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A Voir absolument

 

 

 

                                                     A voir absolument

La norme, chez l’être humain, c’est l’extrême. Je le réapprends de temps en temps avec du  retard. Je t’aime et je t’adore aujourd’hui mais aussitôt que je serai suffisamment intime avec toi, je deviendrai parfaitement libre de te maudire et de vouloir modifier ta race et ta constitution pour plusieurs générations. De leur faire subir toutes les interruptions de grossesse – même si tu es un homme- et toutes les perturbations endocriniennes disponibles et accessibles à  mes connaissances. Oui, j’ai du chien ! Même si tu l’oublies alors que je te souris et que je suis cool avec toi. Tu as intérêt à bien te tenir. C’est aussi simple que ça.

 

La mauvaise foi est bien-sûr un fantastique adjuvant en même temps qu’un puissant conducteur. C’est également un excellent liant. Et, certaines fois, aussi, un très bon facilitateur de l’appareil reproducteur. Car si la norme chez l’être humain, c’est l’extrême, la contradiction et l’opposition font partie de ses meilleurs aphrodisiaques.

 

Je n’avais pas prévu ce préliminaire pour commencer à parler de cette affiche. C’est venu tout seul il y a quelques minutes après avoir relu mon texte écrit rapidement il y a plusieurs semaines.

 

 

Cela fait plusieurs jours, que je vois l’affiche de ce film :

 

A voir absolument. Il est un peu plus de 8 heures ce matin. Je suis dans le bus 21 qui traîne du côté des Halles. Dans moins d’une heure trente, je vais interviewer Abdel Raouf Dafri pour son premier film en tant que réalisateur : Qu’un sang impur. ( Interview en apnée avec Abdel Raouf Dafri)

 

Mais parlons de ce film, Scandale, qu’il faut voir absolument tandis que je suis assis à côté d’une femme sur une place prioritaire. Imitant en cela une autre femme sur ma gauche.

Quelques minutes plus tôt, j’avais bien vu que la femme à côté de qui je me suis décidé à m’asseoir m’avait en quelque sorte fait une petite place. Mais j’avais résisté.

Je suis d’abord resté debout comme un soldat avec mon sac.

 

Depuis des mois ou des années, je me suis aperçu que, désormais, dans les transports, j’ai tout un tas de scrupules à m’asseoir à côté d’une femme inconnue. Parce qu’en tant qu’homme, je suis suspect. Et si je suis embarrassé, c’est évidemment parce que j’ai des reproches à me faire.

 

Assis à côté de cette femme inconnue dans ce bus 21, je m’attends à ce que la brigade des mœurs monte bientôt afin de venir me menotter. En attendant, je poursuis  mon parcours de délinquant sexuel potentiel et passif. Un de ces jours, on instaurera des transports en commun ou des quotas séparant les femmes des hommes. Et les contrôles porteront aussi sur notre genre sexuel. Les transgenres deviendront alors encore plus les nouveaux Arabes et les nouveaux Nègres de la société. Pour celles et ceux qui ne m’ont jamais vu : J’informe que je suis noir de peau de naissance et le resterai jusqu’à ma mort sauf événement imprévu et indépendant de ma volonté.

 

 

Non, Madame ! Ce n’est pas de ma faute si le bus 21 s’arrête à la station Palais Royal au lieu de St-Ouen ! Même si je l’apprends en même temps que vous. Comme vient de vous le dire le chauffeur de bus, il fallait regarder l’affiche !

 

Mais c’est peut-être de ma faute si les trois actrices principales du film Scandale, qu’il faut absolument aller voir, sont, à nouveau, trois blondes. Même si, vous, Madame, vous n’êtes pas du tout blonde. Pourtant, toutes les femmes sont blondes. Toutes les femmes hautement désirables depuis au moins un demi-siècle au cinéma sont automatiquement et majoritairement blondes. Et, ça, il faut le voir absolument. Bien-sûr, il y a des exceptions, Madame.  Jennifer Connelly, présente dans le film Alita, Battle Angel réalisé par Robert Rodriguez qui m’a bien plu,  ressemble de plus en plus à Demi Moore. Alden Ehrenreich- qui est un homme- rappelle James Dean.

Dans le milieu du cinéma, on est très loin d’être conservateur. On est vraiment dans le renouvellement et dans l’évolution des modèles et des visages.

 

Je dois voir ce film. C’est bon pour ma rééducation et ma conscientisation.

 

J’irai aussi le voir parce qu’avant l’affaire Weinstein – j’ai malheureusement raté le documentaire qui lui a été consacré. Mais c’est sûrement du fait de ma complicité inconsciente avec lui même si le documentaire est resté peu de temps dans quelques salles – avant l’affaire DSK et d’autres affaires de viol et de harcèlement, j’aimais déjà le jeu d’actrices de Nicole Kidman et de Charlize Theron. Mais ça, j’aurais dû absolument le passer sous silence. Puisque je suis un homme, je suis sûrement allé voir ces femmes au cinéma pour des motifs dépravés.

 

PS : c’est comme avec cette stagiaire à qui j’ai fait la bise ce matin. Finalement, elle ne m’avait rien demandé. J’y repense seulement maintenant. Elle ne m’avait pas demandé de l’inclure dans cette ronde des bises matinales. Elle et moi, nous n’avons pas gardé les cochons ensemble. Et même si nous l’avions fait, un de ces jours, elle pourra me reprocher de l’avoir forcée, moi qui pourrais être son père, et qui étais en situation de supériorité de par mon grade et ma fonction. J’aurais dû lui demander la permission. Et non pas la mettre devant le fait accompli en présence de tout le monde (une grande majorité de collègues femmes).

 

Il va falloir que je me reprenne. Et que je sache me tenir. Comme avant, lorsque j’étais puceau, que j’écrivais des poèmes à une jeune de mon âge pour lui déclarer mes sentiments et que, le plus souvent, je me prenais des râteaux.  J’aurais dû écrire un poème à cette étudiante afin de lui demander si je pouvais lui faire la bise. Ou établir une demande en bonne et due forme. Faire parvenir cette demande à la responsable de son centre de formation voire peut-être à ses parents voire à sa compagne ou à son compagnon – que je ne connais pas- même si elle était majeure.

 

Mais je raconte n’importe quoi. Je fais du mauvais humour pour masquer le fait que, là, je me suis mis dans une très très mauvaise situation. En plus, je suis marié et j’ai une fille. Non seulement je donne un très mauvais exemple. Et, en plus, je banalise le viol et toutes les offenses faites aux femmes par les hommes depuis des millénaires. Le scandale. C’est une attitude complètement irresponsable. Méprisable. Indéfendable. Et ça a l’air de beaucoup m’amuser, en plus.

 

Ça commence par une bise pour dire bonjour à une stagiaire présente dans le service depuis plusieurs semaines. Et, ensuite, on sait tous que ça se transforme en autre chose de beaucoup plus grave. Oui, mais maintenant que j’ai commencé, si j’arrête de lui faire la bise alors que je vais continuer d’embrasser mes collègues femmes – que j’ai vues lui faire la bise- pour les saluer, que va t elle penser ? Que je suis bizarre ? Et si je la regarde plus de cinq secondes ?

 

Lorsque je passe devant l’affiche, je le vois bien, que sans rien dire, avant même d’aller  voir le film,  que Nicole Kidman, Charlize Theron et Margot Robbie me jugent déja. C’est la norme.

 

Franck Unimon, ce lundi 24 février 2020.

 

 

 

 

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Tu mourras à 20 ans

 

 

                                                Tu mourras à 20 ans

Ce film, réalisé par le Soudanais Amjad Abu Alala, est inspiré d’une nouvelle de l’auteur soudanais Hammour Ziada. Lequel vit aujourd’hui en Egypte après avoir été banni de son pays. Le tournage s’est effectué au Soudan dans le village du père du réalisateur, Amjad Abu Alala. A l’origine, l’histoire se déroulait en Egypte si j’ai bien compris.

 

Tu mourras à 20 ans est la 8ème réalisation  du Soudan dans l’Histoire du cinéma.  Il s’agit d’une coproduction internationale ( Soudan, France, Egypte, Norvège, Allemagne, Qatar).

 

Paris compte 87 ou 88 cinémas selon les sources ( Les Echos, Le Figaro…) pour un peu plus de 400 salles. 38 de ces cinémas parisiens sont des cinémas d’art & d’essai qui essaient de résister aux multiplexes. Parmi ces cinémas d’art & d’essai, on trouve le cinéma des Ursulines qui est aussi le plus ancien des cinémas parisiens en activité ( créé en 1926).

 

Un parisien va en moyenne 11 à 12 fois  par an au cinéma soit trois à quatre fois plus qu’en province. A Paris, chaque semaine, 500 films sont à l’affiche. Dans ces conditions, il est selon moi nécessaire, quand j’arrive à m’extraire de l’attraction des multiplexes, d’aller voir en priorité des films comme Tu mourras à 20 ans qui est sorti dans seulement trois cinémas à Paris ce 12 février 2020. Il est encore possible d’aller le voir dans ces mêmes cinémas ainsi que dans un cinéma à Créteil et à Montreuil. A ce que je viens de voir, ce film avait été projeté ce 5 février 2020 à l’Institut du Monde Arabe.

