ParanoĂŻa socialeÂ
Hier, en allant Ă la mĂ©diathĂšque rendre des prĂȘts en retard (une de mes routines), je me suis imaginĂ© que, dans la vie sociale, jâĂ©tais et suis une personne plus sincĂšre, plus honnĂȘte et plus franche que la « normale ».
J’ignore encore ce qui m’a pris. Mais, je me suis avisĂ© quâil fallait, dans les faits, assez peu se dĂ©voiler ou, tout au moins, modĂ©rĂ©ment donner de sa gentillesse et de sa disponibilitĂ© et prendre le temps, en restant poli, d’observer. Et dâĂ©valuer si ces personnes dont nous faisons la rencontre, que nous trouvons en prime abord si « cool », si « sympas »  et si « mignonnes »,  valent ou valaient la peine quâon leur donne davantage de soi :
De notre gentillesse, de notre spontanĂ©itĂ©, de notre sincĂ©ritĂ©, de notre intĂ©rĂȘt, de notre altĂ©ritĂ© etcâŠ.
La « norme » sociale, au premier abord, est assez souvent de sâaccoster les uns, les autres, avec de grands sourires et propos ouverts et accueillants. Mais derriĂšre la forme, le plus souvent, celles et ceux que nous rencontrons se font une idĂ©e de nous, vraie ou fausse. Nous faisons tous ça : nous projetons sur lâautre quelque chose. De bien ou de mal. Puis, au travers de certaines situations ( la façon de tenir un verre, cette façon particuliĂšre que l’autre a de se dĂ©placer pour se rendre aux toilettes ou de regarder, subitement, son portable)  nos impressions se trouvent confirmĂ©es ou contredites.
Cela va trĂšs vite.
AprĂšs le temps des sourires et de lâaccueil, le temps du jugement social- et de la guillotine- arrive trĂšs vite. Plus vite quâon ne le pense. Plus vite, en tout cas, que, moi, je le pense. Jâai oubliĂ© dâĂ©crire que je m’imagine, aussi, en matiĂšre de relations sociales, ĂȘtre une personne naĂŻve ou trĂšs naĂŻve. Ou, en tout cas,  je m’imagine que je peux lâĂȘtre.
Parce-que, fonciĂšrement, celles et ceux que nous rencontrons pour les premiĂšres fois, lorsquâils viennent vers nous avec sourires et « bonnes » intentions affichĂ©es ( pour celles et ceux qui viennent Ă nous car dâautres, pour des raisons assez mystĂ©rieuses, restent Ă lâĂ©cart et trĂšs discrets) sont souvent en pleine prospection afin dâessayer dâobtenir de nous un Ă©ventuel bĂ©nĂ©fice, intĂ©rĂȘt, y compris commun. Je le fais aussi mais, jâai lâimpression, que plus que dâautres, bien plus que dâautres, je vais vers les autres avec une plus sincĂšre sympathie lĂ ou dâautres sont, finalement, et fonciĂšrement, avant tout intĂ©ressĂ©s. Un peu comme si dĂšs le dĂ©but dâune rencontre, on se mettait Ă avoir rapidement des relations sexuelles avec une personne parce-que lâon se sent bien avec elle et quâon la trouve sympathique. Alors que cette personne, elle, a uniquement vu en nous un « bon » coup ou un coup Ă tirer. Ou attendait simplement de nous qu’on lui offre un cafĂ©, une cigarette. Ou une vingtaine de centimes.
Avec certains parents rencontrĂ©s Ă lâĂ©cole oĂč ma fille est scolarisĂ©e, jâai un peu lâimpression de mâĂȘtre fait un peu « tirer » socialement. Et puis, une fois le temps de « lâinspection » sociale terminĂ©, jâai Ă©tĂ© Ă©valuĂ© comme bon Ă jeter, bon Ă Ă©carter, bon Ă nĂ©gliger. Avec les formes bien-sĂ»r. Car, lorsque lâon me croise, câest sourire et bonjour.
