Je devrais être couché. Il est cinq heures du matin. Je « dormais ». J’ai bien des lâchetés et bien des faiblesses. Mais lorsque j’ai un texte ou un article à écrire, je me lève. C’est l’avantage de ces mélanges entre le sommeil et les pensées : cela nous met des phrases dans la tête.
Ensuite, c’est à nous qu’il revient de choisir. Nous censurer et nous rendormir. Ou nous lever et les exprimer.
Ce n’est pas la première fois que je me lève en pleine nuit. Ou en plein jour.
Nous avons revu M, sans doute cet été, dans son nouvel appartement. Dans une nouvelle ville. Avec son nouveau compagnon. Et son second enfant. Nous la voyons beaucoup moins qu’avant lorsqu’elle habitait dans la même ville que nous.
Auparavant, il nous arrivait de nous croiser près de la gare d’Argenteuil lorsqu’elle revenait du travail ou dans la ville, carrément. M fait partie de ces personnes que l’on pouvait rencontrer dans une des rues d’Argenteuil en allant faire une course. Il suffit que deux ou trois personnes de ce profil s’en aillent pour que, très vite, on se sente plus seuls dans une ville. E, par exemple, travaillait à la médiathèque du Val d’Argenteuil. Mais je l’avais connue au club de boxe française où, pendant un temps, elle avait été assidue.
Voilée, convertie à l’Islam, et alors célibataire, E habitait encore plus près de chez nous. Je la croisais régulièrement dans la ville également. Ou à la médiathèque où, hilare, elle prolongeait facilement la durée de mes prêts. Pour nous saluer, nous nous serrions la main. Nous rigolions et discutions bien ensemble, en toute intelligence.
Puis, un jour, j’ai à peine reconnu E. Elle s’avançait en direction de la gare alors que je m’en éloignais. Maquillée, dévoilée, portant une jupe, E s’était séparée de l’Islam. Elle m’avait fait la bise.
En quelques mots, elle m’avait raconté s’être faite « humilier » en tant que femme lors de sa pratique de l’Islam. Depuis, elle s’était mise en couple avec quelqu’un qu’elle connaissait depuis des années. Peu après, E a quitté Argenteuil pour le Vésinet ou Chatou où elle a retrouvé un emploi de bibliothécaire.
Ensuite, elle est devenue mère. Aujourd’hui, elle a deux enfants et vit avec son compagnon à la Rochelle d’où, de temps à autre, elle envoie des photos qui donnent envie. Un jardin, un potager, de l’espace, la mer.
Avant, je rencontrais K, aussi. Comédienne, metteure en scène, prof de théâtre. Elle et moi, nous étions rencontrés en thérapie de groupe, à Argenteuil. A une époque, où, après une énième rupture amoureuse, je m’étais dit qu’une thérapie s’imposait.
K, aussi, a quitté Argenteuil avec son compagnon et père de leurs deux enfants. Pour Cormeilles en Parisis. C’est plus près que la Rochelle. Mais on se voit beaucoup moins. Peut-être une fois par an. Quand je me rends à la journée des associations d’Argenteuil qui se déroule chaque année sur le parking de la salle des fêtes Jean Vilar ainsi que dans la salle des fêtes Jean Vilar. Laquelle salle des fêtes Jean Vilar est menacée d’être détruite. Le maire Georges Mothron et son équipe ont pour projet de mettre à la place un hôtel de luxe, quelques commerces, dont une Fnac, ainsi qu’une salle de cinéma afin de rendre la ville plus attractive. Si ce projet se réalisait, la librairie Presse Papier (restée ouverte malgré le confinement) située à l’entrée de la ville serait aussitôt concurrencée par la Fnac. Et le centre culturel Le Figuier Blanc, qui projette des films, pourrait l’être par la salle de cinémas.
K m’a un jour répondu avoir quitté Argenteuil car elle en avait « marre » des pauvres. Ce ne sont pas les pauvres en eux-mêmes dont K a eu marre, à Argenteuil. Je pense que c’est plutôt des incivilités régulières. De certains comportements. Du bruit. Sans doute de certains trafics, aussi.
Locataire en appartement à Argenteuil, K et son compagnon sont devenus propriétaires à Cormeilles En Parisis. Comme certains parents des copains et des copines de l’école maternelle de ma fille qui ont rapidement fait le nécessaire pour faire admettre leurs enfants dans l’école privée Ste-Geneviève de la ville, M, K et E font partie de ces forces vives qui, pour diverses raisons, un jour, se retirent d’un endroit. Ensuite, même si l’on peut faire d’autres rencontres, et que l’on connaît d’autres personnes toujours présentes dans notre environnement immédiat, c’est une affaire entre soi et soi. De choix et d’espoir. Mais tout départ, comme toute séparation, nous éloigne et nous sépare un peu de nous-mêmes.
Cet été, après environ quarante minutes de route, nous sommes arrivés dans le nouvel habitat de M. C’est un ensemble d’immeubles avec parking. Nous avions du mal à trouver où nous garer. Car beaucoup de places étaient privées. En m’approchant de M, descendue à notre rencontre, j’hésitais sur l’attitude à avoir concernant…. « les gestes barrières ». M a tranché :
« C’est bon ! ». Et nous nous sommes fait la bise. Je n’ai pas cherché à contredire M. Je n’en n’avais même pas envie. M, c’est un char d’assaut. Et, à propos de la vie et de la mort, M est la mémoire directe, et la plus proche, de cette expérience que nous avons connue ensemble concernant ces sujets. On pourra toujours argumenter que notre attitude a été parfaitement irresponsable en pleine période du Covid et alors que nous avons des enfants plutôt jeunes. Mais chaque rencontre dicte ses règles.
M et nous, nous nous sommes rencontrés à la maternité de l’hôpital d’Argenteuil. Tout le monde a entendu parler de la maternité, de la grossesse, d’un accouchement et de la naissance d’un enfant. Le plus souvent, ça se passe « plutôt bien » lorsque la grossesse se réalise. Pour M et nous, la grossesse a effectivement eu lieu. Mais l’accouchement a été prématuré. Nos deux filles ont été de grandes prématurées. La prématurité, c’est devenu banal quand on en parle. Une personne m’avait par exemple dit :
« Je connais quelqu’un qui a eu un enfant prématuré ». Et quelqu’un d’autre m’avait dit aussi : « Ma nièce, à sa naissance, pesait 540 grammes. Elle était à peine plus grosse qu’un steak. Aujourd’hui, elle va très bien, elle a deux ( ou quatre) enfants ». C’était des marques de sympathie et d’encouragement.
La prématurité de nos filles, cependant, cela a été un petit peu notre Vendée Globe émotionnel. Un mois et demi d’hôpital en réanimation puis en soins intensifs pour la fille de M. Deux mois et demi pour la nôtre. Des visites quotidiennes. Des appels téléphoniques quotidiens. Soit le contraire d’une vie «normale » où, souvent, après quelques jours d’hospitalisation, la mère repart à la maison avec son enfant ou ses enfants. Puis, ensuite, la « réadaptation » à la maison et à la vie extérieure pour tout le monde à la sortie du bébé de l’hôpital.
M représente ça pour nous. Et, sans doute que nous représentons ça aussi pour elle. Nous discutons ou avons assez peu discuté de cette « époque », elle et nous. Ou, alors, j’étais absent à ce moment-là. Mais il est facile de concevoir que cette « époque », nous l’avons encore dans la peau. D’une façon ou d’une autre. Alors, il était impossible de ne pas nous faire la bise en nous revoyant.
Nous avons passé une bonne après-midi chez M et son nouveau compagnon, avec leurs enfants.
Lorsque l’on se préoccupe des autres, on oublie parfois de s’occuper de soi. Il est des personnes dont c’est le métier et aussi la volonté de s’oublier. On peut préférer s’ignorer ou estimer que notre vie peut attendre. Les autres, d’abord. Ensuite, on verra bien pour soi. S’il reste encore un peu de place dans la glace que l’on regarde.
Covid-19, deuxième prise. Nous sommes au mois de novembre 2020. Je suis un privilégié. Je travaille. J’ai touché une prime Covid. J’ai un salaire. Je n’ai pas été malade du Covid. Mes proches, non plus. Mon métier de soignant n’a peut-être jamais été aussi important.
Ah, oui, j’allais oublier : nous avons obtenu une augmentation salariale. 183 euros en deux temps. Beaucoup de personnes en France aimeraient percevoir cette somme en plus sur leur salaire à la fin du mois.
Comme la majorité, à partir de mars, j’ai été matraqué lors des premières semaines du confinement numéro un au mois de mars. Par l’anxiété, l’angoisse et la peur. Au début du confinement en mars, j’ai cru qu’à n’importe quel moment, dans un couloir de métro, le virus pouvait me sauter dessus. Et me tuer en quelques secondes. Comme une bombe insecticide peut tuer un cafard.
J’ai aussi été exposé comme d’autres au manque de masques chirurgicaux les premières semaines. Dans mon service, j’ai oublié quand nous en avons eu. Mais nous en avons eus pour travailler.
Puis, dans le monde extérieur, les masques sont arrivés début Mai. Tels des millions de parachutes de Noël dans les supermarchés. Aujourd’hui, on peut trouver des paquets de masques bradés. J’en ai acheté hier, dans la pharmacie, où, en février, un pharmacien m’avait vendu deux ou trois masques FFP2 à 3,99 euros l’unité. Avant que l’épidémie, le confinement de Mars et la pénurie de masque ne nous tombent dessus. Jusqu’en Mai.
Hier, à la pharmacie, j’ai « seulement » payé cinq euros pour une boite de cinquante masques jetables. Il m’en a coûté « seulement » cinq euros la boite.
Il m’a fallu quatre mois, entre mars et juillet, pour débloquer mes neurones. Pour redevenir capable de lire des livres. Partir en vacances mi-juillet pendant une dizaine de jours m’a bien aidé. Je fais partie des privilégiés qui ont pu partir en vacances à la mer cet été.
Depuis Mai, je porte un masque sur le visage chaque fois que je sors. Et, évidemment, au travail. Depuis mes vacances d’été, j’écoute ce qui a trait au Covid de « loin ». Je m’en tiens à quelques règles principales :
Porter mon masque sur mon nez et ma bouche. Eviter de le masturber. En changer régulièrement. Me laver les mains avec du savon quand je rentre dans un endroit. Lorsque je sors des toilettes. Avant de manger. Aérer les pièces où je me trouve. Embrasser seulement ma compagne et notre fille. Je me permets quelques fois de poser ma main sur certaines personnes mais c’est court. Je m’autorise certaines fois à être à visage découvert en présence d’autres mais à un ou deux mètres. J’ai accepté de prendre ma collègue M-J dans mes bras le lendemain de sa dernière nuit de travail, avant son départ à la retraite. J’ai posé ma main un instant sur l’épaule d’une collègue qui venait de m’apprendre avoir perdu sa grand-mère de 94 ans. Ce matin, j’ai aussi posé ma main sur l’épaule de ma collègue de nuit après que nous soyons restés discuter un peu dans la rue, devant le service, au moment de nous dire au revoir. Lorsque je me présente à un nouveau patient ou à une nouvelle patiente, j’enlève mon masque afin que celui-ci ou celle-ci voie mon visage même si c’est à un ou deux mètres.
Accepter d’être près de quelqu’un physiquement n’a peut-être jamais été autant synonyme d’affection, de sympathie ou de « révolte » qu’aujourd’hui. Puisqu’il existe un risque et un interdit sanitaire.
A l’école de ma fille, nous avions déjà à composer avec le plan Vigipirate toujours actif dans notre département. Depuis, nous devons faire avec nos masques sur nos visages. Même ma fille y a maintenant droit dans l’enceinte de l’école et du centre de loisirs. Comme ses copines et ses copains.
Les échanges téléphoniques et les réunions en visio-conférence pour le conseil de l’école sont en passe de devenir la norme à l’école de ma fille.
Cette semaine a eu lieu le premier conseil de l’école avec les enseignants et les parents d’élèves. En écoutant parler untel ou untel, je me suis étonné de mon incapacité à comprendre ce qui se racontait. Je me sentais plus que ralenti tant j’avais de mal à saisir les propos tenus. Des propos pourtant simples et largement à ma portée.
Ensuite, ma connexion internet est devenue mauvaise. Je voyais les images fixes de mes interlocuteurs mais sans le son. Ou alors, le son était haché. J’ai dû renoncer à participer. Je sais bien que mon désistement n’affecte pas en soi notre présence auprès de notre fille et ni ses résultats. Mais je n’ai pas pu m’empêcher de voir dans ma déconnection une sorte de décrochage scolaire alors que les autres participants, une majorité de femmes, semblaient parfaitement à l’aise avec ce nouveau dispositif.
Il y a deux ou trois semaines, maintenant, je suis arrivé en retard d’une demi-heure à une réunion à mon travail. J’avais pris le temps d’attendre que ma compagne et notre fille rentrent pour les voir. Mais j’avais mal anticipé la diminution du nombre de trains desservant Paris du fait de la pandémie.
Au travail, personne ne m’en a voulu pour mon « retard ». J’étais quand même arrivé avec une heure d’avance avant ma deuxième nuit de travail.
Pour cette réunion, nous étions plusieurs dans la salle d’attente attenante au bureau du médecin-chef. Il était là ainsi que deux ou trois autres collègues et notre cadre de pôle. Nous étions tous masqués. Nous étions sagement assis sur nos sièges. Environ un mètre nous séparait les uns des autres. Sur l’écran de l’ordinateur du médecin-chef, on pouvait voir la tête de nos autres collègues qui, depuis leur domicile, assistaient et participaient également à la réunion.
