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ParanoĂŻa Sociale

 

 

Paranoïa sociale 

 

 

Hier, en allant Ă  la mĂ©diathĂšque rendre des prĂȘts en retard (une de mes routines), je me suis imaginĂ© que, dans la vie sociale, j’étais et suis une personne plus sincĂšre, plus honnĂȘte et plus franche que la « normale ».

J’ignore encore ce qui m’a pris. Mais, je me suis avisĂ© qu’il fallait, dans les faits, assez peu se dĂ©voiler ou, tout au moins, modĂ©rĂ©ment donner de sa gentillesse et de sa disponibilitĂ© et prendre le temps, en restant poli, d’observer. Et d’évaluer si ces personnes dont nous faisons la rencontre, que nous trouvons en prime abord si « cool », si « sympas »  et si « mignonnes »,  valent ou valaient la peine qu’on leur donne davantage de soi :

De notre gentillesse, de notre spontanĂ©itĂ©, de notre sincĂ©ritĂ©, de notre intĂ©rĂȘt, de notre altĂ©ritĂ© etc
.

La « norme » sociale, au premier abord, est assez souvent de s’accoster les uns, les autres, avec de grands sourires et propos ouverts et accueillants. Mais derriĂšre la forme, le plus souvent, celles et ceux que nous rencontrons se font une idĂ©e de nous, vraie ou fausse. Nous faisons tous ça : nous projetons sur l’autre quelque chose. De bien ou de mal. Puis, au travers de certaines situations ( la façon de tenir un verre, cette façon particuliĂšre que l’autre a de se dĂ©placer pour se rendre aux toilettes ou de regarder, subitement, son portable)  nos impressions se trouvent confirmĂ©es ou contredites.

Cela va trĂšs vite.

AprĂšs le temps des sourires et de l’accueil, le temps du jugement social- et de la guillotine- arrive trĂšs vite. Plus vite qu’on ne le pense. Plus vite, en tout cas, que, moi, je le pense. J’ai oubliĂ© d’écrire que je m’imagine, aussi, en matiĂšre de relations sociales, ĂȘtre une personne naĂŻve ou trĂšs naĂŻve. Ou, en tout cas,  je m’imagine que je peux l’ĂȘtre.

Parce-que, fonciĂšrement, celles et ceux que nous rencontrons pour les premiĂšres fois, lorsqu’ils viennent vers nous avec sourires et « bonnes » intentions affichĂ©es ( pour celles et ceux qui viennent Ă  nous car d’autres, pour des raisons assez mystĂ©rieuses, restent Ă  l’écart et trĂšs discrets) sont souvent en pleine prospection afin d’essayer d’obtenir de nous un Ă©ventuel bĂ©nĂ©fice, intĂ©rĂȘt, y compris commun. Je le fais aussi mais, j’ai l’impression, que plus que d’autres, bien plus que d’autres, je vais vers les autres avec une plus sincĂšre sympathie lĂ  ou d’autres sont, finalement, et fonciĂšrement, avant tout intĂ©ressĂ©s. Un peu comme si dĂšs le dĂ©but d’une rencontre, on se mettait Ă  avoir rapidement des relations sexuelles avec une personne parce-que l’on se sent bien avec elle et qu’on la trouve sympathique. Alors que cette personne, elle, a uniquement vu en nous un « bon » coup ou un coup Ă  tirer. Ou attendait simplement de nous qu’on lui offre un cafĂ©, une cigarette. Ou une vingtaine de centimes.

 

Avec certains parents rencontrĂ©s Ă  l’école oĂč ma fille est scolarisĂ©e, j’ai un peu l’impression de m’ĂȘtre fait un peu « tirer » socialement. Et puis, une fois le temps de « l’inspection » sociale terminĂ©, j’ai Ă©tĂ© Ă©valuĂ© comme bon Ă  jeter, bon Ă  Ă©carter, bon Ă  nĂ©gliger. Avec les formes bien-sĂ»r. Car, lorsque l’on me croise, c’est sourire et bonjour.

Officiellement : il n’y’a pas de conflit ou de dĂ©saccord. C’est la norme sociale. Et je me la prends – Ă  nouveau- en pleine figure au travers de ces quelques relations avec quelques parents que je croise depuis que ma fille est Ă  l’école maternelle.  Peu m’importe que mes relations soient cordiales avec la majoritĂ© des parents que je salue. Je m’attarde ici sur deux ou trois parents vis-Ă -vis desquels j’ai maintenant quelques rĂ©serves.

Mais ces attitudes se retrouvent partout.

Hier, je me suis avisĂ© qu’il fallait en fait, savoir laisser les autres projeter sur nous. Et moins se dĂ©voiler : pourquoi se montrer tel qu’en soi-mĂȘme, si, en face certaines personnes avancent masquĂ©es ou se voilent la face sur elles-mĂȘmes. Chez les parents d’une ancienne copine d’école de ma fille, nous avons Ă©tĂ© invitĂ©s une fois. Il y’a bientĂŽt deux ans maintenant. Et, je me rappelle que chez eux figurait – et figure toujours sans doute- une sorte d’inscription ou de maxime, accrochĂ©e sur le mur oĂč Ă©tait prĂŽnĂ©e la tolĂ©rance et des valeurs proches. J’imagine bien que ces parents – comme la plupart d’entre nous- sont sincĂšrement convaincus des bienfaits de ces valeurs. Tout en les appliquant Ă  leur sauce comme on peut interprĂ©ter Ă  sa sauce une religion, un film, une vĂ©ritĂ©, une chanson, un regard, tout en refusant que l’autre nous apporte la contradiction, sa contradiction.

Je suis donc, je crois, socialement, une personne souvent trop naĂŻve, honnĂȘte, sincĂšre et trop franche. Il est dĂ©jĂ  arrivĂ©, lors de mes discussions avec ma compagne, que celle-ci me le fasse comprendre en quelque sorte et me donne des cours de rĂ©alisme. Lorsque je lui parlais par exemple de mes dĂ©sillusions sociales et relationnelles dans le milieu du cinĂ©ma en tant que journaliste ou comĂ©dien, oĂč j’ai, Ă  ce jour, dans le meilleur des cas, rencontrĂ© bien plus d’experts et d’expertes en sĂ©duction sociale que d’amis vĂ©ritables.

Lorsque j’écris qu’il faut laisser les autres « projeter » sur soi, c’est Ă©videmment en faisant en sorte que ce qu’ils projettent soit Ă  notre avantage. Si pour les besoins d’un film, un rĂ©alisateur veut voir en moi un boucher et que, pour cela, il est prĂȘt Ă  me payer 1500 euros par jour, ça me va. Par contre, si pour jouer la doublure d’un homme grenouille, je dois entrer dans une eau glacĂ©e et y rester pendant des heures pour le plaisir de participer au travail de fin d’Ă©tudes d’un Ă©tudiant en cinĂ©ma, je crois plus sensĂ© de refuser cette proposition.

Il convient donc de faire attention Ă  son image.

Il est vrai que, dans ce domaine, je suis et reste plutĂŽt « nature » lĂ  oĂč bien d’autres (femmes comme hommes) sont des experts en maquillage et en enrobage social. Et, la vie quotidienne nous apprend que souvent voire assez souvent, celles et ceux qui savent se montrer Ă  leur avantage Ă  coups de maquillage et de matraquage social, ou de sourires adressĂ©s au bon endroit, vers les regards porteurs d’avenir,  rĂ©ussissent souvent mieux, et plus vite, que celles et ceux, qui, comme moi, se montrent plus « fous » et moins regardants sur l’enrobage et la prĂ©sentation. Le feu de la folie dĂ©vore le dĂ©cor et le protocole social. Lorsque l’on est  » fou », en cas de « rĂ©ussite », on devient un modĂšle ou une crainte. Dans une situation intermĂ©diaire, on inspire scepticisme, suspicion ou rejet quelles que soient nos rĂ©elles qualifications et intentions.

Dit autrement : les parents de cette ancienne copine d’école de ma fille- et d’autres- peuvent bien m’évaluer Ă  mon dĂ©savantage autant qu’ils le veulent ou s’estiment autorisĂ©s Ă  le faire. Je sais, Moi, que j’ai autant de valeur humaine qu’eux. Et, je crois, aussi, que contrairement Ă  eux et d’autres, je suis plus respectueux des autres : Je me sens plus l’égal de celles et ceux que je croise que leur supĂ©rieur. Mais la vie sociale est ainsi faite qu’à moins d’une catastrophe ou d’un Ă©vĂ©nement exceptionnel oĂč l’on se retrouve obligĂ© de faire « corps » et alliance avec des personnes que l’on dĂ©sapprouve ou dĂ©prĂ©cie, gĂ©nĂ©ralement, chacun peut rester confortablement domiciliĂ© dans ses prĂ©jugĂ©s sur une personne ou un groupe de personnes.

Mais savoir ce que je sais de moi, ce que je vaux, et sur moi, si je suis le seul à le savoir, est insuffisant pour réussir sa vie sociale.

Savoir que nous avons invitĂ© la mĂšre de cette ancienne copine d’Ă©cole de ma fille il y’a quelques mois, et que cela s’Ă©tait pourtant- apparemment- bien passĂ© avec elle et les autres parents prĂ©sents, est insuffisant pour comprendre ce qui fait que, prochainement, nous ne serons pas invitĂ©s, contrairement aux  parents de la trĂšs bonne copine de ma fille, chez cette dame. Je n’ai pas l’intention de sĂ©questrer cette maman et son mari ni de les interroger comme peut l’ĂȘtre le personnage de Malotru dans Le Bureau des LĂ©gendes alors que lors d’un des premiers Ă©pisodes de la sĂ©rie, il passe au dĂ©tecteur de mensonges. Si je m’étends autant sur le sujet, c’est parce qu’en repensant Ă  ma fille avant hier dans l’aire de jeux oĂč elle a jouĂ© plus d’une heure avec une de ses copines, j’ai revu ce que je vois assez souvent lorsqu’elle joue avec des autres enfants :

C’est elle qui est demandeuse. C’est assez souvent, elle dans la rue, qui reconnaüt d’autres enfants et les appelle. Hier soir, à la maison, j’ai entendu notre fille expliquer à ma compagne, sa mùre, son problùme avec sa trùs bonne copine :

Sa trĂšs bonne copine commande le dĂ©roulement de leurs jeux. Et notre fille essaie de s’y opposer.

Mais, Ă  entendre notre fille, sa trĂšs bonne copine a le leadership et, s’opposer Ă  elle, c’est prendre le risque d’ĂȘtre isolĂ©e du groupe. Hier soir, je me suis contentĂ© d’écouter car j’étais alors dans une autre piĂšce, sans doute en train de faire mes Ă©tirements avant de partir au travail.

J’ai Ă©coutĂ© ma compagne conseiller Ă  notre fille de dire Ă  sa copine que c’était Ă  chacune son tour de dĂ©cider. J’ai Ă©coutĂ© ma compagne dire Ă  notre fille que si sa copine persistait Ă  vouloir diriger (ce que notre fille a expliquĂ© Ă  sa maman/ ma compagne), hĂ© bien, que dans ce cas, il suffisait en quelque sorte de ne plus jouer avec elle ! Et ma compagne d’assurer Ă  notre fille que sa copine et le reste du groupe viendraient sĂ»rement la chercher pour jouer avec eux. Il m’a semblĂ©, aux rĂ©actions de notre fille, qu’elle Ă©tait assez peu persuadĂ©e par les conseils de sa maman. En tout cas, c’est peut-ĂȘtre moi qui projette finalement. Car, moi, j’étais peu convaincu par les conseils de ma compagne mĂȘme si je me suis abstenu d’intervenir.

Je souhaite Ă©videmment Ă  notre fille d’apprendre Ă  Ă©viter ces Ă©cueils sociaux et affectifs :

Que ce soit une certaine dĂ©pendance sociale et affective aux autres. Ainsi que ces « Je ne sais pas » quant aux raisons qui font qu’une relation avec un proche, une proche, ou une connaissance, se distend. Comme nous, ou comme moi ( car je crois que le problĂšme doit provenir de moi) avec les parents de cette ancienne copine d’Ă©cole de notre fille.

Je souhaite rĂ©solument Ă  notre fille de savoir voir comme, dans la vie sociale, celles et ceux qui nous font les plus beaux et les plus rapides sourires- sans que ce soit forcĂ©ment de l’hypocrisie ou le repaire d’une perversion comme d’une mauvaise intention- doivent ĂȘtre dĂ©codĂ©s. Se doivent d’ĂȘtre dĂ©codĂ©s. Car celles et ceux qui font les plus beaux et les plus rapides sourires feront rarement l’effort de se dĂ©coder d’eux-mĂȘmes :

PremiĂšrement parce qu’ils n’ont aucun intĂ©rĂȘt Ă  se dĂ©voiler comme Ă  dĂ©voiler leurs rĂ©elles intentions. Tout ĂȘtre a ses dĂ©fauts et sa perception propre.  Et peut percevoir – Ă  tort ou Ă  raison- comme un handicap le fait de se montrer tel qu’il est vĂ©ritablement.

DeuxiĂšmement, parce-que celles et ceux que nous rencontrons ont une connaissance et une perception d’eux-mĂȘmes, comme du retentissement de leurs actions sur les autres, assez limitĂ©s :

Des personnes peuvent nous faire plus ou moins de mal sans, toujours, le prĂ©voir, le souhaiter ou s’en apercevoir.

Et, bien-sûr, il faut aussi apprendre à se préserver de celles et ceux qui nous font du mal ou peuvent chercher à nous nuire délibérément.

Je souhaite Ă  notre fille d’apprendre Ă  se connaĂźtre, comme Ă  connaĂźtre les autres suffisamment, ainsi que le monde bien-sĂ»r, pour s’épargner le plus de dĂ©boires possibles sociaux et affectifs, en prioritĂ©, dans sa vie. Et, bien-sĂ»r, j’espĂšre que sa mĂšre et moi ainsi que d’autres personnes de confiance, adultes ou non, sauront l’aider Ă  faire ce genre d’apprentissage.

Sinon, « autre » sujet, je continue d’avoir beaucoup de plaisir Ă  lire le livre Inside Apple d’Adam Lashinsky . Un livre sur lequel je suis tombĂ© par hasard Ă  la mĂ©diathĂšque prĂšs de chez nous.

Le numĂ©rique, l’informatique, internet sont de plus en plus un justaucorps, voire une seconde peau, pour de plus en plus de gens. Moi, je fais partie d’une Ă©poque prĂ©historique. D’une Ă©poque oĂč tout cet attirail numĂ©rique, ainsi que cette Ă©conomie, cette toxicomanie et cette mĂ©thode « d’achievement » ou de rĂ©ussite social(e) Ă©tait embryonnaire, inexistante ou rĂ©servĂ©e Ă  quelques uns qui passaient peut-ĂȘtre pour dĂ©ments, dĂ©viants
ou visionnaires.

Lire ce livre, qui plus est au travers de l’entreprise Apple qui est un des symboles de cette rĂ©ussite Ă©conomique, technologique et culturelle, me permet de mieux comprendre ce « nouveau » monde qui s’est Ă©rigĂ© et qui s’est implantĂ© dans nos vies et les a transformĂ©es ces vingt Ă  trente derniĂšres annĂ©es et qui va continuer de les transformer pour le pire et le meilleur.

Ma fille, et d’autres plus ĂągĂ©s, sont nĂ©s avec ce monde. Dans ce monde. Aussi, pour eux, ce monde est une norme. Aussi normal que reprendre son souffle aprĂšs avoir expirĂ©. Aussi normal que prendre une douche aprĂšs avoir transpirĂ©. Aussi normal que de s’habiller avant de sortir pour un rendez-vous. Moi, je suis entre deux. J’ai dĂ©jĂ  pu dire que j’étais « un analphabĂšte informatique ». Mais j’ai des capacitĂ©s- une « marge de progression » comme on dit- pour me faire Ă  ce monde numĂ©rique. Et tenir ce blog, indirectement, m’y aide et m’y contraint. Ne serait-ce que pour rĂ©ussir Ă  faire de ce blog, balistiqueduquotidien.com, une entreprise « successful » ou suffisamment gratifiante en nombre de lecteurs, voire, pour peut-ĂȘtre envisager une certaine reconversion, partielle ou totale. Ce qui pourrait ĂȘtre judicieux Ă©tant donnĂ© que l’ñge du dĂ©part Ă  la retraite ressemble de plus en plus Ă  une fiction de film d’épouvante.

Mais aussi parce-que l’on nous injecte de plus en plus l’injonction selon laquelle, nous nous devons d’ĂȘtre mobiles, « proactifs », et d’avoir plusieurs vies professionnelles, voire Ă©motionnelles, dans notre monde actuel et Ă  venir. L ‘exigence de devoir se conformer de plus en plus Ă  ce « parfait » modĂšle de vie se fait et se fera sĂ»rement aussi grĂące au soutien galopant de produits dopants anciens, actuels, d’autres pas encore inventĂ©s ni brevetĂ©s, que des industries sauront commercialiser et rentabiliser pour le bien-ĂȘtre financier de quelques actionnaires et investisseurs. Et ces actionnaires et investisseurs pourront tout aussi bien ĂȘtre des pĂšres ou des mĂšres ayant les mĂȘmes prĂ©occupations que moi pour ma fille ou des artistes dont j’aime ou Ă©coute les Ɠuvres musicales, littĂ©raires ou cinĂ©matographiques.