 

Quelques cinémas projettent également Tu mourras à 20 ans en province. A Rennes, par exemple.

 

Muzamil ( une fois adulte, l’acteur Mustafa Shehata) nait dans la province d’Aljazira, au Soudan, entre le Nil blanc et le Nil Bleu avant que les deux branches du fleuve, en se rejoignant, forgent le Nil qui part ensuite vers l’Egypte.

On peut donc déjà dire que, sans forcément le savoir, Muzamil naît entre le jour et la nuit ou entre la vie et la mort. Car lorsque sa mère Sakina ( l’actrice Islam Mubarak), accompagnée de son père, fait le trajet pour le faire baptiser selon un rituel soufi, l’un des derviches tombe , alors que la bénédiction est en cours, et prononce  la « condamnation » :

 

Muzamil est destiné à mourir à 20 ans et ce que Dieu a scellé, personne ne peut le défaire. Muzamil est le seul enfant du couple. Et les deux parents ne sont pas si jeunes que ça. Sakina a bien une bonne trentaine d’années. Peut-être doit-on comprendre qu’il leur a été difficile de concevoir cet enfant. Et qu’il leur est peut-être impossible d’en avoir un autre.

 

La déclaration provoque la séparation des deux parents de Muzamil, encore bébé. Le père, contrairement à Sakina, ne se sent pas les épaules pour rester et opte pour partir travailler au loin. Et, pendant des années, il adressera régulièrement de l’argent et des courriers à Sakina.

Muzamil, lui, grandit à l’écart des autres. Sakina doit donc faire avec deux bannis : le père et le fils. L’un, par honte et impuissance. L’autre, par innocence.

On est très vite tenté de faire des analogies avec le film Va, vis et deviens réalisé par Radu Mihaileanu en 2005. Que cette comparaison plaise ou non ( puisque dans Va, vis et deviens, l’histoire se déroule en Israël ), dans Tu Mourras à 20 ans, on est à la fois dans le Sacré et dans la mythologie. Et aussi dans le conte et dans le blues. Dans des mythes fondateurs tant africains qu’européens.

 

Le Sacré : Il n’ est pas encore fait  allusion dans cet article à l’église du Sacré-Cœur, située dans le 18èmearrondissement de Paris.

Par contre, à parler de l’Egypte et du Nil, il est difficile d’éviter certaines références au Sacré. Que l’on parle de l’Egypte du temps des Pharaons et, déjà, de la fuite des Juifs ou de toute histoire que chacune et chacun raccordera à ce qui a pu lui être transmis dans son héritage familial à propos de l’Egypte et du Nil.

 

Et puis, ce fils qui est sacrifié par la volonté de Dieu, cela rappelle une autre Histoire.

 

La mythologie :  On retrouve au moins la silhouette d’Ulysse dans Tu mourras à 20 ans.

 

L’acteur Gary Cadenat ( José) face à l’acteur Douta Seck ( Medouze) dans le film  » Rue Cases Nègres ».

 

Le conte : En regardant Tu Mourras à 20 ans, j’ai très vite pensé à un conte originaire de la Louisiane où il est question de l’esclavage, d’un petit garçon, Boy, à qui le vieil esclave Jason ( un autre prénom bien connoté question sacré et mythologie), le soir, apprend à jouer de l’harmonica et lui conseille d’aller vers le Nord, en suivant la voie ferrée, afin de devenir libre. Le vieux Jason est bien l’équivalent du vieux Medouze du film Rue Cases Nègres réalisé en 1983 par Euzhan Palcy d’après le roman du Martiniquais Joseph Zobel. Et le personnage de Sulaiman ( Mahmoud Elsaraj) dans Tu mourras à 20 ans est bien leur alter-ego ainsi que,  sans discussion possible, la figure du Bluesman. Soit l’homme qui voyage ou qui a voyagé, qui a enduré et vécu y compris de façon hors-la-loi selon la morale.

 

 

Muzamil, sa mère Sakina et son père vivent scrupuleusement selon la Loi et lorsque l’on voit le résultat, on se demande quel crime horrible ils ont pu faire pour avoir ces vies de plaie. Mais si l’on regarde en Europe, avec un film comme Raining Stones ( 1993), un cinéaste comme Ken Loach a aussi pu parler de cette souffrance infligée injustement au nom de la religion.

 

L’actrice Emily Watson dans  » Breaking the waves ».

On retrouve cette même souffrance dans Breaking the Waves ( 1996) de Lars Von Trier.  

 

 

 

 

Et si l’on insiste et que l’on tient vraiment à parler de fondamentalisme religieux parce-que l’on trouve ces films encore trop légers et trop sautillants, on peut se mater le documentaire Jesus camp, réalisé en 2006 par Heidi Ewing et Rachel Grady. Ça se passe au Dakota du Nord et dans le Missouri, dans les Etats-Unis du 21ème siècle, Première Puissance Mondiale, dont une bonne partie des immigrés de l’époque de la « colonisation » venait d’Europe.

 

Le Blues :  que l’on parle du Nil ou du Delta du Mississipi, on entre dans la poussière du Blues. Le défunt musicien malien, Ali Farka Touré, n’est pas loin, et avec lui se trouvent celles et ceux qui l’ont précédé et celles et ceux qui l’ont suivi. Dans les environs du Rap et de tant d’autres genres musicaux.  Trop de voix et de notes pour les faire porter par des mots.  Parce-que le Blues, c’est franchir des frontières, aller au devant d’un voisinage, d’un langage et d’un espoir, les raconter et les réinventer, plutôt que de continuer de faire tapisserie et de toujours- devoir- subir et accepter les règles des impasses jusqu’à la dernière d’entre elles, celle où tout se joue. Celle qui peut tout voir et tout entendre.    

 

Pour ces quelques horizons, Tu mourras à 20 ans vaut plus que le coup d’œil. Ensuite, tout est question d’interprétation. On peut, comme certains des personnages dans le film, s’anesthésier avec des récitations que l’on répète ad libitum sans bien les comprendre. Que l’on parle de religion ou de toute sorte d’enseignement, de mode de vie, et de protocole à l’école, dans la vie ou au travail.

 

Ou on peut se dire qu’à 20 ans, et après 20 ans d’interdits et d’épreuves, Muzamil va peut-être abandonner celui qu’il a été et devenir un autre. Comme le fleuve qui va se jeter dans la mer.  Comme Boy, l’enfant esclave, qui, dans le conte, alors que le contremaitre l’emmène pour le vendre, décide subitement de s’enfuir. Comme le bluesman Robert Johnson qui passait de train en train sans doute pour échapper au train-train quotidien. Comme le Bluesman John Lee Hooker, qui, dans son adolescence, a commencé à fuguer pour se diriger vers le Nord.

Comme toute personne qui, lorsqu’elle aspire à grandir, un jour, se décide à quitter sa routine quitte à revenir sur ses traces plusieurs années plus tard.

Comme les migrants de toutes sortes qui quittent leur pays, leur région, voire, pour certains, leurs familles,  leur langue, leur religion, leur profession,  pour des raisons climatiques, économiques, militaires ou différentes mais toujours pour des raisons de vie ou de mort. Que l’on s’en souvienne ou non.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 21 février 2020.

 

 

 

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Cinéma

Brooklyn Secret

 

 

 

Lorsque l’on arrête de courir après son passé, on tombe sur un regard. Ce regard est notre secret. 

 

S’il faut souvent donner de soi pour se faire aimer, la générosité dans Brooklyn Secret est un des meilleurs moyens pour se faire trahir ou rejeter. Brooklyn Secret parle d’abord de la vie, aujourd’hui, aux Etats-Unis et de sa politique anti-immigration telle qu’elle continue d’être appliquée par le Président Donald Trump.

 

 Alex (l’acteur Eamon Farren), la trentaine, débarque ou revient à Brooklyn depuis l’Ohio  (759 kilomètres). Il vient habiter chez sa grand-mère russe ashkénaze, Olga (l’actrice, Lynn Cohen).

Alex est un élan des cœurs et aussi un jeune homme sans carrière. La dope et  l’alcool ont jusqu’alors été ses accessoires principaux. Ses conquêtes féminines ont été ses plus grands succès.  

 

Alex veut repartir du bon pied. Aux Etats-Unis, pays des Libertés, tout est possible pour celle ou celui qui est volontaire et travailleur.

Un de ses oncles, pour rendre service à sa mère, lui offre de travailler dans sa boucherie. Un emploi exigeant et dangereux : C’est un métier physique où on ne compte pas les heures. Un crochet de boucherie pèse 30 kilos et peut casser un pied.