Ce soir-là, parmi les collègues présents physiquement, il y avait M-J. C’était sa dernière nuit avant son départ à la retraite.
Quand je suis arrivé, le sujet concernait le Covid. Les mesures à prendre par rapport au Covid. Masques, lavage des mains, aérer les pièces, nombre de personnes.
Nous avons aussi été briefés à propos du fait que, malades, sous certaines conditions, nos pouvions ou devions venir travailler. Masqués évidemment. Et en respectant- formule désormais familière – « les gestes barrières ». Voire, selon les situations, après avoir observé une période de confinement chez soi de sept ou huit jours.
Il n y avait rien de révolutionnaire ou de choquant dans ces « nouvelles ». En fait, mon retard m’avait fait rater le plus « choquant ». Je l’appris plus tard par une de mes collègues :
La Direction de notre hôpital faisait appel à des volontaires afin de se rendre dans un service où la majorité des patients avait le Covid et où, beaucoup de soignants, l’avaient également attrapé. Ce service avait besoin de renforts. Il se trouvait à une bonne heure en transports de notre service dans un département d’île de France. Les « volontaires » pouvaient choisir les horaires qui leur convenaient, soir ou matin. Rappelons les horaires du soir : 13h45/21H15. Rappelons les horaires du matin : 6h45-14h15.
A défaut de volontaires, la Direction faisait savoir qu’elle désignerait du personnel pour se rendre dans ce service. Dans notre hôpital, il manquerait deux cents infirmiers. Récemment, l’application qui propose des remplacements payés en heures sup dans d’autres services de l’hôpital a été remplacée. Désormais, la nouvelle application qui « révolutionne la gestion des ressources humaines dans la santé » et forte du fait que « 1500 entreprises nous font déja confiance » nous signale que tel service a « besoin » de nous.
Sur ma boite mail, c’est une première, j’ai aussi reçu un message, d’un groupe privé qui recherche des aides-soignants et des infirmiers :
« Dans le contexte d’épidémie Covid-19 et pour accompagner nos patients et résidents, nous avons besoin de renfort dans nos équipes soignantes au sein de nos Ehpad, Cliniques SSR et HAD.
Nous recherchons des Aides Soignant(e)s et des Infirmier(e)s pour des contrats en vacations, CDD ou CDI ».
16 euros brut de l’heure sont annoncés pour un infirmier qui a plus de trois ans d’expérience. Ainsi qu’une prime Ségur mensuelle et une prime pour tout travail effectué durant le week-end.
« L’argent » et le sacrifice, ou le sacrifice et « l’argent » continuent d’être les seules façons de s’adresser aux soignants.
Ce matin, sur la chaine Cnews, j’ai écouté une partie du dernier discours à ce jour du Ministre de la Santé, Olivier Véran. Il prévenait que le confinement allait sûrement devoir continuer. Il précisait que le gouvernement se préoccupait, aussi, de l’état de santé mental des Français : peur, anxiété, angoisse, dépression etc…
Et, il invitait les personnes concernées à s’adresser à des…. professionnels de la Santé.
La pénurie des soignants qui a été constatée en mars de cette année est pourtant la même en novembre. Elle dure depuis vingt à trente ans. Et, aujourd’hui, elle est peut-être pire. Pourtant, c’est à ces mêmes soignants que l’on demande d’être « volontaires » pour partir en renfort ailleurs. Que l’on sollicite par mail pour venir faire des vacations dans un autre établissement (en plus de leur poste de titulaire). Ou que l’on présente comme totalement disponibles pour toutes ces personnes qui, et cela se comprend, sont durement éprouvées psychologiquement, moralement et économiquement par cette pandémie du Covid.
Et nous n’en sommes « qu’à » la deuxième vague du Covid.
Nous sortirons un jour de ces tourments dus au Covid. Mais ça nous paraîtra long. C’est d’ailleurs déjà très long pour beaucoup de personnes. Moi, y compris.
Par exemple, je ne supporte plus de devoir remplir une feuille de justificatif lorsque je sors de chez moi. Porter le masque, oui. Me laver les mains, oui. Etre prudent en présence d’autres personnes, oui, même si, lorsque le métro est plein, je suis bien obligé de rester dedans pour me rendre à mon travail. Mais devoir accepter de rester chez moi alors que je souhaiterais rendre visite à quelqu’un devient très contraignant. Il faut un justificatif. Il faut rester dans un périmètre compris dans un kilomètre autour de chez soi.
Le pire, c’est que je réagis comme ça parce-que j’ai connu autre chose. Mais pour celles et ceux, qui, dans quelques années, vivront confinées dès leur naissance, cela paraitra normal d’être cloîtrées ou de fournir un justificatif au moindre déplacement. Et, tout ça, tout en étant déjà « repérés » par nos navigations sur internet ou par l’usage de nos smartphones. Ou, bientôt, peut-être, par des drones, ou, pourquoi pas, par des automates à forme humaine ou par des animaux ou des arbres artificiels.
En ce moment, en cette période d’hébétude, trois activités en particulier me font beaucoup de bien en plus de mes étirements quasi-quotidiens :
Lire
Ecouter des Podcasts
Lire sur les Arts Martiaux, comme des ouvrages ou des interviews de Maitres.
Nos relations au travail avec nos collègues, mais aussi avec certains voisins ou commerçants se resserrent sans doute. Ainsi qu’avec celles et ceux avec lesquels nous gardons le contact.
C’est sûrement, ça, la bonne nouvelle. Nous devenons des adeptes du « développé toucher » en quelque sorte. Le toucher relationnel. Ou nous devenons de bons petits paranos.
« Bartolir : prendre une décision irréfléchie ». 7 ans plus tard, ce néologisme porté sur un réseau social ( Twitter ou instagram) par un lettré médiatisé continue à ne pas me revenir.
C’était fin 2013, après la victoire de la joueuse de tennis Marion Bartoli à Wimbledon. Celle-ci venait d’annoncer sa retraite sportive. Et, Bernard Pivot, référence littéraire en France depuis les années 70 avec l’émission Apostrophes, s’était exprimé.
J’ai grandi « avec » Apostrophes. Même si j’ai peu regardé cette émission, je savais que c’était une institution intellectuelle. Même Mohammed Ali était passé à Apostrophes. Lycéen et ensuite, si j’avais pu, j’aurais aimé écrire un livre ou pouvoir susciter l’intérêt des pointures qui s’y sont présentées. Comme de Bernard Pivot.
Evidemment, comme la majorité des lycéens et des spectateurs, cela n’est jamais arrivé. Je me suis rabattu sur L’école des fans de Jacques Martin où je ne suis jamais passé non plus.
Puis, ça m’était passé. Bernard Pivot et Apostrophes ou sa dictée ne faisaient plus partie de cette lucarne de but où je cherchais à entrer. Ou peut-être aussi, que comme la majorité, je m’étais résigné au babyfoot.
Aujourd’hui, on dirait plutôt : « Comme la majorité, je m’étais résigné à la console de jeux et aux réseaux sociaux ». Après avoir obtenu un travail, m’être inséré, fait des amis, quelques voyages, j’avais trouvé ailleurs et avec d’autres de quoi me regarder.
« Bartolir ».
Visiblement, en 2013, Bernard Pivot continuait de compter pour moi.
Lorsque j’avais lu ce mot, je m’étais dit que j’aurais bien voulu le voir, le Bernard Pivot, en short et chaussettes, avec une raquette de tennis, se mangeant les séances d’entraînement massives et quotidiennes de Marion Bartoli !
J’en ai beaucoup voulu à ce lanceur de dictée. Je me suis rappelé de ma lecture d’un article racontant sa « rencontre » avec le navigateur Eric Tabarly. Pivot, l’intello de plateau, y avait été décrit comme une sorte d’animateur prenant Tabarly de haut, car incapable de s’ajuster au fait que cet homme des vagues se tenait là sans se prêter à l’eau pâle des alexandrins et des cotillons verbaux.
En 2013, amateur de sport, comme Bernard Pivot, j’imaginais pourtant facilement l’usure mentale et physique de celle qui s’était engagée mais aussi esquintée en pratiquant le sport à très haut niveau. C’était peut-être dû aux séquelles de mes propres blessures de sportif amateur depuis mon adolescence. A ce que j’avais fini par en apprendre.
C’était peut-être dû à la lecture de quelques articles dans les journaux concernant Marion Bartoli. Ou à celle d’ouvrages d’anciens joueurs de tennis de haut niveau :
Déclassée de l’ancienne numéro un française Cathy Tanvier m’avait sans doute beaucoup éduqué.
Plus jeune, adolescent, je me marrais devant les défaites répétées de Cathy Tanvier pendant les tournois de tennis. En apprenant qu’elle avait été « éliminée » dès les premiers tours de tel tournoi du grand Chelem, « notre » numéro vingt mondial.
Puis, j’avais lu son Déclassée, (paru en 2007). Non seulement, il était très bien écrit, m’avait ému. Mais, en plus, ce livre m’avait remis à ma place.
En découvrant la vie personnelle de Cathy Tanvier, j’avais compris que le parcours professionnel de haut niveau qu’elle avait tracé en parallèle avait nécessité des efforts gigantesques. Et que ces efforts qu’elle avait dû produire en « surcharge » avaient sûrement plus d’une fois fait la différence avec les autres championnes qui gagnaient les finales car, délestées, elles, de ces contraintes. Mais aussi de certaines blessures physiques. Car Cathy Tanvier avait participé à certains de matches en étant blessée.
Open écrit par André Agassi (paru en 2009) m’avait aussi éduqué. Si la carrière tennistique d’André Agassi a bien sûr été plus triomphale que celle de Cathy Tanvier, il existe pourtant des points communs entre leurs carrières et celle…d’une Marion Bartoli dont « le » livre, Renaître, est paru en 2019. Aujourd’hui, Marion Bartoli, née en 1984, a 36 ans.
La précocité :
Marion Bartoli a quatre ou cinq ans lorsqu’elle tient sa première raquette de tennis en main. Contrairement à un André Agassi et une Cathy Tanvier qui se révèlent très tôt particulièrement doués, dans Renaître, Marion Bartoli répète qu’elle avait seulement pour elle une concentration supérieure à la normale ainsi qu’une certaine rage.
Modèle et environnement familial :
J’ai oublié comment Cathy Tanvier en était arrivée à jouer au tennis. Mais je me rappelle que le père d’André Agassi avait d’abord voulu faire de son frère et de sa sœur aînée des champions de tennis. En vain. Avant de s’apercevoir que le « dernier », André, avait des aptitudes particulières : dont un certain coup d’œil pour évaluer la trajectoire de la balle.
C’est en regardant son père et son frère Franck, de neuf ans son aîné, jouer au tennis que Marion Bartoli eu envie de participer.
Pendant toute sa carrière, Cathy Tanvier n’a eu de cesse de courir après les balles de tennis et les tournois afin de compenser les infidélités conjugales et les pertes financières de son père.
André Agassi a eu à faire avec un père tyrannique, d’origine arménienne, déterminé et imposant.
Le Clan des Bartoli :
Marion Bartoli, elle, nous parle d’un clan familial obligé de partir de Marseille, leur ville de chair, en se coupant du reste du monde afin d’aller s’établir à Retournac, petit village pépère de 2500 habitants.
« Papa » Walter Bartoli a perdu sa mère lorsqu’il avait deux ans. Son père a refait sa vie sans lui. « Maman » Sophie, elle, est manifestement brouillée également avec sa propre famille. Mais la petite Marion ignore la raison de ces différends. Papa, maman, Franck et Marion Bartoli partent s’installer à Retournac et vivent en clan.
Retournac se trouve en Auvergne. L’Auvergne est une très jolie région. Mais cela n’a rien à voir avec le climat et l’ambiance de Marseille.
Dans la région d’Auvergne, donc, les Bartoli forment un clan d’amour où la rudesse économique est perceptible. Papa Bartoli est médecin libéral. Maman, ancienne infirmière de nuit, est la secrétaire. En été, pendant les vacances, la famille s’en sort financièrement. Autrement, il y a deux ou trois fois moins de travail pour le Dr Bartoli et donc moins d’argent pour la famille.
A lire Renaître, il semblerait aussi que « Les » Bartoli soient un clan fermé : apparemment, aucun cousin, cousine, tonton ou tata du côté du père comme de la mère n’est présent dans le cadre de la maison.
La petite Marion Bartoli est très bonne élève. Elle aime être la première de la classe et ne sourcille pas lorsque son père lui demande de prendre de l’avance sur ses cours. En outre, au vu des difficultés concernant les fins de mois, elle s’applique à être exemplaire.
Le tennis va devenir un cocon pour faire plaisir, pour exister, pour prendre une revanche mais, aussi, pour donner une certaine revanche aux parents.
Construire ses matches comme on construit les marches de son destin :
Le goût de la compétition, de l’effort, ainsi que l’envie de rendre les parents fiers, vont petit à petit gagner du terrain. Le père et la fille, au moins, vont de plus en plus se prendre au jeu. Marion, pour réussir et donner cette réussite à sa famille. Le père, pour être présent et soutenir sa fille mieux et plus que son propre père ne l’a fait pour lui.
Le frère aîné va s’engager dans l’armée. Marion, elle, va devenir un soldat volontaire de l’entraînement. Pour réussir, elle apprend très vite qu’il lui faut travailler bien plus que les autres.