Officiellement : il nâyâa pas de conflit ou de dĂ©saccord. Câest la norme sociale. Et je me la prends â Ă nouveau- en pleine figure au travers de ces quelques relations avec quelques parents que je croise depuis que ma fille est Ă lâĂ©cole maternelle.  Peu m’importe que mes relations soient cordiales avec la majoritĂ© des parents que je salue. Je m’attarde ici sur deux ou trois parents vis-Ă -vis desquels j’ai maintenant quelques rĂ©serves.
Mais ces attitudes se retrouvent partout.
Hier, je me suis avisĂ© quâil fallait en fait, savoir laisser les autres projeter sur nous. Et moins se dĂ©voiler : pourquoi se montrer tel quâen soi-mĂȘme, si, en face certaines personnes avancent masquĂ©es ou se voilent la face sur elles-mĂȘmes. Chez les parents dâune ancienne copine dâĂ©cole de ma fille, nous avons Ă©tĂ© invitĂ©s une fois. Il yâa bientĂŽt deux ans maintenant. Et, je me rappelle que chez eux figurait â et figure toujours sans doute- une sorte dâinscription ou de maxime, accrochĂ©e sur le mur oĂč Ă©tait prĂŽnĂ©e la tolĂ©rance et des valeurs proches. Jâimagine bien que ces parents – comme la plupart d’entre nous- sont sincĂšrement convaincus des bienfaits de ces valeurs. Tout en les appliquant Ă leur sauce comme on peut interprĂ©ter Ă sa sauce une religion, un film, une vĂ©ritĂ©, une chanson, un regard, tout en refusant que lâautre nous apporte la contradiction, sa contradiction.
Je suis donc, je crois, socialement, une personne souvent trop naĂŻve, honnĂȘte, sincĂšre et trop franche. Il est dĂ©jĂ arrivĂ©, lors de mes discussions avec ma compagne, que celle-ci me le fasse comprendre en quelque sorte et me donne des cours de rĂ©alisme. Lorsque je lui parlais par exemple de mes dĂ©sillusions sociales et relationnelles dans le milieu du cinĂ©ma en tant que journaliste ou comĂ©dien, oĂč jâai, Ă ce jour, dans le meilleur des cas, rencontrĂ© bien plus dâexperts et dâexpertes en sĂ©duction sociale que dâamis vĂ©ritables.
Lorsque jâĂ©cris quâil faut laisser les autres « projeter » sur soi, câest Ă©videmment en faisant en sorte que ce quâils projettent soit Ă notre avantage. Si pour les besoins d’un film, un rĂ©alisateur veut voir en moi un boucher et que, pour cela, il est prĂȘt Ă me payer 1500 euros par jour, ça me va. Par contre, si pour jouer la doublure d’un homme grenouille, je dois entrer dans une eau glacĂ©e et y rester pendant des heures pour le plaisir de participer au travail de fin d’Ă©tudes d’un Ă©tudiant en cinĂ©ma, je crois plus sensĂ© de refuser cette proposition.
Il convient donc de faire attention Ă son image.
Il est vrai que, dans ce domaine, je suis et reste plutĂŽt « nature » lĂ oĂč bien dâautres (femmes comme hommes) sont des experts en maquillage et en enrobage social. Et, la vie quotidienne nous apprend que souvent voire assez souvent, celles et ceux qui savent se montrer Ă leur avantage Ă coups de maquillage et de matraquage social, ou de sourires adressĂ©s au bon endroit, vers les regards porteurs d’avenir,  rĂ©ussissent souvent mieux, et plus vite, que celles et ceux, qui, comme moi, se montrent plus « fous » et moins regardants sur lâenrobage et la prĂ©sentation. Le feu de la folie dĂ©vore le dĂ©cor et le protocole social. Lorsque l’on est  » fou », en cas de « rĂ©ussite », on devient un modĂšle ou une crainte. Dans une situation intermĂ©diaire, on inspire scepticisme, suspicion ou rejet quelles que soient nos rĂ©elles qualifications et intentions.