 

Alex accepte aussi d’assister sa grand-mère Olga en complément d’Olivia (l’actrice, scénariste, monteuse et réalisatrice, Isabel Sandoval). Alex n’a jamais été aide-soignant ou aidant pour qui que ce soit. Il s’agit donc d’une première pour lui également de ce côté-là.

Autant Alex est assez friable et immature, autant Olivia est plus âgée et plus stable.

L’actrice, scénariste, monteuse et réalisatrice, Isabel Sandoval.

 

 

 

Olivia est originaire des Philippines. (Philippines/ Brooklyn : 13831, 50 kilomètres). C’est elle qui, au début du film, rassure Olga dans une scène assez drôle en lui disant qu’elle est bien chez elle. En lieu sûr. La générosité est aussi un des traits d’Olivia.

Mais les Etats-Unis  est ici  le pays où l’on fait passer l’Administration, le Dollar,  la roulette russe et la boucherie avant la générosité.

Et même si la réalisatrice Isabelle Sandoval n’en parle pas directement dans son film, les Etats-Unis est aussi le pays des armes : Le plus grand budget militaire du monde avec 685 milliards de dollars loin devant la Chine « du » Coronarovirus avec 181 milliards (Source : Le Canard Enchaîné numéro 5180 de ce mercredi 19 février). Les armes aussi passent avant la générosité.

 

Actress Isabel Sandoval with Actor Eamon Farren.

Aussi, lorsqu’Olivia et Alex s’envoient sur la Lune (distance entre la Terre et la Lune : entre 350 000 et 405 000 kilomètres), on pourrait donc d’abord se dire que leur vie va  décoller. Mais Brooklyn Secret, comme tout secret, est double et parfois triple.  

La solitude est le passeport de tous dans ce film. Car il est impossible d’être véritablement chez soi lorsque l’on est seul et sans protection. Olga ne sort pas de chez elle. Alex, à l’extérieur, est un  sans-abri devant une mauvaise expérience ou une mauvaise conduite. Et, Olivia, lorsqu’elle est dehors, est en sursis comme une patiente condamnée. On découvre d’ailleurs pendant son histoire « d’amour » avec Alex comme elle vit à l’étouffée. Plutôt que de la fortifier, cette histoire la fragmente entre son passé d’homme et sa présence de femme. L’orgasme qui la fait renaître et reprendre souffle aurait dû être une victoire. Mais il est aussi ce qui la diminue dans un corps d’immigrée que l’on peut sacrifier. Alors qu’elle est à la merci d’Alex, organiquement et administrativement, celui-ci reste conditionné par ses réflexes d’avant : ceux d’un joueur et d’un séducteur qui ne sait pas s’arrêter. Ceux d’un enfant provisoirement dominant qui croit pouvoir tout contrôler, tout se permettre et tout réparer de façon magique. Ce n’est pas un méchant garçon. Mais la mèche du temps qui guide Olivia a déjà opéré sa transition. Et Alex n’est pas le sauveur espéré.

 

J’ai beaucoup moins aimé le personnage d’Olivia, alors qu’il « flotte », et s’en remet à Alex.  Mais on comprend assez facilement qu’elle tente sa chance avec lui.  D’autant que l’église où elle se retrouve parfois avec sa sœur Trixia est une braise vide.

 

Peut-être aussi que, tout comme le personnage d’Alex, je suis également incapable de transformer ma pensée concernant le sujet et la question du genre.

 

Le sujet et la question du genre (puisqu’Isabel Sandoval s’appelait Vincent auparavant) hormis lors de quelques allusions, arrive au premier plan surtout à partir de l’histoire d’amour avec Alex. Avant cela, pour moi, Olivia était une femme et point final.  Et il est étonnant de voir comme,  selon l’angle de la caméra et aussi selon les émotions d’Olivia, lorsque l’étau se resserre concernant sa situation d’immigrée clandestine qui peut, à tout moment, se faire expulser, celle-ci peut avoir un visage plus masculin.  

Du fait de l’évocation des Philippines, Brooklyn Secret peut rappeler les films de Brillante de Mendoza. Mais il m’a d’abord rappelé Maria, pleine de grâce avant de me faire penser à Port Authority .

 

 

 

Brooklyn Secret sortira dans les salles le 18 Mars 2020

 

Franck Unimon

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma Ecologie

Système K

Photos pour cet article issues du site Allociné.

     

                                             

Produits de l’énergie du KO, ils sont les diadèmes éloignés de nos rêves bêta-bloqués. Celles et ceux qui sont là mais que l’on ne voit pas. Même s’ils étaient à notre portée, cela ne changerait pas :

Le regard de l’occident est toujours cet oxydant rayant de la carte leurs matières premières et leur laissant pour sacs à main des freins aux éclats toxiques. Et nous répétons cet accident car nous sommes cet occident.   

 

Plusieurs années après Staff Benda Bilili (Au delà des apparences) qui avait répandu de la vibration ondulante sur le festival de Cannes avec ses musiciens en chaise ambulante, Renaud Barret revient une nouvelle fois. On pouvait reprocher à l’entraînant Staff Benda Bilili qu’il avait coréalisé avec Florent de la Tullaye – que l’on retrouve dans le générique de son Système K –  de nous montrer «  en corps » des noirs musiciens au rythme et au membre plus roulants que la misère,  le désespoir et la violence.  Kate Moss s’en souvient peut-être. Il y manquait à peine Franck Vincent pour que la fête soit complète. Si on ne peut pas un peut s’amuser de temps en temps….

 

Pour sûr, Staff Benda Bilili était bien plus qu’une animation en caisson hyperbare réalisée pour le Club Med. Mais avec  Système K, où l’on aperçoit Kinshasa entre les barres, Renaud Barret signe un documentaire sincère et attachant. Nous ne sommes plus sur les Champs Elysées à la sortie d’un flacon d’eau de toilette luxueuse. Nous ne sommes plus en train de pleurer une Star du Basket disparue dans un accident d’hélicoptère, ou occupés à frissonner d’avance devant le grand débarquement présumé du coronavirus chinois qui viendra bientôt nous anéantir et nous diviser pour avoir espérer destituer le Président Américain Donald Trump qui a pu récupérer son double permis à tweet illimité.  Au lieu de choisir la marque Apple plutôt que Huawei.

 

Dans Système K, Nous sommes souvent dans la rue, entre le camion Iveco, le taxi moto sur lequel on monte à trois,  la vente d’une reproduction de la Joconde, de sacs en plastique remplis d’eau, dans le pays des quatre barrages où une grande partie de la population vit sans eau courante (100 francs le bidon d’eau) et sans électricité.

 

Censure, répression, superstitions et vénalité de l’église et de l’Etat sont  un programme permanent ainsi qu’une seule certitude : L’instant présent.

 

En face, Renaud Barret choisit de nous montrer la vitalité des performances de certains artistes, quelques moments de leur conscience et certaines de leurs rencontres avec la population qui les environne. «  Des artistes, ici à Kin ? » demande un homme.

 

On y croise d’abord Freddy Tsimba qui explique plus tard avoir eu la chance de percer «  le mur invisible » qui sépare l’artiste solitaire et pauvre de celui qui est reconnu internationalement et estime avoir la responsabilité de laisser la porte ouverte derrière lui.

On y voit Géraldine qui accepte de respirer des «  fumées toxiques » lorsqu’elle crée et qui a compris qu’elle était « liée à la fumée ».

Béni, orphelin de père belge et de mère congolaise quand il avait six ans, aimerait quitter ce pays de « merde » ( la RDC ) mais explique que les Belges et lui, «  On ne se comprend pas » et, aussi, qu’il s’est « synchronisé avec le plastique ». Suivent d’autres performances et d’autres artistes.

Devant Système K, on ne sait pas si l’on est devant notre futur ou devant le passé. Mais ce qui est sûr, c’est que ce système est déjà le présent de certaines et certains d’entre nous.

 

Je me demande ce qu’en a pensé la très bonne revue Awotélé consacrée aux cinémas d’Afrique.

Franck Unimon, ce jeudi 13 février 2020. 

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Cinéma

Selfie

Après Marche avec les loups   Selfie, donc. Plusieurs milliers d’années d’évolution- et de massacres- afin de pouvoir continuer à nous consacrer avec de plus en plus de moyens à nos plus grandes idoles:

 

Notre image et nos émotions.

 

Il y avait plus de monde dans la salle de cinéma, à la  séance de 9 heures du matin, pour venir voir Selfie que Marche avec les loups.

Nous étions à peu près quatre ou cinq pour Marche avec les loups dont un homme avec des bottes en caoutchouc. Et près d’une vingtaine ou plus, la veille à la même heure, pour Selfie.