Une critique du système éducatif dans son ensemble :
Dit comme ça, on pourrait penser que ce tandem que va former Marion Bartoli avec son père est « juste » l’histoire de deux personnes qui pansent leurs plaies à travers l’autre. Ou l’histoire d’une enfant qui fait son possible pour sauver ses parents d’une certaine détresse.
Mais la carrière de Marion Bartoli, « peu douée pour le tennis », est aussi une critique du système éducatif dans son ensemble. Même si, dans Renaître, Marion Bartoli s’en prend principalement à la Fédération Française du Tennis qui, à plusieurs reprises, s’obstine à vouloir faire d’elle une simple exécutante de la balle jaune. Alors que, très tôt, celle-ci a été l’associée de son père et entraîneur. Et que c’est par lui et avec lui qu’elle s’est sortie du lot des joueuses jusqu’à se faire remarquer, du fait de ses résultats, par cette même Fédération Française du Tennis.
Dans son livre, on est marqué par le très grand manque de compétence psychologique de plusieurs personnalités, pourtant émérites, de la Fédération Française de Tennis. Et, on se dit qu’il doit y avoir bien d’autres fois, ou en d’autres circonstances, et dans d’autres institutions, où ce genre de situation arrive :
Des cadres qui ont le Pouvoir- et dont la carrière et le palmarès font autorité -s’estiment légitimes pour disqualifier les méthodes d’apprentissage d’un athlète ou d’un candidat dont les performances font pourtant partie du plus haut niveau. Un peu comme si un professeur de guitare au conservatoire méprisait la façon dont un jeune Jimi Hendrix avait appris à jouer des notes.
Il faut attendre Amélie Mauresmo, un profil peut-être « différent » ou hors norme de par sa vie personnelle en tant que femme homosexuelle affirmée, pour trouver une interlocutrice plus ouverte. Ou, peut-être aussi que lorsque cette rencontre survient entre Amélie Mauresmo, capitaine de l’équipe de France de Tennis, que Marion Bartoli est alors mieux disposée pour s’affranchir de son père.
La retraite sportive et la vraie vie :
Avec sa retraite sportive, on retrouve cette « petite » mort déjà racontée par d’autres. A la fin de la carrière intense et des jets d’adrénaline, pousse un vide et un sentiment de surplace sans limites qu’il faut remplir. Marion Bartoli peine à digérer son « départ » à la retraite mais aussi sa sortie du cocon familial qu’a été sa relation en particulier avec son père au travers du tennis.
Pendant des années, au travers du tennis, Marion Bartoli a vécu dans un cocon. Dans ce cocon, sa famille, son clan, était constamment présent grâce au cordon qui la reliait à son père. Sa retraite sportive coïncide avec l’âge où elle quitte ses parents. Ça fait beaucoup.
S’ensuit une sévère dépression. Pour Marion Bartoli, ça passe à la fois par des troubles alimentaires… mais aussi par une relation sentimentale « banque-cale » avec un homme. Puisqu’il en faut un pour essayer de colmater l’absence de papa. Ou de maman.
Cela a pu arriver à d’autres y compris dans des professions rigoureuses comme espionnes (Les Espionnes racontent, un livre de Chloé Aeberhardt, paru en 2017).
Car l’armature et la très haute habilité affective que l’on peut avoir sur un terrain de sport ou dans un environnement professionnel ne suit pas forcément dans la vie intime. Les règles et les limites y sont plus floues et plus incertaines. Sur un court de tennis, lorsque la balle est dans le filet ou dans le couloir, il y a faute et le jeu s’arrête. Dans la vraie vie, le jeu peut malgré tout continuer. La vie intime est tel un hymen docile. S’offrir à l’autre, en vue de rester avec lui ou de le garder, est le contraire de la performance. Dans une performance, on cherche à annuler, bloquer, détourner, dépasser, déstabiliser ou détruire l’autre.
Dans Renaître, on lit et on entend l’humour et l’autodérision « connues » de Marion Bartoli. J’ai eu un grand plaisir à lire ce livre dans lequel elle nous parle aussi un peu de quelques à-côtés du Tennis de haut niveau : Serena Williams, Maria Sharapova….
Aujourd’hui, ce ne sont plus les mêmes joueuses de tennis qui dominent autant le Tennis mondial (à part peut-être Serena Williams encore un peu), mais il en est sûrement quelques unes et quelques uns qui ont connu ou vont connaître les mêmes états que Marion Bartoli. Dans le monde du Tennis ou ailleurs.
Je suis à l’Est ! , livre paru en 2012, a été écrit par Josef Schovanec ( avec Caroline Glorion).
J’ai pris du temps à lire ce livre. Peut-être parce-que Josef Schovanec, comme toutes les personnes que l’on ne prend pas le temps d’écouter, avait beaucoup à dire. Ou peut-être parce-que dans la vie ordinaire, aimanté par l’affiche d’un nouveau film ( avant ces histoires de reconfinement et de covid) ou par un de mes écrans, j’ai plusieurs fois laissé un Josef Schovanec de côté.
De toute façon, en tant que professionnel de la santé, ce genre de livre nous donne une tape derrière la tête. Parce-que, cette fois, celui qui fait autorité en matière de connaissances et d’expériences, c’est le patient ou la victime qui a écrit le livre dont je vais vous parler. Et, là, je ne peux qu’écouter, réfléchir et lire puisqu’il s’agit d’un témoignage, celui de Josef Schovanec. Je ne peux pas témoigner à la place de Josef Schovanec. Si je m’étais senti capable de témoigner à sa place, je me serais dispensé de lire son Je suis à l’Est !
Et puis, je ne me fais assez peu d’illusions : à l’école maternelle où les ennuis de Josef Schovanec ont débuté, je l’aurais ignoré. J’aurais préféré jouer avec les copains, taper dans une balle de tennis ou un ballon de foot. Peut-être, mais ce n’est même pas sûr, me serais-je abstenu de faire partie de ceux qui se seraient amusés à le tirer comme un lapin avec le ballon de foot ou un autre projectile improvisé, reflet de ces pensées de reptile qui nous animent par moments tout civilisés que nous prétendons être devant nos victimes. Car nous nous transformons vite en barbares dès que nous sommes en meute.
Mais ce qui est bien avec Josef Schovanec, c’est qu’il est généreux :
A peu près tout le monde en prend pour son curriculum dans son livre. Le système scolaire et éducatif français et occidental ; la société et ses rituels relationnels inadaptés ; les psychanalystes et psychiatres à but lucratif qui ont su le raccourcir- heureusement, les effets ont été réversibles- à coups d’antipsychotiques ; certaines et certains anciens camarades de sciences Po pompeurs de ses cours hier, grandes vedettes médiatiques aussi pomponnées qu’amnésiques aujourd’hui ; les associations qu’il a pu fréquenter ou qui ont donné des conférences ; son exposition médiatique.
Avec sarcasme et humour, Josef Schovanec nous raconte une partie de son parcours personnel. Muet jusqu’à ses six ans, mais habile avec l’astronomie, l’écriture et l’Egypte antique, il a su se frayer un « destin » grâce à la pugnacité et à la ruse de ses parents. Mais aussi grâce à sa résistance. Car ses mésaventures morales, fonctionnelles et physiques ressemblent beaucoup à celles d’un supplicié.
Josef Schovanec, c’est aujourd’hui 1m95 d’autisme qui nous « parle », à nous les gens normaux. Mais c’est aussi un homme multi-diplômé, Docteur en philosophie, plusieurs fois polyglotte et grand voyageur. D’ailleurs, il insiste pour ne pas être résumé à son autisme d’asperger qui a nécessité plusieurs années avant de finir par être diagnostiqué. Peut-être parce qu’à l’image de la schizophrénie, il y a différentes façons d’être autiste et différentes façons de le concevoir pour une personne extérieure.
Si Schovanec nous parle de nos travers, il nous parle aussi de certaines de ces personnes, devenues ses proches, qui ont su penser différemment en le rencontrant ou qui étaient elles-mêmes différentes et pourtant bien dans le coup. Tel Hamou Bouakkaz, Kabyle né en Algérie, aveugle, d’origine modeste, venu habiter à Bezons avec sa famille et qui a su , après de brillantes études dont une Maitrise en mathématiques, accéder au monde de la politique.
En lisant Je suis à l’Est ! de Schovanec, on comprend très vite que c’est plutôt, ou souvent, la majorité d’entre nous qui le sommes. Mais comme nous sommes la majorité et que c’est elle qui impose souvent l’attitude générale, nous restons installés dans nos impasses de pensée même si celles-ci nous implantent un peu plus dans des blocs de béton.
Je trouve réconfortant, alors que nous vivons cette deuxième vague du Covid et un second confinement plutôt déprimant, de pouvoir trouver dans ce livre de quoi se sentir un peu plus léger. On peut bien-sûr se sentir assez peu fier de soi quant à nos préjugés devant certains « handicaps », mais on peut aussi s’estimer finalement bien plus avantagé que ce que l’on croit. A condition d’être doté de quelques uns des atouts ou des qualités que Schovanec a, pour lui, de toute évidence :
1) La curiosité
2) Le courage : il n’a attendu personne pour s’intéresser à certains sujets, astronomie, Egypte des pharaons, langues ou autres. Et, il ne s’est pas préoccupé de savoir si c’était bizarre ou non de s’intéresser à ces sujets alors que la majorité des enfants de son âge avaient d’autres intérêts.
3) La constance ou la persévérance : Il ne s’est pas contenté de lire un ou deux ouvrages. Puisque le sujet l’intéressait, il a continué tant qu’il a pu trouver des informations sur ce qui lui plaisait d’apprendre.
4) L’humour et l’autodérision : on ne perçoit pas de haine, de colère, d’espoir ou de projet de revanche sur celles et ceux qui lui en ont fait baver lors des différentes étapes de sa vie. Il raconte en s’amusant avoir été pris pour un prêtre, un homosexuel…ou un agent secret.
Sans doute que son entourage familial (au moins sa mère et son père) plutôt aidant, plutôt cultivé et stable lui a permis d’exprimer ces aptitudes.
On pourrait se dire que Josef Schovanec a grandi dans un milieu social plutôt favorisé et dans des écoles plutôt réputées. Mais il explique dans son livre que les écoles réputées sont sans doute bien plus intolérantes que les autres puisqu’elles sont obsédées par leur réputation.
Vous ne connaissiez pas Josef Schovanec ? Moi, non plus. Pourtant, il a été vu et revu à un moment donné, sans doute comme un énième exemplaire de ces phénomènes de cirque autiste type Rain Man ou autre au cinéma. Il parle de cette période entre-autres dans cette partie, page 231, et c’est là dessus que nous nous quitterons aujourd’hui :
« Aujourd’hui, tout ce pan de mon passé est terminé. Cela fait longtemps que les gens ne me reconnaissent plus dans la rue. Joie de la paix retrouvée ! Je n’ai plus aucune responsabilité officielle dans le monde associatif. Même si je continue, pour une durée encore indéterminée, à participer ponctuellement à tel ou tel événement – conférences, Cafés de l’association Asperger Amitié et autres. Compagnon de route, je chemine. En attendant le moment, impossible à prédire et pourtant inévitable où, soudain, brutalement, les rails qui filaient en parallèle s’écarteront et où, vu du train, je perdrai de vue en quelques secondes ceux qui furent longtemps à mes côtés ».
A vue d’œil, il y a peu de Chinois dans ma ville. Mais, souvent, lorsque j’en vois, ils tiennent un commerce ou y sont employés :
Traiteur alimentaire, poissonnerie (mauvaise), salon d’esthétique, buraliste PMU, produits (alimentaires) exotiques, marchand de vêtements ou de maroquinerie.
Ils font partie des commerçants de la ville parmi les Kebab, opérateurs et réparateurs de téléphonie, autres restaurants et magasins de vêtements, boulangeries, pharmacies, supermarchés, marchés, boucheries, marchand de primeurs, enseigne Babou, opticiens, agences immobilières, banques physiques, quelques hôtels, cafés, Quicket Mac Do qui donnent sur la rue.
Pour parler des quelques commerces que l’on peut découvrir lorsque, depuis la gare d’Argenteuil, on se dirige vers le centre-ville.
Les Chinois vivent plutôt en retrait. On n’entend pas parler d’eux. Aucun terroriste islamiste d’origine chinoise, recensé à ce jour. Pas de lien connu ou médiatisé avec le trafic de cannabis. Aucun d’entre eux non plus parmi les figures connues des gilets jaunes. Oui, la blague est facile, presque factice et limite raciste. Mais je vais rapidement me sortir de cette ambiguïté :
Récemment, une de mes collègues m’a appris qu’un de ses amis, d’origine chinoise, s’en prend plein la tête. Celui-ci travaille en Seine et Marne- c’est en banlieue parisienne- dans un supermarché en tant qu’employé. Il s’occupe des rayons. Il se fait insulter.
Il lui est reproché la pandémie du Covid ! Ni plus, ni moins.
Rebattre les cartes de la vie ordinaire
En France, la pandémie du Covid a rebattu les cartes de notre vie ordinaire et de notre mémoire depuis la mi-Mars 2020. Nous connaissons notre deuxième reconfinement, après quelques jours de couvre-feu, pour cause de deuxième vague depuis le début de ce mois de novembre. Aujourd’hui, nous sommes le dimanche 8 novembre 2020. Et une troisième et quatrième vague sont déjà annoncées.