Dit autrement : les parents de cette ancienne copine dâĂ©cole de ma fille- et dâautres- peuvent bien mâĂ©valuer Ă mon dĂ©savantage autant quâils le veulent ou sâestiment autorisĂ©s Ă le faire. Je sais, Moi, que jâai autant de valeur humaine quâeux. Et, je crois, aussi, que contrairement Ă eux et dâautres, je suis plus respectueux des autres : Je me sens plus lâĂ©gal de celles et ceux que je croise que leur supĂ©rieur. Mais la vie sociale est ainsi faite quâĂ moins dâune catastrophe ou dâun Ă©vĂ©nement exceptionnel oĂč lâon se retrouve obligĂ© de faire « corps » et alliance avec des personnes que lâon dĂ©sapprouve ou dĂ©prĂ©cie, gĂ©nĂ©ralement, chacun peut rester confortablement domiciliĂ© dans ses prĂ©jugĂ©s sur une personne ou un groupe de personnes.
Mais savoir ce que je sais de moi, ce que je vaux, et sur moi, si je suis le seul à le savoir, est insuffisant pour réussir sa vie sociale.
Savoir que nous avons invitĂ© la mĂšre de cette ancienne copine d’Ă©cole de ma fille il y’a quelques mois, et que cela s’Ă©tait pourtant- apparemment- bien passĂ© avec elle et les autres parents prĂ©sents, est insuffisant pour comprendre ce qui fait que, prochainement, nous ne serons pas invitĂ©s, contrairement aux  parents de la trĂšs bonne copine de ma fille, chez cette dame. Je n’ai pas l’intention de sĂ©questrer cette maman et son mari ni de les interroger comme peut l’ĂȘtre le personnage de Malotru dans Le Bureau des LĂ©gendes alors que lors d’un des premiers Ă©pisodes de la sĂ©rie, il passe au dĂ©tecteur de mensonges. Si je mâĂ©tends autant sur le sujet, câest parce quâen repensant Ă ma fille avant hier dans lâaire de jeux oĂč elle a jouĂ© plus dâune heure avec une de ses copines, jâai revu ce que je vois assez souvent lorsquâelle joue avec des autres enfants :
Câest elle qui est demandeuse. Câest assez souvent, elle dans la rue, qui reconnaĂźt dâautres enfants et les appelle. Hier soir, Ă la maison, jâai entendu notre fille expliquer Ă ma compagne, sa mĂšre, son problĂšme avec sa trĂšs bonne copine :
Sa trĂšs bonne copine commande le dĂ©roulement de leurs jeux. Et notre fille essaie de sây opposer.
Mais, Ă entendre notre fille, sa trĂšs bonne copine a le leadership et, sâopposer Ă elle, câest prendre le risque dâĂȘtre isolĂ©e du groupe. Hier soir, je me suis contentĂ© dâĂ©couter car jâĂ©tais alors dans une autre piĂšce, sans doute en train de faire mes Ă©tirements avant de partir au travail.
Jâai Ă©coutĂ© ma compagne conseiller Ă notre fille de dire Ă sa copine que câĂ©tait Ă chacune son tour de dĂ©cider. Jâai Ă©coutĂ© ma compagne dire Ă notre fille que si sa copine persistait Ă vouloir diriger (ce que notre fille a expliquĂ© Ă sa maman/ ma compagne), hĂ© bien, que dans ce cas, il suffisait en quelque sorte de ne plus jouer avec elle ! Et ma compagne dâassurer Ă notre fille que sa copine et le reste du groupe viendraient sĂ»rement la chercher pour jouer avec eux. Il mâa semblĂ©, aux rĂ©actions de notre fille, quâelle Ă©tait assez peu persuadĂ©e par les conseils de sa maman. En tout cas, câest peut-ĂȘtre moi qui projette finalement. Car, moi, jâĂ©tais peu convaincu par les conseils de ma compagne mĂȘme si je me suis abstenu dâintervenir.
