Au Hammam de la gare

« La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent » nous avertit Marc Verillote, ancien membre du RAID pendant vingts ans de 1998 Ă 2018, dans son ouvrage Au CĆur du RAID Ă©crit avec Karim Ben IsmaĂŻl et publiĂ© en 2022. Ouvrage dont jâai commencĂ© la lecture alors que je nâai pas terminĂ© ma relecture de Frantz portrait Fanon dâAlice Cherki paru en 2000 ainsi que la bande dessinĂ©e Frantz Fanon rĂ©alisĂ©e par FrĂ©dĂ©ric Ciriez et Romain Lamy et parue, elle, en 2020.
AprĂšs avoir connu plus de trois semaines de grĂšve dite « dure » dans mon service, grĂšve « fantĂŽme » qui sâest terminĂ©e il y a quelques jours (en obtenant plusieurs rĂ©parations et avancĂ©es), et aprĂšs avoir beaucoup travaillĂ©, entre-autres de nuit, comme beaucoup, je me sens fatiguĂ© en ce dĂ©but dâannĂ©e.

Comme beaucoup, aussi, jâai appris cette semaine lâofficialisation du recul du dĂ©part de lâĂąge Ă la retraite qui est passĂ© de 62 Ă 64 ans ainsi que la nouvelle de la grande manifestation prĂ©vue dans six jours, le 19 janvier, pour protester contre cette dĂ©cision annoncĂ©e par la PremiĂšre Ministre Elizabeth Borne soutenue en cela par le PrĂ©sident de la RĂ©publique, Emmanuel Macron, rĂ©Ă©lu lâannĂ©e derniĂšre pour son deuxiĂšme mandat.
La phrase de Marc Verillote, ancien membre du RAID, est bien sûr à prendre avec des pincettes dans ce contexte économique, social, culturel et historique qui est le nÎtre.
La sienne se rĂ©fĂšre Ă une compĂ©tition de Judo, Ă un trĂšs haut niveau, pour laquelle, rĂ©trospectivement, il estime sâĂȘtre trop mĂ©nagĂ© lors de sa prĂ©paration pour se donner les moyens de gagner la finale. Marc Verillote se dit en effet quâil aurait dĂ» la prendre, cette « douche glacĂ©e » Ă laquelle il avait pensĂ© avant la finale de cette compĂ©tition de judo en Georgie alors quâil faisait encore partie de lâĂ©quipe de France de Judo.
Si nous prenons souvent les sportifs de haut niveau ou des professionnels qui, comme Marc Verillote, dans leur domaine, font partie de lâĂ©lite â fĂ©minine ou masculine-, câest parce-que ceux-ci nous inspirent ou peuvent nous inspirer pour les usages ou les dĂ©fis de notre vie quotidienne.
Notre vie quotidienne peut ĂȘtre usante, contraignante, insatisfaisante ou dĂ©courageante. Alors quâil suffit parfois de peu pour commencer Ă se sortir du malaise dans lequel on sâest peu Ă peu enlisĂ©. Et, cette Ă©lite ou ces modĂšles que nous regardons nous donnent lâexemple afin de nous dĂ©pĂȘtrer de cet enlisement-isolement. Car, si, nous, la majoritĂ© et la plupart dâentre nous, nous nous embourbons et piĂ©tinons, si nous, nous nous Ă©tourdissons et nous Ă©puisons dans des existences exsangues, lâĂ©lite a pour elle de savoir survoler les obstacles mais aussi de se survolter devant eux.
LâĂ©lite est un exemple ou un visage qui nous ressemble ou que nous connaissons et que nous essayons de suivre Ă notre mesure.

