La Nuit du 12, un film de Dominik Moll inspiré du livre 18.3 Une année à la PJ de Pauline Guena.
Les rencontres peuvent transformer une vie. Elles peuvent tuer, aussi.
L’héroïne de La Nuit du 12 est une victime. Elle meurt d’asphyxie, enfermée dans les gaz relâchés par ces flammes qui l’ont brûlée vive. Telles beaucoup de victimes, elle a la surprise de recevoir sa mort dans un endroit familier. A un moment où cette idée est pour elle complètement incongrue. Elle revient d’une fête. Elle est heureuse, seule, se sent libre, légère et en sécurité. Comme d’autres femmes avant et après elles et tant d’autres victimes (enfants, personnes vulnérables ou en état de vulnérabilité).
Entretemps, son meurtrier a pu l’attendre et su s’approcher d’elle avec d’autres projets.
La Nuit du 12 aurait pu s’appeler La Femme du 12 ou L’innocence du 12.
L’innocence, l’insouciance, la féminité, la joie et l’optimisme, même lorsqu’ils relèvent de l’évidence pour celle ou celui qui les incarnent, restent inflammables. Ils ne sont jamais définitivement acquis. Il faut apprendre à les protéger. Ce n’est pas donné à tout le monde de le savoir. La Nuit du 12 apporte une nouvelle fois la preuve que celles et ceux qui l’ignorent peuvent les perdre et en mourir.
Pour enquêter sur le meurtre de Clara (interprétée par Lula Cotton-Frapier), la police judiciaire, plutôt que la gendarmerie, est désignée. Elle est faite de professionnels. Le terme « professionnels » se conclut par « elles » mais ce sont tous des hommes. Blancs. L’enquête se féminisera et se métissera un peu vers les trois quarts du film avec l’ajout/l’atout d’une juge d’instruction (l’actrice Anouk Grinberg) et d’une jeune flic, Nadia (l’actrice Mouna Soualem).
A droite, Nadia ( l’actrice Mouna Soualem).
Mais au départ, l’enquête policière est exclusivement et activement masculine. Les femmes seront soit victimes, soit proches de la victime (la meilleure amie, la mère) soit éventuellement complices d’un des suspects.
Si les femmes servent souvent de sacrifice permettant aux hommes de s’élever, il y a toutefois des bonshommes dans La Nuit du 12 :
Les flics du départ du film comme du départ d’un feu.
Ces hommes sont des êtres étranges. La plupart de leurs rencontres et de leurs actions sont d’abord vouées au désastre. Il leur faudra pourtant les répéter des milliers de fois durant des années afin d’obtenir des résultats. Un crime, un délit, équivaut pour eux, non à la multiplication des pains mais à la multiplication de ces rencontres et de ces actions qu’ils vont devoir répéter. En renouvelant l’expérience du pire de l’humanité qui se révèle devant eux souvent avec désinvolture. Leur profession ressemble à une crucifixion avancée.
A un moment donné, ils ont appris leur leçon et le savent. Et deviennent presque aussi inquiétants et froids que les faits sur lesquels ils enquêtent et qu’ils annoncent aux proches des victimes.
Yohan ( l’acteur Bastien Bouillon)
Il y a pourtant de la prêtrise dans le personnage de Yohan (l’acteur Bastien Bouillon) le « chef » de la PJ qui a pris la relève du précédent chef parti à la retraite. Car on se demande comment lui et les membres de son équipe peuvent continuer d’ « aimer » ce genre de métier et continuer d’y croire, comme ils le font, avec rigueur et dévouement. Le film dure moins de deux heures. Mais une enquête pareille prend plusieurs années de leurs vies personnelles, lesquelles reçoivent bien des équivoques et des souffrances intimes qu’ils doivent également encaisser en parallèle.
Pourtant, ils s’accrochent. Ils continuent de récolter les effets de ces graines qu’ils n’ont ni semées ni demandées. Ils auraient de quoi se sentir persécutés ou damnés. Ils n’en n’ont pas l’air. Alors que le film donne à voir comme ils sont régulièrement immergés dans une vie fantomatique. Ainsi que dans une solitude froide et mathématique qui est tout ce qu’ils partagent – voire imposent- avec les proches de la victime ou avec leurs proches.