Conclusion : en France au moins, certains Chinois n’ont pas fini d’entendre parler du Covid. On nous parle bien d’un vaccin qui nous protégerait. Mais cela prendra du temps et puis, les vaccins et la santé publique sont un business comme un autre. On en trouvera peut-être un jour en vente libre sur les marchés et dans les supermarchés. Lorsque nous serons morts, pour celles et ceux qui peuvent lire cet article aujourd’hui, ou condamnés.
Nous vivons donc sous certaines contraintes qui étaient inimaginables il y a encore quelques mois. J’ai tendance à croire que nous pouvons connaître pire même si, je l’espère, ce ne sera pas pour tout de suite. Aux Etats-Unis, ce week-end, nous avons échappé à la réélection de Donald Trump. Ce qui est a priori, pour moi, un certain soulagement. Mais si Donald Trump fait peur, on a peur pour Joe Biden.
Photo prise à Argenteuil, en novembre 2018.
Et puis :
Imaginons un Etat constitué comme la France, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis qui déciderait de passer des contrats avec des terroristes, comme on peut le faire avec une boite privée :
Le but serait de commander les gens par la peur. De leur dicter ce qu’ils doivent manger, lire, boire, penser et consommer. A qui et quand. De quelle heure à quelle heure. Dans quelles proportions. Mais aussi, quand ils peuvent se reproduire. Et, tout cela, pour le « bien » de l’économie et des actionnaires. Vous avez-encore- le droit de vous dire que je vais trop loin ou que j’ai mangé beaucoup trop de foin ce matin. Après, ce sera peut-être trop tard.
En attendant, comme celles et ceux qui le peuvent encore, les Chinois bossent. Comme l’humoriste Bun Hay Mean- dont j’aime beaucoup l’humour- qui peut nous dire :
« Nous, les Chinois, avec notre petite bite, on vous a bien ni-qués ! Vous n’avez rien senti ! ».
L’extrait ci-dessous n’est pas celui auquel je pensais mais il donne une idée de l’humour de Bun Hay Mean dans un de ses spectacles récents ( 2020 ou 2019, visiblement).
Spike Lee, aussi, nous parle des Asiatiques qui bossent. Dans son film, réalisé en 1989 : Do The Right Thing. Même si, dans cet extrait, il est question d’un commerçant coréen et non d’un commerçant chinois.
Mais les Chinois ne sont pas les seuls à bosser. Avant le film de Spike Lee, il y avait eu, en France, le très bon Pierre Desproges avec son sketch Rachid.
Dans son sketch, Rachid, Desproges nous parle du racisme qui, en France, touche les Arabes. Le Front National dirigé alors par Jean-Marie Le Pen obtenait alors de plus en plus de voix dans la France socialiste du Président François Mitterrand ( 1981-1995). Et certaines personnes considéraient les Arabes comme des fainéants. Alors, dans son sketch, Desproges « s’étonne » comme, pour des fainéants, bien des Arabes travaillent dur. Son sketch date des années 80, probablement en 1985 ou en 1986 ( Desproges est mort le 18 avril 1988) à l’époque où les médiathèques n’étaient pas remplacées par internet. Je vous propose de le retrouver…sur internet. Et de l’écouter et de le regarder. Rire, réflexion et émotion sont garantis. Même si la façon de bouger et d’occuper la scène est très différente de celle de Bun Hay Mean. Trente ans séparent les deux humoristes.
Vers l’oasis :
Hier matin, samedi, je suis allé à la médiathèque de ma ville. En raison de la pandémie, il était possible de s’y rendre de 11h30 à 12H30 ou de 16h30 à 17h30 pour venir y chercher un ouvrage que l’on avait commandé. En temps habituel, les samedis, la médiathèque est ouverte de 10h à 18h.
Après avoir discuté un peu avec un des bibliothécaires, comme j’avais quelques courses à faire, je me suis offert un petit périple. J’avais sur moi toutes les feuilles d’attestation de déplacement provisoire. Je n’en n’ai pas rempli une seule. J’avais besoin de prendre l’air. J’en avais assez de devoir prendre le temps d’écrire sur une feuille ce que je vais faire. Et quand. Et où. Et pourquoi. Et avec qui. Et dans quelle position. Et pendant combien de temps. Ce que j’écris est très grave car je donne un mauvais exemple de comportement civique en pleine période de pandémie. Mais c’est la première fois que je le fais. Et, surtout, il s’agissait de marcher un peu dans ma ville à l’heure de midi.
Mon masque sur le visage- oui, je porte toujours mon masque sur mon nez et ma bouche lorsque je sors !- j’ai un peu improvisé dans les rues. Jusqu’à arriver devant ce magasin de produits exotiques tenus par des Chinois où je n’étais pas allé depuis une bonne année. Ou plus.
Photo prise près du Louvre, ce 5 novembre 2020.
Il était ouvert. Cela se voyait d’assez loin avec l’enseigne lumineuse, au dessus du magasin, qui clignotait. Dans notre monde de plus en plus fermé par la peur, voir un magasin ou un lieu ouvert peut donner l’impression de se retrouver devant une oasis. Ce que bien des commerces, bien des pubs, certains programmes politiques, économiques ou religieux nous promettent.
Sur la droite de « l’oasis », un chien agenouillé et enchaîné. Etait-ce l’un des chiens de l’enfer ? Il avait l’air plutôt gentil. Sauf qu’il n’était pas là, les dernières fois.
Après avoir dit bonjour à la dame, j’ai à peine eu le temps d’aller dans les rayons que celle-ci m’a demandé avec une certaine inquiétude…de mettre du gel hydro-alcoolique sur mes mains. J’ai alors vu le flacon devant elle ainsi que le mot nous invitant à l’utiliser.
Mais il y avait plus. Lors de mes précédentes venues, il suffisait de faire son tour et de choisir ses articles. Là, il a presque fallu que j’annonce mes intentions d’achat dès le départ. Cela m’a fait penser à de la rapine répétée dont le magasin a pu avoir à se plaindre.
J’ai apparemment su rassurer car, ensuite, la dame m’a laissé fureter entre les étalages.
J’étais devant le rayon des surgelés lorsque je l’ai entendue dire à voix haute :
« Il faut mettre votre masque ! ». Peu après, j’ai vu débouler un homme peut-être d’origine pakistanaise ou bangladaise en tenue traditionnelle longue et sandales. Il est resté peu de temps.
La date de péremption du produit surgelé que je regardais était dépassée de quelques jours : Octobre 2020. J’en ai parlé à la vendeuse. Elle s’en est étonnée. Un peu plus tôt, elle m’avait expliqué qu’en ce moment, ils avaient de moindres approvisionnements.
Elle m’a proposé de me faire un prix. Cinq euros au lieu de six euros quatre vingts.
Le soleil est un bouclier. On ne peut pas le traverser comme tout ce qui a été oublié.
Il aurait été oublié par une quelconque araignée. Elle avait laissé traîner ses filets. Des étoiles en ont profité pour en trouer quelques uns. On n’a jamais retrouvé ces étoiles. Mais le soleil, lui, s’est échappé. Puis, notre histoire a commencé.
Nous ne savons rien des délits passés du soleil. L’araignée, qui pourrait peut-être tout nous raconter, se terre quelque part. Elle serait alors beaucoup plus que millénaire.
Nous serions les descendants de sa toile. Sans cette lumière qu’elle laisse descendre, nous pourrions à peine nous lever.
Nous ne savons pas ce qu’il y a derrière le soleil. Parce-que, comme les meurtriers, nous sommes trop entraînés dans nos œuvres de terrassement. Tuer, détruire- la mémoire en particulier- et torturer requiert diverses qualifications, un temps d’apprentissage ainsi qu’un certain nombre de vies.
Guérir comme les guerriers, ou fuir, aussi.
Les guérisseurs sont des guerriers. Les meurtriers détruisent.
Nous avons à choisir entre nos deux tombants. Si nous pouvons être sur tous les flancs, certains se spécialisent. D’autre s’immobilisent.
Le soleil, lui, ne se laisse pas prendre. Impossible, déjà, de faire face à ce titulaire. Lorsqu’erre une seule de ses œillades, des milliards de fois nucléaires, nous, les « vaque à terre » nous reculons. Nous temporisons. Nous faisons avec nos moyens. Nous nous accrochons aux rayons de nos superstitions et de nos religions.
Le soleil, sur sa pirogue, continue de se promener d’est en ouest de jour en jour.
Beaucoup plus loin, nous, nous tournons en boucle à la recherche d’un mode d’emploi.
Ce dimanche soir, j’ai assez vite perçu que cela ne se passait pas comme prévu.
Ordinairement, depuis Argenteuil, on met entre 11 et 17 minutes par le train pour arriver à Paris St Lazare. Mais ce dimanche matin, en revenant du travail, j’ai découvert qu’il y avait des travaux sur la voie ferrée ce week-end. Et que j’allais devoir prendre une navette en passant par la gare de Bécon-Les-Bruyères.
Cela s’est très bien passé ce dimanche matin à Bécon-les-Bruyères. Même si, avec les événements récents, l’attentat jihadiste dans une église catholique à Nice, et la symbolique du bus, sorte de convoi possible vers la mort, je n’ai pu m’empêcher d’avoir un petit peu de retenue en abordant la navette. Devant celle-ci, un employé barbu nous attendait. Oui, nous en sommes parfois un peu là avec les inconnus. Pour peu qu’une situation imprévue s’impose à nous après un événement aussi effrayant que celui de Nice ou d’ailleurs. La mort de Samuel Paty avait aussi à peine refroidi.
Ma retenue passagère devant cet employé avant de monter dans la navette fut le moment, ce dimanche matin, où j’avais un peu bugé. Ensuite, le trajet s’était fait sans encombre en une vingtaine de minutes jusqu’à la gare d’Argenteuil. Puis, j’étais rentré chez moi.
Ce dimanche soir, le chauffeur de la navette qui arrive à la gare d’Argenteuil pour nous transporter jusqu’à la gare de Bécon-les-Bruyères est noir. Je serais évidemment monté même s’il avait été Arabe. Et barbu. Mais, disons, que je suis monté en toute confiance. Alors même que je sais- en théorie- que l’on peut être noir et jihadiste :
Pour avoir lu Les Revenants ( publié en 2016) de David Thomson il y a un ou deux ans, je « sais » que des compatriotes antillais sont partis faire le Jihad en Syrie. Par ailleurs, certains événements au Nigéria ou au Mali nous montrent bien qu’il existe des noirs jihadistes.
Le jihadisme est une sorte de pèlerinage fait de différents visages et de différents sexes dont l’unique monument est la mort. Tout le contraire de ma vie et de mon métier. Même si, dernièrement, je suis tombé par hasard devant la proximité qui peut exister entre le verbe « guérir » et le mot «guerrier».
Et ça me plait bien, ça, de me dire que celles et ceux qui essaient de guérir, que ce soit se guérir eux-mêmes ou les autres, puissent être ou sont des guerriers.
Malgré les armes de destruction massive, les horreurs et les apparences, les vrais et les plus grands guerriers sont peut-être, finalement, toutes celles et ceux qui s’efforcent de guérir le monde plutôt que de le meurtrir ou de le conquérir. Et cette guérison commence d’abord par soi-même.
Nous avons tellement à guérir en nous :
Nos peurs, nos colères, nos préjugés, notre ignorance, nos exigences.
Je ne pensais pas à ça dans la navette ce dimanche soir. Nous étions une dizaine de passagers. Des Noirs et des Arabes. On me croit sans doute obsédé par la couleur de peau des gens. Et, je le suis en partie. Mais, c’est pourtant un fait : dans cette navette, ce dimanche soir, en partance depuis la gare d’Argenteuil, nous étions bien principalement des Noirs et des Arabes. Aucun asiatique. Aucun blanc.
Peut-être deux femmes. Des hommes pour le reste. Cette information ethnique a pour moi plus valeur sociologique que valeur morale.
Si nous étions partis de la gare de St Germain en Laye, que je connais un peu, ou d’Enghien les Bains (plus proche d’Argenteuil), je veux bien croire qu’il y aurait eu, peut-être, un petit peu plus de mixité sociale. Et, encore, cela dépend des horaires.
Ce dimanche soir, je ne sais pas où ces autres passagers se rendaient. Mais, moi, j’allais au travail pour ma troisième nuit de suite.
A la gare de Colombes, tout allait bien. Même si j’ai été un peu étonné que le chauffeur s’arrête à la gare de Colombes avant de passer par la gare Le Stade.
J’ai vu le chauffeur se renseigner pour la suite de l’itinéraire auprès d’agents de circulation, une jeune femme et un jeune homme, noirs tous les deux. Le prochain arrêt semblait être deux ou trois rues plus loin.
Un jeune homme est allé voir le conducteur pour lui demander s’il s’arrêtait bientôt. Il voulait descendre à Bois-Colombes et nous étions dans Bois-Colombes. Très sûr de lui, le chauffeur, dont le masque anti-covid était baissé sur le menton durant tout le trajet, lui a affirmé que c’était pour bientôt.
A la gare d’Argenteuil, j’avais vu ce jeune dégingandé arriver. La vingtaine, lui et un autre passager traînant une valise à roulettes, s’étaient alors reconnus. Depuis le fond du bus, on les entendait discuter. Le plus jeune s’exprimant à voix haute.
Il avait eu sa mamie au téléphone un peu plus tôt et avait essayé de lui expliquer.
« J’ai arrêté l’école très tôt car la rue m’a appelé ». Son copain s’était alors mis à rire.
