« (âŠ.) La rĂ©alitĂ©, câest que, pour ĂȘtre un bon entrepreneur, il ne faut pas aimer lâargent, mais miser sur lâaudace et savoir se mettre en danger » a « assuré » lors dâune interview de cinq pages un milliardaire Ă la retraite. Les photos de lâinterview Ă©taient quant Ă elle assurĂ©es par une photographe de renom.
Lâinterview datait dĂ©jĂ de prĂšs de six mois lorsque je suis tombĂ© dessus cette semaine. Dans le magazine dâun quotidien prestigieux : Le Monde. AprĂšs une page de pub pour le tĂ©lĂ©phone portable Huawei P20 Pro que je sais depuis cette semaine Ă©galement ĂȘtre « Le » tĂ©lĂ©phone portable du moment, devant lâIphone et le Samsung Galaxy qui sont au tĂ©lĂ©phone portable depuis des annĂ©es ce que sont Messi et Ronaldo au Ballon dâor.
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Il yâa un ou deux jours, sur ce rĂ©seau social, une connaissance a entre-autres Ă©crit quâelle comprenait la colĂšre des « gilets jaunes » mĂȘme si elle ne « la partage pas ».
Nous sommes le mercredi 5 dĂ©cembre 2018 et dans trois jours, le mouvement de manifestation des « gilets jaunes » va Ă nouveau faire parler de lui pour le troisiĂšme ( quatriĂšme ) samedi de suite si mes comptes sont bons. Sur les Champs-ElysĂ©es, une des vitrines de la rĂ©ussite Ă©conomique et culturelle de la France, lâexpression de cette manifestation au dĂ©part spontanĂ©e, populaire, bien que virulente, est dĂ©sormais dĂ©peinte comme celle par laquelle le « chaos » peut dĂ©filer en France. Soit du fait de lâEtat qui a dâemblĂ©e haussĂ© le ton et menacĂ© Ă lâannonce de la toute premiĂšre manifestation des « gilets jaunes ». Soit du fait du caractĂšre quelque peu incontrĂŽlable et aveugle de certaines manifestations de violence lors de ce mouvement des « gilets jaunes ». Soit du fait, aussi, de la rĂ©cupĂ©ration de ce mouvement. On ne sait plus. On ne sait plus si la violence, lors des manifestations des « gilets jaunes » vient dâabord de lâEtat, ou des casseurs qui en profitent, ou de personnes rĂ©ellement en colĂšre, ou dâorganisations dâextrĂȘme droite, anarchistes ou dâextrĂȘme gauche. Lâorganigramme de ces expressions de violence est difficile Ă Ă©tablir ou Ă lire pour le quidam que je suis. Et, bien-sĂ»r, comme souvent, lors dâune pĂ©riode de trouble, les principaux acteurs directs ou indirects de cette situation sont peu disposĂ©s Ă se faire tirer le portrait lors dâune photo de classe permettant de clairement les identifier.
Depuis deux ou trois semaines, donc, discuter du mouvement « des gilets jaunes » peut susciter divers avis contraires au sein dâune mĂȘme famille, dâun mĂȘme groupe dâamis, de connaissances ou de collĂšgues. Et cela peut dĂ©boucher vraisemblablement sur des dĂ©saccords profonds pour ne pas mentionner des diffĂ©rends Ă caractĂšre dĂ©finitif. Car chacune et chacun se sent « expert » sur le sujet. Chacun et chacune est Ă vif sur le sujet.
Je vais donc mâattacher Ă parler de celui que je connais le mieux pour parler du mouvement des « gilets jaunes ». Câest Ă dire, que je vais parler de moi. Le travers Ă parler de soi, câest de faire Ă©talage de son nombrilisme et de son narcissisme plutĂŽt que de sa conscience et de sa rĂ©elle connaissance dâun sujet donnĂ©. L’avantage, c’est que je suis prĂ©venu dĂšs le dĂ©but du piĂšge Ă Ă©viter en parlant de moi.
