Matrix Resurrections un film de Lana Wachowski
Dix huit ans plus tôt, Matrix Révolutions clôturait de manière bâclée la trilogie Matrix. Le premier Matrix, réalisé en 1999, avait été le mieux réussi. Les deux suivants, Matrix Reloaded puis Matrix Révolutions s’étaient suivis de trop près. Même si j’avais aimé voir ces deux suites, j’avais été soulagé de voir la fin de Matrix Révolutions des « frères » Wachowski.
Après ça, même si les frères Wachowski, devenus ensuite des femmes, avaient réalisé d’autres films, ceux-ci avaient moins captivé le public. Ou m’avaient moins donné envie de tous les voir. Matrix avait fait beaucoup parler. V pour Vendetta ? Parlez en à celles et ceux qui connaissent l’œuvre d’Alan Moore que les Wachowski avaient adapté. Je ne suis pas sûr qu’ils aient unanimement apprécié le rendu. Alan Moore, quant à lui, a renié toutes les adaptations cinématographiques qui ont pu être faites de ses œuvres.
L’acteur Keanu Reeves/ Néo avait aussi du mal à se remettre de ce gros coup de booster que lui avait donné la trilogie Matrix. La carrière de Keanu Reeves est vraiment très particulière. Passé par le cinéma d’auteur avec My Own Private Idaho de Gus Van Sant qui dérangerait certaines mœurs, il avait ensuite « décollé » commercialement dans des films de très grands réalisateurs tels Francis Ford Coppola dans Dracula où il jouait un jeune romantique innocent puis dans des films d’action pour adolescents : Speed, Point Break.
Keanu Reeves était un peu l’un des alter-ego, en moins populaire, d’un Tom Cruise d’avant Magnolia de Paul Thomas…Anderson.
Anderson, l’homme quelconque que personne ne remarque. Même pas frustré comme José Garcia ou Philippe Harel dans le film Extension du domaine de la lutte adapté d’un des livres de Michel Houellebecq.
Même pas bouffi de rage comme Chris Penn dans Nos Funérailles d’Abel Ferrara.
Même pas.
Gigolo dans My Own Private Idaho, Keanu Reeves/ Néo/ Thomas Anderson est asexué dans le premier Matrix. Ses pulsations érectiles sont au plus bas vu qu’elles sont inexistantes. Aucun stéthoscope sophistiqué ni aucune main habile ne saurait détecter chez lui ne serait-ce que des fourmillements d’ailes de papillon.
Malgré cette particularité assez fréquente dans les rôles de Keanu Reeves, cette asexualité et cette absence de…vice ou de sournoiserie dans ses rôles (comme savent en mettre un Samuel Jackson ou un Benicio Del Toro) Keanu Reeves a su véritablement retrouver une carrière après Matrix grâce à John Wick.
John Wick est un homme qui aspire à vivre tranquillement avec son chien et les chevaux de ses voitures et que quelqu’un contraint toujours à exécuter des gens.
Dans Matrix Resurrections, on retrouve du John Wick pour la coupe de cheveux. Cette coupe de cheveux est raccord avec le job qu’occupe désormais Thomas Anderson :
Celui de concepteur vedette dans une entreprise de jeux vidéos. J’ai beaucoup aimé cette réminiscence du succès qu’a pu connaître Thomas Anderson grâce à son jeu vidéo. Et, comment, elle a pu lui faire perdre un moment, un certain sens de la « réalité ».
J’ai aussi trouvé à Thomas Anderson un côté Bob Sinclar, le DJ français. Bien-sûr, Néo/Thomas Anderson, lui, s’y connaît davantage en mixage de scènes de combats qu’en mixage de titres de musique.
De quoi nous parle Matrix Resurrections qui dure près de 2h40 ?
De la solitude.
Et de l’amour comme principal parachute devant le vertige de notre solitude. Les trois premiers Matrix parlaient déjà ça.
Bound réalisé auparavant par les frères Wachowski rajoutait de l’érotisme à cet amour entre deux héroïnes. Etonnamment, cet érotisme a disparu, a toujours été absent, entre Néo et Trinity (l’actrice Carrie Anne-Moss). Peut-être parce-que le tempérament de Trinity, « plus masculin ? », apparaît comme incompatible avec l’érotisme compte tenu de la « féminité » de Néo pour les Wachowski ?
Cela surprend pour des réalisateurs qui ont été capables de changer de genre. Et c’est d’autant plus étonnant après un film comme Border réalisé par Ali Abassi ( d’après une œuvre littéraire) qui nous montre que les rôles masculin et féminin peuvent être inversés tout en préservant de l’érotisme au sein d’un couple.
Pourquoi est-ce que j’insiste autant que ça sur ces questions de « genre » ? Parce-que les scènes d’actions, même si elles sont bien sûr réussies dans Matrix Resurrections, sont là pour assurer le spectacle et y arrivent bien dans l’ensemble. Et puis, en regardant un peu, on voit bien que Lana Wachowski met des indices de « genre » selon moi moins affirmés dans la trilogie initiale.