 

Les deux œuvres sorties le 15 janvier 2020 ont des attraits différents. D’un côté, avec Selfie, nous avons une comédie avec des personnalités que l’on aime bien ou que l’on découvre : Voir Blanche Gardin dans la bande annonce m’a tout de suite donné envie d’aller voir ce film. Mais le film a d’autres cartes à jouer avec Elza Zylberstein, Maxence Tual, Max Boublil, Manu Payet, Fanny Sidney (découverte dans la série Dix pour cent), Estéban, Finnegan Oldfield, Haroun, Sam Karmann, Marc Fraize  et d’autres qui me reprocheront peut-être – mais j’espère qu’ils arriveront à me le pardonner- de les « oublier » dans cette liste.

D’un autre côté, dans Marche avec les loups, nous avons un film documentaire réalisé par Jean-Michel Bertrand, la soixantaine, pas sexy, peu connu,  sauf par quelques loups,  des écologistes, des adeptes des documentaires animaliers, dont son précédent, ou par les quelques unes et quelques uns qui ont envie de le tirer comme un pigeon. On aurait mis comme titre Mike Horn part se battre avec des loups ou Rocky avec les Loups, cela aurait sûrement plus donné envie de venir. Mais, là, une marche avec des loups alors que l’industrie des trottinettes électriques, des vélos pliables et des engins motorisés personnels est en pleine croissance… Bien des spectateurs ont sans doute préféré éviter cette aventure même si, à mon avis, le film Selfie et le documentaire de Jean-Michel Bertrand ont bien des points communs.

 

Pour le dire très grossièrement : les loups dont Jean-Michel Bertrand veut croiser le regard, au moins regardent-ils vraiment ce qui les environnent. Et ils sont aussi de moins implacables prédateurs que celles et ceux que nous engraissons et au devant desquels nous allons souvent volontairement en consommant. Peut-être parce-que consommer en tout genre- et payer pour cela- nous permet d’obtenir en échange un Savoir magique et une protection. Et comme les effets de ce Savoir et de cette protection ne durent pas, il nous faut consommer/acheter à nouveau ces éléments qui semblent nous permettre de les obtenir ou de nous en rapprocher. Ce besoin de Savoir et de protection et, aussi, de conquête, remonte bien chez l’être humain à l’époque des loups. A l’époque où l’être humain a dû apprendre à vivre et à survivre sur le territoire des loups ou d’un autre prédateur en chair et en os. Aujourd’hui, il existe par exemple des prédateurs numériques, économiques et industriels bien plus coriaces. Le documentaire de Jean-Michel Bertrand nous le dit dans une forme et un langage peut-être anciens qui ne parlent déjà plus à beaucoup d’entre nous. Mais la comédie Selfie nous le dit aussi d’une autre façon ainsi qu’avec une plus grande cruauté qu’on minimise comme à chaque fois que l’on rit et que l’on est capable de rire d’une tragédie. Parce-que tant que l’on peut rire, on a l’impression de garder encore un peu le contrôle sur ce qui nous échappe. Alors qu’il nous est tout de suite impossible de rire lorsque l’on rencontre un loup et d’ajouter :

 

«C’est bon, je contrôle ».

 

 

Ajoutons à cela, presque au milieu de ces deux séances de cinéma …la mort de Kobe Bryant. Du basketteur américain Kobe Bryant que, bien-sûr, tout le monde « connaît », dans l’accident de cet hélicoptère qu’il pilotait à première vue.

Cette mort,  alors que Kobe Bryant était âgé de 40 ans et accompagné de sa fille de 13 ans,  a connu et connaît un très grand « retentissement » médiatique. Même le Président américain Donald Trump, plus « vertueux » pour la haine et les tweets belliqueux à tout propos s’en est « ému ».

 

Comme beaucoup de monde s’est déjà exprimé à propos de votre mort, Monsieur Kobe Bryant, j’aimerais, à mon tour, m’exprimer :

Mourir à quarante ans, au départ, c’est très moche. Surtout aujourd’hui où l’on peut vivre jusqu’à 70 ou 80 ans si l’on sait éviter les selfies qui nous font le coup du lapin. A condition bien-sûr d’avoir la santé et une retraite décente afin d’éviter de devoir aller pointer à l’Armée du Salut ou de devoir partir pour aller faire la manche dans la rue où à  la sortie des magasins. Et, vous, Monsieur Kobe, après nous avoir tant fait rêver sur un parquet de basket, vous aviez tout ce qu’il fallait pour continuer d’avoir une vie de rêve. Une vie que nous aurions été nombreux à souhaiter avoir et que nous aurions consciencieusement peut-être fait connaître moyennant quelques selfies ou vidéos sur Youtube ou les réseaux sociaux à la façon de tant d’autres célébrités et personnalités que vous avez sûrement rencontrées et inspirées.

 

 Mais, je souhaiterais que vous reveniez dunker au moins une fois pour nous refaire la démonstration suivante et mettre tout le monde d’accord sur un point :

 

Vous êtes mort trop vite et c’est très triste. Et je ne pense pas à votre fille de 13 ans dont la mort est tout aussi triste. D’abord, je pense à ces autres passagers qui sont morts avec vous et dont personne, apparemment, n’a rien à faire. Pour votre fille et vous, j’ai vu l’image d’une jolie fresque géante et souriante qui honore déja votre souvenir en attendant d’autres nombreux témoignages de « notre » très grande affection pour vous. On peut s’attendre à ce que des pélérinages  aient lieu à certains endroits où seront disposés des éléments de votre mémoire.

Par contre, en dehors de votre fille, pour celles et ceux qui étaient dans l’hélicoptère avec vous, rien ! Leur fait le plus mémorable sera de s’être écrasés avec vous mais on ne retiendra ni leur nom, ni leur visage, ni leur âge et ni leur histoire. Parce-que nous sommes comme ça, Monsieur Kobe Bryant, vous le savez bien.  On vous retiendra vous et votre fille. En cela, nous respecterons fidèlement, sans doute, ce que vous avez toujours voulu. Marquer l’Histoire.

 

 

Ensuite, malheureusement, vous n’êtes ni le premier ni le dernier être humain  à mourir bêtement en dehors de votre domaine de prédilection où vous étiez un demi-dieu. Tel grand champion d’escalade à mains nues est ainsi mort en tombant dans les escaliers. Tel autre très grand alpiniste s’est tué lors d’une ascension « facile ». Les exemples sont nombreux. Vous pourrez en discuter avec ces personnes ainsi qu’avec quelques anonymes qui ont connu la même fin entre deux ou trois dunks que vous saurez, j’en suis sûr, faire admirer dans l’au-delà.

Dans Selfie, réalisé par cinq réalisateurs, le couple parental joué par Blanche Gardin et Maxence Tual est un corps perdu dans la recherche du nombre de vues. Il y a du Marina Foïs dans le personnage de Blanche Gardin. Je pense à la Marina Foïs du Le Grand Bain de Gilles Lellouche. Et au côté « limite » de leur jeu : elles peuvent toutes les deux dire et commettre des horreurs avec délicatesse, humour et innocence. Cela rappelle un peu le jeu de Marie Trintignant. Et l’affection que l’on peut avoir pour ces trois femmes et actrices.

Face à Blanche Gardin, Maxence Tual est extraordinaire dans sa version 3.0 du raté lambda qui se croit artiste du réel. Et leurs trois mômes font partie du gros lot de Selfie.

Cinq réalisateurs et autant de scénaristes, ça donne un film à sketches autour des réseaux sociaux et de l’omniprésence du numérique et de la technologie qui se sont substitués à notre pensée, nos connaissances et à nos intuitions. Les réseaux sociaux et les nouvelles technologies sont devenues les expériences ultimes. Celles pour lesquelles on est prêt à tout afin d’entrer dans leurs cases et critères. Pour en utiliser les pouvoirs et les Savoir magiques.

Pendant la Seconde Guerre Mondiale, les nazis utilisaient de la pervitine pour être performants malgré le fait que les rats testés en laboratoire avec ce produit finissaient par se ronger les pattes ( article de Sorj Chalandon à propos du documentaire Hitler, blitzkrieg et drogues de Jason Sklaver ( Etats-Unis) dans Le Canard Enchaîné de ce mercredi 29 janvier). Dans Selfie, on bouffe de façon illimitée des réseaux sociaux et des nouvelles technologies jusqu’à en ronger tout notre environnement personnel et mental.

«  Je désire qui, putain ?! » finit par se demander Manu Payet qui s’en remet à l’algorithme qui lui fait régulièrement des suggestions d’achat personnalisées.

 

 

Dans selfie , le reste et les autres ne comptent plus vraiment. Ils font partie du décor.

«  Les gens, c’est pas important ». «  19 millions de vues, c’est plus Qu’intouchables ».

 

Le film a ses chutes de tension. Vers la fin, ça ressemble aussi à l’agitation de rats dans un laboratoire. Mais entre-temps, on aura vu du monde tirer un portrait juste- même dans ses caricatures- et très drôle de notre époque. Bien-sûr, il y a une bonne quantité « de scènes et de répliques potentiellement cultes »

 

Selfie n’est pas un chef d’œuvre mais je crois que face à lui,  il existera trois grosses catégories de personnes :

 

Celles et ceux qui regretteront d’avoir été absents de son casting. Celles et ceux qui l’ont vu. Et celles et ceux qui ne l’ont pas (encore) vu.

