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Paranoïa Sociale

 

 

Paranoïa sociale 

 

 

Hier, en allant à la médiathèque rendre des prêts en retard (une de mes routines), je me suis imaginé que, dans la vie sociale, j’étais et suis une personne plus sincère, plus honnête et plus franche que la « normale ».

J’ignore encore ce qui m’a pris. Mais, je me suis avisé qu’il fallait, dans les faits, assez peu se dévoiler ou, tout au moins, modérément donner de sa gentillesse et de sa disponibilité et prendre le temps, en restant poli, d’observer. Et d’évaluer si ces personnes dont nous faisons la rencontre, que nous trouvons en prime abord si « cool », si « sympas »  et si « mignonnes »,  valent ou valaient la peine qu’on leur donne davantage de soi :

De notre gentillesse, de notre spontanéité, de notre sincérité, de notre intérêt, de notre altérité etc….

La « norme » sociale, au premier abord, est assez souvent de s’accoster les uns, les autres, avec de grands sourires et propos ouverts et accueillants. Mais derrière la forme, le plus souvent, celles et ceux que nous rencontrons se font une idée de nous, vraie ou fausse. Nous faisons tous ça : nous projetons sur l’autre quelque chose. De bien ou de mal. Puis, au travers de certaines situations ( la façon de tenir un verre, cette façon particulière que l’autre a de se déplacer pour se rendre aux toilettes ou de regarder, subitement, son portable)  nos impressions se trouvent confirmées ou contredites.

Cela va très vite.

Après le temps des sourires et de l’accueil, le temps du jugement social- et de la guillotine- arrive très vite. Plus vite qu’on ne le pense. Plus vite, en tout cas, que, moi, je le pense. J’ai oublié d’écrire que je m’imagine, aussi, en matière de relations sociales, être une personne naïve ou très naïve. Ou, en tout cas,  je m’imagine que je peux l’être.

Parce-que, foncièrement, celles et ceux que nous rencontrons pour les premières fois, lorsqu’ils viennent vers nous avec sourires et « bonnes » intentions affichées ( pour celles et ceux qui viennent à nous car d’autres, pour des raisons assez mystérieuses, restent à l’écart et très discrets) sont souvent en pleine prospection afin d’essayer d’obtenir de nous un éventuel bénéfice, intérêt, y compris commun. Je le fais aussi mais, j’ai l’impression, que plus que d’autres, bien plus que d’autres, je vais vers les autres avec une plus sincère sympathie là ou d’autres sont, finalement, et foncièrement, avant tout intéressés. Un peu comme si dès le début d’une rencontre, on se mettait à avoir rapidement des relations sexuelles avec une personne parce-que l’on se sent bien avec elle et qu’on la trouve sympathique. Alors que cette personne, elle, a uniquement vu en nous un « bon » coup ou un coup à tirer. Ou attendait simplement de nous qu’on lui offre un café, une cigarette. Ou une vingtaine de centimes.

 

Avec certains parents rencontrés à l’école où ma fille est scolarisée, j’ai un peu l’impression de m’être fait un peu « tirer » socialement. Et puis, une fois le temps de « l’inspection » sociale terminé, j’ai été évalué comme bon à jeter, bon à écarter, bon à négliger. Avec les formes bien-sûr. Car, lorsque l’on me croise, c’est sourire et bonjour.

Officiellement : il n’y’a pas de conflit ou de désaccord. C’est la norme sociale. Et je me la prends – à nouveau- en pleine figure au travers de ces quelques relations avec quelques parents que je croise depuis que ma fille est à l’école maternelle.  Peu m’importe que mes relations soient cordiales avec la majorité des parents que je salue. Je m’attarde ici sur deux ou trois parents vis-à-vis desquels j’ai maintenant quelques réserves.

Mais ces attitudes se retrouvent partout.

Hier, je me suis avisé qu’il fallait en fait, savoir laisser les autres projeter sur nous. Et moins se dévoiler : pourquoi se montrer tel qu’en soi-même, si, en face certaines personnes avancent masquées ou se voilent la face sur elles-mêmes. Chez les parents d’une ancienne copine d’école de ma fille, nous avons été invités une fois. Il y’a bientôt deux ans maintenant. Et, je me rappelle que chez eux figurait – et figure toujours sans doute- une sorte d’inscription ou de maxime, accrochée sur le mur où était prônée la tolérance et des valeurs proches. J’imagine bien que ces parents – comme la plupart d’entre nous- sont sincèrement convaincus des bienfaits de ces valeurs. Tout en les appliquant à leur sauce comme on peut interpréter à sa sauce une religion, un film, une vérité, une chanson, un regard, tout en refusant que l’autre nous apporte la contradiction, sa contradiction.

Je suis donc, je crois, socialement, une personne souvent trop naïve, honnête, sincère et trop franche. Il est déjà arrivé, lors de mes discussions avec ma compagne, que celle-ci me le fasse comprendre en quelque sorte et me donne des cours de réalisme. Lorsque je lui parlais par exemple de mes désillusions sociales et relationnelles dans le milieu du cinéma en tant que journaliste ou comédien, où j’ai, à ce jour, dans le meilleur des cas, rencontré bien plus d’experts et d’expertes en séduction sociale que d’amis véritables.

Lorsque j’écris qu’il faut laisser les autres « projeter » sur soi, c’est évidemment en faisant en sorte que ce qu’ils projettent soit à notre avantage. Si pour les besoins d’un film, un réalisateur veut voir en moi un boucher et que, pour cela, il est prêt à me payer 1500 euros par jour, ça me va. Par contre, si pour jouer la doublure d’un homme grenouille, je dois entrer dans une eau glacée et y rester pendant des heures pour le plaisir de participer au travail de fin d’études d’un étudiant en cinéma, je crois plus sensé de refuser cette proposition.

Il convient donc de faire attention à son image.

Il est vrai que, dans ce domaine, je suis et reste plutôt « nature » là où bien d’autres (femmes comme hommes) sont des experts en maquillage et en enrobage social. Et, la vie quotidienne nous apprend que souvent voire assez souvent, celles et ceux qui savent se montrer à leur avantage à coups de maquillage et de matraquage social, ou de sourires adressés au bon endroit, vers les regards porteurs d’avenir,  réussissent souvent mieux, et plus vite, que celles et ceux, qui, comme moi, se montrent plus « fous » et moins regardants sur l’enrobage et la présentation. Le feu de la folie dévore le décor et le protocole social. Lorsque l’on est  » fou », en cas de « réussite », on devient un modèle ou une crainte. Dans une situation intermédiaire, on inspire scepticisme, suspicion ou rejet quelles que soient nos réelles qualifications et intentions.

Dit autrement : les parents de cette ancienne copine d’école de ma fille- et d’autres- peuvent bien m’évaluer à mon désavantage autant qu’ils le veulent ou s’estiment autorisés à le faire. Je sais, Moi, que j’ai autant de valeur humaine qu’eux. Et, je crois, aussi, que contrairement à eux et d’autres, je suis plus respectueux des autres : Je me sens plus l’égal de celles et ceux que je croise que leur supérieur. Mais la vie sociale est ainsi faite qu’à moins d’une catastrophe ou d’un événement exceptionnel où l’on se retrouve obligé de faire « corps » et alliance avec des personnes que l’on désapprouve ou déprécie, généralement, chacun peut rester confortablement domicilié dans ses préjugés sur une personne ou un groupe de personnes.

Mais savoir ce que je sais de moi, ce que je vaux, et sur moi, si je suis le seul à le savoir, est insuffisant pour réussir sa vie sociale.

Savoir que nous avons invité la mère de cette ancienne copine d’école de ma fille il y’a quelques mois, et que cela s’était pourtant- apparemment- bien passé avec elle et les autres parents présents, est insuffisant pour comprendre ce qui fait que, prochainement, nous ne serons pas invités, contrairement aux  parents de la très bonne copine de ma fille, chez cette dame. Je n’ai pas l’intention de séquestrer cette maman et son mari ni de les interroger comme peut l’être le personnage de Malotru dans Le Bureau des Légendes alors que lors d’un des premiers épisodes de la série, il passe au détecteur de mensonges. Si je m’étends autant sur le sujet, c’est parce qu’en repensant à ma fille avant hier dans l’aire de jeux où elle a joué plus d’une heure avec une de ses copines, j’ai revu ce que je vois assez souvent lorsqu’elle joue avec des autres enfants :

C’est elle qui est demandeuse. C’est assez souvent, elle dans la rue, qui reconnaît d’autres enfants et les appelle. Hier soir, à la maison, j’ai entendu notre fille expliquer à ma compagne, sa mère, son problème avec sa très bonne copine :

Sa très bonne copine commande le déroulement de leurs jeux. Et notre fille essaie de s’y opposer.

Mais, à entendre notre fille, sa très bonne copine a le leadership et, s’opposer à elle, c’est prendre le risque d’être isolée du groupe. Hier soir, je me suis contenté d’écouter car j’étais alors dans une autre pièce, sans doute en train de faire mes étirements avant de partir au travail.

J’ai écouté ma compagne conseiller à notre fille de dire à sa copine que c’était à chacune son tour de décider. J’ai écouté ma compagne dire à notre fille que si sa copine persistait à vouloir diriger (ce que notre fille a expliqué à sa maman/ ma compagne), hé bien, que dans ce cas, il suffisait en quelque sorte de ne plus jouer avec elle ! Et ma compagne d’assurer à notre fille que sa copine et le reste du groupe viendraient sûrement la chercher pour jouer avec eux. Il m’a semblé, aux réactions de notre fille, qu’elle était assez peu persuadée par les conseils de sa maman. En tout cas, c’est peut-être moi qui projette finalement. Car, moi, j’étais peu convaincu par les conseils de ma compagne même si je me suis abstenu d’intervenir.

Je souhaite évidemment à notre fille d’apprendre à éviter ces écueils sociaux et affectifs :

Que ce soit une certaine dépendance sociale et affective aux autres. Ainsi que ces « Je ne sais pas » quant aux raisons qui font qu’une relation avec un proche, une proche, ou une connaissance, se distend. Comme nous, ou comme moi ( car je crois que le problème doit provenir de moi) avec les parents de cette ancienne copine d’école de notre fille.

Je souhaite résolument à notre fille de savoir voir comme, dans la vie sociale, celles et ceux qui nous font les plus beaux et les plus rapides sourires- sans que ce soit forcément de l’hypocrisie ou le repaire d’une perversion comme d’une mauvaise intention- doivent être décodés. Se doivent d’être décodés. Car celles et ceux qui font les plus beaux et les plus rapides sourires feront rarement l’effort de se décoder d’eux-mêmes :

Premièrement parce qu’ils n’ont aucun intérêt à se dévoiler comme à dévoiler leurs réelles intentions. Tout être a ses défauts et sa perception propre.  Et peut percevoir – à tort ou à raison- comme un handicap le fait de se montrer tel qu’il est véritablement.

Deuxièmement, parce-que celles et ceux que nous rencontrons ont une connaissance et une perception d’eux-mêmes, comme du retentissement de leurs actions sur les autres, assez limités :

Des personnes peuvent nous faire plus ou moins de mal sans, toujours, le prévoir, le souhaiter ou s’en apercevoir.

Et, bien-sûr, il faut aussi apprendre à se préserver de celles et ceux qui nous font du mal ou peuvent chercher à nous nuire délibérément.

Je souhaite à notre fille d’apprendre à se connaître, comme à connaître les autres suffisamment, ainsi que le monde bien-sûr, pour s’épargner le plus de déboires possibles sociaux et affectifs, en priorité, dans sa vie. Et, bien-sûrj’espère que sa mère et moi ainsi que d’autres personnes de confiance, adultes ou non, sauront l’aider à faire ce genre d’apprentissage.

Sinon, « autre » sujet, je continue d’avoir beaucoup de plaisir à lire le livre Inside Apple d’Adam Lashinsky . Un livre sur lequel je suis tombé par hasard à la médiathèque près de chez nous.

Le numérique, l’informatique, internet sont de plus en plus un justaucorps, voire une seconde peau, pour de plus en plus de gens. Moi, je fais partie d’une époque préhistorique. D’une époque où tout cet attirail numérique, ainsi que cette économie, cette toxicomanie et cette méthode « d’achievement » ou de réussite social(e) était embryonnaire, inexistante ou réservée à quelques uns qui passaient peut-être pour déments, déviants…ou visionnaires.

Lire ce livre, qui plus est au travers de l’entreprise Apple qui est un des symboles de cette réussite économique, technologique et culturelle, me permet de mieux comprendre ce « nouveau » monde qui s’est érigé et qui s’est implanté dans nos vies et les a transformées ces vingt à trente dernières années et qui va continuer de les transformer pour le pire et le meilleur.

Ma fille, et d’autres plus âgés, sont nés avec ce monde. Dans ce monde. Aussi, pour eux, ce monde est une norme. Aussi normal que reprendre son souffle après avoir expiré. Aussi normal que prendre une douche après avoir transpiré. Aussi normal que de s’habiller avant de sortir pour un rendez-vous. Moi, je suis entre deux. J’ai déjà pu dire que j’étais « un analphabète informatique ». Mais j’ai des capacités- une « marge de progression » comme on dit- pour me faire à ce monde numérique. Et tenir ce blog, indirectement, m’y aide et m’y contraint. Ne serait-ce que pour réussir à faire de ce blog, balistiqueduquotidien.com, une entreprise « successful » ou suffisamment gratifiante en nombre de lecteurs, voire, pour peut-être envisager une certaine reconversion, partielle ou totale. Ce qui pourrait être judicieux étant donné que l’âge du départ à la retraite ressemble de plus en plus à une fiction de film d’épouvante.

Mais aussi parce-que l’on nous injecte de plus en plus l’injonction selon laquelle, nous nous devons d’être mobiles, « proactifs », et d’avoir plusieurs vies professionnelles, voire émotionnelles, dans notre monde actuel et à venir. L ‘exigence de devoir se conformer de plus en plus à ce « parfait » modèle de vie se fait et se fera sûrement aussi grâce au soutien galopant de produits dopants anciens, actuels, d’autres pas encore inventés ni brevetés, que des industries sauront commercialiser et rentabiliser pour le bien-être financier de quelques actionnaires et investisseurs. Et ces actionnaires et investisseurs pourront tout aussi bien être des pères ou des mères ayant les mêmes préoccupations que moi pour ma fille ou des artistes dont j’aime ou écoute les œuvres musicales, littéraires ou cinématographiques.

