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Corona Circus

Lettre-Type

 

 

Photo prise en me rendant au travail ou en en revenant, mars-avril 2020.

                  Lettre-Type

 

En rentrant des courses tout Ă  l’heure, j’ai croisĂ© un de nos voisins avec sa compagne. Celui-ci et sa compagne m’ont tĂ©moignĂ© leur reconnaissance pour ma compagne et moi. Le voisin savait que ma compagne travaillait dans le paramĂ©dical (comment a-t’il su ?) mais pas pour moi. Je n’ai pas pensĂ© Ă  lui demander dans quel mĂ©tier il me voyait. Je rĂ©flĂ©chis encore Ă  mon orientation professionnelle. 

 

Un peu plus tĂŽt, sur un rĂ©seau social, un ami-combattant que je connais dans la vraie vie, m’avait exprimĂ© sa fiertĂ© de me connaĂźtre en cette pĂ©riode de pandĂ©mie et de confinement qui dure maintenant depuis un peu plus de cinq semaines. A cet ami comme Ă  nos voisins, j’ai dit :

 

 Â«  Je  suis moins en premiĂšre ligne que nos collĂšgues de rĂ©animation et des urgences ( j’ai oubliĂ© de citer nos collĂšgues des Ehpad). MĂȘme, si, oui, en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, nous prenons des risques d’attraper le virus en prenant les transports en commun. Mais aussi dans nos services. Mais je ne me sens pas du tout un hĂ©ros Â».

 

Dans les escaliers de notre immeuble, Ă  un bon mĂštre de distance de moi, sa compagne derriĂšre lui, le voisin Ă©tait plus remontĂ© que moi. Tous deux portaient un masque. Elle, en tissu, sĂ»rement confectionnĂ© par elle-mĂȘme. Lui, un masque de chantier jetable. Et, moi, un masque chirurgical jetable avec lequel j’avais quittĂ© mon service lors de ma derniĂšre nuit.

 

Le voisin m’a parlĂ© de ce qui est dĂ©sormais encore plus sur la place publique maintenant que l’épidĂ©mie est devenue une Ă©mission aussi nĂ©vralgique que centrale dans nos vies. Et, cela, Ă  un niveau mondial : le manque de reconnaissance depuis « trente ans Â» pour les personnels soignants. Il espĂ©rait que ça changerait aprĂšs la pĂ©riode de confinement. Et que les gens sortiraient pour manifester avec les personnels soignants. Je l’ai un peu arrĂȘtĂ© pour lui dire :

 

«  A mon avis, il y aura beaucoup de contestation sociale aprĂšs le confinement. Pas uniquement les personnels soignants. Jusque lĂ , les gilets jaunes Ă©taient devenus assez isolĂ©s (Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020) . Mais, lĂ , ils ne seront plus seuls Â».

 

 

 

La pandĂ©mie va t’elle changer le monde ? Peut-ĂȘtre pas cette fois. Mais elle y contribuera un peu plus. Ne serait-ce que d’un  point de vue personnel.

 

En attendant, pandĂ©mie ou pas, fin de confinement ou pas, l’ĂȘtre humain reste identique concernant certains traits de caractĂšres. Et, en rentrant chez moi, aprĂšs avoir quittĂ© ces voisins reconnaissants, je n’ai pu m’empĂȘcher de penser Ă  ces collĂšgues soignants en France et ailleurs qui ont Ă©tĂ© menacĂ©s, d’une façon ou d’une autre, par leurs voisins, afin qu’ils quittent leur immeuble ou partent travailler ailleurs car, en raison de leur profession, ils Ă©taient susceptibles de transmettre le virus.

 

La profession soignante, dans son ensemble, a donc une aura mouvante. Tant on projette sur elle, de nouveau, tant de peurs et tant de défaites monstrueuses.

A quand un gĂ©nocide des soignants en France et ailleurs ? Puisque, pour certains, nous sommes si monstrueux. 

Les soignants sont ces ĂȘtres impossibles Ă  dĂ©finir et dont les actes restent si difficiles Ă  verrouiller dans le chiffre. Et on dirait mĂȘme qu’ils le font exprĂšs. Ils ne pourraient pas se contenter d’ĂȘtre des Saints et des Anges, une bonne fois pour toutes ?!

 

HĂ© non, les soignants ne peuvent pas ĂȘtre des Saints et des Anges. MĂȘme si, sans aucun doute, bien des soignants, Ă  un moment ou Ă  un autre de leur vie et de leur carriĂšre, l’ont cru et le croient.