 

Même si je ne crois pas qu’il fera plus d’entrées Qu’intouchables.

 

Franck Unimon, ce vendredi 31 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

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Cinéma Ecologie

Marche avec les loups

Photo issue du site allociné comme les suivantes.

Pour cause de Selfie hier ( film réalisé par Thomas Bidegain et Marc Fitoussi), ce matin, je suis allé voir le documentaire Marche avec les loups de et avec Jean-Michel Bertrand. Avant qu’il disparaisse sans doute rapidement des écrans.

 

Afin d’avoir le droit d’obtenir ma place dans une salle de cinéma et voir marcher Jean-Michel Bertrand dans les Alpes et le Jura,  j’ai d’abord dû accepter d’entrer dans les transports en commun parisiens bondés aux heures de pointe.

Il y a plusieurs années, quelqu’un m’avait résumé de cette façon une « soirée qui craint » :

« C’est une soirée où tu payes dix balles l’entrée, où il n’ y a pas de meuf et où tu sais qu’à un moment donné, quelqu’un va s’embrouiller avec un autre ».

 

Ce matin, il n y a pas eu de torsion de vocabulaire ou d’action circulaire dans le train Bombardier. Mais il y a eu une promiscuité intermittente avec une certaine haleine testamentaire ou avec un abcès dentaire. Je n’ai pas cherché à en savoir plus.

En pleine inquiétude à propos de la Chine qui, en plus d’être de plus en présentée comme une menace fantôme et visible d’un point de vue économique et identitaire, nous « envoie » maintenant sa grippe mortuaire, il a fallu refaire connaissance avec la persistance. 

 

Au début de son documentaire réalisé en 2018, Jean-Michel Bertrand nous apprend être parti marcher dans les Alpes « pendant trois ans et avec une seule obsession : croiser le regard des loups». On le suit donc dans les Alpes et le Jura, plutôt en hiver,  jusqu’à moins dix neuf degrés. Son voyage ressemble au chemin de Compostelle vers la vie sauvage. Même si Jean-Michel Bertrand nous le dit :

 

«  La frontière entre le sauvage et ce qui ne l’est pas est illusoire ». Il est vrai que dans une soirée qui « craint » ou dans des transports en commun dégoulinant de monde, vouloir s’asseoir peut revenir à prendre le risque de s’exposer à un coup de rasoir. Mais on est très loin de tout ça dans le documentaire de Jean-Michel Bertrand. Alchimie de l’homme du « passé » et de l’homme  «connecté » avec son matériel de campeur de pointe,  ses caméras automatiques et son téléphone portable qui lui transmet des images et des vidéos en temps réel, Il nous guide dans un monde oublié parce-que nous l’avons fui et abandonné pour le profit total de la modernité. Et aussi parce-que nous sommes originaires d’autres cultures du monde.

 

 

 

Lorsque l’on regarde Jean-Michel Bertrand, on se dit que l’électricité rime aussi avec l’obscurité  d’un certain nombre de nos activités qui nous semblent si importantes. Alors que si l’on prenait vraiment le temps de faire le tri, on s’apercevrait que bien avant l’invention du GPS, d’internet et de nos applications mobiles, nous nous étions déjà perdus. La comédie Selfie  parle de ça d’une autre façon.

Jean-Michel Bertrand nous dit aussi :

 

« La force du loup, c’est le groupe ». On retrouve ça chez bien des groupes humains hostiles comme amicaux. Pourtant, on dit aussi que nous vivons de plus en plus dans une société individualiste où c’est « chacun pour soi ». Et, lors de mon trajet de quelques minutes dans mon train bondé de ce matin pour rejoindre Paris,  puis dans le métro, seules les personnes qui se connaissaient déjà sont restées ensemble. Toutes les autres, la majorité, ont juste composé les unes avec les autres comme elles le pouvaient, le temps du trajet, sans se rencontrer. Avant de rencontrer celles et ceux avec lesquels elles sont présumées être ensemble au travail, à la maison, dans un commerce ou dans une administration.  

 

Et c’est comme ça tous les jours depuis des années. On peut être hyper-connecté mais sans se calculer. Sauf pour s’insulter, s’épier ou pour se menacer.

 

 

Marche avec les loups, c’est le contraire de ça. Même si Jean-Michel Bertrand est le seul humain que l’on voit au premier plan. Il nous donne son avis sur cette haine pour le loup qui provient selon lui de croyances médiévales. Il nous parle du loup mais je me dis que d’autres défendent les requins et les ours comme lui, défend le loup. Et, bien-sûr, j’ai repensé au livre de Nastassja Martin, Croire aux fauves . Ainsi qu’au film The Ride de Stéphanie Gillard. Ce sont des œuvres-frontières entre le passé et le présent. Entre l’inhumain et l’humain. Entre l’innommable et l’inhumé. 

Jean-Michel Bertrand cite Robert Hainard, un écologiste oublié qui, devant la destruction de la nature, a pu dire ou écrire :

« On me tue mon infini ».

 

On peut voir ce documentaire de Jean-Michel Bertrand comme seulement fait de très belles images de la nature, de loups et d’autres animaux. On peut le voir comme un Into the Wild décaféiné et monastique. Comme un manifeste pro-loup, ce qui a beaucoup déplu à certaines personnes qui ont voulu empêcher sa sortie. ( Je crois que Jean-Michel Bertrand a aussi reçu des menaces de mort).

 

Mais on peut aussi voir Marche avec les loups comme une œuvre qui s’escrime à nous faire percevoir l’infini. Ce qui est quand même beaucoup mieux que d’attendre de retrouver le quai , dans un train ou dans un métro bondé, alors que celui-ci est arrêté sur la voie ferrée plutôt que sur la voie lactée.  

 

Franck Unimon, mardi 28 janvier 2020. 

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Argenteuil Cinéma

Les Cinglés du cinéma à Argenteuil

A Argenteuil, dans certains endroits, on entend et on voit régulièrement une voiture de police. C’est ma fille qui me l’a fait remarquer tout à l’heure. ça me rappelle un ami parti vivre depuis à Pondichéry qui, lorsqu’il habitait encore Sarcelles ( dans une cité HLM), m’avait dit un jour :

« A Sarcelles, on entend tous les jours la sirène d’une voiture de police ! ». 

 On pourrait très facilement comptabiliser au  millimètre et à la microseconde près toutes ces incivilités et ces nuisances qui gênent ou inquiètent. Jouir du désastre que l’on observe en permanence au microscope a ses avantages :

Cela donne un très fort sentiment d’invincibilité et de supériorité. On se sent très au dessus du lot. Si tout était parfait, on se sentirait désoeuvré et inutile. Et on déprimerait rapidement. Alors que là, on a plusieurs combats à mener afin de sauver et critiquer tout le monde qui nous entoure. Même si celui-ci, bien-sûr, ne nous mérite pas.  

Mais laissons à d’autres ce genre de pensée. Pendant que la police et d’autres services ( au moins sociaux et sanitaires) opèrent dans la ville d’Argenteuil (et d’ailleurs) celle-ci reste à vivre. Prenons le temps de faire une pause. Ce week-end,  la foire internationale Les Cinglés du cinéma se déroule à nouveau à Argenteuil. Le cinéma japonais est le thème de cette 32 ème édition. Nous y avons passé trop peu de temps pour détailler l’événement. Mais assez pour prendre quelques photos. L’ambiance y était détendue et on n’y a entendu aucun bruit de sirène de police. Bientôt, aura à nouveau lieu au même endroit, toujours à Argenteuil, dans la salle des fêtes Jean Vilar, Le Salon du livre et des lecteurs. Pour y être également déja allé plusieurs fois, je crois que là aussi, on n’y entendra pas de sirène de voiture de police. Sauf si c’est prévu dans l’animation de l’événement.

 

Franck Unimon, ce samedi  25 janvier 2020. 

 

 

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Echos Statiques

Cratères de lacunes

 

 

En Rap, j’ai des cratères de lacunes. Je vois et j’entends parler de différentes cultures de Rap : elles sont si nombreuses qu’elles semblent venir d’une carrière mystérieuse. Bien-sûr, c’est tout simplement parce-que je ne suis pas à la page. Je devais faire mes courses chez Picard ou lire la notice de la machine à laver pendant toutes ces années où ces déclinaisons du Rap se sont développées.  Et puis, il y a des tempéraments.

 

Il y a le Rap conscient. Hardcore. Et celui de la réclame. Il y a le Rap domestiqué par les maisons de disques.  Celui où le mécano d’une crame hypnotique et funéraire prend les neurones des autres pour les prochaines étapes de sa chaine de vélo.  Le Rap où l’on crâne et où, sans fin, on se retape les fesses et la carrosserie comme si on était dispensé de la moindre obligation sanitaire.