Nanie, ( l’actrice Pauline Serieys) la meilleure amie de la victime, Clara, face au flic de la PJ, Yohan ( l’acteur Bastien Bouillon) On a là un aperçu du très bon travail de photo et de cadrage effectué dans le film afin de restituer toute une ambiance de solitude, de distance entre les êtres, d’impuissance et de profonde souffrance tant de Nanie que de Yohan.
Tandis que les principaux suspects interrogés pètent le feu devant eux et continuent d’avoir une existence plutôt légère.
A voir le travail réalisé par ces femmes et ces hommes flics, mais aussi cette façon avec laquelle les proches de Clara essaient de continuer de vivre ensuite malgré tout, on se dit que La Nuit du 12 aurait également très bien pu s’appeler Ce qui reste de L’Humanité du 12.
La Nuit du 12 m’a au moins fait penser à des films comme : Elle est des nôtres( 2002) de Siegrid Alnoy; L’Humanité( 1999 ) de Bruno Dumont; Scènes de crime( 2000 ) de Frédéric Schoendoerffer; Memories of Murder ( 2004) de Bong Joon Ho ; The Pledge( 2001) de SeanPenn ; L.627 ( 1992) de Bertrand Tavernier.
L’un des personnages de La Nuit du 12 , Tourancheau ( joué par l’acteur Nicolas Jouhet), est sans doute un clin d’oeil à Patricia Tourancheau, journaliste et écrivaine spécialiste des affaires criminelles.
Cet article est un clin d’œil à Chamallow et à Raguse, lesquels ne sont pas spécialistes des affaires criminelles, si ce n’est qu’ils m’ont l’un et l’autre en quelque sorte rappelé d’aller voir ce film sorti ce 13 juillet 2022. Ils sauront se reconnaître sans qu’une enquête très poussée ne soit nécessaire s’ils lisent cet article.
Pour qui a entendu parler des Présidents de la République François Hollande, Emmanuel Macron ( et sa femme Brigitte Macron), des Ministres Fleur Pellerin, Aurélie Filippeti, Frédéric Mitterrand, Manuel Valls, François Bayrou. De l’ancien maire de Marseille (et sénateur) Jean-Claude Gaudin. D’autres personnalités politiques et médiatiques françaises. Des notes de taxi G7 de l’affaire « Saal ». Du journal Le Canard Enchainé. De Médiapart.
Pour qui veut ou voudrait « réussir ».
Mathieu Gallet nous était devenu très familier lorsqu’il était alors le jeune dirigeant (même pas 40 ans) de Radio France de 2014 à 2018. Laquelle Radio France connaissait une grave crise sociale sans précédent dont Mathieu Gallet avait été tenu pour le principal responsable.
Gallet avait le « profil » de ces jeunes ambitieux arrivés vite à de très hautes fonctions et dont le principe actif est de promouvoir leur carrière avant tous et malgré tout.
Dans son Jeux de pouvoir, Mathieu Gallet nous parle de tout « ça » et de ces à côtés que nous ne connaissons pas. « Nous », c’est officiellement le grand public. Et aussi, un « peu », certaines personnes qui ont été directement concernées par ces sujets abordés par lui dans son ouvrage. Des personnes qu’il cite par leur nom et leur prénom. Ce qui nous permet rapidement d’identifier la plupart d’entre eux en 2022 en lisant son ouvrage considéré comme un document par les éditions Bouquins.
Jeux de pouvoir est paru en Mai 2022. J’avais été étonné d’apprendre que la librairie de ma ville de banlieue pourtant proche de Paris (Argenteuil) était dans l’impossibilité de m’en commander un exemplaire. Je me suis alors imaginé que son livre dérangeait encore certaines « personnes » quelques années plus tard. Et qu’il y avait donc, dedans, un Savoir peu courant. Puisqu’aujourd’hui, Mathieu Gallet fait beaucoup moins parler de lui que lorsqu’il était jeune dirigeant de Radio France sous la présidence de François Hollande puis au début de la présidence d’Emmanuel Macron.
