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Ovidie au théâtre : la chair est triste hélas

Ovidie au théâtre : La Chair est triste hélas

La première fois que je suis allé voir La Chair est triste hélas au théâtre, c’était avec une copine il y a quelques jours.

J’ai rencontré A…il y a une vingtaine d’années lors d’un stage de théâtre. Depuis, A vit de son métier de comédienne et de metteure en scène et dirige sa compagnie de théâtre.

Je n’ai pas eu la même persévérance. Aujourd’hui, je n’ai plus ou je n’ai pas l’envie ou le ressort pour cela. Quelques fois, je me dis que le seul en scène ou le théâtre d’improvisation pourraient peut-être me redonner cette envie.

J’avais vu ou entendu parler de l’adaptation théâtrale du dernier ouvrage d’Ovidie. J’avais assez peu lu ses ouvrages. Mais c’est une personnalité publique. Et il était arrivé que j’accède à certaines de ses idées. Je savais par exemple qu’elle s’était alarmée à propos de la pornographie que n’importe quel mineur pouvait désormais très facilement « regarder » ou télécharger sur internet. Elle a écrit au moins un ouvrage sur le sujet.  Je la savais engagée. Militante. Féministe.

Je l’avais écoutée, dans un de ses podcasts, avec son ami Tancrede. Je savais qu’au début des années 2000, elle avait eu une  courte carrière d’actrice porno à peu près en même temps que Clara Morgane. Mais je n’ai jamais cherché à regarder un seul de ses films. A la limite, je crois maintenant me rappeler qu’elle avait joué – habillée-dans le film Le Pornographe de Bertrand Bonnello dans lequel l’acteur Jean-Pierre Léaud avait le rôle principal. Mais ce n’était pas pour la voir, elle, que j’étais allé voir le film. Plutôt pour Bonnello.

Quitte à parler d’ex actrices pornos, je me dis que Ovidie ou avant elle Brigitte Lahaie ont sans aucun doute des choses à nous dire. Mais je ne parle pas, ici, de formules kabbalistico-aphrodisiaques pour mieux bander.

A l’Etrange festival, il y a plus d’une vingtaine d’années, je me rappelle de deux ou trois actrices pornos venues nous présenter un ou plusieurs films X avec le producteur John B.Goode. L’une d’elles, en s’adressant à nous, public majoritairement masculin, nous avait dit :

« Mes copines et moi, on assume ».

Je me rappelle aussi d’un spectateur, homo, qui avait regretté qu’il y ait si peu « de bouffage de culs » dans les films lors de cette soirée films X.

C’est une affiche vue ce mois de septembre dans le métro alors que je me rendais à mon travail qui m’a rappelé que le livre d’Ovidie allait être « joué » au théâtre. On pouvait voir l’actrice Anna Mouglalis. Ce n’était pas une photo de film X ni de bouffage de cul.

Mes souvenirs les plus fixes concernant Anna Mouglalis se trouvaient dans les films Romanze Criminale et J’ai toujours rêvé d’être un gangster. J’avais lu ou entendu que son amoureux lui avait offert le livre La Chair est triste hélas d’Ovidie avant que celle-ci ne lui propose de l’interpréter sur scène.

L’affiche dans le métro m’a décidé à aller voir l’adaptation théâtrale. J’aurais pu y aller seul. J’ai opté pour mettre un message sur ma page Facebook afin de proposer à celui ou celle de mes amis qui le voudrait d’y aller avec moi. Je me faisais assez peu d’illusions :

Il était plutôt probable que ce soit des femmes qui réagissent. Deux femmes amies ont réagi. Florence-Jennifer, une ex collègue infirmière psychiatrique, qui a apposé un Like sous mon message. Et A qui m’a envoyé un message personnel pour me faire savoir qu’elle voudrait bien y aller.

Nous y sommes donc allés, A et moi. Nous sommes arrivés environ trois quarts d’heure plus tôt. A connaissait déjà le très beau théâtre de l’Atelier. Je m’en suis voulu de le découvrir seulement à cette occasion. Je m’étais déjà plus ou moins promené dans les environs sans aller de ce côté-là.

J’avais acheté des places au premier rang. A voir toutes ces femmes dans le public et si peu d’hommes, je me suis amusé à me sentir rassuré par la présence de A avec moi. Je connaissais les sujets du livre. J’avais préféré le lire auparavant afin de me préparer. 

L’homme hétéro n’est pas beau dans l’ouvrage d’Ovidie. C’est plutôt un raté, un mec qui a beaucoup de choses à se faire pardonner vis-à-vis des femmes. Sexuellement. Socialement. Psychologiquement. Et dire que les femmes hétéros se font beaucoup violence pour lui plaire et se sentir désirées par lui. On croirait presque entendre la chanteuse Brigitte Fontaine :

« Parce-que je suis con-ne ! »

Alors que j’écris tranquillement dans ma chambre, je me permets aujourd’hui de faire de l’humour. Mais au théâtre de l’Atelier, je subodorais, sans en être certain, une petite pointe d’hostilité contenue de certaines femmes vis-à-vis du masculin hétéro avant le début de la représentation.

A, elle, était parfaitement détendue. Elle a remarqué que j’étais le seul homme noir dans la salle. J’ai aperçu un homme, seul, non loin de nous au premier rang au début de la rangée. La jeune trentaine, il avait avec lui son casque de scooter ou de moto. J’ai un peu admiré sa sérénité. A mon sens, il devait y avoir dix hommes tout au plus en tout dans la salle. Et la salle était pleine. J’ai aperçu quelques femmes noires. Mais cela ne m’était d’aucune utilité.

La représentation a commencé avec quelques minutes de retard. J’ai compris la cause de ce retard lorsque je suis retourné voir l’adaptation avec ma mère quelques jours plus tard.

Anna Mouglalis porte le texte. Je ne trouve pas qu’elle le « joue » particulièrement bien. Mais elle est sincère. Elle a été émue lors des applaudissements à la fin de la représentation. Elle a levé le poing avant de s’en aller après plusieurs saluts.

Durant la représentation, plusieurs femmes ont ri en diverses occasions. Y compris A.  Je ne me suis pas senti visé ou agressé par ces rires. Il m’a semblé qu’il y avait de la catharsis dans ces rires. Même si, sans doute, certaines femmes avaient aussi envie de faire périr des hommes après quelques souffrances. Je repense à l’animatrice Alessandra Sublet qui, dans un podcast, je crois, a raconté que sa grand-mère lui avait révélé qu’elle avait eu plusieurs fois envie de tuer son propre mari «à mains nues ». Certaines femmes, dans la salle, avaient peut-être les mêmes démangeaisons vis-à-vis d’un homme qu’elles connaissaient ou avaient connu.

Je ne me suis pas senti visé ou agressé par les rires des femmes lors de la représentation. D’une part parce qu’un certain nombre des propos d’Ovidie énoncent des faits ; d’autre part parce-que je ne suis pas responsable de tous ces faits. Et, enfin, parce qu’il y a tellement de reproches adressés aux hommes hétéros que cela m’a éloigné d’une certaine culpabilité. On peut se sentir coupable lorsque l’on sait que ce qui nous est reproché était ou est à notre portée afin de le corriger ou de l’éviter. Et que l’on a fait montre de négligence ou de facilité. Mais lorsqu’il y a trop d’indications ou de « consignes », on ne peut plus suivre : On ne peut plus s’engager dans une quelconque opération de réparation. Car, par où commencer ? Et puis, est-ce que cela en vaut véritablement la peine ? Puisqu’il y aura toujours quelque chose de travers. Il y aura toujours quelque chose que l’on fait mal.

Il m’a semblé qu’il y avait une énergie punk ou anarchiste dans le texte de Ovidie en le « voyant » et en l’écoutant sur scène. Il m’a aussi semblé que son texte allait faire parler de lui autant que Les Monologues du vagin il y a une vingtaine d’années. Ou peut-être plus.

J’ai assez vite regretté, finalement, d’avoir lu le texte avant de venir. Mais cela m’a permis de constater certains des choix d’Ovidie. Pour la scène, elle n’a pas mentionné son attirance pour les « machos hyper virils » ainsi que certaines de ses attitudes cassantes ou humiliantes envers certains hommes qui perdaient leurs moyens sexuellement devant elle. Elle en parle un peu dans son livre. En passant. Elle entre donc dans la danse de ces femmes féministes qui réclament des hommes plus de délicatesse, d’attention ou d’insight et qui, finalement, ont une certaine tendance à les bazarder à un moment ou à un autre.

J’ai repensé à cet homme de près de trente ans, aperçu avec sa copine vraisemblablement, dans le train de la ligne J que j’avais pris pour la gare St Lazare. Il était plutôt musclé, du genre trapu, portant un pull de laine moulant qui mettait sa physionomie en valeur. Il s’était habillé à son avantage. Il était mignon ou avait son charme selon les termes que l’on préfère. Elle le dépassait de 15 à 20 centimètres. Il s’était hasardé à évoquer le réalisateur Cédric Jimenez, coupable pour certains d’avoir réalisé un film comme Bac Nord. Aussitôt, sa copine s’était faite furax. Il s’était empressé de désamorcer la situation. Comme si parler d’un film et de son réalisateur pouvait être dangereux pour leur relation sentimentale. Je ne suis pas envieux de la vie de cet homme.

Je m’interroge un peu sur l’amoureux de Anna Mouglalis. Je me demande si je pourrais offrir le livre d’Ovidie. Je ne le crois pas. Je pourrais parler de ce livre, proposer à quelqu’un de venir voir avec moi son adaptation théâtrale. Je pourrais envoyer mes articles sur ce livre et sur ses représentations théâtrales. Ou je serais curieux de des impressions d’un autre ou d’une autre après qu’il/elle ait lu La Chair est triste hélas ou en ait vu l’adaptation au théâtre.

Mais je ne pourrais pas l’offrir. Même si je vais le garder avec d’autres. Et peut-être le relire.  

Après la représentation, A et moi nous sommes levés pour partir comme tout le monde. Nous avons pris notre temps.

Dans le regard de certaines femmes que nous avons pu croiser, j’ai cru déceler une intensité particulière. « Particulière » parce-que je ne la remarque pas à ce point d’ordinaire dans la rue ou lorsque je fais mes courses au supermarché.  Impossible pour moi de savoir si je plaisais particulièrement à ces femmes ou si, au contraire, elles se retenaient de m’en vouloir faute de preuves ou parce que le théâtre était encore éclairé.

 

Franck Unimon, ce dimanche 28 septembre 2025.  

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Pour les Poissons Rouges

Ce matin avec ma mère

Ce matin avec ma mère

A Paris, la séance de 11h30 du film A Toute épreuve de John Woo a commencé au cinéma le Grand Action. Cela fait deux semaines que j’essaie de retourner le voir au cinéma, ce film. Je vais encore le « rater ». J’ai le dvd chez moi mais j’aimerais le revoir dans une salle de cinéma. 

Mais ce matin, j’ai discuté avec ma mère avant que ma petite sœur ne vienne la chercher. Ma mère, retournée vivre en Guadeloupe avec mon père il y a plus de vingt cinq ans, est encore avec nous en région parisienne pour quelques jours avant de repartir pour la Guadeloupe.

Ma mère a 77 ans. Il y a quelques jours, j’ai eu l’idée de l’emmener voir la représentation théâtrale du dernier ouvrage de Ovidie :

La Chair est triste hélas avec la comédienne Anna Mouglalis sur scène pour porter le texte. ( voir La Chair est triste, hélas ! un livre d’Ovidie )

Au départ, j’ai été très content de moi en ayant cette idée sans lui en parler. J’étais venu une première fois, avec une copine, assister à la représentation. En entendant ce texte à charge contre les hommes hétéros qui maltraitent les femmes et les baisent mal, j’avais entendu des femmes rire dans la salle à plusieurs reprises.

C’était le rire de celles qui se reconnaissent. Le rire cathartique de celles qui ont encore la possibilité -ou qui décident -d’extraire d’elles de cette façon autant qu’elles le peuvent des années et des prisons de venin. De souffrance. De colère. De tristesse.

C’était le rire de femmes aptes à l’autodérision. Et, peut-être, aussi, à la vengeance.

Je ne pouvais pas rire comme ces femmes et avec ces femmes. Car j’étais et suis un homme hétéro. Un des échantillons de ces hommes dont Ovidie s’est faite un tailleur sur mesure dans son texte : La chair est triste hélas.

Donc, d’une façon ou d’une autre, je faisais partie de ceux qui avaient maltraité, maltraitent ou maltraiteraient des femmes ou les baiseraient mal.

La copine avec qui j’étais allé à la représentation avait ri à certains moments. Moi, il y a un moment en particulier où j’avais souri et failli rigoler avant de me retenir. Lors de ce passage où Ovidie, à travers la voix et le corps d’Anna Mouglalis, avait déclaré que les hommes devraient raser les murs chaque fois qu’ils baisent mal une femme. Je m’étais un peu imaginé la scène d’hommes se déplaçant honteusement, les yeux au sol, essayant autant que possible de se cacher du regard des autres, et disparaissant aussi vite qu’ils le pouvaient.

Je ne me vois pas comme un expert en sexualité et en plaisirs du corps. Mais comme un adepte depuis longtemps de l’autodérision. Ce rire cathartique des femmes autour de moi dans la salle, je le connais depuis l’enfance.

Je n’ai pas été victime d’inceste, de viol ou d’attouchements sexuels. Mais comme beaucoup d’enfants, sans distinction de sexe, j’ai connu l’angoisse, la violence physique et morale.

J’ai appris, comme beaucoup d’enfants, à faire la distinction entre le châtiment « juste » parce-que l’on a fait une bêtise que l’on est parfaitement capable de comprendre et l’abus de force, de pouvoir comme l’humiliation. 