En soi, le narcissisme et le nombrilisme peuvent ĂȘtre socialement tolĂ©rĂ©s. Car si le narcissisme et le nombrilisme Ă©taient rĂ©dhibitoires, les rĂ©seaux sociaux auraient pĂ©riclitĂ© depuis longtemps. Et si le narcissisme et le nombrilisme donnaient des gages dâĂ©ternitĂ©, des personnalitĂ©s populaires et admirĂ©es comme François Mitterand, Jean dâOrmesson, Jacques-Yves Cousteau et bien dâautres seraient encore en vie. Mitterand et Cousteau sont deux « personnalitĂ©s » que j’ai pu admirer Ă divers moments de ma vie. Cousteau, alors que j’Ă©tais enfant, pour ses dĂ©couvertes extraordinaires dans la mer. Mitterand, alors que j’Ă©tais adolescent puis adulte. Mitterand, D’Ormesson et Cousteau ont au moins en commun d’avoir bĂ©nĂ©ficiĂ© d’une certaine longĂ©vitĂ© ainsi que de campagnes de communication profilĂ©es habilement de maniĂšre Ă façonner d’eux une « belle » image.
En matiĂšre de narcissisme et de nombrilisme, tout est affaire de dosage pour que cela reste supportable et convivial. Je ne dispose pas des moyens de ces dĂ©funts en termes de com’ et de relations.  JâespĂšre donc rĂ©ussir Ă bien doser ma mixture afin qu’elle puisse facilement ĂȘtre avalĂ©e cul-sec. KampaĂŻ ! Tchin ! Tchin !
Si jâai bien retenu, le mouvement des « gilets jaunes » provient des exclus. De celles et ceux qui sont pris Ă la gorge financiĂšrement et socialement depuis des annĂ©es. Et qui nâen peuvent plus. Sâil regroupe des personnes de diffĂ©rents horizons sociaux, culturels et Ă©conomiques, il est fait, aussi, de personnes qui touchent le SMIC ou qui sont sous le seuil de pauvretĂ©. Je pourrais maintenant filer sur internet afin de me renseigner prĂ©cisĂ©ment sur le montant du SMIC (le salaire minimum afin dâavoir une vie Ă peu prĂšs dĂ©cente) et me faire beau en me prĂ©sentant comme celui qui sait exactement quel est son montant. Je vais plutĂŽt me fier Ă ma mĂ©moire et tant pis si je me ridiculise :
La derniĂšre fois que jâai vĂ©rifiĂ©, le SMIC Ă©tait Ă 1100 euros ( 1184 euros aprĂšs vĂ©rification ) et je crois que lâon parle dâun seuil de pauvretĂ© lorsque lâon touche un salaire Ă©gal ou infĂ©rieur Ă 900 euros par mois.
En France, en 2018, on est considĂ©rĂ© comme pauvre lorsque lâon touche un salaire Ă©gal ou infĂ©rieur Ă 900 euros par mois.
Au vu de ces deux chiffres, je suis un privilĂ©giĂ©. Je le savais dĂ©jĂ selon mes propres critĂšres mais ces deux chiffres me contraignent Ă lâadmettre que je le veuille ou non.
Je suis un privilégié parce-que je touche un peu plus de deux fois le SMIC chaque mois.
Mais aussi, parce quâil yâa 11 ans maintenant, jâai pu mâacheter un F2 sur le marchĂ© de lâancien en mâendettant sur 25 ans. Dans une ville de banlieue proche de Paris si « bien » rĂ©putĂ©e quâalors que les prix de lâimmobilier dans Paris et dans des villes voisines de Paris nĂ©cessitent presque une formation de cosmonaute pour les atteindre, les prix de lâimmobilier pratiquĂ©s dans ma ville stagnent voire baissent depuis plusieurs annĂ©es. A Argenteuil, jâai parfois lâimpression quâil faudrait presque donner une prime spĂ©ciale aux futurs acquĂ©reurs Ă©ventuels.
Jâai une voiture. Cette information a son importance puisque lâaugmentation du coĂ»t de lâessence a Ă©tĂ© le dĂ©clencheur du mouvement « des gilets jaunes ». Depuis plusieurs annĂ©es, je vois la voiture comme ce qui me donne une certaine indĂ©pendance de dĂ©placement. Mais je la vois aussi comme un objet de luxe malgrĂ© son caractĂšre Ă©minemment utile. Le coĂ»t dâentretien dâune voiture est assez Ă©levĂ©, entre lâassurance, les rĂ©visions, le carburant et les Ă©ventuelles rĂ©parations. Bien des personnes nâont pas les moyens de sâoffrir une voiture. Jâai obtenu mon permis il yâa 23 ans. En 23 ans, jâai eu deux voitures. Ma premiĂšre avait plus de 100 00 kilomĂštres au compteur lorsque je lâai achetĂ©e. Jâai Ă©tĂ© obligĂ© de mâen sĂ©parer au bout de six ans aprĂšs que sa colonne de direction ait Ă©tĂ© cassĂ©e. On avait essayĂ© de me la voler. Parce quâelle faisait partie des voitures faciles Ă voler ai-je appris par la suite : CâĂ©tait une Opel Corsa.