Si le fait de beaucoup travailler ou de beaucoup donner de soi peut user, je crois aussi que lâon sâuse dâautant plus rapidement et dâautant plus durablement lorsque lâon « vit » et « fait » par habitude de maniĂšre systĂ©matique les mĂȘmes erreurs. Nous avons la capacitĂ© de reproduire les mĂȘmes gestes, les mĂȘmes façons de pensĂ©e et les mĂȘmes choix pendant des annĂ©es en nous contentant du fait de les exĂ©cuter. Mais nous avons aussi une certaine capacitĂ© Ă pouvoir les imposer autour de nous.
A moins de nous apercevoir de nous-mĂȘmes que quelque chose cloche mĂȘme si ça « roule » ou « marche », ou dâavoir quelquâun dans notre entourage capable de nous prĂ©venir â quelquâun que nous sommes disposĂ©s Ă entendre- il nous faut souvent un symptĂŽme, une rupture, un accident ou un signal dâalarme pour percuter. Pour voir que sur notre belle chaine de montage, nous avons laissĂ© se dĂ©velopper quelques erreurs qui nous Ă©loignent plus quâelles ne nous rapprochent de notre vĂ©ritable projet.
A condition que nous soyons encore capables de voir et de rĂ©agir. Et, sâil nâest pas trop tard.

Car, si « La nature punit toujours ceux qui se prĂ©servent » comme lâannonce Marc Verillote, il est Ă©tonnant de voir comme nous pouvons trĂšs facilement ĂȘtre trĂšs performants et grandement dĂ©vouĂ©s en tant quâinlassables bourrins continuant de labourer dans le mĂȘme champ de nos mines anti-personnelles.
A moins dâavoir des projets en rapport avec cette pĂ©riode, les soldes qui ont commencĂ© cette semaine vont assez peu nous aider Ă lever le pied. Et, le lieu oĂč nous rĂ©sidons peut avoir une incidence sur les moyens dont nous disposons pour prendre le temps de reprendre notre souffle.
Mais encore faut-il avoir une certaine estime pour ces moyens.

La ville dâArgenteuil, oĂč jâhabite, est une pĂ©ripĂ©tie. Une partie dâelle se dĂ©siste, une autre partie est une pĂ©pite et lâautre, Ă mon avis, dĂ©cline. AprĂšs plusieurs annĂ©es dans ses murs et ses rues, ce constat est pour moi plutĂŽt dĂ©primant. A moins dâavoir bien su choisir son quartier ainsi que son lieu de travail par rapport Ă elle.
Pourtant, je nâai pas envie de tirer dâelle un portrait plus dĂ©labrĂ© quâil ne lâest dâautant quâun certain nombre de beaux ou de trĂšs beaux quartiers Ă Paris ou ailleurs font selon moi rĂȘver principalement parce quâils nous sont Ă©trangers ou interdits. Mais aussi parce-que que lâon ne connaĂźt pas beaucoup celles et ceux qui sây trouvent.

Et puis, on lâaura compris, ce que je dis aujourdâhui dâArgenteuil sâapplique Ă ce que je suis, aujourdâhui. Puisque cette ville, dâune façon ou dâune autre, me ressemble.
Il suffit parfois de peu pour commencer Ă se sortir du malaise dans lequel on sâest peu Ă peu enlisĂ©. Jâai dĂ©jĂ Ă©crit cette phrase. Câest aussi une situation que jâai dĂ©jĂ vĂ©cue oĂč il suffit, quelques fois, de sortir un peu de chez soi, de traverser deux ou trois rues pour quâune rencontre ou une expĂ©rience nous procure un nouvel Ă©lan et nous Ă©loigne de cette perspicacitĂ© dĂ©faitiste et dĂ©pressive dont un certain nombre de nos actions semblaient devenir le moteur.

