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BDA

 

Pour la deuxième foi(s) de ma vie, je suis allé à la fête de l’Huma cette année. J’ai pour l’instant renoncé à regarder tous ces grands concerts qui s’y sont déroulés dans le passé. Et que j’ai raté.

 

C’est une forme de déni. 

 

Pendant des années, pour moi, la fête de l’Huma, c’était peu pratique de s’y rendre. Dans une contrée un peu trop éloignée de la banlieue que je connaissais. Ma ville de banlieue d’alors, Cergy-Pontoise, se trouve plus au nord et à l’ouest. La Courneuve, c’était un peu plus bas, à l’Est et, en transports en commun, ces deux points cardinaux s’opposaient plus qu’ils se rejoignaient.

Lors de mon existence de Cergyssois, je ne me souviens de personne en particulier, parmi mes amis proches ou collègues,  qui m’ait proposé d’aller à la fête de l’Huma. Il est bien-sûr nécessaire de savoir faire montre d’initiative personnelle. Autrement, il est tant d’opportunités que l’on rate “faute” de vouloir faire certaines expériences et d’être à découvert à la seule condition d’être entouré ou escorté  par celles et ceux que l’on connaît ou que l’on croit connaître.

Mais j’ai aussi des limites. Et la fête de l’Huma, pour moi, pendant des années, cela se trouvait plus loin que mes limites. C’était une curiosité. Je savais qu’elle existait et ça me suffisait.

 

 

En pratique, aujourd’hui, depuis Argenteuil, il m’est plus facile d’ aller à la fête de l’Huma en transports en commun.  Je prends  le bus 361, puis à la gare d’Epinay sur Seine, je prends le tramway numéro 11. Après l’arrêt Dugny-La Courneuve qui arrive assez vite, dix bonnes minutes de marche suffisent pour être à la fête de l’Huma. Et tout ça sans être obligé de repiquer par Paris en transports en commun pour descendre à l’arrêt Le Bourget avec la ligne B du RER.

Mais si je l’avais véritablement voulu, j’aurais évidemment pu me rendre à la fête de l’Huma il  y a dix ou vingt ans.

 

En 2014, c’est depuis la ligne 7 du métro que j’avais marché pour la première fois jusqu’à la fête de l’Huma. Lorsque l’on aime marcher et que l’on va à un festival de musique pour un groupe de musique que l’on tient particulièrement à voir et à écouter pour la première fois sur scène, trente minutes de marche sont facilement supportables. Surtout si l’on refuse de dépendre d’un bus ou d’une navette qu’il faut attendre pour une durée indéterminée en raison d’une très forte affluence.

 

Massive Attack était le groupe que je tenais à voir en 2014. Massive Attack. 2014. C’était il y a cinq ans.

 

Cinq ans.

 

Je n’avais pas prévu que lorsque je me mettrais à écrire cet article sur “ma” fête de l’Huma de cette année 2019, que ces simples mots ” Massive Attack” et l’année ” 2014″ me feraient dévier vers une certaine peine dans le contexte de notre année 2019 qui va se terminer d’ici un trimestre.

Je m’attendais plutôt à écrire un article principalement joyeux – j’en suis capable- assorti de photos de concerts et peut-être de courts extraits vidéos de concerts dont je suis très content et qui, je l’espère, vous feront aussi plaisir. Car c’est pour se faire plaisir que l’on se rend généralement à un festival de musique. Ce festival de musique fut-il engagé et orienté  politiquement de manière explicite comme l’est celui de la fête de l’Huma.

On va rarement à un festival de musique pour avoir envie de se suicider ou pour déprimer parce-que l’on se sent décidément trop joyeux et trop léger et qu’il est temps que ça cesse, un peu ! C’est donc content que je suis retourné à la fête de l’Huma cette année. D’abord avec femme et enfant. Puis, seul le lendemain pour Youssou N’Dour et Kassav’.

 

Je me culpabilisais un petit peu d’être venu à la fête de l’Huma uniquement pour la musique, la fête et la bonne nourriture. Je suis maintenant “rassuré” :

Repenser à l’année 2014 et au nom du groupe Massive Attack m’a rétrospectivement rapporté une certaine conscience dont je croyais m’être séparé le temps du festival.

 

En 2014, je crois me rappeler que le journal Charlie Hebdo tenait un stand à la fête de l’Huma comme chaque année depuis un moment. Cette présence de Charlie Hebdo m’avait intrigué. Je n’avais pas creusé davantage. C’était une information comme une autre.