Pour acheter ma voiture actuelle, jâai dâabord dĂ» faire un crĂ©dit que jâai remboursĂ© pendant trois Ă quatre ans. Cela fait dix sept ans que jâai la mĂȘme voiture. Depuis que je me suis mariĂ© et ai eu une fille, ma voiture est parfois un petit peu petite.
NĂ©anmoins, je suis un privilĂ©giĂ©. Lorsque jâai besoin dâun vĂ©hicule, ma voiture est lĂ . MĂȘme si je lui prĂ©fĂšre largement les transports en commun et la marche, je sais pouvoir en disposer lorsque jâen ai besoin. Câest un luxe.
Un autre de mes luxes est de pouvoir rembourser mes crĂ©dits lorsque jâen contracte mĂȘme si je suis constamment Ă dĂ©couvert du fait de mauvaises habitudes prises il yâa des annĂ©es. Mauvaises habitudes ( de cĂ©libataire sans enfant peut-ĂȘtre) dont jâai du mal Ă me dĂ©barrasser mĂȘme si je suis aujourdâhui plus raisonnable.
Je suis aussi un privilĂ©giĂ© parce-que jâai un emploi de fonctionnaire. MĂȘme si le statut de fonctionnaire est menacĂ© et que je suis un exĂ©cutant parmi dâautres, je dispose encore de la sĂ©curitĂ© de lâemploi. Et dâun salaire qui arrive tous les mois Ă une date rĂ©guliĂšre.
Je peux encore partir en vacances avec femme et enfant. Généralement en été. En France. Un peu moins en Guadeloupe ou à la Réunion. Car il faut un budget plus élevé pour ces deux destinations.
Je peux mâinscrire dans un club de sport. Et pratiquer ma discipline sportive Ă peu prĂšs rĂ©guliĂšrement. Je ne pousse pas la vice jusquâĂ me contenter de mâinscrire juste pour le plaisir de contempler ma licence en me disant avec gourmandise : « Je peux le faire ».
Mon casier judiciaire est vierge. Je rĂ©ussis Ă payer mes impĂŽts dans les dĂ©lais. AprĂšs avoir Ă©tĂ© dĂ©tenteur dâune carte orange, jâai finalement optĂ© pour un Pass Navigo. Je nâaurais de toute façon pas eu le choix vu que tout a Ă©tĂ© fait pour nous obliger Ă adopter le Pass Navigo.
A NoĂ«l, et pour certains anniversaires, je peux acheter quelques cadeaux Ă mes proches : sĆur, frĂšre, neveux, niĂšces, compagne, ma fille, amis. LĂ , encore, du fait de mes mauvaises habitudes prises il yâa plusieurs annĂ©es, jâai recours au dĂ©couvert bancaire. Je nâai, Ă ce jour, pas connu le statut dâinterdit bancaire. Je suis un privilĂ©giĂ©.
Je suis aussi un privilĂ©giĂ© parce-que, en grande partie grĂące Ă mes parents, jâai pu ĂȘtre un « bon  élĂšve ». Un « bon » citoyen. Une personne qui fait ses devoirs. Qui a pu obtenir un diplĂŽme professionnel Ă mĂȘme de lui assurer un emploi stable. Qui se tient Ă carreaux et qui se dĂ©foule lĂ oĂč la sociĂ©tĂ© lây autorise : en employant un langage respectueux et policĂ©; en frĂ©quentant les clubs de sport; en consommant dans les magasins de grande distribution aux heures autorisĂ©es; en partant faire des voyages quand c’est permis et lĂ oĂč c’est permis; en recourant Ă des moyens lĂ©gaux, actions et comportements dont il est possible dâeffectuer une traçabilitĂ© satisfaisante et constante.