 

D’un autre côté, sûrement parce-que je suis vieux jeu, chronique, dépassé, psychorigide, ma mémoire du monde ancien, mon attachement à lui comme à certaines de ses valeurs, et mes réserves vis-à-vis de certaines évolutions actuelles et futures du monde de notre quotidien, me commandent d’éviter de m’y plonger totalement :

 

Un monde où notre téléphone portable est activé et ouvert en permanence, nous plongeant dans une apnée profonde nous captivant 24 heures sur 24. Ce n’est plus le monde du silence. Mais le monde des écrans, des casques et des oreillettes. Un monde où un écran, une console de jeux, des spots publicitaires constitueraient le plus gros de ces moments que nous vivons. Et où l’on s’adresserait aux autres avec des slogans publicitaires ou avec des phrases toutes faites et autres éléments de langage que l’on recevrait, après s’être abonné, chez soi dans notre boite à lettres – pour les plus archaïques ou les férus du vintage- par mail ou par sms transgénique.

Il y’a deux nuits, alors que j’étais en pleine paranoïa sans doute,  je me suis mis à surfer sur internet pendant plus de deux heures. Si bien que lorsque j’ai rejoint ma compagne dans notre chambre, un peu avant minuit, elle s’était endormie. Du moins, est-ce ce qu’elle s’est employée à me laisser croire, allongée dans l’obscurité de notre lit. Ce qui fait qu’à son retour du travail vers 21h, j’avais peu discuté avec elle comme elle me l’a fait remarquer avec diplomatie le lendemain matin. Alors qu’elle m’avait « attendu » jusqu’à 22h. Comme excuse, je ne peux même pas écrire que je matais des photos érotiques sur le net ou que je draguais sur un site de rencontres :

Je regardais avec attention- plus qu’avec déférence- des biographies d’actrices, d’acteurs, de joueuses et de joueurs de tennis. Plus de deux heures durant, dans mon fors intérieur ferroviaire comme sur la terre battue de mes pensées, des soupçons  en suspension me crachaient à la tête des évidences : Ces « Personnalités » étaient peut-être entrées en possession de vies qui, à l’origine, auraient dû m’appartenir. Et j’essayais sans doute de savoir à quel moment, profitant de ma coupable inattention comme de ma pitoyable passivité, elles s’en étaient emparées. Désormais, il était trop tard pour les rattraper. Ces créatures débordaient de vie par elles-mêmes. Prenons Jeff Nichols, davantage réalisateur que joueur de tennis, et son film Take Shelter, inspiré de ses inquiétudes pour son enfant, ou un de ses autres films, Mud. Les héros masculins de ces deux films, tour à tour l’acteur Michael Shannon et l’acteur Matthew McConaughey, au départ mal perçus par la communauté, et isolés dans un monde rural ou sur une île, finissaient par s’en tenir à cette consigne de Miles Don’t Lose your Mind alors qu’ils exécutaient cette sentence :

 » Si l’on attend toujours, de façon obéissante et caressante, d’obtenir une permission pour partir faire son solo, son numéro, seuls les désastres viendront à notre secours ».

A la fin de ces plus de deux heures d’errance, j’avais fini par m’extraire de l’écran, double et créance de nos vies. C’est ce monde-là, fait de la suprématie des écrans ajoutée à une certaine fausseté- ancienne et relative- des relations sociales qui se développe. Ou un simple clic et quelques liens suffisent pour avoir un avis tranché sur un sujet et ses hématies.  Soit un monde propice à la croissance des extrémismes  : affectifs, religieux, politiques, militaires, sectaires, écologiques, économiques, artistiques, culturels. Un monde où il reste possible et où il restera possible d’avoir de « véritables » relations humaines et une vie qui en vaut la peine. On peut très bien être calé en informatique et dans toutes ces nouvelles technologies- et autres applications- qui se démultiplient vers l’infini et être dans la « vraie vie ».  Mais encore faudra-t’il- encore- savoir à quoi cela ressemble d’avoir une « vraie vie », et de « véritables relations » sincères, spontanées, franches, honnêtes, naïves.

Encore faudra-il être qualifié et suffisamment compétent( e) afin d’être à même de connaître comme de « juger » de leur importance et de leur- vitale- nécessité. C’est un peu ce que ma paranoïa me racontait alors que je suis parti pour la médiathèque. Le reste de ce qu’elle m’a dit et apporté, je vais bien sûr le garder pour moi. Car on ne sait jamais. Celles et ceux qui auront lu cet article pourraient avoir très peur de moi. Finalement.

Franck Unimon, ce jeudi 20 juin 2019.

 

Ps : Non, je ne suis pas déprimé. Sourire.

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Tenant du titre

( Photo : Lansy Siessie ).

 

 

 

Tenant du titre

 

 

Avant, on les voyait peu. Ce samedi matin, à 7h40, ils étaient là, en tenue. Pour environ la dixième fois en deux mois. Pourtant, j’avais fait mon possible pour les éviter.

 

J’avais quitté le travail à sept heures avec mes vêtements habituels. Depuis plusieurs jours et plusieurs semaines, je ne me change pas. C’est décidé. Quoiqu’on en dise, je ne me changerai plus. Et tant pis si l’on se moque de moi.

 

Sept heures du matin est mon heure officielle pour quitter le travail même si, habituellement, je pars après cet horaire.

 

J’ai voulu prendre le bus pour rejoindre la gare. Pour profiter des rues calmes. Pour être à l’air libre. Pour les éviter, eux. Généralement, dans le bus, ce sont eux qui viennent, en état de manque (de plus en plus souvent en civil) jusqu’à vous. C’est toujours mieux que lorsqu’ils vous attendent, reptiles insérés dans les reliefs d’un des couloirs du métro. Et vous tendent une embuscade. Désormais, et depuis des années, ils sont à plusieurs chaque fois qu’ils nous rackettent. Pour cela, ils bénéficient de l’appui de policiers le plus souvent dressés en civil. Lesquels portent un petit brassard qu’ils dévoilent parfois à la dernière seconde telle une coquetterie alors que vous vous présentez devant ce confessionnal forcé. Où quelques mètres à peine avant l’irrémédiable croisement. Et qu’il est à peu près trop tard pour éclabousser le destin de votre absence.

 

Ce matin, j’étais installé à une bonne place dans le fond du bus. Puis la conductrice est arrivée avec quelques minutes de retard. Avant de s’installer, elle s’est adressée à nous : le bus allait à peine desservir quelques stations. Elle préférait nous en informer. Je suis allé la voir. Elle m’a confirmé qu’elle s’arrêterait bien avant la gare. Elle m’a répondu qu’elle ignorait la raison de cette consigne. J’ai suggéré le mouvement des gilets jaunes. On en était à leur 25 ème samedi de manifestation. La conductrice n’en savait pas plus. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était nous conduire à trois ou quatre stations plus loin, ce qui correspondrait au terminus.

 

Je me suis rabattu sur le métro.

 

Ça fait des années que j’emprunte les transports en commun. Et autant d’années que je suis un usager et un citoyen en règle. Je ne prétends pas toujours à l’originalité. Les moyens de transport sont mon moyen de déplacement principal et privilégié. En plus, c’est écologique. Dans les transports en commun, je fais comme tout le monde. Je m’y suis déjà endormi quelques années plus tôt. Depuis, je me suis réveillé. Pour cela, je n’ai pas eu besoin d’être embrassé. Je regarde mon smartphone. Je lis. Je regarde les gens. Je les écoute. J’écoute de la musique. Je suis mes pensées. Parfois, j’écris. Souvent, je prends les transports en commun, seul. A de rares rencontres près de personnes que je connaissais auparavant, tous les autres autour de moi sont des inconnus qui le resteront.

Je ne suis pas vieux. Mais j’ai déjà passé une certaine partie de ma vie dans les transports en commun tout en étant incapable de dire ce que j’y appris. A part, peut-être, à obéir et me soumettre un peu plus chaque fois que je remets mon titre en jeu.

Eux aussi, peut-être, passent une bonne partie de leur temps dans les transports en commun à obéir et à se soumettre. Lorsqu’ils annoncent le programme, c’est toujours avec une politesse de surface qu’ils resservent à la chaine. On ne leur demande pas d’être original. Et il leur est impossible de l’être alors qu’ils passent au détecteur des milliers de leurs semblables. Ils produisent le plus gros de leurs efforts en dehors de ces heures de pointe qui déchargent des millions de passagers, pressés, énervés, fatigués et parfois prêts à se bousculer ou se bagarrer pour deux centimètres, un soudain contact d’haleine ou de chair,  avant d’entrer ou de sortir des « transes-pores ».

Ils sont tout autant invisibles en période de grève des transports alors que ces mêmes passagers, plus nombreux, sont encore plus stressés par la pénurie des transports assortie de temps à autre d’informations approximatives. L’alcool et le tabac tuent. La promiscuité et le stress, aussi. Mais ça ne se voit pas dans les couloirs ou à la descente du bus. Et on ne leur demande pas encore de faire des tests d’urine ou de réaliser des enquêtes sociologiques. Mais, simplement, de faire leur travail :

« Bonjour, Mesdames et messieurs, contrôle des titres de transports ! ». Peu importe qu’une majorité d’usagers parfaitement en règle soit inspectée- et ralentie- en tant que suspecte de plus en plus souvent. Peu importe qu’en multipliant les contrôles, on accroit mathématiquement la probabilité de contrôler et de sanctionner l’usager étourdi qui aura oublié son titre de transport dans ce vêtement finalement laissé – à la dernière minute- à la maison. Ça ne compte pas. Toute personne sans son titre de transport est une personne sans son titre de personne. Pardon, sans son titre de transport.

( Photo : Franck Unimon )

 

Bientôt, on n’aura plus besoin d’avoir un titre de transport. Notre téléphone portable suffira. Ce sera une grande « libération ». Mais, pour l’instant, patientons. Les tests auraient été réalisés uniquement avec des téléphones de la marque Samsung. La marque Apple, pour l’heure, n’aurait pas donné son accord. A nous de savoir choisir- et payer- la bonne marque de téléphone portable ou de tablette tactile à l’avenir. Celle qui, pourvue du meilleur réseau, nous fera franchir plus facilement les portes de validation et nous évitera le KO technique- ou la colère- en cas de contrôle.

 » Il faut savoir vivre avec son temps » dirait-on. De plus en plus, l’image chasse et remplace la pensée. Sur le ring des idées, les penseurs mondains d’hier, pourtant doués pour se montrer, deviennent des puncheurs incertains face à ces poids lourds que sont les millions de vue et de clics numériques d’aujourd’hui et de demain.

 

 

( Photo : Franck Unimon )

 

Franck Unimon, ce vendredi 24 Mai 2019.

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Trou Noir

                                                              Trou Noir

Ce matin, dans un journal « gratuit », cet article marquant signé Fabrice Pouliquen et intitulé Le trou noir au grand jour : « Astronomie. Des chercheurs ont révélé la véritable image de cet objet céleste ». Dans un encart de ce même article, un certain Alain Rizuel nous explique qu’un trou noir est « une région de l’espace dont le champ gravitationnel est tel que vous ne pouvez pas y échapper ». Alain Rizuel nous explique :

« Par exemple, pour quitter la Terre afin d’aller sur la Lune, il faut atteindre une vitesse de 11,2 km par seconde. A la surface d’un trou noir, la vitesse qu’il faudrait atteindre pour lui échapper serait supérieure à 300 000 km par seconde, soit la vitesse de la lumière. Or, si même la lumière ne peut s’échapper, rien d’autre ne peut le faire ».

Dans cet article, on nous explique aussi qu’il a fallu « synchroniser parfaitement huit radiotélescopes répartis autour du globe de manière à en faire un télescope virtuel ». Et, c’est ainsi que l’on a pu obtenir une image, « Pour la première fois de l’histoire de l’astronomie » du trou noir « niché au cœur de la galaxie M87, située à environ 50 millions d’années-lumières de la Terre ». Grâce « au projet international Event Horizon Telescope (EHT) ».

Cet article comme tous les articles vulgarisés ayant trait à l’Astronomie ou aux origines de l’Homme est bien-sûr fascinant. Comme il est fascinant d’entendre parler « de restes d’étoiles déchiquetées ». Toutes ces recherches et toutes ces découvertes nous font rêver, réfléchir et voyager. Même si on peut- aussi- se demander, avec une goutte d’inquiétude, si le trou noir est le parking qui nous attend : il est certes très « beau » à voir mais autant qu’il reste le plus longtemps possible à bonne distance. Et s’il se mettait soudainement à ramper dans notre direction pour nous demander un selfie ?

Mais ma principale critique concernant cet article a à voir avec la photo que je trouve vraiment très floue, presque ratée, malgré les « huit radiotélescopes » que l’on devine hyper-puissants et très performants. Ce matin, pourtant, avec mon simple appareil photo, j’ai quant à moi obtenu des photos beaucoup plus nettes du trou noir. Et je ne crie pas à l’exploit. J’essaie plutôt d’amadouer le spectre alors que je le côtoie.

Bien-sûr, j’ai plus qu’envie de vous faire profiter de mes clichés de manière totalement désintéressée et uniquement pour l’amour de la science. Mais à une seule condition : Que cela reste entre nous. Je ne voudrais pas que le trou noir ou des méchants scientifiques terroristes me poursuivent avec des radiotélescopes électrifiés.

Hier soir, sur ces écrans, une réclame des Enfoirés passait encore. Les Enfoirés et les restos du coeur est un projet initié par Coluche qui date des années 80. Ce matin, la réclame qui passait sur ces écrans était en faveur d’une association qui recueille des fonds pour les personnes atteintes d’un cancer. A droite de la photo, revêtue de casiers jaunes, une certaine forme de cancer, inexistante dans les années 80, et partie pour continuer de s’étendre : l’achat en ligne disponible ensuite dans ces casiers. Ici, dans une gare où, tous les jours, passent entre 300 000 et 460 000 personnes.

 » A nous de vous faire préférer le train » dit une certaine légende. Voici le lieu de passage des pur-sangs que nous sommes. Bientôt, nous aurons le privilège de jouer au tiercé nos heures de passage, de départ et d’arrivée, et, peut-être aussi, d’espérer arrondir quelque peu nos fins de mois . Et si nous avons commis un délit ou une mauvaise action, peut-être que l’accès aux petits casiers jaunes nous sera-t’il interdit pour une durée à déterminer selon la profondeur et la sincérité de nos regrets. Il va de soi que toute personne s’immolant par le feu, se faisant seppuku ou dénonçant son voisin pour racheter ses manquements bénéficiera de manière rétroactive d’un accès circonstancié voire illimité aux jolis casiers jaunes ainsi qu’aux autres casiers faisant partie intégrante du même réseau. Avantage premium accordé seulement à quelques uns par tirage au sort au bout d’un certain nombre d’achats : la possibilité de personnaliser son casier.