 

D’un autre cĂŽtĂ©, sĂ»rement parce-que je suis vieux jeu, chronique, dĂ©passĂ©, psychorigide, ma mĂ©moire du monde ancien, mon attachement Ă  lui comme Ă  certaines de ses valeurs, et mes rĂ©serves vis-Ă -vis de certaines Ă©volutions actuelles et futures du monde de notre quotidien, me commandent d’éviter de m’y plonger totalement :

 

Un monde oĂč notre tĂ©lĂ©phone portable est activĂ© et ouvert en permanence, nous plongeant dans une apnĂ©e profonde nous captivant 24 heures sur 24. Ce n’est plus le monde du silence. Mais le monde des Ă©crans, des casques et des oreillettes. Un monde oĂč un Ă©cran, une console de jeux, des spots publicitaires constitueraient le plus gros de ces moments que nous vivons. Et oĂč l’on s’adresserait aux autres avec des slogans publicitaires ou avec des phrases toutes faites et autres Ă©lĂ©ments de langage que l’on recevrait, aprĂšs s’ĂȘtre abonnĂ©, chez soi dans notre boite Ă  lettres – pour les plus archaĂŻques ou les fĂ©rus du vintage- par mail ou par sms transgĂ©nique.

Il y’a deux nuits, alors que j’Ă©tais en pleine paranoĂŻa sans doute,  je me suis mis Ă  surfer sur internet pendant plus de deux heures. Si bien que lorsque j’ai rejoint ma compagne dans notre chambre, un peu avant minuit, elle s’était endormie. Du moins, est-ce ce qu’elle s’est employĂ©e Ă  me laisser croire, allongĂ©e dans l’obscuritĂ© de notre lit. Ce qui fait qu’à son retour du travail vers 21h, j’avais peu discutĂ© avec elle comme elle me l’a fait remarquer avec diplomatie le lendemain matin. Alors qu’elle m’avait « attendu » jusqu’à 22h. Comme excuse, je ne peux mĂȘme pas Ă©crire que je matais des photos Ă©rotiques sur le net ou que je draguais sur un site de rencontres :

Je regardais avec attention- plus qu’avec dĂ©fĂ©rence- des biographies d’actrices, d’acteurs, de joueuses et de joueurs de tennis. Plus de deux heures durant, dans mon fors intĂ©rieur ferroviaire comme sur la terre battue de mes pensĂ©es, des soupçons  en suspension me crachaient Ă  la tĂȘte des Ă©vidences : Ces « PersonnalitĂ©s » Ă©taient peut-ĂȘtre entrĂ©es en possession de vies qui, Ă  l’origine, auraient dĂ» m’appartenir. Et j’essayais sans doute de savoir Ă  quel moment, profitant de ma coupable inattention comme de ma pitoyable passivitĂ©, elles s’en Ă©taient emparĂ©es. DĂ©sormais, il Ă©tait trop tard pour les rattraper. Ces crĂ©atures dĂ©bordaient de vie par elles-mĂȘmes. Prenons Jeff Nichols, davantage rĂ©alisateur que joueur de tennis, et son film Take Shelter, inspirĂ© de ses inquiĂ©tudes pour son enfant, ou un de ses autres films, Mud. Les hĂ©ros masculins de ces deux films, tour Ă  tour l’acteur Michael Shannon et l’acteur Matthew McConaughey, au dĂ©part mal perçus par la communautĂ©, et isolĂ©s dans un monde rural ou sur une Ăźle, finissaient par s’en tenir Ă  cette consigne de Miles Don’t Lose your Mind alors qu’ils exĂ©cutaient cette sentence :

 » Si l’on attend toujours, de façon obĂ©issante et caressante, d’obtenir une permission pour partir faire son solo, son numĂ©ro, seuls les dĂ©sastres viendront Ă  notre secours ».

A la fin de ces plus de deux heures d’errance, j’avais fini par m’extraire de l’Ă©cran, double et crĂ©ance de nos vies. C’est ce monde-lĂ , fait de la suprĂ©matie des Ă©crans ajoutĂ©e Ă  une certaine faussetĂ©- ancienne et relative- des relations sociales qui se dĂ©veloppe. Ou un simple clic et quelques liens suffisent pour avoir un avis tranchĂ© sur un sujet et ses hĂ©maties.  Soit un monde propice Ă  la croissance des extrĂ©mismes  : affectifs, religieux, politiques, militaires, sectaires, Ă©cologiques, Ă©conomiques, artistiques, culturels. Un monde oĂč il reste possible et oĂč il restera possible d’avoir de « vĂ©ritables » relations humaines et une vie qui en vaut la peine. On peut trĂšs bien ĂȘtre calĂ© en informatique et dans toutes ces nouvelles technologies- et autres applications- qui se dĂ©multiplient vers l’infini et ĂȘtre dans la « vraie vie ».  Mais encore faudra-t’il- encore- savoir Ă  quoi cela ressemble d’avoir une « vraie vie », et de « vĂ©ritables relations » sincĂšres, spontanĂ©es, franches, honnĂȘtes, naĂŻves.

Encore faudra-il ĂȘtre qualifiĂ© et suffisamment compĂ©tent( e) afin d’ĂȘtre Ă  mĂȘme de connaĂźtre comme de « juger » de leur importance et de leur- vitale- nĂ©cessitĂ©. C’est un peu ce que ma paranoĂŻa me racontait alors que je suis parti pour la mĂ©diathĂšque. Le reste de ce qu’elle m’a dit et apportĂ©, je vais bien sĂ»r le garder pour moi. Car on ne sait jamais. Celles et ceux qui auront lu cet article pourraient avoir trĂšs peur de moi. Finalement.

Franck Unimon, ce jeudi 20 juin 2019.

 

Ps : Non, je ne suis pas déprimé. Sourire.

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Tenant du titre

( Photo : Lansy Siessie ).

 

 

 

Tenant du titre

 

 

Avant, on les voyait peu. Ce samedi matin, Ă  7h40, ils Ă©taient lĂ , en tenue. Pour environ la dixiĂšme fois en deux mois. Pourtant, j’avais fait mon possible pour les Ă©viter.

 

J’avais quittĂ© le travail Ă  sept heures avec mes vĂȘtements habituels. Depuis plusieurs jours et plusieurs semaines, je ne me change pas. C’est dĂ©cidĂ©. Quoiqu’on en dise, je ne me changerai plus. Et tant pis si l’on se moque de moi.

 

Sept heures du matin est mon heure officielle pour quitter le travail mĂȘme si, habituellement, je pars aprĂšs cet horaire.

 

J’ai voulu prendre le bus pour rejoindre la gare. Pour profiter des rues calmes. Pour ĂȘtre Ă  l’air libre. Pour les Ă©viter, eux. GĂ©nĂ©ralement, dans le bus, ce sont eux qui viennent, en Ă©tat de manque (de plus en plus souvent en civil) jusqu’à vous. C’est toujours mieux que lorsqu’ils vous attendent, reptiles insĂ©rĂ©s dans les reliefs d’un des couloirs du mĂ©tro. Et vous tendent une embuscade. DĂ©sormais, et depuis des annĂ©es, ils sont Ă  plusieurs chaque fois qu’ils nous rackettent. Pour cela, ils bĂ©nĂ©ficient de l’appui de policiers le plus souvent dressĂ©s en civil. Lesquels portent un petit brassard qu’ils dĂ©voilent parfois Ă  la derniĂšre seconde telle une coquetterie alors que vous vous prĂ©sentez devant ce confessionnal forcĂ©. OĂč quelques mĂštres Ă  peine avant l’irrĂ©mĂ©diable croisement. Et qu’il est Ă  peu prĂšs trop tard pour Ă©clabousser le destin de votre absence.

 

Ce matin, j’étais installĂ© Ă  une bonne place dans le fond du bus. Puis la conductrice est arrivĂ©e avec quelques minutes de retard. Avant de s’installer, elle s’est adressĂ©e Ă  nous : le bus allait Ă  peine desservir quelques stations. Elle prĂ©fĂ©rait nous en informer. Je suis allĂ© la voir. Elle m’a confirmĂ© qu’elle s’arrĂȘterait bien avant la gare. Elle m’a rĂ©pondu qu’elle ignorait la raison de cette consigne. J’ai suggĂ©rĂ© le mouvement des gilets jaunes. On en Ă©tait Ă  leur 25 Ăšme samedi de manifestation. La conductrice n’en savait pas plus. Tout ce qu’elle pouvait faire, c’était nous conduire Ă  trois ou quatre stations plus loin, ce qui correspondrait au terminus.

 

Je me suis rabattu sur le métro.

 

Ça fait des annĂ©es que j’emprunte les transports en commun. Et autant d’annĂ©es que je suis un usager et un citoyen en rĂšgle. Je ne prĂ©tends pas toujours Ă  l’originalitĂ©. Les moyens de transport sont mon moyen de dĂ©placement principal et privilĂ©giĂ©. En plus, c’est Ă©cologique. Dans les transports en commun, je fais comme tout le monde. Je m’y suis dĂ©jĂ  endormi quelques annĂ©es plus tĂŽt. Depuis, je me suis rĂ©veillĂ©. Pour cela, je n’ai pas eu besoin d’ĂȘtre embrassĂ©. Je regarde mon smartphone. Je lis. Je regarde les gens. Je les Ă©coute. J’écoute de la musique. Je suis mes pensĂ©es. Parfois, j’écris. Souvent, je prends les transports en commun, seul. A de rares rencontres prĂšs de personnes que je connaissais auparavant, tous les autres autour de moi sont des inconnus qui le resteront.

Je ne suis pas vieux. Mais j’ai dĂ©jĂ  passĂ© une certaine partie de ma vie dans les transports en commun tout en Ă©tant incapable de dire ce que j’y appris. A part, peut-ĂȘtre, Ă  obĂ©ir et me soumettre un peu plus chaque fois que je remets mon titre en jeu.

Eux aussi, peut-ĂȘtre, passent une bonne partie de leur temps dans les transports en commun Ă  obĂ©ir et Ă  se soumettre. Lorsqu’ils annoncent le programme, c’est toujours avec une politesse de surface qu’ils resservent Ă  la chaine. On ne leur demande pas d’ĂȘtre original. Et il leur est impossible de l’ĂȘtre alors qu’ils passent au dĂ©tecteur des milliers de leurs semblables. Ils produisent le plus gros de leurs efforts en dehors de ces heures de pointe qui dĂ©chargent des millions de passagers, pressĂ©s, Ă©nervĂ©s, fatiguĂ©s et parfois prĂȘts Ă  se bousculer ou se bagarrer pour deux centimĂštres, un soudain contact d’haleine ou de chair,  avant d’entrer ou de sortir des « transes-pores ».

Ils sont tout autant invisibles en pĂ©riode de grĂšve des transports alors que ces mĂȘmes passagers, plus nombreux, sont encore plus stressĂ©s par la pĂ©nurie des transports assortie de temps Ă  autre d’informations approximatives. L’alcool et le tabac tuent. La promiscuitĂ© et le stress, aussi. Mais ça ne se voit pas dans les couloirs ou Ă  la descente du bus. Et on ne leur demande pas encore de faire des tests d’urine ou de rĂ©aliser des enquĂȘtes sociologiques. Mais, simplement, de faire leur travail :

« Bonjour, Mesdames et messieurs, contrĂŽle des titres de transports ! ». Peu importe qu’une majoritĂ© d’usagers parfaitement en rĂšgle soit inspectĂ©e- et ralentie- en tant que suspecte de plus en plus souvent. Peu importe qu’en multipliant les contrĂŽles, on accroit mathĂ©matiquement la probabilitĂ© de contrĂŽler et de sanctionner l’usager Ă©tourdi qui aura oubliĂ© son titre de transport dans ce vĂȘtement finalement laissĂ© – Ă  la derniĂšre minute- Ă  la maison. Ça ne compte pas. Toute personne sans son titre de transport est une personne sans son titre de personne. Pardon, sans son titre de transport.

( Photo : Franck Unimon )

 

BientĂŽt, on n’aura plus besoin d’avoir un titre de transport. Notre tĂ©lĂ©phone portable suffira. Ce sera une grande « libĂ©ration ». Mais, pour l’instant, patientons. Les tests auraient Ă©tĂ© rĂ©alisĂ©s uniquement avec des tĂ©lĂ©phones de la marque Samsung. La marque Apple, pour l’heure, n’aurait pas donnĂ© son accord. A nous de savoir choisir- et payer- la bonne marque de tĂ©lĂ©phone portable ou de tablette tactile Ă  l’avenir. Celle qui, pourvue du meilleur rĂ©seau, nous fera franchir plus facilement les portes de validation et nous Ă©vitera le KO technique- ou la colĂšre- en cas de contrĂŽle.

 » Il faut savoir vivre avec son temps » dirait-on. De plus en plus, l’image chasse et remplace la pensĂ©e. Sur le ring des idĂ©es, les penseurs mondains d’hier, pourtant douĂ©s pour se montrer, deviennent des puncheurs incertains face Ă  ces poids lourds que sont les millions de vue et de clics numĂ©riques d’aujourd’hui et de demain.

 

 

( Photo : Franck Unimon )

 

Franck Unimon, ce vendredi 24 Mai 2019.

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Trou Noir

                                                              Trou Noir

Ce matin, dans un journal « gratuit », cet article marquant signĂ© Fabrice Pouliquen et intitulĂ© Le trou noir au grand jour : « Astronomie. Des chercheurs ont rĂ©vĂ©lĂ© la vĂ©ritable image de cet objet cĂ©leste ». Dans un encart de ce mĂȘme article, un certain Alain Rizuel nous explique qu’un trou noir est « une rĂ©gion de l’espace dont le champ gravitationnel est tel que vous ne pouvez pas y Ă©chapper ». Alain Rizuel nous explique :

« Par exemple, pour quitter la Terre afin d’aller sur la Lune, il faut atteindre une vitesse de 11,2 km par seconde. A la surface d’un trou noir, la vitesse qu’il faudrait atteindre pour lui Ă©chapper serait supĂ©rieure Ă  300 000 km par seconde, soit la vitesse de la lumiĂšre. Or, si mĂȘme la lumiĂšre ne peut s’échapper, rien d’autre ne peut le faire ».

Dans cet article, on nous explique aussi qu’il a fallu « synchroniser parfaitement huit radiotĂ©lescopes rĂ©partis autour du globe de maniĂšre Ă  en faire un tĂ©lescope virtuel ». Et, c’est ainsi que l’on a pu obtenir une image, « Pour la premiĂšre fois de l’histoire de l’astronomie » du trou noir « nichĂ© au cƓur de la galaxie M87, situĂ©e Ă  environ 50 millions d’annĂ©es-lumiĂšres de la Terre ». GrĂące « au projet international Event Horizon Telescope (EHT) ».

Cet article comme tous les articles vulgarisĂ©s ayant trait Ă  l’Astronomie ou aux origines de l’Homme est bien-sĂ»r fascinant. Comme il est fascinant d’entendre parler « de restes d’étoiles dĂ©chiquetĂ©es ». Toutes ces recherches et toutes ces dĂ©couvertes nous font rĂȘver, rĂ©flĂ©chir et voyager. MĂȘme si on peut- aussi- se demander, avec une goutte d’inquiĂ©tude, si le trou noir est le parking qui nous attend : il est certes trĂšs « beau » Ă  voir mais autant qu’il reste le plus longtemps possible Ă  bonne distance. Et s’il se mettait soudainement Ă  ramper dans notre direction pour nous demander un selfie ?

Mais ma principale critique concernant cet article a Ă  voir avec la photo que je trouve vraiment trĂšs floue, presque ratĂ©e, malgrĂ© les « huit radiotĂ©lescopes » que l’on devine hyper-puissants et trĂšs performants. Ce matin, pourtant, avec mon simple appareil photo, j’ai quant Ă  moi obtenu des photos beaucoup plus nettes du trou noir. Et je ne crie pas Ă  l’exploit. J’essaie plutĂŽt d’amadouer le spectre alors que je le cĂŽtoie.

Bien-sĂ»r, j’ai plus qu’envie de vous faire profiter de mes clichĂ©s de maniĂšre totalement dĂ©sintĂ©ressĂ©e et uniquement pour l’amour de la science. Mais Ă  une seule condition : Que cela reste entre nous. Je ne voudrais pas que le trou noir ou des mĂ©chants scientifiques terroristes me poursuivent avec des radiotĂ©lescopes Ă©lectrifiĂ©s.

Hier soir, sur ces Ă©crans, une rĂ©clame des EnfoirĂ©s passait encore. Les EnfoirĂ©s et les restos du coeur est un projet initiĂ© par Coluche qui date des annĂ©es 80. Ce matin, la rĂ©clame qui passait sur ces Ă©crans Ă©tait en faveur d’une association qui recueille des fonds pour les personnes atteintes d’un cancer. A droite de la photo, revĂȘtue de casiers jaunes, une certaine forme de cancer, inexistante dans les annĂ©es 80, et partie pour continuer de s’Ă©tendre : l’achat en ligne disponible ensuite dans ces casiers. Ici, dans une gare oĂč, tous les jours, passent entre 300 000 et 460 000 personnes.

 » A nous de vous faire prĂ©fĂ©rer le train » dit une certaine lĂ©gende. Voici le lieu de passage des pur-sangs que nous sommes. BientĂŽt, nous aurons le privilĂšge de jouer au tiercĂ© nos heures de passage, de dĂ©part et d’arrivĂ©e, et, peut-ĂȘtre aussi, d’espĂ©rer arrondir quelque peu nos fins de mois . Et si nous avons commis un dĂ©lit ou une mauvaise action, peut-ĂȘtre que l’accĂšs aux petits casiers jaunes nous sera-t’il interdit pour une durĂ©e Ă  dĂ©terminer selon la profondeur et la sincĂ©ritĂ© de nos regrets. Il va de soi que toute personne s’immolant par le feu, se faisant seppuku ou dĂ©nonçant son voisin pour racheter ses manquements bĂ©nĂ©ficiera de maniĂšre rĂ©troactive d’un accĂšs circonstanciĂ© voire illimitĂ© aux jolis casiers jaunes ainsi qu’aux autres casiers faisant partie intĂ©grante du mĂȘme rĂ©seau. Avantage premium accordĂ© seulement Ă  quelques uns par tirage au sort au bout d’un certain nombre d’achats : la possibilitĂ© de personnaliser son casier.