LorsquâĂ la gare de Cergy St-Christophe – ville oĂč jâai habitĂ© pendant une quinzaine dâannĂ©es Ă partir de 1985- la SNCF avait dĂ©cidĂ© dâinstaller des composteurs ( ou plutĂŽt des portes de validation ) ayant pour effet immĂ©diat de restreindre notre libertĂ© de mouvement et de dĂ©placement, je mây Ă©tais adaptĂ©. Je me souviens avoir entendu un jeune, sans doute encore mineur, qui, apprenant cette nouveautĂ© avait dit Ă un de ses copains :
 » T’inquiĂšte, on va tout dĂ©foncer ! ». Sa remarque m’avait surpris et un peu inquiĂ©tĂ©. La ville de Cergy St-Christophe a bĂ©nĂ©ficiĂ©, aussi, d’une assez mauvaise rĂ©putation. En quinze ans, je n’y ai connu aucun problĂšme. Et, lorsque les portes de validation avaient finalement Ă©tĂ© installĂ©es, rien n’avait Ă©tĂ© dĂ©foncĂ©. Ou alors je dormais pendant ce temps-lĂ et la SNCF s’Ă©tait empressĂ©e de tout rĂ©parer avant mon rĂ©veil.
LorsquâĂ la gare dâArgenteuil, il yâa environ cinq annĂ©es, la SNCF a dĂ©cidĂ© dâinstaller des portes de validation ayant les mĂȘmes effets quâĂ la gare de Cergy St-Christophe, comme la majoritĂ© des usagers, je mây suis lĂ aussi adaptĂ©.
Depuis quelques semaines, la gare St Lazare par laquelle jâaccĂšde Ă Paris, est en train de se doter de plus de deux cents composteurs ( 140 exactement : au delĂ du chiffre 130, je ne rĂ©ponds plus de rien en matiĂšre de calcul). Officiellement, câest pour :
« AmĂ©liorer notre confort ». Je ne vois pas de quel confort il est question lorsquâaux heures de pointe, dĂ©jĂ , nous sommes tel du bĂ©tail qui piĂ©tine vers ses diverses correspondances.

Jâai oubliĂ© les chiffres, mais, en semaine, la gare de Paris St Lazare ( crĂ©Ă©Ă© en 1837 ), voit passer des milliers de personnes ( 300 000 personnes par jour/ 100 millions de voyageurs par an d’aprĂšs les chiffres trouvĂ©s ce jeudi 6 dĂ©cembre sur le net ). Elle est la gare ferroviaire recevant le plus grand nombre dâusagers dans Paris. Il est vrai quâune fois que je suis dans le train, jâĂ©vite les embouteillages.Et quâen pĂ©riode de grĂšve des trains, Argenteuil Ă©tant proche de Paris, jâen pĂątis moins que celles et ceux qui vivent dans des villes de banlieue plus Ă©loignĂ©es. Je suis lĂ aussi un privilĂ©giĂ©.

Avec l’arrivĂ©e de ces portes de validation, bientĂŽt, l’usager qui Ă©chouera Ă les franchir pour « dĂ©faut » de prĂ©sentation du titre de transport adĂ©quat, ou parce-qu’il ne remplira pas certaines critĂšres, sera peut-ĂȘtre dĂ©clarĂ©….invalide. Et ces portes de validation aujourd’hui prĂ©sentĂ©es de maniĂšre ludique et inoffensives par la SNCF se rĂ©vĂ©leront peut-ĂȘtre plus tard comme des « outils » de refoulement s’appliquant aux individus indĂ©sirables. On pensera en prioritĂ© aux terroristes et aux dĂ©linquants identifiĂ©s. Mais ces profils pourront ĂȘtre Ă©largis aux mendiants, personnes en recherche d’emploi, femmes et hommes d’un certain Ăąge etc….

Ma vision, peu originale, force peut-ĂȘtre le trait. NĂ©anmoins, en pratique, il m’est difficile de percevoir ces portes de validation comme des atouts en termes de confort. Si leur fonction est de lutter par exemple contre la fraude, la majoritĂ© des usagers va devoir subir la contrainte de ces portes « juste » pour rĂ©duire un comportement qui est le fait d’une minoritĂ©.  Et afin que cette  « mission » puisse ĂȘtre rĂ©alisĂ©e dans les meilleures conditions, nous voilĂ encore un peu plus mis Ă contribution, un peu plus infantilisĂ©s et davantage sĂ©questrĂ©s en pleine jour en toute lĂ©galitĂ© sans que nous soyons auteurs du moindre dĂ©lit.