PrĂšs de chez moi, il se trouve un hammam, oĂč je suis dĂ©jĂ allĂ© une ou deux fois, il y a deux ou trois ans. Plusieurs fois par semaine, je passe devant ce hammam. Plusieurs fois par semaine, aussi, je passe plus dâune heure dans les transports en commun, afin de me rendre Ă tel ou tel endroit. Il peut sâagir du travail ou dâune autre activitĂ© responsable, justifiĂ©e, incontournable. Ou dâune sortie de loisirs comme, demain soir, pour aller voir Sarah Murcia en concert Ă la Maison de la Radio. Vous ne connaissez pas Sarah Murcia ? Je ne la connaissais pas non plus il y a quelques mois. Jâai dâabord vu une photo en noir et blanc dâelle au Triton en me rendant Ă lâexposition des tableaux de Marie-Jo, une ancienne collĂšgue infirmiĂšre qui avait pris sa retraite quelques mois plus tĂŽt.
Pour dĂ©couvrir Sarah Murcia, je vous propose de la voir en duo avec Rodolphe Burger lorsquâils ont tous les deux repris le titre Billie Jean de MichaĂ«l Jackson.

Billie Jean, MichaĂ«l Jackson, câest loin. Jâai de la « chance », pour aller demain soir au concert de Sarah Murcia la gare est proche de chez nous. Moins de cinq minutes Ă pied. Cette chance tient aussi au choix que nous avons fait de nous installer il y a dix ans prĂšs de la gare. MĂȘme si je passerai sans doute plus de temps dans les transports en commun demain soir pour aller au concert que pour y assister Ă la maison de la radio dans le 16Ăšmearrondissement de Paris.
Le hammam est plus proche de chez nous que la gare. Mais, Ă©videmment, je me rends bien plus souvent Ă la gare quâau hammam. Et, Ă©videmment, aussi, Sarah Murcia et tous les autres artistes, ne font pas encore leurs concerts dans un hammam.
MalgrĂ© cette dĂ©sillusion, ce matin, un peu aprĂšs 7h30, je suis retournĂ© au hammam. Car, nous avons la chance, Ă Argenteuil, dâavoir un hammam qui ouvre dĂšs 7 heures du matin. Il est ouvert tous les jours sauf le mardi.
« Câest 15 euros, maintenant. Le prix a augmentĂ© Ă cause le gaz⊠» sâexcuse le gĂ©rant qui me reçoit. RĂ©guliĂšrement, jâai pu le saluer chaque fois que je lâavais croisĂ© dehors, en passant, devant le hammam. Alors que jâemmenais ma fille Ă lâĂ©cole ou au centre de loisirs.
Auparavant, lâentrĂ©e coĂ»tait 12 euros, thĂ© Ă la menthe inclus.

Le hammam de la gare est un hammam simple et propre. Peut-ĂȘtre rustique. Peut-ĂȘtre dĂ©cati. Mais il a sa clientĂšle. Il est courant de voir une caisse garĂ©e Ă cheval quelques minutes sur le trottoir en face de son entrĂ©e. On pourrait penser au braquage de la caisse. Câest plutĂŽt de la dĂ©brouille. Car trouver une place oĂč se garer dans le centre ville dâArgenteuil est hasardeux et peut-ĂȘtre mĂȘme, miraculeux.
Plusieurs mois sans pratiquer le karatĂ© Ă Bagnolet avec Maitre Jean-Pierre Vignau. Plusieurs mois sans pratiquer lâapnĂ©e dĂ©sormais Ă Villeneuve la Garenne avec le club Subaqua club de Colombes aujourdâhui « exilĂ© » car la piscine de Colombes est dĂ©sormais en travaux pour les Jeux Olympiques de 2024.
Plusieurs annĂ©es sans faire de thĂ©Ăątre. Plusieurs annĂ©es, aussi, sans pratiquer le massage bien-ĂȘtre. Plusieurs semaines sans Ă©crire un seul article pour mon blog, lequel, a connu quelques ratĂ©s techniques durant plusieurs semaines. JusquâĂ ce quâEddy, lâami photographe, lâingĂ©nieur informatique, le crĂ©atif, nâaccepte gentiment de se rendre disponible plusieurs heures Ă la fin de lâannĂ©e derniĂšre, dans son studio, afin de mâaider avec WordPress.
En ce dĂ©but dâannĂ©e 2023, et depuis plusieurs jours, jâai lâimpression de vĂ©gĂ©ter. Jâai lâimpression que « mes chakras sont bouchĂ©s » pour employer les termes tenus par un ancien collĂšgue infirmier, formĂ© au massage bien-ĂȘtre bien avant moi et qui avait commencĂ© une formation de Shiatsu quâil avait arrĂȘtĂ©. Une formation qui mâavait un moment attirĂ© sauf que je nâai rien fait de concret Ă ce sujet. CâĂ©tait avant le karatĂ©. Avant lâapnĂ©e.