Je n’ai pas fait que subir. Je n’ai pas tout le temps subi et enduré.

Néanmoins, j’ai mémorisé. J’ai été spectateur/observateur puisque je n’avais pas d’autre choix.  Puis j’ai pensé.

A des moments divers de ma vie. Grâce à des rencontres, des lectures, des expériences personnelles et professionnelles, de l’introspection. En sortant ou en m’extrayant quelque peu du périmètre mental dans lequel j’aurais pu rester tel un poisson rouge tournant dans son bocal.

J’aurais pu tout reproduire exactement à l’identique comme d’autres l’ont fait et le font. Il aurait suffi  » de ne pas se prendre la tête ». Et de (se) laisser faire. 

Les thérapies sont arrivées plus tard, à partir de la quarantaine. 

Pour moi, aller voir cette représentation La Chair est triste hélas de Ovidie, après avoir lu le livre, c’est, d’une façon ou d’une autre, me prendre moi-même à contrepied.  Sortir un peu du bocal. C’est aussi un peu comme accepter de monter sur un ring de boxe tout en sachant que l’on va forcément prendre des coups. Même si l’autre, en face, nous assure :

« Je n’ai pas de compte à régler avec toi. Je ne te ferai pas ( de ) mal ».

Et, en retournant voir cette représentation théâtrale avec ma mère, j’espérais qu’elle, aussi, allait se mettre à rire comme ces femmes que j’avais entendues la première fois. J’espérais qu’elle acquiesce un peu comme on le voit faire dans ces églises où l’on chante du Gospel et où les fidèles répètent « Amen ! » en chœur parfois jusqu’à cette transe qui anesthésie momentanément les souffrances.

J’espérais une « discussion ».

A côté de moi, lors de la « représentation », ma mère n’a pas ri.

Pour commencer, en ré-entendant dès les cinq premières minutes de la représentation, les mots « fellation », « pipe », « sodomie » et autres avec ma mère près de moi, j’ai été très embarrassé.

Mal à l’aise, j’avais très envie de rire. Mais je ne le pouvais pas. Cela aurait été très mal compris autour de nous. Le public était très majoritairement féminin.

Pendant plusieurs minutes, je me suis dit que j’avais finalement été très mal inspiré en emmenant ma mère au théâtre de l’Atelier pour voir cette représentation. Que c’était évident ! Puis, voyant que ma mère ne bronchait pas, j’ai accepté que, pour elle, il n’y avait rien de choquant.

Vers la fin de la représentation -qui dure 1h10 et commence à 21 heures- ma mère s’est endormie. A deux ou trois reprises, sa tête et son corps se sont penchés vers moi. Je me suis alors dit que la représentation ne lui avait pas plu.

Lorsque nous sommes sortis, ma mère m’a répondu-affirmé, que cela lui avait plu. Qu’elle avait préféré ça à une sortie au théâtre qu’elle avait faite avec mon père. J’étais assez perplexe. Je crois qu’elle m’a dit ça pour me faire plaisir. Pour ne pas me vexer. Je me suis dit que la représentation lui était passée complètement au dessus de la tête. Sur scène avaient été employés des termes et du vocabulaire qui ne font pas partie de son monde. 

Cependant, je me suis quand même dit que c’était « bien » d’avoir en quelque sorte remis ma mère dans la boucle de la culture. Elle, qui, alors qu’elle était enceinte de moi, était encore garde d’enfants, au 21 rue Condorcet à Paris. 

D’une certaine manière, en l’emmenant-entraînant dans cet endroit, à Paris, en France, le soir, moi, son enfant aîné, né en France, j’avais fait mon devoir. Enfant, c’était elle qui m’emmenait dans Paris et ailleurs. Là, c’était moi. 

J’ai déjà parlé un peu de ma mère ( voir l’article  Tuer des noix de coco ).

Je ne pourrais pas parler du monde des femmes présentes autour de moi ce soir-là où lorsque j’étais allé assister à la représentation une première fois avec une copine. Je ne connais pas la vie de toutes ces femmes. Si une étude sociologique de ce public est réalisée, j’aimerais bien la lire. Je pense que ces femmes que j’ai croisées lors de ces deux représentations sont dans leur ensemble plutôt « éduquées » et/ou militantes. Ou victimes. Qu’elles ont plutôt fait des études supérieures. Elles peuvent être dans la vingtaine mais ont plutôt la trentaine ou la quarantaine. Des femmes blanches dans leur grande majorité. J’ai dû apercevoir moins de dix femmes noires à chaque fois où je suis venu. Mais ce sont, là, mes impressions à vue d’oeil sans la moindre certitude. 

Mais je sais que Ovidie a obtenu un doctorat. Je sais que la copine avec laquelle je suis venu la première fois a fait des études supérieures et est très impliquée au moins comme actrice culturelle en tant que comédienne et metteure en scène. Toutes deux vivent plutôt en ville ou ont toujours vécu en ville.

Ma mère vient d’une famille nombreuse ( 16 ou 17 enfants en l’incluant) de la campagne et d’un milieu social modeste. Elle est née à la fin des années 1940. 

Je sais- pour en avoir rediscuté avec elle récemment- que ma mère, en Guadeloupe, avait d’abord dû quitter l’école avant le niveau du certificat d’études pour, dans la maison de ses parents, s’occuper du ménage, des enfants plus jeunes et de la cuisine.

Puis, venue en France un peu avant ses vingt ans, à force de cours du soir et de cours de correspondance, après avoir connu plusieurs expériences professionnelles y compris à l’usine et en tant que caissière, ma mère est finalement parvenue à obtenir le niveau BEPC et à devenir aide-soignante. En répondant à mes questions ces jours-ci, alors qu’elle était chez moi,  ma mère m’a permis de continuer à reconstituer une partie de mon histoire au travers de la sienne. 

C’est sans aucun doute aussi pour ma mère que je lis des ouvrages féministes ou que je lis un ouvrage tel que La Guerre au féminin. voir  La Guerre au féminin un livre de Dorothée Olliéric ).

Ces femmes sont soit des militaires, soit des personnes qui ont fait des hautes études et/ou, voire, qui sont issues d’un milieu socio-affectif favorisé. Ma mère, bien que femme qui a aussi surmonté bien des épreuves et mené ses combats, ne fait pas partie de ces mondes. 

Hier après-midi, alors que nous nous promenions avec elle et ma fille dans Paris, ma mère m’a répondu qu’elle n’avait jamais entendu parler de la Sorbonne. Initialement, je souhaitais principalement montrer la Sorbonne à ma fille. Car cette université prestigieuse avait été mentionnée dans un podcast où le magistrat Youssef Badr ( auteur de Pour une Justice aux mille visages le mythe français de l’égalité des chances) racontait un peu son parcours.

« Etrangère » à la Sorbonne, le monde de Ovidie, d’Annie Ernaux , Victoire Tuaillon, Mona Chollet etc…ne pouvait donc pas faire partie du monde de ma mère. Car ces femmes, à un moment ou à un autre de leur existence, ont fait des études supérieures. Pour elles, c’était une expérience normale ou quasi-normale. 

Alors que pour ma mère, malgré une trentaine d’années de présence en région parisienne, malgré divers passages dans Paris, l’acte d’oser poser un pied dans une université, ne serait-ce que pour la visiter, serait à mon avis du domaine de l’interdit ou de la prise de risque.

Et cela avait été finalement pareil pour mon père qui avait entretenu une défiance – et me l’avait inculquée ( à moi l’aîné)  -envers le monde de l’université et des études longues qui ne garantissaient pas ensuite le fait de trouver un emploi.

Mon père, pourtant, bien plus « éduqué » que ma mère, niveau Bac – ce qui était exceptionnel et admirable pour un homme issu aussi d’un milieu social et campagnard modeste-  avait bien fréquenté durant un certain temps l’université de Nanterre, une université plutôt réputée.

Mais c’était pour aller y prendre des douches à l’oeil dans la résidence étudiante après ses matches de Foot dominicaux avec ses collègues des PTT. En me faisant jurer, surtout, de ne pas en parler autour de moi.

Je devais avoir, alors, environ dix ans ou peut-être moins. 

Oui, ma mère connaissait le quartier St Michel à Paris. Elle me l’a confirmé hier après-midi. Mais elle ne connaissait pas la Sorbonne, ni le Collège de France et encore moins le lycée Louis le Grand devant lesquels nous sommes passés. Devant lesquels j’ai pris le temps de m’arrêter pour en parler un peu à ma fille. Pour prendre aussi des photos avec mon smartphone de cours prévus au Collège de France. Un lieu où je n’ai toujours pas pris le temps de me rendre alors que je vis en banlieue parisienne depuis plus d’un demi siècle. Alors que j’ai déjà passé un nombre incalculable d’heures dans Paris entre autres pour aller m’enfermer dans une salle de cinéma.

Alors que j’aime « apprendre ». 

La Sorbonne, le Collège de France ou le lycée Louis le Grand, en soi, ne sont pas des avant-gardes féministes. Mais ce sont des lieux de Savoir et, donc, en principe, de rencontres, d’ouverture sur le Monde et d’émancipation. Et, ma mère, elle, finalement, faisait peut-être encore beaucoup partie du monde de Rue Cases Nègres. Ce qui ne l’a pas empêchée de vouloir se procurer une montre connectée. Montre que je lui ai offerte hier après-midi en allant l’acheter avec elle et ma fille dans un des magasins Le Vieux Campeur dans le quartier St-Michel. 

Il y a plusieurs années, lorsque je me suis décidé à bifurquer vers la psychiatrie, ma mère, aide-soignante durant des années dans un service de réanimation à la maison de Nanterre, a eu peur pour moi.

Elle a eu peur que je devienne « fou ». Cette fois-ci, je ne l’ai pas écoutée.

Je l’avais écoutée pour sa peur de la moto au point qu’au mieux, tout ce que j’ai réussi à faire, c’est, durant une certaine période, porter des blousons de motard sans passer mon permis moto. Je le passerai peut-être un jour. Dans ma tombe.

Ce matin, avant que ma sœur ne vienne chercher notre mère pour l’emmener chez elle, je me suis assis à côté de ma mère. Et, je lui ai peut-être posé des questions de fou. 

Pour ce faire, je crois que je suis passé par le Créole. La plupart du temps, j’ai toujours parlé en Français à ma mère. Mais lors de ce séjour, je me suis aperçu que ma mère captait mieux ce que je lui disais dès lors que je m’adressais à elle en Créole.

Aussi, je ne m’en suis pas privé. Même si je le pratique peu ou trop peu et que je le manie maladroitement, c’est une langue que j’ai souvent et suffisamment entendue. Il m’en reste de quoi me faire comprendre au moins de ma mère comme auparavant pour me faire comprendre de mes grands-parents aujourd’hui décédés et  qui parlaient très peu le Français.

Tantôt en Créole, tantôt en Français,  j’ai donc posé à ma mère des questions qu’habituellement on ne pose pas ou qui ne se posent pas.

Lorsqu’il a été un peu difficile pour elle – qui a toujours fait de son mieux pour me répondre- de se rappeler certains moments douloureux et difficiles de sa vie d’avant ma naissance,  j’ai expliqué à ma mère que cette histoire, son histoire, était aussi mon histoire. Et que, seule, elle, pouvait me répondre.

Ma mère m’a répondu.

Ensuite, voyant notre mère pleurer alors que nous venions la rejoindre près de sa voiture, ma petite sœur m’a dit plus ou moins en m’interrogeant :

« ça va ? Il  y a une chouette ambiance, chez vous ! ».

J’ai alors fait un résumé à ma petite sœur qui, rapidement, s’est montrée intéressée par les informations supplémentaires que j’avais obtenues sur notre histoire :

L’ histoire de notre mère avant notre naissance.  

Ce qui s’est déroulé dans le passé se transmet ou peut se transmettre. Nous pouvons ainsi rester captifs d’un passé douloureux parce-que nous l’ignorons et ignorons comment nous en extraire. Donc, autant le connaître. Mais nos parents ou nos proches ne nous le racontent pas forcément. Ils ont peut-être appris à vivre ou à survivre à ça en le gardant contre eux dans un coin de leur sac à main ou dans une des poches secrètes de leur mémoire. En rasant les murs à certains moments. Parfois ou souvent en affirmant que cela fait désormais partie du passé et que ces événements sont en quelque sorte des reliques inoffensives ou qui pourraient tout détruire autour d’elles si on les expose à l’environnement. 

Nous nous devons de ne pas les bousculer s’ils se cramponnent à ces peurs ou à ce genre de croyances. Nous ne sommes pas pour autant toujours obligés de les croire. Mais il est vrai qu’il vaut mieux bien choisir son moment pour  certains apprentissages et certaines transmissions. 

J’ai plutôt une bonne relation avec ma mère. Elle avait aussi fait de moi son « confident » alors que j’étais enfant. 

J’aurais très vraisemblablement regardé certains membres de ma famille avec beaucoup moins d’affection et de patience si j’avais obtenu plus tôt certaines des réponses que ma mère m’a données ce matin. Ou j’aurais également posé à ces membres de ma famille des questions de fou. Des questions auxquelles on préfère ne pas avoir à réfléchir. 

J’ai remercié ma mère et je la remercie encore de m’avoir répondu ce matin. D’avoir répondu à mes questions de fou. Des questions qui se contrefichent des belles apparences et des convenances. Des questions qui savent  que nous ne sommes pas éternels.

Des questions portées par la vraie vie. Pas celle qu’on nous montre dans les pubs, qu’on nous sert dans des pots de bébés ou de boites de conserves. Pas celle supposée être la vie « normale »  qui se tient toute seule attachée  à une laisse avec une muselière en attendant qu’un supposé Maitre ou une supposée Maitresse la siffle.