Aujourd’hui, Mathieu Gallet n’évoque plus grand chose pour le grand public comme entre 2014 et 2018.
A « l’époque », entre 2014 et 2018, pour moi, Mathieu Gallet aurait tout aussi bien pu être… Martin Hirsch. Dans son Jeux de pouvoir, Gallet ne mentionne pas, je crois, ( il me reste 90 pages à lire pour le terminer) Martin Hirsch. Puisque lui, Gallet, exerce alors dans la Culture tandis que Hirsch (à partir de fin 2013 jusqu’en juin 2022) exerce dans « la » Santé.
Mais le portrait de Gallet dans Le Canard Enchainé (dont je lis des articles depuis des années) me le rendait proche de ces énièmes dirigeants de l’AP-HP ( ce qu’était alors Martin Hirsch) quittant leurs fonctions paisiblement en laissant plein de gravats après leurs entreprises de démolition ainsi que beaucoup de merde dans les chiottes sans tirer la chasse.
L’ouvrage de Gallet est-il une entreprise de démolition délivrant plein de merde, aussi, sur la tête de certaines des personnalités qu’il nomme ?
Je peux comprendre que certaines de ces personnalités (au sens où ce sont des personnes « connues », « réputées », médiatisées et dont l’image que l’on se fait d’elles peut assurer ou détruire la suite de leur carrière) voient Jeux de pouvoir de cette manière. Gallet donne ses explications et celles-ci sont lisibles et plutôt bien argumentées. Il lui a été ou sera reproché de « donner » certains noms de ces personnalités qu’il critique. Mais, pour moi, c’est aussi parce qu’il donne ces noms et prend donc le risque d’être attaqué en justice en cas de diffamation que son livre acquiert d’autant plus de valeur et de légitimité.
Son Jeux de pouvoir est donc un livre à relire. Car ce qu’il écrit est selon moi une photographie de ce qui peut exister dans tout milieu policé, instruit et privilégié où se déroulent….des jeux de pouvoir qui échappent complètement à l’entendement du citoyen lambda.
Des jeux de pouvoir, pourtant, qui se répliquent ou peuvent se répliquer à l’infini, dans toutes les institutions d’une société.
A mon avis, ce que Mathieu Gallet raconte, existe aussi dans d’autres milieux dont on parle beaucoup moins ou peu. Quotidiennement. Là où évoluent tous les gens lambda, très éloignés et très oubliés de celles et ceux que l’on n’oublie pas.
Gallet parle de son homosexualité assumée ( il revendique seulement le droit à l’indifférence). Et du tort qu’a pu lui causer la rumeur de sa liaison avec Emmanuel Macron, alors candidat aux Présidentielles avant sa première élection (nous sommes désormais sous le deuxième mandat présidentiel d’Emmanuel Macron). En le lisant, on remarque à nouveau à quel point certaines épreuves très difficiles ne durent pas. Aujourd’hui, je me demande qui pense encore à cette rumeur. Et, pour ma part, j’avais assez peu fait attention à cette rumeur lorsqu’elle était médiatisée. Mais je comprends que pour Gallet, alors très médiatisé, dont la vie privée et professionnelle était très exposée, cette rumeur se soit muée en supplice supplémentaire. Et du supplice, on arrive assez vite au précipice.
Son livre m’a t’il rendu Mathieu Gallet plus sympathique et plus humain ?
Plus humain et plus proche, oui. Sympathique ? Je ne rencontrerai probablement jamais Mathieu Gallet pour savoir s’il m’est sympathique.
Car lui et moi, nous ne sommes pas du même monde. Moi, je me suis coupé du monde, d’un certain monde de la « réussite », là où lui a décidé, puis su et pu s’y propulser. C’est aussi ça que je lis dans son livre et que je me suis pris, un peu, beaucoup, passionnément, à la folie, en pleine figure. Même si Gallet (comme beaucoup d’autres) n’y est pour rien.