Ces deux brochures ci-dessus ont été remises hier à ma fille au centre de loisirs : j’ai beau réfléchir. Je ne vois toujours pas où elles veulent en venir.

 

Franck Unimon, ce jeudi 11 avril 2019.

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Projection

Projection

« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient…. ».

C’est ce que j’ai raconté il y’a plusieurs semaines à une collègue et amie, familière avec ce temps particulier- et faux ami- qu’est l’inconscient. Notre inconscient nous suit à la trace autant que notre sang. Où que nous soyons, quoique nous fassions, sa présence luit en nous tant que nous sommes en vie. Et même au delà. Et même avant ça. Que cela nous plaise ou non. L’inconscient est comme ça : ce n’est pas un squatteur, qui, une fois le printemps arrivé, peut être limogé. C’est plutôt lui qui vous limoge. Vous croyez que vous venez pour lui. Il peut très vite vous démontrer que c’est lui qui vous a fait venir.

« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient… ». J’avais dit cette phrase à cette amie calmement. A la fois avec lucidité mais aussi avec la naïveté de celui qui croit qu’en la prononçant, cette phrase allait le protéger. Nos enfants viennent de nous. Et même s’ils se séparent de nous un jour, ils nous ressembleront. A-t’on vu les enfants de l’eau devenir de la pierre ou de la terre ? Peut-être. Mais notre mémoire de ce temps-là a disparu ou nous a été volé. Et nous n’en savons rien. Nous n’en saurons peut-être jamais rien. Sauf, peut-être, au moment de mourir. Mais il sera trop tard pour le dire. A moins peut-être d’avoir déjà dit beaucoup malgré soi de son vivant. On dit beaucoup malgré soi de son vivant. Et il est souvent une ou plusieurs personnes, même si c’est discrètement, qui s’en souviendront.

 

Lorsque je nous regarde, nous les parents et les adultes, nous sommes devenus depuis longtemps complètement dépendants de nos écrans : Cela a commencé par la télévision. Puis les ordinateurs, les téléphones portables, les smartphones et les tablettes sont arrivés.

Je me rappelle encore de ce slogan publicitaire en faveur du téléphone portable à peu près au milieu des années 90 : « Et téléphoner devient un sixième sens ». Cela nous avait fait ricaner mon meilleur ami et moi. Jamais on ne nous y prendrait. C’était ce que je croyais. On peut réussir à arrêter de fumer ou de boire de l’alcool sous certaines conditions et si on prêt pour cela. Il nous est désormais beaucoup plus difficile de décrocher de nos écrans. Il y a et il y aura toujours une personne ou une raison pour nous entraîner et pour nous pousser à continuer de fixer un de nos écrans. Dans les transports, au travail, en voiture, à la maison, à la sortie des écoles, dans les commerces, à la piscine, au cinéma, dans les médiathèques, dans les lieux de rencontres et de loisirs, dans les aéroports, à l’hôpital, en pleine nature. Partout.

Nos écrans sont devenus un sixième sens mais aussi un cinquième membre. Un cinquième membre inséparable de notre organisme ou un membre de notre famille. La greffe a plus que pris. Impossible de revenir en arrière. Nous sommes dans le mouvement et bien d’autres applications et usages pratiques ou addictifs sont à venir. Se barricader loin des écrans est possible de temps à autre pour faire retraite ou en cas de fuite. Mais s’en dispenser durablement semble maintenant synonyme de grand danger pour notre santé physique et mentale. Ou semble être la marque de l’esprit réactionnaire qui a peur du changement et idéalise le passé et ses abysses. Avec nos multiples écrans, nous sommes tels des mutants jouissant de nos super pouvoirs. Pour en bénéficier le plus possible en en subissant le moins possible les revers, nous devrions apprendre à contrôler nos super pouvoirs. Encore faut-il le vouloir car nos écrans sont si attractifs. Et nos enfants, eux, pendant ce temps, captivés par nous comme on peut l’être par le soleil ou par à peu près tout ce qui brille, claque et est nouveau, nous voient captivés par ces écrans magiques qui, ils le savent, un jour, seront les leurs. Alors, comme nous, ils passeront des heures et des heures sur des écrans et, quelques fois peut-être, s’ils se rappellent encore un peu de nous, ils nous y chercheront.

Franck Unimon, lundi 1er avril 2019.

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L’école Robespierre 3ème et dernière partie

 

 

L’école Robespierre 3ème et dernière partie

 

« Nous sommes comme une petite famille et tout le monde nous déteste. Et, en même temps, cela met du piment dans ma vie. Tout ce que font mes anciens amis me semble terne et sans intérêt ».

Dans le documentaire Exit-La Vie après la haine, la réalisatrice Karen Winther retrouve le professeur Tore Bjorgo (professeur et directeur en Norvège d’un centre de recherche sur les Extrémismes) qu’elle avait rencontré alors qu’elle était encore dans la mouvance fasciste. Celui-ci avait pris des notes.

Guro Sibeko, l’amie alors militante de gauche, qui a aidé Karen Winther à sortir du fanatisme en l’hébergeant durant quelques temps lui dit dans le documentaire :

« Tu étais triste et frustrée. Et tu ne captais rien. Tu voulais qu’on te dise quoi faire et quoi penser. C’est comme si tu attendais de nouvelles personnes qui auraient réfléchi à ta place ». Avec un sourire figé, Karen Winther regarde Guro Sibeko tandis que celle-ci se remémore la Karen qu’elle était alors. Guro Sibeko est une Madame. Ainsi qu’une résistante. Qui la connaît ? J’ignore, si, à la place de Guro Sibeko, j’aurais eu le courage ou l’envie de recevoir chez moi une Karen Winther passée par l’extrême droite. Karen Winther fut-elle une de mes anciennes amies ou connaissances. En effet, il arrive que l’on craigne que l’amie ou la connaissance « égarée » et désemparée que l’on recueille afin de l’aider se révèle une menace qui, finalement, empoigne notre foyer.

Il y a plusieurs années, à Paris, lors d’une soirée, j’avais croisé une personne persuadée que lors de la Seconde Guerre Mondiale, elle aurait fait partie de la résistance. Nous étions plusieurs autour de lui lorsque cet homme avait affirmé :

« Lorsque je rencontre quelqu’un, je me demande toujours si cette personne aurait fait partie de la résistance ».

J’avais jalousé l’assurance de cet homme. Je l’avais aussi trouvé très prétentieux. Je n’étais pas allé jusqu’à me demander si cet homme lisait à travers moi mieux que je ne me décryptais moi-même. Des personnes que je considère très intelligentes, très cultivées et très sûres d’elles-mêmes parmi mes connaissances et rencontres, ou dont je lis et « vois » les engagements, défendent des valeurs que j’estime proches des miennes. Cela me fait du bien même si, paradoxalement, partager des valeurs communes est insuffisant pour être proche d’une autre personne. Néanmoins, parfois, je me demande ce qui retient ces personnes de penser et de réagir tout à fait différemment : comme des personnes d’extrême droite, des fanatiques ou n’importe quel terroriste. Je me demande quels sont leurs « gardes fous ». Je me demande ce qui empêche les super héros Superman, Black Panther, Wonder Woman et Ororo, celles et ceux qui, dans la vraie vie, à mes yeux, leur ressemblent, d’être du côté des sadiques et des fascistes.

On aimerait que la bravoure morale qui différencierait les héros des salopards soit aussi nette, lorsqu’elle s’exprime, que la lame de la baïonnette ou du rasoir. Mais je sais que l’être humain reste insaisissable. Et aussi que toute personne a ses limites. Un film comme Apocalypse Now de Coppola nous a montré ça. Mais aussi Stalker de Tarkovski.

Une erreur d’appréciation fréquente consiste à considérer comme « cons » ou « idiots » toutes celles et tous ceux qui défendent des valeurs contraires aux nôtres. A mon avis, Spike Lee, dans son dernier film BlacKkKlansman( film récemment oscarisé et dont je parle dans la rubrique Cinéma de ce blog) fait cette erreur. Dans son film, la majorité des racistes et adhérents du KuKLuxKlan sont des abrutis. Des très dangereux abrutis mais des abrutis quand même.

Un téléfilm en deux parties, Alias Caracalla, au Cœur de la Résistance réalisé par Alain Tasma en 2013 est inspiré du livre Alias Caracalla, écrit en 2009 par Daniel Cordier, ancien secrétaire de Jean Moulin. Ce livre de Daniel Cordier est depuis sa parution devenu une référence et un exemple sur l’Histoire de la résistance en France lors de la Seconde Guerre Mondiale. Daniel Cordier, comme d’autres résistants connus ou anonymes, est un Monsieur. Pourtant, au début de son engagement dans la résistance, si j’ai bien compris, Cordier, bien que très cultivé, était plutôt antisémite. Vu que je n’ai pas encore pris le temps de lire intégralement son ouvrage, j’ignore encore ce qui lui a permis de changer d’opinion intellectuelle et morale et de cesser d’être antisémite.

Pour expliquer la complaisance de certaines et certains dans leur rôle de bourreaux et d’extrémistes envers leurs victimes et boucs émissaires, certains « spécialistes » souligneraient peut-être davantage le manque d’intelligence émotionnelle et d’empathie, ou un certain mépris pour ces facultés. Pour certaines et certains , l’intelligence émotionnelle et l’empathie, une certaine forme de sentimentalisme, sont des marques de faiblesse. Etre « dur » au mal, inflexible et tranchant est valorisé. On peut retrouver ces valeurs dans le corps militaire, en politique, dans un certain rapport au sport, dans le monde du travail, dans certaines relations familiales, amicales, ombilicales et amoureuses ou l’on se montre « dur comme le cuir » ou « dur à cuire ». Les « héroïnes » et les « héros » qui incarnent ces valeurs avec « réussite » sont montrés en exemple et courtisés. Celles et ceux que ces modèles bousillent sont relégués dans les divisions de l’oubli ou on leur fournit un mandat de déplacement avec aller simple pour une destination si possible inconnue de tous et éloignée de tout. Nous voulons des winners. We Shall overcome ! Si Nou Moli Nou Mo ! (Si on se ramollit, on crève !).

On peut souhaiter critiquer cette mentalité quelque peu « bourrine » et assassine et préférer louer tout ce qui a trait à « l’émotionnel », à la poésie, au sentimentalisme, à la sensibilité et à la « communication ». Mais ce serait manquer de réalisme. Ce serait oublier que bien des entreprises humaines ont eu besoin et ont besoin de l’engagement de la force brute et de l’expérience de personnes dures au mal afin de survivre et de réussir. Le film Green Book de Peter Farrely a lors des derniers Oscars (ce dimanche 24 février 2019) été diversement apprécié par certaines personnalités et journalistes. J’ai prévu de donner mon avis sur ce film dans ce blog. En attendant, dans le film Green Book, je constate que lorsque le Dr Shirley décide de se rendre dans les Etats Unis racistes, il choisit Tony Lip comme homme à tout faire. Et qui est Tony Lip ? Plutôt un bourrin et un homme dur au mal. Pas du tout un esthète et un intellectuel. En cela, le film me semble « juste » :

il est quelques circonstances dans la vie où se contenter d’observer et de pratiquer les manières polies nous réduit au statut de proie et de victime.

En outre, Tony Lip est néanmoins un homme dont certains des principes et valeurs rejoignent ceux du Dr Shirley.

Dans le documentaire Exit-La vie après la haine, David Vallat, ex-jihadiste au sein du GIA, auteur du livre Terreur de jeunesse, affirme :

« Lorsque vous êtes Jihadiste, vous n’avez pas peur de mourir. Vous souhaitez mourir ».

Alors qu’il est en prison, David Vallat lit deux livres par jour. Il découvre que la vie est faite de nuances dès son arrestation où, durant quatre jours, on le traite correctement. Il s’attendait à être brutalisé. Il comprend que la doctrine jihadiste lui a menti. Il explique aussi avoir vécu une « énorme dépression » et ressenti une « angoisse terrible » en sortant de prison. Car il était alors isolé et complètement déconnecté. Et il se demandait par quoi il pourrait bien remplacer le vide idéologique laissé par l’abandon du jihadisme. Il dit l’avoir remplacé par une histoire d’amour et par le travail.

Au cours du documentaire, Angela King révèle, en entendant une autre extrémiste repentie, qu’avant de devenir extrémiste, elle aussi s’était faite violer et qu’elle en avait conçu une grande colère. Plusieurs de ces anciens extrémistes racontent la difficulté à quitter leur milieu activiste : eux comme leurs familles sont menacés et l’ont été. Ils sont obligés de se cacher, de changer de région ou de pays. De cercle relationnel.

On cite souvent le film American History X (1998) de Tony Kaye pour parler de l’extrémisme contemporain. Il est d’autres films qui en parlent- aussi- très « bien » et, voire, jusqu’au terrorisme : L’attentat de Ziad Doueri, Le Ciel attendra de Marie-Castille Mention Schaar, Un Français de Diastème , Incendies de Denis Villeneuve ou Nocturama de Bertrand Bonello en font partie.

D’après le documentaire Exit-La Vie après la Haine, il ressort que le fanatisme, l’extrémisme et le terrorisme deviennent les équivalents d’une addiction. D’une passion. D’une transe au cours de laquelle on se sent supérieur à celles et ceux qui sont extérieurs à notre groupe ; d’une identité sociale ; d’une forme de pensée automatique qui prend le dessus sur une certaine aptitude au discernement et à l’autocritique.

L’autocritique, l’autocensure, la capacité à prendre l’initiative d’une décision contradictoire et/ou bienveillante comme ces deux codétenus turcs qui ont secouru Manuel Bauer, ces détenues noires qui ont protégé Angela King, le journaliste qui a rencontré et fait douter Ingo Hasselbach, Guro Sibeko et son petit ami d’alors qui avaient recueilli Karen Winther sont des actes de résistance. Des actes de résistance réalisés par des Mesdames et des Messieurs et toutes celles et ceux qui leur ressemblent, connus ou inconnus. Et Manuel Bauer, Ingo Hasselbach, Angela King, Karen Winther, David Vallat, même si leurs actions passées sont repoussantes sont aussi d’une façon ou d’une autre des Mesdames, des Messieurs et des résistants : dans ce documentaire, ils ne nous parlent pas de celles et ceux qu’ils ont pu côtoyer et dont ils ont pu être proches alors qu’ils étaient fascistes, terroristes ou néo-nazis et qui ont préféré rester dans le « mouvement » même s’ils avaient, eux aussi, des doutes. Par conformisme ou par peur des représailles.