Ces deux brochures ci-dessus ont Ă©tĂ© remises hier Ă  ma fille au centre de loisirs : j’ai beau rĂ©flĂ©chir. Je ne vois toujours pas oĂč elles veulent en venir.

 

Franck Unimon, ce jeudi 11 avril 2019.

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Projection

Projection

« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient
. ».

C’est ce que j’ai racontĂ© il y’a plusieurs semaines Ă  une collĂšgue et amie, familiĂšre avec ce temps particulier- et faux ami- qu’est l’inconscient. Notre inconscient nous suit Ă  la trace autant que notre sang. OĂč que nous soyons, quoique nous fassions, sa prĂ©sence luit en nous tant que nous sommes en vie. Et mĂȘme au delĂ . Et mĂȘme avant ça. Que cela nous plaise ou non. L’inconscient est comme ça : ce n’est pas un squatteur, qui, une fois le printemps arrivĂ©, peut ĂȘtre limogĂ©. C’est plutĂŽt lui qui vous limoge. Vous croyez que vous venez pour lui. Il peut trĂšs vite vous dĂ©montrer que c’est lui qui vous a fait venir.

« C’est fou comme nos enfants sont la projection de notre inconscient
 ». J’avais dit cette phrase Ă  cette amie calmement. A la fois avec luciditĂ© mais aussi avec la naĂŻvetĂ© de celui qui croit qu’en la prononçant, cette phrase allait le protĂ©ger. Nos enfants viennent de nous. Et mĂȘme s’ils se sĂ©parent de nous un jour, ils nous ressembleront. A-t’on vu les enfants de l’eau devenir de la pierre ou de la terre ? Peut-ĂȘtre. Mais notre mĂ©moire de ce temps-lĂ  a disparu ou nous a Ă©tĂ© volĂ©. Et nous n’en savons rien. Nous n’en saurons peut-ĂȘtre jamais rien. Sauf, peut-ĂȘtre, au moment de mourir. Mais il sera trop tard pour le dire. A moins peut-ĂȘtre d’avoir dĂ©jĂ  dit beaucoup malgrĂ© soi de son vivant. On dit beaucoup malgrĂ© soi de son vivant. Et il est souvent une ou plusieurs personnes, mĂȘme si c’est discrĂštement, qui s’en souviendront.

 

Lorsque je nous regarde, nous les parents et les adultes, nous sommes devenus depuis longtemps complÚtement dépendants de nos écrans : Cela a commencé par la télévision. Puis les ordinateurs, les téléphones portables, les smartphones et les tablettes sont arrivés.

Je me rappelle encore de ce slogan publicitaire en faveur du tĂ©lĂ©phone portable Ă  peu prĂšs au milieu des annĂ©es 90 : « Et tĂ©lĂ©phoner devient un sixiĂšme sens ». Cela nous avait fait ricaner mon meilleur ami et moi. Jamais on ne nous y prendrait. C’était ce que je croyais. On peut rĂ©ussir Ă  arrĂȘter de fumer ou de boire de l’alcool sous certaines conditions et si on prĂȘt pour cela. Il nous est dĂ©sormais beaucoup plus difficile de dĂ©crocher de nos Ă©crans. Il y a et il y aura toujours une personne ou une raison pour nous entraĂźner et pour nous pousser Ă  continuer de fixer un de nos Ă©crans. Dans les transports, au travail, en voiture, Ă  la maison, Ă  la sortie des Ă©coles, dans les commerces, Ă  la piscine, au cinĂ©ma, dans les mĂ©diathĂšques, dans les lieux de rencontres et de loisirs, dans les aĂ©roports, Ă  l’hĂŽpital, en pleine nature. Partout.

Nos Ă©crans sont devenus un sixiĂšme sens mais aussi un cinquiĂšme membre. Un cinquiĂšme membre insĂ©parable de notre organisme ou un membre de notre famille. La greffe a plus que pris. Impossible de revenir en arriĂšre. Nous sommes dans le mouvement et bien d’autres applications et usages pratiques ou addictifs sont Ă  venir. Se barricader loin des Ă©crans est possible de temps Ă  autre pour faire retraite ou en cas de fuite. Mais s’en dispenser durablement semble maintenant synonyme de grand danger pour notre santĂ© physique et mentale. Ou semble ĂȘtre la marque de l’esprit rĂ©actionnaire qui a peur du changement et idĂ©alise le passĂ© et ses abysses. Avec nos multiples Ă©crans, nous sommes tels des mutants jouissant de nos super pouvoirs. Pour en bĂ©nĂ©ficier le plus possible en en subissant le moins possible les revers, nous devrions apprendre Ă  contrĂŽler nos super pouvoirs. Encore faut-il le vouloir car nos Ă©crans sont si attractifs. Et nos enfants, eux, pendant ce temps, captivĂ©s par nous comme on peut l’ĂȘtre par le soleil ou par Ă  peu prĂšs tout ce qui brille, claque et est nouveau, nous voient captivĂ©s par ces Ă©crans magiques qui, ils le savent, un jour, seront les leurs. Alors, comme nous, ils passeront des heures et des heures sur des Ă©crans et, quelques fois peut-ĂȘtre, s’ils se rappellent encore un peu de nous, ils nous y chercheront.

Franck Unimon, lundi 1er avril 2019.

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L’Ă©cole Robespierre 3Ăšme et derniĂšre partie

 

 

L’école Robespierre 3Ăšme et derniĂšre partie

 

« Nous sommes comme une petite famille et tout le monde nous dĂ©teste. Et, en mĂȘme temps, cela met du piment dans ma vie. Tout ce que font mes anciens amis me semble terne et sans intĂ©rĂȘt ».

Dans le documentaire Exit-La Vie aprĂšs la haine, la rĂ©alisatrice Karen Winther retrouve le professeur Tore Bjorgo (professeur et directeur en NorvĂšge d’un centre de recherche sur les ExtrĂ©mismes) qu’elle avait rencontrĂ© alors qu’elle Ă©tait encore dans la mouvance fasciste. Celui-ci avait pris des notes.

Guro Sibeko, l’amie alors militante de gauche, qui a aidĂ© Karen Winther Ă  sortir du fanatisme en l’hĂ©bergeant durant quelques temps lui dit dans le documentaire :

« Tu Ă©tais triste et frustrĂ©e. Et tu ne captais rien. Tu voulais qu’on te dise quoi faire et quoi penser. C’est comme si tu attendais de nouvelles personnes qui auraient rĂ©flĂ©chi Ă  ta place ». Avec un sourire figĂ©, Karen Winther regarde Guro Sibeko tandis que celle-ci se remĂ©more la Karen qu’elle Ă©tait alors. Guro Sibeko est une Madame. Ainsi qu’une rĂ©sistante. Qui la connaĂźt ? J’ignore, si, Ă  la place de Guro Sibeko, j’aurais eu le courage ou l’envie de recevoir chez moi une Karen Winther passĂ©e par l’extrĂȘme droite. Karen Winther fut-elle une de mes anciennes amies ou connaissances. En effet, il arrive que l’on craigne que l’amie ou la connaissance « Ă©garĂ©e » et dĂ©semparĂ©e que l’on recueille afin de l’aider se rĂ©vĂšle une menace qui, finalement, empoigne notre foyer.

Il y a plusieurs annĂ©es, Ă  Paris, lors d’une soirĂ©e, j’avais croisĂ© une personne persuadĂ©e que lors de la Seconde Guerre Mondiale, elle aurait fait partie de la rĂ©sistance. Nous Ă©tions plusieurs autour de lui lorsque cet homme avait affirmĂ© :

« Lorsque je rencontre quelqu’un, je me demande toujours si cette personne aurait fait partie de la rĂ©sistance ».

J’avais jalousĂ© l’assurance de cet homme. Je l’avais aussi trouvĂ© trĂšs prĂ©tentieux. Je n’étais pas allĂ© jusqu’à me demander si cet homme lisait Ă  travers moi mieux que je ne me dĂ©cryptais moi-mĂȘme. Des personnes que je considĂšre trĂšs intelligentes, trĂšs cultivĂ©es et trĂšs sĂ»res d’elles-mĂȘmes parmi mes connaissances et rencontres, ou dont je lis et « vois » les engagements, dĂ©fendent des valeurs que j’estime proches des miennes. Cela me fait du bien mĂȘme si, paradoxalement, partager des valeurs communes est insuffisant pour ĂȘtre proche d’une autre personne. NĂ©anmoins, parfois, je me demande ce qui retient ces personnes de penser et de rĂ©agir tout Ă  fait diffĂ©remment : comme des personnes d’extrĂȘme droite, des fanatiques ou n’importe quel terroriste. Je me demande quels sont leurs « gardes fous ». Je me demande ce qui empĂȘche les super hĂ©ros Superman, Black Panther, Wonder Woman et Ororo, celles et ceux qui, dans la vraie vie, Ă  mes yeux, leur ressemblent, d’ĂȘtre du cĂŽtĂ© des sadiques et des fascistes.

On aimerait que la bravoure morale qui diffĂ©rencierait les hĂ©ros des salopards soit aussi nette, lorsqu’elle s’exprime, que la lame de la baĂŻonnette ou du rasoir. Mais je sais que l’ĂȘtre humain reste insaisissable. Et aussi que toute personne a ses limites. Un film comme Apocalypse Now de Coppola nous a montrĂ© ça. Mais aussi Stalker de Tarkovski.

Une erreur d’apprĂ©ciation frĂ©quente consiste Ă  considĂ©rer comme « cons » ou « idiots » toutes celles et tous ceux qui dĂ©fendent des valeurs contraires aux nĂŽtres. A mon avis, Spike Lee, dans son dernier film BlacKkKlansman( film rĂ©cemment oscarisĂ© et dont je parle dans la rubrique CinĂ©ma de ce blog) fait cette erreur. Dans son film, la majoritĂ© des racistes et adhĂ©rents du KuKLuxKlan sont des abrutis. Des trĂšs dangereux abrutis mais des abrutis quand mĂȘme.

Un tĂ©lĂ©film en deux parties, Alias Caracalla, au CƓur de la RĂ©sistance rĂ©alisĂ© par Alain Tasma en 2013 est inspirĂ© du livre Alias Caracalla, Ă©crit en 2009 par Daniel Cordier, ancien secrĂ©taire de Jean Moulin. Ce livre de Daniel Cordier est depuis sa parution devenu une rĂ©fĂ©rence et un exemple sur l’Histoire de la rĂ©sistance en France lors de la Seconde Guerre Mondiale. Daniel Cordier, comme d’autres rĂ©sistants connus ou anonymes, est un Monsieur. Pourtant, au dĂ©but de son engagement dans la rĂ©sistance, si j’ai bien compris, Cordier, bien que trĂšs cultivĂ©, Ă©tait plutĂŽt antisĂ©mite. Vu que je n’ai pas encore pris le temps de lire intĂ©gralement son ouvrage, j’ignore encore ce qui lui a permis de changer d’opinion intellectuelle et morale et de cesser d’ĂȘtre antisĂ©mite.

Pour expliquer la complaisance de certaines et certains dans leur rĂŽle de bourreaux et d’extrĂ©mistes envers leurs victimes et boucs Ă©missaires, certains « spĂ©cialistes » souligneraient peut-ĂȘtre davantage le manque d’intelligence Ă©motionnelle et d’empathie, ou un certain mĂ©pris pour ces facultĂ©s. Pour certaines et certains , l’intelligence Ă©motionnelle et l’empathie, une certaine forme de sentimentalisme, sont des marques de faiblesse. Etre « dur » au mal, inflexible et tranchant est valorisĂ©. On peut retrouver ces valeurs dans le corps militaire, en politique, dans un certain rapport au sport, dans le monde du travail, dans certaines relations familiales, amicales, ombilicales et amoureuses ou l’on se montre « dur comme le cuir » ou « dur Ă  cuire ». Les « hĂ©roĂŻnes » et les « hĂ©ros » qui incarnent ces valeurs avec « rĂ©ussite » sont montrĂ©s en exemple et courtisĂ©s. Celles et ceux que ces modĂšles bousillent sont relĂ©guĂ©s dans les divisions de l’oubli ou on leur fournit un mandat de dĂ©placement avec aller simple pour une destination si possible inconnue de tous et Ă©loignĂ©e de tout. Nous voulons des winners. We Shall overcome ! Si Nou Moli Nou Mo ! (Si on se ramollit, on crĂšve !).

On peut souhaiter critiquer cette mentalitĂ© quelque peu « bourrine » et assassine et prĂ©fĂ©rer louer tout ce qui a trait Ă  « l’émotionnel », Ă  la poĂ©sie, au sentimentalisme, Ă  la sensibilitĂ© et Ă  la « communication ». Mais ce serait manquer de rĂ©alisme. Ce serait oublier que bien des entreprises humaines ont eu besoin et ont besoin de l’engagement de la force brute et de l’expĂ©rience de personnes dures au mal afin de survivre et de rĂ©ussir. Le film Green Book de Peter Farrely a lors des derniers Oscars (ce dimanche 24 fĂ©vrier 2019) Ă©tĂ© diversement apprĂ©ciĂ© par certaines personnalitĂ©s et journalistes. J’ai prĂ©vu de donner mon avis sur ce film dans ce blog. En attendant, dans le film Green Book, je constate que lorsque le Dr Shirley dĂ©cide de se rendre dans les Etats Unis racistes, il choisit Tony Lip comme homme Ă  tout faire. Et qui est Tony Lip ? PlutĂŽt un bourrin et un homme dur au mal. Pas du tout un esthĂšte et un intellectuel. En cela, le film me semble « juste » :

il est quelques circonstances dans la vie oĂč se contenter d’observer et de pratiquer les maniĂšres polies nous rĂ©duit au statut de proie et de victime.

En outre, Tony Lip est néanmoins un homme dont certains des principes et valeurs rejoignent ceux du Dr Shirley.

Dans le documentaire Exit-La vie aprĂšs la haine, David Vallat, ex-jihadiste au sein du GIA, auteur du livre Terreur de jeunesse, affirme :

« Lorsque vous ĂȘtes Jihadiste, vous n’avez pas peur de mourir. Vous souhaitez mourir ».

Alors qu’il est en prison, David Vallat lit deux livres par jour. Il dĂ©couvre que la vie est faite de nuances dĂšs son arrestation oĂč, durant quatre jours, on le traite correctement. Il s’attendait Ă  ĂȘtre brutalisĂ©. Il comprend que la doctrine jihadiste lui a menti. Il explique aussi avoir vĂ©cu une « Ă©norme dĂ©pression » et ressenti une « angoisse terrible » en sortant de prison. Car il Ă©tait alors isolĂ© et complĂštement dĂ©connectĂ©. Et il se demandait par quoi il pourrait bien remplacer le vide idĂ©ologique laissĂ© par l’abandon du jihadisme. Il dit l’avoir remplacĂ© par une histoire d’amour et par le travail.

Au cours du documentaire, Angela King rĂ©vĂšle, en entendant une autre extrĂ©miste repentie, qu’avant de devenir extrĂ©miste, elle aussi s’était faite violer et qu’elle en avait conçu une grande colĂšre. Plusieurs de ces anciens extrĂ©mistes racontent la difficultĂ© Ă  quitter leur milieu activiste : eux comme leurs familles sont menacĂ©s et l’ont Ă©tĂ©. Ils sont obligĂ©s de se cacher, de changer de rĂ©gion ou de pays. De cercle relationnel.

On cite souvent le film American History X (1998) de Tony Kaye pour parler de l’extrĂ©misme contemporain. Il est d’autres films qui en parlent- aussi- trĂšs « bien » et, voire, jusqu’au terrorisme : L’attentat de Ziad Doueri, Le Ciel attendra de Marie-Castille Mention Schaar, Un Français de DiastĂšme , Incendies de Denis Villeneuve ou Nocturama de Bertrand Bonello en font partie.

D’aprĂšs le documentaire Exit-La Vie aprĂšs la Haine, il ressort que le fanatisme, l’extrĂ©misme et le terrorisme deviennent les Ă©quivalents d’une addiction. D’une passion. D’une transe au cours de laquelle on se sent supĂ©rieur Ă  celles et ceux qui sont extĂ©rieurs Ă  notre groupe ; d’une identitĂ© sociale ; d’une forme de pensĂ©e automatique qui prend le dessus sur une certaine aptitude au discernement et Ă  l’autocritique.

L’autocritique, l’autocensure, la capacitĂ© Ă  prendre l’initiative d’une dĂ©cision contradictoire et/ou bienveillante comme ces deux codĂ©tenus turcs qui ont secouru Manuel Bauer, ces dĂ©tenues noires qui ont protĂ©gĂ© Angela King, le journaliste qui a rencontrĂ© et fait douter Ingo Hasselbach, Guro Sibeko et son petit ami d’alors qui avaient recueilli Karen Winther sont des actes de rĂ©sistance. Des actes de rĂ©sistance rĂ©alisĂ©s par des Mesdames et des Messieurs et toutes celles et ceux qui leur ressemblent, connus ou inconnus. Et Manuel Bauer, Ingo Hasselbach, Angela King, Karen Winther, David Vallat, mĂȘme si leurs actions passĂ©es sont repoussantes sont aussi d’une façon ou d’une autre des Mesdames, des Messieurs et des rĂ©sistants : dans ce documentaire, ils ne nous parlent pas de celles et ceux qu’ils ont pu cĂŽtoyer et dont ils ont pu ĂȘtre proches alors qu’ils Ă©taient fascistes, terroristes ou nĂ©o-nazis et qui ont prĂ©fĂ©rĂ© rester dans le « mouvement » mĂȘme s’ils avaient, eux aussi, des doutes. Par conformisme ou par peur des reprĂ©sailles.