Dans Jeux de pouvoir, Gallet dit, aussi, avoir dû surmonter le fait d’avoir des origines sociales moyennes et de venir de province. Mais aussi que son homosexualité a pu être un obstacle à sa réussite. Mais je constate, que même en province, à Bordeaux, il a fait « les » bonnes voire les «très bonnes » études :
Hypôkhagne. Sciences Po…
Bordeaux, ce n’est pas Paris, c’est vrai. Surtout que Gallet a étudié dans le Bordeaux d’avant le TGV qui emmène à Paris en deux heures. Et qu’il existe à Paris une concentration d’élites dans des univers fermés où beaucoup se décide et se choisit. Des univers concentrés, exclusifs et fermés dont, moi, le banlieusard parisien de naissance et d’extraction, de classe moyenne, noir et d’origine antillaise, je n’ai aucune idée. Donc, les principes de Liberté, Egalité, Fraternité, pour moi et beaucoup d’autres, se sont sans doute souvent, dès mon enfance, résumés à l’équivalent de ces annonces publicitaires ou de ces bandes annonces que l’on regarde dans les salles de cinéma avant la projection du film. Il n’est pas nécessaire de venir de province pour vivre ça.
Mais, pour moi, Gallet ( qui ne s’en rend peut-être pas toujours compte ) a d’autres atouts qui lui ont permis de « réussir ». Même s’il vit- encore- mal le fait d’avoir dû quitter la direction de Radio France et les divers avantages qui vont avec :
Je ne perçois pas dans son livre le fait qu’il ait dû se battre contre sa famille pour faire ses hautes études, peu courantes dans sa famille. Et, il fait bien, aussi, de nous apprendre « qu’un » Emmanuel Macron ( « Notre » Président de la République pour la deuxième fois de suite) a grandi dans une famille de catégories sociales professionnelles supérieures. Emmanuel Macron à qui Gallet a pu être comparé : Des jeunes ambitieux qui font de très bonnes carrières. Comme Gallet fait bien de souligner qu’il a fait de moins bonnes études que Macron.
Mais je n’ai pas l’impression que Gallet ait eu à travailler à côté dans un métier éreintant pendant qu’il étudiait. J’ai plutôt l’impression, aussi, qu’il a toujours été aimé chez lui et eu une enfance et une adolescence plutôt « libre » y compris d’un point de vue amoureux. Ses histoires d’Amour ne me font pas penser à celle que j’ai pu apercevoir, un jour, d’une jeune fille et d’un jeune garçon, obligés de se cacher, dans ma ville, à Argenteuil, ville située à une dizaine de kilomètres de paris, en haut d’un toboggan, alors qu’il faisait nuit, pour se parler en cachette.
Enfin, Gallet, pour moi, c’est aussi un homme qui sait séduire. Si Gallet évoque son léger strabisme ( perceptible sur la couverture de son livre) qui lui a sans doute valu des quolibets et des humiliations, dans l’enfance et plus tard, Gallet sait indéniablement séduire.
Et, la séduction, qui plus est si elle est adossée à l’ambition mais aussi à une certaine combattivité, pour moi, c’est un atout supplémentaire pour « réussir », études ou non. Homosexualité ou pas.
Car, mise au service de l’ambition et escortée par une certaine combativité ( voire par une colère enfouie peut-être pour avoir vécu, plus jeune, certaines humiliations) la capacité de séduire, le fait de séduire, de plaire, la séduction, n’a ni âge, ni sexe, ni genre, ni frontière, ni parti politique, ni date, ni règle, ni principe, ni limite.
Si l’on sait séduire, et que l’on est ambitieux et combattif, on peut arriver à des endroits ou à des postes qui, « en principe », auraient dû ou auraient pu échoir à d’autres.
Et, je crois que Gallet est une très bonne illustration de ce que la capacité de séductionsociale, dans ces conditions, peut permettre d’obtenir.
Je ne remets pas en question l’étudiant ou le gros travailleur qu’est Mathieu Gallet. Je souligne simplement que ses « compétences » personnelles pour séduire lui ont aussi permis d’aller au delà de ce qu’il avait sans doute pu imaginer lui-même au départ de son existence et de sa conscience.
Comme Emmanuel Macron. Comme beaucoup d’autres. En politique ou ailleurs.