 

Multiple, récidiviste et mutant, le Rap est comme l’existant. Antidote aux cellules de formol dans lequel sont capturées bien des bouches et des présences privées, plusieurs fois par jour, de parole, d’électricité et d’oxygène, le Rap est le genre musical le plus écouté en France depuis des années. Ne pas l’écouter, ne pas l’avoir écouté, ne serait-ce qu’un tout petit peu, même en se cachant en sachet, c’est être marginal, retraité ou congelé.

 

Il y a quelques jours, écouter et voir des clips de Rap m’a remonté. Et, encore plus récemment, en quittant certains amis, je me suis dit que je vivais un  certain dédoublement de personnalité car il m’était impossible de les imaginer écoutant ou dansant sur du Rap. Pourtant, j’écoute assez peu de Rap.

 

Pourtant, le Rap est l’équivalent du Blues. Du Maloya et du Gro-Ka.  Le cousin de la techno. Il bouscule le Rock. Doit quelque chose au Funk, au Reggae, au Jazz et peut-être même au Gospel pour certaines têtes. Il est un dédale en furie et une musique  dégénérée pour certains  hémisphères cérébraux. Avec le sexe, la mort, la drogue, la folie, le fanatisme, la faim, l’amour, le désespoir, la pauvreté, le nucléaire et le napalm, il n’y a peut-être pas d’expérience plus extrême et plus personnelle que la musique qui est un échantillon de tout cela et qui, en quelques mesures, nous en fait le rappel. De ce que nous sommes sur terre, de nos combines pour continuer, de ce qui nous arrête, nous pousse et nous conditionne.

 

Ce qui fait du bien à notre corps en mercure sera du cyanure pour celle ou celui d’à côté. Iconoclaste ou icônes de clash, le Rap permet le grand écart. Mais contrairement à la musique classique, la grâce n’est pas ce qui est recherchée en premier.  On entendra peut-être un jour une rappeuse ou un rappeur dérouler des entrechats avec une voix et une diction de kora.  La grâce, c’est ce que l’on voit en premier chez celles et ceux qui sont au sommet et qui pourraient aussi tomber car ils n’auront pas su bien se défendre. Et, le Rap, c’est le moment de la revanche plutôt que de la défaite. Une revanche, c’est toujours bon à prendre. Je ne connais personne qui affirme :

« Moi, surtout, ce que j’adore avant tout dans la vie, c’est perdre ! ».

 

Le Rap peut être le voisin, le collègue, le conjoint, l’ami, l’enfant  ou la police, qui, régulièrement, vient vous interrompre au plus mauvais moment pour vous.  Et vous allez devoir vous y remettre. Réinstaller les syllabes. Digérer le souffle en six balles. Parcourir des séries de typhon l’horizon. Garder sa constance entre quatre sons.

« Papa, t’étais où ?! ». Au turbin, mon enfant. J’ai essayé de fuguer. De refuser la tapine. J’ai obtenu quelques victoires même si on ne m’a jamais donné de médaille et que l’on ne me verra jamais me faire homologuer sur grand écran ou à la télé. Mais j’ai attrapé la routine. Quand tu me regardes, si tu me regardes, fais en sorte, si tu peux, avant que l’artère de la dernière thune me confisque mon dernier souffle pour un énième défaut de paiement, de voir autre chose qu’un pansement en 3D et  un adulte qui a échoué. Car ton regard sera ce qui restera de moi. Au fait, n’oublie jamais :

Le sanibroyeur du 2ème empêche de dormir au 1er et au 3ème.

Rappelle-toi aussi ce qu’a pu dire Tricky, autodidacte de la musique :

 

« Seule compte l’énergie ! ».

 

Franck Unimon

 

 

 

 

 

 

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Crédibilité

Crédibilité 3

                                                                    

 

Une gueule à connaissances

Il y a deux ans et demi (en juin ou juillet 2017), dans mon hôpital, j’ai  postulé pour travailler dans un service réputé dans le traitement des addictions.

J’ai postulé trois fois. Ma dernière candidature date de novembre 2018. Trois « échecs ».

 

Je me suis mal vendu au moins lors d’une de ces trois candidatures.

 

Mon CV est bon à ce qui m’avait été répondu lors de ma troisième et dernière  candidature à ce jour. Autrement, m’avait-il été expliqué, on m’aurait dit dès le début que mon profil ne convenait pas.

 

Aujourd’hui, j’ai effectué un peu plus de dix remplacements dans ce service. Si je le peux, je compte en effectuer davantage. Pas seulement pour des raisons financières.

 

Lors de ces remplacements- où je suis payé en heures supplémentaires comme tout(e) infirmier(e) volontaire de mon établissement venant combler une pénurie de personnel sur ses heures de repos ou sur ses congés- cela se passe plutôt bien avec les divers collègues de ce service. Ainsi que pour moi. Ni cauchemars, ni nausées.

 

Lors de ces remplacements, les échos sont bons à mon sujet. C’est, aussi, ce qui m’avait été répondu lors de ma troisième candidature il y a un peu plus d’un an.

 

 

Officiellement, ce qui me desservirait, ce serait «  mon manque d’expérience –professionnelle- dans les addictions ». Je ne crois pas à cette histoire. Mais je laisse celle qui, plusieurs fois déjà, me soumet à cette condition, se la raconter. Je suis l’outsider. Je n’ai pas le pouvoir de la contrer.

 

Mais, historiquement, je sais que ce service où j’ai postulé trois fois a embauché avant moi dans le passé- et dans un présent récent- avant moi des infirmières et des infirmiers de différents âges qui n’avaient aucune expérience professionnelle ou même personnelle, ou alors une petite, dans le domaine des addictions. Je le sais car je m’intéressais déja à ce service plusieurs années avant d’y postuler. Avant même qu’y travaille celle qui, aujourd’hui, m’explique qu’il faut impérativement une expérience dans le domaine des addictions pour pouvoir prétendre y exercer.

 

Et, je le sais aussi, parce-que j’ai discuté avec plusieurs infirmières et infirmiers qui y travaillent ou y ont travaillé. Le monde de la Santé est aussi un petit monde pour les infirmières et infirmiers. Et, en discutant, on peut découvrir qu’untel ou untel a travaillé dans tel service. Et quel avait été son parcours professionnel voire personnel auparavant.

 

Lors de ma troisième candidature, on s’était étonné l’air de rien du fait que, depuis ma première candidature, je n’avais fait aucune démarche afin de suivre une formation dans le domaine des addictions. J’avais alors répondu que j’étais « volontaire » pour suivre des formations. « L’échange » s’était arrêté là sur ce sujet. Même si on s’était empressé de me dire que cette remarque était sans conséquence particulière, j’avais pressenti que j’avais de nouveau « fauté » lors de cette nouvelle candidature. Je m’étais néanmoins exclamé :

« Mais si vous ne m’embauchez pas, je n’aurais jamais l’expertise ! ». Silence de mes deux interlocutrices. «  On te rappellera à la fin du mois mais sache qu’il y a d’autres candidats qui ont de l’expérience dans les addictions et qui ont des projets… ».

 

Dans mon service, quelques mois plus tard, on me refusait finalement la possibilité de suivre un D.U en addictologie. D’une part parce-que les budgets de formation de l’hôpital étaient de plus en plus difficiles à obtenir. Et d’autre part parce-que l’on avait appris mes intentions d’aller travailler dans ce service spécialisé dans les addictions. Aussi, ma hiérarchie estimait-elle que c’était plutôt à ce service spécialisé dans les addictions, et faisant partie du même hôpital, de me payer cette formation.

 

Selon moi, des raisons personnelles – que je ne peux pas définir avec précision pour l’instant- expliquent cette discrimination à l’embauche que je vis depuis un peu plus de deux ans dans mon hôpital lorsque je parle de ce service spécialisé dans le traitement des addictions.

 

Je ne parle pas de discrimination raciale.

 

Je crois qu’il y a quelque chose dans ma personnalité, qui a déplu, a dérangé ou effrayé lorsque je me suis présenté pour un poste dans ce service. Même si on y recherche  «  des profils atypiques ».

 

Je pense m’être très mal vendu au moins lors d’une de mes trois candidatures. J’ai sans doute exposé trop d’assurance. J’ai sans doute déstabilisé quelqu’un lors d’une ou plusieurs de mes candidatures. Il est vrai qu’avec mon expérience et mon CV, j’étais très « sûr » de moi au moins en apparence. Or, je peux aussi être bon comédien. Et, lorsque l’on est bon comédien, on réussit très bien à faire passer l’apparence pour soi-même. Même si ça peut nous desservir en dehors d’une scène de théâtre ou du plateau de tournage d’un film. Au travail comme dans la vie. Il est ensuite plus difficile voire impossible de rattraper l’image que l’on a donnée de soi. Avec laquelle on a marqué son territoire, son auditoire ou ses interlocuteurs.