Depuis deux ou trois ans, le projet du  » Grand Paris » nous a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme une belle avancĂ©e dans bien des domaines. J’y ai cru. Et ce sera sans doute le cas pour certains aspects. Mais, lĂ , est-ce le rĂ©sultat de prĂšs de dix annĂ©es de trajet par le train pour me rendre au travail Ă Paris cumulĂ©es avec cette arrivĂ©e proche de ces  » portes de validations » ? Mais le projet du        » Grand Paris » mĂȘme devancĂ© par l’organisation des Jeux Olympiques en 2024 qui nous promet une crĂ©ative campagne de communication, bien plus sĂ©duisante que celle de la SNCF pour les dites- portes de validation, pour nous en expliquer les formidables retombĂ©es, me rend de plus en plus circonspect. Peut-ĂȘtre parce-que je vieillis.
C’est peut-ĂȘtre parce-que je vieillis que, depuis plusieurs annĂ©es, j’ai parfois l’impression que nous vivons dans un pays qui se renferme de plus en plus. Tandis que lâon y ouvre plus de centres commerciaux, que lâon y crĂ©e plus de nouveaux projets immobiliers que lâon ne crĂ©e dâhĂŽpitaux ou que lâon nâouvre de services et de centres de soins mais aussi dâĂ©coles ou de classes. Pourtant, il yâa un hĂŽpital dans ma ville et contrairement Ă bien des parents, pour le moment, nous pouvons emmener notre fille Ă lâĂ©cole en une dizaine de minutes Ă pied. MĂȘme si le personnel de lâĂ©cole publique a de moins en moins de moyens pour mener Ă bien ses diverses missions et que celle-ci inspire de plus en plus un certain sentiment de suspicion, je suis un privilĂ©giĂ©. MĂȘme si plusieurs parents que nous avons cĂŽtoyĂ©s ont pu, aprĂšs plusieurs candidatures, faire admettre leur enfant (certains de lâĂąge de notre fille encore en maternelle) dans lâĂ©cole privĂ©e voisine Ă raison de 300 euros par mois.
Bien que vieilli et peut-ĂȘtre aigri, je suis encore plutĂŽt en bonne santĂ©. Lorsque jâai besoin de soins, jâai encore la possibilitĂ© de les payer. Sâil le faut. Et, lorsque je lâestime nĂ©cessaire, je peux encore choisir un spĂ©cialiste considĂ©rĂ© comme particuliĂšrement compĂ©tent.
Pour lâinstant, je nâai pas encore Ă choisir entre faire un plein dâessence, faire des courses ou acheter des vĂȘtements pour ma fille.
Mon tĂ©lĂ©phone portable est un Iphone 5S. Je lâai depuis plus de deux ans. LâIphone actuel doit ĂȘtre un numĂ©ro 7 ou 8. Jâai oubliĂ©. Avant lui, je changeais de tĂ©lĂ©phone portable environ tous les deux ou trois ans. Depuis que je sais que la fabrication des tĂ©lĂ©phones portables est un dĂ©sastre Ă©cologique, jâessaie de voir comment je peux Ă©viter de contribuer Ă la dĂ©rive Ă©cologique gĂ©nĂ©rale. Ce qui est un exercice difficile car lâobsolescence programmĂ©e de mon tĂ©lĂ©phone portable va peut-ĂȘtre me forcer Ă en changer.
Notre ordinateur portable a sept ou huit ans. Je nâai aucune intention dâen changer. Il marche de maniĂšre satisfaisante. Je suis un privilĂ©giĂ©.
Jâai Ă©crit et rĂ©pĂ©tĂ© un certain nombre de fois dans cet article comme je suis un privilĂ©giĂ©. Je le suis. Jâai pourtant parfois besoin de mâen convaincre. Jâai quelques fois un peu de mal Ă mâen convaincre. « De lâaudace, se mettre en danger », il me semble que chacun et chacune, de par les choix qui lui incombent, de par les responsabilitĂ©s qui le concernent Ă un moment ou plusieurs moments de sa vie, fait preuve ou a fait preuve dâaudace et sâest mis ou se met en danger. Pourtant, il est bien des fois oĂč cela nâa pas suffi.