 

A l’école Robespierre où j’ai commencé ma scolarité puis ensuite ailleurs au collège, au lycée et dans ma cité où j’ai grandi, j’ignore dans quelle proportion celles et ceux que j’ai croisés sont devenus extrémistes, néonazis, fascistes ou résistants. Mais je sais , qu’elles et ils se fassent un jour connaître ou non, qu’il en est bien quelques unes et quelques uns parmi eux qui quelque part ou en ce moment sont des Mesdames et des Messieurs qui rejettent « l’ensaignement ».

Ces immeubles que l’on aperçoit font partie de la cité ou de l’allée Fernand Léger où j’ai habité de mes 4 ans à mes 17 ans. Notre immeuble se trouve hors-champ, sur la droite. A notre « époque », jusqu’en 1985, les immeubles étaient plutôt de couleur gris/marron. Sur la gauche, au sein du bâtiment un peu allongé, il y avait le supermarché Sodim ensuite remplacé par un Félix Potin. Les photos pour cet article ont été prises quelques jours avant sa rédaction.

 

Ces immeubles au premier plan n’existaient pas à mon « époque ». A leur place, il y avait sans doute un terrain vague. Les grandes tours que l’on aperçoit tout au fond, en revanche, étaient bien là dans les années 80. On les appelait les « Tours rondes ».

 

Nous sommes ici non loin du stade d’athlétisme Jean Guimier que j’ai fréquenté. Ainsi que sa piste en tartan de 400 mètres qui a remplacé la piste en cendrée de 350 mètres où j’avais débuté l’athlétisme et qui se trouvait juste à côté du lycée Joliot Curie, de la mairie mais aussi de la bibliothèque de Nanterre. Le stade Jean Guimier, lui, se trouve plus près du grand parc de Nanterre ( dont j’ai toujours eu du mal à retenir le nom officiel), du collège Evariste Gallois où je suis ensuite allé….et du quartier de la Défense qui se trouve à dix à quinze minutes à pied.

 

Le grand immeuble qui tranche tout au fond, c’est, si je ne me trompe l’immeuble appelé  » Défense 2000″. C’est déja le quartier de la Défense. Et une toute autre population que celle que je « connaissais » et côtoyais au quotidien. Un autre monde. La seule fois où je suis entré dans cette immeuble, c’était pour essayer de faire « fortune » en faisant du porte à porte avec mon meilleur ami, son frère et un autre ami. J’ai oublié ce que nous avions essayé de vendre. Mais, de toute façon, cela n’a pas marché.

 

Le stade Jean Guimier où j’ai effectué un certain nombre de séances d’athlétisme et aussi d’où nous partions pour aller courir au parc se trouve, hors champ, sur la gauche à moins de cent mètres.

 

Les Fontenelles.

 

Une adresse bien connue de moi ( mon meilleur ami y a vécu avec ses parents, ses frères et ses soeurs) qui se trouve près du collège Evariste Gallois.

 

Des collégiens devant le collège Evariste Gallois, destiné à être fermé : Ce collège est devenu un échec pédagogique. A mon époque (au début des années 80) ce n’était pas le cas.

 

Cette dame et « son » enfant marchent dans la cité Fernand Léger. J’ai souvent pris ce chemin pour aller faire des courses au Sodim ou au Félix Potin. Sauf que, comme la plupart des enfants de mon âge, je coupais en marchant sur la pelouse sur la gauche.

 

 

La Tour 17. Là où j’ai vécu de mes 4 ans à mes 17 ans. Jusqu’en 1985. Face au groupe scolaire Robespierre, situé sur la droite. Il n’y avait qu’à traverser la rue pour aller à l’école primaire.

 

 

Le Groupe scolaire Robespierre, où je suis allé à la maternelle, située sur la droite. Puis, à l’école primaire, du CP au CM2, pour moi, au fond, à gauche.

 

Derrière cette dame à l’horizon, il y avait une sorte de terrain de foot sans herbe. Que de la pierre, avec des buts. Nous jouions, là. L’immeuble que l’on voit derrière cette dame est soit la tour 13 ou la tour 14. Ma « fiancée » de l’école primaire, Malika, habitait là avec sa famille, sa soeur Fatima, ses frères Hassan et Lionel. Sur la droite, et dans le prolongement, derrière l’immeuble, il y avait l’usine Citroën, toujours en activité. Pour moi, elle faisait juste partie du décor. Car mes parents et aucune des personnes que je « connaissais », n’y travaillait.

 

Ce panneau n’existait pas à notre « époque ».
A notre arrivée, la cité Fernand Léger était pratiquement « fermée » : une route la ceinturait de l’intérieur et on ne pouvait la prendre- et en sortir- qu’à un seul endroit qui se trouvait, je crois, avant le supermarché. Puis, il a été décidé de « l’ouvrir ». Néanmoins, à notre « époque », ce rond-point, pour moi, n’existait pas.

 

 

 

Près des berges de la Seine, à Colombes, non loin du parc de l’île « marrante » derrière nous. Parc où se trouvent la patinoire, la piscine etc…..

Franck Unimon, ce lundi 18 mars 2019. L’école Robespierre, 3ème et dernière partie.

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L’école Robespierre 2ème partie

 

 

                                            L’école Robespierre 2ème partie

 

« Fé-Lix Potin, On y revient ! ».

 

A l’école Robespierre, je suis sorti des toilettes. Le grand Philippe C m’attendait. Surpris, je me suis arrêté. Il a tiré sur son élastique et me l’a envoyé dans l’oeil. Il est reparti hilare.

En temps ordinaire, je n’aurais pas cafté. Philippe C, avec Cyril T, son grand frère et Enzo B étaient des durs de la rue ou de la cité Creuse (on disait « Greuse »). Une petite cité HLM un peu à l’écart, faite de bâtiments de trois ou quatre étages, située entre le théâtre des Amandiers et la cité où j’habitais faite de tours de 18 étages.

Mais la douleur, la surprise et la peur m’ont fait pleurer. C’est Mr Lambert, je crois, qui, devant toute la cour, a engueulé Philippe C. Celui-ci s’est fait tout petit. Cela a été la première et dernière fois où il s’en est pris à moi.

Certains garçons avaient la réputation d’être de très bons bagarreurs. Amar B frimait parce qu’il avait des grands frères qui se battaient bien et pouvaient le défendre. « Mais, en vrai », il n’était pas fort. C’est ce qui a pu se raconter.

Jacky W, qui était un bon bagarreur, a fait pleurer Amar un jour. Lors de l’unique bagarre – nous étions plutôt copains- que j’ai eue avec Jacky W (pour une raison que j’ai oubliée) j’ai très vite donné un coup de sabot. Ce jour-là, je portais des sabots. Jacky W s’est arrêté. Il est parti s’asseoir quelques minutes à quelques mètres. J’ai attendu, debout et prêt, les poings serrés, pieds nus dans mes sabots noirs. Jacky s’est relevé puis a fait la paix avec moi. J’ai accepté. Je suis reparti de mon côté. Je n’étais pas un bagarreur. Je n’avais rien à me prouver de ce côté-là.

William P avait combattu de façon héroïque face à Cyril T devant la cour de l’école. Cyril T l’avait provoqué. Peut-être parce qu’arrivé en CE2 ou en CM1, William P était nouveau dans l’école. Et, devant ses copains Philippe C, Enzo B, et son grand-frère, Cyril T a dû aller jusqu’au bout.

William P s’est très bien défendu. On m’a raconté. C’est peut-être William P lui-même qui me l’a raconté car on s’entendait bien. Après la bagarre, William a porté un bandage à la main  mais il a été respecté et admiré. Cyril T l’a peut-être menacé mais c’était surtout pour ne pas perdre la face.

Dans l’autre école primaire de Robespierre, j’ai entendu parler d’un garçon d’origine vietnamienne, Teduc de V…. D’après la description, dès qu’il s’énervait lors d’une bagarre, il était terrifiant. Je ne l’ai jamais rencontré.

Lorsque j’étais en CM2, j’ai été atterré d’entendre des petites et des petits prononcer dès le CP des gros mots tels que « Ta mère la pute ! ».

Après être entré en 6ème, au collège Evariste Gallois, un tout petit peu en dehors de ma cité, je suis revenu deux ou trois fois dire bonjour à Mr Pambrun. Il m’a à chaque fois écouté durant quelques minutes. Lorsque je lui ai dit que, moi, au collège, je ne faisais pas de bêtises, il a répété mes propos en me souriant. Il a peu insisté. Mais j’ai compris qu’il n’en croyait pas un mot.

Comme d’autres copains, avec Jean-Marc T, en particulier, un Antillais d’origine martiniquaise né en France comme moi, rencontré en 6ème, j’ai commencé à voler dans le supermarché Félix Potin. Anciennement Sodim. Je volais n’importe quoi. J’en remplissais mes poches et n’en faisais rien. C’était d’autant plus idiot que le supermarché Félix Potin, le supermarché le plus proche de ma cité, était le supermarché où mes parents m’envoyaient faire des courses. Autrement, il y’avait le supermarché Suma situé du côté du collège Evariste Gallois. En face de Félix Potin, de l’autre côté de la route, peut-être avant la construction du grand parc de Nanterre, il y’avait un terrain vague. C’est là que Gilles S, qui habitait aux Canibouts, près des Pâquerettes et de l’hôpital de Nanterre où travaillait ma mère, a tenu à faire un concours avec Jean-Marc et moi. Pour savoir qui de nous trois avait la plus grande ou la plus grosse bite. Gilles S avait beaucoup de bagout. Il s’est soudainement retourné vers nous en pressant son zizi dans sa main pour nous montrer. J’ai refusé de participer. Je savais que les gros en avaient une petite.

Sur ce terrain vague, aussi, avec Jean-Marc, j’ai commencé à crapoter. J’ai vite arrêté. Aucun plaisir. En plus, cela prenait beaucoup de temps pour terminer une cigarette. Lorsque Francine B, rencontrée au collège, m’a dit plus tard que cela la calmait de fumer des cigarettes, cela m’a paru très abstrait.

C’est sur la route entre ce terrain vague (ou le parc de Nanterre) et Félix Potin, qu’un jour, des gardiens du parc ont poursuivi des jeunes de la rue Creuse qui avaient traversé le parc en mobylette. C’était interdit. Nous les avions regardés faire. Les deux jeunes, dont le grand frère de Cyril T je crois, déboulaient tête nue sur leur mobylette chaudron au moteur débridé. Ils étaient suivis environ cinquante mètres ou cent mètres plus loin par les deux gardiens du parc assis sur leur deux roues de fonction, vêtus comme des gendarmes avec leur képi sur la tête. Au compteur, il devait bien y avoir trente à quarante kilomètres heures d’écart entre les vélomoteurs réglementaires et de petite cylindrée des gardiens. Et ceux du grand frère de Cyril T et de son copain.

Nous étions plusieurs jeunes (uniquement des garçons sans doute) à regarder ça un peu comme s’il s’agissait du Tour de France. Nous encouragions évidemment les deux jeunes. Vu que les deux gardiens avaient le sens du devoir, cela a duré un moment. Sans suspense.

 

Non loin de là et à l’entrée du parc, la chapelle St Joseph où je suis allé au catéchisme. Lors des débats, le père André me donnait souvent l’impression que j’étais vraiment intelligent. Lorsque le groupe Police a commencé à être connu, avec d’autres jeunes, j’ai écouté et réécouté le titre Do Do Do Da Da Da. Au catéchisme, j’ai retrouvé un camarade de collège avec lequel j’ai davantage sympathisé- presque fraternisé la religion aidant- Roberto C, d’origine italienne.

 

Au collège Evariste Gallois, la dernière fois que j’ai vu Enzo B, il était entouré de policiers. Nous étions assez nombreux dans la cour du collège à assister à son arrestation. Le petit Enzo B (Enzo était de petite taille) avec lequel mes quelques échanges étaient sympathiques tout comme avec Cyril T et son grand frère, se tenait fièrement. Enzo est monté dans le camion de police. Je crois ne l’avoir jamais revu. Pas plus que je n’ai revu le grand Philippe C, Cyril T et son grand frère. Ou alors, je les ai revus et ne les ai pas reconnus.

 

Je ne sais comment. Un jour, j’ai su qu’il était possible de renifler la colle qui sert à poser des rustines lorsque l’on répare les chambres à air de nos vélos. Je ne l’ai pas fait. Je ne voyais pas ce que cela pouvait m’apporter.

Gilles P, un voisin de notre tour qui habitait avec ses parents quelques étages en dessous de notre appartement, mon aîné d’un ou deux ans, serait mort d’une overdose à l’héroïne. Je le croisais quelques fois en bas de notre tour, en attendant l’ascenseur, ou au collège. Son père était policier, je crois. Une des dernières images que j’ai de Gilles P, c’est lui, portant un maillot de foot vert et se battant avec une fille dans la cour du collège. Il avait dû la provoquer. Elle se battait très bien. Sa jambe allait haut. Gilles avait beau jouer la décontraction en reculant tel un boxeur pour éviter les coups, il n’avait pas gagné et avait plutôt été intimidé.

Une autre image me montre Gilles P un peu plus tard et portant un blouson de cuir noir, un Jean foncé près du corps et des baskets Adidas à trois bandes. Les groupes AC/DC et Trust étaient devenus des références musicales pour certains jeunes. Gilles P et moi nous sommes plus croisés que parlés. Deux ans d’écart, lorsque l’on est jeune, c’est beaucoup.

En 4ème, Patrice L m’a proposé un jour d’aller coucher avec une fille. Patrice a ajouté :

« Par contre, ramène l’eau de javel parce-qu’elle se lave pas… ». J’ai refusé.

Une autre fois, j’ai croisé Patrice alors qu’il s’amusait avec ses copains. Il m’a proposé de faire de la mobylette avec eux. J’ai refusé poliment et ai commencé à m’éloigner. Peu après, un camion de police est venu les embarquer.

En 3ème, Mme Epstein, notre prof de Français et professeur principal, petite femme au fort caractère et grande fumeuse, étonnée, nous demandait régulièrement :

« Pourquoi vous écrivez toujours des histoires qui se passent aux Etats-Unis ? Racontez des histoires d’endroits que vous connaissez… ». J’ai quelques fois essayé de réfléchir pendant quelques secondes. Je n’y arrivais pas.