Je souhaite Ă©videmment Ă notre fille dâapprendre Ă Ă©viter ces Ă©cueils sociaux et affectifs :
Que ce soit une certaine dĂ©pendance sociale et affective aux autres. Ainsi que ces « Je ne sais pas » quant aux raisons qui font quâune relation avec un proche, une proche, ou une connaissance, se distend. Comme nous, ou comme moi ( car je crois que le problĂšme doit provenir de moi) avec les parents de cette ancienne copine d’Ă©cole de notre fille.
Je souhaite rĂ©solument Ă notre fille de savoir voir comme, dans la vie sociale, celles et ceux qui nous font les plus beaux et les plus rapides sourires- sans que ce soit forcĂ©ment de lâhypocrisie ou le repaire dâune perversion comme dâune mauvaise intention- doivent ĂȘtre dĂ©codĂ©s. Se doivent dâĂȘtre dĂ©codĂ©s. Car celles et ceux qui font les plus beaux et les plus rapides sourires feront rarement lâeffort de se dĂ©coder dâeux-mĂȘmes :
PremiĂšrement parce quâils nâont aucun intĂ©rĂȘt Ă se dĂ©voiler comme Ă dĂ©voiler leurs rĂ©elles intentions. Tout ĂȘtre a ses dĂ©fauts et sa perception propre.  Et peut percevoir â Ă tort ou Ă raison- comme un handicap le fait de se montrer tel quâil est vĂ©ritablement.
DeuxiĂšmement, parce-que celles et ceux que nous rencontrons ont une connaissance et une perception dâeux-mĂȘmes, comme du retentissement de leurs actions sur les autres, assez limitĂ©s :
Des personnes peuvent nous faire plus ou moins de mal sans, toujours, le prĂ©voir, le souhaiter ou sâen apercevoir.
Et, bien-sûr, il faut aussi apprendre à se préserver de celles et ceux qui nous font du mal ou peuvent chercher à nous nuire délibérément.
Je souhaite Ă notre fille dâapprendre Ă se connaĂźtre, comme Ă connaĂźtre les autres suffisamment, ainsi que le monde bien-sĂ»r, pour sâĂ©pargner le plus de dĂ©boires possibles sociaux et affectifs, en prioritĂ©, dans sa vie. Et, bien-sĂ»r, j’espĂšre que sa mĂšre et moi ainsi que d’autres personnes de confiance, adultes ou non, sauront l’aider Ă faire ce genre d’apprentissage.
Sinon, « autre » sujet, je continue dâavoir beaucoup de plaisir Ă lire le livre Inside Apple dâAdam Lashinsky . Un livre sur lequel je suis tombĂ© par hasard Ă la mĂ©diathĂšque prĂšs de chez nous.
Le numĂ©rique, lâinformatique, internet sont de plus en plus un justaucorps, voire une seconde peau, pour de plus en plus de gens. Moi, je fais partie dâune Ă©poque prĂ©historique. Dâune Ă©poque oĂč tout cet attirail numĂ©rique, ainsi que cette Ă©conomie, cette toxicomanie et cette mĂ©thode « dâachievement » ou de rĂ©ussite social(e) Ă©tait embryonnaire, inexistante ou rĂ©servĂ©e Ă quelques uns qui passaient peut-ĂȘtre pour dĂ©ments, dĂ©viantsâŠou visionnaires.
Lire ce livre, qui plus est au travers de lâentreprise Apple qui est un des symboles de cette rĂ©ussite Ă©conomique, technologique et culturelle, me permet de mieux comprendre ce « nouveau » monde qui sâest Ă©rigĂ© et qui sâest implantĂ© dans nos vies et les a transformĂ©es ces vingt Ă trente derniĂšres annĂ©es et qui va continuer de les transformer pour le pire et le meilleur.
