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Scandale

                                                       

 

                                                                    Scandale

 

 

On a pu entendre dire que les AmĂ©ricains des Etats-Unis sont des grands enfants. Savoir qu’un centre d’attractions comme Disneyland a les faveurs de millions d’AmĂ©ricains me laisse encore assez perplexe mĂȘme si j’ai aimĂ© et aimerais encore les Ă©quivalents de ce genre de lieux d’attractions en France. Les Etats-Unis sont aussi vus comme le pays de la malbouffe avec Mac Do, coca-cola et une certaine explosion de l’obĂ©sitĂ©.

 

J’ai lu un jour  que les Etats-Unis d’AmĂ©rique sont la plus grande dĂ©mocratie du monde. 

 

Et l’on sait aussi assez combien les Etats-Unis continuent de diriger le Monde mĂȘme si des Nations comme la Chine et la Russie, et certains de leurs alliĂ©s, peuvent s’opposer assez rĂ©guliĂšrement Ă  ce leadership. Commercialement et Ă©conomiquement pour la Chine. Au travers par exemple de l’histoire du tĂ©lĂ©phone portable de marque Huawei et de la 5 G, auquel se refuse le prĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump. Car, officiellement, cette technologie permettrait aux Chinois d’espionner au moins les AmĂ©ricains qui nous le rendent bien depuis le prĂ©sident Barack Obama- et sans doute avant- avec leur surveillance de masse organisĂ©e avec la complicitĂ© des grandes entreprises telles que Google, Amazon, Facebook, Apple et d’autres en compagnie d’autres pays Ă  l’aise avec cette surveillance ( Australie, Nouvelle-ZĂ©lande, Royaume-Uni
. voir l’affaire Snowden).

 

La Russie de Poutine reprĂ©sente quant Ă  elle un danger militaire, technologique et politique au moins pour les Etats-Unis : un article dans Le New York Times de ce 22 et 23 fĂ©vrier 2020 informe que la Russie a l’intention d’influencer le rĂ©sultat des primaires des dĂ©mocrates en fĂ©vrier 2020 ainsi que celui des Ă©lections prĂ©sidentielles  ( «  (
) including that Russia intended to interfere with the 2020 Democratic primaries as well as the general election Â», article Lawmakers are warned of Russia interference).

 

 

TrÚs avancé dans bien des domaines, les Etats-Unis sont aussi le pays qui peut se montrer trÚs conservateur ou trÚs arriéré selon nos modÚles et nos valeurs.

 

Le film Scandale est fait de tous ces paradoxes. Dans mon article A Voir absolument  Ă©crit hier, je m’exprimais spontanĂ©ment devant l’affiche du film. Dans un certain jargon, on dira que j’ai projetĂ© sur cette affiche certaines de mes pensĂ©es et certains de mes sentiments en la voyant. Et j’en ai profitĂ© pour pousser la caricature et l’autodĂ©rision sans connaĂźtre le sujet du film.  

 

Puis arrive, si on peut se l’accorder, le temps de l’expĂ©rience et l’Ă©tape de la contradiction. Mais aussi, dans le meilleur des cas, celui de la construction ou de la contribution. Ces trois temps, j’ai tenu Ă  me les accorder ce matin vraisemblablement du fait de la prĂ©sence de Charlize Theron et de Nicole Kidman dans le film. Actrices Ă  propos desquelles j’ai Ă©crit le bien que j’en pensais.  Du fait du titre du film. Et parce-que j’ai cĂŽtoyĂ© quelques bouts d’une interview de l’actrice Margot Robbie qui parlait entre-autres de son admiration pour les deux premiĂšres.

 J’Ă©crirai peut-ĂȘtre plus tard sur les Ă -cĂŽtĂ©s de cette sĂ©ance cinĂ©ma car ils me semblent rajouter quelque chose Ă  mon regard sur le film. Mais, en attendant, maintenant que je viens de voir le film Scandale, je peux passer derriĂšre cette vitrine et cette affiche que nous offre constamment les Etats-Unis de New-York. Puisque j’ai dĂ©jĂ  entendu dire que New-York, c’est une certaine partie des Etats-Unis. Une partie des Etats-Unis qui est peut-ĂȘtre la plus mĂ©diatisĂ©e. La plus donnĂ©e en exemple. Celle qui a aussi Ă©tĂ© terrorisĂ©e et agressĂ©e en 2001.