 

J’ai aimé ma cité. Les représentants entraient comme ils voulaient dans notre tour. Lorsqu’ils s’arrêtaient devant la porte d’un appartement, ils faisaient vriller les tympans avec la sonnette. Puis, sans attendre la moindre réaction, ils passaient à une autre porte d’appartement et ainsi de suite dans les étages. 18 étages.

Sur notre palier, parmi nos voisins, figuraient les M. Ils claquaient la porte lorsqu’ils entraient. Ils la claquaient lorsqu’ils partaient. Je suis allé plusieurs fois chez eux. Christophe M, le fils, et moi étions assez copains. Il avait une voix assez aigüe à l’époque. Corinne, sa grande sœur aînée, avait beaucoup aimé le tube de Patrick Juvet : « Où sont les femmes ? ». A notre étage, on l’avait entendu et réentendu, plus qu’à la radio, ce tube.

Lorsque des gens se disputaient chez eux, on entendait tout. Pareil lorsque quelqu’un se décidait à attaquer un des murs de son appartement à la chignole. Quand un jeune décidait de roder sa mobylette, on était avec lui alors qu’il passait et repassait dans la cité, augmentant petit à petit la vitesse de son engin.

Le terrain de foot en cailloux situé entre ma tour, la tour 13 et la tour 14 avait ses périodes de grande fréquentation. J’y ai connu certains de mes petits matches de foot.

La création du centre commercial Les Quatre Temps à la Défense nous a apporté un renouvellement de notre environnement. Auchan et le Mac Donald.

Avec Jean-Marc, principalement, les premières fois, je suis aussi allé voler dans quelques magasins des Quatre Temps. Même si je m’étais déjà fait prendre une fois. A Suma. L’attrait était trop fort.

Collégien, je suis bien plus de fois entré dans le centre commercial les Quatre Temps qu’au théâtre des Amandiers devant lequel, pourtant, j’étais déja passé quantité de fois depuis l’enfance. Le théâtre des Amandiers fait pratiquement face à la piscine Maurice Thorez. Le théâtre des Amandiers était un endroit qui ne me parlait pas. Les personnes qui faisaient la queue, jusque dans la rue, pour y entrer, nous empêchaient parfois de passer. Ces personnes ne nous parlaient pas, ne nous ressemblaient pas, à mes copains et moi.

Mme Epstein, notre prof de Français de 3ème, nous a emmené voir Combat de Nègres et de chiens au théâtre des Amandiers. Ensuite, elle en a débattu avec nous. Malheureusement, contrairement à l’expérience de la bibliothèque en CE2 avec Mr Pambrun, cette fois-ci, je n’ai pas eu envie d’y retourner. Pourtant, le théâtre des Amandiers était bien plus proche de notre tour que la bibliothèque et le centre commercial des Quatre Temps. J’ignorais ce que le théâtre pouvait m’apprendre et me donner mais aussi ce que j’aurais pu, tout autant, lui donner. Il est vrai, aussi, que l’accès au théâtre était payant. On ne paie jamais pour entrer dans un centre commercial.

Au collège, ce qui me parlait, c’était la télé, le Foot, l’Athlétisme, Bruce Lee, Mohamed Ali, le Tennis, le Cyclisme, les acteurs américains, la musique noire américaine, les Etats-Unis résumés à New-York, le Reggae, la lecture.

Au collège, ce qui me parlait c’était la ceinture de mon père, son soutien scolaire, le créole, la Guadeloupe, la musique antillaise, la mémoire de l’esclavage, avoir des bonnes notes à l’école. Ma mère. Ma petite sœur et mon petit frère. Mon cousin Christophe qui habitait aux Pâquerettes près de l’hôpital de Nanterre. Et les copains.

Parmi ces quelques jeunes cités, et certains de leurs proches, femmes et hommes, il doit malheureusement s’en trouver plusieurs à qui la haine a su parler.

Franck Unimon, ce samedi 2 mars 2019. Fin de la 2ème partie de l’école Robespierre.

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L’école Robespierre

L’école Robespierre 1ère Partie

 

Dès qu’une personnalité ou un sportif aimé du public et des média accomplit une performance ou bat un record, on lui donne du Madame ou du Monsieur. Ce qui finit par sous-entendre que tous les autres (la grande majorité) sont des rebuts de l’humanité.

A l’école Robespierre, dans mon ancienne cité HLM, en CE2, je crois, Monsieur Pambrun, petit homme brun moustachu typé Les Brigades du Tigre, et grand fumeur, nous avait emmené, seul, à la bibliothèque municipale de Nanterre. Nous avions fait le trajet à pied. Nous devions être une bonne vingtaine serpentant un moment le long de la piscine Maurice Thorez, alpinistes banlieusards horizontaux continuant d’effectuer malgré nous notre chemin de Compostelle. Pour le plus grand nombre, dont j’étais, nous rendre dans une bibliothèque était une Première.

En classe, Monsieur Pambrun était un instituteur qui tirait parfois les oreilles et donnait quelques claques à certains d’entre nous – dont j’étais- pour indiscipline. Ce jour-là, pourtant, comme bien d’autres fois, et nous étions sûrement plusieurs à l’ignorer – en tout cas, moi, je l’ignorais- Monsieur Pambrun s’appliquait, à la suite de toutes ses collègues et collègues précédents, à continuer d’esquisser un certain trajet vers la Culture et la Connaissance. Et à nous le faire emprunter, ce trajet, en fendant les eaux et le sceau de notre ignorance. Le bénéfice possible, pour nous tous, filles et garçons, était d’ajouter d’autres Savoirs à ceux de nos histoires et consciences personnelles. Pour cela, depuis l’école, nous avions probablement dû marcher entre 20 et 30 minutes ce jour-là pour atteindre les lieux.

Depuis, et par la suite, je fis partie des petites tortues qui refirent le trajet régulièrement jusqu’à la bibliothèque. Seul ou accompagné d’un camarade ou d’un copain. Aujourd’hui, régulièrement, je continue de refaire ce trajet.

Chaque fois que je change de domicile, en plus des commerces et des lieux de soins, j’ai besoin de savoir où se trouvent la gare, la piscine et la bibliothèque.

Enfants, aucun de nous n’avait choisi de venir dans cette école publique et encore moins dans cette ville communiste. La majorité d’entre nous habitait soit dans la cité ou à ses côtés. L’usine Citroën, proche, était encore en activité.

Sophie D, Sandrine El, Malika M, Frédéric B, Jacky W, Didier P, Myriam M, Corinne C, Laurent S, Jean-Christophe P, Sandrine et Karine R, Dany A, Saïd, Smaïl M, Florence T, William P, Isabelle R, Gilles O, Jocelyne B, Jean-Christophe B (qui au CP confondait le son « Vr » et le son « Fr »), Eric C, Anna-Paula M, Christophe B et Laurence A sont quelques uns de mes camarades de classe de l’école primaire du CP au CM2. Certains sont partis en province avec leurs parents avant le CM2. D’autres ont fait un passage d’un ou deux ans dans l’école. J’ai été dans la classe de la plupart d’entre eux mais il m’est arrivé d’en croiser d’autres dans la cour. Plus âgés comme plus jeunes. Bien-sûr, il y’avait aussi les bagarreurs qui faisaient peur ou qui inspiraient l’admiration.

Je me rappelle très peu du métier qu’exerçaient les parents de celles et ceux que je côtoyais. Je me rappelle que le père de Sandrine El, un de mes premiers amours avec Malika M, était supposé être inspecteur de police. Et qu’elle et ses parents sont ensuite partis pour Toulouse.

Nous étions des Arabes- le premier mot arabe que j’ai retenu et appris signifie : « Négro! »-, des Juifs (même si, pendant longtemps, je ne savais pas vraiment ce que signifiait être Juif)) des Blancs de France ou venant d’ailleurs (Pologne, Espagne, Portugal, Italie….) une toute petite minorité de noirs antillais nés en France.

Quelques uns d’entre nous étaient des enfants de parents divorcés ou d’une famille monoparentale. Nos parents étaient majoritairement locataires de leur appartement. Seul, peut-être, parmi celles et ceux dont je me rappelle, Gilles O et son accent du sud, dérogeait à la règle :

Dans leur maison de ville, il prenait des cours de piano à domicile. De la musique « classique ». Et lorsque nous nous rendions ensemble lui et moi à la bibliothèque, après que je sois allé le chercher, il me parlait souvent, intarissable, de sujets que je ne comprenais pas. Il me parlait économie, politique. Du pétrole. Je l’écoutais poliment et essayais de me mettre à son niveau. Mais je n’ai aucun souvenir d’avoir amené ne serait-ce qu’une seule fois un argument ou un avis sensé ou valable. Je me souviens de lui comme d’un garçon plutôt isolé, par moments chahuté, très bon élève et peu doué pour le sport.

 

Au CP, nous avions eu Mme Chaponet, institutrice douce et grande fumeuse. Puis Mme Benyamin, bonne institutrice, grosse femme au physique de Bud Spencer qui décrochait quelques claques même à certaines filles de la classe. Un jour, le père de Malika était venu l’engueuler pour cela. Et il avait fait pleurer Mme Benyamin. Puis il y’avait eu Mr Pambrun en CE2. Je ne l’ai jamais vu pleurer. Pas plus que Mr Lucas en CM1, le directeur de l’école, lequel nous parlait souvent du Musée du Louvre. Et à nouveau Mr Pambrun. En CM2, également skieur, Monsieur Pambrun nous emmena en classe de neige à La Bourboule à Clermont-Ferrand. Je me rappelle d’une partie de dames avec lui.

Je me rappelle aussi de Monsieur Lambert, instituteur auquel j’avais échappé alors qu’il aurait dû être notre Maitre en CM2. Il avait quitté l’école, je crois. Mr Lambert était un grand homme effrayant au physique de bûcheron. Sa voix portait dans toute la cour lorsqu’il apostrophait un élève. Et son grand pied véloce corrigeait par moments le postérieur d’un ou deux écoliers turbulents. Pourtant, une de ses filles était également dans l’école et à la voir avec lui, il apparaissait fort gentil. Et calme.

Je n’ai revu aucune de ces personnes depuis au moins vingt, trente ou quarante ans. Et, je me méfie beaucoup des retrouvailles. Aussi bien intentionnées soient-elles au départ, ce genre de retrouvailles peuvent très vite qualifier un certain malaise. Selon ce que nous sommes devenus et selon nos rapports au passé et au présent. A l’époque, nous coexistions ensemble au moins à l’école. Nous n’avions pas le choix. Depuis, nous avons tous connu des bonheurs et des malheurs divers. Nos personnalités et nos histoires se sont affirmées. Nous avons fait des choix et continuerons d’en faire en nous persuadant que ce sont les bons ou les moins mauvais. Mais nous n’avons plus cette obligation de coexister ensemble comme à l’école primaire.

Dans son très bon documentaire, Exit- La Vie après la haine, encore disponible sur Arte jusqu’au 27 février 2019 (aujourd’hui !) Karen Winther se demande comment, de par le passé, elle a pu devenir une activiste d’extrême droite. Pour essayer de le comprendre, elle est allée à la rencontre d’autres personnes qui sont passées comme elle par certains extrêmes. Mais aussi à la rencontre d’une de ses anciennes amies, activiste de gauche à l’époque, qui avait accepté de l’aider à s’éloigner de son milieu fasciste.

Ingo Hasselbach ( qui a écrit un livre sur cette période, disponible en Allemand et en Anglais), le premier interviewé, a été décrit à une époque comme le « nouvel Hitler ». Dans le documentaire, il dit par exemple :

« Je voulais blesser les autres ».

Un journaliste, pour les besoins d’un reportage, l’avait rencontré pendant un an. Ce journaliste le contredisait point par point sur un certain nombre de sujets. Cela a commencé à faire douter Ingo Hasselbach. Ce journaliste est un Monsieur. J’ignore si j’aurais eu sa persévérance et son intelligence.

Manuel Bauer explique que ses amis étant d’extrême droite, il était donc devenu comme eux. Lors d’une détention en prison, alors qu’il était en train de se faire agresser, ce sont deux codétenus turcs qui sont venus le sauver. Ce qui aurait provoqué sa prise de conscience. Ces deux codétenus turcs, lorsqu’ils l’ont sauvé, ont été des Messieurs. J’ignore si je serais venu au secours d’un Manuel Bauer, qui, lors de sa « splendeur » fasciste, avait pu flanquer un coup de pied dans le ventre d’une femme enceinte au prétexte qu’elle était étrangère. Et, ce, juste après avoir agressé- parce-qu’il était étranger- le compagnon de cette femme.

Angela King, Tee-shirt de Bob Marley, ancienne suprématiste blanche, raconte :

« A l’époque, j’étais invisible. Harcelée » ; « J’ai pensé que personne ne m’aimait ». Angela King explique qu’elle croyait vraiment à l’existence d’un complot ainsi qu’à la supériorité de la race blanche. C’est un attentat meurtrier en 1995, commis dans l’Okhlahoma, par un homme qui pensait comme elle qui l’aurait fait se reprendre. En prison, ce sont des détenues noires qui ont eu de la compassion pour elle et l’ont protégée, allant jusqu’à cacher son passé de suprématiste blanche à d’autres détenues. Angela King dit : « Ces femmes m’ont rendu mon humanité ».

Ces détenues noires, qui avaient peut-être tué auparavant, ont été des Mesdames en choisissant de protéger Angela King. J’aurais aimé entendre ces détenues noires expliquer, raconter, ce qui, en Angela King, leur avait donné envie de la protéger. Pourtant, Angela King l’affirme :

« Si les conditions sont réunies, tout le monde peut devenir extrémiste ». Cette phrase peut ressembler à une lapalissade. En regardant le début d’une fiction telle que la série Walking Dead, on comprend pourtant que- si les conditions sont réunies- tout le monde peut devenir zombie.

Franck Unimon, ce mercredi 27 février 2019. Fin de la Première partie de L’école Robespierre.

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C’est Comportemental !

 

«(….) Mais pas d’inquiétude : si vous n’êtes pas physiquement apte à danser à corps perdu, le simple fait de synchroniser de petits gestes de la main avec votre voisin suffira pour que votre cerveau baigne dans le bonheur musical » conclut Aurore Braconnier dans son article Born To Dance (P4-P11) publié dans le hors-série numéro 49 (décembre 2018) consacré à la danse de la très bonne revue Sport & Vie.