 

A l’école Robespierre oĂč j’ai commencĂ© ma scolaritĂ© puis ensuite ailleurs au collĂšge, au lycĂ©e et dans ma citĂ© oĂč j’ai grandi, j’ignore dans quelle proportion celles et ceux que j’ai croisĂ©s sont devenus extrĂ©mistes, nĂ©onazis, fascistes ou rĂ©sistants. Mais je sais , qu’elles et ils se fassent un jour connaĂźtre ou non, qu’il en est bien quelques unes et quelques uns parmi eux qui quelque part ou en ce moment sont des Mesdames et des Messieurs qui rejettent « l’ensaignement ».

Ces immeubles que l’on aperçoit font partie de la citĂ© ou de l’allĂ©e Fernand LĂ©ger oĂč j’ai habitĂ© de mes 4 ans Ă  mes 17 ans. Notre immeuble se trouve hors-champ, sur la droite. A notre « époque », jusqu’en 1985, les immeubles Ă©taient plutĂŽt de couleur gris/marron. Sur la gauche, au sein du bĂątiment un peu allongĂ©, il y avait le supermarchĂ© Sodim ensuite remplacĂ© par un FĂ©lix Potin. Les photos pour cet article ont Ă©tĂ© prises quelques jours avant sa rĂ©daction.

 

Ces immeubles au premier plan n’existaient pas Ă  mon « époque ». A leur place, il y avait sans doute un terrain vague. Les grandes tours que l’on aperçoit tout au fond, en revanche, Ă©taient bien lĂ  dans les annĂ©es 80. On les appelait les « Tours rondes ».

 

Nous sommes ici non loin du stade d’athlĂ©tisme Jean Guimier que j’ai frĂ©quentĂ©. Ainsi que sa piste en tartan de 400 mĂštres qui a remplacĂ© la piste en cendrĂ©e de 350 mĂštres oĂč j’avais dĂ©butĂ© l’athlĂ©tisme et qui se trouvait juste Ă  cĂŽtĂ© du lycĂ©e Joliot Curie, de la mairie mais aussi de la bibliothĂšque de Nanterre. Le stade Jean Guimier, lui, se trouve plus prĂšs du grand parc de Nanterre ( dont j’ai toujours eu du mal Ă  retenir le nom officiel), du collĂšge Evariste Gallois oĂč je suis ensuite allĂ©….et du quartier de la DĂ©fense qui se trouve Ă  dix Ă  quinze minutes Ă  pied.

 

Le grand immeuble qui tranche tout au fond, c’est, si je ne me trompe l’immeuble appelĂ©  » DĂ©fense 2000″. C’est dĂ©ja le quartier de la DĂ©fense. Et une toute autre population que celle que je « connaissais » et cĂŽtoyais au quotidien. Un autre monde. La seule fois oĂč je suis entrĂ© dans cette immeuble, c’Ă©tait pour essayer de faire « fortune » en faisant du porte Ă  porte avec mon meilleur ami, son frĂšre et un autre ami. J’ai oubliĂ© ce que nous avions essayĂ© de vendre. Mais, de toute façon, cela n’a pas marchĂ©.

 

Le stade Jean Guimier oĂč j’ai effectuĂ© un certain nombre de sĂ©ances d’athlĂ©tisme et aussi d’oĂč nous partions pour aller courir au parc se trouve, hors champ, sur la gauche Ă  moins de cent mĂštres.

 

Les Fontenelles.

 

Une adresse bien connue de moi ( mon meilleur ami y a vécu avec ses parents, ses frÚres et ses soeurs) qui se trouve prÚs du collÚge Evariste Gallois.

 

Des collĂ©giens devant le collĂšge Evariste Gallois, destinĂ© Ă  ĂȘtre fermĂ© : Ce collĂšge est devenu un Ă©chec pĂ©dagogique. A mon Ă©poque (au dĂ©but des annĂ©es 80) ce n’Ă©tait pas le cas.

 

Cette dame et « son » enfant marchent dans la citĂ© Fernand LĂ©ger. J’ai souvent pris ce chemin pour aller faire des courses au Sodim ou au FĂ©lix Potin. Sauf que, comme la plupart des enfants de mon Ăąge, je coupais en marchant sur la pelouse sur la gauche.

 

 

La Tour 17. LĂ  oĂč j’ai vĂ©cu de mes 4 ans Ă  mes 17 ans. Jusqu’en 1985. Face au groupe scolaire Robespierre, situĂ© sur la droite. Il n’y avait qu’Ă  traverser la rue pour aller Ă  l’Ă©cole primaire.

 

 

Le Groupe scolaire Robespierre, oĂč je suis allĂ© Ă  la maternelle, situĂ©e sur la droite. Puis, Ă  l’Ă©cole primaire, du CP au CM2, pour moi, au fond, Ă  gauche.

 

DerriĂšre cette dame Ă  l’horizon, il y avait une sorte de terrain de foot sans herbe. Que de la pierre, avec des buts. Nous jouions, lĂ . L’immeuble que l’on voit derriĂšre cette dame est soit la tour 13 ou la tour 14. Ma « fiancĂ©e » de l’Ă©cole primaire, Malika, habitait lĂ  avec sa famille, sa soeur Fatima, ses frĂšres Hassan et Lionel. Sur la droite, et dans le prolongement, derriĂšre l’immeuble, il y avait l’usine CitroĂ«n, toujours en activitĂ©. Pour moi, elle faisait juste partie du dĂ©cor. Car mes parents et aucune des personnes que je « connaissais », n’y travaillait.

 

Ce panneau n’existait pas Ă  notre « époque ».
A notre arrivĂ©e, la citĂ© Fernand LĂ©ger Ă©tait pratiquement « fermĂ©e » : une route la ceinturait de l’intĂ©rieur et on ne pouvait la prendre- et en sortir- qu’Ă  un seul endroit qui se trouvait, je crois, avant le supermarchĂ©. Puis, il a Ă©tĂ© dĂ©cidĂ© de « l’ouvrir ». NĂ©anmoins, Ă  notre « époque », ce rond-point, pour moi, n’existait pas.

 

 

 

PrĂšs des berges de la Seine, Ă  Colombes, non loin du parc de l’Ăźle « marrante » derriĂšre nous. Parc oĂč se trouvent la patinoire, la piscine etc…..

Franck Unimon, ce lundi 18 mars 2019. L’école Robespierre, 3Ăšme et derniĂšre partie.

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L’Ă©cole Robespierre 2Ăšme partie

 

 

                                            L’école Robespierre 2Ăšme partie

 

« Fé-Lix Potin, On y revient ! ».

 

A l’école Robespierre, je suis sorti des toilettes. Le grand Philippe C m’attendait. Surpris, je me suis arrĂȘtĂ©. Il a tirĂ© sur son Ă©lastique et me l’a envoyĂ© dans l’oeil. Il est reparti hilare.

En temps ordinaire, je n’aurais pas caftĂ©. Philippe C, avec Cyril T, son grand frĂšre et Enzo B Ă©taient des durs de la rue ou de la citĂ© Creuse (on disait « Greuse »). Une petite citĂ© HLM un peu Ă  l’écart, faite de bĂątiments de trois ou quatre Ă©tages, situĂ©e entre le théùtre des Amandiers et la citĂ© oĂč j’habitais faite de tours de 18 Ă©tages.

Mais la douleur, la surprise et la peur m’ont fait pleurer. C’est Mr Lambert, je crois, qui, devant toute la cour, a engueulĂ© Philippe C. Celui-ci s’est fait tout petit. Cela a Ă©tĂ© la premiĂšre et derniĂšre fois oĂč il s’en est pris Ă  moi.

Certains garçons avaient la rĂ©putation d’ĂȘtre de trĂšs bons bagarreurs. Amar B frimait parce qu’il avait des grands frĂšres qui se battaient bien et pouvaient le dĂ©fendre. « Mais, en vrai », il n’était pas fort. C’est ce qui a pu se raconter.

Jacky W, qui Ă©tait un bon bagarreur, a fait pleurer Amar un jour. Lors de l’unique bagarre – nous Ă©tions plutĂŽt copains- que j’ai eue avec Jacky W (pour une raison que j’ai oubliĂ©e) j’ai trĂšs vite donnĂ© un coup de sabot. Ce jour-lĂ , je portais des sabots. Jacky W s’est arrĂȘtĂ©. Il est parti s’asseoir quelques minutes Ă  quelques mĂštres. J’ai attendu, debout et prĂȘt, les poings serrĂ©s, pieds nus dans mes sabots noirs. Jacky s’est relevĂ© puis a fait la paix avec moi. J’ai acceptĂ©. Je suis reparti de mon cĂŽtĂ©. Je n’étais pas un bagarreur. Je n’avais rien Ă  me prouver de ce cĂŽtĂ©-lĂ .

William P avait combattu de façon hĂ©roĂŻque face Ă  Cyril T devant la cour de l’école. Cyril T l’avait provoquĂ©. Peut-ĂȘtre parce qu’arrivĂ© en CE2 ou en CM1, William P Ă©tait nouveau dans l’école. Et, devant ses copains Philippe C, Enzo B, et son grand-frĂšre, Cyril T a dĂ» aller jusqu’au bout.

William P s’est trĂšs bien dĂ©fendu. On m’a racontĂ©. C’est peut-ĂȘtre William P lui-mĂȘme qui me l’a racontĂ© car on s’entendait bien. AprĂšs la bagarre, William a portĂ© un bandage Ă  la main  mais il a Ă©tĂ© respectĂ© et admirĂ©. Cyril T l’a peut-ĂȘtre menacĂ© mais c’était surtout pour ne pas perdre la face.

Dans l’autre Ă©cole primaire de Robespierre, j’ai entendu parler d’un garçon d’origine vietnamienne, Teduc de V
. D’aprĂšs la description, dĂšs qu’il s’énervait lors d’une bagarre, il Ă©tait terrifiant. Je ne l’ai jamais rencontrĂ©.

Lorsque j’Ă©tais en CM2, j’ai Ă©tĂ© atterrĂ© d’entendre des petites et des petits prononcer dĂšs le CP des gros mots tels que « Ta mĂšre la pute ! ».

AprĂšs ĂȘtre entrĂ© en 6Ăšme, au collĂšge Evariste Gallois, un tout petit peu en dehors de ma citĂ©, je suis revenu deux ou trois fois dire bonjour Ă  Mr Pambrun. Il m’a Ă  chaque fois Ă©coutĂ© durant quelques minutes. Lorsque je lui ai dit que, moi, au collĂšge, je ne faisais pas de bĂȘtises, il a rĂ©pĂ©tĂ© mes propos en me souriant. Il a peu insistĂ©. Mais j’ai compris qu’il n’en croyait pas un mot.

Comme d’autres copains, avec Jean-Marc T, en particulier, un Antillais d’origine martiniquaise nĂ© en France comme moi, rencontrĂ© en 6Ăšme, j’ai commencĂ© Ă  voler dans le supermarchĂ© FĂ©lix Potin. Anciennement Sodim. Je volais n’importe quoi. J’en remplissais mes poches et n’en faisais rien. C’était d’autant plus idiot que le supermarchĂ© FĂ©lix Potin, le supermarchĂ© le plus proche de ma citĂ©, Ă©tait le supermarchĂ© oĂč mes parents m’envoyaient faire des courses. Autrement, il y’avait le supermarchĂ© Suma situĂ© du cĂŽtĂ© du collĂšge Evariste Gallois. En face de FĂ©lix Potin, de l’autre cĂŽtĂ© de la route, peut-ĂȘtre avant la construction du grand parc de Nanterre, il y’avait un terrain vague. C’est lĂ  que Gilles S, qui habitait aux Canibouts, prĂšs des PĂąquerettes et de l’hĂŽpital de Nanterre oĂč travaillait ma mĂšre, a tenu Ă  faire un concours avec Jean-Marc et moi. Pour savoir qui de nous trois avait la plus grande ou la plus grosse bite. Gilles S avait beaucoup de bagout. Il s’est soudainement retournĂ© vers nous en pressant son zizi dans sa main pour nous montrer. J’ai refusĂ© de participer. Je savais que les gros en avaient une petite.

Sur ce terrain vague, aussi, avec Jean-Marc, j’ai commencĂ© Ă  crapoter. J’ai vite arrĂȘtĂ©. Aucun plaisir. En plus, cela prenait beaucoup de temps pour terminer une cigarette. Lorsque Francine B, rencontrĂ©e au collĂšge, m’a dit plus tard que cela la calmait de fumer des cigarettes, cela m’a paru trĂšs abstrait.

C’est sur la route entre ce terrain vague (ou le parc de Nanterre) et FĂ©lix Potin, qu’un jour, des gardiens du parc ont poursuivi des jeunes de la rue Creuse qui avaient traversĂ© le parc en mobylette. C’était interdit. Nous les avions regardĂ©s faire. Les deux jeunes, dont le grand frĂšre de Cyril T je crois, dĂ©boulaient tĂȘte nue sur leur mobylette chaudron au moteur dĂ©bridĂ©. Ils Ă©taient suivis environ cinquante mĂštres ou cent mĂštres plus loin par les deux gardiens du parc assis sur leur deux roues de fonction, vĂȘtus comme des gendarmes avec leur kĂ©pi sur la tĂȘte. Au compteur, il devait bien y avoir trente Ă  quarante kilomĂštres heures d’Ă©cart entre les vĂ©lomoteurs rĂ©glementaires et de petite cylindrĂ©e des gardiens. Et ceux du grand frĂšre de Cyril T et de son copain.

Nous Ă©tions plusieurs jeunes (uniquement des garçons sans doute) Ă  regarder ça un peu comme s’il s’agissait du Tour de France. Nous encouragions Ă©videmment les deux jeunes. Vu que les deux gardiens avaient le sens du devoir, cela a durĂ© un moment. Sans suspense.

 

Non loin de lĂ  et Ă  l’entrĂ©e du parc, la chapelle St Joseph oĂč je suis allĂ© au catĂ©chisme. Lors des dĂ©bats, le pĂšre AndrĂ© me donnait souvent l’impression que j’étais vraiment intelligent. Lorsque le groupe Police a commencĂ© Ă  ĂȘtre connu, avec d’autres jeunes, j’ai Ă©coutĂ© et réécoutĂ© le titre Do Do Do Da Da Da. Au catĂ©chisme, j’ai retrouvĂ© un camarade de collĂšge avec lequel j’ai davantage sympathisĂ©- presque fraternisĂ© la religion aidant- Roberto C, d’origine italienne.

 

Au collĂšge Evariste Gallois, la derniĂšre fois que j’ai vu Enzo B, il Ă©tait entourĂ© de policiers. Nous Ă©tions assez nombreux dans la cour du collĂšge Ă  assister Ă  son arrestation. Le petit Enzo B (Enzo Ă©tait de petite taille) avec lequel mes quelques Ă©changes Ă©taient sympathiques tout comme avec Cyril T et son grand frĂšre, se tenait fiĂšrement. Enzo est montĂ© dans le camion de police. Je crois ne l’avoir jamais revu. Pas plus que je n’ai revu le grand Philippe C, Cyril T et son grand frĂšre. Ou alors, je les ai revus et ne les ai pas reconnus.

 

Je ne sais comment. Un jour, j’ai su qu’il Ă©tait possible de renifler la colle qui sert Ă  poser des rustines lorsque l’on rĂ©pare les chambres Ă  air de nos vĂ©los. Je ne l’ai pas fait. Je ne voyais pas ce que cela pouvait m’apporter.

Gilles P, un voisin de notre tour qui habitait avec ses parents quelques Ă©tages en dessous de notre appartement, mon aĂźnĂ© d’un ou deux ans, serait mort d’une overdose Ă  l’hĂ©roĂŻne. Je le croisais quelques fois en bas de notre tour, en attendant l’ascenseur, ou au collĂšge. Son pĂšre Ă©tait policier, je crois. Une des derniĂšres images que j’ai de Gilles P, c’est lui, portant un maillot de foot vert et se battant avec une fille dans la cour du collĂšge. Il avait dĂ» la provoquer. Elle se battait trĂšs bien. Sa jambe allait haut. Gilles avait beau jouer la dĂ©contraction en reculant tel un boxeur pour Ă©viter les coups, il n’avait pas gagnĂ© et avait plutĂŽt Ă©tĂ© intimidĂ©.

Une autre image me montre Gilles P un peu plus tard et portant un blouson de cuir noir, un Jean foncĂ© prĂšs du corps et des baskets Adidas Ă  trois bandes. Les groupes AC/DC et Trust Ă©taient devenus des rĂ©fĂ©rences musicales pour certains jeunes. Gilles P et moi nous sommes plus croisĂ©s que parlĂ©s. Deux ans d’écart, lorsque l’on est jeune, c’est beaucoup.

En 4Ăšme, Patrice L m’a proposĂ© un jour d’aller coucher avec une fille. Patrice a ajoutĂ© :

« Par contre, ramĂšne l’eau de javel parce-qu’elle se lave pas
 ». J’ai refusĂ©.