Le jeune Morpheus est ainsi au minimum queer ou homo dans Matrix Resurrections ou flirte en tout cas plusieurs fois avec le coming out homosexuel selon certains codes. Quant à ces histoires de pilule bleue et de pilule rouge, difficile, aujourd’hui, de ne pas penser un peu au chemsex ou, peut-être, au GHB.
L’allusion au ciel arc en ciel à la fin du film fait aussi penser au drapeau homo et à tous les mouvements militants LGBTQ+ où ce drapeau est visible. Il me semble que ces signes étaient moins présents dans la trilogie de départ.
J’ai beaucoup aimé la relation de Néo avec son analyste. Une relation de dépendance qu’a peut-être connue Lana Wachowski ou d’autres personnes. L’analyste étant le garant mais aussi le gardien d’une certaine réalité. Et, comme tout chaman, tout gourou malveillant, ou toute société mortifère, de cette réalité dans lequel il nous retient prisonnier, il peut décider de garder la clé. Dans Matrix Resurrections, la psychanalyse confesse et guide le Christ ( Néo). L’analyste semble avoir pris le pouvoir sur la religion.
Les miroirs, dans Matrix, sont souvent présents. Et on les traverse. Mais les traverser, c’est aussi traverser notre propre identité. Nos limites seraient donc perméables de la même manière que nos muqueuses. Et ça, ça peut effrayer. Un analyste, c’est aussi un miroir. Un miroir qui nous fixe et qui nous empêche de le franchir. Comme de déborder hors de certaines limites. Dans Matrix Resurrections, Lana Wachowski continue de se battre avec les limites. On peut vraiment dire du film qu’il est « border line ».
La paranoïa environnante fait toujours l’atmosphère du film. Au point que l’on peut se demander comment, malgré ça, Néo et Trinity peuvent-ils arriver à s’aimer et se comprendre. Le coup de foudre, la destinée, nous répond à nouveau Lana Wachowski. Ouais….
Contrairement à Néo, Trinity semble toujours bien ancrée dans la réalité et très pragmatique.
Le film a aussi conservé ses moments de grand bavardage. C’est supposé être explicatif ou doit sans doute servir à créer un équilibre entre l’action et la réflexion. Mais Lana Wachowski a moins de verve que Tarantino. Et son style est trop « lourd » pour être un « pousseur d’âme » comme peut l’être le cinéma de Kieslowski.
Le scénario continue de tourner autour de : il faut absolument sauver quelqu’un que l’on aime. Autrement, cette personne va mourir. Pour cela, il nous faut désobéir. Notre temps est compté. Sinon, nous aussi, nous allons tous mourir, et, alors, nous ne pourrons plus jamais désobéir à qui que ce soit.
Les machines auront gagné.
Par contre, question humour, on a quelques scènes très réussies ( Ah, Lambert Wilson !).
Les autres bons côtés du film :
C’est très plaisant, en tant que cinéphile, de pouvoir aller voir la suite d’une trilogie que l’on a aimé découvrir au cinéma vingt ans plus tôt. Et Lana Wachowski sait inclure quelques scènes de cette trilogie dans le film.
Je me suis montré assez critique envers les vertus de l’amour selon Sainte Lana Wachowski, pourtant l’histoire d’amour entre Néo et Trinity m’est apparue réaliste. Et je trouve vraisemblable le rôle de femme joué par Trinity/Tiffany lorsqu’ils se revoient. J’aurais même aimé qu’elle se transforme en une sorte de Hancock au féminin avec ses deux « gamins » lorsqu’elle commence à se « réveiller ».
Ce Matrix Resurrections nous fait aussi du bien car il fait partie d’une histoire où nous étions davantage insouciants. Le premier Matrix était sorti avant les attentats du 11 septembre 2001 à New-York. C’était aussi une époque où internet et la téléphonie mobile se démocratisaient. Nokia, alors, était la référence mondiale en téléphone portable. L’iphone mais aussi Facebook n’existaient pas. L’urgence climatique, déja connue, était aussi moins discernée. Le diesel « coulait » alors à flots dans les réservoirs des voitures.
Matrix Resurrections, c’est aussi ça : un film qui se veut visionnaire et qui l’est à sa manière (il va être très difficile de traverser le miroir de la salle de bain chez soi même en étant éperdument amoureux) et qui appartient aussi à un passé où l’on pouvait faire certains choix disparus ou plus difficiles à faire aujourd’hui.
La réalisatrice milite d’ailleurs aussi en faveur des salles de cinéma. Son film passe uniquement dans les salles de cinéma- comme c’était encore la norme au début des années 2000- alors que depuis quelques années, certaines maisons de production contournent les salles de cinéma pour promouvoir « leurs » films. Tandis que de nouvelles entreprises étrangères au cinéma telles Amazon se lancent de plus en plus dans des productions cinématographiques.
En conclusion :
Matrix Resurrections n’est pas un chef d’œuvre mais je suis content d’être allé le voir dès son premier jour de sortie au cinéma. Par contre, je n’irai pas le revoir. Alors que j’avais vu Matrix trois fois à sa sortie.

Franck Unimon, mercredi 22 décembre 2021.