 

Il y’a encore quelques années, je dansais assez régulièrement dans des soirées ou dans certains de ces lieux consacrés : les boites de nuit. La danse avait débuté dans l’enfance où, initié par l’Autorité paternelle, plus que par ma volonté, j’avais dû me montrer à la hauteur de ma valeur sociale, culturelle et raciale :

« Dépi Ki Ou Sé Nèg Ou Dwet Sav Dansè ! » (« Tout Nègre se doit de savoir danser ! ») dirait un jour mon père en voyant à la télé l’artiste noir américain James Ingram se déhancher tout en interprétant le tube Yah-Mo Be There. J’étais alors ado et Michaël Jackson, avec ses clips, ses pas de danse, sa voix et sa musique de granit, régnait sur la musique.

Si je m’étais écouté, et sans l’intervention de mon père, aux nombreuses festivités antillaises où il nous emmenait (baptêmes, mariages et autres ), je serais plus souvent resté assis, prenant plaisir à regarder le spectacle vivant qui se déployait devant moi , à ausculter ces musiques qui prolongeaient l’existence de ce monde et , bien-sûr, à ingérer toutes ces spécialités culinaires qui défilaient sur un plateau à portée de bouche. Lesquelles spécialités culinaires autant que la langue créole, la sexualité, la musique et la famille font partie de l’identité culturelle antillaise : chaudeau, boudin, accras, colombo, salade de concombres au citron et au piment….

A la maison, aussi, mon père maintenait une occupation musicale assez constante. A l’âge de dix ans, il m’était impossible d’ignorer qui était Bob Marley. Jimmy Cliff, Ophélia, Coupé Cloué, James Brown et d’autres tubes de célébrités antillaises ignorées (sous-estimées ?) par le Français lambda m’étaient tout autant familiers même si je n’en retenais ni les noms ni les titres.

 

J’ignore si je serais entré un jour de moi-même dans la danse. Si j’admire une personnalité comme la navigatrice Ellen Mac Arthur qui, dans son livre Du Vent dans les Rêves, raconte aussi son étonnement – et sa lucidité !- à apercevoir à 17 ans des filles de son âge perchées sur des talons aiguilles afin de se rendre d’un pas mal assuré vers la boite de nuit du coin –un peu comme on se rend dans un abattoir social- j’ai depuis compris, aussi, la grande force en même temps que le Savoir, que la musique et la danse peuvent transmettre à un corps et à une âme. . Et, je regrette, enfant, de n’avoir pas pu ou pas su prendre des notes de ce que je voyais et découvrais à ces soirées antillaises comme à propos de plusieurs de ces titres que j’ai pu entendre. Il est assez vraisemblable qu’avec une caméra dans les mains, enfant, j’aurais filmé lors de ces soirées. Un stylo, un crayon ou un pinceau, écrire, dessiner, peindre, ce sont peut-être les moyens du bord pour celle et celui qui ne dispose pas de caméra ou d’appareil photo et qui s’attache durablement à ce qu’il voit comme à ce qu’il vit mal ou bien.

 

Sans qu’un mot ne se soit jamais échangé sur le sujet entre mon père et moi, alors qu’ado, j’entamais ma croissance en tant qu’amateur de musique, lui, cessait d’en écouter comme de se procurer des magazines tels que Rock&Folk ou Rolling Stones. Peut-être avait-il renoncé à rêver ? Et, peut-être, est-ce, sensiblement au même âge, que j’ai, à mon tour, arrêté de danser dans quelques lieux ou soirées, il y’a quelques années. Bien que mon attrait pour la musique et la découverte de nouveaux genres musicaux et de nouveaux titres soient conservés. Lorsque j’y réfléchis, j’ai l’impression que je n’ai plus faim. Et qu’il faut avoir faim d’espaces et de gestes pour avoir envie et besoin de danser. Comme il faut avoir faim pour apprendre à penser autrement ou autre chose. Si l’on est repu, désabusé ou déprimé, on se lasse devant le moindre apprentissage et l’on s’en tient à un minimum d’actions et de pensées.

 

« (….) Le danseur intègre en effet perpétuellement des gestes inhabituels et abstraits, ce que les autres espèces ne font pas ou exceptionnellement » nous confirme Aurore Braconnier, toujours dans le même article ( Page 9) du hors-série numéro 49 de la revue Sport& Vie mentionnée au début de cet article.

 

Ce dimanche du mois d’octobre dernier, il serait plus qu’exagéré de dire que j’intégrais des gestes inhabituels et abstraits. J’effectuais certes « les mêmes petits gestes avec la main » que certains de mes voisins directs, précédents ou ultérieurs, avaient produit ou réaliseraient, mais je ne me reconnaitrais pas dans l’expression : « (….) Votre cerveau baigne dans le bonheur musical ». Si j’y avais mis un peu du mien en écoutant de la musique, comme cela se fait désormais couramment, au moyen d’un casque ou d’oreillettes, peut-être me serais-je un peu introduit dans le bonheur musical décrit dans cet article d’Aurore Braconnier. Mais je n’étais pas dans ces dispositions ce jour-là même si tout allait plutôt bien. Comme j’empruntais mon trajet habituel de travail afin de venir- volontairement- effectuer des heures supplémentaires (rémunérées) dans mon service. Et, « les mêmes petits gestes avec la main » que, comme mes voisins, j’effectuais ce jour-là, consistaient au moins à sortir mon Pass Navigo afin de franchir les portes de validation.

 

Arrivé à la gare St-Lazare, je me dirigeais vers l’endroit où j’allais rejoindre la correspondance pour prendre le métro. Un trajet que j’avais étudié et fini par sélectionner parmi plusieurs. Le plus direct. Le moins de pas gaspillés. Je le prenais désormais sans réfléchir. Lorsque les portes de validation ont refusé de me laisser passer, je ne me suis pas formalisé. Assez régulièrement, à cet endroit, il arrive que ces portes de validation soient capricieuses. Mais je finis toujours par passer. Après plusieurs passages de mon Pass Navigo sur la borne, à un moment donné, la porte de validation me laisse entrer. Lorsque l’on se rend au travail ou à un rendez-vous, l’enjeu d’un parcours le plus fluide possible est simple : Moins on perd de temps pour passer d’un endroit d’une gare à un autre, et moins on prend le risque de rater notre correspondance et de devoir attendre sur le quai des minutes supplémentaires dont on aurait pu se passer. Et, j’avais finalement choisi ce trajet pour cette raison.

Mais ce dimanche, ça ne passe pas pour moi malgré plusieurs tentatives avec mon Pass Navigo tout à fait valide. Finalement, un autre usager qui passe après moi réussit, lui, à passer. Très poliment, il me retient la porte afin que je puisse passer à mon tour. Je le remercie. Je passe et commence à descendre les marches. Et, là, un homme en civil peu aimable avec un brassard autour du bras se dirige vers moi. Avec autorité, il me demande une pièce d’identité. Je m’exécute tout en lui expliquant tout de suite : « Les machines ne marchent pas ». L’homme ne me répond pas. Ma carte d’identité dans la main, je comprends qu’il me séquestre alors qu’il m’intime de le suivre un peu plus loin où, près d’un mur, dans un angle où il est impossible de les apercevoir lorsque l’on se trouve près des portes de validation, se trouvent des contrôleurs en tenue. Le flic, car, pour moi, il ne peut s’agir que d’un agent de police, remet ma pièce d’identité à un des contrôleurs sans prendre la peine de restituer un seul des mots que je viens de lui énoncer et qui sont, pourtant, des faits :

Ces portes de validation marchent quand elles « veulent » et quand elles peuvent. Je peux en témoigner puisqu’il s’agit de mon trajet habituel de travail.

Une fois sa mission effectuée avec « efficacité » (interpeller toute personne qui franchit les portes « sans » valider son titre de transport), le flic repart se mettre à son poste. Comme si je n’avais jamais existé. Je n’aurai du reste plus le moindre contact avec lui.

Pour moi, c’est décidé dès le début de mon « interpellation » : Je refuse de payer une quelconque amende pour des machines qui dysfonctionnent !

J’explique au contrôleur que j’ai bien précisé à l’agent de police que les portes de validation ne marchent pas. Celui-ci m’écoute un petit peu. Contrôle mon Pass Navigo. Puis, constatant qu’il est en règle, me dit très vite :

« C’est un Pass Navigo. Je ne vous le fais pas ! ». Traduction : « Je ne vous mets pas d’amende». Mais je suis encore sous le coup de l’agression de cette interpellation absurde et bornée : Plusieurs agents de la police et de la RATP (environ une dizaine) sont là, en embuscade, en contrebas de ces marches d’escaliers afin de harponner des usagers fraudeurs. Mais aucun d’entre eux ne se préoccupe du bon état de fonctionnement des portes de validation comme du confort des usagers qui, comme moi, sont en règle, et doivent pourtant régulièrement se farcir les désagréments occasionnés par des dérèglements techniques qui sont de la responsabilité au moins de la SNCF et de la RATP. Entreprises que les usagers- comme moi- paient. Cela, j’essaie de l’expliquer au contrôleur.

Mais il n’est pas de mon avis.

Il me répond qu’il y’a d’autres portes de validation en cas de problème. Il ajoute :

« C’est comportemental. Si des usagers vous voient faire ça, ça les poussera à faire pareil ». Son argument se tient. Mais où se trouvent ces autres portes de validation dont il me parle ?! J’aimerais bien qu’il me les montre vu qu’il s’agit quand même de mon trajet de travail et que je n’ai jamais remarqué ces autres portes dont il me parle ! Et, menant le geste à la parole, je lui indique de me montrer ! Et, il me montre.

En effet, à deux ou trois mètres sur la gauche des portes de validation que j’emprunte habituellement, je découvre d’autres portes de validation.   Sur le panneau indicatif qui les surplombe, sont signalées d’autres lignes de métro que la mienne. Ce qui est sans doute la raison pour laquelle, si un jour – lors de mes premiers passages- j’avais porté un vague regard sur ce panneau indicatif, mon cerveau avait rapidement éliminé cet itinéraire et cette information. Sans prendre la peine de venir regarder, contrôler, de près. Sauf que là, « guidé » en quelque sorte par le contrôleur qui vient de contredire mes affirmations et mon expérience d’usager, je prends le temps d’aller regarder où mènent ces portes de validation dont il vient de me parler.

Le suspense est très court :  Je me rapproche. Et, en prenant le temps de les regarder, je découvre qu’en passant par ces portes de validation, je peux ensuite facilement rejoindre mon itinéraire de travail.  Jusqu’alors, je ne l’avais jamais remarqué et je n’y avais jamais pensé. Je m’étais persuadé que si je prenais cet itinéraire, donc ces autres portes de validation situées à deux ou trois mètres à gauche de celles que je prends habituellement, que cela serait impossible. J’étais convaincu que ce trajet était séparé de mon trajet par un mur. Sauf que le mur était, dans les faits, dans ma tête. C’était une construction de mon esprit. Et, j’étais resté focalisé sur mon seul trajet.  Sur « mes » portes de validation habituelles . Celles que j’avais sélectionnées de manière définitive.  Et,  une fois celles-ci  sélectionnés, face à un problème de dysfonctionnement de leur part, au lieu d’essayer d’élargir mon champ d’horizon, de pensée et d’action, je m’étais obstiné à rester dans la même logique : passer uniquement par ces portes de validation habituelles. Un peu comme si j’étais marié avec elles pour la vie. Pour le meilleur et pour le pire. Et qu’il m’avait été impossible de concevoir de leur faire une petite « infidélité » en quelque sorte. De prendre un peu de liberté par rapport à leur fermeture rigide et obstinée. En cela, avant d’être confronté à ce contrôleur, je m’étais montré aussi rigide et aussi obstiné, aussi buté, que ces portes de validation. 

J’ai failli être sanctionné d’une amende, voire de plus si je m’étais agité ou rebellé, parce-que je suis un usager des transports « fidèle »…à des portes de validation qui ne me calculaient pas.  

 

On peut dire beaucoup à propos de cette expérience. D’abord, ce flic, pour moi, reste un individu et un professionnel qui suscite la colère. Une attitude comme la sienne, transposée dans un autre métier, aussi terre à terre, aussi butée, suscitera de la colère chez d’autres personnes. Mais comme c’est un flic, toute personne qui, à ma place, se serait révoltée physiquement ou verbalement au delà de ce qui est « tolérable » sur un espace public en présence d’un représentant de la loi ou de l’ordre, se serait retrouvée malmenée au moins physiquement. Fort heureusement pour moi, lors de cette situation d’interpellation, en dépit du stress de la situation, j’ai pu rester calme, confiant et capable de me maitriser et de m’exprimer « convenablement » : de façon policée et assez facilement compréhensible et supportable. Mon comportement a donc demandé assez peu d’efforts d’adaptation intellectuelle, morale, culturelle, psychologique et physique à mes interlocuteurs policier, et contrôleur.

Ce contrôleur « comportementaliste », on peut avoir envie de le critiquer. D’autant que celui-ci n’a pas compris mon insistance lorsque j’ai essayé de lui faire comprendre ce qu’il pouvait y avoir de violent dans le fait de se faire interpeller par le flic comme je l’ai été alors que je suis en règle. Et que je n’ai fait que m’adapter quant à moi au dysfonctionnement d’une machine dont je ne suis pas responsable. Ce contrôleur ne semble pas non plus avoir compris que je me sois aussi exprimé pour de futurs usagers éventuels qui, comme moi, alors qu’ils auront un Pass Navigo ou un titre de transport en règle, ne penseront pas à se rendre vers les autres portes de validation, et se comporteront comme moi si celles-ci bloquent. Ce qu’il m’a traduit de la façon suivante : « Je suis gentil, je ne vous mets pas d’amende et vous essayez encore de négocier ! Sinon, ça ferait 60 euros à payer sur place ! ». Je lui ai répondu que je voyais bien le geste de gentillesse. Mais que j’essayais de lui faire comprendre que j’étais de bonne foi ! La bonne foi, il la percevait bien m’a-t’il répondu. Mais sa perception demeurait comportementaliste. Nous nous sommes séparés sur un « Bon week-end » sans amende.

 

Quel est le rapport avec ces articles sur la danse ?

Le plus facile pour moi qui étais en colère serait de spontanément déclarer que cet agent de police qui m’a contrarié a été incapable « d’intégrer perpétuellement »…des gestes mais aussi des pensées inhabituels. Il m’a vu passer à la suite d’un autre usager et en a déduit que j’étais en fraude. Par contre, il n’a pas vu ou il lui a été impossible de concevoir que j’aie pu essayer au moins cinq fois – en changeant de porte de validation- de passer au moyen de mon Pass Navigo parfaitement valide. Cela pour la version la plus optimiste.