Une autre fois, j’ai croisĂ© Patrice alors qu’il s’amusait avec ses copains. Il m’a proposĂ© de faire de la mobylette avec eux. J’ai refusĂ© poliment et ai commencĂ© Ă  m’éloigner. Peu aprĂšs, un camion de police est venu les embarquer.

En 3Úme, Mme Epstein, notre prof de Français et professeur principal, petite femme au fort caractÚre et grande fumeuse, étonnée, nous demandait réguliÚrement :

« Pourquoi vous Ă©crivez toujours des histoires qui se passent aux Etats-Unis ? Racontez des histoires d’endroits que vous connaissez
 ». J’ai quelques fois essayĂ© de rĂ©flĂ©chir pendant quelques secondes. Je n’y arrivais pas.

 

J’ai aimĂ© ma citĂ©. Les reprĂ©sentants entraient comme ils voulaient dans notre tour. Lorsqu’ils s’arrĂȘtaient devant la porte d’un appartement, ils faisaient vriller les tympans avec la sonnette. Puis, sans attendre la moindre rĂ©action, ils passaient Ă  une autre porte d’appartement et ainsi de suite dans les Ă©tages. 18 Ă©tages.

Sur notre palier, parmi nos voisins, figuraient les M. Ils claquaient la porte lorsqu’ils entraient. Ils la claquaient lorsqu’ils partaient. Je suis allĂ© plusieurs fois chez eux. Christophe M, le fils, et moi Ă©tions assez copains. Il avait une voix assez aigĂŒe Ă  l’époque. Corinne, sa grande sƓur aĂźnĂ©e, avait beaucoup aimĂ© le tube de Patrick Juvet : « OĂč sont les femmes ? ». A notre Ă©tage, on l’avait entendu et rĂ©entendu, plus qu’à la radio, ce tube.

Lorsque des gens se disputaient chez eux, on entendait tout. Pareil lorsque quelqu’un se dĂ©cidait Ă  attaquer un des murs de son appartement Ă  la chignole. Quand un jeune dĂ©cidait de roder sa mobylette, on Ă©tait avec lui alors qu’il passait et repassait dans la citĂ©, augmentant petit Ă  petit la vitesse de son engin.

Le terrain de foot en cailloux situĂ© entre ma tour, la tour 13 et la tour 14 avait ses pĂ©riodes de grande frĂ©quentation. J’y ai connu certains de mes petits matches de foot.

La création du centre commercial Les Quatre Temps à la Défense nous a apporté un renouvellement de notre environnement. Auchan et le Mac Donald.

Avec Jean-Marc, principalement, les premiĂšres fois, je suis aussi allĂ© voler dans quelques magasins des Quatre Temps. MĂȘme si je m’étais dĂ©jĂ  fait prendre une fois. A Suma. L’attrait Ă©tait trop fort.

CollĂ©gien, je suis bien plus de fois entrĂ© dans le centre commercial les Quatre Temps qu’au théùtre des Amandiers devant lequel, pourtant, j’Ă©tais dĂ©ja passĂ© quantitĂ© de fois depuis l’enfance. Le théùtre des Amandiers fait pratiquement face Ă  la piscine Maurice Thorez. Le théùtre des Amandiers Ă©tait un endroit qui ne me parlait pas. Les personnes qui faisaient la queue, jusque dans la rue, pour y entrer, nous empĂȘchaient parfois de passer. Ces personnes ne nous parlaient pas, ne nous ressemblaient pas, Ă  mes copains et moi.

Mme Epstein, notre prof de Français de 3Ăšme, nous a emmenĂ© voir Combat de NĂšgres et de chiens au théùtre des Amandiers. Ensuite, elle en a dĂ©battu avec nous. Malheureusement, contrairement Ă  l’expĂ©rience de la bibliothĂšque en CE2 avec Mr Pambrun, cette fois-ci, je n’ai pas eu envie d’y retourner. Pourtant, le théùtre des Amandiers Ă©tait bien plus proche de notre tour que la bibliothĂšque et le centre commercial des Quatre Temps. J’ignorais ce que le théùtre pouvait m’apprendre et me donner mais aussi ce que j’aurais pu, tout autant, lui donner. Il est vrai, aussi, que l’accĂšs au théùtre Ă©tait payant. On ne paie jamais pour entrer dans un centre commercial.

Au collĂšge, ce qui me parlait, c’était la tĂ©lĂ©, le Foot, l’AthlĂ©tisme, Bruce Lee, Mohamed Ali, le Tennis, le Cyclisme, les acteurs amĂ©ricains, la musique noire amĂ©ricaine, les Etats-Unis rĂ©sumĂ©s Ă  New-York, le Reggae, la lecture.

Au collĂšge, ce qui me parlait c’était la ceinture de mon pĂšre, son soutien scolaire, le crĂ©ole, la Guadeloupe, la musique antillaise, la mĂ©moire de l’esclavage, avoir des bonnes notes Ă  l’école. Ma mĂšre. Ma petite sƓur et mon petit frĂšre. Mon cousin Christophe qui habitait aux PĂąquerettes prĂšs de l’hĂŽpital de Nanterre. Et les copains.

Parmi ces quelques jeunes citĂ©s, et certains de leurs proches, femmes et hommes, il doit malheureusement s’en trouver plusieurs Ă  qui la haine a su parler.

Franck Unimon, ce samedi 2 mars 2019. Fin de la 2Ăšme partie de l’école Robespierre.

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L’Ă©cole Robespierre

L’école Robespierre 1Ăšre Partie

 

DĂšs qu’une personnalitĂ© ou un sportif aimĂ© du public et des mĂ©dia accomplit une performance ou bat un record, on lui donne du Madame ou du Monsieur. Ce qui finit par sous-entendre que tous les autres (la grande majoritĂ©) sont des rebuts de l’humanitĂ©.

A l’école Robespierre, dans mon ancienne citĂ© HLM, en CE2, je crois, Monsieur Pambrun, petit homme brun moustachu typĂ© Les Brigades du Tigre, et grand fumeur, nous avait emmenĂ©, seul, Ă  la bibliothĂšque municipale de Nanterre. Nous avions fait le trajet Ă  pied. Nous devions ĂȘtre une bonne vingtaine serpentant un moment le long de la piscine Maurice Thorez, alpinistes banlieusards horizontaux continuant d’effectuer malgrĂ© nous notre chemin de Compostelle. Pour le plus grand nombre, dont j’étais, nous rendre dans une bibliothĂšque Ă©tait une PremiĂšre.

En classe, Monsieur Pambrun Ă©tait un instituteur qui tirait parfois les oreilles et donnait quelques claques Ă  certains d’entre nous – dont j’étais- pour indiscipline. Ce jour-lĂ , pourtant, comme bien d’autres fois, et nous Ă©tions sĂ»rement plusieurs Ă  l’ignorer – en tout cas, moi, je l’ignorais- Monsieur Pambrun s’appliquait, Ă  la suite de toutes ses collĂšgues et collĂšgues prĂ©cĂ©dents, Ă  continuer d’esquisser un certain trajet vers la Culture et la Connaissance. Et Ă  nous le faire emprunter, ce trajet, en fendant les eaux et le sceau de notre ignorance. Le bĂ©nĂ©fice possible, pour nous tous, filles et garçons, Ă©tait d’ajouter d’autres Savoirs Ă  ceux de nos histoires et consciences personnelles. Pour cela, depuis l’école, nous avions probablement dĂ» marcher entre 20 et 30 minutes ce jour-lĂ  pour atteindre les lieux.

Depuis, et par la suite, je fis partie des petites tortues qui refirent le trajet rĂ©guliĂšrement jusqu’à la bibliothĂšque. Seul ou accompagnĂ© d’un camarade ou d’un copain. Aujourd’hui, rĂ©guliĂšrement, je continue de refaire ce trajet.

Chaque fois que je change de domicile, en plus des commerces et des lieux de soins, j’ai besoin de savoir oĂč se trouvent la gare, la piscine et la bibliothĂšque.

Enfants, aucun de nous n’avait choisi de venir dans cette Ă©cole publique et encore moins dans cette ville communiste. La majoritĂ© d’entre nous habitait soit dans la citĂ© ou Ă  ses cĂŽtĂ©s. L’usine CitroĂ«n, proche, Ă©tait encore en activitĂ©.

Sophie D, Sandrine El, Malika M, FrĂ©dĂ©ric B, Jacky W, Didier P, Myriam M, Corinne C, Laurent S, Jean-Christophe P, Sandrine et Karine R, Dany A, SaĂŻd, SmaĂŻl M, Florence T, William P, Isabelle R, Gilles O, Jocelyne B, Jean-Christophe B (qui au CP confondait le son « Vr » et le son « Fr »), Eric C, Anna-Paula M, Christophe B et Laurence A sont quelques uns de mes camarades de classe de l’école primaire du CP au CM2. Certains sont partis en province avec leurs parents avant le CM2. D’autres ont fait un passage d’un ou deux ans dans l’école. J’ai Ă©tĂ© dans la classe de la plupart d’entre eux mais il m’est arrivĂ© d’en croiser d’autres dans la cour. Plus ĂągĂ©s comme plus jeunes. Bien-sĂ»r, il y’avait aussi les bagarreurs qui faisaient peur ou qui inspiraient l’admiration.

Je me rappelle trĂšs peu du mĂ©tier qu’exerçaient les parents de celles et ceux que je cĂŽtoyais. Je me rappelle que le pĂšre de Sandrine El, un de mes premiers amours avec Malika M, Ă©tait supposĂ© ĂȘtre inspecteur de police. Et qu’elle et ses parents sont ensuite partis pour Toulouse.

Nous Ă©tions des Arabes- le premier mot arabe que j’ai retenu et appris signifie : « NĂ©gro! »-, des Juifs (mĂȘme si, pendant longtemps, je ne savais pas vraiment ce que signifiait ĂȘtre Juif)) des Blancs de France ou venant d’ailleurs (Pologne, Espagne, Portugal, Italie
.) une toute petite minoritĂ© de noirs antillais nĂ©s en France.

Quelques uns d’entre nous Ă©taient des enfants de parents divorcĂ©s ou d’une famille monoparentale. Nos parents Ă©taient majoritairement locataires de leur appartement. Seul, peut-ĂȘtre, parmi celles et ceux dont je me rappelle, Gilles O et son accent du sud, dĂ©rogeait Ă  la rĂšgle :

Dans leur maison de ville, il prenait des cours de piano Ă  domicile. De la musique « classique ». Et lorsque nous nous rendions ensemble lui et moi Ă  la bibliothĂšque, aprĂšs que je sois allĂ© le chercher, il me parlait souvent, intarissable, de sujets que je ne comprenais pas. Il me parlait Ă©conomie, politique. Du pĂ©trole. Je l’écoutais poliment et essayais de me mettre Ă  son niveau. Mais je n’ai aucun souvenir d’avoir amenĂ© ne serait-ce qu’une seule fois un argument ou un avis sensĂ© ou valable. Je me souviens de lui comme d’un garçon plutĂŽt isolĂ©, par moments chahutĂ©, trĂšs bon Ă©lĂšve et peu douĂ© pour le sport.

 

Au CP, nous avions eu Mme Chaponet, institutrice douce et grande fumeuse. Puis Mme Benyamin, bonne institutrice, grosse femme au physique de Bud Spencer qui dĂ©crochait quelques claques mĂȘme Ă  certaines filles de la classe. Un jour, le pĂšre de Malika Ă©tait venu l’engueuler pour cela. Et il avait fait pleurer Mme Benyamin. Puis il y’avait eu Mr Pambrun en CE2. Je ne l’ai jamais vu pleurer. Pas plus que Mr Lucas en CM1, le directeur de l’école, lequel nous parlait souvent du MusĂ©e du Louvre. Et Ă  nouveau Mr Pambrun. En CM2, Ă©galement skieur, Monsieur Pambrun nous emmena en classe de neige Ă  La Bourboule Ă  Clermont-Ferrand. Je me rappelle d’une partie de dames avec lui.

Je me rappelle aussi de Monsieur Lambert, instituteur auquel j’avais Ă©chappĂ© alors qu’il aurait dĂ» ĂȘtre notre Maitre en CM2. Il avait quittĂ© l’école, je crois. Mr Lambert Ă©tait un grand homme effrayant au physique de bĂ»cheron. Sa voix portait dans toute la cour lorsqu’il apostrophait un Ă©lĂšve. Et son grand pied vĂ©loce corrigeait par moments le postĂ©rieur d’un ou deux Ă©coliers turbulents. Pourtant, une de ses filles Ă©tait Ă©galement dans l’école et Ă  la voir avec lui, il apparaissait fort gentil. Et calme.

Je n’ai revu aucune de ces personnes depuis au moins vingt, trente ou quarante ans. Et, je me mĂ©fie beaucoup des retrouvailles. Aussi bien intentionnĂ©es soient-elles au dĂ©part, ce genre de retrouvailles peuvent trĂšs vite qualifier un certain malaise. Selon ce que nous sommes devenus et selon nos rapports au passĂ© et au prĂ©sent. A l’époque, nous coexistions ensemble au moins Ă  l’école. Nous n’avions pas le choix. Depuis, nous avons tous connu des bonheurs et des malheurs divers. Nos personnalitĂ©s et nos histoires se sont affirmĂ©es. Nous avons fait des choix et continuerons d’en faire en nous persuadant que ce sont les bons ou les moins mauvais. Mais nous n’avons plus cette obligation de coexister ensemble comme Ă  l’école primaire.

Dans son trĂšs bon documentaire, Exit- La Vie aprĂšs la haine, encore disponible sur Arte jusqu’au 27 fĂ©vrier 2019 (aujourd’hui !) Karen Winther se demande comment, de par le passĂ©, elle a pu devenir une activiste d’extrĂȘme droite. Pour essayer de le comprendre, elle est allĂ©e Ă  la rencontre d’autres personnes qui sont passĂ©es comme elle par certains extrĂȘmes. Mais aussi Ă  la rencontre d’une de ses anciennes amies, activiste de gauche Ă  l’époque, qui avait acceptĂ© de l’aider Ă  s’éloigner de son milieu fasciste.

Ingo Hasselbach ( qui a écrit un livre sur cette période, disponible en Allemand et en Anglais), le premier interviewé, a été décrit à une époque comme le « nouvel Hitler ». Dans le documentaire, il dit par exemple :

« Je voulais blesser les autres ».

Un journaliste, pour les besoins d’un reportage, l’avait rencontrĂ© pendant un an. Ce journaliste le contredisait point par point sur un certain nombre de sujets. Cela a commencĂ© Ă  faire douter Ingo Hasselbach. Ce journaliste est un Monsieur. J’ignore si j’aurais eu sa persĂ©vĂ©rance et son intelligence.

Manuel Bauer explique que ses amis Ă©tant d’extrĂȘme droite, il Ă©tait donc devenu comme eux. Lors d’une dĂ©tention en prison, alors qu’il Ă©tait en train de se faire agresser, ce sont deux codĂ©tenus turcs qui sont venus le sauver. Ce qui aurait provoquĂ© sa prise de conscience. Ces deux codĂ©tenus turcs, lorsqu’ils l’ont sauvĂ©, ont Ă©tĂ© des Messieurs. J’ignore si je serais venu au secours d’un Manuel Bauer, qui, lors de sa « splendeur » fasciste, avait pu flanquer un coup de pied dans le ventre d’une femme enceinte au prĂ©texte qu’elle Ă©tait Ă©trangĂšre. Et, ce, juste aprĂšs avoir agressĂ©- parce-qu’il Ă©tait Ă©tranger- le compagnon de cette femme.

Angela King, Tee-shirt de Bob Marley, ancienne suprématiste blanche, raconte :

« A l’époque, j’étais invisible. HarcelĂ©e » ; « J’ai pensĂ© que personne ne m’aimait ». Angela King explique qu’elle croyait vraiment Ă  l’existence d’un complot ainsi qu’à la supĂ©rioritĂ© de la race blanche. C’est un attentat meurtrier en 1995, commis dans l’Okhlahoma, par un homme qui pensait comme elle qui l’aurait fait se reprendre. En prison, ce sont des dĂ©tenues noires qui ont eu de la compassion pour elle et l’ont protĂ©gĂ©e, allant jusqu’à cacher son passĂ© de suprĂ©matiste blanche Ă  d’autres dĂ©tenues. Angela King dit : « Ces femmes m’ont rendu mon humanitĂ© ».

Ces dĂ©tenues noires, qui avaient peut-ĂȘtre tuĂ© auparavant, ont Ă©tĂ© des Mesdames en choisissant de protĂ©ger Angela King. J’aurais aimĂ© entendre ces dĂ©tenues noires expliquer, raconter, ce qui, en Angela King, leur avait donnĂ© envie de la protĂ©ger. Pourtant, Angela King l’affirme :

« Si les conditions sont rĂ©unies, tout le monde peut devenir extrĂ©miste ». Cette phrase peut ressembler Ă  une lapalissade. En regardant le dĂ©but d’une fiction telle que la sĂ©rie Walking Dead, on comprend pourtant que- si les conditions sont rĂ©unies- tout le monde peut devenir zombie.

Franck Unimon, ce mercredi 27 fĂ©vrier 2019. Fin de la PremiĂšre partie de L’école Robespierre.

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C’est Comportemental !

 

«(….) Mais pas d’inquiĂ©tude : si vous n’ĂȘtes pas physiquement apte Ă  danser Ă  corps perdu, le simple fait de synchroniser de petits gestes de la main avec votre voisin suffira pour que votre cerveau baigne dans le bonheur musical » conclut Aurore Braconnier dans son article Born To Dance (P4-P11) publiĂ© dans le hors-sĂ©rie numĂ©ro 49 (dĂ©cembre 2018) consacrĂ© Ă  la danse de la trĂšs bonne revue Sport & Vie.