Puis, inquiet pour le climat politique de la France, celui qui avait appelé sa mamie avait lâché :
« 2002. On est déjà dans la merde, arrêtez avec Lepen ! ». Rires des autres passagers dans la navette.
Ensuite, leurs projets pour l’avenir avaient été exposés :
« Une petite femme, un petit boulot, un petit travail, et voilà ! ».
A ce moment, pour une raison inconnue, le chauffeur avait repris la route pour…Argenteuil. Puis, il fit ce constat à voix haute :
« J’ai bugé ! ».
Dans un carrefour, il fit demi-tour. Au moins savait-il manœuvrer le véhicule.
Nous étions bien avancés dans la ville d’Asnières, et nous nous rapprochions de Clichy, lorsque je me suis dit qu’il fallait aller voir le chauffeur. Là, celui-ci m’a appris qu’il ne connaissait pas le parcours. La SNCF l’avait mandaté mais ce n’était pas son trajet habituel. Il était donc volontaire mais limité.
Les autres passagers sont restés plutôt calmes. Même s’il a été étonnant de voir comme, même en étant correctement renseignés, on peut comprendre une même information différemment. Un passager, le plus proche du conducteur, croyait par exemple que la navette allait nous emmener directement à la gare St Lazare.
J’ai dû apprendre à certains passagers qu’il y avait la gare d’Asnières sur Seine et la gare de Bécon les Bruyères. Qu’il s’agissait de deux gares différentes même si toutes les deux se trouvent dans la ville d’Asnières.
Le chauffeur de bus m’a d’abord un petit peu « résisté ». Lorsque j’ai essayé de l’orienter, je m’appuyais sur le fait que je connaissais un petit peu le coin. Non, aller à gauche là où il était indiqué St Denis et Clichy n’était pas notre direction.
Apercevoir assez vite un panneau montrant Bécon les Bruyères m’a rendu un peu crédible. Plus que le jeune homme « de Bois Colombes » qu’il a d’abord voulu consulter et qui, heureusement, a bien pris la tournure des événements et n’a jamais tenté d’avoir un rôle d’éclaireur.
Voir un ou deux autres panneaux et les montrer au conducteur a continué de nous mettre sur la bonne voie. D’autant que, son téléphone à la main, celui-ci a voulu s’en servir comme GPS. C’est bien utile, le GPS sur le téléphone. Sauf lorsqu’il vous indique la mauvaise route. Un copilote improvisé avec deux yeux et une tête, et qui parle, ça peut aussi aider.
Nous sommes arrivés à la gare de Bécon les Bruyères après quarante bonnes minutes de route. Le chauffeur, soulagé, m’a remercié. Ainsi qu’un des passagers, que je trouvais plutôt assez jovial alors que nous marchions dans les rues calmes nous menant à la gare de Bécon les Bruyères. Le quartier était agréable et aussi plutôt cossu.
Le train pour Paris St Lazare est arrivé. Nous étions dedans depuis à peine quelques minutes, lorsque, assis un peu plus loin devant moi, j’ai vu « mon » passager jovial apostropher une femme qui était au téléphone avec ses écouteurs :
« Parle plus doucement ! Sale raciste ! Tu me prends pour les blancs ?! Je te cogne, moi ! ».
Debout, la femme, a d’abord tenu tête sur le ton de « Si vous n’êtes pas content, descendez du train!». Puis, elle s’est rapidement rassise et a parlé plus doucement. Notre homme qui avait arrêté d’être jovial avait dû être persuasif.
A la station Cardinet ou Clichy Levallois, deux jeunes couples sont montés dans la voiture. Détendus, souriants, ils ignoraient tout ce qui avait pu se passer depuis notre départ d’Argenteuil. Je me suis dit que la vie se déroule de cette façon tous les jours.
Pour rapide qu’ait été notre trajet jusqu’à St Lazare depuis Bécon les Bruyères, j’étais content d’arriver. Avant que les portes du train ne s’ouvrent sur le quai, me revoilà côte à côte avec « mon » jovial. J’essaie de lui dire quelques mots. De le raisonner. Il me répond :
« Je les déteste ».
Avant de nous séparer, j’ai juste l’élan de lui répondre :
« La haine n’est pas la solution ». Puis, nous nous souhaitons mutuellement une bonne soirée.
Il claudique mais ça n’empêche pas de marcher ensemble. Je l’ai connu alors qu’il était gérant d’un supermarché près de chez moi. Il le tenait avec autorité depuis sa caisse. Avec un regard d’aigle. Il disait à peine bonjour. Ou du bout des lèvres. Normal, pour un aigle.
Puis, il a arrêté. Il a changé de projet. Alors, il a pris un peu plus le temps de discuter avec moi lorsque l’on a continué de se croiser. Puisque nous habitons à peu près dans le même quartier. Dans le supermarché, pendant des années, il avait travaillé de 5h à 21h. Il m’avait demandé :
« Tu l’aurais fait ?! ». Je lui avais confirmé que je ne l’aurais pas fait.
Un autre jour, il m’a appris qu’il achetait des appartements aux enchères. Une fois, il m’a proposé d’y aller avec lui. Au tribunal de Pontoise. J’ai décliné. Peut-être mes principes ou ma disponibilité. Racheter à bas prix ce qui a pu constituer le projet et la vie des gens. Ou je n’étais tout simplement pas prêt à tenter cette aventure.
Je l’ai recroisé tout à l’heure à la boulangerie. Je venais de prendre mes baguettes. Lui, il sortait de la pièce du boulanger. Comme s’il était chez lui. Il m’a reconnu malgré mon masque anti-Covid. Il avait du pain dans la bouche.
Les murs de cette boulangerie sont restés vides pendant plusieurs années. Une fois, j’y avais acheté une confiture faite maison, payée cinq euros. Une arnaque. Une de mes collègues en avait rigolé avec moi. Puis, il a racheté les murs. Il m’a expliqué un jour son principe : Il loue. C’est à celui qui tient la boulangerie de faire en sorte que son commerce marche !
Alors que nous nous éloignons de la boulangerie, il me demande si le pain est bon. J’ai les bras remplis de baguettes. J’ai oublié de prévoir un sac. Je réponds que le pain est très bon dans cette boulangerie.
Comme il me rappelle être seulement propriétaire des murs, j’en profite pour bénéficier de sa connaissance du marché immobilier dans notre ville d’Argenteuil. Récemment, en lisant par dessus l’épaule d’une personne qui regardait son téléphone portable, j’ai appris que le journal Les échos se demandait si ce deuxième reconfinement allait faire baisser les prix. L’article des Echos expliquait qu’avant ce deuxième reconfinement, les acheteurs avaient recommencé à se manifester. Mais, là….
Pour lui, Covid ou non, la vie continue. Il touche et déplace son masque régulièrement à pleine main tout en me parlant. 500 euros la location pour 10 mètres carrés. 600 euros de loyer pour un 25-30 mètres carrés. Pour 38 mètres carrés ? 800 euros. Il m’explique qu’investir dans l’immobilier à Argenteuil vaut le coup. Y habiter, non.
1200 demandes de location par jour m’apprend-t’il. Il m’approuve lorsque je dis qu’Argenteuil attire car c’est une ville proche de Paris.
Au centre, le maire de la ville d’Argenteuil, Georges Mothron, lors de la journée d’ouverture de la saison 2020-2021 au centre culturel Le Figuier Blanc.
Je pars acheter Le Canard Enchaîné. En première page d’un journal, j’aperçois un article qui parle de l’attentat jihadiste récent à Vienne. Si les Viennois sont, et je le comprends facilement, sous le choc, ici, et ailleurs, on est loin de tout ça.
Par contre, je connais quelqu’un qui est encore sous le choc. Une commerçante près de chez moi.
Elle a ouvert son commerce il y a à peine deux mois. Il a l’air d’assez bien marcher. Ce week-end, quelqu’un a essayé de partir avec la caisse mais, aussi, de s’envoler avec ce qu’elle vend. De l’alimentaire. Elle m’a appris ça ce matin. J’ai d’abord pensé à cette période de plusieurs mois qui avait précédé l’ouverture de son magasin. Période durant laquelle des travaux avaient été effectués. Mais quand je repasse la voir, elle me dit que c’était comme si la personne connaissait les lieux et avait la clé. Aucune effraction. Elle ne sait pas si elle va rester. Je la comprends : il y a quelques semaines, elle a dû coopérer avec une fuite d’eau. Et, maintenant, ce cambriolage sans effraction. Les voleurs ont réussi à ouvrir la porte de devant mais ont échoué à faire monter le rideau de fer.
Au commissariat où elle est allée porter plainte, on lui a répondu que lors de ce week-end de la Toussaint, il y avait eu beaucoup d’infractions. L’agence immobilière qui gère les murs s’est contentée de lui répondre qu’elle lui avait remis des clés et qu’elle est fermée le dimanche. La propriétaire ne s’est pas manifestée.
La Clinique de l’Amour ( version courte) : une émission de France Inter
« L’Amour, c’est deux solitudes qui s’accouplent pour créer un malentendu » avait écrit Pascal Bruckner dans son livre Lunes de Fiel. L’histoire avait ensuite été adaptée par Roman Polanski. Le film avait fait parler de lui. C’était en 1992.
Les films et les livres sur l’Amour défient l’horizon. Dans un film de Lelouch, je crois, l’acteur Jean-Pierre Marielle disait que l’Humanité, malgré tout ce qu’elle avait pu inventer, avait si peu évolué dans le domaine de l’Amour.
Mais, aujourd’hui, et au moins depuis le mouvement MeeToo, Polanski est très mal perçu. Alors, citons d’autres films où le couple et l’Amour sont mis à mal car il y a du « choix » dans le domaine. Je ne peux m’empêcher de citer le film de Maurice Pialat : » Nous ne vieillirons pas ensemble« .
Autre film que je peux citer dans l’amour vache, » Seul contre tous » de Gaspar Noé qui me permet a posteriori de rendre hommage à l’acteur Philippe Nahon, décédé il y a quelques mois. Je considère depuis longtemps » Seul contre tous » comme un chef-d’oeuvre.Au même titre que » Nous ne vieillirons pas ensemble ».
Mais il importe de donner un peu plus la parole aux femmes…
https://youtu.be/9FHve_JQvzM
J’ai choisi ces extraits de films mais, bien-sûr, on aurait pu en prendre bien d’autres.
La Clinique de l’Amour est une émission que l’on peut trouver en podcast. Elle a été proposée par France inter en février. Durant cinq à six épisodes d’une vingtaine de minutes, chacun, on « écoute » l’évolution de plusieurs couples qui font une thérapie.
L’émission m’a « plu ». Même si je lui reprocherais le fait que, par moments, pour moi, les thérapeutes sont trop intervenus. Le thérapeute masculin par exemple.
Il est certaines fois où, à mon avis, les deux thérapeutes auraient dû davantage « protéger » la parole de celle ou de celui qui s’exprime et le laisser parler. Au lieu de le laisser ou de la laisser se faire « pilonner » verbalement par l’autre.
Je crois que ça aurait été « bien » d’expliciter :
De dire par exemple à telle personne qu’elle semble très déçue ; qu’elle avait apparemment une très haute vision ou une vision différente de ce que son mari ou sa compagne allait être dans la vie de couple ou de famille.
Un des couples a trois enfants. Je crois que cela aurait été bien de demander pourquoi trois enfants ? Pourquoi pas deux ? Pourquoi pas un seul ?
Vu que j’ai compris que bien des couples font des enfants en pensant que faire des enfants rapproche et va aider le couple à se « soigner ».
Alors que je crois que cela peut être le contraire :
Lorsque l’on fait un enfant, nos tripes prennent facilement ou peuvent facilement prendre le dessus sur tout ce que l’on essaie d’être ou de faire de manière rationnelle. Et l’on peut alors s’apercevoir à quel point on est très différent de sa « moitié » voire opposé à elle. Même si on peut aussi devenir complémentaire.
J’ai aussi été à nouveau assez agacé par certaines phrases typiques du vocabulaire professionnel de « mes » collègues :
Ma remarque est sûrement très déplacée. Car le principal est bien-sûr que ces thérapeutes aient fourni leur présence, leur constance et leur empathie à ces couples. Mais je vois à nouveau dans ces tics de vocabulaire et de langage de mes « collègues » thérapeutes un certain manque de spontanéité : un trop haut degré d’intellectualisation ; une certaine carence affective. Comme s’ils s’en tenaient à un texte ou à un protocole appris par cœur qui les empêche d’improviser. Comme s’ils s’exprimaient de manière scolaire.
Hormis ces quelques remarques, j’ai bien aimé cette émission.
Vu que la longueur de mes articles peut défier l’horizon et statufier l’attention du lecteur, cet article est la version courte de celui que j’avais proposé en premier ( La Clinique de l’Amour-d’après un Podcast de France Inter). L’idée est quand même de vous donner envie d’écouter ces podcast de France Inter. Pas de vous donner envie de « haïr » l’auteur de l’article parce-que ses articles sont trop longs. Sourire.
Le lien pour le premier podcast se trouve ci-dessous.