Les migrants qui se noient dans la mer mĂ©diterranĂ©e parce quâils fuient la guerre, la peur, la misĂšre, font montre dâune audace dont je suis incapable. Et ils se mettent en danger Ă un point tel que le privilĂ©giĂ© que je suis ignore. Pourtant, pour un certain nombre d’entre eux, ça n’a pas suffi et ça ne suffira pas.
Bien des « gilets jaunes » qui manifestent font preuve dâune audace Ă©quivalente. Et ils se mettent aussi en danger. Il nâyâa aucun milliardaire parmi eux. Du moins, pour lâinstant. Et, moi, le privilĂ©giĂ©, je reste abritĂ©. Jâobserve. Je me culpabilise. Je pĂšse le pour et le contre. Je me dis quâaller manifester est trop risquĂ©. Mais aussi quâil est trĂšs difficile de sây retrouver entre les casseurs, celles et ceux qui rĂ©cupĂšrent le mouvement, les forces de lâordre qui, lorsquâelles chargeront, ne feront pas de dĂ©tail entre les gentils manifestants et les autres.
Les « gilets jaunes » manifestent-ils uniquement pour une question dâargent ? A mon avis, non.
Bien-sĂ»r, je dĂ©sapprouve les actes de violence aveugles qui touchent, heurtent, celles et ceux qui se trouvent au mauvais endroit, au mauvais moment, alors que certains cassent, frappent, dĂ©truisent. Mais lâorigine dâune bonne partie ces violences est nĂ©anmoins bien prĂ©sente depuis des annĂ©es dans cette sociĂ©tĂ© dont nous sommes les citoyens. Les citoyensâŠ.privilĂ©giĂ©s.
Franck, ce mercredi 5 décembre 2018.
PS : j’Ă©tais en colĂšre en Ă©crivant cet article hier. Et, plusieurs heures aprĂšs l’avoir Ă©crit, je m’Ă©tonnais de ressentir autant de colĂšre. Je me demandais d’oĂč elle provenait. Pourtant, je n’ai rien cassĂ© sur mon passage en allant prendre le train pour me rendre sur Paris. Et, je n’ai bousculĂ© personne dans le mĂ©tro, dans les escalators ou ailleurs. Ce matin, ce jeudi 6 dĂ©cembre, j’attribue la colĂšre que j’ai ressenti hier Ă un retour de flamme de mon sentiment de culpabilitĂ©. Je me suis senti coupable lors du premier ou du deuxiĂšme samedi de manifestation des « gilets jaunes » Ă Paris. Si j’Ă©tais restĂ© chez moi ce jour-lĂ , je me serais mieux portĂ©. Mais ce samedi-lĂ , j’avais dĂ©cidĂ© de me faire plaisir. Et, j’Ă©tais parti acheter- consommer- du thĂ© dans un magasin oĂč j’ai mes habitudes. En sortant du mĂ©tro, je m’Ă©tais retrouvĂ© en plein marchĂ©. Les commerces de bouche Ă©taient bondĂ©s. Pour toutes ces personnes prĂ©sentes sur le marchĂ© et dans ces commerces, la vie continuait sans une fĂȘlure. Tandis que sur les Champs ElysĂ©es et ailleurs en France, des personnes manifestaient car au bout du rouleau. Lors du trajet, j’avais pourtant entendu l’annonce rĂ©pĂ©tant que telles stations de mĂ©tro n’Ă©taient pas desservies. Mais je n’avais pas tout de suite fait le rapprochement avec les « gilets jaunes ». Dans le magasin de thĂ©, oĂč se trouvait un couple d’un certain Ăąge, je m’Ă©tais mĂȘme interrogĂ© Ă voix haute sur la raison pour laquelle ces stations de mĂ©tro n’Ă©taient pas desservies. La femme du couple m’avait alors regardĂ© en souriant sans un mot. Savait-elle ?
Je manifeste rarement. Je me mĂ©fie beaucoup des effets de groupe. Je sais que la vie est faite de nuances. Je continue d’apprendre Ă essayer de les saisir. Mais ce samedi-lĂ , Ă me voir faire partie de celles et ceux qui, dans cet arrondissement de Paris plutĂŽt privilĂ©giĂ©, faisaient apparemment leurs courses sans se prĂ©occuper des lendemains tandis que d’autres…..je me suis senti coupable. Pourtant, je suis un privilĂ©giĂ©. Je crois….