 

Cette vitrine new-yorkaise est faite de personnes travailleuses, ultra-compĂ©tentes, affutĂ©es, bien dans leur corps et Ă  l’aise avec leurs hormones. InvulnĂ©rables. FriquĂ©es.  Leurs sourires permanents ont la soliditĂ© d’un pare-chocs de quatre-quatre. Lorsque le Monde a peur, le visage des Etats-Unis, au moins Ă  New-York et dans ses environs, est celui de celle ou celui qui peut vous rĂ©pondre s’il le souhaite :

 

«  Relax ! On va y arriver ! Je suis l’adversaire de la peur. Vous allez voir, je vais vous monter un bon dossier avec des super-hĂ©ros, un scĂ©nario fantastique, une trĂšs bonne mĂ©decine, de bons journalistes et de trĂšs bons avocats et, croyez-moi, la mort va reculer car nous allons lui donner une bonne raclĂ©e et elle s’en souviendra. Nous sommes en AmĂ©rique, ici !  Â».

 

L’histoire du film Scandale est inspirĂ©e d’évĂ©nements qui se sont dĂ©roulĂ©s en 2015-2016 au sein de la chaine d’informations Fox News qui appartient Ă  Rupert Murdoch, «  32 Ăšme personne la plus puissante du monde/ 76 Ăšme fortune mondiale Â» nous dit wikipĂ©dia et soutien de Donald Trump lorsque celui-ci s’est prĂ©sentĂ© aux Ă©lections prĂ©sidentielles en 2015-2016. Cette derniĂšre information est dans le film. 

 

J’ai peut-ĂȘtre entendu parler de l’affaire « Roger Ailes Â» Ă  l’époque mais je ne m’en souviens pas.

 

Efficace et pĂ©dagogique, le film de Jay Roach nous fait entrer dans un monde de la presse trĂšs conservateur, partial et dĂ©magogique, car vouĂ© Ă  satisfaire son public et son parti, tous deux conservateurs, et oĂč pratiquement toutes les femmes employĂ©es, de la journaliste lambda Ă  la journaliste vedette se donnent aux rĂšgles phallocrates des hommes qui les dominent. Car elles se dĂ©vouent Ă  un « mĂ©tier visuel Â» oĂč on les recrute souvent parce-qu’elles sont de jolies crevettes.

 

CĂŽtĂ© vitrine et affiche, ce sont des femmes Ă©loquentes, incisives et indĂ©pendantes qui ont Fox News dans la peau, gagnent bien leur vie et ont une trĂšs bonne carriĂšre. Hors camĂ©ra, elles obĂ©issent Ă  l’audience et, pour la plupart, elles acceptent en silence le commandement supĂ©rieur  des volontĂ©s sexuelles de leurs boss masculins : tenues vestimentaires types, sexe oral et autres types de rapport imposĂ©s selon les agendas de ces hommes Ă  bosse proĂ©minente au milieu du pantalon. On appelle ça, faire preuve de loyautĂ©. On comprend un peu mieux en regardant ce film dans quel contexte Donald Trump a pu devenir prĂ©sident des Etats-Unis. Ainsi que les raisons pour lesquelles ses antĂ©cĂ©dents de harcĂšlement sexuel et un certain nombre de ses propos ont peu entamĂ© son accession Ă  la prĂ©sidence des Etats-Unis. 

 

«  J’ai fait gagner un milliard de dollars aux Murdoch Â» dira Roger Ailes dans le film. Cette rentabilitĂ© explique aussi le maintien de certains Ă  leur poste de responsables.  

De gauche Ă  droite, Megyn Kelly ( l’actrice Charlize Theron), Gretchen Carlson ( l’actrice Nicole Kidman) et Kayla Pospili ( Margot Robbie)

 Scandale raconte la rĂ©action de deux femmes journalistes vedettes, Megyn Kelly (interprĂ©tĂ©e par Charlize Theron) et Gretchen Carlson (interprĂ©tĂ©e par Nicole Kidman) qui dĂ©cident Ă  un moment donnĂ© d’attaquer en justice Roger Ailes (interprĂ©tĂ© par John Lithgow), le prĂ©sident de Fox News, pour harcĂšlement sexuel. Il s’agit d’un biopic. A ce que j’ai lu, le personnage de Megyn Kelly, dans la vraie vie, est moralement moins sympathique si l’on habite certaines valeurs.