Franck Unimon, ce dimanche 28 septembre 2025.

 

 

 

 

 

 

 

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Puissants Fonds/ Livres

La Guerre au féminin un livre de Dorothée Olliéric

La Guerre au féminin un livre  de Dorothée Olliéric

 Drôles de dames

Hier, j’ai donc terminé la lecture de cet ensemble de témoignages de femmes militaires recueilli par la grande reporter Dorothée Olliéric.

J’ai lu les dernières pages dans ce foyer de psychiatrie adulte où il m’arrive de faire occasionnellement des vacations de 12 heures en plus de mon poste d’infirmier psychiatrique à temps plein. Dans la ligne 14 du métro, il y a quelques semaines, j’ai entendu une femme au téléphone dire face à moi à quelqu’un :

« En dessous de 5000 euros par mois, je ne m’en sors pas ! ».

Après plus de trente années en psychiatrie et en pédopsychiatrie, mon salaire d’infirmier psychiatrique est bien éloigné de ce chiffre. Je ne cherche pas à l’atteindre. Mais mon salaire ne me préserve pas de la nécessité de devoir faire, de temps à autre, des vacations ou des heures sup. Pour atteindre ce salaire mensuel de 5000 euros, il faudrait que, chaque mois, en plus de mon temps complet d’infirmier, « j’effectue » huit à neuf vacations infirmières  de jour de douze heures chacune ou huit vacations infirmières de  nuit de douze heures.

Je connais un infirmier qui a touché ce salaire ou davantage tous les mois pendant les années. Il m’avait dit lors d’une de nos première rencontres :  » J’ai besoin de gagner beaucoup d’argent ». Il occupait un poste de cadre infirmier de nuit dans le privé en soins somatiques. Il  avait un contrat à mi-temps dans un laboratoire d’analyses médicales en journée. Et il faisait environ quatre à cinq vacations infirmières de nuit en plus tous les mois dans une clinique de pédopsychiatrie. Lui et sa femme, infirmière également, travaillaient beaucoup chacun de leur côté. Ils n’ont pas d’enfant. Il était en surpoids. Il avait déjà plus de cinquante ans. Il m’avait expliqué que jusqu’à ses 25-30 ans, il avait surtout beaucoup profité de la vie. Qu’il avait fait la fête. 

Il y a plus d’une trentaine d’années, intérimaire, j’avais connu une infirmière qui gagnait sans doute plus que lui, en équivalent en francs. Elle travaillait entre 25 à 30 nuits par mois en soins somatiques . Elle avait près d’une trentaine d’années, vivait seule bien qu’elle ait un copain qu’elle voyait de temps en temps. Elle n’avait pas d’enfant. 

Mon métier d’infirmier, dans son ensemble, qu’il s’agisse de l’exercer en soins somatiques ou en santé mentale ( psychiatrie, pédopsychiatrie, addictologie ) n’est pas un métier que l’on « décide » de faire dans l’intention de devenir rapidement millionnaire.  Si le fric est le premier objectif lorsque l’on choisit un emploi ou une carrière, on se dirige plutôt vers le commerce ou des secteurs connus pour rapporter.

Le métier d’infirmier fait partie de ces métiers où l’on donne de soi. Et parfois ou souvent où l’on donne plus de soi que demandé ou nécessaire. Ce n’est pas un travail administratif ou un travail ou l’on peut se contenter de larguer et de donner des chiffres et des algorithmes. Puis de partir en sortant d’un service ou d’un bureau pour aller déjeuner dans un restaurant. 

Puisque c’est un métier où, selon les spécialités et notre façon toute personnelle et morale de nous impliquer, on ne peut pas se contenter de répéter des actes de manière standardisée, des protocoles ou des fonctions à la chaine sans se préoccuper des réactions des  personnes que l’on a en face de soi ou des interactions que l’on a avec elles dans le service où l’on se trouve avec elles. C’est un métier, qui , le plus souvent, ne connait pas d’heures de fermeture. Mais ce n’est pas un commerce. On n’y vend pas la dernière console Switch, le dernier smartphone de Apple ou de Samsung ou la dernière montre connectée. Sauf peut-être, bientôt, dans certaines cliniques privées. 

En psychiatrie et en pédopsychiatrie par exemple, les spécialités que je connais le mieux, au lieu d’essayer de vendre une console switch ou le dernier smartphone dernier prix, on essaie autant que possible d’être à l’écoute. Ce qui implique de notre part au moins une certaine disponibilité psychique et une présence concrète pour l’autre. A mon sens, il est un certain nombre de circonstances où on ne peut pas juste faire acte de présence ou débiter des phrases toutes faites ou des protocoles. Ou parler plus que l’autre.  

Cela ne signifie pas que l’on doit et que l’on peut tout accepter et tout faire avec lui ou elle ou pour elle. Mais de tenter de savoir. Et de pouvoir être là si la ou les personnes concernées ont besoin d’être aidé(es) ou accompagnées pour mettre ou remettre le pied à l’étrier pour ce qu’elles ont à accomplir ou à accepter.

Je n’y arrive pas toujours. Je ne suis pas toujours persuadé d’être un « bon » professionnel. Même si je peux aussi être satisfait. Même si je sais que j’ai de l’expérience et que je peux être critique aussi envers d’autres professionnels quels qu’ils soient, quelle que soit leur hiérarchie et leur fonction.

Mais j’ai une certaine exigence envers moi-même qui n’a pas besoin des autres pour être active. Je fais des erreurs. J’ai certaines insuffisances et certaines lacunes. Peu m’importe que cela ne se remarque pas ou peu. Moi, je le remarque et je m’en rappelle ou je sais m’en rappeler. Par moments, je m’adoucis envers moi-même, d’autres fois, moins. 

 » C’était la guerre ! » m’a dit il y a deux ans à peu près, lors d’une vacation de nuit infirmière, une jeune infirmière d’à peine trente ans à me parler de la pandémie du Covid dans le service de réanimation où elle avait été titulaire auparavant. Un service qu’elle aimait et qu’elle avait quitté dès qu’elle l’avait pu, après quatre ou cinq années. Ereintée par les conditions de travail  qu’elle y avait connues durant la pandémie du Covid. Devenue intérimaire ( ou vacataire) afin de pouvoir souffler et travailler quand elle le voulait à des conditions qu’elle pouvait accepter et supporter. Elle aussi, elle n’avait pas d’enfant.

Même s’il s’est masculinisé, je fais un métier de femmes et cela a, je crois, une certaine incidence tant dans la façon de le rémunérer que dans la manière de prendre en compte depuis une trentaine d’années sa pénibilité, ses contraintes, ainsi que les diverses revendications et manifestations de la profession infirmière qui doivent beaucoup faire sourire un certain nombre de décideurs (hommes ou femmes). Puisque le travail continue d’être fait et les mouvements de contestation infirmière ont toujours été indolores politiquement.

Récemment, une de mes amies, infirmière en pédopsychiatrie, était assez en colère. Elle allait peut-être devoir se résoudre à recommencer à faire des vacations (une amie lui avait parlé d’une maison de retraite ou d’un EHPAD) car son salaire ne suffisait pas. Elle était obligée assez régulièrement de puiser dans son épargne.

Dans ce foyer psychiatrique adulte ou j’étais hier, des femmes et des hommes sont surtout porteurs, eux, de certaines entraves psychologiques et psychiatriques depuis des années.

« Mais » ils ont acquis ou conservé une certaine autonomie. Certaines et certains d’entre eux sont étudiants, ont un travail ou se rendent à un hôpital de jour ou dans une autre institution d’accueil psychiatrique. Elles et ils peuvent sortir facilement du service.

Au foyer, hier, une des patientes a aperçu le livre de Dorothée Olliéric.

Je croyais que personne ne l’avait vu. Il n’est pas- encore- interdit de lire en public à notre époque où la plupart du temps, nous sommes perchés juste au au dessus de notre écran de téléphone portable.

Mais je pensais avoir été suffisamment discret.

Elle m’a demandé si c’était moi qui lisais le livre. J’ai oublié si elle a dit « le livre sur les femmes ». Il y avait le mot « femme » dans sa phrase. Il n’y avait pas le mot « guerre ». Nous en avons alors un peu discuté.

Je lui ai répondu que j’essaie autant que possible de lire des ouvrages d’après un point de vue féminin. J’ai expliqué que cela me permettait d’apprendre et de voir un peu autrement. Je lui ai donné l’exemple de l’ouvrage qu’avait pu écrire la navigatrice Ellen Mc Arthur. Cet ouvrage lui disait quelque chose.

J’aurais pu citer d’autres ouvrages que j’ai lus :

 Femmes puissantes un ensemble d’interviews pratiquées par la journaliste Léa Salamé qui avait plutôt tendance à m’excéder avant de lire ces interviews. Mais aussi Les couilles sur la table  Les couilles sur la table, un livre de Victoire Tuaillon. Premières partieset Le cœur sur la table de Victoire Tuaillon ;  La vie sans fard de Maryse Condé ; et La chair est triste hélas d’Ovidie La Chair est triste, hélas ! un livre d’Ovidie dont j’ai vu l’adaptation théâtrale deux fois récemment au théâtre de l’Atelier à Paris dans le 18ème.

Je n’ai pas parlé à cette patiente de ces ouvrages. Ni des articles consacrés dans le journal L’Equipe ou Le Parisien au Footballeur Ousmane Dembelé, joueur du PSG, récemment devenu le nouveau Ballon d’Or, nouvelle fierté nationale.

Mes réponses ont satisfait la patiente. Une jeune femme qui doute beaucoup d’elle et qui est rapidement très anxieuse. Mais qui est néanmoins parvenue à faire des études supérieures et à décrocher un emploi à responsabilités. Hier, elle faisait du télétravail depuis le foyer.

Dans mes réponses à la question de cette patiente, j’aperçois de très loin que nous donnons souvent des réponses dont le hors champ est beaucoup plus fourni.

Mais comme notre interlocuteur ou notre interlocutrice se satisfait de ce que nous lui montrons, lui avons donné ou répondu, nous nous en tenons généralement là. A la surface. Au bord du rivage. Là où nous avons pied.  Nous sommes un peu des illusionnistes sociaux. Nous partons rarement loin.

Il y aura peut-être un plus tard. Mais il n’y aura peut-être rien aussi plus tard.

Appartenir à un groupe

Les femmes rencontrées par Dorothée Olliéric ont refusé de s’en remettre à un vague plus tard. Elles ont refusé de se satisfaire d’illusions et de peut-être plus tard.

Elles avaient un but ou se sont données un but et, pour y parvenir, elles ont décidé de s’adresser à l’armée et de s’y engager.

Leur décision de s’engager dans l’armée s’est faite en moyenne entre l’âge de 16 et 22 ans. Un âge où beaucoup de personnes, la majorité d’entre nous, hommes comme femmes, se cherche encore à tous les points de vue.

Si le titre du livre de Dorothée Olliéric, La Guerre au féminin, suggère la question du genre dans l’armée française mais aussi dans la guerre, les doutes que l’on peut avoir sur soi-même, lorsque l’on a entre 16 et 22 ans ou même plus, n’ont pas de genre.

Lorsque j’avais 22 ans, j’avais obtenu mon diplôme d’Etat d’infirmier depuis un an. Aujourd’hui, j’ai plus de 22 ans, je suis un homme, et j’ai encore des doutes.

Je crois qu’il faut conserver une certaine aptitude au doute. C’est peut-être une des raisons pour lesquelles, bien qu’attiré par l’armée et tout ce qui peut y ressembler dans la vie civile, je n’appartiens jamais totalement à un groupe. J’éprouve toujours le besoin, à un moment ou à un autre, de penser par moi-même mais aussi d’agir seul. C’est peut-être une force. C’est aussi une faiblesse.

Mais ces femmes, elles, ont choisi l’armée, s’y sont trouvées, s’y sont épanouies, voire, pour certaines, y ont aussi rencontré leur mari ou leur compagne. 

Lorsque l’on entre dans l’armée, on appartient à un groupe.

Je n’ai pas de jugement sur les femmes qui « font » la guerre ou qui se sont engagées dans l’armée. J’ai lu récemment dans le journal Les Echos que l’armée ukrainienne avait décidé récemment de nommer davantage de femmes militaires à des postes plus avancés. Désormais, certaines « (….) opèrent des drones en première ligne » ( Le journal Les Echos de ce jeudi 25 septembre 2025, page 6 et 7, article Kiev fait monter en grade les femmes dans son armée du journaliste Guillaume Ptak).

Etre dirigé/managé par une femme

Au travail, je n’ai pas de problème particulier, à être « commandé » ou dirigé par une femme.

Femme ou homme, ce qui va m’importer, c’est d’abord la façon dont on s’adresse à moi.

La légitimité et le bien-fondé de ce qui peut être exigé de moi. Et par qui ? Une personne que je trouve plus bavarde, dispersée et occupée à faire du copinage que compétente ? Une personne affolée et psychorigide pour un rien ? Une personne fausse ? Ou une personne qui connait son sujet, capable de pragmatisme, qui connait les personnes avec lesquelles elle travaille ainsi que leurs capacités et qui a suffisamment confiance en elles ?

Je ne pensais pas que je parlerais de ma conception du management en commentant ce livre. Cependant, la plupart de ces femmes interrogées, lorsqu’elles sont interrogées par Dorothée Olliéric, occupent – après plusieurs années d’expérience sur le terrain-des postes à responsabilités au sein de l’Armée française.