 

Il y’a encore quelques annĂ©es, je dansais assez rĂ©guliĂšrement dans des soirĂ©es ou dans certains de ces lieux consacrĂ©s : les boites de nuit. La danse avait dĂ©butĂ© dans l’enfance oĂč, initiĂ© par l’AutoritĂ© paternelle, plus que par ma volontĂ©, j’avais dĂ» me montrer Ă  la hauteur de ma valeur sociale, culturelle et raciale :

« DĂ©pi Ki Ou SĂ© NĂšg Ou Dwet Sav DansĂš ! » (« Tout NĂšgre se doit de savoir danser ! ») dirait un jour mon pĂšre en voyant Ă  la tĂ©lĂ© l’artiste noir amĂ©ricain James Ingram se dĂ©hancher tout en interprĂ©tant le tube Yah-Mo Be There. J’étais alors ado et MichaĂ«l Jackson, avec ses clips, ses pas de danse, sa voix et sa musique de granit, rĂ©gnait sur la musique.

Si je m’étais Ă©coutĂ©, et sans l’intervention de mon pĂšre, aux nombreuses festivitĂ©s antillaises oĂč il nous emmenait (baptĂȘmes, mariages et autres ), je serais plus souvent restĂ© assis, prenant plaisir Ă  regarder le spectacle vivant qui se dĂ©ployait devant moi , Ă  ausculter ces musiques qui prolongeaient l’existence de ce monde et , bien-sĂ»r, Ă  ingĂ©rer toutes ces spĂ©cialitĂ©s culinaires qui dĂ©filaient sur un plateau Ă  portĂ©e de bouche. Lesquelles spĂ©cialitĂ©s culinaires autant que la langue crĂ©ole, la sexualitĂ©, la musique et la famille font partie de l’identitĂ© culturelle antillaise : chaudeau, boudin, accras, colombo, salade de concombres au citron et au piment
.

A la maison, aussi, mon pĂšre maintenait une occupation musicale assez constante. A l’ñge de dix ans, il m’était impossible d’ignorer qui Ă©tait Bob Marley. Jimmy Cliff, OphĂ©lia, CoupĂ© ClouĂ©, James Brown et d’autres tubes de cĂ©lĂ©britĂ©s antillaises ignorĂ©es (sous-estimĂ©es ?) par le Français lambda m’étaient tout autant familiers mĂȘme si je n’en retenais ni les noms ni les titres.

 

J’ignore si je serais entrĂ© un jour de moi-mĂȘme dans la danse. Si j’admire une personnalitĂ© comme la navigatrice Ellen Mac Arthur qui, dans son livre Du Vent dans les RĂȘves, raconte aussi son Ă©tonnement – et sa luciditĂ© !- Ă  apercevoir Ă  17 ans des filles de son Ăąge perchĂ©es sur des talons aiguilles afin de se rendre d’un pas mal assurĂ© vers la boite de nuit du coin –un peu comme on se rend dans un abattoir social- j’ai depuis compris, aussi, la grande force en mĂȘme temps que le Savoir, que la musique et la danse peuvent transmettre Ă  un corps et Ă  une Ăąme. . Et, je regrette, enfant, de n’avoir pas pu ou pas su prendre des notes de ce que je voyais et dĂ©couvrais Ă  ces soirĂ©es antillaises comme Ă  propos de plusieurs de ces titres que j’ai pu entendre. Il est assez vraisemblable qu’avec une camĂ©ra dans les mains, enfant, j’aurais filmĂ© lors de ces soirĂ©es. Un stylo, un crayon ou un pinceau, Ă©crire, dessiner, peindre, ce sont peut-ĂȘtre les moyens du bord pour celle et celui qui ne dispose pas de camĂ©ra ou d’appareil photo et qui s’attache durablement Ă  ce qu’il voit comme Ă  ce qu’il vit mal ou bien.

 

Sans qu’un mot ne se soit jamais Ă©changĂ© sur le sujet entre mon pĂšre et moi, alors qu’ado, j’entamais ma croissance en tant qu’amateur de musique, lui, cessait d’en Ă©couter comme de se procurer des magazines tels que Rock&Folk ou Rolling Stones. Peut-ĂȘtre avait-il renoncĂ© Ă  rĂȘver ? Et, peut-ĂȘtre, est-ce, sensiblement au mĂȘme Ăąge, que j’ai, Ă  mon tour, arrĂȘtĂ© de danser dans quelques lieux ou soirĂ©es, il y’a quelques annĂ©es. Bien que mon attrait pour la musique et la dĂ©couverte de nouveaux genres musicaux et de nouveaux titres soient conservĂ©s. Lorsque j’y rĂ©flĂ©chis, j’ai l’impression que je n’ai plus faim. Et qu’il faut avoir faim d’espaces et de gestes pour avoir envie et besoin de danser. Comme il faut avoir faim pour apprendre Ă  penser autrement ou autre chose. Si l’on est repu, dĂ©sabusĂ© ou dĂ©primĂ©, on se lasse devant le moindre apprentissage et l’on s’en tient Ă  un minimum d’actions et de pensĂ©es.

 

« (
.) Le danseur intĂšgre en effet perpĂ©tuellement des gestes inhabituels et abstraits, ce que les autres espĂšces ne font pas ou exceptionnellement » nous confirme Aurore Braconnier, toujours dans le mĂȘme article ( Page 9) du hors-sĂ©rie numĂ©ro 49 de la revue Sport& Vie mentionnĂ©e au dĂ©but de cet article.

 

Ce dimanche du mois d’octobre dernier, il serait plus qu’exagĂ©rĂ© de dire que j’intĂ©grais des gestes inhabituels et abstraits. J’effectuais certes « les mĂȘmes petits gestes avec la main » que certains de mes voisins directs, prĂ©cĂ©dents ou ultĂ©rieurs, avaient produit ou rĂ©aliseraient, mais je ne me reconnaitrais pas dans l’expression : « (
.) Votre cerveau baigne dans le bonheur musical ». Si j’y avais mis un peu du mien en Ă©coutant de la musique, comme cela se fait dĂ©sormais couramment, au moyen d’un casque ou d’oreillettes, peut-ĂȘtre me serais-je un peu introduit dans le bonheur musical dĂ©crit dans cet article d’Aurore Braconnier. Mais je n’étais pas dans ces dispositions ce jour-lĂ  mĂȘme si tout allait plutĂŽt bien. Comme j’empruntais mon trajet habituel de travail afin de venir- volontairement- effectuer des heures supplĂ©mentaires (rĂ©munĂ©rĂ©es) dans mon service. Et, « les mĂȘmes petits gestes avec la main » que, comme mes voisins, j’effectuais ce jour-lĂ , consistaient au moins Ă  sortir mon Pass Navigo afin de franchir les portes de validation.

 

ArrivĂ© Ă  la gare St-Lazare, je me dirigeais vers l’endroit oĂč j’allais rejoindre la correspondance pour prendre le mĂ©tro. Un trajet que j’avais Ă©tudiĂ© et fini par sĂ©lectionner parmi plusieurs. Le plus direct. Le moins de pas gaspillĂ©s. Je le prenais dĂ©sormais sans rĂ©flĂ©chir. Lorsque les portes de validation ont refusĂ© de me laisser passer, je ne me suis pas formalisĂ©. Assez rĂ©guliĂšrement, Ă  cet endroit, il arrive que ces portes de validation soient capricieuses. Mais je finis toujours par passer. AprĂšs plusieurs passages de mon Pass Navigo sur la borne, Ă  un moment donnĂ©, la porte de validation me laisse entrer. Lorsque l’on se rend au travail ou Ă  un rendez-vous, l’enjeu d’un parcours le plus fluide possible est simple : Moins on perd de temps pour passer d’un endroit d’une gare Ă  un autre, et moins on prend le risque de rater notre correspondance et de devoir attendre sur le quai des minutes supplĂ©mentaires dont on aurait pu se passer. Et, j’avais finalement choisi ce trajet pour cette raison.

Mais ce dimanche, ça ne passe pas pour moi malgrĂ© plusieurs tentatives avec mon Pass Navigo tout Ă  fait valide. Finalement, un autre usager qui passe aprĂšs moi rĂ©ussit, lui, Ă  passer. TrĂšs poliment, il me retient la porte afin que je puisse passer Ă  mon tour. Je le remercie. Je passe et commence Ă  descendre les marches. Et, lĂ , un homme en civil peu aimable avec un brassard autour du bras se dirige vers moi. Avec autoritĂ©, il me demande une piĂšce d’identitĂ©. Je m’exĂ©cute tout en lui expliquant tout de suite : « Les machines ne marchent pas ». L’homme ne me rĂ©pond pas. Ma carte d’identitĂ© dans la main, je comprends qu’il me sĂ©questre alors qu’il m’intime de le suivre un peu plus loin oĂč, prĂšs d’un mur, dans un angle oĂč il est impossible de les apercevoir lorsque l’on se trouve prĂšs des portes de validation, se trouvent des contrĂŽleurs en tenue. Le flic, car, pour moi, il ne peut s’agir que d’un agent de police, remet ma piĂšce d’identitĂ© Ă  un des contrĂŽleurs sans prendre la peine de restituer un seul des mots que je viens de lui Ă©noncer et qui sont, pourtant, des faits :

Ces portes de validation marchent quand elles « veulent » et quand elles peuvent. Je peux en tĂ©moigner puisqu’il s’agit de mon trajet habituel de travail.

Une fois sa mission effectuĂ©e avec « efficacitĂ© » (interpeller toute personne qui franchit les portes « sans » valider son titre de transport), le flic repart se mettre Ă  son poste. Comme si je n’avais jamais existĂ©. Je n’aurai du reste plus le moindre contact avec lui.

Pour moi, c’est dĂ©cidĂ© dĂšs le dĂ©but de mon « interpellation » : Je refuse de payer une quelconque amende pour des machines qui dysfonctionnent !

J’explique au contrĂŽleur que j’ai bien prĂ©cisĂ© Ă  l’agent de police que les portes de validation ne marchent pas. Celui-ci m’écoute un petit peu. ContrĂŽle mon Pass Navigo. Puis, constatant qu’il est en rĂšgle, me dit trĂšs vite :

« C’est un Pass Navigo. Je ne vous le fais pas ! ». Traduction : « Je ne vous mets pas d’amende». Mais je suis encore sous le coup de l’agression de cette interpellation absurde et bornĂ©e : Plusieurs agents de la police et de la RATP (environ une dizaine) sont lĂ , en embuscade, en contrebas de ces marches d’escaliers afin de harponner des usagers fraudeurs. Mais aucun d’entre eux ne se prĂ©occupe du bon Ă©tat de fonctionnement des portes de validation comme du confort des usagers qui, comme moi, sont en rĂšgle, et doivent pourtant rĂ©guliĂšrement se farcir les dĂ©sagrĂ©ments occasionnĂ©s par des dĂ©rĂšglements techniques qui sont de la responsabilitĂ© au moins de la SNCF et de la RATP. Entreprises que les usagers- comme moi- paient. Cela, j’essaie de l’expliquer au contrĂŽleur.

Mais il n’est pas de mon avis.

Il me rĂ©pond qu’il y’a d’autres portes de validation en cas de problĂšme. Il ajoute :

« C’est comportemental. Si des usagers vous voient faire ça, ça les poussera Ă  faire pareil ». Son argument se tient. Mais oĂč se trouvent ces autres portes de validation dont il me parle ?! J’aimerais bien qu’il me les montre vu qu’il s’agit quand mĂȘme de mon trajet de travail et que je n’ai jamais remarquĂ© ces autres portes dont il me parle ! Et, menant le geste Ă  la parole, je lui indique de me montrer ! Et, il me montre.

En effet, Ă  deux ou trois mĂštres sur la gauche des portes de validation que j’emprunte habituellement, je dĂ©couvre d’autres portes de validation.   Sur le panneau indicatif qui les surplombe, sont signalĂ©es d’autres lignes de mĂ©tro que la mienne. Ce qui est sans doute la raison pour laquelle, si un jour – lors de mes premiers passages- j’avais portĂ© un vague regard sur ce panneau indicatif, mon cerveau avait rapidement Ă©liminĂ© cet itinĂ©raire et cette information. Sans prendre la peine de venir regarder, contrĂŽler, de prĂšs. Sauf que lĂ , « guidé » en quelque sorte par le contrĂŽleur qui vient de contredire mes affirmations et mon expĂ©rience d’usager, je prends le temps d’aller regarder oĂč mĂšnent ces portes de validation dont il vient de me parler.

Le suspense est trĂšs court :  Je me rapproche. Et, en prenant le temps de les regarder, je dĂ©couvre qu’en passant par ces portes de validation, je peux ensuite facilement rejoindre mon itinĂ©raire de travail.  Jusqu’alors, je ne l’avais jamais remarquĂ© et je n’y avais jamais pensĂ©. Je m’Ă©tais persuadĂ© que si je prenais cet itinĂ©raire, donc ces autres portes de validation situĂ©es Ă  deux ou trois mĂštres Ă  gauche de celles que je prends habituellement, que cela serait impossible. J’Ă©tais convaincu que ce trajet Ă©tait sĂ©parĂ© de mon trajet par un mur. Sauf que le mur Ă©tait, dans les faits, dans ma tĂȘte. C’Ă©tait une construction de mon esprit. Et, j’Ă©tais restĂ© focalisĂ© sur mon seul trajet.  Sur « mes » portes de validation habituelles . Celles que j’avais sĂ©lectionnĂ©es de maniĂšre dĂ©finitive.  Et,  une fois celles-ci  sĂ©lectionnĂ©s, face Ă  un problĂšme de dysfonctionnement de leur part, au lieu d’essayer d’élargir mon champ d’horizon, de pensĂ©e et d’action, je m’Ă©tais obstinĂ© Ă  rester dans la mĂȘme logique : passer uniquement par ces portes de validation habituelles. Un peu comme si j’Ă©tais mariĂ© avec elles pour la vie. Pour le meilleur et pour le pire. Et qu’il m’avait Ă©tĂ© impossible de concevoir de leur faire une petite « infidĂ©lité » en quelque sorte. De prendre un peu de libertĂ© par rapport Ă  leur fermeture rigide et obstinĂ©e. En cela, avant d’ĂȘtre confrontĂ© Ă  ce contrĂŽleur, je m’Ă©tais montrĂ© aussi rigide et aussi obstinĂ©, aussi butĂ©, que ces portes de validation. 

J’ai failli ĂȘtre sanctionnĂ© d’une amende, voire de plus si je m’Ă©tais agitĂ© ou rebellĂ©, parce-que je suis un usager des transports « fidĂšle »…Ă  des portes de validation qui ne me calculaient pas.  

 

On peut dire beaucoup Ă  propos de cette expĂ©rience. D’abord, ce flic, pour moi, reste un individu et un professionnel qui suscite la colĂšre. Une attitude comme la sienne, transposĂ©e dans un autre mĂ©tier, aussi terre Ă  terre, aussi butĂ©e, suscitera de la colĂšre chez d’autres personnes. Mais comme c’est un flic, toute personne qui, Ă  ma place, se serait rĂ©voltĂ©e physiquement ou verbalement au delĂ  de ce qui est « tolĂ©rable » sur un espace public en prĂ©sence d’un reprĂ©sentant de la loi ou de l’ordre, se serait retrouvĂ©e malmenĂ©e au moins physiquement. Fort heureusement pour moi, lors de cette situation d’interpellation, en dĂ©pit du stress de la situation, j’ai pu rester calme, confiant et capable de me maitriser et de m’exprimer « convenablement » : de façon policĂ©e et assez facilement comprĂ©hensible et supportable. Mon comportement a donc demandĂ© assez peu d’efforts d’adaptation intellectuelle, morale, culturelle, psychologique et physique Ă  mes interlocuteurs policier, et contrĂŽleur.

Ce contrĂŽleur « comportementaliste », on peut avoir envie de le critiquer. D’autant que celui-ci n’a pas compris mon insistance lorsque j’ai essayĂ© de lui faire comprendre ce qu’il pouvait y avoir de violent dans le fait de se faire interpeller par le flic comme je l’ai Ă©tĂ© alors que je suis en rĂšgle. Et que je n’ai fait que m’adapter quant Ă  moi au dysfonctionnement d’une machine dont je ne suis pas responsable. Ce contrĂŽleur ne semble pas non plus avoir compris que je me sois aussi exprimĂ© pour de futurs usagers Ă©ventuels qui, comme moi, alors qu’ils auront un Pass Navigo ou un titre de transport en rĂšgle, ne penseront pas Ă  se rendre vers les autres portes de validation, et se comporteront comme moi si celles-ci bloquent. Ce qu’il m’a traduit de la façon suivante : « Je suis gentil, je ne vous mets pas d’amende et vous essayez encore de nĂ©gocier ! Sinon, ça ferait 60 euros Ă  payer sur place ! ». Je lui ai rĂ©pondu que je voyais bien le geste de gentillesse. Mais que j’essayais de lui faire comprendre que j’étais de bonne foi ! La bonne foi, il la percevait bien m’a-t’il rĂ©pondu. Mais sa perception demeurait comportementaliste. Nous nous sommes sĂ©parĂ©s sur un « Bon week-end » sans amende.

 

Quel est le rapport avec ces articles sur la danse ?