Hier soir, je me suis dit que le hammam de la gare Ă©tait un trĂšs bon moyen de commencer Ă arrĂȘter de circuler dans le mauvais sens. Et que jâavais trop attendu pour y retourner. Lorsque hier soir, jâai effectuĂ© lâeffort de me rendre en voiture jusquâĂ la piscine de Villeneuve la Garenne afin de pouvoir renouer avec la vie sociale du club Ă lâoccasion de la galette des rois offerte par le club, jâai bien vu que jâencaissais au ralenti lorsque lâon me parlait. Alors que tout le monde dĂ©bordait de tonus et trouvait cela parfaitement normal. Cela nâavait rien Ă voir avec la fĂšve. Je nâai rien bu et rien touchĂ© hier de liquide, gazeux ou de solide au club. Jâavais dĂ©jĂ mangĂ© suffisamment de parts de galettes de roi au travail ces derniers jours. Et puis, depuis quelques jours, on ne voit que ça. Des galettes de roi, des couronnes, des fĂšves. BientĂŽt, ce sera autre chose.
Ce matin, en me levant un peu avant 6h30, jâai fait mes Ă©tirements et des abdos, suivis de quelques galipettes avant et arriĂšre.

AprĂšs un thĂ© en sachet bu dans une de ces tasses ramenĂ©es du Japon en 1999, ce pays, plus loin que le hammam, oĂč je ne suis pas retournĂ©, contrairement Ă ce que je mâĂ©tais dit Ă lâĂ©poque, je descends les escaliers de lâimmeuble. AprĂšs avoir saluĂ© ma fille qui va partir Ă lâĂ©cole et ma compagne. En laissant derriĂšre moi toute cette panoplie de tentacules qui nous met aux prises avec de multiples (fausses) urgences et autres bienveillantes addictions et soumissions :
Carte bancaire, internet, tĂ©lĂ©phone portable, Ă©cran en tout genre, baladeur, montreâŠ
Je nâexiste plus pour le monde connectĂ©, moderne, efficace, virtuel, instantanĂ©, lyophilisĂ©. Et civilisĂ©. Je nâexiste plus. Jâai mĂȘme disparu des rĂ©seaux sociaux, nouvelles zones Ă©rogĂšnes dont les milliards de connexions se sont beaucoup plus vite dĂ©veloppĂ©es ces derniĂšres annĂ©es que les forĂȘts qui disparaissent aprĂšs avoir dâabord disparu de notre regard.
Mais Ă©tant donnĂ© que je ne suis pas tout Ă fait lâhomme invisible pour les autres dans la rue, je me suis tout de mĂȘme habillĂ© avant de partir de chez moi. Jâai pris mes clĂ©s dâappartement comme de quoi me changer et me laver. Et des espĂšces pour payer.

7h30, pour arriver au hammam, ce nâest pas si tĂŽt que ça. Câest beaucoup moins tĂŽt que 6h00 ou 6h30, moment oĂč, au Dojo Tenshin, Ă©cole Itsuo Tsuda de RĂ©gis et Manon Soavi (le pĂšre et la fille) tous les jours de la semaine, des pratiquants se retrouvent. Et le week-end, aussi, Ă 8 heures. ( Le Maitre Anarchiste Itsuo Tsuda au Dojo Tenshin avec Manon Soavi ce mardi 8 novembre 2022 )
7h30, câest aussi beaucoup moins tĂŽt sans aucun doute que lâheure Ă laquelle Maitre LĂ©o Tamaki dĂ©bute ses journĂ©es et ses marathons de voyages et de stages ( Dojo 5, Hino Akira Sensei au Cercle Tissier ce samedi 3 septembre 2022 ) . Câest sans doute aussi plus tard que lâheure Ă laquelle Maitre Jean-Pierre Vignau (Arts Martiaux : un article inspirĂ© par Maitre Jean-Pierre Vignau) dĂ©marre ses journĂ©es ainsi que Yves ( PrĂ©paratifs pour le stage d’apnĂ©e Ă Quiberon, Mai 2021, Quiberon, Mai 2021. ) le responsable de la section apnĂ©e de mon club qui ne vit pas de cette activitĂ© et qui a aussi un emploi et une vie de famille.