Formatage

Pour y parvenir, ces femmes ont accepté un certain nombre de conditionnements et d’entraînements. Elles ne sont plus ou beaucoup moins celles qu’elles étaient en entrant dans l’armée. Ou elles ont potentialisé ce qui germait en elles en termes d’aptitudes spécifiques ou hors normes :

Démineuse, pilote d’hélicoptère, pilote d’avion de chasse, apprendre à manier des armes et s’en servir, apprendre à survivre dans le froid, dans la jungle, pouvoir se contenter de peu ou de très peu tout en étant capable d’être au maximum de ses capacités de soldat, se déplacer dans des pays en guerre où certaines personnes engagées (des camarades, des amis, des collègues) se font tuer et mutiler par les mines artisanales, les roquettes, les balles, assister à leur départ dans un cercueil alors qu’ils n’avaient « que » et/ou qu’ils avaient des enfants de tel âge. Ce sont des expériences que ces femmes militaires vivent concrètement, de face, de manière condensée, brutalement, rapidement.

Pas de filtre. Pas de préliminaire. La guerre reste la même que l’on y aille en tant que femme ou en tant qu’homme.

Par provocation, j’ai nommé cette partie « formatage » car on peut bien-sûr plutôt remplacer ce mot par « conditionnement » et «entraînement».

Le terme « formatage » est un terme péjoratif. Et on l’utilise généralement pour parler de personnes qui n’ont pas leur libre arbitre, qui l’ont perdu lors de leur entraînement et de leur formation ou qui ont profité de cet entraînement et de cette formation pour se « délester » et se débarrasser de leur libre arbitre. C’est dans la dernière interview, celle de la militaire pilote de chasse, bien enceinte de son premier enfant et à quelques jours de son accouchement, que cela se voit le mieux.

Celle-ci, qui a effectué des hautes études supérieures, et qui vient d’un milieu très éduqué en matière d’études supérieures, explique être le « bras armé » et seulement exécuter ce qui a été décidé en plus haut lieu. Lorsqu’elle lâche des bombes, c’est seulement parce-que, auparavant, il y a tout une chaine de direction et de réflexion au dessus d’elle qui a décidé que, là où elle va se rendre, il faut lâcher des bombes.

Selon le contexte politique et l’importance qui nous est accordé en tant que citoyen, ce même raisonnement a pu ou peut être reproché à certains militaires ou à des employés qui s’efforcent ensuite de répondre « Je n’ai fait que faire mon travail » et qui constatent, alors, lors de leur jugement, soit qu’on ne les croit pas, soit que l’on estime qu’ils auraient pu ou dû faire autrement.

Cette femme militaire n’est pas plus formatée que la plupart d’entre nous lorsqu’elle déclare simplement faire ce pour quoi elle a été formée et missionnée. Car nous sommes tous formatés dans nos domaines respectifs. Tant dans nos domaines professionnels que personnels. Sauf que, contrairement à elle, nous avons moins la « possibilité » ou la volonté de pouvoir tuer ou détruire quelqu’un d’autre ou quelque chose de manière aussi décontractée et légitime.

Parce-que nous n’avons pas, pour la plupart d’entre nous, été formatés ou conditionnés et entraînés, comme elle et les autres femmes militaires interviewées. Ce formatage militaire, spécifique, leur est nécessaire pour supporter aussi bien leurs entraînements que les environnements dans lesquels elles/ils évoluent.

Cependant, la résultante de cette adaptation et de ce formatage/conditionnement, c’est une certaine absence d’empathie.

Une certaine absence d’empathie :

Je trouve à la plupart de ces femmes militaires une certaine absence d’empathie. Mais je peux le penser aussi pour les militaires dans leur ensemble et les forces de l’ordre.

Ils/ Elles sont entraînés. C’est la guerre. Donc, il faut mener à bien la mission. Mettre en pratique ce que l’on a appris à faire, c’est-à-dire, tuer, détruire et faire régner l’ordre, notre ordre, nos lois.

Les autres, en face, sont des terroristes, des violeurs ou des barbares.  Et, nous, nous sommes les civilisés.

Lors d’une mission, une des femmes militaires raconte avoir vu un homme manger le membre d’un rival. A d’autres endroits, cela pouvait être les parties génitales d’un rival avec lesquelles tel « barbare » se baladait. Ailleurs, encore, une femme enceinte tuée dont le bébé, mort, avait été délogé.

Et lorsque des camarades meurent, on les pleure parce qu’ils sont jeunes, qu’ils ont femme et enfants, lorsqu’ils en ont, parce-que l’on a vécu des moments très forts avec eux. On s’attache à celles et ceux que l’on connait et avec lesquels on a enduré et c’est normal. Mais on ne perçoit pas qu’en face, « les barbares » peuvent avoir vécu les mêmes processus.

Lorsque j’ai vu ce passage où cette femme militaire relate cette scène dans un pays d’Afrique noire, j’ai un moment revu passer devant moi le standard colonial raciste selon lequel, en Afrique, c’est des sauvages !

La barbarie et la violence des quelques scènes qu’elle décrit sont incontestables. La douleur de la perte des camarades militaires est également incontestable et parfaitement compréhensible. Pour moi. 

Pourtant, en actes de barbarie, à peu près tout le monde conviendra que l’Allemagne nazie était allée particulièrement loin il y a plus d’un demi siècle.

Mais  il est vrai que c’était une barbarie de « Supermarché ».  Très bien organisée, optimisée et très bien industrialisée. Un modèle de planning de la barbarie, de gestion d’entreprise et de management. C’était en fait une barbarie très « propre », très quadrillée, presque écologique,  avec ses camps de concentration, ses quotas de production.

Cette barbarie-là ne débordait pas dans la rue.

On ne faisait pas brûler ou gazer son juif, son homosexuel, son noir, son résistant, sa prostituée, son anarchiste ou son communiste en pleine rue devant tout le monde. C’est très bien montré dans le film The Zone of interest réalisé en 2023 par Jonathan Glazer.

Je parle «d’une certaine absence d’empathie » parce-que, a posteriori, cette femme militaire et d’autres, parmi celles qui témoignent, n’en expriment aucune ou très peu a posteriori concernant ces « autres » qu’elles ont pu croiser ou auxquels elles ont dû se confronter durant leurs missions. 

Il y a « nous ». Et les « autres ». Les autres font partie du hors champ. Tant qu’ils y restent et qu’ils n ‘essaient pas de nous barrer par le chemin ou le regard, on ne cherche pas à en savoir plus sur eux. 

« On fait »  ou  » on a fait » l’Afghanistan parce-que l’on y a passé et vécu quatre mois ( ou plusieurs années) en mission dans des conditions militaires très dangereuses. Comme si ce pays, d’autres régions du monde et leurs Histoires pouvaient se « faire » et se « vivre » -et se limiter- à quatre mois ou quelques années sur place en tant que militaire. 

Lors de la mission, je sais très bien que l’on ne va pas aller faire des bisous aux mines artisanales ou à l’ennemi. Nous ne sommes pas là non plus pour faire de l’ethnologie et de la sociologie.

Mais, après ?  Des années plus tard, on est capable d’avoir un point de vue personnel et un peu critique ou autocritique ?

Très peu.

Pour une raison assez simple, ces femmes militaires, comme beaucoup de celles et ceux qui s’engagent dans l’armée, dans les forces de l’ordre ou ailleurs, veulent principalement de l’action et de l’adrénaline.

Adrénaline et vie normale

C’est le mot qui a été le plus employé par ces femmes militaires jusqu’au stéréotype. L’ adrénaline. Je suis étonné qu’aucune d’elle n’ait nommé sa fille ou son fils Adrénaline.

La quête de l’adrénaline.

On leur présente de l’adrénaline à profusion et elles sautent, tête la première. Elles y vont. Elles partent. Comme des assoiffées d’adrénaline. Sauf qu’elles ont un alibi militaire pour mettre en pratique toutes leurs forces et toutes les capacités logistiques, aussi bien mentales, physiques que techniques, pour tuer, détruire et sécuriser un endroit sans se censurer puisque l’on a déjà pensé pour elles. Et que l’on fait tout ça en groupe, donc en famille, ou tout le monde est d’accord, ce qui nous conforte dans le fait que l’on fait- toujours- ce qu’il faut.

Avec une telle quête de l’adrénaline, le retour à la vie « normale » et à peu près solitaire ou civile – corrélé avec l’extraction du groupe de la mission militaire- est d’autant plus difficile à supporter ou peut devenir difficile à supporter.

Cela arrive à plusieurs d’entre elles. Cela arriverait à n’importe qui d’autre dans des conditions similaires. Aussi bien dans la vie militaire que civile. 

Ces femmes militaires  vivent donc dans un mélange assez explosif de risque élevé de stress post-traumatique, de burn out, de décès prématuré, de blessures corporelles définitives, de sentiment exacerbé d’existence ou d’extase, de trêves…et de dépression.

Car on ne peut pas toujours partir en mission. Toutes les missions ne se valent pas. Et puis, on perd des sœurs ou des frères d’armes car c’est la vraie guerre. Celle où l’on meurt vraiment. Celle dont on revient aussi amputé. Le livre ne parle pas des militaires amputés qui ne peuvent plus partir en mission. « Seulement » des morts. Alors que toute attaque subie laisse forcément des séquelles.

Puisque lorsque l’on parvient à revenir vivant soi-même, la vie ne peut plus être comme avant au vu de ce que l’on a vécu. Puisque une partie de notre vie est restée engagée – ou marquée- dans ce que l’on a connu ailleurs.

 » Quand tu regardes l’abîme, il te regarde aussi... ». 

Les personnes qui ont été victimes d’un attentat racontent bien ce que cela a pu changer pour elles et dans leurs relations avec leur entourage. Je trouve que c’est un peu pareil pour certaines de ces femmes (ça peut être pareil pour les hommes) militaires lorsqu’elles « reviennent ». Même si elles ont été plus armées et plus entraînées que les civils victimes d’attentats. Simplement, cela prend un peu plus de temps pour elles pour être rattrapées par les mêmes tourments. Et lorsque j’écris « elles », ces tourments se postent également, évidemment, chez les hommes. Il n’existe pas vraiment de murs, ici, entre les genres pour ces tourments. Seuls les individus se différencient entre eux indépendamment de leur sexe ou de leur genre. 

La vie normale et quotidienne, celle de la plupart d’entre nous, c’est plutôt un antidote de l’adrénaline. Un arrêt sur image. Une détention répétée dans nos limites et certaines de nos contrariétés et frustrations :

Les démarches administratives, les embouteillages, les heures de pointe, faire les courses, assez peu de variété, assez peu d’action, assez peu de panache ou d’aventure, l’impression d’être sous employé(e), de subir, de végéter ou de pourrir sur pied et d’avoir, en contrepartie, des distractions de merde ou celles de tout le monde. Alors que, nous, ce que l’on veut, c’est s’illustrer, être des héros ou des héroïnes. Des vrais. Comme dans les films.

Comme dans les films

Deux ou trois des femmes militaires se qualifient de « gosses » ou qualifient les militaires de « gosses » qui partent à la guerre. C’est pareil dans d’autres professions (policiers, pompiers et autres, et pas seulement les représentants des forces de l’ordre).

Deux ou trois, aussi, disent vivre certains moments dans leurs missions comme « dans un film ». Démineurs  et Zero Dark Thirty ( voir l’article  Zero Dark Thirty/ Un film de Kathryn Bigelow ) de K. Bigelow, Le Chant du loup ( voir  l’article Le Chant du Loup ) et la série Le Bureau des légendes font partie des œuvres cinématographiques citées.

Elles, elles vivent ou ont vécu « pour de vrai » ce qui peut être raconté dans ces films. Elles font alors partie du film. D’un film, qu’elles pourront se raconter ou raconter plus tard. Soit à des militaires comme elles qui peuvent les comprendre. Ou à certains proches. C’est tout de même mieux que de raconter ses courses à Auchan ou dans un magasin Picard Surgelés. 

Nous sommes nombreux à aspirer à avoir une vie de « film » ou « comme dans un film ». Sauf que, elles, elles se sont données les moyens pour y parvenir et ce qu’elles disent, aussi, c’est que, à l’armée, on a plus de chances de voir tous nos efforts et nos sacrifices récompensés comparativement à la vie civile qui, à la fois, offre moins d’opportunités d’expériences hors du commun mais ne garantit pas pour autant le meilleur à celles et ceux qui le méritent ou l’ont mérité à force d’efforts et de sacrifices.

Féminisme

Malgré les écueils rencontrés par quelques unes à l’armée avec des gradés ou d’autres simples militaires qui ne veulent pas des femmes ou seulement pour leur passer dessus ou les dénigrer, elles sont plusieurs à dire que l’armée française a évolué, qu’elles ont su se faire respecter et que cela a été plus facile pour elles d’être des femmes militaires qu’il y a trente ou quarante ans.

Elles vivent plutôt comme une injustice le fait qu’avoir un enfant en bas âge a pu les priver de certaines missions. Peut-être parce-que, socialement, cela reste souvent la carrière du père ou de l’homme qui reste prioritaire tandis que la mère/la femme est celle qui reste à la maison pour s’occuper des enfants. Elles ont peut-être raison de le voir de cette façon. Je crois pourtant qu’il faut aussi parler davantage de la figure du héros sans distinction de genre.

Le héros et la fierté :

Bien avant de lire La Guerre au féminin, j’ai déjà plusieurs fois réfléchi au fait d’être « un héros », «une héroïne ». Et aussi à propos de « la fierté ». J’aurais dû aussi rajouter le terme « sacrifice » dans ce titre.

