Sergio et Sergei un film d’Ernesto Daranas ( Sortie Nationale le 27 mars 2019)
Lâacteur Ron Perlman, lâAmĂ©ricain, dans un film cubain version socialiste du film Gravity du Mexicain Alfonso Cuaron.
Cela pourrait ĂȘtre une accroche pour prĂ©senter Sergio et Sergei. Ăa serait peut-ĂȘtre aussi vendeur quâune confĂ©rence sur le Marxisme. Nâen dĂ©plaise Ă Sergio ( lâacteur TomĂ s Cao), professeur Ă©mĂ©rite, contraint Ă donner des cours de philosophie marxiste pour â pĂ©niblement- subvenir aux besoins de sa mĂšre et de sa fille dans le Cuba de la fin des annĂ©es 80 et du dĂ©but des annĂ©es 90. Nâen dĂ©plaise Ă Sergei (lâacteur HĂ©ctor Noas) , cosmonaute soviĂ©tique, qui apprend lors de sa mission que lâURSS qui lâa propulsĂ© dans lâespace a cessĂ© dâexister.
Sergio et Sergei sont deux idĂ©alistes inconnus lâun de lâautre. Des « purs » qui croient encore en lâavenir de lâidĂ©ologie de leur patrie et dans la valeur des efforts pour des jours meilleurs. Comme en occident oĂč il est encore des « purs » ou des idĂ©alistes inconnus lâun de lâautre qui continuent de croire que notre idĂ©ologie libĂ©rale dĂ©sormais souveraine et de plus en plus dĂ©pĂ©nalisĂ©e est la seule Ă mĂȘme de nous sauver. Amen !
Sergio et Sergei -ainsi que Peter, le personnage jouĂ© par lâacteur Ron Perlman Ă©galement impliquĂ© dans la production du film- sont des « purs » pacifistes, dĂ©sintĂ©ressĂ©s, plutĂŽt altruistes. Certains diraient dâailleurs que Sergio et Sergei sont deux grands balais adoptifs et dĂ©passĂ©s sur le marchĂ© des aspirateurs Dyson : voire deux idiots dĂ©cotĂ©s ou deux robots de la pensĂ©e qui persistent Ă se croire branchĂ©s. Et le film nous montre quâils sont loin dâĂȘtre des exceptions.
Disons que Sergio et Sergei nous parle du revers de cette crue libĂ©ratrice survenue en occident en 1989 avec la chute du mur de Berlin. Lâeffondrement de lâURSS sâen Ă©tait ensuivi deux ans plus tard. Une histoire pas si lointaine, aux multiples incidences sur notre quotidien, et pourtant dĂ©jĂ dâune Ă©vidence incertaine mĂȘme pour celles et ceux qui y avaient assistĂ©. Car nous sommes dĂ©sormais plus familiers avec les prĂ©sences immĂ©diates et intĂ©rieures dâune aviditĂ© financiĂšre gĂ©nĂ©ralisĂ©e ; avec lâextension de la carte mĂ©moire du jihadisme, du terrorisme islamiste et des extrĂ©mismes politiques et racistes ; avec la poussĂ©e du dĂ©labrement climatique et Ă©cologique ; avec la montĂ©e des eaux de quelques dĂ©rĂšglements numĂ©riques- harcĂšlement, hacking et autres cybercriminalitĂ©s ; avec la colonisation de nos vies par la tĂ©lĂ©phonie mobile, les casques et Ă©couteurs audios ( murs et remparts sonores) ainsi que par des lois, des rĂšgles et des frontiĂšres de plus en plus liberticides. Et facturĂ©es. Peu Ă peu, nous  entrons dans un monde monobloc fait de labyrinthes armĂ©s. Pour l’instant, il existe encore un certain nombre d’annĂ©es avant que nous soyons vĂ©ritablement Ă©tablis dans un monde refermĂ© sur lui-mĂȘme.