La Clinique de l’Amour, d’après un podcast de France Inter
C’est devenu une obsession. Après quelques autres obsessions. Car je fais partie des obsessionnels anonymes. Nous sommes des millions et peut-être des milliards à porter ce type de tablier :
La personne « obsessionnelle » à laquelle je pense est souvent appelée « maniaque » dans le langage quotidien. Dans le langage quotidien, la personne « obsessionnelle » ou « maniaque » à laquelle je fais allusion est celle ou celui dont la vie semble souvent dépendre de deux ou trois détails qui (le) tuent presque :
Madame ou Monsieur a très bien préparé son repas. Les invités vont arriver. Tout est parfait. La table est mise. Tous les couverts assortis sont disposés à angle droit avec des variations chromatiques étudiées selon le thème astral ou le chakra de chaque convive. Un petit cadeau personnalisé attend chacun. La musique frôle l’intime et le sublime au vu de la créativité des enchaînements. Mais aussi du fait de l’onctuosité de la restitution sonore. Le mobilier a été ciré. Le ménage a été bien fait. Les meubles sont disposés selon des préceptes bouddhistes qui invitent à la détente et à la méditation. D’ailleurs, un bâton d’encens se consume à la façon d’un phare qui assurerait la sérénité ainsi que l’impossibilité du naufrage formel comme spirituel. Tout va bien. Madame ou Monsieur est exactement zen. Et puis, arrive le court-circuit.
En passant la porte de la salle de bain pour aller ouvrir aux invités qui viennent de sonner à l’interphone, Madame ou Monsieur s’aperçoit de la présence d’une boursouflure sur le mur adjacent. C’est trois fois rien. Un demi-centimètre de boursouflure que personne ne remarquera. Mais, à partir de ce moment, une bombe à retardement s’enclenche. Bombe que Madame ou Monsieur ne parviendra pas à désamorcer. Car, Madame ou Monsieur ne pensera plus qu’à cette boursouflure. Et non plus à cette invitée ou cet invité qui lui a tant plu lors d’une précédente soirée et qu’elle ou qu’il espère séduire en sortant le grand jeu.
Avant que le premier invité ou la première invitée n’arrive, Madame ou Monsieur aura peut-être défoncé le mur à la masse et recevra alors dans la poussière et les gravats…..
Je caricature bien-sûr lorsque je donne cet exemple « d’obsession ». Dans cette anecdote que je viens d’inventer ce matin, il s’agit bien-sûr d’une « obsession » grave. D’ordre psychiatrique. Mais j’ai illustré ça de cette façon, en grossissant le trait, pour mieux me faire comprendre lorsque je parle d’obsession. Mes obsessions sont bien-sûr plus légères que celle que je viens de raconter. On peut reprendre son souffle ou se mettre à rire.
Les Maitres, les Experts, les amis….et les faussaires :
Désormais, pratiquement chaque fois que je lis les propos d’un grand Maitre d’Arts Martiaux, d’une Personnalité ou de tout autre individu dont l’itinéraire me « plait », je me soumets à cette question :
Quel genre de personne est-ce lorsque son enfant, comme tous les enfants, le prend au dépourvu et dérange son superbe agencement mental et moral ? La nuit ? Le jour ? Pendant qu’il est au volant ? Alors qu’il est occupé ? Tandis qu’il lui parle et essaie de le convaincre ou de lui transmettre quelque chose ?
Lorsque l’on lit les interviews ou que l’on assiste à des démonstrations de Maitres, d’experts ou autres, on a souvent l’impression que tout coule de source pour eux, sur le tatamis comme dans la ratatouille du quotidien. On dirait que leurs émotions sont toujours leurs alliées ou leurs domestiques. Ou, qu’au pire, elles se prennent une bonne branlée lorsqu’elles tentent de les entraîner dans un mauvais kata ou dans un mauvais plan. Mais je sais que c’est impossible. Je sais que c’est faux. Sauf que je n’ai pas de preuves.
Je pourrais me rabattre sur les amis. Mais j’ai compris que parmi mes amis, connaissances, collègues et autres, passés, présents et futurs se cachent beaucoup de faussaires :
Du côté des mecs ou des hommes, si l’on préfère, cette fausseté est un composé d’ignorance, de prudence et de conformisme. Je n’ai pas oublié, et sans doute ne l’ai-je toujours pas digérée, cette sorte d’hypocrisie sociale et faciale, à laquelle j’ai participé, de bien des hommes qui, plus jeunes, savaient me parler de cul, de leurs coups, de nanas….alors que, secrètement, ils aspiraient à se marier et à faire des enfants.
Un article lu par quelles femmes et quels hommes ? :
Bien-sûr, cette caricature sociale peut faire rire. Et, elle doit faire rire. Ce qui me fait faire la grimace, c’est que cette caricature et ce conformisme social nous font souvent, hommes comme femmes, passer à côté du principal concernant notre vie personnelle. Voire concernant notre vie tout court. Un exemple :
Cet article long (comme beaucoup de mes articles) sera, à mon avis, plus lu – et apprécié- par des femmes que par des hommes. Alors que les hommes ou les mecs (hétéros comme homos) sont à mon avis autant concernés que les femmes par les sujets de cet article. Puisque, tous, à un moment ou à un autre, nous nous postons devant le sujet de l’Amour et essayons d’y répondre avec nos moyens.
Et si des hommes lisent cet article, je m’attends à ce qu’ils soient en majorité âgés de plus de trente ans. Parce qu’en dessous de 30 ans- c’est très schématique- même si les hommes peuvent être des sentimentaux ( je suis un sentimental), nous sommes nombreux, je crois, à être obsédés par le fait d’être performants sexuellement. Que ce soit en termes de nombre de conquêtes ou en termes d’aptitudes particulières (longueur du pénis, durée de l’érection, capacité à s’accoupler dans telle position et dans tel type d’environnement etc….), on dirait que notre valeur personnelle est indexée ( vraiment) sur notre valeur boursière. Et, ce qui est troublant, c’est que plus un homme est « connu » pour être un tombeur, plus sa côte augmente auprès d’une certaine gente féminine. Gente féminine qui peut être tout à fait éduquée, cultivée et aisée socialement et matériellement. Dans le film Extension du domaine de la lutte adapté par Philippe Harel (avec lui-même et José Garcia d’après le livre de Michel Houellebecq) il est clairement démontré que l’homme sans conquête féminine, déprimé, laborieux et terne est souvent célibataire contrairement à celui qui « besogne » les femmes pour être direct.
S’il existe des couples de déprimés, il est aussi assez courant que l’un des deux aille chercher de la légèreté et du réconfort ailleurs. Même si c’est pour, ensuite, revenir au domicile par sécurité, par espoir ou par devoir.
Mieux se comprendre, mieux se choisir et mieux s’aimer :
Je crois néanmoins que certaines femmes n’ont pas besoin qu’on leur promette des étoiles (comme m’avait dit un jour un de mes cousins Don Juan il y a plusieurs années) pour « faire le grand soleil » comme dirait le romancier René Depestre.
Ou pour se mettre en couple.
Pourtant, à propos du sujet de l’Amour, je crois les femmes plus sincères entre elles. Pour l’aborder. Mais je ne vais pas non plus en faire des anges de clairvoyance et de droiture. Car, comme je l’ai dit ce matin avec humour et provocation devant plusieurs de mes collègues femmes :
« Cela peut être difficile d’être d’un homme devant une femme ». Et je ne parlais pas de compétences sexuelles en particulier. Pour être un homme devant une femme, il faut déjà savoir ce que cette femme attend d’un homme. Mais aussi ce qu’être femme signifie pour elle. Et quels sont leurs véritables projets à tous les deux dans la vie. Et si ça concorde suffisamment pour tous les deux.
Ça paraît simple écrit comme ça. Mais si c’était si simple que cela, les gens se choisiraient mieux, se comprendraient mieux et s’aimeraient mieux.
Je crois que, généralement, on continue de croire qu’il « suffit » de s’aimer et de se désirer pour qu’une histoire dure.
Il existe, aussi, une sorte de méfiance instinctive, donc animale, entre l’homme et la femme, mais aussi entre deux personnes, dès qu’elles se rencontrent, qui fait, bien des fois, que certaines personnes qui pourraient s’allier se rejettent. Pendant que d’autres qui auraient mieux fait de s’ignorer décident de s’amalgamer.
Les Hommes, tous des salauds ?! Et les Femmes, toutes des salopes ?!
Comme tout le monde, j’ai entendu certaines femmes dire des hommes qu’ils sont « tous des salauds!». Et certains hommes dire que les femmes « sont toutes des salopes ! ».
Ce qui m’étonne, de manière répétée, même s’il y a bien-sûr des « salauds » parmi les hommes et des « salopes » parmi les femmes, c’est que ces mêmes personnes (femmes et hommes), lorsqu’elles croisent des gens « bien », les zappent ou les ignorent. C’est une constante. Je n’écris rien d’extraordinaire, ici.
Des couples volontaires : Se dire oui…et non.
Et puis, il y a cette ambivalence ou cette particularité, propre, je crois, à tous les couples :
Lorsque l’on décide de se mettre ensemble, on est souvent l’un et l’autre très volontaire. Car on est au moins soutenu par l’Amour, le désir ainsi que par le souhait de rompre notre solitude.
Cependant, dans chaque couple, je crois, même si l’on se dit « oui » (que l’on se marie ou non), il est des domaines sensibles où l’on se dit non.
Mais on le banalise ou on l’ignore parce-que le regard et le corps de l’autre produisent alors des atomes qui propulsent notre univers personnel dans un espace-temps qui s’ouvre seulement pour nous. Et cela nous rend extraordinairement optimistes. Ou exaltés.
Et, nous aussi, nous produisons des atomes auxquels l’autre est alors particulièrement sensible. Cela la rend ou le rend aussi extraordinairement optimiste ou exalté( é).
Alors, nous décollons ensemble vers un ailleurs sans toujours bien prendre le temps de bien vérifier la validité de tout l’équipement affectif que nous emportons. Mais aussi ses réelles compatibilités avec l’équipement affectif, moral et psychologique de l’autre. Car notre vie est ainsi faite :
De vérifications mais aussi d’élans et de spontanéités. Certains de nos élans et de nos spontanéités sont inspirés par des reflets de nous-mêmes….sauf qu’un reflet, c’est le contraire de l’autre. C’est notre regard sur lui.
Série » La Flamme » sur la chaine Canal + que je n’ai malheureusement pas encore pu voir.
Moi, thérapeute de couple ?!
A ce stade de cet article, on peut peut-être croire que je ma la pète :
Que j’ai tout vu et tout entendu. Et que je sais tout concernant le couple. Que je maitrise mon sujet. Ce serait plutôt, un peu le contraire. Je m’applique seulement à être aussi sincère que possible. Aux potins, ragots et autres articles de psychologie « de cuisine » où l’on donne des « trucs », je préfère donner la priorité à un certain vécu, à certaines réflexions. Et à les transmettre. Parce-que j’ai aussi eu la chance, quand même, d’avoir des discussions ouvertes, ou d’être le témoin direct de certaines situations affectives sensibles.
Néanmoins, j’ai aussi lu des articles de psychologie « facile ». Et, j’en lirai sans doute d’autres. J’ai aussi écouté des potins et des ragots même si ce n’est pas mon point fort.
Car, évidemment, comme pour tout le monde, tout a commencé dans mon enfance.
Le modèle de mes parents :
Je suis largement l’aîné des enfants de mes parents. A voir mes relations passionnelles et rapidement explosives avec mon père, je reste devant un mystère. Je me demande encore quel genre de père il était lorsque je ne m’en souviens pas :
Lors de mes quatre premières années de vie. Lorsque j’écoute ma mère, que j’ai déjà questionnée et re-questionnée, mon père aurait été un père tout ce qu’il y a de plus « ordinaire » à mon égard. Mais je ne le crois pas. Je crois que ma mère, pour défendre l’image de mon père et aussi parce qu’elle s’y retrouvait en tant que femme et en tant que mère, avec moi, n’attendait pas trop de « choses » de mon père, lorsque j’étais petit.
Si bien des femmes se sentent peu maternelles, il existe aussi néanmoins beaucoup de femmes, sans doute selon un certain modèle traditionnel, qui se sentent d’autant plus femmes qu’elles deviennent mères. Et qu’elles s’occupent de la petite ou du petit. Ce modèle de mère ou de maman n’attendra pas de l’homme ou du père qu’il se lève la nuit lorsque le bébé ou l’enfant se réveille. Ni que l’homme ou le père change les couches, prépare les biberons ou garde l’enfant à la maison. Pour ce « genre » de maman, si le père ou le papa est important, en pratique, celui-ci est un personnage assez secondaire lors des premières années de vie. Or, les relations que l’on a dès les premières années de vie avec notre enfant mais aussi avec nos frères et nos sœurs engagent nos relations futures.
Lorsque je vois à quel point et avec quelle rapidité, quelques échanges avec mon père suffisent à ce que nous soyons chien et chat, ou, plutôt, deux coqs face à face, j’ai beaucoup de mal à croire qu’il ait pu être si « affectueux » à mon égard lors de mes premières années de vie. Même si je ne doute pas de son amour comme de son implication- musclée et obsessionnelle- ensuite dans mon éducation.
L’enfance est une carrosserie : différences entre la chirurgie et la psychiatrie
Aîné de mes parents, par contre, je me rappelle bien avoir été le témoin direct et contraint de leurs différends. Et ce n’était pas toujours très beau. Des propos tenus en ma présence.
Des confidences que ma mère a pu me faire. Confidences qui m’ont appris le sens et l’importance de la discrétion et des mots. Ainsi que la solidarité. Sauf que j’étais trop jeune lorsque cet apprentissage a débuté. J’avais moins de dix ans.
L’enfance, c’est une carrosserie. Pendant des années, l’enfance permet d’absorber un certain nombre de chocs et d’accidents. Les parents parfaits n’existent pas. Même si chaque parent, je crois, essaie de réparer et de faire mieux ou un peu mieux que ses propres parents.