Car la version la plus pessimiste donnerait ceci : Cet agent de police savait que les portes de validation étaient défectueuses. Mais, sciemment, afin de faire du chiffre en termes de contrôle et se donner et donner l’illusion d’une efficacité, il a intercepté toutes les personnes qui, comme moi, ce jour-là, ont eu le même comportement.

Personnellement, je crois à la version optimiste qui est déjà suffisamment irritante.

Je pourrais aussi avancer que le contrôleur « comportementaliste », aussi, a eu du mal à

« intégrer» une pensée et des gestes inhabituels. Sauf que, dans cette histoire, il est aussi celui qui a pris la décision de ne pas me donner d’amende. Et de désarmer tout de suite la crise ou l’injustice éventuelle. Ce en quoi, j’ai eu de la chance. Et, je l’en remercie encore. Car si je m’étais trouvé face à un contrôleur aussi borné que l’agent de police, il m’aurait été plus difficile d’éviter une amende.

En outre, le contrôleur que j’ai croisé m’a démontré/rappelé, qu’au lieu de foncer tête baissée vers les mêmes portes de validation et vers les mêmes décisions qu’il importe, aussi, de savoir prendre le temps de regarder un peu autour de soi. Aussi, je dois conclure que, dans cette expérience, j’ai aussi eu beaucoup de mal, au moins par habitude, à « intégrer perpétuellement des gestes inhabituels et abstraits ». Cette habitude vient aussi de notre façon d’apprendre.

 

Toujours dans ce numéro de la revue Science & Vie que j’ai cité, il est aussi dit : « (…..) Les chercheurs Timothy Lee, Stephan Swinnen et Sabine Verschueren ont montré en 1995 que, même après soixante essais pratiques, le cerveau ira toujours dans le sens des mouvements qu’il connaît. Ce n’est qu’après 180 essais qu’il reproduira systématiquement le nouveau schéma de mouvements » (interview de Deborah Bull, ancienne ballerine du Royal Ballet de Londres, par Aurore Braconnier, P24-31 dans Sport & Vie Hors série numéro 49).

 

 

 

Et, également dans cette interview de Deborah Bull, nous apprenons que, selon Paul Fitts et Michael Posner, nous savons depuis 1967 que l’apprentissage d’une habileté motrice se déroule en « trois étapes » : D’abord, « la phase cognitive ». « A ce stade, les erreurs sont fréquentes et, bien que l’on sache généralement que l’on fait quelque chose de mal, on ignore comment le corriger ». Puis, vient « la phase associative où on commence à associer certains indices au mouvement. Les normes de performance deviennent un peu plus cohérentes et on commence à détecter certaines de nos erreurs ». Enfin, « Après une pratique sérieuse et soutenue – qui peut prendre de nombreuses années- certaines personnes (pas toutes) entrent dans la troisième phase, la phase autonome. Maintenant, la compétence est devenue presque automatique. On n’a plus besoin de penser à ce que l’on fait et on peut souvent effectuer une autre tâche en même temps – comme parler à une caméra pendant que l’on danse ou tenir une conversation pendant que l’on conduit. C’est le mode pilotage automatique. On possède tous un vaste répertoire de compétences quotidiennes que l’on exécute automatiquement ».

 

J’ai été suffisamment autonome pour me rendre jusqu’à ces portes de validation en « mode pilotage automatique ». L’incident causé par ce double contrôle (policier et contrôleur ) m’a donné la possibilité de me rappeler comment, finalement, cette forme de confort peut aussi faire perdre…une certaine autonomie de pensée et d’action et me rendre hors-service.

Lorsque je suis repassé après ma journée de travail, une affiche spécifiait que les portes de validation en question étaient hors-service.

 

 

Je prends toujours le même trajet. Il ne m’est plus arrivé la même mésaventure depuis.

 

Franck, ce lundi 21 janvier 2019. ,

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Combats de boxe

« Les combats de boxe, la grande diversité des sports de combats, ainsi que tous les films, les    « idoles », les émissions ou les documentaires qui les ont précédés ou en découlent sont une activité de bourrins pour des gogos qui ont de l’argent à dépenser et des corps à estropier ».

C’est à peu près ce que pensent, ont pensé ou penseront des gens « biens », réfléchis…et « non-violents ». Les combats de boxe, la grande diversité des sports de combats, c’est, d’un commun accord, de la sueur, des corps des deux sexes qui se confrontent et se choquent, de la souffrance, quelques fois des hématomes et un peu de sang, parfois des blessures et aussi des destructions irréversibles pour certaines et certains pratiquants. Mon médecin du sport m’a parlé d’un boxeur qui avait pris tellement de coups qu’à partir de la trentaine, celui-ci était obligé de prendre des notes chaque fois qu’on lui parlait afin de se remémorer ce qu’on venait de lui dire : « Chéri, je te quitte avec ton meilleur ami. Réponse type : Attends ma puce, je vais chercher mon cahier et un stylo pour noter tout ce que tu viens de me dire ». On pourrait penser au film Memento de Christopher Nolan mais dans le film de Nolan, le héros n’est pas un boxeur. Ou alors j’ai déjà reçu tellement de coups que je l’ai oublié.

 

La boxe et les sports de combat ont une mauvaise image auprès d’un certain public. Voire le sport tout court. Chaque sport, de combat ou non, comporte des risques et il est nécessaire d’en respecter et de savoir en faire respecter les règles. Pour cela, il existe des Maîtres, des professeurs, des éducateurs, des formateurs, des médecins, des fédérations, des arbitres, des règles. Et, avant cela, il existe des parents, des tuteurs. Et des pratiquants conscients d’eux-mêmes, de leurs possibilités comme de leurs limites et de leurs erreurs, car ils auront appris à se connaître au travers des épreuves, des apprentissages et des instructions diverses – y compris théoriques- qu’elles et ils auront reçus ou seront allés chercher. Personnellement, j’ai fini par comprendre qu’une grande partie des blessures physiques liées au sport survient souvent alors que l’on a une vulnérabilité affective particulière. Présentés comme cela la boxe et les sports de combats ressemblent déjà un peu moins à des pratiques de bourrins et de fanatiques pour gogos. Même s’il s’y trouve des bourrins, des fanatiques et des gogos comme ailleurs. Mais, au moins, ces bourrins et ces fanatiques-là se déploient-ils à visage découvert et acceptent de se retrouver seuls face à des adversaires plus ou moins prévenus et plus ou moins préparés : un jour, la défaite de ces bourrins et fanatiques peut être aussi violente- dans les règles- que n’a pu l’être leur carrière victorieuse si celle-ci l’avait été.

 

Si l’on a besoin d’un peu plus de « preuves » intellectuelles et littéraires de ce que la boxe ou les sports de combat peuvent permettre comme réflexion sur la condition humaine, des ouvrages comme De La Boxe de Joyce Carol-Oates, Un Goût de rouille et d’os de Craig Davidson (dont le réalisateur Jacques Audiard s’est inspiré pour son film), ceux de F.X Toole dont on se souvient du Million Dollar Baby adapté au cinéma par Clint Eatswood donneront un certain aperçu.

 

Pour la suite de cet article, ma conviction est que, de toute façon, qu’on le veuille ou non, notre quotidien est fait de ces combats de boxe que nous perdons ou que nous gagnons. Mais aussi de ceux que nous évitons sciemment- également avec raison- et de beaucoup d’autres dont nous subissons les coups et les conséquences parce-que nous les ignorons : nous n’avons pas ou plus connaissance de leur existence depuis si longtemps.

Aujourd’hui, c’est le premier jour (l’article a commencé à être rédigé ce 9 janvier 2019) des soldes dans notre pays. Nous serons des milliers ou des millions à nous demander s’il y’a une petite affaire à en tirer. Hier, je me suis ainsi rendu dans un magasin de chaussures afin de bénéficier de trente pour cent de réduction grâce à un code promotionnel utilisable en vente privée. Au lieu de me repérer et de m’insulter – encore toi ?!- comme on le ferait avec un poivrot qui, toujours, croit voir pousser son avantage dans le prochain verre, le vendeur m’a reçu et        « conseillé ». Ensuite, sa collègue, à peu près la moitié de mon âge, a fait de même. Souriante et disponible, elle avait sûrement le sentiment de me rendre service. Toutes les démarches ont été enregistrées sur un Ipad 3 (j’ai demandé, séduit par l’ergonomie du clavier. Mais je n’ai pas cherché à l’acheter) afin que le modèle de chaussures que j’ai choisi – et payé- me soit livré dans quelques jours à mon domicile. Après avoir été joint par téléphone par l’entreprise de livraison. Cette façon de consommer était inconcevable lorsque j’étais enfant et que mes parents m’emmenaient essayer des chaussures dans le magasin Bata ou André du coin.

Hier, cette nouvelle façon de procéder avait bien-sûr quelque chose de pratique : Je suis reparti satisfait, avec l’assurance de bientôt recevoir l’objet de mes désirs. Si celui-ci ne me convient pas, je pourrai toujours le retourner et me faire rembourser. C’est donc moi qui ai tout pouvoir de décision. En plus, j’ai bénéficié d’un tarif promotionnel avant le début des soldes : même si je sais que tant d’autres en ont également bénéficié dans ce magasin ou un autre, cela me donne de près ou de loin le sentiment d’être privilégié. Car, bien-sûr, je suis persuadé d’avoir besoin de cette nouvelle paire de chaussures. Même si notre société cultive le manque, en extrait et en exploite la quintessence et me l’implante régulièrement dans l’aorte. Si bien que, même si je suis préoccupé par l’avenir écologique, j’ai assez régulièrement la sensation – presque délirante et hallucinatoire- d’être privé ou d’avoir été privé de quelque chose. Soit en regardant les autres, soit en voyant tout ce que la société nous « offre ». Du fait de cette sensation de manque, certains de mes achats sont sans doute et ont sans doute été des achats « de revanche », une revanche illusoire évidemment, plutôt que des achats de réelle nécessité. Et comme n’importe quelle personne dépendante, j’ai souvent cru avoir le contrôle sur ma consommation.

Il y’a quelques mois encore, alors que j’étais en plein entretien professionnel en vue d’obtenir un poste dans un service spécialisé dans les addictions, cette question, sans doute rituelle, est tombée :

« Avez-vous des addictions ? ».

Je me suis empressé de répondre : « Non, non, je n’ai pas d’addiction…. ». J’étais alors dans l’ignorance et dans le déni, persuadé que le mot « addiction » était une part de moi honteuse à même de me faire échouer à l’entretien. J’étais aussi mal préparé à cet entretien car un tout petit peu de réflexion m’aurait facilement permis de répondre différemment.

Car, au sujet de nos addictions ou dépendances, les faits sont plus durs et aussi imparables que certains uppercuts:

L’image péjorative du boxeur, c’est celle du bourrin attardé dont les traits du visage et les pensées sont des dessins abîmés. Celle, péjorative, de la personne dépendante ou addict, c’est, à l’extrême, celle du toxicomane peut- être celle du junkie qui se prostitue et est prêt à prostituer son perroquet, sa grand-mère ou son enfant pour une dose. Alors que sans en arriver à cette situation extrême, je le répète, la personne dépendante, ce peut aussi être celle ou celui qui fixe en permanence l’écran de son ordinateur, de sa tablette ou de son smartphone même lorsqu’il est en présence de son collègue, conjoint, ami, enfant ou semblable.

Bien-sûr, il n’y’a pas de délit à cette dépendance – ou addiction- sociale, à celle-ci et à d’autres telles que le recours au crédit et au découvert bancaire. Car ces addictions- sociales et économiques- sont légales, encouragées, et nous sommes consentants ou supposés être en mesure de disposer de tout notre discernement lorsque nous nous y adonnons. Car, officiellement, nous sommes des individualités et des êtres libres. Tel est l’intitulé de notre naissance. Nous sommes libres et égaux en droits. Aussi, notre usage d’une certaine consommation est-il le résultat de notre vocation : Nous sommes faits pour ce produit, cette paire de chaussures, ce smartphone, cet ordinateur, ce crédit, cet écran de téléviseur, et, pourquoi pas, pour cette femme-ci plutôt qu’une autre, pour cette école-là pour notre enfant. Nous sommes faits pour cela car c’est ce que nous « choisissons » et peu importe si nos choix sont très influencés par nos moyens – supposés- du moment.

Le terme de « vocation » est ici très trouble, peut-être fourbe, car il suggère une prédestination vertueuse alors que pour beaucoup, une vocation se présente ou se décide parce-que l’on a été privé dès l’enfance, parfois ou souvent avant même notre naissance, de la capacité consciente et économique de comparer afin d’arrêter notre véritable choix.

Pour ce qui est des soldes, je peux sans doute me rassurer en me disant que je consomme moins qu’avant d’une manière générale et, aussi, que, quitte à le faire, autant que ce soit durant les soldes dès lors que c’est mesuré, réfléchi, et , si possible, à la baisse. C’est peut-être, ce que dans un service d’addictologie, on appelle une réduction des risques. Après tout, celles et ceux qui suivent un régime amincissant continuent bien de manger. Mais c’est leur façon de manger, leurs habitudes de vie et alimentaires, qui changent.

 

La vraie richesse et la véritable liberté consistent sans doute à disposer de manière équilibrée de ses capacités conscientes- donc morales, intellectuelles, psychologiques, physiques- et économiques avant de faire des choix. Il y’a donc très peu de personnes libres contrairement à ce qui se dit.

 

Nous sommes des millions voire des milliards ultra-connectés et nous sommes presque tout autant à être ultra-isolés. Cela nous fait perdre bien des combats. Ce 7 janvier, cela faisait quatre ans que l’attentat de Charlie Hebdo avait eu lieu. Le 8 Janvier, cela faisait quatre ans que la policière Clarissa Jean-Philippe- « alors qu’elle était appelée pour un banal accident de la route »- était abattue à Montrouge par le terroriste qui, le lendemain, le 9 janvier 2015, allait attaquer l’Hyper-Casher de Vincennes. En janvier 2015, des gens se battaient en faisant la queue pour se procurer le numéro de Charlie Hebdo de l’après-attentat. Des millions de gens défilaient le 11 janvier 2015 « pour » Charlie et aussi, sans doute, pour l’Hyper-Casher. Y compris des chefs d’Etat et des personnalités politiques cherchant à se placer au bon endroit afin d’être bien vus des photographes et des média.