Au hammam, Ă quelques mĂštres de la douche, je tombe sur un homme. En maillot de bain, torse nu, il porte des lunettes de vue. MĂȘme si jâai laissĂ© les miennes dans mon casier, je vois que câest un EuropĂ©en. Comme jâai un peu oubliĂ© comment ça se passe, je lâinterroge. Celui-ci me rĂ©pond cordialement. Jâapprends aussi quâil va au hammam une fois par semaine. TantĂŽt Ă celui-ci. TantĂŽt Ă un autre, Ă BarbĂšs. Il habite Ă Cormeilles en Parisis, pas trĂšs loin en train. Une ville que je connais et que jâaime bien. Jây vais quelques fois. A sa mĂ©diathĂšque trĂšs bien fournie en dvds.
Le hammam Ă BarbĂšs « fait plus hammam » me rĂ©pond-tâil. Câest aussi un peu plus cher. 22 euros. « Ici, ça fait plutĂŽt sauna. Mais, ce qui est bien, câest que ça ouvre Ă 7 heures. Alors quâailleurs, ça ouvre souvent Ă 10h ou 11h. Habituellement, ici, je viens plutĂŽt le samedi matin. Entre 7h et 9h, câest trĂšs bien. Il nây a personne. Aujourdâhui, je suis en congĂ©. Lorsque je ne vais pas au hammam pendant une semaine, je ne me sens pas bien. Câest comme faire du sport » me dit-il.

Avec mes horaires dĂ©calĂ©s et la proximitĂ©, je nâai pas de bonne raison pour avoir ignorĂ© aussi longtemps ce hammam de la gare. A part le fait et ma prĂ©tention dâavoir toujours eu dâautres prioritĂ©s et dâĂȘtre pressĂ©. Car pour bien profiter du hammam, il faut bien avoir deux Ă trois heures devant soi au minimum.

La douche est trĂšs chaude. Cela mâĂ©tonne. Celui qui mâa prĂ©cĂ©dĂ© dans le hammam me rĂ©pond que câest lui qui lâa rĂ©glĂ©e de cette façon. Il « ramĂšne » lâeau froide. Mes premiĂšres expĂ©riences de sauna et de hammam datent de mon adolescence. Lorsque je faisais de lâathlĂ©tisme. Lâeau trĂšs froide, le trĂšs chaud. Lâalternance. Douches froides, bain froid, sauna. Courir dehors par temps froid, faire des cross, y compris dans la boue. Câest Ă cette Ă©poque que jâavais dĂ©couvert ça. Je nâai jamais gagnĂ© le moindre cross mais je les avais toujours finis.
Plusieurs annĂ©es plus tard, je continue de suivre les mĂȘmes principes. Ceux que lâon mâavait appris dans ce club dâathlĂ©tisme, Ă Nanterre, mais aussi chez moi. Dans ma famille.
Nous entrons tous les deux dans le hammam ou le sauna car il sâagit dâune chaleur sĂšche. Nous continuons encore de discuter. Lâhomme est devant moi en train de parler depuis Ă peine deux minutes quand il me dit :
« Il fait chaud ! ». Puis, il sort. Ou, plutĂŽt, il se dĂ©pĂȘche de sortir.