Jusqu’au moment où l’on plait moins à d’autres et que ceux-ci disposent, aussi, de suffisamment de pouvoir pour nous faire descendre de notre piédestal. Ce n’est pas une question de compétences. Ni de droiture morale. Et surtout pas de Justice. Mais d’avoir su plaire à qui il fallait au bon moment, de la bonne façon et au bon endroit.
Dans son livre, Gallet nous parle aussi de toutes ces personnes importantes à qui il a su plaire. Dont il s’est fait des amis. Cela fait du « monde ». Il est difficile de faire moins mondain que Gallet lorsqu’il nomme certaines personnalités qu’il compte parmi ses proches. Mais, aussi, lorsqu’il narre certains de ses voyages et visites. Au passage, il nous fait bien comprendre, aussi, qu’en matière de Culture, il s’y connaît. Contrairement à une Fleur Pellerin, ancienne Ministre- peu probante- de la Culture, avec laquelle il a été en conflit alors qu’il était dirigeant de Radio France.
Même si je n’ai pas encore terminé Jeux de pouvoir, sa lecture me plait. Mais je doute que mon plaisir de lecture n’apporte quoique ce soit de plus à un Mathieu Gallet ainsi qu’à celles et ceux qui lui ressemblent étant donné ce qu’ils savent déjà et ont appris bien avant moi.
Aussi, j’espère que ce livre m’apportera quelque chose et qu’il apportera aussi à d’autres.
« Quand je t’en parle, tu bégayes, c’est que t’as pas envie…. » ; « On s’est embrouillé, je t’aime pas ! » ; « Tu es incapable….. Je te jure, si tu refais ça, je te quitte ! ».
La première phrase de cet article a été prononcée dans une rue près de chez moi. La seconde, dans le train qui venait de quitter Argenteuil pour Paris. Et la troisième, dans le métro parisien. La chronologie n’a pas été respectée. Il a pu s’être passé plusieurs jours ou plusieurs semaines entre les trois « périodes ». Par contre, chaque phrase a été prononcée à chaque fois par une femme dont l’âge se situait, à première vue, entre 20 et 30 ans. Je ne leur ai pas demandé leur âge.
La première femme assez énervée était en train de remonter une rue près de chez moi tout en s’adressant à quelqu’un dans son téléphone portable. La seconde, assise dans le train direct pour Paris, parlait à un jeune homme qui, embarrassé, a envoyé des textos sur son téléphone portable. Ce jeune homme comptait beaucoup sur les réponses ou les conseils qu’il pouvait obtenir.
La troisième femme, tout en lançant son ultimatum à la tête de son copain, agitait son éventail devant elle. Son copain, assis à côté d’elle, près des portes du métro, s’est appliqué à rester calme. Mais, aussi, à consulter…son téléphone portable. La jeune femme, tout en continuant de s’éventer a jeté un coup d’œil sur le téléphone portable de celui qu’elle allait peut-être quitter s’il refaisait « ça ! ».
J’étais trop loin pour savoir ce qui correspondait à « ça ». Il y ‘avait trop de bruit dans le métro.
Un autre jour, dans un supermarché, j’ai aperçu un couple en train de passer à la caisse. Tandis que Monsieur, un homme proche de la trentaine, déposait les articles sur le tapis roulant, mon regard a croisé celui de Madame ou de Mademoiselle. Celle-ci portait des lunettes de soleil noires. Le contact visuel a peu duré. Je suis parti faire mes courses.
Quelques minutes plus tard, j’ai revu le couple alors qu’il quittait le parking du supermarché. Monsieur conduisait une superbe Mercedes neuve. Madame ou mademoiselle était confortablement installée, côté passager. La route semblait avoir été faite pour eux. Je me suis dit que pour elle, et pour d’autres, réussir son couple, c’était ça. Avoir un compagnon qui fait les courses et qui la conduit au volant d’une grosse Mercedes.
Mais le sujet de cet article est dans son titre : Personnalités fusionnelles. Ces quelques scènes décrites plus haut ne démontrent en rien que nous sommes devant des personnalités fusionnelles. J’ai décrit ces scènes pour indiquer que cet article est la suite ou le complément de ceux que j’ai déjà écrits à propos des livres de Mona Chollet et de Victoire Tuaillon cités au début.