Mais la vie parfaite n’existe pas. Et nous sommes faits et constitués de manière à pouvoir encaisser un certain nombre d’accrochages. Sauf que les coups que nous prenons sont invisibles et laissent des traces invisibles. C’est une des grosses différences entre la chirurgie et la psychiatrie et la psychologie.
Lorsque l’on se fracture une jambe en faisant du ski, de la danse, de la Gym ou du Foot, on a des signes physiques visibles. Cela se voit à la radio. On peut réparer. Je crois de plus en plus que beaucoup de nos blessures sportives arrivent souvent , aussi, dans un certain contexte affectif et psychologique même si la fatigue physique et le surentraînement ou la méforme peuvent augmenter les risques de blessures. Mais, retenons dans notre exemple ce que je veux surtout démontrer. La chirurgie permet de réparer et de réduire des dommages physiques et physiologiques « visibles », détectables. Incontestables. Le terme « incontestables » a une grande importance.
Le terme « Démontrables », aussi. On se fracture une jambe, il est très facile de le démontrer. Il suffit de toucher. De regarder à l’œil nu. C’est souvent gonflé, chaud, froid, etc….
En psychiatrie et en psychologie, il y a aussi des signes cliniques variés :
Perte d’appétit, perte de sommeil, boulimie, anorexie, conduites à risques, pensées particulières, idées de mort, délires etc….
Sauf qu’entre le moment où un événement traumatique a lieu et « déclenche » l’état psychiatrique ou psychologique- physique et social- visible et détectable, il peut se passer plusieurs années. En pédopsychiatrie, on a des mômes de dix, onze ans voire moins. Ça fait très « petit » pour être hospitalisé dans des services de pédopsychiatrie ou pour consulter dans un centre médico-psychologique ou dans un CMPP. Ou pour rencontrer un psychologue. Mais ça fait combien d’années que la « carrosserie » de ces mômes se mange des chocs et des accrochages ? Depuis leur naissance ? Avant leur naissance ?
Dans un garage, on peut vous dire : ça fera tant et tel nombre d’heures pour réparer la carrosserie. La voiture est un objet inerte. L’être humain est le contraire d’un objet. Et l’être humain est tout sauf inerte. L’être humain, c’est de la matière vivante. Réceptive à ce qui l’environne, qu’elle s’en rende compte ou non. Partout, tout le temps. Lorsqu’elle dort. Lorsqu’elle écoute de la musique. Lorsqu’elle passe devant une réclame publicitaire. Lorsqu’on la touche. Ça n’a rien à voir avec une carrosserie de voiture ou avec une fracture que l’on va réduire au bout de quelques semaines ou quelques mois.
Le couple, continuité de notre enfance :
Le couple, c’est la continuité de notre enfance. Même adultes, nous restons des enfants.
Beaucoup de personnes croient qu’une fois adultes, elles se sont complètement séparées de leur enfance. Elles ont évolué, oui. Si on leur propose une tétine ou un biberon pour bébé, c’est évident, qu’elles n’en voudront pas. Mais les tétines et les biberons ont aussi évolué. Eux aussi sont devenus grands. Mais avant de devenir adultes, on passe par l’adolescence. Une période assez critique. On critique le monde, les autres, soi. On fait les comptes de ce que l’on a compris et assimilé de la vie, les bons aspects comme les mauvais.
Il existe un âge théorique pour l’adolescence, grossièrement entre 12 et 20 ans, selon les personnes, les sexes et les cultures. Mais c’est très théorique. Cela varie selon les expériences de vie, les tempéraments et les personnes.
L’adolescence est la période des virages sensibles. On n’est plus un enfant physiquement, mentalement, intellectuellement au sens où les adultes n’ont plus le même pouvoir d’autorité ou de dissuasion sur nous. Ils n’ont plus le monopole de l’expérience et du Savoir aussi, et c’est encore plus vrai avec l’informatique et les nouvelles technologies qui ringardisent de plus en plus rapidement les plus « vieux ».
Même si, en tant qu’ados, on craint certains » vieux ». Même si on en admire d’autres. Même si on recherche d’autres. Ouvertement ou secrètement.
Le couple, qui, en principe, est l’un des « trophées » ou l’apanage de l’adulte, permet à l’adolescente et à l’adolescent de passer à l’action. De mettre en pratique sa vision du monde. Ses convictions. L’adolescente ou l’adolescent se croit souvent plus libre que l’adulte qui peut être criblé de défauts. Du côté des adultes, on peut aussi très mal vivre ou très mal supporter ces « jeunes » qui nous dérangent, qui nous cherchent ou nous provoquent. Mais il y a de l’adolescent en chaque adulte et de l’adulte en chaque adolescent. Et, bien-sûr, il y a de l’enfance dans les deux. Sauf que cette enfance n’est pas vécue, protégée ou sacrifiée de la même manière selon les circonstances et les choix des uns et des autres. Il est ados qui font des choix de vie dont bien des adultes seront incapables. Il est aussi des ados qui font des choix de vie qui feront d’eux des adultes suppliciés et déprimés alors qu’ils avaient pour eux certains atouts. D’autres, ados ou adultes, deviendront des criminels, des SDF…je ne vais pas réinventer la vie. Elle est devant nous, tous les jours.
Un Adolescent :
Adolescent, je voulais devenir père à vingt ans. Comme ma « mère ». Tout est parti de la naissance de ma sœur, neuf ans après moi. Puis de celle de notre frère, cinq ans plus tard.
Au départ, j’avais très mal supporté la présence de ma petite sœur ainsi que ses diverses sollicitations. Puis, je m’étais « acclimaté ». De toute façon, je n’avais pas le choix :
Lorsque ma mère partait à l’hôpital pendant douze heures dans le service de réanimation où elle était aide-soignante, et que c’était le week-end, notre père considérait qu’il avait mieux à faire. Et, il me laissait m’occuper de ma sœur et de mon frère à la « place » de maman.
J’y ai pris goût. Même si, certaines fois, j’aurais bien aimé pouvoir sortir pour m’amuser avec les copains ou pour aller à mon club d’athlétisme. Un de mes cousins m’avait surnommé, en se marrant : « La nounou ! ».
La Nounou
A vingt ans, étudiant infirmier, comme ma mère aurait souhaité le devenir, j’ai croisé une femme dans un mes stages à l’hôpital. Elle était aide-soignante, était plus âgée que moi de six ans et avait un enfant. Simplement, sincèrement, elle m’a fait comprendre qu’elle aimerait bien avoir une histoire avec moi. Elle était plutôt jolie. Elle m’était sympathique et rassurante. J’avais été touché par sa déclaration. Elle m’avait expliqué que le père de son enfant, dont elle était séparée, était quelqu’un de gentil mais de pas très adulte.
Son offre était tentante. Jeune adulte assez récemment déniaisé sexuellement et bien évidemment tourné vers les prodigieux gisements de l’orgasme, j’ai probablement entrevu le très grand potentiel sexuel d’une union avec elle. Mais je savais aussi ce que celle-ci impliquait :
Avec elle, je n’avais aucun doute quant au fait que je serais rapidement devenu père. Et, elle, à nouveau, une mère.
Enfant, puis ado, j’avais pu voir et revoir ce schéma très courant parmi bien des couples de ma famille antillaise, à commencer par mes propres parents :
Des jeunes adultes, qui, très vite, dès qu’ils commencent à travailler, font des enfants. Des femmes qui, jeunes, étaient belles et sveltes, et qui, en devenant mères, s’alourdissaient de kilos en kilos avec les années. Des hommes qui, généralement, étaient plutôt machos et se préoccupaient assez peu de psychologie. Contrairement à moi, on l’aura compris.
Je tiens à préciser que lorsque cette femme, plus mûre que moi, m’avait abordé, je n’avais pas d’intention particulière à son sujet. Si je regardais les femmes au point d’être amoureux de certaines, j’étais beaucoup dans l’idéalisation de la femme. J’avais aussi un sacré handicap, voire plusieurs, pour rencontrer des femmes et avoir des relations intimes avec elles.
Mes handicaps au sortir de l’adolescence :
Au dessus de ma tête et dans ma tête, était plantée l’interdiction paternelle de la Femme blanche. Dans un pays où les gens sont majoritairement blancs, ça compliquait un peu la donne.
Ma mère, aide-soignante dans un service de réanimation, m’avait planté dans la tête l’interdiction de la mobylette et de la moto. Interdiction dont je ne me suis toujours pas relevé même si j’ai pu être passager plutôt facilement et avec plaisir derrière des conducteurs de deux roues. Mais, mon père, lui, c’était l’interdiction de la Femme blanche.
Si j’avais été un « queutard », j’aurai pu contourner l’interdit. Parce-que Monsieur Papa, lui-même, a bien aimé « rencontrer » quelques femmes blanches. Mais, peut-être du fait de ma solidarité enfantine avec ma mère, je ne suis pas un queutard. Or, un queutard s’intéresse avant tout à son propre plaisir. Et, n’importe qui, n’importe quand, voire, dans n’importe quelles circonstances peut-être, lui « va ».
J’avais peur de mettre une femme enceinte. Même si la contraception (pilule et préservatif) existait bien-sûr et était déjà normalisée. Sauf que j’avais sans doute une mentalité de campagnard traditionnel à l’image de mes propres parents. Et, je savais déjà assez concrètement qu’avoir un enfant ou faire un enfant était une responsabilité. On comprend assez facilement vu ce que j’ai pu raconter de mon adolescence. Si plusieurs de mes amis (femmes et hommes) ont découvert vers 25 ou 26 ans, ou plus tard, ont découvert, en devant mères ou pères, ce que ça faisait de s’occuper d’un bébé, moi, je l’avais découvert environ dix ans plus tôt. Et quelque peu par la contrainte. J’en ai eu des bénéfices. Si, aujourd’hui, j’ai plutôt de bonnes relations avec ma sœur et mon frère, aujourd’hui adultes et mères et pères de famille, cela vient sans aucun doute de mes « aptitudes » également maternelles lorsque je me suis occupé d’eux. Néanmoins, une partie de mon adolescence a été un peu malmenée, en particulier lorsque notre père m’imposait de tenir son rôle lorsque notre mère était au travail et qu’il partait vadrouiller pour son bon plaisir pendant l’intégralité du week-end. Soit un homme et un adulte très exigeant mais pas très juste avec moi. Ce qui explique ma colère assez facilement « érectile » envers lui encore aujourd’hui.
« Enfin », et c’est à peu près tout, j’avais aussi peur du Sida. Car la fin des années 80, c’était l’épidémie du Sida. Epidémie qui existe toujours mais face à laquelle, aujourd’hui, nous disposons de plus d’armes. Aujourd’hui, ce serait plutôt la pandémie du Coronavirus et celle du terrorisme jihadiste vis-à-vis desquels nous manquons d’armes. Ainsi que face au réchauffement climatique et à la montée des extrémismes du manière générale, politiques comme religieux. Cela fait aujourd’hui partie de notre routine de la peur.
Une femme et un homme : routine ou normalité sociale et conjugale
Après avoir croisé cette femme plus âgée que moi, j’ai bien-sûr appris que la « routine » ou normalité conjugale et sociale qu’elle m’avait proposée se retrouve dans bien d’autres cultures.
Mais cette femme était d’origine antillaise comme moi. Sans doute que cela m’a d’autant plus alerté et poussé à déserter. J’avais donc décliné poliment ses propositions malgré l’insistance, aussi, de sa jeune sœur, laquelle me plaisait encore plus mais avait déjà un compagnon.
J’avais décliné sa proposition car, depuis mon adolescence, je savais que je ne voulais pas faire partie de ces hommes qui font des mômes sans penser à l’avenir. Et, je savais aussi, sans doute, que je refusais une relation de mensonge :
J’aurais pu faire mine d’accepter le projet conjugal de cette femme, coucher avec elle pendant un certain temps, me faire dorloter par elle. Puis m’enfuir. C’est un classique. S’il est assez classique que des hommes quittent une femme après lui avoir fait un ou plusieurs enfants, il est aussi certaines femmes dont la priorité est d’ « avoir » un ou plusieurs enfants. Comme si l’enfant présent permettait de remplacer un ou plusieurs membres qui manquent à la mère.
La psychiatrie adulte à vingt cinq ans :
Après mon diplôme d’infirmier, ma mère a essayé un temps de me dissuader d’aller travailler en psychiatrie. Elle avait peur que je devienne fou. Cette fois-ci, sa peur de la psychiatrie m’a moins parlé que sa peur de la moto.
A vingt cinq ans, après mon service militaire que j’avais réussi effectuer en tant qu’infirmier dans un service de psychiatrie adulte, j’ai commencé à travailler dans un service de psychiatrie adulte.
Depuis l’obtention de mon diplôme d’Etat d’infirmier, quatre ans plus tôt, je m’étais aperçu que cela ne me correspondait pas d’aligner des tâches à la chaîne dans un hôpital dans un service de soins généraux. Comme si je travaillais sur une chaîne de montage dans une usine. C’était au début des années 1990.
Si l’on était en pleine épidémie du Sida, on ne parlait pas, alors, de la pandémie du Covid qui a atterri dans notre système solaire et mental en mars 2020. Mais on parlait déjà de pénurie infirmière. Avant de devenir infirmier titulaire à vingt cinq ans dans ce service de psychiatrie adulte, j’avais aussi été vacataire et infirmier intérimaire dans des cliniques mais aussi dans des hôpitaux publics en île de France. De jour comme de nuit.