Je mâinstalle et mâassieds sur la plaque de marbre sous ce soleil de pierre. Et, peut-ĂȘtre, de priĂšres. Je pense trĂšs vite Ă mon travail. Puis Ă ma compagne dans une situation dĂ©cisive. Ensuite, câest un bombardement de pensĂ©es. Un carnage. Je me dis quâavant un acte amoureux, il faudrait dâabord aller au hammam ou au sauna chacun de son cĂŽtĂ©. Puis, ensuite, se retrouver. Pourquoi sâenquiquiner dans un restaurant Ă sâalourdir la panse en restant coincĂ©s dans des vĂȘtements de convenance ou Ă rester assis dans une salle de cinĂ©ma Ă se frotter les yeux avec de la 3D alors que ce que lâon veut, câest le plan B ?
Avatar 2, Black Panther 2, Pacifiction, Les Rascals, Grand Marin et dâautres Ćuvres cinĂ©matographiques attendront encore un peu malgrĂ© leur (trĂšs) grand succĂšs public et critique. Car je suis au hammam de la gare dâArgenteuil et au summum de ma pensĂ©e.

Lorsque mon « guide » du hammam revient, il commence Ă sâenduire le corps de savon noir. Puis, en me tournant le dos et en baissant un peu son maillot de bain, il me demande si je veux bien lui en mettre sur le dos. Je sais que cela peut se faire. Mais je me dis maintenant que savonner quelquâun peut ĂȘtre une pratique risquĂ©e. Car je me rappelle que le hammam peut ĂȘtre un lieu de rencontres sociales mais aussi de drague.
Les autres risques, câest le bruit et lâagitation. Ici, pour celles et ceux qui lâauraient imaginĂ©, je ne pense pas du tout aux coups de feu du colt du coĂŻt dans un hammam et au risque dây ĂȘtre dĂ©couvert. Mais au fait que je vais aussi au hammam pour ĂȘtre au calme. Certains sâisolent dans un cloĂźtre ou dans une maison de campagne. Moi, je vais au hammam. Chacun ses moyens.
Mon « voisin » ne tient pas en place. Trop forte chaleur ou Ă©rection, il sort Ă peu prĂšs toutes les quatre minutes ou plus rapidement. Il part se doucher. Puis revient aprĂšs quelques minutes. Cependant, il ne mâenvahit pas. Sâil mâa tutoyĂ© au dĂ©part, il sâest ensuite fidĂ©lisĂ© Ă mon vouvoiement.
Jâestime quâĂ peu prĂšs dix minutes se sont Ă©coulĂ©es lorsque je pars prendre ma premiĂšre douche froide.
ça passe.
Je retourne dans le hammam oĂč, cette fois, je m’allonge sur cette petite plage de marbre en gardant mes jambes repliĂ©es car il nây a pas la place pour sâĂ©tendre de tout son long. Pendant ce temps, mon voisin poursuit ses pĂ©rĂ©grinations. Jâentends le bruit de ses claquettes mais aussi de son maillot de bain qui glisse lorsquâil se remet debout. Ses pas accĂ©lĂ©rĂ©s. La porte poussĂ©e avec hĂąte quand il sort comme sâil quittait un saloon de western.

A ma deuxiĂšme douche froide, je sens que je vacille un peu sous lâeau lorsque je ferme les yeux. Jâai un peu le souffle coupĂ© lorsque celle-ci me tombe sur la tĂȘte, la nuque, et recouvre mon visage.
Je titube un peu en allant vers ma troisiĂšme douche froide. Entre temps, alors que jâĂ©tais allongĂ©, un Arabe massif est arrivĂ©. Il doit bien faire dans les 110 ou 120 kilos. Nous nous sommes retrouvĂ©s Ă trois dans le hammam :
Un Européen, un Antillais et un Arabe. Belle mixité.
Mais si lâAntillais est bien sĂ»r indolent, il se trouve avec, dâun cĂŽtĂ©, un agitĂ©âŠ.et un compĂ©titeur.