 

J’ai peut-être été trop franc et trop direct. Ça peut faire peur. Après tout, il est bien des personnes rusées qui, en prime abord, font profil bas. ça plait, ça console, ça flatte et ça rassure car on estime que l’on pourra- au besoin- en disposer comme du bétail docile. Eduquer ou convertir cette personne. Parfois, une fois dans la place, le bétail docile du départ peut se révéler être fait de braises, de rocaille. Mais c’est trop tard. On fera avec puisqu’on l’a choisi. Comme en Amour, on peut rester avec une ou un partenaire que l’on a choisi même quand ça se passe mal. Et puis, on sait que dans chaque équipe, il y a un certain pourcentage de personnel plus ou moins instable. La gestion de personnel fait partie du travail.

 

Je pourrais aussi me dire que mon échec est un acte manqué car j’étais encore trop indécis : que je me suis rendu au moins à ma première candidature avec une certaine ambivalence. Que celle-ci m’a fait « déjouer », m’a rendu moins attractif et fait rater mon casting. 

 

 Je suis aussi allé jusqu’à me demander si, lors de mes candidatures, mes interlocuteurs et futurs cadres et collègues potentiels, telles des puissances extralucides surnaturelles, avaient pu percevoir en moi un potentiel addict ou celui qui, plutôt que de postuler comme infirmier, ferait peut-être mieux de consulter comme client ou patient.

 

Je me suis aussi demandé si j’étais apte à travailler dans ce genre de discipline. Je suis peut-être trop lisse. Trop normal. Trop déformé par la psychiatrie.

On peut très bien vouloir travailler dans un service prestigieux et ne pas disposer des capacités personnelles suffisantes. Ou ne plus être fait pour cela.  Je ne peux pas prétendre tout connaître de moi et, d’ailleurs, j’ai toujours affiché lors de mes candidatures ma grande ignorance dans le domaine des addictions. Et je le croyais sincèrement. Même si c’est faux.

 

En deux ans et demi, un peu à la façon des thèmes astrologiques,  j’ai eu le temps de laisser infuser dans ma tête le thème des addictions. Les addictions sont multiples. Le plus souvent, on pense d’abord aux addictions avec substance. Alors que l’on sait que se sont développées les addictions aux écrans,  aux dépenses en tout genre en ligne comme dans les magasins physiques que ce soit lors des périodes des soldes comme en ce moment ou en dehors de ces périodes, au sucre, au sexe etc….

 

Donc, que ce soit passivement ou en tant qu’acteur et consommateur, j’ai évidemment comme tout citoyen « normal » mes expériences personnelles en tant qu’addict. Et comme tout citoyen « normal » qui veut se faire bien voir, lors de ma première candidature, j’en ai eu honte. J’ai alors affirmé sans chercher à comprendre que, non, moi, Franck Unimon, je n’avais pas d’addiction !

 

Mais cela est plus comique que rédhibitoire à mon avis. Personnellement, ce déni me fait sourire lorsque j’y repense.  Aussi, je ne crois pas que ce soit là que je me sois le plus mal vendu en tant que postulant.

En attendant, je considère comme peu crédible et très ambivalente cette croyance ou ce principe selon lesquels, pour être embauché, seule me manquerait une formation en addiction.

Parce-que, par ailleurs, mon CV est « bon ». Et, je suis un professionnel rassurant lorsque je viens effectuer des remplacements. « Cela me rassure que ce soit toi » m’a t’il par exemple été dit lors d’un de mes derniers remplacements. Juste après avoir fait la découverte suivante : « Unimon, c’est toi?!». Ce jour-là, après mes trois candidatures pour rien et ma dizaine de remplacements, j’ai fini par reconnaître :

 

« Oui, Unimon,  c’est moi ! ».  « Je suis content de savoir que je te rassure ! ».  Mimique pincée de mon interlocutrice qui a alors tenu à m’assurer de sa sincérité ! C’était il y a deux ou trois mois.

 

Un an plus tôt environ, après ma troisième candidature, et voyant que personne ne me rappelait comme on s’y était engagé,  j’avais un moment fini par me changer en colère. Puis, avec le concours de ma compagne, je m’étais raisonné. Me mettre en colère n’allait rien changer. Par contre, je pouvais continuer de me former en retournant effectuer des remplacements dans ce service où j’avais plaisir à me rendre lorsque je le pouvais.  Cela me permettrait par ailleurs de continuer de m’assurer que je ne suis bien à ma place et dans mon rôle dans un service d’addiction en tant que professionnel. Et, aussi, d’étoffer mon CV.

 

Mais il fallait quand même, à un moment donné, suivre une formation dans le domaine des addictions. Pour moi. Plus que pour me plier à cette obligation de formation théorique qui rassure et flatte surtout celle qui m’a servi cet argument ou ce prétexte :

 

Mon parcours personnel et professionnel en tant qu’infirmier (mais aussi au moins en tant que journaliste et en tant que comédien)  dit tout le contraire de cette obligation de formation très très scolaire.

 

Initialement, je suis infirmier diplômé en soins généraux. Ce qui signifie que si l’on regarde scolairement mon diplôme, on m’enverrait travailler dans un service de soins généraux en médecine ou chirurgie. Même si, lors de nos études et même après l’obtention de notre diplôme, nous comprenons très vite, en pratique, que nous avons beaucoup à apprendre. Comme tout étudiant d’une école de cinéma ou tout élève de conservatoire de théâtre s’aperçoit très vite qu’il a peut-être un très beau diplôme d’un institut prestigieux mais, sur le terrain, il va devoir se modeler sur son nouvel environnement professionnel, à de nouveaux rôles et à de nouvelles situations prévus et imprévus. Et s’y frotter.

Une fois diplômé en tant qu’infirmier, et après avoir tenté plusieurs fois l’expérience dans différents services par intérim, de nuit comme de jour, je m’étais aperçu que le milieu général me bouchait l’horizon en tant qu’individu. Je me suis rappelé de mes bonnes impressions lors d’un de mes stages en psychiatrie adulte. C’est comme ça que j’ai débuté ma carrière d’infirmier en psychiatrie adulte il y a bientôt trente ans. Malgré les inquiétudes répétées de ma mère qui craignait que je devienne « fou » et qui m’exhortait, aussi, à reprendre ma licence d’Anglais à la Fac. Pour la licence d’Anglais, j’aurais dû l’écouter mais j’avais été dépité par l’enseignement de l’Anglais, à la Fac, où l’on nous demandait beaucoup de technique, beaucoup de théorie et, aussi, beaucoup de par cœur. J’ignorais que cela pouvait s’arranger ensuite. Et, je me sentais très bien dans le milieu de la psychiatrie adulte. Personnellement. Professionnellement. J’avais un poste attitré et je gagnais ma vie correctement en effectuant des trajets confortables pour me rendre au travail.

 

Puis est arrivé le « virage » en pédopsychiatrie. Là aussi, j’aurais pu dire, et je l’ai dit d’ailleurs, que je n’y connaissais rien en pédopsychiatrie comme en psychiatrie adulte à mes débuts. Et comme pour les addictions. Là aussi, même s’il m’a fallu me former et affiner, c’était faux :

je savais des choses dans le domaine de la pédopsychiatrie comme dans le domaine de la psychiatrie adulte. Mais j’ai dû apprendre d’autres enseignements. D’autres codes relationnels. Ce que j’ai fait au contact des autres. Mes collègues. Les patients. J’ai aussi suivi quelques formations théoriques. J’ai également lu par moi-même. Je crois beaucoup au fait que certaines lectures, expériences, rencontres et découvertes que l’on peut faire dans différents domaines a priori très éloignés les uns des autres peuvent se recouper. Et que cela nous permet de mieux assimiler et pratiquer une discipline. Peut-être davantage qu’en subissant un cours théorique mécanique et informe dont certains  enseignants  semblent autant subir le corps et la durée que celles et ceux qui y assistent et y participent en tant qu’élèves et étudiants.  

Question un peu tendancieuse :

Un « bon » dealer doit-il obtenir un D.U en addictologie ou un diplôme d’une bonne école de commerce  pour réussir ? Ou apprend-t’il son métier par transmission et par entraînement au contact- répété- d’un certain milieu et de certaines connaissances ?

La réponse se passe, je crois, de démonstration. Mais si l’on doit parler de faire et de suivre des études théoriques, je suis preneur.

 

Pourvu que le menu des études résulte de mon choix, J’ai un assez grand plaisir à manger de la connaissance. Certaines personnes sont des « gueules à cannes ( à sucre) ». Je fais partie des personnes qui- dans certains domaines- ont une gueule à connaissances :

Théorique, intuitive mais aussi par le biais des rencontres, des discussions, de l’observation et de la réflexion. Même si je peux être très lent, aussi.

Mon problème n’est pas de rechigner à faire des études. Mon problème serait plutôt que j’ai encore le vif ressentiment que j’aurais pu, que j’aurais dû, plus jeune, et même aujourd’hui, prétendre à de plus longues études. Les projets d’études sont donc loin d’être rares dans mon esprit y compris dans d’autres univers que celui de la Santé. Et, mon blog, je crois, en donne un aperçu. 