 

2014, c’était évidemment avant l’année 2015 et avant la “massive attaque” des attentats de Charlie Hebdo; de l’assassinat de la policière Clarissa Jean-Philippe qui pensait intervenir sur un simple accident de circulation; les attentats de l’hyper-casher de Vincennes; du Stade de France;  du Bataclan; de Nice…. je ne vais pas vous faire un dessin mais j’ai appris depuis peu qu’il y’aurait 15 000 kalashnikovs en “liberté” dans cette France parallèle et invisible faite de trafics. Et que le bilan  du Bataclan est le résultat de trois kalashnikovs face à un public enfermé, surpris, paniqué et désarmé.

 

Un de mes anciens amis et collègue, Scapin- décédé entre 2014 et 2016-  d’un cancer quelques années avant de prendre sa retraite,  et dont la date anniversaire, de son vivant, était le 6 septembre, m’avait appris que la bouffée délirante aigüe ou BDA  était :

 

Un coup de tonnerre dans un ciel serein“.

 

Hier soir, une de mes collègues également infirmière diplômée en soins psychiatrique a subitement fait référence à cette phrase qu’elle connaissait aussi de ses études. Elle s’est un peu trompée. Elle a d’abord parlé ” d’un éclair dans un ciel serein”. La phrase de mon ami m’est aussitôt revenue. Après l’avoir précisée à cette collègue qui se rapproche de la retraite, j’ai été étonné de me sentir aussi touché et triste à réentendre cette phrase. Par elle, c’était réentendre mon ami dans la nuit. Revenir en arrière.

 

En 2014, année de ma “première” fête de l’Huma, j’ai l’impression que l’on portait un peu moins d’attention au réchauffement climatique de la planète et à l’Effondrement. On ne parlait évidemment pas du tout de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis. De Jair Bolsonaro à présidence du Brésil. D’Emmanuel Macron, président de la France.

On ne parlait pas non plus des gilets jaunes dont c’était hier le 45ème samedi de manifestation et de protestation d’affilée. Ou du Brexit.

 

 

Dimanche dernier, sur la grande scène de la fête de l’Huma, Dilma Roussel est venue tenir un discours en Français. Patrick le Hyaric, le directeur actuel du journal l’Humanité, en grande difficulté financière, se tenait près d’elle. Il n’était plus le Patrick Hyaric que j’avais aperçu fin aout en allant acheter mes bons de soutien à la fête de l’Huma( lire La fête de l’Huma). Ce jour-là, il était quelque peu isolé près de la Fontaine des innocents malgré la présence d’une trentaine de personnes. Un animateur ou un candidat vedette de l’émission Danse avec les stars ou de The Voice Kid aurait aisément attiré l’attention d’une foule plus conséquente.

Mais dimanche dernier, à la fête de l’Huma, plusieurs milliers de personnes qui attendaient le concert de Kassav’ ont écouté Dilma Roussel tenir un discours anti-Bolsonaro et pro-Lula.

Après elle, Priscilla, une des “meneuses” du mouvement des gilets jaunes est venue s’exprimer. Je ne la connaissais pas. Elle a rappelé le nombre de personnes qui ont perdu un oeil du fait de l’usage du LBD par les forces de l’ordre lors des manifestations des gilets jaunes. Ainsi que le nombre de blessés autres. Elle a aussi évoqué- et démenti- le fait que le mouvement des gilets jaunes ait été qualifié “d’homophobe” et de “raciste” afin d’être discrédité par le gouvernement Macron.

 

 

Bien-sûr, les interventions de Dilma Roussel et de Priscilla avaient des allures de grossière propagande communiste datant d’avant la chute du mur de Berlin devant des milliers de festivaliers ultra-connectés.

Mais ce qui échappe à la propagande, c’est le fait que, désormais, en France quatre journaux traditionnels ( au format papier) se soustraient encore à la mainmise de groupes industriels et financiers :

L’Humanité, en grande difficulté financière.

Charlie Hebdo , renfloué économiquement pour l’instant “grâce” à l’attentat et au sacrifice de plusieurs de ses membres en janvier 2015.

La Croix

Le Canard Enchaîné qui fournissait encore cette information dans son numéro de ce mercredi 18 septembre 2019 en page 3 dans l’article Milliardaires et médiavores signé O.B.-K.

Le Canard Enchaîné de cette semaine nous apprend aussi que Matthieu Pigasse, copropriétaire du journal Le Monde et désormais propriétaire du festival Rock en Seine qui se déroule à St-Cloud fin aout, essaie de revendre ses parts restantes à l’industriel milliardaire tchèque Kretinsky. ( article de Christophe Nobili Ces patrons qui rêvent d’un “Monde” du silence  également en page 3).

