo. Ces deux héros, flics, ainsi que Wong To, qui vont jusqu’au bout d’eux-mêmes et au delà. Pour résoudre des mutilations et des assassinats de femmes marginales, tout en bas de l’échelle sociale (immigrées, camées, prostituées mais aussi mutilées autant socialement que physiquement…) dont, finalement, la société hong-kongaise, comme toute « bonne » société bien propre sur elle aurait plutôt tendance à se foutre. Sauf, bien-sûr, pour satisfaire en express et en liquide certains besoins honteux ou difficilement assumés.
Ensuite, il y a Mission : Impossible – Dead Reckoning partie 1 avec Tom Cruise, Simon Pegg, Ving Rhames et sa voix caverneuse.
Quel que soit ce que l’on peut penser de Tom Cruise « le scientologue », je considère maintenant depuis des années que c’est un très bon acteur. Et qu’il aurait pu ou aurait dû, depuis longtemps, recevoir un Oscar. Je le pense d’autant plus que durant des années, Tom Cruise l’acteur-vedette m’a beaucoup exaspéré. Jusqu’à ce que je le voie dans Né un 4 juillet qui n’est pas mon film préféré. Ou dans Magnolia qui m’a davantage conquis.
Mais je ne vais pas plaindre Tom Cruise. D’autant qu’il s’en sort très bien tout seul avec ou sans cascade. Que ce soit dans des films d’action qui marchent tels que Mission : Impossible ou Jack reacher. Ou dans des films d’auteur.
Tom Cruise peut et réaliser des prouesses physiques et des cascades étonnantes. Comme il peut aussi être très drôle. Je me souviens encore de son rôle secondaire dans Tonnerre sous les Tropiques de Ben Stiller où il apparaît déguisé et se montre particulièrement drôle en producteur de cinéma et aussi très porté sur l’autodérision. Pourtant, le film date de….2008.
Si je me permettais une comparaison, je dirais que Tom Cruise est peut-être au cinéma ce que Novak Djokovic est au tennis. On peut ne pas les aimer pour leurs positions, leurs attitudes ou leurs propos. Des positions, des attitudes et des propos, d’ailleurs, que je désapprouve (concernant la scientologie, le nationalisme serbe, à propos du Covid…).
Par contre, il est impossible de leur dénier leur professionnalisme dans leur domaine ainsi que le niveau exceptionnel ou hors-norme de leurs performances mais aussi de leur longévité comme de leur carrière.
Dans Mission : Impossible – Dead Reckoning partie 1, on retrouve bien-sûr tout le côté « James Bond » de Tom Cruise. Car, pour moi, dès que Tom Cruise a commencé à mettre la main sur le personnage de Ethan Hunt dans Mission : Impossible, ça a toujours été pour se tailler sur mesure son costard de « James Bond ». Ce qui est bien sûr très loin de la série télévisée que nous avons pu voir dans les années 70-80. Mais, ça, c’est le cinéma.
Bon, dans Mission : Impossible- Dead Reckoning, il y a du spectaculaire, des grandes cascades, des courses poursuites, de l’humour.
Mais c’est très bourrin. J’ai très envie d’écrire :
« C’est très Américain-bourrin ». C’est « Nous sommes les Américains et on va tout défoncer ! ». Soit version militaire, soit version parc d’attractions gigantesque à l’Américaine.
Je sais bien que l’on va voir ce film pour se distraire. Et, je suis d’ailleurs allé le voir pour cela. Autrement, je serais allé voir L’Amour des forêts de Valérie Donzelli avec l’actrice Virginie Efira qui continue de beaucoup me plaire et m’étonner et l’acteur Melvil Poupaud, qui nous raconte apparemment de façon réaliste une histoire d’emprise psychologique au sein d’un couple.
Sauf que je trouve à Mission : impossible-Dead Reckoning partie 1 des allures de fête foraine des années 70. On a des très gros moyens pour faire boum-boum alors on fait boum-boum et vroum-vroum. Je ne vois pas ce qu’il y a des très novateur dans ce film. En termes de cascades il y a néanmoins sans aucun doute du très bon travail de réalisé.
Mais en termes d’intrigue. De personnages….on est très très loin de la subtilité de Casino Royale avec Daniel Craig ( ou les Jason Bourne auquels les Mission : Impossible « de » Tom sont aussi comparés) qui cumulait action musclée et surprenante et, tout de même, un peu de mystère. Plus d’épaisseur quant aux personnages joués. Alors que là, tout est souvent caricatural. Rentre-dedans. Presque vulgaire. Beaucoup trop pop-corn pour moi.
Il faut nous le dire si ce film est plus une comédie qu’un film d’action. Les femmes dans Mission-impossible : Dead Reckoning partie 1 ? Il y en a quatre qui ont un rôle a priori conséquent et qu’il vaut mieux éviter de prendre à la légère. Ce serait donc un film féministe ?
Sans surprise, Ethan Hunt les retourne toutes ou devient d’une façon ou d’une autre leur protecteur imminent. Car il les lui faut toutes bien-sûr tandis que ses deux acolytes, Simon Pegg, Ving Rhames mais aussi tous les autres mâles de la bande ont bien d’autres préoccupations.
Et Ethan Hunt réalise cela sans coucher car ce n’est pas un proxénète. Comment fait-il ? La scientologie peut-être.
Néanmoins, j’ai bien aimé la définition de Ethan Hunt :
« Un caméléon télépathe ». C’est bien trouvé.
Si dans Limbo, on ressent les coups portés mais aussi de l’empathie pour les personnages, devant Mission-impossible : Dead Reckoning partie 1, tout le décor fait toc. On a beau faire défiler les endroits et flirter avec bien des références cinématographiques ou autres ( Venise…) on se rappelle tout le temps ou souvent que l’on est au cinéma. Alors que dans Limbo, le film nous enserre quand même dans sa toile.
Franck Unimon, ce mardi 18 juillet 2023.