Cela fait plusieurs fois que, devant la statue d’un « héros », ou devant le nom de rue d’un « héros », je me fais la remarque que, moi, en tant qu’enfant, je n’en n’aurais rien eu à faire que mon père ou ma mère soit un héros ou une héroïne et ait sa statue ou une rue à son nom. Car tout ce que j’aurais voulu, en tant qu’enfant, c’est que ma mère et mon père soient présents pour m’aimer, me conseiller, me protéger. Ce qu’une statue, un nom de rue ou des « Ton père était un héros, tu peux être fier de lui »/  » Ta mère était une héroïne, tu peux être fière d’elle » n’apportera jamais.

Si nos parents sont des héros, pourquoi sont-ils absents pour nous, lorsque nous sommes enfants puis adolescents ?

Dans les faits, ma mère et mon père sont encore vivants et autonomes. Ils vivent chez eux et non dans un EHPAD. Je ne suis pas orphelin alors que je suis aujourd’hui adulte. Cependant,  je ne comprends pas cette espèce « d’avidité » pour le sacrifice et le fait de devenir un héros/une héroïne en mourant au besoin.

Je parle « d’avidité » pour le fait d’être volontaire afin de se jeter de soi-même dans le vide. Lorsque personne ne nous le demande ou ne nous y oblige.

Alors que plusieurs de ces femmes militaires, d’elles-mêmes, demandent avec insistance à pouvoir partir se jeter dans l’action militaire alors que leurs mômes ont quelques mois, un an ou deux ans. J’ai le même raisonnement vis-à-vis des hommes militaires ou autres qui font un métier particulièrement risqué :

Tu es devenu jeune père. Pour qui te prends-tu à continuer à te croire si invincible lorsque tu pars à la guerre alors que ton enfant de quelques mois ou de deux ou trois ans ne te reverra peut-être pas car tu vas mourir là où tu pars, pour satisfaire ton appétence en adrénaline ?

La fierté est importante pour ces femmes ( et hommes) militaires. A plusieurs reprises, l’une d’entre elles évoque le fait que dans le regard des autres (la famille ou d’autres militaires), elles voient qu’elles ont changé de dimension et qu’elles suscitent fierté et admiration. Ou une certaine crainte.

Je n’ai rien contre la fierté ou le fait d’être un héros. Mes buts dans la vie ne se résument pas à être un lâche, à passer mon temps à fuir et à faire le récit de mes courses au magasin de surgelés Picard ou sur le marché d’Argenteuil.  Mais le prix que ces femmes et ces hommes sont prêts à payer pour leur adrénaline, pour être des héros, pour être fiers d’eux-mêmes, me parait trop élevé. Et il est en plus très difficile voire impossible de pouvoir tout bien concilier :

Etre des héros, être fier de soi, avoir son quota d’adrénaline, avoir une vie de couple ou de famille épanouie….

Aussi, leur engagement admirable dans l’armée me laisse malgré tout avec des doutes sur la façon dont elles et ils s’engagent dans leur humanité, leur façon d’être des êtres humains, mais aussi sur leurs réelles facultés et leur réelle volonté afin (re)devenir une femme, un homme, une mère, un père…dans la vie civile et par temps de paix.

Je crois que ces femmes vivent l’exceptionnel en tant que militaires mais qu’elles passent à côté de certains aspects de la vie qui sont tout autant exceptionnels.  Mais qu’elles l’ignorent car l’armée n’entraine pas à ça. Sauf si elles ont la chance de croiser certaines personnes dans l’armée qui sont suffisamment capables d’empathie, de clairvoyance ( il y en a) et qui leur font relativiser certaines de leurs certitudes acquises durant leur carrière.

Sauf si un burn out, un stress post-traumatique et/ou un divorce leur casse la route, ce qui arrive à deux ou trois d’entre elles au moins.

Mais je suis peut-être aussi dérouté par les choix de ces femmes  parce-qu’elles accordent avant tout une grande importance à leur carrière.

 

Faire carrière et prendre la décision parfaite

Ces femmes militaires sont d’indéniables compétitrices. Et lorsque l’on a un tempérament de compétitrice ou de compétiteur, on aspire sans cesse au meilleur. Et rien ne doit ou ne peut entraver notre parcours. Je me rappelle seulement ce matin ( nous sommes le 27 septembre 2025) alors que je complète cet article depuis sa publication hier, du film Volontaire réalisé en 2018 par Hélène Fillières dans lequel elle joue elle-même un rôle de femme militaire gradée. Un film qui m’avait beaucoup plu lorsque je l’avais vu au cinéma.

Dans ce film, Volontaire, l’actrice Diane Rouxel interprète la jeune Laure Baer qui donne tout pour réussir dans l’armée. Y compris se faire prescrire un traitement -en se servant de son copain « civil » qu’elle finit par quitter- pour bloquer ses règles. 

Dans l’esprit de ces femmes militaires rencontrées par Dorothée Olliéric, on est plus proche de cet état d’esprit ou de celui de l’actrice Jennifer Lawrence dans les films Hunger Games que du mien. J’ai un état d’esprit sans doute trop spontanément ou trop rapidement sentimental,  gogo-naïf et trop gentil envers autrui.

Cet état d’esprit- le mien- qui s’applique, autant que possible, à d’abord chercher à préserver l’autre et à faire le moins de mal  possible à autrui. A bien ou comprendre au mieux ses éventuels besoins. A s’assurer qu’il ou qu’elle va bien ou qu’il ou qu’elle est en lieu sûr avec des personnes de confiance avant de pouvoir m’adonner véritablement à ma quête personnelle. Soit un état d’esprit plutôt « maternant » conjugué avec un état d’esprit qui peut être  plus agressif,  froid, qui peut surprendre, dont on peut douter de l’existence,  car à l’opposé de ce côté  gentil, rassurant et maternant. 

Soit un état d’esprit ou une ambivalence ( chez moi) difficile à concilier, par moments, avec certaines compétitions et certaines situations où il faut d’abord penser à soi avant tout. Et être le plus rapide possible pour agir ou décider sans se préoccuper des conséquences ou des désagréments pour les autres ou notre entourage. Ces femmes militaires, de toute évidence, sont moins ambivalentes et moins tourmentées que moi devant ce genre de choix ou de dilemme. C’est peut-être ce qui nous différencie le plus psychologiquement, et ce qui fait d’elles des guerrières et des militaires « accomplies », des soldats ou des compétitrices plus que des « femmes » et  des « personnes ». Tandis que je persiste, moi, dans une espèce d’entre-deux tantôt rassurant et tantôt satisfaisant, tantôt insatisfaisant.  Entre être un soldat ou un compétiteur ou être une personne.

A ceci près que ces femmes militaires exercent sur des terrains de guerre en tant que soldats  au service de l’Etat français là où, moi, j’exerce par temps de paix, en tant que soignant également au service de l’Etat français mais dans la vie civile.

Si nous pouvons nous ressembler, ces femmes militaires et moi, les contextes dans lesquels nous avons à agir,  les moyens d’actions dont nous disposons et les buts que nous visons pour nos missions respectives sont différents. 

Mais il n’existe pas de décision parfaite. Il existe plutôt des choix et des conséquences que nous sommes prêts ou capables d’accepter.

Ou incapables.

Des conséquences que nous ne pouvons pas toujours prévoir ni maitriser.

Et,  j’ai sans doute eu besoin de lire ce livre pour continuer d’apprendre qu’il faut se faire confiance et donc apprendre à  moins tergiverser. Apprendre à accepter aussi l’irréparable comme l’inconcevable.  

Cette conclusion efface tout ce qui suivait ensuite dans cet article lors de sa première publication.

 

Franck Unimon, ce vendredi 26 septembre 2025 puis ce samedi 27 septembre 2025. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Confessions d’un homme hétéro ce 18 septembre 2025

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Je me réveille ce matin après être allé hier soir au théâtre avec une copine. Il se trouve que c’était l’anniversaire de cette copine. Je l’ignorais en commandant les places.

Le plus souvent, je sors seul. Je n’aime pas dépendre de la disponibilité des autres pour me rendre ou participer à certains événements que je tiens à vivre ou à connaître. Je n’aime pas dépendre, aussi, de leurs éventuelles réticences concernant le fait de se rendre à tel endroit, de tenter telle expérience ou pour se rendre à tel événement.

J’ai la prétention de croire que je suis plus apte à me rendre avec d’autres là où ils me proposent d’aller que l’inverse. Un ami m’a par exemple proposé d’aller à la fin du mois au concert de l’artiste Eivor. Une artiste que je ne connaissais pas. Je suis tout à fait capable d’y aller. Mais je sais que cet ami n’acceptera pas de se rendre au concert de Meiway où j’envisage d’aller.  Au moins parce-qu’il ne sait pas et n’aime pas danser. 

C’est une question de tempérament. Et, aussi, je crois, la conséquence d’avoir été, enfant, trop souvent, très souvent, enfermé, cloîtré. Et soumis.

Je crois que, enfant puis adolescent, j’aurais été ouvert et disponible à quantité de découvertes et d’apprentissages. Mais j’ai dû rester un certain nombre de fois à la place où l’on m’avait mis. Non dans un placard. Mais dans un appartement. Sur une terrasse de maison. Tel un meuble, tel un ou une domestique. Ou un toutou( ou une nounou) d’appartement.

Au 20 ème siècle, en région parisienne puis aux Antilles, une autorité familiale s’est chargée de m’inculquer ça. Et j’ai été un bon élève.

Le cloisonnement. La soumission. La peur lorsque l’on sort de ce que l’on « connait ». Le fatalisme. La méfiance vis-à-vis de l’autre. L’esclavage. Voir l’homme blanc et la femme blanche comme des racistes et des ennemis.

Je suis un homme hétéro mais, par bien des aspects, j’ai été éduqué comme une fille soumise et peureuse sous la contrainte et  aussi par solidarité.

J’ai été et suis sans doute resté par certains aspects un mec/fille soumise. C’est pour ces quelques raisons, je crois, qu’il est arrivé et qu’il peut arriver que l’on se demande si je suis un homme-eau.

Parce-que je ne m’affirme pas ou ne tiens pas obstinément  ou toujours à me montrer ou me rendre visible coûte que coûte au travers de certains types de comportements. De certaines façons de penser et de se comporter qui restent généralement gravées dans la mémoire comme étant spécifiquement « attribuées » aux hommes. Aux vrais  hommes comme il existe, aussi, des « vrais Antillais » :

Par exemple. J’ai de la force physique. Je suis plutôt sportif. Je contiens ou suis détenu par une certaine violence au moins physique.  Mais aussi une certaine violence morale et psychologique.

Une violence qui m’a été transmise dans certaines proportions avec un certain nombre de rappels.

Dès l’enfance, être capable de faire montre de bonne humeur, de faire bonne figure, être souriant ou rire, faire rire, être discret jusqu’à me faire oublier, ont sans aucun doute été mes premiers maquillages. Aussi, lorsque je vois des humoristes connus ou qui marchent très bien, surtout s’ils me touchent et me plaisent, instinctivement, j’essaie de flairer et de sonder la part de souffrance particulière qui se trouve en eux. C’est la raison pour laquelle j’ai été aussi touché par le décès récent de l’humoriste Bun Hay Mean. Même s’il m’amusait beaucoup, j’’avais sûrement « pressenti » qu’il n’était pas qu’un chinois marrant.

Mais concernant la violence dont je suis fait.  Je n’éprouve pas le besoin de faire savoir en permanence autour de moi que je « dispose » de cette violence. Ou de m’en servir pour intimider ou tenter de séduire. J’essaie plutôt de la museler, de la maitriser, de la comprendre et de l’apprivoiser là ou d’autres ont besoin de se montrer démonstratifs.

Mais cela est une attitude finalement assez peu masculine.

Parce-que lorsque l’on est un vrai mec hétéro, on montre ses couilles. On montre ou on tient à faire savoir autour de soi que l’on a des couilles ou le résultat de ses couilles :

On « a » un ou plusieurs enfants. Peu importe que l’on vive ou que l’on ne vive pas avec ses enfants. On les « a » faits. On a une copine ou l’on vit avec une femme. Ou on a une ou plusieurs maitresses. Ou on a des conquêtes et cela se sait ou se voit ou s’entend. Ou on a un avis sur les femmes ou certaines femmes qui fait consensus lorsque l’on discute entre mecs.

On a aussi de la gueule. On peut parler fort, menacer, sanctionner, dire ses quatre vérités. Taper du poing sur la table. Donner des ordres.

Pour faire mal, pour soumettre ou pour prendre du plaisir. Si on le veut. Quand on le veut.

Puisque l’on est très fort. Et, c’est ce que l’on est,  dans les grandes lignes, si l’on est un vrai mec hétéro.

Lorsque l’on est un vrai mec hétéro, on peut aussi faire du MMA. On regarde des combats de MMA, de boxe, d’un autre sport de combat ou des matches de Foot. Ou on le pratique à un très haut niveau.

 Et on en parle. On le fait savoir. On ne passe pas son temps, comme moi, à écrire ses confessions ou dans un blog. On ne passe pas son temps à faire de l’introspection sauf lorsque ça fait bien durant quelques secondes dans une vidéo ou l’on nous voit en train de « méditer » avant de partir au combat ou à l’entraînement.

On ne passe pas son temps à se branler la tête. On fait. On agit. On n’est pas là pour discuter. Droit au but.  On est des hommes d’action. Des guerriers. Des militaires. Des Samouraï. Des sangliers qui n’ont pas peur dans le désert….

J’aime regarder les matches de boxe, des vidéos de sports de combat. J’aime aussi apprendre et pratiquer les sports de combat ou les Arts Martiaux. Je prends plaisir à regarder des vidéos de Greg MMA, Skarbowsky, Léo Tamaki, Youssef Boughanem et d’autres. J’aime regarder leurs démonstrations, écouter leurs propos. Acheter et lire certains ouvrages relatifs au combat, aux Arts Martiaux mais aussi au sport dans son ensemble.