Le plus facile pour moi qui Ă©tais en colĂšre serait de spontanĂ©ment dĂ©clarer que cet agent de police qui m’a contrariĂ© a Ă©tĂ© incapable « d’intĂ©grer perpĂ©tuellement » des gestes mais aussi des pensĂ©es inhabituels. Il m’a vu passer Ă  la suite d’un autre usager et en a dĂ©duit que j’étais en fraude. Par contre, il n’a pas vu ou il lui a Ă©tĂ© impossible de concevoir que j’aie pu essayer au moins cinq fois – en changeant de porte de validation- de passer au moyen de mon Pass Navigo parfaitement valide. Cela pour la version la plus optimiste.

Car la version la plus pessimiste donnerait ceci : Cet agent de police savait que les portes de validation Ă©taient dĂ©fectueuses. Mais, sciemment, afin de faire du chiffre en termes de contrĂŽle et se donner et donner l’illusion d’une efficacitĂ©, il a interceptĂ© toutes les personnes qui, comme moi, ce jour-lĂ , ont eu le mĂȘme comportement.

Personnellement, je crois à la version optimiste qui est déjà suffisamment irritante.

Je pourrais aussi avancer que le contrÎleur « comportementaliste », aussi, a eu du mal à

« intĂ©grer» une pensĂ©e et des gestes inhabituels. Sauf que, dans cette histoire, il est aussi celui qui a pris la dĂ©cision de ne pas me donner d’amende. Et de dĂ©sarmer tout de suite la crise ou l’injustice Ă©ventuelle. Ce en quoi, j’ai eu de la chance. Et, je l’en remercie encore. Car si je m’étais trouvĂ© face Ă  un contrĂŽleur aussi bornĂ© que l’agent de police, il m’aurait Ă©tĂ© plus difficile d’éviter une amende.

En outre, le contrĂŽleur que j’ai croisĂ© m’a dĂ©montrĂ©/rappelĂ©, qu’au lieu de foncer tĂȘte baissĂ©e vers les mĂȘmes portes de validation et vers les mĂȘmes dĂ©cisions qu’il importe, aussi, de savoir prendre le temps de regarder un peu autour de soi. Aussi, je dois conclure que, dans cette expĂ©rience, j’ai aussi eu beaucoup de mal, au moins par habitude, Ă  « intĂ©grer perpĂ©tuellement des gestes inhabituels et abstraits ». Cette habitude vient aussi de notre façon d’apprendre.

 

Toujours dans ce numĂ©ro de la revue Science & Vie que j’ai citĂ©, il est aussi dit : « (
..) Les chercheurs Timothy Lee, Stephan Swinnen et Sabine Verschueren ont montrĂ© en 1995 que, mĂȘme aprĂšs soixante essais pratiques, le cerveau ira toujours dans le sens des mouvements qu’il connaĂźt. Ce n’est qu’aprĂšs 180 essais qu’il reproduira systĂ©matiquement le nouveau schĂ©ma de mouvements » (interview de Deborah Bull, ancienne ballerine du Royal Ballet de Londres, par Aurore Braconnier, P24-31 dans Sport & Vie Hors sĂ©rie numĂ©ro 49).

 

 

 

Et, Ă©galement dans cette interview de Deborah Bull, nous apprenons que, selon Paul Fitts et Michael Posner, nous savons depuis 1967 que l’apprentissage d’une habiletĂ© motrice se dĂ©roule en « trois Ă©tapes » : D’abord, « la phase cognitive ». « A ce stade, les erreurs sont frĂ©quentes et, bien que l’on sache gĂ©nĂ©ralement que l’on fait quelque chose de mal, on ignore comment le corriger ». Puis, vient « la phase associative oĂč on commence Ă  associer certains indices au mouvement. Les normes de performance deviennent un peu plus cohĂ©rentes et on commence Ă  dĂ©tecter certaines de nos erreurs ». Enfin, « AprĂšs une pratique sĂ©rieuse et soutenue – qui peut prendre de nombreuses annĂ©es- certaines personnes (pas toutes) entrent dans la troisiĂšme phase, la phase autonome. Maintenant, la compĂ©tence est devenue presque automatique. On n’a plus besoin de penser Ă  ce que l’on fait et on peut souvent effectuer une autre tĂąche en mĂȘme temps – comme parler Ă  une camĂ©ra pendant que l’on danse ou tenir une conversation pendant que l’on conduit. C’est le mode pilotage automatique. On possĂšde tous un vaste rĂ©pertoire de compĂ©tences quotidiennes que l’on exĂ©cute automatiquement ».

 

J’ai Ă©tĂ© suffisamment autonome pour me rendre jusqu’à ces portes de validation en « mode pilotage automatique ». L’incident causĂ© par ce double contrĂŽle (policier et contrĂŽleur ) m’a donnĂ© la possibilitĂ© de me rappeler comment, finalement, cette forme de confort peut aussi faire perdre
une certaine autonomie de pensĂ©e et d’action et me rendre hors-service.

Lorsque je suis repassé aprÚs ma journée de travail, une affiche spécifiait que les portes de validation en question étaient hors-service.

 

 

Je prends toujours le mĂȘme trajet. Il ne m’est plus arrivĂ© la mĂȘme mĂ©saventure depuis.

 

Franck, ce lundi 21 janvier 2019. ,

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Echos Statiques

Combats de boxe

« Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, ainsi que tous les films, les    « idoles », les Ă©missions ou les documentaires qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©s ou en dĂ©coulent sont une activitĂ© de bourrins pour des gogos qui ont de l’argent Ă  dĂ©penser et des corps Ă  estropier ».

C’est Ă  peu prĂšs ce que pensent, ont pensĂ© ou penseront des gens « biens », rĂ©flĂ©chis
et « non-violents ». Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, c’est, d’un commun accord, de la sueur, des corps des deux sexes qui se confrontent et se choquent, de la souffrance, quelques fois des hĂ©matomes et un peu de sang, parfois des blessures et aussi des destructions irrĂ©versibles pour certaines et certains pratiquants. Mon mĂ©decin du sport m’a parlĂ© d’un boxeur qui avait pris tellement de coups qu’à partir de la trentaine, celui-ci Ă©tait obligĂ© de prendre des notes chaque fois qu’on lui parlait afin de se remĂ©morer ce qu’on venait de lui dire : « ChĂ©ri, je te quitte avec ton meilleur ami. RĂ©ponse type : Attends ma puce, je vais chercher mon cahier et un stylo pour noter tout ce que tu viens de me dire ». On pourrait penser au film Memento de Christopher Nolan mais dans le film de Nolan, le hĂ©ros n’est pas un boxeur. Ou alors j’ai dĂ©jĂ  reçu tellement de coups que je l’ai oubliĂ©.

 

La boxe et les sports de combat ont une mauvaise image auprĂšs d’un certain public. Voire le sport tout court. Chaque sport, de combat ou non, comporte des risques et il est nĂ©cessaire d’en respecter et de savoir en faire respecter les rĂšgles. Pour cela, il existe des MaĂźtres, des professeurs, des Ă©ducateurs, des formateurs, des mĂ©decins, des fĂ©dĂ©rations, des arbitres, des rĂšgles. Et, avant cela, il existe des parents, des tuteurs. Et des pratiquants conscients d’eux-mĂȘmes, de leurs possibilitĂ©s comme de leurs limites et de leurs erreurs, car ils auront appris Ă  se connaĂźtre au travers des Ă©preuves, des apprentissages et des instructions diverses – y compris thĂ©oriques- qu’elles et ils auront reçus ou seront allĂ©s chercher. Personnellement, j’ai fini par comprendre qu’une grande partie des blessures physiques liĂ©es au sport survient souvent alors que l’on a une vulnĂ©rabilitĂ© affective particuliĂšre. PrĂ©sentĂ©s comme cela la boxe et les sports de combats ressemblent dĂ©jĂ  un peu moins Ă  des pratiques de bourrins et de fanatiques pour gogos. MĂȘme s’il s’y trouve des bourrins, des fanatiques et des gogos comme ailleurs. Mais, au moins, ces bourrins et ces fanatiques-lĂ  se dĂ©ploient-ils Ă  visage dĂ©couvert et acceptent de se retrouver seuls face Ă  des adversaires plus ou moins prĂ©venus et plus ou moins prĂ©parĂ©s : un jour, la dĂ©faite de ces bourrins et fanatiques peut ĂȘtre aussi violente- dans les rĂšgles- que n’a pu l’ĂȘtre leur carriĂšre victorieuse si celle-ci l’avait Ă©tĂ©.

 

Si l’on a besoin d’un peu plus de « preuves » intellectuelles et littĂ©raires de ce que la boxe ou les sports de combat peuvent permettre comme rĂ©flexion sur la condition humaine, des ouvrages comme De La Boxe de Joyce Carol-Oates, Un GoĂ»t de rouille et d’os de Craig Davidson (dont le rĂ©alisateur Jacques Audiard s’est inspirĂ© pour son film), ceux de F.X Toole dont on se souvient du Million Dollar Baby adaptĂ© au cinĂ©ma par Clint Eatswood donneront un certain aperçu.

 

Pour la suite de cet article, ma conviction est que, de toute façon, qu’on le veuille ou non, notre quotidien est fait de ces combats de boxe que nous perdons ou que nous gagnons. Mais aussi de ceux que nous Ă©vitons sciemment- Ă©galement avec raison- et de beaucoup d’autres dont nous subissons les coups et les consĂ©quences parce-que nous les ignorons : nous n’avons pas ou plus connaissance de leur existence depuis si longtemps.

Aujourd’hui, c’est le premier jour (l’article a commencĂ© Ă  ĂȘtre rĂ©digĂ© ce 9 janvier 2019) des soldes dans notre pays. Nous serons des milliers ou des millions Ă  nous demander s’il y’a une petite affaire Ă  en tirer. Hier, je me suis ainsi rendu dans un magasin de chaussures afin de bĂ©nĂ©ficier de trente pour cent de rĂ©duction grĂące Ă  un code promotionnel utilisable en vente privĂ©e. Au lieu de me repĂ©rer et de m’insulter – encore toi ?!- comme on le ferait avec un poivrot qui, toujours, croit voir pousser son avantage dans le prochain verre, le vendeur m’a reçu et        « conseillĂ© ». Ensuite, sa collĂšgue, Ă  peu prĂšs la moitiĂ© de mon Ăąge, a fait de mĂȘme. Souriante et disponible, elle avait sĂ»rement le sentiment de me rendre service. Toutes les dĂ©marches ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es sur un Ipad 3 (j’ai demandĂ©, sĂ©duit par l’ergonomie du clavier. Mais je n’ai pas cherchĂ© Ă  l’acheter) afin que le modĂšle de chaussures que j’ai choisi – et payĂ©- me soit livrĂ© dans quelques jours Ă  mon domicile. AprĂšs avoir Ă©tĂ© joint par tĂ©lĂ©phone par l’entreprise de livraison. Cette façon de consommer Ă©tait inconcevable lorsque j’étais enfant et que mes parents m’emmenaient essayer des chaussures dans le magasin Bata ou AndrĂ© du coin.

Hier, cette nouvelle façon de procĂ©der avait bien-sĂ»r quelque chose de pratique : Je suis reparti satisfait, avec l’assurance de bientĂŽt recevoir l’objet de mes dĂ©sirs. Si celui-ci ne me convient pas, je pourrai toujours le retourner et me faire rembourser. C’est donc moi qui ai tout pouvoir de dĂ©cision. En plus, j’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un tarif promotionnel avant le dĂ©but des soldes : mĂȘme si je sais que tant d’autres en ont Ă©galement bĂ©nĂ©ficiĂ© dans ce magasin ou un autre, cela me donne de prĂšs ou de loin le sentiment d’ĂȘtre privilĂ©giĂ©. Car, bien-sĂ»r, je suis persuadĂ© d’avoir besoin de cette nouvelle paire de chaussures. MĂȘme si notre sociĂ©tĂ© cultive le manque, en extrait et en exploite la quintessence et me l’implante rĂ©guliĂšrement dans l’aorte. Si bien que, mĂȘme si je suis prĂ©occupĂ© par l’avenir Ă©cologique, j’ai assez rĂ©guliĂšrement la sensation – presque dĂ©lirante et hallucinatoire- d’ĂȘtre privĂ© ou d’avoir Ă©tĂ© privĂ© de quelque chose. Soit en regardant les autres, soit en voyant tout ce que la sociĂ©tĂ© nous « offre ». Du fait de cette sensation de manque, certains de mes achats sont sans doute et ont sans doute Ă©tĂ© des achats « de revanche », une revanche illusoire Ă©videmment, plutĂŽt que des achats de rĂ©elle nĂ©cessitĂ©. Et comme n’importe quelle personne dĂ©pendante, j’ai souvent cru avoir le contrĂŽle sur ma consommation.

Il y’a quelques mois encore, alors que j’étais en plein entretien professionnel en vue d’obtenir un poste dans un service spĂ©cialisĂ© dans les addictions, cette question, sans doute rituelle, est tombĂ©e :

« Avez-vous des addictions ? ».

Je me suis empressĂ© de rĂ©pondre : « Non, non, je n’ai pas d’addiction
. ». J’étais alors dans l’ignorance et dans le dĂ©ni, persuadĂ© que le mot « addiction » Ă©tait une part de moi honteuse Ă  mĂȘme de me faire Ă©chouer Ă  l’entretien. J’étais aussi mal prĂ©parĂ© Ă  cet entretien car un tout petit peu de rĂ©flexion m’aurait facilement permis de rĂ©pondre diffĂ©remment.

Car, au sujet de nos addictions ou dépendances, les faits sont plus durs et aussi imparables que certains uppercuts:

L’image pĂ©jorative du boxeur, c’est celle du bourrin attardĂ© dont les traits du visage et les pensĂ©es sont des dessins abĂźmĂ©s. Celle, pĂ©jorative, de la personne dĂ©pendante ou addict, c’est, Ă  l’extrĂȘme, celle du toxicomane peut- ĂȘtre celle du junkie qui se prostitue et est prĂȘt Ă  prostituer son perroquet, sa grand-mĂšre ou son enfant pour une dose. Alors que sans en arriver Ă  cette situation extrĂȘme, je le rĂ©pĂšte, la personne dĂ©pendante, ce peut aussi ĂȘtre celle ou celui qui fixe en permanence l’écran de son ordinateur, de sa tablette ou de son smartphone mĂȘme lorsqu’il est en prĂ©sence de son collĂšgue, conjoint, ami, enfant ou semblable.

Bien-sĂ»r, il n’y’a pas de dĂ©lit Ă  cette dĂ©pendance – ou addiction- sociale, Ă  celle-ci et Ă  d’autres telles que le recours au crĂ©dit et au dĂ©couvert bancaire. Car ces addictions- sociales et Ă©conomiques- sont lĂ©gales, encouragĂ©es, et nous sommes consentants ou supposĂ©s ĂȘtre en mesure de disposer de tout notre discernement lorsque nous nous y adonnons. Car, officiellement, nous sommes des individualitĂ©s et des ĂȘtres libres. Tel est l’intitulĂ© de notre naissance. Nous sommes libres et Ă©gaux en droits. Aussi, notre usage d’une certaine consommation est-il le rĂ©sultat de notre vocation : Nous sommes faits pour ce produit, cette paire de chaussures, ce smartphone, cet ordinateur, ce crĂ©dit, cet Ă©cran de tĂ©lĂ©viseur, et, pourquoi pas, pour cette femme-ci plutĂŽt qu’une autre, pour cette Ă©cole-lĂ  pour notre enfant. Nous sommes faits pour cela car c’est ce que nous « choisissons » et peu importe si nos choix sont trĂšs influencĂ©s par nos moyens – supposĂ©s- du moment.

Le terme de « vocation » est ici trĂšs trouble, peut-ĂȘtre fourbe, car il suggĂšre une prĂ©destination vertueuse alors que pour beaucoup, une vocation se prĂ©sente ou se dĂ©cide parce-que l’on a Ă©tĂ© privĂ© dĂšs l’enfance, parfois ou souvent avant mĂȘme notre naissance, de la capacitĂ© consciente et Ă©conomique de comparer afin d’arrĂȘter notre vĂ©ritable choix.

Pour ce qui est des soldes, je peux sans doute me rassurer en me disant que je consomme moins qu’avant d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale et, aussi, que, quitte Ă  le faire, autant que ce soit durant les soldes dĂšs lors que c’est mesurĂ©, rĂ©flĂ©chi, et , si possible, Ă  la baisse. C’est peut-ĂȘtre, ce que dans un service d’addictologie, on appelle une rĂ©duction des risques. AprĂšs tout, celles et ceux qui suivent un rĂ©gime amincissant continuent bien de manger. Mais c’est leur façon de manger, leurs habitudes de vie et alimentaires, qui changent.

 

La vraie richesse et la vĂ©ritable libertĂ© consistent sans doute Ă  disposer de maniĂšre Ă©quilibrĂ©e de ses capacitĂ©s conscientes- donc morales, intellectuelles, psychologiques, physiques- et Ă©conomiques avant de faire des choix. Il y’a donc trĂšs peu de personnes libres contrairement Ă  ce qui se dit.

 

Nous sommes des millions voire des milliards ultra-connectĂ©s et nous sommes presque tout autant Ă  ĂȘtre ultra-isolĂ©s. Cela nous fait perdre bien des combats. Ce 7 janvier, cela faisait quatre ans que l’attentat de Charlie Hebdo avait eu lieu. Le 8 Janvier, cela faisait quatre ans que la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe- « alors qu’elle Ă©tait appelĂ©e pour un banal accident de la route »- Ă©tait abattue Ă  Montrouge par le terroriste qui, le lendemain, le 9 janvier 2015, allait attaquer l’Hyper-Casher de Vincennes. En janvier 2015, des gens se battaient en faisant la queue pour se procurer le numĂ©ro de Charlie Hebdo de l’aprĂšs-attentat. Des millions de gens dĂ©filaient le 11 janvier 2015 « pour » Charlie et aussi, sans doute, pour l’Hyper-Casher. Y compris des chefs d’Etat et des personnalitĂ©s politiques cherchant Ă  se placer au bon endroit afin d’ĂȘtre bien vus des photographes et des mĂ©dia.