Ma fille, et dâautres plus ĂągĂ©s, sont nĂ©s avec ce monde. Dans ce monde. Aussi, pour eux, ce monde est une norme. Aussi normal que reprendre son souffle aprĂšs avoir expirĂ©. Aussi normal que prendre une douche aprĂšs avoir transpirĂ©. Aussi normal que de sâhabiller avant de sortir pour un rendez-vous. Moi, je suis entre deux. Jâai dĂ©jĂ pu dire que jâĂ©tais « un analphabĂšte informatique ». Mais jâai des capacitĂ©s- une « marge de progression » comme on dit- pour me faire Ă ce monde numĂ©rique. Et tenir ce blog, indirectement, mây aide et mây contraint. Ne serait-ce que pour rĂ©ussir Ă faire de ce blog, balistiqueduquotidien.com, une entreprise « successful » ou suffisamment gratifiante en nombre de lecteurs, voire, pour peut-ĂȘtre envisager une certaine reconversion, partielle ou totale. Ce qui pourrait ĂȘtre judicieux Ă©tant donnĂ© que lâĂąge du dĂ©part Ă la retraite ressemble de plus en plus Ă une fiction de film dâĂ©pouvante.
Mais aussi parce-que lâon nous injecte de plus en plus lâinjonction selon laquelle, nous nous devons dâĂȘtre mobiles, « proactifs », et dâavoir plusieurs vies professionnelles, voire Ă©motionnelles, dans notre monde actuel et Ă venir. L âexigence de devoir se conformer de plus en plus Ă ce « parfait » modĂšle de vie se fait et se fera sĂ»rement aussi grĂące au soutien galopant de produits dopants anciens, actuels, d’autres pas encore inventĂ©s ni brevetĂ©s, que des industries sauront commercialiser et rentabiliser pour le bien-ĂȘtre financier de quelques actionnaires et investisseurs. Et ces actionnaires et investisseurs pourront tout aussi bien ĂȘtre des pĂšres ou des mĂšres ayant les mĂȘmes prĂ©occupations que moi pour ma fille ou des artistes dont jâaime ou Ă©coute les Ćuvres musicales, littĂ©raires ou cinĂ©matographiques.
Dâun autre cĂŽtĂ©, sĂ»rement parce-que je suis vieux jeu, chronique, dĂ©passĂ©, psychorigide, ma mĂ©moire du monde ancien, mon attachement Ă lui comme Ă certaines de ses valeurs, et mes rĂ©serves vis-Ă -vis de certaines Ă©volutions actuelles et futures du monde de notre quotidien, me commandent dâĂ©viter de mây plonger totalement :
Un monde oĂč notre tĂ©lĂ©phone portable est activĂ© et ouvert en permanence, nous plongeant dans une apnĂ©e profonde nous captivant 24 heures sur 24. Ce nâest plus le monde du silence. Mais le monde des Ă©crans, des casques et des oreillettes. Un monde oĂč un Ă©cran, une console de jeux, des spots publicitaires constitueraient le plus gros de ces moments que nous vivons. Et oĂč lâon sâadresserait aux autres avec des slogans publicitaires ou avec des phrases toutes faites et autres Ă©lĂ©ments de langage que lâon recevrait, aprĂšs sâĂȘtre abonnĂ©, chez soi dans notre boite Ă lettres â pour les plus archaĂŻques ou les fĂ©rus du vintage- par mail ou par sms transgĂ©nique.