J’ai beaucoup aimé la lecture de Le sens du combat de Georges Saint Pierre. Je suis resté marqué par la lecture, il y a plusieurs années, de Déclassée par l’ancienne joueuse de Tennis française Cathy Tanvier.

Et je constate bien, depuis que j’ai changé d’établissement professionnel, que j’ai moins de disponibilité pour apprendre à « faire » du combat, des arts Martiaux ou tout simplement du sport en raison de mes horaires de travail depuis. Pour écrire. Pour être un peu plus avec ma fille et sa mère. Pour vivre pour moi.

Et ça m’enferme et me frustre.

J’ai l’impression d’être beaucoup trop à la disposition de mon nouveau service. Un service stimulant, prestigieux, formateur ou j’y fais des bonnes rencontres et des bonnes expériences mais à un prix que je trouve élevé pour mon temps personnel.

J’ai l’impression d’être trop dans mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie.

Donc, cette sortie au théâtre hier soir dans Paris était d’autant plus bénéfique et importante pour moi.

C’était du temps pour moi.

Hier soir, nous sommes allés au théâtre de l’Atelier, à Paris dans le 18ème afin de voir l’adaptation théâtrale du dernier livre d’Ovidie paru il y a quelques mois :

La Chair Est Triste Hélas ! .

J’ai déjà parlé dans un précédent article  ( rédigé hier La Chair est triste, hélas ! un livre d’Ovidie) de mes impressions après la lecture de ce dernier ouvrage d’Ovidie.

Dans cet article, je ne vais pas parler de mon expérience de spectateur hier soir, devant la comédienne Anna Mouglalis. Je le ferai dans un autre article. Car j’essaie, ici, de faire un article court.

Je remarque qu’avec le développement des réseaux sociaux a aussi pu se développer une appétence pour « regarder », « voir » et « savoir » ce que untel a fait ou dit. Il a pu se développer aussi une certaine consommation, en tant que spectateur, de toutes formes de violences, de destruction.

On pourrait penser que « nous » sommes désormais capables de tout voir, de toute entendre et de tout comprendre puisque nous avons toutes ces informations à disposition en permanence. Et que ces informations deviennent très banales à force d’être diffusées 24 heures sur 24.

Sauf qu’il y a ou peut y avoir un gros décalage entre la quantité d’informations que l’on reçoit et la qualité de nos capacités de compréhension et de prise de conscience :

Des gens sont prêts à voir du MMA que ce soit en direct ou à la télé comme récemment lors du dernier combat que le combattant Benoit St Denis a gagné. Des gens sont prêts à aller s’entraîner pour pratiquer du MMA. A se prendre des coups et en donner.

Par contre, je me figure ce matin que très peu de ces partisans et pratiquants du MMA ou d’un autre type de pratique d’affrontement physique pourtant durs au mal et courageux, mais surtout, déterminés, se rendront au théâtre pour venir voir une comédienne interpréter le texte du dernier ouvrage d’Ovidie.

Ces hommes de combat, qu’ils soient dans l’octogone, sur le ring, sur le tatamis ou au Pao, ou spectateurs de ces combats ne parviendront pas jusqu’à cette salle de théâtre pour écouter et recevoir dans la tête ce que Ovidie a pu écrire et dire.

Parce-que, pour eux, il n’y a pas assez d’action. Pas assez d’adrénaline.

Parce-que c’est trop dur pour ces combattants. C’est trop dur à digérer. C’est trop dur de devoir accepter de ne pas avoir le premier rôle. C’est trop dur de devoir se dire qu’ils ne sont pas toujours très beaux , ni les plus performants malgré leurs abdos, leur extraordinaire condition physique, leur capacité à péter un bras ou des cervicales.

C’est trop dur de ne pas avoir un adversaire tout désigné. Un adversaire à qui on a le droit de casser la gueule parce qu’il est le coupable du crime ou délit. Soit parce qu’il a été volontaire pour affronter un autre adversaire. Ou parce-que sa tête ne nous plait pas. Ou parce qu’il nous a cherché et provoqué.

Lors d’un match de Foot, lorsqu’il y a deux équipes, on peut choisir son camp. C’est très simple et très binaire. Lors d’un combat de MMA, c’est pareil. Deux adversaires. Il y a en un que l’on aime et un que l’on aime moins.

Dans la vraie vie, on ne peut pas faire tout à fait pareil même si on peut en avoir très très envie et que lorsque cela arrive, il existe un risque  que l’on ait à en assumer les conséquences. Car on n’est plus spectateur. Et le carton rouge ou le carton tout court peut être pour nous. 

Dans une simple relation humaine, beaucoup de ces combattants méritants, acharnés, sont plutôt désarmés. Car même si cela peut faire très mal et blesser de prendre les coups physiques d’un adversaire lors d’un combat, l’entraînement répété et préalable au combat ou au match nous y prépare un minimum.

Il n’existe pas d’entraînement aussi performant pour avoir une relation, une vraie relation, avec quelqu’un d’autre. Une relation, prendre sur soi, se montrer patient,  optimiste, détendu, écouter, accepter d’être contredit, c’est beaucoup plus difficile à pratiquer qu’une clé de bras, un coup de genou ou un crochet que l’on va finir par incorporer à force de répétitions.

Si je m’en étais strictement tenu à mes codes et à mes habitudes hétéros, hier soir,  je ne serais pas allé voir la représentation théâtrale du dernier livre d’Ovidie avec une copine. Je serais allé prendre une bière dans un bar ou au restaurant « entre mecs ». Pour parler de la vie et du monde à la façon des mecs. Ou je serais peut-être allé faire du sport et transpirer. Qu’il s’agisse d’aviron ou d’un sport de combat. Ou je serais peut-être allé au cinéma ou aurais passé mon temps à scroller sur mon téléphone portable.

Etre allé hier soir au théâtre ne fait pas de moi un homme extraordinaire. Et puis, je ne suis pas féministe. J’ai pu ou je peux avoir des comportements, des pensées ou des propos envers des femmes que l’on pourrait considérer comme déplacés ou inadaptés. Mais j’essaie de faire de mon mieux.

J’ai bien sûr aimé ma soirée d’hier soir. Même si je regrette un peu d’y être allé en étant « prévenu ». En ayant lu le livre d’Ovidie auparavant.

Je continue de penser que ma fille est trop jeune pour l’emmener. Je crois qu’en tant que père, il me revient de la préparer à certains sujets afin qu’elle en prenne conscience. Je n’ai pas envie « d’attendre » qu’elle se heurte à certaines situations pour qu’elle doive, seulement après coup si cela est encore possible, apprendre à y parer. Mais il me semble néanmoins qu’il aurait fallu qu’elle ait au moins 14 ou 15 ans pour être présente avec nous dans la salle hier soir. Elle ne les a pas.

Par contre, depuis ce matin, je pense y retourner avec ma mère qui, elle, a un petit peu plus que 14 ou 15 ans.

 

Franck Unimon, ce jeudi 18 septembre 2025.

 

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Puissants Fonds/ Livres

La Chair est triste, hélas ! un livre d’Ovidie

La Chair est triste, hélas ! un livre d’Ovidie

Nous sommes faits de défaites.

 De défaites relationnelles, émotionnelles, affectives, cognitives et charnelles.

Certaines de ces défaites nous servent d’amphéts et nous galvanisent pour le meilleur par la suite.

Mais nous n’échappons pas aux règles du casting. Nous sommes quelques fois retenus pour des rôles dont beaucoup d’autres seront privés. Et d’autres fois, c’est nous qui choisirons le mauvais rôle ou qui interprèteront mal celui qui nous est apporté ou réservé.

Ce soir, j’irai voir avec une copine, plutôt sur ma proposition, l’adaptation théâtrale du livre La Chair est triste, hélas !d’Ovidie par Ovidie avec l’actrice Anna Mouglalis.

Un livre dont j’avais oublié la commande. Et que j’ai récupéré il y a quelques jours par hasard avec d’autres livres à la librairie qui me « connaît » bien dans la ville où j’habite.

Un livre que j’ai lu rapidement. Je m’attendais à un livre plus long et plus difficile à lire et à comprendre.

Deux hommes ou deux personnes au moins en moi rédigent cet article. J’espère qu’il sortira le meilleur de ces personnes qui me composent à parler de ce dernier livre d’Ovidie.

Il m’a été très facile de comprendre en le lisant que je suis l’ennemi d’Ovidie et de beaucoup de femmes. Puisque je suis un homme standardisé qui, depuis l’enfance, a été entraîné à détraquer la météo des femmes qui l’environnent.

Un homme hétéro de plus qui va raconter qu’il aime les livres, qu’il sait qu’Ovidie a pu être actrice porno il y a longtemps mais qu’il n’a jamais vraiment regardé un seul des films concernés.  Qu’il n’accorde pas ou plus beaucoup d’importance à ce qui a trait à la pornographie, cette anthropophagie des chairs qui s’exerce au moins sur écran. Et que, de temps à autre, il suit/je suis ce qu’elle et d’autres figures féministes peuvent dire, faire ou écrire.

Cependant, je ne suis pas féministe. Je tiens régulièrement à le rappeler.

Je n’aspire pas à passer pour un homme attentif, particulièrement ouvert, évolué ou émotionnellement très intelligent.

Je ne suis pas plus intelligent qu’une autre ou une autre. Je suis plutôt psychorigide à plus d’un titre. Je crois que les personnalités féministes comme Ovidie décryptent des faits, assurent des témoignages qui m’obligent à voir et à apprendre, peut-être à comprendre, ce qui ne va pas dans les relations inter-humaines entre les femmes et les hommes et entre divers genres de personnes et de personnalités.

Mais je crois aussi qu’il ne faut pas toujours suivre à la lettre tout ce que peuvent dire les féministes aussi rigoureuses et brillantes soient-elles dans leurs recherches, leurs observations et autres.

J’ai bien sûr eu ou ai certains des travers masculins décrits pas Ovidie et d’autres. Il serait vain d’essayer de le nier. Car les seuls moyens que je peux imaginer pour échapper à ces travers « masculins hétéros » est d’être mort, d’avoir été éduqué depuis ma naissance et de vivre peut-être dans une autre société, une autre époque et une autre culture que les nôtres ( j’ai deux cultures, une française et une antillaise) , d’être une femme ou de faire partie des minorités trans ou homosexuelles. Ces moyens ne font pas encore partie de mes projets conscients.

Et, je ne crois pas que si je m’adonnais à une espèce de catéchisme féministe consistant à réciter des propos, des actions et des pensées apprises par cœur, même avec la sincérité d’un enfant de chœur, que cela suffirait à faire de moi un homme beaucoup plus fréquentable et plus bienveillant envers les femmes. Je ne crois pas que cela ferait de moi un homme plus désirable ou plus admirable que je ne le suis. Cela m’enfermerait ou m’immobiliserait tout simplement dans un autre carcan ou dans la caricature d’une certaine normativité en « échange » du carcan et de la caricature de normativité dans lesquels je suis sans aucun doute installé depuis des années mais dont j’apprends peut-être à mieux percevoir les trompe-l’œil et les impasses à mesure que je « m’informe » et fais certaines rencontres.  

Je crois que comparativement à mes grands-mères ou même à ma mère, que les femmes éduquées comme Ovidie et d’autres féministes nées après Simone de Beauvoir, après la loi Simone Veil pour l’avortement, sont à la fois plus autonomes, peut-être plus « indépendantes », et aspirent à d’autres idéaux relationnels et d’autres formes d’engagement personnel avec les hommes qu’elles aiment et désirent ou sont capables de désirer.

Je peux écrire ça autrement : Récemment ou peut-être en ce moment, on peut apercevoir une vidéo de quelques secondes de l’actrice Salma Hayek, presque 60 ans, en maillot de bain deux pièces. Salma Hayek a toujours été une très belle femme dès son rôle dans le film Desperado réalisé en 1995 par Robert Rodriguez il y a…30 ans !

Il est évident ou a sûrement toujours été évident que Salma Hayek, jeune femme issue d’un milieu social plutôt bourgeois qui a pu être scolarisée dans des très bonnes écoles au Mexique, pays dont elle est originaire, n’allait pas se contenter pour mari d’un ébéniste qui vit dans la Nièvre ou d’un éboueur qui travaille dans la ville d’Argenteuil aussi sensibles et féministes soient-ils tous les deux.

Et, je constate, coït et coïncidence, que François Pinault, milliardaire et homme d’affaires français, un des hommes les plus riches du monde,  son mari, n’est ni ébéniste ni éboueur si j’ai été bien renseigné. Mais il est sûrement obstinément très féministe.  

Beaucoup d’hommes hétéros se révèleraient, du reste, très féministes avec Salma Hayek, tout au moins au début….

Je crois que bien des idéaux des femmes féministes se heurtent à des défaites diverses. Mais aussi que le fait d’être des personnes et des femmes brillantes ne les dispensent pas de faire des erreurs comme celle, je trouve, de régulièrement oublier que dans une relation, l’autre ne peut pas toujours nous suivre, être au diapason de nos sensations, deviner et prévoir avant nous ce qui nous transfigurera.

Une autre erreur, à mon avis, consiste à croire en l’égalité. Je sais qu’en France, on est supposé  vivre dans le pays de la Liberté, Egalité, Fraternité.

L’ égalité.

Ovidie souhaiterait qu’il y ait davantage d’égalité entre les femmes et les hommes. Je comprends qu’elle – et d’autres- en parlent au vu d’un certain nombre d’inégalités dans le monde.