 

J’ai donc un moment envisagé de payer ma formation pour obtenir ce diplôme universitaire en addictologie . Je me suis déjà payé une autre formation il y a plusieurs années. Pour un Brevet d’Etat d’éducateur sportif dont j’avais suivi le cursus sur mes congés personnels. Même si, à ce jour, je m’en suis très peu servi, je ne l’ai jamais regretté.  L’avantage, lorsque l’on paie soi-même sa formation, c’est que l’on ne doit rien à personne. Et que l’on évite aussi toutes ces convulsions administratives qui rendent bien des démarches et bien des initiatives aussi fastidieuses que l’activité d’un transit intestinal hautement colonisé et pourtant obstinément constipé.

 

Près de 2000 euros pour ce diplôme universitaire en addictologie. Et, je suis moins « riche » qu’auparavant.

 

Une responsable à la formation des ressources humaines de mon établissement – que j’ai rencontrée à la fin de l’année dernière- m’a expliqué que ce serait dommage de fournir un tel effort financier. Elle m’a aussi dit qu’à son avis, la motivation importait plus qu’une formation quelconque dans le domaine des addictions pour exercer dans un service d’addictologie. Elle m’a néanmoins encouragé, dès que je le pouvais, à profiter des formations- courtes- qui pouvaient m’être accordées en addictologie. J’avais déjà accepté d’aller suivre la formation en addictologie de quelques jours que mon service m’avait concédé. Depuis, je me suis renseigné sur ces formations internes à mon hôpital et auxquelles je peux accéder sans débourser un sou, sauf pour le déjeuner.

 

 

Ce samedi, après une nuit de travail, lorsque je me rends à cette nouvelle « formation »,  j’ai déja suivi d’autres formations courtes dans le domaine des addictions dans mon hôpital. Dont une, organisée par ce service où j’ai postulé. Service où je suis revenu effectuer un 13ème remplacement, lors de la journée du 25 décembre. Après avoir agréablement et sobrement fêté Noël en famille jusqu’à  trois heures du matin ou plus. La grève des transports se poursuivant depuis le 5 décembre afin de protester contre « la réforme » des retraites décidée par le gouvernement Macron-Philippe, je m’y étais rendu à vélo.

 

Ce samedi matin, je ne crois pas du tout au fait que cette nouvelle formation, pas plus que les précédentes et les suivantes, m’ouvrira davantage les pores de ce service d’addiction où j’avais postulé pour la première fois deux ans et demi plus tôt.  Je suis même devenu ambivalent envers ce service : je veux bien y retourner pour y effectuer des remplacements et continuer d’apprendre. Je crois que je serais désormais assez embarrassé si l’on m’y proposait un poste.

 

Je vais donc à cette formation pour moi. Pour mon plaisir. Mon plaisir est aussi assez agressif car, même si je recroisais ( ce qui est déja arrivé entre-temps en me rendant à une autre formation) celle qui m’a affirmé qu’il me manque de l’expérience et une formation dans les addictions, et que je ne peux donc pas faire partie de ce club très sélect que constitue ce service prestigieux à ses yeux, je sais que je ne lui parlerai pas de ces formations- formelles et informelles- que j’ai commencées à ajouter  ici et là à mon tableau de chasse. Car, oui, de banal candidat à un poste, dans un service, la situation répétée, d’irrespect à mon égard, a fait de moi un chasseur. Et ma proie n’est pas celle que l’on croit.

 

« Transfert et contre-transfert dans les addictions ». Voici ma proie, ce matin-là. Et, elle apparaît à partir de 9h30. A quelques minutes à pied des nouveaux locaux où mon service a emménagé cette semaine, le temps que les locaux originels de notre service  soient rénovés. On estime que les travaux prendront un an. Peut-être plus.

 

Franck Unimon, mercredi 22 janvier 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ecologie Puissants Fonds/ Livres

Croire aux fauves

 

                                                      Croire aux fauves

Terminer un livre. Il n y a pas plus illusoire. Il y a l’idée d’une victoire. Alors que chaque livre devrait nous éjecter de ce genre de croyance. Etre une frontière, une trajectoire. Et nous rapprocher du rêve.

 

Mais nous ne rêvons plus, nous dit Nastassja Martin dans son livre, Croire aux fauves. Nous laissons les atomes et les pixels de nos vies modernes rêver des traces à notre place.

 

A la fin de ma lecture de Croire aux fauves, il y a quelques jours, j’étais hébété :

 

J’étais incapable de me sortir -d’en parler- de ce livre de 151 pages de taille moyenne.

 

Depuis, j’ai cherché un autre médicament, commencé à tourner d’autres pages sans réussir à me décider vraiment :

 

Les Chamans ( Hier et Aujourd’hui) de Jean-Patrick Costa.

 

L’Apothéose des vaincus ( Philosophie et champ jazzistique) de Christian Béthune.

 

Catherine Ringer Et les Rita Mitsouko de Stan Cuesta (avec une préface d’Alfredo Arias)

 

Ecrit sur la bouche de Claude Olievenstein

 

Deep de James Nestor

 

L’An V de la Révolution algérienne de Frantz Fanon dont Abdel Raouf Dafri m’a parlé lors de son interview pour son film Qu’un sang impur… qui sort demain ( Interview en apnée avec Abdel Raouf Dafri ). 

 

Mon père, ce tueur de Thierry Crouzet

 

 

Alors, je passe un peu d’un livre à un autre, comme un alpiniste passerait d’une montagne à une autre. Dans le Ecrit sur la bouche d’Olivenstein, publié en 1995, il y a cette phrase, page 15 : « La bouche garde le souvenir de notre passé (…) ».

Cela peut correspondre avec ce qu’écrit Nastassja Martin en 2019 dans son livre Croire aux fauves, page 113 :

 

«  Le fauve mord la mâchoire pour rendre la parole ».

 

 

Dans Deep, je suis tombé sur ce passage qui raconte que le Capitaine Cook avait embarqué pour un de ses voyages, le chef d’une tribu «  primitive ». Non seulement, celui-ci lui avait fait découvrir un certain nombre de « mondes » (d’autres contrées)  en les lui montrant sur la carte. Mais, quel que soit l’endroit où ils se trouvaient sur la mer, ce « chef » restait capable de situer exactement sur la carte l’endroit où se trouvait son « pays ».

Toujours dans le même livre, James Nestor nous parle d’une autre tribu (aborigène ?) qui, dans son langage quotidien, intégrait en permanence les points cardinaux : nord, sud, ouest, est.

 

Si je me fie à ma pensée cartésienne d’occidental parisien éduqué, « normal », borné et « responsable » de 2020, je dirais que ces sujets et ces livres font partie de mes envies d’exotisme du moment en pleine période des soldes d’hiver. Et que Nastassja Martin, anthropologue, brillante étudiante, élève de Philippe Descola, formée à la psychanalyse, sûrement une très belle femme à «  l’origine », très bonne alpiniste, russophone et sans doute capable de parler d’autres langues en plus du Français,  d’un ( très) bon milieu social, guidée par son arrogance et son sentiment de supériorité, s’est à nouveau  aventurée sur un territoire encore sauvage, dans les montagnes du Kamtchatka ; a fait le voyage de trop en aout 2015 et est tombée sur un ours qui l’a défigurée. Elle lui a résisté et, les yeux fermés, avec son piolet, a réussi à le blesser. Autrement, il l’aurait sans doute tuée. L’ours s’est échappé. Nastassja Martin est une combattante et une survivante. Elle raconte ce que cette rencontre lui a donné dans la peur et dans la douleur. Sans voyeurisme et sans exhibitionnisme.

 

Si je laisse tomber cette corde de pensée, je dirais que je suis en ce moment incapable de regarder un film et de me fixer sur un livre parce-que la poussée animiste du livre de Nastassja Martin m’épouse et me rappelle une histoire perdue qui vient de loin. Mais je ne l’ai pas encore écrite :

Nous sommes surtout doués, désormais, pour savoir nous repérer et nous répéter dans des administrations et des magasins. Pour nous cantonner à certaines de nos fonctions et  à certaines actions à des horaires et des périodes paramétrés. Alors que pour vivre nous devrions plus nous inspirer de nos rêves que des murs qui nous regardent.

 

 

Nastassja Martin, encore, dans son Croire aux fauves, page 121 :

 

 

«  (….) personne n’a écouté Antonin Artaud qui, pourtant, avait raison. Il faut sortir de l’aliénation que produit notre civilisation. Mais la drogue, l’alcool, la mélancolie et in fine la folie et/ou la mort ne sont pas une solution, il faut trouver autre chose. C’est ce que j’ai cherché dans les forêts du nord, ce que je n’ai que partiellement trouvé, ce que je continue de traquer ».

 

 

 

Franck Unimon, ce mardi 21 janvier 2020.