Je me dis quâil doit souvent se retrouver ces trois catĂ©gories dans un hammam ou dans un sauna. Celui qui multiplie les expositions brĂšves de trois Ă cinq minutes (les sprints) dans le trĂšs chaud. Celui qui prend son temps, lâendormi ou lâaguicheur, câest selon. Et, celui qui veut faire le maximum et, si possible, qui tient Ă rester plus longtemps que les autres.
Peut-ĂȘtre que jâen rajoute.
Peut-ĂȘtre que notre lutteur du hammam avait peu de temps devant lui. Mais cela mâa fait drĂŽle de lâentendre sâencourager, de boire un peu dâeau Ă deux ou trois reprises. Comme sâil essayait de gagner une course contre lâaugmentation de la tempĂ©rature.
ll avait lâair de serrer les dents. Il lui fallait tenir la corde jusquâau bout et garder la position ainsi que la tĂȘte haute. Etait-il satisfait de lui lorsque je lâai entendu sortir en se ruant presque hors de la piĂšce ? Alors quâil Ă©tait en train se faire « gommer » ?
« Gommeur », dans un hammam, câest dur. Passer des heures, torse nu, dans la chaleur, Ă passer sur les peaux des autres.
Ma quatriĂšme douche froide est rĂ©ussie. Je me sens bien sous lâeau froide. Je respire de maniĂšre apaisĂ©e.
AprĂšs ça, en sortant, jâai le plaisir de voir le thermos prĂšs du plateau qui contient quelques verres de thĂ©. Ils sont tous retournĂ©s sauf un. DâemblĂ©e, je sais ce qui se trouve dans le thermos. Je me sers aussitĂŽt un premier verre. Câest chaud. Câest bon. SucrĂ© comme il le faut.

Je me dirige vers la salle de repos. Je cherche lâheure. 9h05. A peu prĂšs 1h30. Je crois que câest plutĂŽt une bonne sĂ©ance pour une reprise.
Ce temps dans la salle de repos est selon moi aussi important que celui passé dans le hammam et sous la douche froide.
Je prends la dĂ©cision rĂ©solue de mâen tenir Ă trois verres de thĂ©. Jâen boirai cinq.
TrĂšs vite, trente minutes passent. Puis, câest le moment dâaller se rhabiller et de partir aprĂšs avoir remerciĂ© le gĂ©rant et la dame, assise dans la cuisine derriĂšre lui, prĂšs de la table. Câest elle qui a prĂ©parĂ© le thĂ© Ă la menthe. PrĂšs du comptoir, je vois aussi plein de canettes de sodas sucrĂ©s. Je dis que jâespĂšre prendre moins de temps pour revenir la prochaine fois.

Je sors lĂ©ger en optant pour avoir une vraie journĂ©e de repos. Pour faire une vraie sieste cette aprĂšs-midi avant de retourner ce soir au karatĂ©. Un Maitre comme Jean-Pierre Vignau, 77 ans, qui prend la peine dâappeler tous ses Ă©lĂšves pour leur souhaiter la nouvelle annĂ©e est un Maitre quâil faut aller retrouver. MĂȘme si câest Ă une heure de transports en commun de chez soi. MĂȘme si demain, matin, jâai prĂ©vu de me rendre Ă Ste Anne Ă un sĂ©minaire animĂ© par Claude Orsel sur les addictions au jeu avec la prĂ©sence, entre autre, de Marc Valleur, lâancien mĂ©decin chef de Marmottan.
Jâattends une heure au minimum avant de manger. En attendant, je me mets Ă Ă©crire cet article, et, Ă©videmment, jâĂ©cris pendant plus dâune heure. Plus de quatre heures sont passĂ©es depuis ma sortie du hammam.
Je ne pourrai peut-ĂȘtre pas aller dans un hammam une fois par semaine comme cet homme que jâai rencontrĂ©. Mais jâaimerais bien recommencer ici et ailleurs ce genre de sĂ©ance. En allant aussi me faire masser dans des lieux de massage.
Bonne annĂ©e 2023, et meilleurs vĆux !
Franck Unimon, ce vendredi 13 janvier 2023.