Toutefois, après quelques années d’expériences tant personnelles que professionnelles, et je ne me focalise pas ici sur les relations femmes/hommes, je me dis qu’il existe et peut exister des moments d’égalité. Mais je ne crois pas à une égalité constante et permanente entre les êtres humains. D’abord, s’il existe des règles et des lois pour cela, c’est que l’être humain a besoin d’être encadré régulièrement pour qu’il y ait une forme d’égalité ou d’attention à ce qui l’environne. Ensuite, ces lois et ces règles ne sont pas toujours respectées pas toutes et tous. Que ce soit dans l’intimité, dans la vie sociale et familiale mais aussi dans notre vie professionnelle et amicale.

 

Je crois donc plus à une complémentarité entre les personnes avec des moments d’égalité dans les mesures de la légalité, lorsque cela est possible,  qu’à une égalité effective et irréversible entre les femmes et les hommes. D’autant que j’ai plutôt l’impression que chez l’être humain, l’extrême est la norme. L’être humain, spontanément, me paraît très modestement inspiré par la modération.

Je n’en suis pas encore à affirmer, comme je l’ai lu,  dans le journal Libération je crois, que le livre d’Ovidie ou son adaptation théâtrale est « un plaidoyer peu nuancé ». Par contre, le contenu de son livre est plutôt extrême. Aussi argumenté et documenté soit-il.

Nous restons des êtres limités quelles que soient nos volontés et notre potentiel supposé. Et, cela, nous avons tous, à un moment ou à un autre à l’accepter. Et les femmes féministes, Ovidie l’admet elle-même pour elle à un moment dans son ouvrage, ne sont pas du tout dispensées de certains travers qui, s’ils étaient le fait des hommes passeraient au minimum pour de l’indélicatesse, de l’égoïsme, de l’inhumanité ou de l’inélégance. Et, je repense maintenant à l’ouvrage autobiographique de l’écrivaine Maryse Condé, une femme plutôt pionnière, indépendante, admirable et combattive. Dans La vie sans fards Maryse Condé raconte aussi ne pas avoir toujours été une femme très exemplaire d’un point de vue relationnel et moral vis-à-vis d’un de ses maris.

Mais comme beaucoup d’hommes, on aura remarqué que je suis surtout très autocentré. Car j’ai déjà beaucoup plus parlé de moi que du livre d’Ovidie.

L’ouvrage d’Ovidie parle aussi évidemment de ce carcan et de cette caricature de la femme dans lesquelles, elle, ne supporte plus d’avoir été cloisonnée, engourdie, « brûlée » et maltraitée avec son consentement pendant des années pour plaire aux hommes.

Aux hommes hétéros.

On peut donc dire que son livre est un coming out. Celui d’une femme qui n’en peut plus de s’astreindre à certains critères de la féminité désirable pour les hommes hétéros. Celui d’une femme qui a refusé de continuer de participer aux sprints et aux castings de la séduction selon les critères normatifs et violents de la gente masculine hétéro.

. Sur le livre acheté,  j’avais lu le commentaire suivant :

« Eléctrisant ».

Ce livre convie peut-être en effet beaucoup d’hommes à se rendre d’eux-mêmes à la chaise électrique. Il existe peut-être un pays ou une région qui s’appelle « Chaise électrique réservée aux hommes » où il convient de se rendre par le premier vol en classe affaires en tant qu’homme hétéro.

Je le comprends seulement maintenant. Sauf que Ovidie ne nous donne pas d’indications précises concernant le lieu exact où se trouve le pays ou la région de la « Chaise électrique – émasculatrice- réservées aux hommes ».

« Avant », quand Ovidie était encore gentille, avant la rédaction de ce livre, peut-être nous l’aurait-elle dit. Mais, là, elle ne nous dit rien à ce sujet. Elle est peut-être en train d’y réfléchir sérieusement et nous en parlera, je l’espère, dans son prochain livre.

De mon côté, je comprends seulement maintenant cette invitation à la chaise électrique sans doute parce qu’on me l’a « soufflée ». Ou parce-que je me la suis auto-suggérée.

Peut-être parce-que cette nuit, j’ai fini de regarder la série La Flamme co-créée par l’acteur Jonathan Cohen et qu’à la suite, presque subitement, j’ai eu besoin de lire les trois quarts du livre L’ Affaire Alexia Daval ( La vraie histoire). Un livre que j’avais emprunté depuis plusieurs semaines et dont j’avais repoussé la lecture, intrigué par la persistance de mon « attrait » pour ce qui a trait à la criminologie dans son ensemble. Au lieu de lire des ouvrages fictionnels, légers. Ou féministes.

Mais la série La Flamme et ce livre sur l’affaire Alexia Daval donnent des portraits des hommes qui confirment le principal du livre d’Ovidie.

D’un côté, on a un homme crétin, irresponsable, mégalomane, borné, intolérant, violent et dangereux. De l’autre, un homme selon moi plus proche du profil d’un « Mr Ripley » qui a fait tout son possible pour coller à l’image du gendre et de l’homme idéal en s’en révélant « incapable » dans l’intimité.

Peut-être aussi parce qu’il ( Jonathan Daval) ignorait que cela était tout simplement impossible. Car, dans la vraie vie, on ne peut pas coller très longtemps avec l’image de l’homme parfait, original ou idéal comme dans les films ou…les contes de fée.

Alors que j’écris cet article avec deux hommes ou deux parties en moi, et malgré mes limites, j’espère ne pas être un mix de ces deux hommes, le personnage interprété par l’acteur Jonathan Cohen dans La Flamme et…Jonathan Daval, l’homme qui a assassiné sa femme Alexia fin octobre 2017.

 

L’autre homme en moi :

L’autre homme en moi ( peut-être l’homme-eau après l’homme-terre et l’homme-air)  ne voit pas dans le livre d’Ovidie un scalpel ou un tesson de bouteille. Mais plutôt un appel à l’aide ou un message glissé dans une bouteille de lettres.

D’une façon ou d’une autre, je crois que Ovidie ne pouvait être que « triste » car elle entretient, à mon avis, une certaine attitude d’absolu et de perfection qui la rend captive.

Il y a dans son titre La chair est triste, hélas !  un « regard » métaphysique.

Elle a dépassé ou semble avoir dépassé les illusions des promesses de la chair.  Celle-ci a échoué à lui convoyer l’extase mystique ou spirituelle à laquelle elle aspire.

Ou, en tout cas, les hommes qu’elle a aimés ne l’ont pas convaincue que son épanouissement personnel pouvait véritablement passer par le corps. Un corps, son corps, qui est un vaisseau dont elle entend en quelque sorte moins dépendre selon les critères qui conviennent et plaisent aux hommes. Puisque tous les efforts- les sacrifices- et les souffrances auxquelles elle a pu consentir afin de permettre aux vaisseaux de son corps d’être conformes aux goûts et aux exigences de ses hommes hétéros ne lui ont pas autorisé le voyage existentiel qu’elle espérait ou qu’elle attend.

Sa quête d’absolu, dans son livre, s’exprime quand elle évoque à deux ou trois reprises sa tentation ou son envie de vivre comme les religieuses. Ou son attirance pour le suicide.

Une expérience de vie qu’elle fera peut-être. Une envie que je peux comprendre. Et je pense alors à des films comme La Bonzesse réalisé par François Jouffa en 1974 pour partir de l’érotisme. Ensuite, je pense à plusieurs films du réalisateur Bruno Dumont qui parle du rapport à la foi tels Hadewijch, Hors Satan ou même L’Empire.

 

Néanmoins, je crois que Ovidie idéalise – il me semble que c’est le propre de beaucoup de féministes d’être aussi plus ou moins idéalistes/irréalistes- les religieuses et leur vie en communauté.

En effet, le monde des sœurs religieuses est aussi un monde violent. Les sœurs religieuses ne sont pas que des bonnes sœurs entre elles même débarrassées en principe de l’acte de la pénétration phallique et du viol masculin.

Je me rappelle encore du témoignage d’une des personnalités féminines interrogées par la journaliste Léa Salamé dans son livre Femmes puissantes. Cette personnalité relatait son amertume à propos du sadisme de certaines sœurs religieuses qu’elle avait pu connaître plus jeune.

Et puis, affirmer que les religieuses sont toutes bienveillantes entre elles reviendrait à croire que toutes les femmes mais aussi toutes les féministes sont bienveillantes et solidaires entre elles.

 

Si je suis bien obligé de reconnaitre que l’homme est généralement le plus grand prédateur et profanateur de la femme, je n’oublie pas que les dictateurs ont des épouses et qu’elles s’en portent généralement très bien. Je n’aimerais pas être sous les ordres de ces femmes ou être à leur merci d’une façon ou d’une autre.

Je n’oublie pas non plus qu’une Monique Olivier a fidèlement et « brillamment » servi de rabatteuse mais aussi d’assistante à son mari ou compagnon Olivier Fourniret violeur et tueur en série de jeunes mineures.

Je n’oublie pas non plus qu’ailleurs certaines femmes adultes ont assez peu de scrupules à attirer des jeunes femmes naïves et vulnérables dans des réseaux de prostitution.

Suicide et décès

Epuisée et découragée dans sa quête d’Amour et d’égalité avec les hommes hétéros, Ovidie suggère aussi son suicide.

 On « sait » qu’il arrive qu’un certain nombre de personnes en arrivent un jour à cette conclusion sans que les proches ou l’entourage ne puissent l’empêcher. J’espère donc qu’Ovidie  trouvera néanmoins l’apaisement sans avoir « besoin » de se tourner vers le suicide ou la destruction physique de sa personne.

Et le fait qu’elle « pose » la question du suicide, de son suicide, sur la table, cela me rappelle d’autres suicides et morts de personnalités publiques qui m’ont marquées et dont j’avais très peu parlé jusqu’alors tant par écrit qu’oralement. Car je ne voyais pas avec qui je pouvais le faire. Qui, dans mon entourage tant professionnel que personnel aurait pu comprendre ma « peine » pour ces suicides et ces morts de personnalités publiques que je n’ai jamais rencontrées mais dont ce que j’avais aperçu d’eux, sur des écrans ou dans des lignes m’a concerné particulièrement d’une manière ou d’une autre.

Je pense d’abord au suicide en 2005 à 32 ans de l’ex actrice porno Karen Lancaume, un des premiers rôles du film Baise-moi sorti en 2000 et adapté du livre de Virginie Despentes par elle-même et Coralie Trinh Thi. Le seul livre que j’ai lu à ce jour de Virginie Despentes. J’avais vu le film au cinéma à sa sortie et l’avais bien aimé. J’avais aimé qu’il nous montre autre chose que ce à quoi on était habitué dans bien des réalisations françaises. 

J’avais trouvé que Karen Lancaume jouait très bien dans le film. J’avais été ensuite touché d’apprendre des bouts de sa vie personnelle et affective sur le net. 

J’ai été touché par le décès à 42 ans de l’actrice Katrin Cartlidge en 2002 dont le rôle de call-girl dans le film Claire Dolan réalisé en 1998 par Lodge Kerrigan m’avait marqué. 

Touché aussi par le décès par suicide en 2003 de l’acteur Leslie Cheung à 46 ans. Si ses rôles dans les films de John Woo et Wong-Kar Wai comptent, sa prestation dans Adieu ma concubine réalisé par Chen Kaige en 1993 est inoubliable.

Touché par la mort de Sotigui Kouyaté en 2010 à 73 ans et dont le rôle de père à la recherche de son fils tué dans un attentat terroriste dans le film London River réalisé par Rachid Bouchareb en 2009 ne m’a pas déserté. 

Touché par la mort de l’acteur Marcelo Mastroianni en 1996 à 72 ans. 

J’ai été très très touché par la mort de l’humoriste Bun Hay Mean ce 10 juillet 2025 à l’âge de 43 ans. 

Il n’y a pas que des suicides dans ces fins mais il s’agit de morts « publiques » dans lesquelles on peut piocher ou trouver un peu de soi pour des raisons diverses. Il est d’autres morts privées ou publiques qui m’ont bien sûr affecté. On ne peut pas toutes les lister. Mais certaines morts peuvent aussi servir de boucliers pour divertir et détourner certains élans qui nous poussent, par moments, davantage vers l’abattement que la vie. Et, je souhaite à Ovidie, comme à d’autres, qu’elle trouve ou retrouve l’inspiration à même de la sortir de ce genre d’élans dépressifs ou mortifères. 

Plaie et gouffre

Car, par ailleurs, je trouve qu’elle a encore du mal à cicatriser de son « passé » ou de son « vécu » d’actrice porno. Si elle ne le regrette pas comme elle l’écrit, je constate néanmoins que ce passé exerce sur elle l’attrait du gouffre ou de la plaie qu’elle ne peut s’empêcher fréquemment de regarder ou de gratter alors, qu’à mon avis, mais je ne suis pas dans sa peau bien-sûr, elle s’attarde plus et trop sur ce passé que ne le font véritablement celles et ceux qui se réfèrent à cela.

Parler de la « peau » de Ovidie me rappelle aussi le film Dans ma peau de et avec Marina De Van réalisé en 2002…. 

Néanmoins, bien-sûr, comme Ovidie le dit dans son livre, il se « trouve » des hommes ( ou peut-être des femmes) contents de pouvoir se vanter ensuite de l’avoir ajoutée sexuellement sur leur tableau de chasse.

Je plains ces hommes qui mettent leur vie ou leur « valeur » dans cet acte. Comme je peux plaindre d’une façon générale les personnes qui se contentent uniquement de tirer des coups. Mais peut-être, qu’ici, je deviens ici de plus en plus moralisateur.

Mais la Morale, ou une certaine morale, est une toile d’araignée qui souvent nous entoure ou nous sert d’écharpe autour du cou même lorsqu’on l’oublie ou qu’on ne la voit plus. Car on s’y habitue à force d’y être exposé.