J’ai aussi décrit ces scènes pour sourire et faire sourire.
Bien-sûr que des hommes peuvent, autant que des femmes, avoir des personnalités fusionnelles!
Après avoir choisi ce titre pour cet article, je me suis demandé s’il convenait bien pour ce dont je voudrais parler. Car « relations fusionnelles », « personnes fusionnelles », « personnalités dépendantes » me paraît tellement proche aussi de ce dont je voudrais parler.
Mais il faut bien choisir un titre. Et, il faut bien se lancer aussi. Cela doit bien faire une dizaine de jours que je pense à écrire cet article puis que je me rétracte. En me disant que cet article a assez peu d’intérêt. Qu’il fait trop « cérébral » ; qu’il va ennuyer toutes celles et tous ceux, qui, cet été mais aussi plus tard, ont surtout besoin de légèreté. Et non pas de quelqu’un qui va venir les encombrer avec des pseudo raisonnements tirebouchonnés à rallonge. Où est passée ma fantaisie ? Je ferais peut-être mieux de partir à sa recherche au lieu de circuler dans mon corbillard.
Je n’ai fait aucune étude sérieuse pour cet article. Je vais seulement allonger deux ou trois de mes pensées sur le sujet. En me fiant, aussi, au peu de mon expérience.
Il y a quelques années, j’ai eu une copine qui, assez vite au début de notre relation, m’avait dit être « fusionnelle ». Je ne me suis pas senti importuné. J’étais décidé à, enfin, avoir une relation sentimentale durable avec quelqu’un.
Elle me plaisait. Je m’entendais bien avec elle.
Notre relation avait duré cinq mois. Quelques jours avant notre rupture, elle s’était mise à pleurer dans le lit, chez elle, à mes côtés.
Elle ne s’y retrouvait pas dans notre relation. Ce n’était pas possible !
« Fin » stratège, et très grand psychologue, j’avais opté pour partir chez moi. Et pour la revoir un ou deux jours plus tard lorsqu’elle aurait retrouvé ses esprits.
A mon retour chez elle, j’avais retrouvé toutes mes affaires préparées près de la porte d’entrée.
Cinq mois plus tôt, au début de notre histoire, ma copine d’alors m’avait affirmé, chez elle :
« Tu es chez toi ».
Cinq mois plus tard, j’étais éjecté comme un déchet.
Même si elle avait pris le temps de « m’expliquer » la raison pour laquelle elle se séparait de moi, je garde vis à vis de cette rupture un certain sentiment de colère. Non pour la rupture. Une rupture est rarement agréable à vivre. Et j’en avais connu d’autres. Mais pour cette façon d’être évincé. Tout était déjà tranché avant même que je ne revienne chez elle. C’est ça que je n’ai pas aimé.
Dans ses explications, ma future ex s’était appliquée à être aussi transparente et humaine que possible. Elle me trouvait monotone. Déplorait que notre humour soit différent. Qu’elle ne riait pas à mes blagues. Et moi, aux siennes. Le flop.
Je me rappelle aussi de ce constat qu’elle avait fait devant moi :
« Tu es le plus gentil des garçons que j’ai connus. Tu m’apportes un équilibre et une stabilité ».
Je m’étais abstenu de lui dire que j’en déduisais donc qu’elle recherchait le déséquilibre et l’instabilité dans ses histoires d’Amour. Qu’on lui fasse mal. Puisqu’elle me jetait, moi, le garçon «le plus gentil » qu’elle ait connue et qui lui apportait « équilibre » et « stabilité » :
Ma future ex avait ( et a toujours sans aucun doute) un bien meilleur niveau socio-économique que le mien ainsi qu’un niveau d’études supérieur au mien. « L’équilibre » et la « stabilité » qu’elle avait mentionné était affectif et psychologique et aucunement économique.