Assez vite, des dissonances sont apparues : un compatriote m’expliquait qu’en Guadeloupe, la marche du 11 janvier « pour » Charlie avait plutĂŽt Ă©tĂ© perçue comme une marche « raciste » car rien n’avait Ă©tĂ© dit ou fait ce jour-lĂ  en mĂ©moire de la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe, noire et antillaise.

Des « Je suis Charlie » cessaient de l’ĂȘtre car en dĂ©saccord avec l’humour et des articles de l’hebdomadaire. Certains de ces ex « Je suis Charlie » regrettant que les terroristes aient mal accompli leur travail le 7 janvier 2015.

Certains intellectuels et journalistes, aussi, ont critiqué et critiquent Charlie Hebdo pour sa persistance à aborder certains sujets : Les intégrismes religieux islamistes et catholiques par exemple.

Des membres de Charlie Hebdo ont quittĂ© le journal depuis. J’ai d’abord cru que c’était dĂ» aux effets- trĂšs comprĂ©hensifs- du traumatisme post-attentat. J’ai compris rĂ©cemment que des dissensions parmi les membres du journal aprĂšs l’attentat Ă©taient peut-ĂȘtre la cause principale de certains de ces dĂ©parts. Et que certains de ces ex-confrĂšres, lorsqu’ils se croisent dĂ©sormais, ne « se disent plus bonjour ».

Et puis, il y’a eu cette intervention rĂ©cente de Zineb El Rhazoui, « la journaliste la plus menacĂ©e de France » (ou du monde ?) dans l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson. J’en ai eu connaissance hier soir, par hasard, en tombant sur un post d’un « ami Facebook » et ex-collĂšgue du mensuel Brazil.

Zineb El Rhazoui, une des rescapĂ©es de l’attentat du 7 janvier 2015, ex-journaliste de Charlie Hebdo Ă©galement, a aussi Ă©crit sur l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015 (13 Zineb raconte l’enfer du 13 novembre avec 13 tĂ©moins au cƓur des attaques, Ă©ditions Ring). Livre que j’ai achetĂ© et sur lequel j’écrirai sĂ»rement comme j’ai parlĂ© du film Utoya dans la rubrique CinĂ©ma. Cela m’a un peu dĂ©rangĂ© que Zineb El Rhazoui passe dans l’émission de Thierry Ardisson car je le perçois, lui, un peu comme un animateur tĂ©lĂ© opportuniste ( autant que les autres ?). Mais le principal Ă©tait sans doute que Zineb El Rhazoui puisse venir s’exprimer sur un plateau tĂ©lĂ©. Et sans doute qu’il valait mieux venir s’exprimer dans l’émission de Thierry Ardisson plutĂŽt que dans celle d’un autre animateur tĂ©lĂ©…ou dans le vide.

Dans cet extrait d’intervention d’environ deux minutes, j’ai regardĂ© et Ă©coutĂ© cette jeune et belle femme dire comment, en tant que rescapĂ©e de l’attentat du 7 janvier 2015, elle avait personnellement ressenti ce 7 janvier 2019, ce « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron. Ce mĂ©pris que les gilets jaunes (8 Ăšme ou 9 Ăšme samedi de mobilisation de suite) ont Ă©voquĂ© pour expliquer leur colĂšre et leur mouvement. Zineb El Rhazoui Ă©tait visiblement Ă©mue. Elle en a expliquĂ© les raisons. Sur le plateau tĂ©lĂ©, la sympathie et l’empathie Ă©taient prĂ©sentes. Je me suis pourtant demandĂ© dans quelle solitude elle allait se retrouver ensuite, une fois qu’elle aurait quittĂ© ce plateau tĂ©lĂ©. Comme plusieurs des survivants de Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui vit dĂ©sormais sous escorte. Ce qui comprime beaucoup sa vie personnelle et sociale Ă  l’image sans doute d’un Roberto Saviano. Ou, dans un autre registre, d’un Edward Snowden ou d’un Julian Assange.

Je n’ai pas le courage – et sans doute ni l’extra-luciditĂ©- d’une Zineb El Rhazoui. Lequel courage (libertĂ©, tĂ©mĂ©ritĂ©, tĂ©nacitĂ© ou inconscience) s’était manifestĂ© bien avant qu’elle rejoigne la rĂ©daction de Charlie Hebdo. Je ne la connais pas. Je ne la rencontrerai sans doute jamais. Et si je la rencontrais, je ne vois pas ce que je pourrais lui dire Ă  elle comme Ă  d’autres -qui risquent leur vie avec leur culture et leur intelligence pour leurs idĂ©es- de consistant. Mais je peux la nommer elle et d’autres. Ce que je viens de faire. Et, ce faisant, je contribue un peu moins Ă  sa mort directe ou indirecte, car ne pas ou ne plus nommer les ĂȘtres, ne pas ou ne plus penser Ă  eux, c’est, d’une façon ou d’une autre, les faire disparaĂźtre ou les laisser disparaitre.

 

Avant le 7 janvier 2015, je ne lisais pas Charlie Hebdo. J’avais essayĂ©, une fois, plusieurs annĂ©es auparavant, alors que Philippe Val dirigeait encore le journal. Je n’avais pas aimĂ© le style ainsi que le contenu. Si j’ai un peu de chance, vu que je garde beaucoup de choses, je retrouverai ce numĂ©ro un jour. Depuis le 7 janvier 2015, je lis Charlie Hebdo. Je trouve un certain nombre de leurs articles trĂšs bien Ă©crits et instructifs. Il s’y parle bien-sĂ»r de l’intĂ©grisme islamiste puisque c’est celui-ci qui constitue leur Hiroshima mĂ©moriel. En cela, pour moi, Charlie Hebdo est le journal d’un deuil impossible. Mais dans Charlie Hebdo, on y parle aussi beaucoup d’autres actualitĂ©s telles que les gilets jaunes, l’écologie, les migrants, la souffrance infirmiĂšre dans les hĂŽpitaux ( il y’a quelques mois, le journal avait sollicitĂ© les tĂ©moignages de personnels exerçant dans les milieux de la santĂ©), la politique en France et ailleurs
.

En commençant Ă  Ă©crire cet article, je n’avais pas prĂ©vu de parler autant de Charlie Hebdo. De L’hyper-casher, de Clarissa Jean-Philippe (qui « a » depuis ce 11 janvier 2019 une allĂ©e qui porte son nom dans le 14Ăšme arrondissement de Paris). Il ne s’y trouvait d’ailleurs aucune ligne mentionnant Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, Edward Snowden, Roberto Saviano, Julian Assange. Tout au plus avais-je prĂ©vu de mentionner, tout de mĂȘme, l’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier. Il est tellement de situations immĂ©diates, quotidiennes, qui nous Ă©prouvent et nous prennent. Mais nous sommes aujourd’hui le lundi 14 janvier 2019. Presqu’une semaine est passĂ©e depuis que j’ai commencĂ© la rĂ©daction de cet article. Nous sommes nombreux Ă  ĂȘtre assignĂ©s trĂšs tĂŽt Ă  une fonction, un statut, une façon de penser ou une particularitĂ© et Ă  croire que cela est dĂ©finitif. PlutĂŽt que de m’en tenir dĂ©finitivement Ă  la premiĂšre version de cet article, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© l’ouvrir Ă  ce qui m’avait ouvert, moi, entre-temps.

 

Sur un ring, le boxeur a une acuitĂ© maximale. Car il sait et sent intuitivement que sa vie en dĂ©pend. La vie de Zineb El Rhazoui et d’autres personnalitĂ©s – y compris parmi leurs adversaires idĂ©ologiques- ressemble Ă  cela. Sauf que certains coups que l’on reçoit dans la vie sont tellement vicieux. Tellement imprĂ©visibles. Tellement protĂ©gĂ©s derriĂšre des armĂ©es de diffĂ©rentes espĂšces. DerriĂšre de vastes immunitĂ©s. Il nous faut apprendre Ă  les encaisser et Ă  les esquiver dĂšs qu’on le peut. Mais dans la vie de tous les jours, on ne peut pas tout le temps vivre aux aguets, les poings fermĂ©s et les yeux ouverts. MĂȘme un boxeur professionnel et expĂ©rimentĂ© ne peut pas le faire indĂ©finiment sur un ring. Alors, dans la vie de tous les jours, certaines et certains en profitent. D’autres donnent des coups sans le savoir et aussi parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement avant d’apprendre Ă  avoir une conscience et Ă  changer de comportement. Et aussi, parce-que, mĂȘme s’ils feront du mal Ă  quelques uns, ils feront du bien Ă  beaucoup d’autres.

D’oĂč l’importance de (savoir) bien s’entourer, de disposer de lieux de rĂ©sidences- et de retraits- sĂ»rs et de savoir entretenir des relations de bon voisinage et en bonne intelligence y compris avec des personnes que notre instinct premier nous donnerait plutĂŽt envie de rejeter ou de dĂ©fier. Cette façon de raisonner contredit ce que j’ai pu Ă©crire plus haut ou est une maniĂšre lĂąche et hypocrite de se dĂ©filer ?

Je repense Ă  Christophe, mon ex-rĂ©dacteur en chef de Brazil alors qu’au festival de Cannes, j’avais Ă©tĂ© content de lui montrer des photos que je venais d’acheter. Parmi elles, une photo de Jet Li. Christophe avait eu une mine dĂ©pitĂ©e. Lui, dĂ©fenseur d’un cinĂ©ma d’auteur indĂ©pendant, face Ă  un de « ses » journalistes lui montrant une photo d’un acteur de cinĂ©ma grand spectacle a priori sans fondement. Mais Jet Li est un artiste martial. Et, aussi bon soit-il, et il l’est, toute personne qui s’y connaĂźt un tout petit peu en films d’art martiaux sait qui est Bruce Lee. Dans son dernier film, Operation Dragon, alors qu’il se rend, mandatĂ© par le gouvernement britannique, Ă  un tournoi d’art martial, Bruce Lee croise un combattant teigneux prĂȘt Ă  se bagarrer Ă  tout bout de champ. ProvoquĂ© par celui-ci, Bruce Lee lui rĂ©pond : « Disons que mon art consiste Ă  combattre sans combattre ».

 

Mais on peut prĂ©fĂ©rer cette conclusion qui reprend mot pour mot les propos d’un manager, Thibaut Griboval, sur son site sixty-two.be, bien qu’au dĂ©part, son orientation libĂ©rale me crispe. Car celle-ci a souvent tendance Ă  mettre dans la lumiĂšre celles et ceux qui « rĂ©ussissent » et Ă  gommer tous les autres qui se sont fracassĂ©s en cours de route en essayant de rĂ©ussir :

« Nous entrons plutĂŽt dans une Ă©conomie de la crĂ©ativitĂ©, oĂč le leader est celui qui sait ouvrir des portes, voire des avenues, dans un espace surchargĂ© d’informations, difficilement lisible ».

On peut aussi s’en tenir Ă  Ă©prouver une certaine culpabilitĂ©. Comme celle que j’ai ressentie ce samedi, en croisant deux gilets jaunes, alors que je me rendais Ă  nouveau dans un magasin pour profiter des soldes. Ou hier soir en Ă©coutant et en voyant Zineb El Rhazoui parler du « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron lors de l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui ou demain, un ou plusieurs combats de boxe avec soi-mĂȘme auront lieu.

Franck Unimon, ce lundi 14 janvier 2019.

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Echos Statiques

MĂȘme si je n’en parle pas

                                          MĂȘme si je n’en parle pas

 

 

Mieux vaut apprendre Ă  bien connaĂźtre son propre regard. Car il est le maitre dont chaque lueur – mĂȘme indistincte- lui permettra de mesurer sa valeur.

D’oĂč me viennent ce regard, cette voix, cette gestuelle, cette posture, ces volontĂ©s, ces mots que je prononce et par lesquels je m’ensemence ? S’agit-il de sĂ©quelles, de parcelles, de dĂ©faites, de victoires ou d’illusions qui m’ont Ă©tĂ© lĂ©guĂ©es, que j’ai conquises, que j’ai commises, et avec lesquelles je me scarifie et me glorifie, moi et mon entourage ?

« Je t’aime dans le fond du cƓur Â» ; « Je te manque Â».

Le pouvoir terrifiant de mon regard sur lui m’amĂšne bien des fois Ă  des (t)erreurs de jugement. A des exigences et des craintes sans contraintes. Moi qui suis le plus sĂ»r et le plus grand, je manque souvent de hauteur. Seule la mĂ©moire, l’apprentissage, le remords ou le reproche me permettront, peut-ĂȘtre, un jour de le savoir. Mais il me sera impossible de retourner en arriĂšre comme de rembourser.

J’avance, dĂ©masquĂ©, poussĂ© perpĂ©tuellement, parfois grisĂ©, parfois bouffi, d’autres fois dĂ©couragĂ© ou amusĂ©. Le spectre des Ă©motions qui me dĂ©crypte et me partage ne tient pas en place et il me faut, Ă  partir de ça, parce-que je suis le plus grand, donner une direction tout en acceptant que s’expriment les contours et les particularitĂ©s d’une certaine improvisation.

Un comĂ©dien ou un musicien aura plus de facilitĂ©s pour aborder les complexitĂ©s d’un personnage ou d’une partition. Car aucun des deux ne viendra lui demander des comptes ou se plaindre d’avoir Ă©tĂ© sous-estimĂ© ou emprisonnĂ© en pleurant ou en faisant une crise Ă  toute heure de la journĂ©e comme de la nuit.

Il pourra subsister un sentiment d’inachevĂ© ou d’insatisfaction aprĂšs la performance d’une comĂ©dienne, d’un danseur ou d’une musicienne mais il sera peut-ĂȘtre plus « facile Â» de se convaincre que l’on a tout essayĂ© et que le temps – et la comprĂ©hension-qui nous Ă©taient accordĂ©s Ă©tait limitĂ©s.

 

Devant lui, la limite du temps -et sa comprĂ©hension- se fondent quotidiennement dans l’éternitĂ©. Je sais Ă  peine quand ça commence. MalgrĂ© mes meilleures intentions, je reste le serviteur aussi zĂ©lĂ© qu’Ă©tonnĂ© de ma ponctuelle impatience.  Officiellement, j’ai bien sĂ»r une date et un horaire de dĂ©part dĂ©finis et enregistrĂ©s Ă  l’Etat civil. Mais, souvent, cela a toujours commencĂ© avant cette date. Quant Ă  la date de fin, elle est variable, selon les humeurs, les Ă©vĂ©nements, les ententes, la loi, les disputes et les croyances. Je ne suis pas devin.

 

 

Autrefois, Ă  lire les interviews de certaines personnalitĂ©s, une de mes obsessions consistait Ă  m’interroger sur la teneur de leurs relations avec leurs parents. Depuis que je suis devenu pĂšre, une nouvelle obsession est arrivĂ©e.

 

J’aime toujours dĂ©couvrir, regarder, tenter de dĂ©coder les prouesses de telle personnalitĂ© – mĂ©diatisĂ©e ou non- dans un domaine donnĂ©, sportif, artistique ou autre. Mais depuis que je suis devenu pĂšre, c’est plus fort que moi. MĂȘme si je n’en parle pas.

J’assiste par exemple Ă  la dĂ©monstration d’un artiste martial et je me dis :

« J’aimerais bien savoir s’il ou si elle est aussi fluide et aussi Ă  l’aise lorsque son enfant se rĂ©veille en pleine nuit en pleurs ou lorsque son enfant, subitement, fait une crise alors que tout s’est bien passĂ© jusque lĂ  ; que l’on a ƓuvrĂ© pour que cela se passe bien et que, soi-mĂȘme, on est plutĂŽt fatiguĂ© et qu’on aspire au calme Â». Parce-que tout le monde sait bien-sĂ»r qu’effectuer un coup de pied retournĂ© sautĂ©, un Rap en freestyle, le Moonwalk , un triple salto , un solo de guitare de dix huit minutes ou sauter du haut de la Tour Eiffel en rollers les yeux bandĂ©s et les deux mains attachĂ©s dans le dos, aura trĂšs vite trĂšs peu d’effet pacificateur sur les crises ou les pleurs de son enfant.

 

Pareil, avec une personnalitĂ© politique ou autre. J’aimerais aussi savoir. Car disposer de la bombe atomique, si l’on est le papa d’un ( e ) petit( e) Hulk – et tous les enfants peuvent ĂȘtre des petits Hulk – lui certifier : « Tu sais, je possĂšde des milliards
 Â» ou pratiquer la langue de bois aura trĂšs peu d’effet , ou l’effet contraire suivi d’autres d’effets secondaires, sur sa crise comme sur ses pleurs.

 

 

Je ne regrette rien. Je suis parfois curieux, mĂȘme si des Ă©lĂ©ments de rĂ©ponse sont dĂ©jĂ  sous mes yeux, de connaĂźtre la personne que ma fille va devenir. Et, malgrĂ© mes ratĂ©s, je suis rassurĂ© de constater que ma fille m’aime encore. Pour l’instant. Les enfants ont un si gros rĂ©servoir d’affection, de discernement, d’intuition et de pardon pour leurs parents que je m’avise que ces derniers ont dĂ» beaucoup manquer de chance et/ou avoir Ă©tĂ© particuliĂšrement endommagĂ©s plus jeunes pour qu’une fois adultes, leurs propres enfants se dĂ©tournent d’eux.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 3 janvier 2019.