La Nuit du 12, un film de Dominik Moll inspiré du livre 18.3 Une année à la PJ de Pauline Guena.
Les rencontres peuvent transformer une vie. Elles peuvent tuer, aussi.
L’héroïne de La Nuit du 12 est une victime. Elle meurt d’asphyxie, enfermée dans les gaz relâchés par ces flammes qui l’ont brûlée vive. Telles beaucoup de victimes, elle a la surprise de recevoir sa mort dans un endroit familier. A un moment où cette idée est pour elle complètement incongrue. Elle revient d’une fête. Elle est heureuse, seule, se sent libre, légère et en sécurité. Comme d’autres femmes avant et après elles et tant d’autres victimes (enfants, personnes vulnérables ou en état de vulnérabilité).
Entretemps, son meurtrier a pu l’attendre et su s’approcher d’elle avec d’autres projets.
La Nuit du 12 aurait pu s’appeler La Femme du 12 ou L’innocence du 12.
L’innocence, l’insouciance, la féminité, la joie et l’optimisme, même lorsqu’ils relèvent de l’évidence pour celle ou celui qui les incarnent, restent inflammables. Ils ne sont jamais définitivement acquis. Il faut apprendre à les protéger. Ce n’est pas donné à tout le monde de le savoir. La Nuit du 12 apporte une nouvelle fois la preuve que celles et ceux qui l’ignorent peuvent les perdre et en mourir.
Pour enquêter sur le meurtre de Clara (interprétée par Lula Cotton-Frapier), la police judiciaire, plutôt que la gendarmerie, est désignée. Elle est faite de professionnels. Le terme « professionnels » se conclut par « elles » mais ce sont tous des hommes. Blancs. L’enquête se féminisera et se métissera un peu vers les trois quarts du film avec l’ajout/l’atout d’une juge d’instruction (l’actrice Anouk Grinberg) et d’une jeune flic, Nadia (l’actrice Mouna Soualem).
Mais au départ, l’enquête policière est exclusivement et activement masculine. Les femmes seront soit victimes, soit proches de la victime (la meilleure amie, la mère) soit éventuellement complices d’un des suspects.
Si les femmes servent souvent de sacrifice permettant aux hommes de s’élever, il y a toutefois des bonshommes dans La Nuit du 12 :
Les flics du départ du film comme du départ d’un feu.
Ces hommes sont des êtres étranges. La plupart de leurs rencontres et de leurs actions sont d’abord vouées au désastre. Il leur faudra pourtant les répéter des milliers de fois durant des années afin d’obtenir des résultats. Un crime, un délit, équivaut pour eux, non à la multiplication des pains mais à la multiplication de ces rencontres et de ces actions qu’ils vont devoir répéter. En renouvelant l’expérience du pire de l’humanité qui se révèle devant eux souvent avec désinvolture. Leur profession ressemble à une crucifixion avancée.
A un moment donné, ils ont appris leur leçon et le savent. Et deviennent presque aussi inquiétants et froids que les faits sur lesquels ils enquêtent et qu’ils annoncent aux proches des victimes.
Il y a pourtant de la prêtrise dans le personnage de Yohan (l’acteur Bastien Bouillon) le « chef » de la PJ qui a pris la relève du précédent chef parti à la retraite. Car on se demande comment lui et les membres de son équipe peuvent continuer d’ « aimer » ce genre de métier et continuer d’y croire, comme ils le font, avec rigueur et dévouement. Le film dure moins de deux heures. Mais une enquête pareille prend plusieurs années de leurs vies personnelles, lesquelles reçoivent bien des équivoques et des souffrances intimes qu’ils doivent également encaisser en parallèle.
Pourtant, ils s’accrochent. Ils continuent de récolter les effets de ces graines qu’ils n’ont ni semées ni demandées. Ils auraient de quoi se sentir persécutés ou damnés. Ils n’en n’ont pas l’air. Alors que le film donne à voir comme ils sont régulièrement immergés dans une vie fantomatique. Ainsi que dans une solitude froide et mathématique qui est tout ce qu’ils partagent – voire imposent- avec les proches de la victime ou avec leurs proches.
Tandis que les principaux suspects interrogés pètent le feu devant eux et continuent d’avoir une existence plutôt légère.
A voir le travail réalisé par ces femmes et ces hommes flics, mais aussi cette façon avec laquelle les proches de Clara essaient de continuer de vivre ensuite malgré tout, on se dit que La Nuit du 12 aurait également très bien pu s’appeler Ce qui reste de L’Humanité du 12.
La Nuit du 12 m’a au moins fait penser à des films comme : Elle est des nôtres ( 2002) de Siegrid Alnoy; L’Humanité ( 1999 ) de Bruno Dumont; Scènes de crime ( 2000 ) de Frédéric Schoendoerffer; Memories of Murder ( 2004) de Bong Joon Ho ; The Pledge ( 2001) de Sean Penn ; L.627 ( 1992) de Bertrand Tavernier.
L’un des personnages de La Nuit du 12 , Tourancheau ( joué par l’acteur Nicolas Jouhet), est sans doute un clin d’oeil à Patricia Tourancheau, journaliste et écrivaine spécialiste des affaires criminelles.
Cet article est un clin d’œil à Chamallow et à Raguse, lesquels ne sont pas spécialistes des affaires criminelles, si ce n’est qu’ils m’ont l’un et l’autre en quelque sorte rappelé d’aller voir ce film sorti ce 13 juillet 2022. Ils sauront se reconnaître sans qu’une enquête très poussée ne soit nécessaire s’ils lisent cet article.
Franck Unimon, ce jeudi 25 aout 2022.
2 réponses sur « La nuit du 12, un film de Dominik Moll, inspiré du livre 18.3 Une année à la PJ de Pauline Guéna »
J’ai vu ce film dans la moiteur d’une salle sans climatisation. J’ai peiné avec ces flics, froide de mes sueurs.
Un travail de fourmi. Des heures, des jours, des nuits… et rien. La lenteur des jours qui s’épuisent. Les couennes qui s’epaississent ; des hommes qui tentent de ne pas dévisser.
Pas de scènes spectaculaires. Juste le cloaque des boues humaines. Un dedans / dehors impossible pour ces flics Un emprisonnement à vie . Un crime non élucidé.
Moi je m’en suis bien tirée. J’étais de l’autre côté. Peinarde. Et si j’en ai sué, ce n’est pas pour les mêmes raisons…
PS : je recommande un autre film de Dominik Moll :
” Seules les bêtes”.
Bonsoir/bonjour Sylvie, je vois que nous avons ressenti le film sensiblement de la même manière. Merci pour ton commentaire.
J’avais beaucoup aimé” Seules les bêtes” de Dominik Moll. A bientôt.