Assez vite, des dissonances sont apparues : un compatriote m’expliquait qu’en Guadeloupe, la marche du 11 janvier « pour » Charlie avait plutôt été perçue comme une marche « raciste » car rien n’avait été dit ou fait ce jour-là en mémoire de la policière Clarissa Jean-Philippe, noire et antillaise.

Des « Je suis Charlie » cessaient de l’être car en désaccord avec l’humour et des articles de l’hebdomadaire. Certains de ces ex « Je suis Charlie » regrettant que les terroristes aient mal accompli leur travail le 7 janvier 2015.

Certains intellectuels et journalistes, aussi, ont critiqué et critiquent Charlie Hebdo pour sa persistance à aborder certains sujets : Les intégrismes religieux islamistes et catholiques par exemple.

Des membres de Charlie Hebdo ont quitté le journal depuis. J’ai d’abord cru que c’était dû aux effets- très compréhensifs- du traumatisme post-attentat. J’ai compris récemment que des dissensions parmi les membres du journal après l’attentat étaient peut-être la cause principale de certains de ces départs. Et que certains de ces ex-confrères, lorsqu’ils se croisent désormais, ne « se disent plus bonjour ».

Et puis, il y’a eu cette intervention récente de Zineb El Rhazoui, « la journaliste la plus menacée de France » (ou du monde ?) dans l’émission télévisée de Thierry Ardisson. J’en ai eu connaissance hier soir, par hasard, en tombant sur un post d’un « ami Facebook » et ex-collègue du mensuel Brazil.

Zineb El Rhazoui, une des rescapées de l’attentat du 7 janvier 2015, ex-journaliste de Charlie Hebdo également, a aussi écrit sur l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015 (13 Zineb raconte l’enfer du 13 novembre avec 13 témoins au cœur des attaques, éditions Ring). Livre que j’ai acheté et sur lequel j’écrirai sûrement comme j’ai parlé du film Utoya dans la rubrique Cinéma. Cela m’a un peu dérangé que Zineb El Rhazoui passe dans l’émission de Thierry Ardisson car je le perçois, lui, un peu comme un animateur télé opportuniste ( autant que les autres ?). Mais le principal était sans doute que Zineb El Rhazoui puisse venir s’exprimer sur un plateau télé. Et sans doute qu’il valait mieux venir s’exprimer dans l’émission de Thierry Ardisson plutôt que dans celle d’un autre animateur télé…ou dans le vide.

Dans cet extrait d’intervention d’environ deux minutes, j’ai regardé et écouté cette jeune et belle femme dire comment, en tant que rescapée de l’attentat du 7 janvier 2015, elle avait personnellement ressenti ce 7 janvier 2019, ce « mépris » du Président Macron. Ce mépris que les gilets jaunes (8 ème ou 9 ème samedi de mobilisation de suite) ont évoqué pour expliquer leur colère et leur mouvement. Zineb El Rhazoui était visiblement émue. Elle en a expliqué les raisons. Sur le plateau télé, la sympathie et l’empathie étaient présentes. Je me suis pourtant demandé dans quelle solitude elle allait se retrouver ensuite, une fois qu’elle aurait quitté ce plateau télé. Comme plusieurs des survivants de Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui vit désormais sous escorte. Ce qui comprime beaucoup sa vie personnelle et sociale à l’image sans doute d’un Roberto Saviano. Ou, dans un autre registre, d’un Edward Snowden ou d’un Julian Assange.

Je n’ai pas le courage – et sans doute ni l’extra-lucidité- d’une Zineb El Rhazoui. Lequel courage (liberté, témérité, ténacité ou inconscience) s’était manifesté bien avant qu’elle rejoigne la rédaction de Charlie Hebdo. Je ne la connais pas. Je ne la rencontrerai sans doute jamais. Et si je la rencontrais, je ne vois pas ce que je pourrais lui dire à elle comme à d’autres -qui risquent leur vie avec leur culture et leur intelligence pour leurs idées- de consistant. Mais je peux la nommer elle et d’autres. Ce que je viens de faire. Et, ce faisant, je contribue un peu moins à sa mort directe ou indirecte, car ne pas ou ne plus nommer les êtres, ne pas ou ne plus penser à eux, c’est, d’une façon ou d’une autre, les faire disparaître ou les laisser disparaitre.

 

Avant le 7 janvier 2015, je ne lisais pas Charlie Hebdo. J’avais essayé, une fois, plusieurs années auparavant, alors que Philippe Val dirigeait encore le journal. Je n’avais pas aimé le style ainsi que le contenu. Si j’ai un peu de chance, vu que je garde beaucoup de choses, je retrouverai ce numéro un jour. Depuis le 7 janvier 2015, je lis Charlie Hebdo. Je trouve un certain nombre de leurs articles très bien écrits et instructifs. Il s’y parle bien-sûr de l’intégrisme islamiste puisque c’est celui-ci qui constitue leur Hiroshima mémoriel. En cela, pour moi, Charlie Hebdo est le journal d’un deuil impossible. Mais dans Charlie Hebdo, on y parle aussi beaucoup d’autres actualités telles que les gilets jaunes, l’écologie, les migrants, la souffrance infirmière dans les hôpitaux ( il y’a quelques mois, le journal avait sollicité les témoignages de personnels exerçant dans les milieux de la santé), la politique en France et ailleurs….

En commençant à écrire cet article, je n’avais pas prévu de parler autant de Charlie Hebdo. De L’hyper-casher, de Clarissa Jean-Philippe (qui « a » depuis ce 11 janvier 2019 une allée qui porte son nom dans le 14ème arrondissement de Paris). Il ne s’y trouvait d’ailleurs aucune ligne mentionnant Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, Edward Snowden, Roberto Saviano, Julian Assange. Tout au plus avais-je prévu de mentionner, tout de même, l’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier. Il est tellement de situations immédiates, quotidiennes, qui nous éprouvent et nous prennent. Mais nous sommes aujourd’hui le lundi 14 janvier 2019. Presqu’une semaine est passée depuis que j’ai commencé la rédaction de cet article. Nous sommes nombreux à être assignés très tôt à une fonction, un statut, une façon de penser ou une particularité et à croire que cela est définitif. Plutôt que de m’en tenir définitivement à la première version de cet article, j’ai préféré l’ouvrir à ce qui m’avait ouvert, moi, entre-temps.

 

Sur un ring, le boxeur a une acuité maximale. Car il sait et sent intuitivement que sa vie en dépend. La vie de Zineb El Rhazoui et d’autres personnalités – y compris parmi leurs adversaires idéologiques- ressemble à cela. Sauf que certains coups que l’on reçoit dans la vie sont tellement vicieux. Tellement imprévisibles. Tellement protégés derrière des armées de différentes espèces. Derrière de vastes immunités. Il nous faut apprendre à les encaisser et à les esquiver dès qu’on le peut. Mais dans la vie de tous les jours, on ne peut pas tout le temps vivre aux aguets, les poings fermés et les yeux ouverts. Même un boxeur professionnel et expérimenté ne peut pas le faire indéfiniment sur un ring. Alors, dans la vie de tous les jours, certaines et certains en profitent. D’autres donnent des coups sans le savoir et aussi parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement avant d’apprendre à avoir une conscience et à changer de comportement. Et aussi, parce-que, même s’ils feront du mal à quelques uns, ils feront du bien à beaucoup d’autres.

D’où l’importance de (savoir) bien s’entourer, de disposer de lieux de résidences- et de retraits- sûrs et de savoir entretenir des relations de bon voisinage et en bonne intelligence y compris avec des personnes que notre instinct premier nous donnerait plutôt envie de rejeter ou de défier. Cette façon de raisonner contredit ce que j’ai pu écrire plus haut ou est une manière lâche et hypocrite de se défiler ?

Je repense à Christophe, mon ex-rédacteur en chef de Brazil alors qu’au festival de Cannes, j’avais été content de lui montrer des photos que je venais d’acheter. Parmi elles, une photo de Jet Li. Christophe avait eu une mine dépitée. Lui, défenseur d’un cinéma d’auteur indépendant, face à un de « ses » journalistes lui montrant une photo d’un acteur de cinéma grand spectacle a priori sans fondement. Mais Jet Li est un artiste martial. Et, aussi bon soit-il, et il l’est, toute personne qui s’y connaît un tout petit peu en films d’art martiaux sait qui est Bruce Lee. Dans son dernier film, Operation Dragon, alors qu’il se rend, mandaté par le gouvernement britannique, à un tournoi d’art martial, Bruce Lee croise un combattant teigneux prêt à se bagarrer à tout bout de champ. Provoqué par celui-ci, Bruce Lee lui répond : « Disons que mon art consiste à combattre sans combattre ».

 

Mais on peut préférer cette conclusion qui reprend mot pour mot les propos d’un manager, Thibaut Griboval, sur son site sixty-two.be, bien qu’au départ, son orientation libérale me crispe. Car celle-ci a souvent tendance à mettre dans la lumière celles et ceux qui « réussissent » et à gommer tous les autres qui se sont fracassés en cours de route en essayant de réussir :

« Nous entrons plutôt dans une économie de la créativité, où le leader est celui qui sait ouvrir des portes, voire des avenues, dans un espace surchargé d’informations, difficilement lisible ».

On peut aussi s’en tenir à éprouver une certaine culpabilité. Comme celle que j’ai ressentie ce samedi, en croisant deux gilets jaunes, alors que je me rendais à nouveau dans un magasin pour profiter des soldes. Ou hier soir en écoutant et en voyant Zineb El Rhazoui parler du « mépris » du Président Macron lors de l’émission télévisée de Thierry Ardisson.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui ou demain, un ou plusieurs combats de boxe avec soi-même auront lieu.

Franck Unimon, ce lundi 14 janvier 2019.

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Echos Statiques

Même si je n’en parle pas

                                          Même si je n’en parle pas

 

 

Mieux vaut apprendre à bien connaître son propre regard. Car il est le maitre dont chaque lueur – même indistincte- lui permettra de mesurer sa valeur.

D’où me viennent ce regard, cette voix, cette gestuelle, cette posture, ces volontés, ces mots que je prononce et par lesquels je m’ensemence ? S’agit-il de séquelles, de parcelles, de défaites, de victoires ou d’illusions qui m’ont été léguées, que j’ai conquises, que j’ai commises, et avec lesquelles je me scarifie et me glorifie, moi et mon entourage ?

« Je t’aime dans le fond du cœur » ; « Je te manque ».

Le pouvoir terrifiant de mon regard sur lui m’amène bien des fois à des (t)erreurs de jugement. A des exigences et des craintes sans contraintes. Moi qui suis le plus sûr et le plus grand, je manque souvent de hauteur. Seule la mémoire, l’apprentissage, le remords ou le reproche me permettront, peut-être, un jour de le savoir. Mais il me sera impossible de retourner en arrière comme de rembourser.

J’avance, démasqué, poussé perpétuellement, parfois grisé, parfois bouffi, d’autres fois découragé ou amusé. Le spectre des émotions qui me décrypte et me partage ne tient pas en place et il me faut, à partir de ça, parce-que je suis le plus grand, donner une direction tout en acceptant que s’expriment les contours et les particularités d’une certaine improvisation.

Un comédien ou un musicien aura plus de facilités pour aborder les complexités d’un personnage ou d’une partition. Car aucun des deux ne viendra lui demander des comptes ou se plaindre d’avoir été sous-estimé ou emprisonné en pleurant ou en faisant une crise à toute heure de la journée comme de la nuit.

Il pourra subsister un sentiment d’inachevé ou d’insatisfaction après la performance d’une comédienne, d’un danseur ou d’une musicienne mais il sera peut-être plus « facile » de se convaincre que l’on a tout essayé et que le temps – et la compréhension-qui nous étaient accordés était limités.

 

Devant lui, la limite du temps -et sa compréhension- se fondent quotidiennement dans l’éternité. Je sais à peine quand ça commence. Malgré mes meilleures intentions, je reste le serviteur aussi zélé qu’étonné de ma ponctuelle impatience.  Officiellement, j’ai bien sûr une date et un horaire de départ définis et enregistrés à l’Etat civil. Mais, souvent, cela a toujours commencé avant cette date. Quant à la date de fin, elle est variable, selon les humeurs, les événements, les ententes, la loi, les disputes et les croyances. Je ne suis pas devin.

 

 

Autrefois, à lire les interviews de certaines personnalités, une de mes obsessions consistait à m’interroger sur la teneur de leurs relations avec leurs parents. Depuis que je suis devenu père, une nouvelle obsession est arrivée.

 

J’aime toujours découvrir, regarder, tenter de décoder les prouesses de telle personnalité – médiatisée ou non- dans un domaine donné, sportif, artistique ou autre. Mais depuis que je suis devenu père, c’est plus fort que moi. Même si je n’en parle pas.

J’assiste par exemple à la démonstration d’un artiste martial et je me dis :

« J’aimerais bien savoir s’il ou si elle est aussi fluide et aussi à l’aise lorsque son enfant se réveille en pleine nuit en pleurs ou lorsque son enfant, subitement, fait une crise alors que tout s’est bien passé jusque là ; que l’on a œuvré pour que cela se passe bien et que, soi-même, on est plutôt fatigué et qu’on aspire au calme ». Parce-que tout le monde sait bien-sûr qu’effectuer un coup de pied retourné sauté, un Rap en freestyle, le Moonwalk , un triple salto , un solo de guitare de dix huit minutes ou sauter du haut de la Tour Eiffel en rollers les yeux bandés et les deux mains attachés dans le dos, aura très vite très peu d’effet pacificateur sur les crises ou les pleurs de son enfant.

 

Pareil, avec une personnalité politique ou autre. J’aimerais aussi savoir. Car disposer de la bombe atomique, si l’on est le papa d’un ( e ) petit( e) Hulk – et tous les enfants peuvent être des petits Hulk – lui certifier : « Tu sais, je possède des milliards… » ou pratiquer la langue de bois aura très peu d’effet , ou l’effet contraire suivi d’autres d’effets secondaires, sur sa crise comme sur ses pleurs.

 

 

Je ne regrette rien. Je suis parfois curieux, même si des éléments de réponse sont déjà sous mes yeux, de connaître la personne que ma fille va devenir. Et, malgré mes ratés, je suis rassuré de constater que ma fille m’aime encore. Pour l’instant. Les enfants ont un si gros réservoir d’affection, de discernement, d’intuition et de pardon pour leurs parents que je m’avise que ces derniers ont dû beaucoup manquer de chance et/ou avoir été particulièrement endommagés plus jeunes pour qu’une fois adultes, leurs propres enfants se détournent d’eux.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 3 janvier 2019.