Dans ses griefs, à aucun moment, ma future ex ne m’avait reproché de se farcir tout le ménage. Mais sans doute cela serait-il advenu avec le temps puisque depuis la lecture de Réinventer l’Amour et de Les Couilles sur la table, j’ai appris que la majorité des femmes, dans les couples, se retrouve surchargée par cette partie de la vie quotidienne. Avec l’éducation et les devoirs des enfants. Mais aussi l’organisation de la vie du couple.
Après une rupture, comme après tout événement difficile, il nous est souvent nécessaire de reprendre ou de retrouver notre souffle.
Mon ex avait raison : j’avais été beaucoup trop gentil avec elle. J’avais été si volontaire et si désireux que notre relation tienne que j’avais accepté qu’elle empiète sur mon espace et mon intimité. Je ne l’avais pas remise à sa place certaines fois où il aurait été justifié de le faire.
A plusieurs reprises, lors de notre relation, j’avais eu le sentiment d’étouffer lorsque, plein d’entrain, elle venait se coller à moi. Mais je n’avais rien dit. Je m’étais plutôt tenu à distance progressivement : froidement. Je ne savais pas comment m’y prendre avec ce genre de relation…fusionnelle. J’avais d’ailleurs oublié le mot. Pour moi, c’était une relation de couple. Et, j’étais volontaire.
Après ma rupture, j’avais retrouvé mon souffle en passant par la déprime, ma vie quotidienne, et une thérapie.
Ma première thérapie.
Car j’en étais arrivé à la conclusion qu’après cette énième rupture, je ne pouvais plus parler de malchance. J’avais néanmoins commencé à me dire que certaines personnes étaient « douées pour le bonheur » et que, moi, je n’en faisais pas partie.
Ma thérapeute, en écoutant notre histoire et celle de notre rupture, en avait conclu que mon ex et moi nous étions comportés comme » deux enfants apeurés ». Je n’en n’ai jamais voulu à ma thérapeute pour cette conclusion. Et je garde de ma thérapie de plusieurs mois avec elle et d’autres ( une thérapie de groupe qu’elle m’avait proposé et que j’avais accepté) un bon souvenir.
Ma vie quotidienne continuait malgré ma déprime. C’est à cette époque que je fis la rencontre, près de chez moi, à l’exposition Les Cinglés du cinéma, du rédacteur en chef du mensuel de cinéma papier Brazil : Christophe Goffette.
Grâce à cette rencontre, pendant deux ans et demi, jusqu’à l’arrêt de parution de Brazil, je fis l’expérience, avec d’autres, de journaliste cinéma. Une expérience qui m’envoya deux fois au festival de Cannes et qui me permit, aussi, de réaliser les interviews de réalisateur et d’acteurs que, bien-sûr, je n’avais jamais imaginé pouvoir rencontrer un jour.
Cette expérience, et d’autres, me permirent de mieux respirer. A nouveau.
Respirer est notre premier besoin. A la naissance, le bébé qui respire mal est placé sous assistance respiratoire. Car mal respirer affecte aussi notre cerveau. Le développement mais aussi les capacités de notre cerveau.
Apnée et autonomie
Je pratique un peu l’apnée dans un club. Un être humain, s’il s’entraîne à l’apnée régulièrement ou s’il a des facilités pour cela, peut se passer de respirer pendant deux à trois minutes pour la moyenne des êtres humains et jusqu’à huit ou neuf minutes pour les plus performants d’entre eux.
Le record du monde d’apnée statique sans équipement pour un être humain est de onze minutes et trente cinq secondes depuis l’année 2009. Record réalisé par le Français Stéphane Mifsud.
Je tiens à parler de l’apnée dans cet article car, en Anglais, « Apnée », se dit « Free Dive ». « Immersion » ou « Plongée » libre.
Par « Libre », il faut comprendre « autonome ». Sans équipement : sans bouteille comme les plongeurs bouteille.
Un être humain, lorsqu’il pratique l’apnée, selon son niveau de pratique mais aussi selon sa forme morale, physique et la température de l’eau, peut donc « tenir » entre deux et neuf minutes dans l’eau sans respirer. Et sans que sa santé morale ou physique soit affectée par cette apnée. S’il a tenu compte de ses limites, il peut même avoir du plaisir à pratiquer ces apnées.