 

Ce qui échappe aussi à la propagande, je crois, c’est cette impression qu’en cinq ans, nous avons perdu un peu plus d’insouciance. Surtout si l’on regarde d’un peu plus près la destruction continue de plusieurs des services publics ( écoles, hôpitaux, transports, police- celle qui secourt-…).

 

Pourtant, il a fait ( trop) beau pendant cette édition de la fête de l’Huma. Un homme du service d’ordre du festival nous arrosait d’eau pour nous rafraichir en plein soleil alors que Priscilla, une des meneuses du mouvement des gilets jaunes, nous parlait depuis la grande scène. Si bien que je n’ai pas pu la filmer ou la prendre en photo de face.

La même collègue qui m’avait rappelé cette phrase apprise par mon ancien ami sur la bouffée délirante aigüe m’a appris que, pendant longtemps, aller à la fête de l’Huma signifiait devoir patauger dans la boue en raison des pluies de la fin de l’été.

 

 

A la fête de l’Huma où circulait aussi apparemment la ” drogue du viol” selon les propos d’une des animatrices de la scène Zebrock invitant à la prudence, j’ai ressenti l’envie d’une vie meilleure. C’était peut-être une rustine passagère. Sorti de ce cadre, chacune et chacun retournant très vite à ses automatismes et ses obéissances routinières.

Dans le tramway du retour, deux jeunes d’une vingtaine d’années ont commencé à chanter L’internationale  d’abord à voix basse comme s’ils avaient un peu honte de leur coming out idéologique puis, pour finir,  à tue-tête en sortant sur le quai avant la fermeture des portes. Cela m’a semblé plus théâtral qu’autre chose. Mais une passagère était d’un avis contraire. Elle aussi, m’a-t’elle répondu, il pouvait lui arriver de chanter aussi fort sous la douche. J’ai opté pour la croire sur parole et j’ai préféré me taire.

 

En face de moi, une femme d’une soixantaine d’années, plutôt belle, un caddie de courses à côté d’elle ( mais que pouvait-elle bien y transporter pour refuser ensuite que je l’aide à le porter dans les escaliers au terminus ?) a entamé une discussion avec la passagère à ses côtés et moi. Elle nous a appris être allée un peu par hasard à la fête de l’Huma pour la première fois en 1991. Pour aller voir Johnny. Elle avait entendu dire que le concert était gratuit. Une fois sur place, elle avait accepté de payer et ne l’avait pas regretté. Depuis, elle revenait chaque année. Cette fidélité -qui peut être générationnelle- à la fête de l’Huma me semble être une de ses spécificités. J’aurais pu ou dû parler un peu plus de ses  stands où se déroulent un certain nombre de conférences ainsi que des concerts de divers horizons. De ses multiples coins restauration appétissants à un tarif assez compétitif même si j’ai été surpris de voir que l’on pouvait y manger un plat…de langoustes à 35 euros. Et qu’en dépit du propos écologique officiel, les gobelets en plastique jetable restaient la norme.

 

Enfin, j’aurais aussi pu détailler l’anecdote qui m’a d’abord fait croire qu’il était possible de payer à l’intérieur de la fête de l’Huma avec sa carte bancaire ou avec des chèques vacances. Cette “négligence” m’a contraint à sortir de la fête de l’Huma pour aller au distributeur de billets le plus proche, à une vingtaine de minutes à pied. Là,  j’ai ensuite dû faire la queue autant de temps avant de pouvoir retirer quelques espèces. A la fête de l’Huma, on paie principalement avec des chèques et des espèces.

 

Si, contrairement à 2014, j’ai encore aujourd’hui mon bracelet jaune de festivalier de la fête de l’Huma 2019 et que je dors, me douche, travaille et vais à la piscine avec, c’est sans doute que je reste attaché à cette utopie qu’est notre humanité. Fut-elle amoindrie par certains tonnerres dans un ciel serein ou touchée par cette pluie qui coche certaines de nos journées telle celle de ce dimanche, semblable en cela à celui de certaines éditions passées de la fête de l’Huma que je ne connaitrai pas.

Afin de préserver le plaisir- que j’espère partagé- des photos que j’ai prises de la fête de l’Huma, je préfère les insérer dans un prochain article qui leur sera pleinement consacré.

Franck Unimon, ce dimanche 22 septembre 2019.

 

 

 

 

 

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