 

 

Megan Kelly ( l’actrice Charlize Theron) et Roger Ailes ( l’acteur John Lithgow)

 

 

Cependant, « L’affaire Â» Roger Ailes rappelle Ă©videmment, dans le milieu du cinĂ©ma, « l’affaire Â» du producteur Harvey Weinstein qui se produira un ou deux ans plus tard. Ainsi que « l’affaire Â» DSK quelques annĂ©es plus tĂŽt.  En France, on pensera Ă  d’autres affaires du mĂȘme genre. Actuellement,  en France, on parle par exemple de l’affaire de l’écrivain Gabriel Maztneff  (Prix Renaudot en 2013, connu pour ses Ɠuvres oĂč il parle de ses expĂ©riences pĂ©dophiles)  suite Ă  la parution en 2019 de l’ouvrage Le Consentement  de Vanessa Springora  oĂč elle raconte sa relation avec celui-ci alors qu’elle avait 14 ans et lui, 49.

En France toujours, on parle aussi de l’affaire du rĂ©alisateur Christophe Rugia accusĂ© de «harcĂšlement Â» et « d’attouchements Â» par l’actrice AdĂšle Haenel alors qu’elle avait entre 12 et 15 ans. On reparle aussi du rĂ©alisateur Roman Polanski.

 

A chaque fois, les hommes incriminĂ©s sont installĂ©s au Pouvoir depuis des annĂ©es, sont nettement plus  ĂągĂ©s que leurs victimes et sont « coutumiers des faits qui leur sont reprochĂ©s Â». Ce sont aussi, lorsque l’on parle d’Harvey Weinstein et Roger Ailes, des hommes d’une « autre » Ă©poque et d’une  sociĂ©tĂ© qui Ă©tait antĂ©rieure Ă  la sociĂ©tĂ© que nous connaissons dĂ©sormais Ă  travers internet et les rĂ©seaux sociaux :

Soit que l’Ă©poque d’oĂč ils viennent Ă©tait celle d’une sociĂ©tĂ© plus permissive, plus passive ou plus servile concernant leurs agissements. Soit que leurs alliĂ©s et protecteurs d’alors Ă©taient plus nombreux et/ou plus puissants. Et que les victimes, elles, alors, Ă©taient davantage livrĂ©es Ă  elles-mĂȘmes. Lorsque je regarde Roger Ailes dans le film, il me fait penser Ă  Hoover qui avait rĂ©gnĂ© sur le FBI pendant des annĂ©es ( 42) tel un monarque absolu. MĂȘme si leurs domaines d’action Ă©taient diffĂ©rents,  je crois que les certitudes avec lesquelles ils gouvernaient Ă©taient assez jumelles.  

 

 

Roger Ailes avait un peu plus de 70 ans lorsque la journaliste Gretchen Carlson a portĂ© plainte contre lui. Harvey Weinstein, un peu plus de 60 ans lorsque son affaire a Ă©tĂ© rendue publique en 2017.  Un Ă  deux ans sĂ©pare les deux affaires. 

 

Le rĂŽle tenu par l’actrice Margot Robbie ( Kayla Pospili) a , lui, Ă©tĂ© inspirĂ© de tĂ©moignages. Bien-sĂ»r, on pense au mouvement #Metoo et balance ton porc. Mais je crois que le film Scandale  aborde aussi d’autres sujets :

 

La presse, dĂ©crite comme le quatriĂšme Pouvoir, passe de plus en plus comme un Pouvoir en dĂ©clin pour dĂ©fendre certaines causes « justes Â». Car elle s’est faite annexer et museler. Dans Scandale, la presse se rĂ©vĂšle asphyxiante car  Fox News  semble ĂȘtre en situation de monopole en tant qu’organe de presse. A moins que ce soit une façon pour le rĂ©alisateur de montrer comme les personnes victimes de harcĂšlement, et, Ă  travers elles, toutes les personnes lanceuses d’alerte dans quelque domaine que ce soit, sont souvent d’abord isolĂ©es. Parce qu’elles Ă©voluent, malgrĂ© les sourires Ă  tous les Ă©tages, dans un monde professionnel extrĂȘmement concurrentiel oĂč le chacun pour soi, la peur de perdre son job, sa rĂ©putation – ainsi que sa position sociale avantageuse- et la toxicitĂ© de certaines pratiques sont une somme que la majoritĂ© regarde et engloutit dans le dĂ©ni.