Affectivement, je me demande dans quelle mesure les capacités d’autonomie de l’être humain peuvent se rapprocher de celles d’une personne qui pratique l’apnée :
Je me demande au bout de combien de minutes, en moyenne, un être humain a t’il besoin de reprendre contact avec un de ses semblables pour se sentir « bien ».
Cette durée sera évidemment variable selon les âges, selon les moments, selon les situations et selon les personnes.
Un bébé a, a priori, plus besoin d’être régulièrement en contact avec ses parents ou des personnes attentives et bienveillantes qu’un enfant de cinq ans ou qu’un adulte de trente deux ans. Sauf que le développement de certains modes de vie vient contredire ça.
Séparation/ Silence/ Lenteur :
Il y a plusieurs années, le Dr Bruno Rist, un des meilleurs- si ce n’est le meilleur- cliniciens avec lesquels j’ai travaillé, médecin chef (pédopsychiatre) du service où je travaillais alors, s’était amusé à nous voir avec nos téléphones portables. Sans doute étions-nous en train de manipuler notre portable ou d’envoyer des sms. Il nous avait alors dit en souriant :
« Cela veut dire que vous n’êtes jamais séparés ».
La séparation mais aussi le silence et la lenteur sont des situations et des périodes de notre vie que nous pouvons avoir du mal à soutenir. Beaucoup, dans nos vies, doit aller vite et doit s’entendre, être entendu ou vu. S’il y a séparation, s’ouvre le silence et peut-être l’oubli, la disparition, l’inconnu. Ce qui peut rapidement devenir difficile à vivre pour certaines personnes.
J’ai parlé de la « lenteur ». Mais « l’inaction » ou ce qui ressemble à de « l’inaction » ou à de « l’indifférence » peut être aussi difficile à vivre que « la lenteur ». Se retrouver face à quelqu’un qui nous donne l’impression que nous n’existons pas car elle ou il ne réagit pas « normalement » ou selon un langage que l’on peut « voir » et comprendre a aussi quelque chose de dérangeant.
La fusion avec l’autre, c’est la certitude qu’il ou qu’elle pense- rapidement- comme nous. Mais, aussi, qu’il ou qu’elle est- rapidement- avec nous.
La fusion est donc le contraire de la lenteur, de l’inaction, de l’indifférence, de la séparation et du silence. C’est le contraire de l’expérience de l’apnée où, lenteur, séparation (d’avec le temps, d’avec la surface, d’avec l’angoisse, d’avec l’agitation) et silence sont assez recherchés.
Nous sommes poussés régulièrement à être des personnalités fusionnelles. Nous avons nos smartphones. Nos milliers de sms et de mms quotidiens. Nos réseaux sociaux. Nos appels illimités. Nos écrans. Les multiples incitations publicitaires. Ce que nous percevons du bonheur supposé des autres.
L’un des travers de la fusion, en plus de la dépendance qu’elle entretient en nous, c’est qu’elle augmente le pouvoir de notre intolérance (à la frustration) :
Celle ou celui qui ne nous ressemble pas. Celle ou celui qui ne fait pas partie de notre clan ou de notre groupe. Celle ou celui qui ne colle pas- très vite- avec ce que l’on exige d’elle ou de lui. Celle ou celui qui ne pense pas- très vite- comme nous ou qui s’écarte un peu est jugé et condamné rapidement.
Un des exemples les plus courants de cela depuis quelques années se retrouve dans les « clashes » entre les rappeurs. Untel a « trahi ». Untel ne fait pas partie de telle tendance. Untel a dit ceci.
Cette sélection/exclusion par la fusion « marche » aussi pour les couples, les groupes d’amis. Mais elle peut également « marcher » dans le monde du travail entre collègues.
Notre tendance à la fusion s’étend de jour en jour. Elle permet des plus ou moins grandes rencontres. Elle en empêche aussi.
C’est ainsi que bien que volontaires pour certaines expériences, et malgré nos efforts, on peut être amené, un jour, en revenant, à retrouver nos affaires qui nous attendent contre un mur près d’une porte d’entrée. Il nous revient alors de savoir plier bagage afin d’aller retrouver de l’air ailleurs.