 

Alors, j’ai repensĂ© Ă  cette attestation dĂ©rogatoire de dĂ©placement que nous devons tous, dĂ©sormais, remplir chaque fois  que nous sortons de chez nous, en cette pĂ©riode de pandĂ©mie et de confinement, afin de nous justifier en cas de contrĂŽle policier quant au bien fondĂ© de la rupture, provisoire, de notre confinement. Pour aller au travail, comme mes collĂšgues, j’ai une dĂ©rogation permanente valable un mois, qui doit ĂȘtre renouvelĂ©e, qui m’a Ă©tĂ© fournie par mon employeur via le service de la DRH.

Et, je me suis dit que, peut-ĂȘtre que je devrais dĂšs maintenant, sur le mĂȘme modĂšle, prĂ©parer une lettre type au cas oĂč, ma compagne et moi, recevrions, un jour, une jolie lettre de menace d’une de nos voisines, ou d’un de nos voisins, compte-tenu de notre mĂ©tier de soignant. Car si je crois en l’ĂȘtre humain pour de bon, je crois aussi en lui pour le pire. Cela est peut-ĂȘtre le rĂ©sultat de ma dĂ©formation professionnelle ou personnelle. Peut-ĂȘtre aussi, parce-que je me connais un peu mieux moi-mĂȘme.

 

Voici cette lettre-type que je m’imagine afficher bien en Ă©vidence en bas de mon immeuble si, une de mes voisines ou un de mes voisins dĂ©posait dans notre boite Ă  lettres une lettre- que j’imagine anonyme- nous gratifiant d’insultes ou de menaces en raison de notre profession :

 

 » ChÚre voisine ou cher voisin,

 

J’ai accusĂ© bonne rĂ©ception de ce courrier que tu as dĂ©posĂ© dans notre boite Ă  lettres. Au vu du caractĂšre trĂšs contagieux du virus qui court et qui nous obsĂšde tous depuis plusieurs semaines, j’espĂšre que tu as pris les prĂ©cautions nĂ©cessaires en te risquant jusqu’à notre boite Ă  lettres. Je n’aimerais pas avoir Ă  apprendre que tu as attrapĂ© le virus en sortant de chez toi.

 

Tu as donc appris que ma compagne et moi sommes des soignants. Et, dans ton courrier, tu nous enjoins à dégager. Je résume ta pensée.

Nous sommes en effet soignants, ma compagne et moi. Officiellement, mĂȘme si cette appellation me fait un drĂŽle d’effet, nous ferions partie des « hĂ©ros de la Nation Â». Mais je comprends que, pour  toi, nous sommes plutĂŽt des zĂ©ros de la Nation. Et qu’il faudrait plutĂŽt nous rayer du voisinage.

 

Dans notre mĂ©tier, nous nous occupons de tout le monde :

 

Des personnes déprimées. Des fous. Des personnes dangereuses. Mais aussi des lùches.

 

Tu te reconnaĂźtras peut-ĂȘtre un peu dans l’une de ces catĂ©gories de personnes. Et, si tu en trouves une autre, sache, que, dans notre mĂ©tier, nous nous occupons aussi de ces personnes. «  Tout le monde Â», c’est vraiment «  Tout le monde Â».

 

Alors, faisons simple et rapide. Nous sommes soignants, ma compagne et moi. Mais nous lisons aussi les journaux et nous connaissons aussi la Loi. La Loi est trĂšs claire concernant le courrier que tu nous as adressĂ© :

 

Ton courrier est interdit par la Loi. Donc, dĂšs que je le pourrai, je me rendrai avec ton courrier au commissariat de notre ville qui, comme tu le sais, se trouve Ă  peine Ă  cinq minutes Ă  pied de chez nous, et je verrai, lĂ , si je fais une main courante ou si je porte plainte contre X. X, c’est toi. Moi, tu sais dĂ©ja comment je m’appelle.

Je choisis de publier ce courrier en bas de notre immeuble bien en Ă©vidence afin que chacune et chacun sache Ă  quoi s’en tenir nous concernant. Mais aussi par rapport Ă  la Loi.

 

Et, je choisis aussi de publier ce courrier- au minimum- en bas de notre immeuble afin que le plus de personnes sachent quel genre de courrier tu t’es permis de nous adresser. Afin que, s’il nous arrive quoique ce soit dans les temps futurs, qu’il soit possible de te retrouver et de t’interroger quant Ă  ton Ă©ventuelle responsabilitĂ©.

 

 

Franck Unimon.

Ps : de maniĂšre plus apaisante, et je l’espĂšre, plus optimiste, il est possible de voir ou de revoir Panorama 18 mars-19 avril 2020

 

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