Pourtant, en occident, avec la chute du mur de Berlin et le dĂ©membrement de lâURSS, nous avions Ă©tĂ© nombreux Ă assister Ă la tĂ©lĂ© Ă ce dĂ©barquement- Ă notre DĂ©barquement- de jours meilleurs. Sans avoir vĂ©ritablement Ă faire la guerre. Du moins, pas frontalement et massivement comme en 1939-1945 ou en 1914-1918. Sergio et Sergei nous raconte un peu ce qui sâest passĂ© de lâautre cĂŽtĂ© du mur lorsque les retransmissions tĂ©lĂ© sâĂ©taient ensuite tournĂ©es vers dâautres programmes.
En 2019,  on pourra trouver dĂ©suets les habitats et les façons de vivre et de penser de Sergio, de Sergei et de celles et ceux qui les entourent. Et ils le sont. Pourtant, il est parfois  difficile de savoir si nos progrĂšs ( numĂ©riques et autres) et notre puissante â et « superbe »- Ă©conomie (et pensĂ©e) moderne actuelle nous ont- en tous points- assurĂ©ment un peu plus Ă©loignĂ© de lâĂąge du silex comparativement aux annĂ©es 80-90.
Sergio et Sergei est inspirĂ© dâune histoire rĂ©elle survenue entre un Cubain et un cosmonaute soviĂ©tique devenu russe dans lâespace. Alors que la CB (bande de frĂ©quences utilisĂ©e par les radioamateurs cibistes Ă ne pas confondre avec la carte bancaire) Ă©tait plus utilisĂ©e quâaujourdâhui par quelques cibistes et conducteurs automobiles. La tĂ©lĂ©phonie mobile Ă©tant Ă lâĂ©poque moins « dĂ©mocratisĂ©e » quâaujourdâhui. Nous ne sommes pas ici dans un film dâespionnage ou un mĂ©chant testostĂ©ronĂ© est trop content de vous malaxer en Ă©coutant du mbalax alors que vous connaissez vos derniĂšres pensĂ©es Ă travers le filtre de sa cigarette. Mais on nous parle tout de mĂȘme, sur le ton de la comĂ©die, des derniers rĂ©flexes de la guerre froide et de ses effets sur le quotidien de trois hommes reliĂ©s entre eux par un fil et qui sont comme des vases communicants.
Plus joyeux que le Solaris de Tarkovski ( oui, c’est assez facile ), beaucoup moins spectaculaire et moins grand public que le Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez, Sergio et Sergei est un film  sur la solitude, la dĂ©crĂ©pitude, la loyautĂ© et lâamitiĂ©. Mais c’ est aussi un film sur la difficultĂ© Ă se comprendre les uns, les autres, selon lâhistoire qui nous encombre et nous poursuit ou depuis le tamis de lâidĂ©ologie Ă laquelle on reste asservi. Sur notre capacitĂ© au changement. Certains diraient mĂȘme :
« Sur notre capacitĂ© Ă ĂȘtre proactif et Ă ne pas nous laisser impacter ».
Cependant, on peut aussi dire que Sergio et Sergei est un film sur les limites dâun engagement comme sur les raisons qui peuvent pousser Ă rester honnĂȘte, fidĂšle Ă sa patrie, ou, au contraire, sur les raisons qui peuvent inciter Ă quitter sa patrie, sa rĂ©gion ou un ĂȘtre cher.
Sergio et Sergei nous raconte dâautant plus un monde « disparu » ou en voie de disparition que Cuba, depuis peu (au moins depuis le dĂ©cĂšs de Fidel Castro en 2016) se libĂ©ralise de plus en plus. Certains diraient sans doute que Cuba leur devient de plus en plus un pays Ă©tranger. A lâimage de Sergei lors de sa mission spatiale, sans doute que beaucoup de Cubains et beaucoup dâexilĂ©s de par le monde, aujourdâhui, ont quittĂ© un pays (ou un ĂȘtre) qui â transformĂ©- a, Ă leurs yeux, depuis cessĂ© dâexister. Et, Ă lâimage de Sergio, peut-ĂȘtre que beaucoup dâĂȘtres humains rĂȘvent encore dâun monde qui peine Ă exister.
Ce film plutĂŽt sentimental et ensoleillĂ© plaira sans doute aux personnes capables de s’adresser Ă leurs rĂȘves- marxistes ou tout autres- afin de leur demander de leurs nouvelles pour mieux leur envoyer de nouveaux gestes et mots d’encouragements.
Franck Unimon, ce dimanche 24 février 2019.