 

Dans Scandale, arrive un point oĂč l’on se demande si le pire provient de tous ces hommes de Pouvoir et qui en abusent ou de tous ces employĂ©s – femmes et hommes inclus- qui deviennent spontanĂ©ment solidaires pour se taire et aussi pour dĂ©nigrer, discrĂ©diter voire harceler Ă  leur tour celles qui lancent l’alerte. Si l’on est bien au pays de Walt Disney, le parc d’attraction de Fox News devient ici un parc de destruction oĂč plus que Blanche Neige et le petit Chaperon Rouge, les sorciĂšres et les loups restent les grands vainqueurs de l’animation. MĂȘme si certains des loups succombent Ă  leur disgrĂące lorsque celle-ci arrive ( Roger Ailes est dĂ©cĂ©dĂ© en 2017 soit un ou deux ans aprĂšs « l’affaire »).  

 

L’aplomb de Charlize Theron et de Nicole Kidman dans le film est proche de celui du personnage interprĂ©tĂ© par l’actrice Jessica Chastain dans Miss Sloane rĂ©alisĂ© par John Madden en 2016. Mais en grattant bien, je trouve que le rĂŽle de Nicole Kidman dans Scandale a une petite parentĂ© avec celui qu’Ă©tait le sien dans le Dogville de Lars Von Trier ( 2003) . Et  je repense aussi maintenant Ă  l’humiliation vĂ©cue par le personnage interprĂ©tĂ© par Jennifer Anniston dans The Good Girl rĂ©alisĂ© en 2002 par Miguel Arteta. MĂȘme si, cĂŽtĂ© humiliation , le personnage de Charlize Theron dans Monster ( 2003) avait fait le plein. On peut du reste relever, que comme par un besoin de compensation, Patty Jenkins,  la rĂ©alisatrice de Monster a ensuite rĂ©alisĂ© Wonder Woman en 2017 ainsi que Wonder Woman 1984 prĂ©vu en salles en 2020. 

 

 

On peut voir le film Scandale comme un film « fĂ©ministe Â» militant Ă  juste titre pour plus d’égalitĂ© entre les femmes et les hommes. Ce qui encouragera et rĂ©confortera sĂ»rement des personnes.  

 

Mais  je crois qu’il faut se rappeler que cette affaire est aussi contemporaine des affaires Snowden comme de Wikileaks, Chelsea/Bradley Manning, Katharine Gun, oĂč, lĂ  aussi, des individus, ont pris la dĂ©cision, pour diverses raisons, de refuser certaines pratiques privĂ©es et dictĂ©es afin de les rendre publiques et dĂ©mocratiques dans l’espoir de sauver ce qui peut encore l’ĂȘtre de nos droits, de nos vies et de nos libertĂ©s.

 

Je crois aussi qu’il faut aussi relier cette affaire au mouvement Occupy Wall Street. Aux initiatives qui sont prises par certaines personnes afin de vivre dans un monde plus Ă©cologique.  Aux collapsologues qui nous parlent de l’effondrement. Aux dĂ©marches judiciaires engagĂ©es par d’autres contre Monsanto et le Glyphosate mais aussi dans l’affaire du MĂ©diator et du scandale du silicone industriel dans les prothĂšses mammaires PIP.

 

Toutes ces prises de conscience et ces actions sociales, politiques et judiciaires sont souvent concomitantes. Les regarder comme de simples coĂŻncidences Ă©loignĂ©es et sĂ©parĂ©es dans un monde immuable est peut-ĂȘtre une forme de dĂ©ni comme celui qui a meublĂ© les existences de plusieurs des personnages aux avant postes dans le film Scandale. Et aussi ailleurs.

 

Dans le film, alors qu’elle est seule et en plein doute Gretchen Carlson ( interprĂ©tĂ©e par Nicole Kidman) dit Ă  ses avocats qu’elle s’est jetĂ©e du haut de la falaise en s’attaquant Ă  Roger Ailes. La suite la confortera dans sa trĂšs grande prise de risques. NĂ©anmoins, ce film plutĂŽt optimiste semble bien illustrer le titre d’une des chansons de Jimmy Cliff qui date de 1972 :

 

 » Many rivers to cross ». 

 

Franck Unimon, mardi 25 février 2020.

 

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