Dans mon « nouveau » service, en psychiatrie adulte, j’ai été le plus jeune infirmier pendant deux ou trois ans. Plusieurs de mes collègues étaient mariés avec enfants ou vivaient en couple. J’étais tout le contraire mais j’avais des principes et des certitudes concernant l’amour et le couple.
J’avais donc été très choqué en apprenant que tel collègue, marié, avait trompé sa femme avec telle autre collègue, mariée également mais aussi mère de famille. J’avais été si choqué moralement que j’avais envisagé de quitter le service devant cette débauche morale, pour moi, évidente.
Puis, j’étais resté. Je me sentais très bien professionnellement et humainement dans ce service. Je m’y sentais si bien que j’ai d’ailleurs fini par m’y sentir comme chez moi. Au point de devenir incapable de le quitter même si je sentais que c’était pourtant ce qu’il fallait faire. Cela a eu plus tard des incidences personnelles et professionnelles qui m’ont obligé et poussé plus tard- enfin- à partir. Et à comprendre que l’affectif, même s’il est important avec nos collègues, doit rester secondaire sur notre lieu de travail.
Mais, dans ce service, en apprenant à connaître ces collègues, je compris un peu plus que la vie adulte et la vie de couple avaient leurs impasses.
Couper le cordon avec nos parents :
Le modèle du couple de mes parents et de membres de ma famille m’avait bien-sûr déjà donné des indices. Mais on ne fait pas toujours le rapprochement entre le modèle de nos parents et de notre famille et celui que l’on va suivre pour notre propre vie affective. Assez souvent, on suit à peu près le même modèle que nos parents. Même si, en apparence, on a l’impression d’être différent. D’avoir coupé le cordon avec nos parents. Et cela se comprend facilement :
Même si nous pouvons nous montrer aussi critiques que des ados envers nos parents, ceux-ci n’ont pas tout raté dans leur vie. Il est même des aspects de leur vie que nous serions incapables de supporter ou de réaliser. Je me suis déja demandé par exemple, si, à la place de mes parents, j’aurais eu la capacité, comme eux, de quitter mon pays natal pour la France. A la fin des années 60, mon père et ma mère ont quitté la Guadeloupe. Ils ont ainsi rompu avec une certaine tradition ainsi qu’une partie du cordon qui les reliait à leurs aînés depuis plusieurs générations depuis l’arrivée de leurs ancêtres, du fait de l’esclavage, en Guadeloupe. Esclavage qui a été aboli en Guadeloupe en 1848. Je le rappelle. Car il est encore des personnes instruites et de bonne foi en France qui ignorent que la présence de la majorité des Antillais par exemple en Guadeloupe ou en Martinique résulte de la traite négrière occidentale qui a duré environ deux cents ans.
En 1966 et 1967, mon père avait 22 ans et ma mère, 19 ans. Même s’ils sont arrivés en « Métropole » avec la nationalité française, il existait alors un tel décalage culturel- qui subsiste- entre la Guadeloupe et la France, ainsi qu’un certain handicap de couleur de peau, que, pour moi, leur venue « en » France a bien des points communs avec celle de beaucoup d’immigrés. C’est comme cela que je m’explique ma compréhension assez « intuitive » de certaines difficultés d’intégrations de jeunes français d’origine arabe ou maghrébine par exemple. Et, je ne vois aucun hasard dans le fait que mon meilleur ami soit d’origine algérienne. Même si j’ai appris depuis que dans certains quartiers, il arrive qu’Arabes et noirs ( africains ou antillais) soient les pires ennemis les uns pour les autres.
Et puis, il y a une frontière que l’on ne franchit pas vis à vis de ses parents lorsque l’on est mature :
Leur sexualité nous est interdite. Ce n’est pas Auchan ou une salle de cinéma. Nous n’avons pas de droit de regard dessus. Alors que l’on peut plus facilement s’autoriser à franchir cette frontière en « regardant » ou en imaginant la sexualité de tels collègues ensemble. J’ai déjà entendu parler de ragots à propos des coucheries ou de la relation sentimentale entre deux collègues. Je n’ai jamais entendu parler de ragots à propos de la sexualité de mes parents lorsqu’ils s’accouplaient :
Il doit être très rare que des enfants, entre eux, se racontent les derniers potins concernant les derniers vibratos éjaculatoires et clitoridiens de leurs parents.
En quittant ce premier service de psychiatrie, quelques années plus tard, pour un autre service, mon regard sur le couple, l’amour et certaines normes conjugales avait changé. J’avais par exemple compris, je crois, que désirer et aimer quelqu’un ne suffit pas pour être heureux ensemble. Même si ce désir et cet amour sont partagés. Et qu’ils comptent bien-sûr dans la construction d’un couple ou d’une relation. Du moins, à mon avis.
Un quasi-expert dans les relations sentimentales à la mords-moi-le-nœud :
Pour apprendre ça, j’avais payé de ma personne :
J’étais devenu un quasi-expert dans les relations sentimentales à la « mords-moi-le-nœud ».
Si j’ai connu des histoires d’amour avant de travailler dans ce service puis ensuite, j’ai aussi vécu l’échec final : ce que l’on appelle la rupture sentimentale. J’ai connu la rupture sentimentale, les ruptures sentimentales. Mais je n’avais toujours pas coupé le cordon avec mes parents. Donc, j’étais dans ce que l’on appelle…la répétition.
J’ai été quitté. J’ai aussi quitté. Peu importe la sincérité de départ de l’un ou de l’autre.
A celles et ceux qui ont pu me dire, à un moment donné que je manquais de chance, j’ai fini par répondre :
« Non ! Je ne suis pas doué pour le bonheur ».
A une collègue, en couple, qui avait pu me dire que cela l’angoissait d’être seule, j’avais répondu :
« Moi, c’est d’être en couple qui m’angoisse ».
Et, c’est vrai que, célibataire, j’ai connu un certain nombre de moments où j’étais vraiment très content d’être tout seul chez moi.
Mais il y a eu aussi d’autres moments moins drôles. Où je devais partir à la chasse d’affection. Au point qu’un certain nombre de fois, j’ai pu être trop présent auprès de certaines personnes. Aux mauvais moments. De la mauvaise façon. Avec les « mauvaises » personnes : celles qui étaient indisponibles.
Une certaine addiction :
A la Répétition d’histoires sentimentales à la mords-moi le nœud, s’est ajoutée sa cousine ou sa jumelle : Une certaine Addiction aux histoires à la mords-moi-le-nœud.
Aujourd’hui, je peux parler « d’addiction » parce-que depuis que je m’intéresse d’un peu plus près au sujet des addictions depuis environ quatre ans, j’ai compris que l’on peut être aussi « addict » à un certain type de comportements qui nous sont néfastes. Parce-que ces comportements nous dirigent et nous transportent vers des situations que l’on connaît bien. Même si ces situations nous déposent toujours, à un moment ou à un autre, sur un matelas hérissé de tessons ou de clous dans lequel on s’enroule, seul.
Entre l’obsession et l’addiction, il y a aussi des points communs. Nous sommes nombreux à avoir des obsessions. Nous sommes aussi nombreux à avoir certaines addictions. Mais nous nous en sortons différemment selon les lieux, selon notre entourage et aussi selon notre capacité à le voir ou à le nier.
Je me maintenais dans des histoires à la mords-moi-le-nœud parce-que l’inconnu me faisait peur. L’inconnu d’être dans une histoire sentimentale stable et simple. La peur de me conformer à une histoire conjugale « normale » et routinière comme mes parents où le Devoir et le sacrifice semblent l’emporter, l’ont emporté, avant tout.
Avant que les gens ne prennent de l’âge, de l’arthrose, ne s’avachissent sous les kilos, le poids de leurs artères et de leurs colères contre l’autre, ils ont été beaux. Ils ont été souriants en rencontrant l’autre. Et, ils ont cru à leur histoire même si celle-ci a peu duré et que l’artifice a très vite disparu. Dans le monde animal, il n’y a aucun drame car c’est comme ça que cela doit se passer. Il n’y a pas de rancune particulière, je crois. Mais dans le monde des êtres humains, cela se passe différemment. Il y a de la mémoire, des rancunes, des espoirs et des comptes à rendre à l’autre :
A soi-même, à notre entourage ainsi qu’à nos aînés mais aussi à notre descendance.
Ça fait beaucoup. Et cette histoire se perpétue.
Le mensonge et les normes sociales :
Je suis devenu père et me suis marié tard. J’avais quarante cinq ans. Je connaissais déjà la sécurité sociale et économique. En me mariant avec ma compagne mais aussi en devenant père, j’ai découvert la sécurité affective :
Cette présence quotidienne et aimante qui vous attend et vous reçoit quelle que soit la journée que vous avez passée. Quels que soient vos travers et vos humeurs. Tout ce que vous avez à faire pour cela, c’est rentrer chez vous, passer un coup de téléphone ou envoyer un sms et quelqu’un, votre compagnon ou votre compagne, voire votre enfant, généralement, vous répond plutôt favorablement. Vous êtes souvent le bienvenu ou la bienvenue. Vous bénéficiez assez souvent d’une attention particulière.
En découvrant cette expérience, j’ai aussi eu la confirmation que certains de mes proches et de mes connaissances qui m’affirmaient avoir moins de temps pour me voir ou me rappeler, m’avaient menti. Le mensonge fait aussi partie des normes sociales. Le mensonge envers les autres. Mais aussi vis à vis de soi-même :
Si l’on a moins de temps lorsque l’on se met en couple et que l’on décide ensuite de « faire » un enfant, on peut, si on le veut véritablement, joindre untel ou untel. Ou prendre le temps de le rencontrer. Cela nécessite plus de préparation pour une durée plus courte. Mais c’est possible.
Cet article est imparfait et biaisé bien-sûr mais je le crois sincère. Je le vois comme le contraire de certains mensonges sociaux.
Mais il y a d’autres mensonges qui subsistent. Lorsque l’on se met en couple, que l’on se marie ou non, on se dit oui. Sauf que, même en se disant ouvertement oui, il y a d’autres points sur lesquels on se dit non. Mais comme on est plein d’amour et de désir l’un pour l’autre, on n’y fait pas attention. On banalise ces quelques points qui peuvent ou vont devenir beaucoup plus sensibles à mesure que l’on va se rapprocher l’un de l’autre dans le quotidien mais aussi dans la vie intime.
La Clinique de l’Amour : une émission de France Inter
Cette très longue introduction pour expliquer ce qui a pu me donner envie de découvrir et d’écouter cette émission de France Inter appelée La Clinique de l’Amour. Une émission qui raconte en plusieurs épisodes (cinq ou six) d’une vingtaine de minutes l’évolution de plusieurs couples qui font une thérapie.
L’émission m’a « plu ». Même si je lui reprocherais le fait que, par moments, pour moi, les thérapeutes sont trop intervenus. Cela peut faire sourire après tout ce que j’ai écrit avant de vous parler, finalement, de ce podcast de France Inter qui date de février 2020.
Le thérapeute masculin par exemple. Il est certaines fois où, à mon avis, les deux thérapeutes auraient dû davantage « protéger » la parole de celle ou de celui qui s’exprime et le laisser parler. Au lieu de le laisser ou de la laisser se faire « pilonner » verbalement par l’autre.
Je crois que ça aurait été « bien » d’expliciter :
De dire par exemple à telle personne qu’elle semble très déçue ; qu’elle avait apparemment une très haute vision ou une vision différente de ce que son mari ou sa compagne allait être dans la vie de couple ou de famille.
Un des couples a trois enfants. Je crois que cela aurait été bien de demander pourquoi trois enfants ? Pourquoi pas deux ? Pourquoi pas un seul ?
Vu que j’ai compris que bien des couples font des enfants en pensant que faire des enfants rapproche et va aider le couple à se « soigner ».
Alors que je crois que cela peut être le contraire : lorsque l’on fait un enfant, nos tripes prennent facilement ou peuvent facilement prendre le dessus sur tout ce que l’on essaie d’être ou de faire de manière rationnelle. Et l’on peut alors s’apercevoir à quel point on est très différent de sa « moitié » voire opposé à elle. Même si on peut aussi devenir complémentaire.
J’ai aussi été à nouveau assez agacé par certaines phrases typiques du vocabulaire professionnel de mes « collègues »:
Ma remarque est sûrement très déplacée. Car le principal est bien-sûr que ces thérapeutes aient fourni leur présence, leur constance et leur empathie à ces couples. Mais je vois à nouveau dans ces tics de vocabulaire et de langage de mes « collègues » thérapeutes un certain manque de spontanéité : un trop haut degré d’intellectualisation ; une certaine carence affective. Comme s’ils s’en tenaient à un texte ou à un protocole appris par cœur qui les empêche d’improviser. Comme s’ils s’exprimaient de manière scolaire.
Hormis ces quelques remarques, j’ai bien aimé cette émission.
J’aimerais pouvoir ensuite traduire cet article en Anglais voire peut-être en Espagnol quand je le pourrai.
Apparemment, pour l’instant, je n’arrive pas à intégrer le lien vers ce podcast dans cet article. Mais on le trouve facilement. Dès que je le pourrai, je l’intégrerai à l’article.
Je le précise assez peu dans mes articles mais la plupart des photos prises dans la rue ou dans le métro sont de moi.
Franck Unimon, ce jeudi 29 octobre 2020. Puis, ce lundi 2 novembre 2020 où j’ai ajouté un certain nombre de propos et de pages depuis l’article initial.