Par ailleurs, il faut se rappeler qu’à une époque et dans certains pays, on jugeait d’ailleurs moralement très durement ou l’on condamnait moralement une femme parce-qu’elle n’était plus vierge. Parce-qu’elle avait déjà couché ou parce-qu’elle avait déjà des enfants. C’est quand même moins vrai maintenant en France et dans d’autres pays. Mais ça dépend pour qui. Et quand.  

Mais je suis  sûr qu’il existe des hommes qui ne se bornent pas et ne bornent pas Ovidie à son court passé d’actrice porno/travailleuse du sexe d’il y a plus de vingt ans.

J’avais cru comprendre il y a quelques années que l’ancienne actrice américaine de porno Traci Lords, mineure au début de sa carrière, avait par la suite fait un mariage heureux. Celle-ci ne m’a pas donné de ses nouvelles récemment mais si « Traci »  a pu faire un mariage heureux, je ne vois pas pour quelle raison cela serait impossible pour une Ovidie. A condition, bien-sûr, qu’elle parvienne à surmonter certaines contradictions que je trouve assez courantes chez les femmes féministes. Comme s’attacher à des « machos hyper-virils » comme le reconnait Ovidie elle-même dans son livre.

Il y a peu, en scrollant, je crois, je suis tombé sur quelques secondes d’une émission où se trouvaient la chanteuse Theodora ( 22 ans), très en vogue en ce moment, et l’actrice Ludivine Sagnier (46 ans) qui a été durant un certain temps ( il y a environ vingt ans maintenant ou un peu plus) la petite préférée du cinéma d’auteur français chez François Ozon par exemple.

Je ne sais pas si Theodora est déjà mère. Par contre, je « sais » que Ludivine Sagnier a eu au moins une fille lorsqu’elle était en couple avec l’acteur Nicolas Duvauchelle.

Dans l’émission, l’animatrice ou la journaliste a demandé à Theodora quel était son homme idéal. Grand sourire de Theodora très jolie, bien maquillée, bien coiffée ( tous ces efforts qu’Ovidie, 45 ans, mère d’une fille,  ne peut plus voir en peinture depuis quatre ans maintenant)  avant de répondre.

Voici ce dont je me souviens de la réponse de Theodora :

« Un homme aux p’tits soins, mystérieux, qui est passionné lorsqu’il parle de ce qu’il aime et un peu macho ( ou viril, j’ai oublié) ».

A côté d’elle, tout sourire, Ludivine Sagnier a alors dit :

« On dirait qu’elle parle de mon mec… ». Theodora, se tournant alors vers Ludivine Sagnier lui a alors répondu en souriant/riant :

« Oui, mais je vais me le garder pour moi ! ».

Je crois que je n’avais pas encore lu le livre d’Ovidie, La chair est triste, hélas ! avant de tomber sur ces images et ces propos. Mais en voyant et en écoutant Theodora et Ludivine Sagnier, je me suis dit qu’il n’y avait pas que les hommes qui devaient « changer », ou « évoluer ».

Je vais ici prendre le « risque » modéré d’écrire, qu’à mon avis, jamais une femme qui a le profil d’une Theodora, une Ludivine Sagnier, une Salma Hayek, Une Maryse Condé, ou une Ovidie, lorsqu’elle a entre 20 et 40 ans, soit cette période de la vie où, comme l’avait dit Jeanne Moreau une femme peut avoir « la beauté du diable » n’aurait pris pour amant ou compagnon un mec comme moi lorsque j’avais leur âge ou cet âge-là.

Car même si je crois être un peu plus attractif que les personnages joués par Philippe Harel et José Garcia dans l’adaptation cinématographique du livre Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq, même si je crois avoir toujours été sans doute moins terne et moins soumis qu’un Jonathan Daval à une certaine orthodoxie de la « normalité » sociale, je n’ai jamais fait partie  et je ne ferai jamais partie du cercle, du périmètre et du carcan où une Theodora, Ludivine Sagnier, une Ovidie et d’autres féministes posent leur regard lorsqu’elles sont en état de désirer un homme. Ou une femme.

Et je ne crois pas être plus responsable ou avoir été plus responsable de ce cloisonnement relationnel et affectif que toutes ces femmes. A moins de considérer que j’aurais dû bousculer les hiérarchies, les codes, les usages, les règles, faire tomber les cloisons, m’imposer d’une manière ou d’une autre. Et, dans ce cas, on ne peut pas vraiment parler d’égalité.

Car s’il faut faire cela pour se faire remarquer et que cela marche ou a marché, pourquoi ensuite s’arrêter à plaire à une Theodora, une Ludivine Sagnier, une Ovidie, une Maryse Condé, une Salma Hayek, une Mona Chollet, une Victoire Tuaillon ou d’autres ?

Mais ce soir au théâtre, pas plus que d’autres fois, je ne ferai tomber de cloisons ou ne chercherai à m’imposer en particulier. Je resterai sans doute à ma place comme d’autres fois tel un poisson rouge dans son bocal et sans doute comme beaucoup trop de fois. Parce-que, malgré mes travers, je suis surtout un garçon poli, patient, obéissant, finalement très scolaire et plutôt gentil malgré certaines de mes bizarreries.

 

Ce soir au théâtre

Ce soir, au théâtre ou nous nous rendrons physiquement, avec la copine dont j’ai appris tout à l’heure que c’est l’anniversaire aujourd’hui, nous serons dans les premiers rangs.

C’était les places les plus pratiques qui restaient. Je prends peut-être le risque, à un moment donné, d’être un peu pris « pour exemple masculin » lorsque l’actrice Anna Mouglalis sera sur scène.

Je me demande aussi s’il y aura beaucoup d’hommes dans la salle et où ils seront placés. A mon avis, ils éviteront d’être aux premiers rangs.

 Mais je m’avise aussi que l’on peut « jouer » ce livre sur scène en France alors que dans d’autres pays, ce serait impossible. C’est peut-être bon signe.

Concernant l’actrice Anna Mouglalis, je me souviens surtout d’elle dans les films Romanze Criminale et J’ai toujours rêvé d’être un gangster. C’était en 2007-2008 pour ce dernier film.

Depuis, la voix de Mouglalis est entrée dans l’empire des graves. Je me demande ce que cela me fera de l’entendre dire le texte d’Ovidie sur scène.

Je crois avoir utilisé le meilleur préservatif mental possible en lisant le livre d’Ovidie auparavant.

Il me sera impossible ensuite de discuter telle quelle de cette pièce avec ma fille, encore trop jeune. Et, je ne vois pas non plus ce que je pourrais raconter de cette pièce à ma compagne et mère de ma fille au vu de ses convictions et de sa pratique religieuse catholique survenue sur le tard que je vois comme plutôt bigote.

Je suis donc plutôt content d’aller « voir » ça avec une copine. Autrement, j’y serais allé seul. Bien-sûr. 

 

Franck Unimon, mercredi 17 Septembre 2025.

 

 

 

 

 

 

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Voyage

La Cité de la voile Éric Tabarly-Lorient visite guidée juillet 2025-deuxième partie

 

Port de Keroman, Lorient, près de la cité de Voile Eric Tabarly, juillet 2025. Photo©Franck.Unimon

La Cité de la voile Eric Tabarly-Lorient visite guidée juillet 2025- deuxième partie

Une ville n’est pas un bateau. Une ville, contrairement à une vie, ne prend pas le large. ( cet article est la suite de l’article Lorient visite guidée juillet 2025-première partie ).

Port de Keroman, Lorient, juillet 2025. Près de la Cité de la voile Eric Tabarly. Photo©Franck.Unimon

Sous diverses conditions, on s’amarre à une ville, à une commune ou à un village. Qu’on y fasse bonne fortune ou non, c’est plus ou moins un container dans lequel on se fait enterrer ou que l’on quitte pour un autre.

Entrée de la Cité de la Voile Eric Tabarly, juillet 2025. Photo©Franck.Unimon

 A la cité de la voile Eric Tabarly, nous avons appris qu’il se trouve 66 mers et 5 océans sur Terre. Depuis que j’ai appris ces chiffres, j’ai un peu essayé comme on peut jouer avec des dés et des idées, d’imaginer ce que pourrait être un monde « fait » par exemple de 1000 mers et 60 océans. Comment celui-ci serait habité et si nous y aurions exactement la même existence que maintenant.

Contrairement à d’autres, pour l’instant, je ne suis pas allé très loin dans mon scénario. Car il me manque quelques pièces, connaissances et expériences.

Parce que, surtout, je suis encore retenu par la croyance très courante parmi les coléoptères urbains qu’il me faudrait absolument tout connaître des éléments comme des instruments de mesure et avoir la carte de navigation- ou de gravitation- la plus complète possible pour partir.

Parce-que depuis cette visite de la Cité de la Voile Eric Tabarly au mois de juillet, je suis retourné à ma vie de coléoptère chez « moi » en ville, en région parisienne.

J’y connais bien sûr des bons moments.

Le groupe Justice en concert à Rock en Seine, fin Aout 2025. Photo©Franck.Unimon

L’article relatif au concert de Justice à Rock en Seine est ici Justice à Rock en seine ce 23 aout 2025 ). 

Mais je m’interroge. Comme chaque fois que l’on tente de scruter l’horizon ou des suppositions. Chaque fois que l’on parvient à assembler des forces isolantes – mais brèves- de lucidité en soi dans une existence qui paraît davantage bordée pour faire de nous des hémophiles ou des personnes qui ont à peu près peur de tout excepté de la dépression ou des addictions.  

Près de la Cité de la Voile Eric Tabarly, juillet 2025. Photo©Franck.Unimon

Mais pour l’instant – je suis un très bon comédien-  j’en suis encore à faire diversion. En mémorisant en théorie la différence entre une mer et un océan. 

A la cité de la voile Eric Tabarly, cette différence nous a été expliquée. La mer et l’océan ne sont pas – encore- des endroits auxquels on accède en prenant une autoroute à péage ou le métro en utilisant notre voiture, notre pass navigo, ou en jouant en réseau avec d’autres personnes que l’on ne voit jamais.

Pour les marins, la ville de Lorient est un bon tremplin vers ou sur la mer, ce fantôme qui n’attend rien de nous.

A la Cité de la Voile Eric Tabarly, Juillet 2025.

A la Cité de la Voile, nous avons appris qu’Eric Tabarly (1931-1998), Breton né à Nantes, fils de navigateur, marin, compétiteur, architecte, ingénieur, armateur, militaire de carrière mais aussi visionnaire qui, à chaque nouveau bateau, a révolutionné la construction navale- et qui s’était plus ou moins sédentarisé et même marié et avait enfanté tardivement- avait une affection particulière pour Lorient.

A la cité de la Voile Eric Tabarly, juillet 2025. Une reconstitution partielle de Pen Duick II conçu et piloté par Eric Tabarly.

Pour son ouverture sur la mer, les vents qui y permettaient de profiter de la navigation dans de très bonnes conditions pour qui sait naviguer bien-sûr et pour qui aime être en mer.

Pont de la Cité de la Voile Eric Tabarly, juillet 2025. Photo©Franck.Unimon

Un pont en hauteur relie la Cité de la Voile au port de Keroman. Le jour de notre visite, ma fille et moi y sommes restés à peu près cinq heures.

 

A la Cité de la Voile Eric Tabarly, juillet 2025. Photo©Franck.Unimon

 

Notre billet étant valable toute la journée, après une première visite, ma fille a souhaité y revenir le soir. Ce que nous avons fait environ trois quarts d’heure avant la fermeture.

Dans le port de Keroman, nous avons pu prendre le temps de distinguer plusieurs Pen Duick  ( « Petite tête noire » en Breton) qui avaient appartenu à Eric Tabarly et avec lesquels il avait remporté plusieurs compétitions et battu plusieurs records de traversée. La guide de la Cité de la Voile nous avait invité à aller les voir de près. Elle nous avait raconté l’évolution de la voile depuis Eric Tabarly. Elle nous avait parlé des Imoca.

Elle nous avait parlé de la nourriture à bord.

Des maquettes grandeur nature de mats, de coque, de provisions, de matériel de sauvetage et de survie présentes dans la Cité de la Voile permettaient d’équiper un peu les pensées et l’inexpérience du terrien que je suis. Un terrien urbain qui ne connait presque plus rien à la fois de la terre sur laquelle il marche mais aussi de la mer qui l’entoure. Régulièrement accaparé ou distrait par des activités voire des urgences administratives, professionnelles, ménagères, matérielles, de loisirs ou de consommation, en tant que terrien urbain je regarde très facilement la mer et la terre comme des territoires occultes que des intermédiaires, des hommes, des femmes, des enfants, que je côtoie peu, fréquentent, exploitent, dégradent ou « possèdent ».

A la cité de la voile Eric Tabarly, on a opté pour être beaucoup moins moralisateur et sinistre que moi. On a opté pour la pédagogie. De la très bonne pédagogie.

 

 

 Un certain nombre de jeux ludiques captivants pour les enfants et les adultes nous faisant vivre plus concrètement l’expérience de la navigation. Il y avait sûrement moins de monde que d’autres jours lorsque nous avons visité la Cité de la Voile, ma fille et moi. Nous avons pu nous amuser/exercer à utiliser un winch, à  apprendre à faire des nœuds marins, à essayer de guider des petits bateaux en nous servant des vents d’une soufflerie.

A l’extérieur de la Cité de la Voile, nous avons pu aussi apercevoir d’autres bateaux ainsi que certains chantiers navals qui ont pu être le lieu de fabrication ou de réparation de certains bateaux qui ont participé ou participent entre-autres à la course du Vendée Globe.

Franck Unimon, mardi 2 septembre 2025. 

Bonus : la version « podcast » de l’article :