Il yâa deux nuits, alors que j’Ă©tais en pleine paranoĂŻa sans doute,  je me suis mis Ă surfer sur internet pendant plus de deux heures. Si bien que lorsque jâai rejoint ma compagne dans notre chambre, un peu avant minuit, elle sâĂ©tait endormie. Du moins, est-ce ce qu’elle s’est employĂ©e Ă me laisser croire, allongĂ©e dans l’obscuritĂ© de notre lit. Ce qui fait quâĂ son retour du travail vers 21h, jâavais peu discutĂ© avec elle comme elle me lâa fait remarquer avec diplomatie le lendemain matin. Alors quâelle mâavait « attendu » jusquâĂ 22h. Comme excuse, je ne peux mĂȘme pas Ă©crire que je matais des photos Ă©rotiques sur le net ou que je draguais sur un site de rencontres :
Je regardais avec attention- plus qu’avec dĂ©fĂ©rence- des biographies dâactrices, dâacteurs, de joueuses et de joueurs de tennis. Plus de deux heures durant, dans mon fors intĂ©rieur ferroviaire comme sur la terre battue de mes pensĂ©es, des soupçons  en suspension me crachaient Ă la tĂȘte des Ă©vidences : Ces « PersonnalitĂ©s » Ă©taient peut-ĂȘtre entrĂ©es en possession de vies qui, Ă l’origine, auraient dĂ» m’appartenir. Et j’essayais sans doute de savoir Ă quel moment, profitant de ma coupable inattention comme de ma pitoyable passivitĂ©, elles s’en Ă©taient emparĂ©es. DĂ©sormais, il Ă©tait trop tard pour les rattraper. Ces crĂ©atures dĂ©bordaient de vie par elles-mĂȘmes. Prenons Jeff Nichols, davantage rĂ©alisateur que joueur de tennis, et son film Take Shelter, inspirĂ© de ses inquiĂ©tudes pour son enfant, ou un de ses autres films, Mud. Les hĂ©ros masculins de ces deux films, tour Ă tour l’acteur Michael Shannon et l’acteur Matthew McConaughey, au dĂ©part mal perçus par la communautĂ©, et isolĂ©s dans un monde rural ou sur une Ăźle, finissaient par s’en tenir Ă cette consigne de Miles Don’t Lose your Mind alors qu’ils exĂ©cutaient cette sentence :
 » Si l’on attend toujours, de façon obĂ©issante et caressante, d’obtenir une permission pour partir faire son solo, son numĂ©ro, seuls les dĂ©sastres viendront Ă notre secours ».
A la fin de ces plus de deux heures d’errance, j’avais fini par m’extraire de l’Ă©cran, double et crĂ©ance de nos vies. Câest ce monde-lĂ , fait de la suprĂ©matie des Ă©crans ajoutĂ©e Ă une certaine faussetĂ©- ancienne et relative- des relations sociales qui se dĂ©veloppe. Ou un simple clic et quelques liens suffisent pour avoir un avis tranchĂ© sur un sujet et ses hĂ©maties.  Soit un monde propice Ă la croissance des extrĂ©mismes  : affectifs, religieux, politiques, militaires, sectaires, Ă©cologiques, Ă©conomiques, artistiques, culturels. Un monde oĂč il reste possible et oĂč il restera possible dâavoir de « vĂ©ritables » relations humaines et une vie qui en vaut la peine. On peut trĂšs bien ĂȘtre calĂ© en informatique et dans toutes ces nouvelles technologies- et autres applications- qui se dĂ©multiplient vers l’infini et ĂȘtre dans la « vraie vie ».  Mais encore faudra-tâil- encore- savoir Ă quoi cela ressemble dâavoir une « vraie vie », et de « vĂ©ritables relations » sincĂšres, spontanĂ©es, franches, honnĂȘtes, naĂŻves.
Encore faudra-il ĂȘtre qualifiĂ© et suffisamment compĂ©tent( e) afin dâĂȘtre Ă mĂȘme de connaĂźtre comme de « juger » de leur importance et de leur- vitale- nĂ©cessitĂ©. C’est un peu ce que ma paranoĂŻa me racontait alors que je suis parti pour la mĂ©diathĂšque. Le reste de ce qu’elle m’a dit et apportĂ©, je vais bien sĂ»r le garder pour moi. Car on ne sait jamais. Celles et ceux qui auront lu cet article pourraient avoir trĂšs peur de moi. Finalement.
Franck Unimon, ce jeudi 20 juin 2019.
Ps : Non, je ne suis pas déprimé. Sourire.