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Kabullywood ( sortie en salles le 6 février 2019).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Après sept années, j’ai recomposé le trajet des projections de presse. Pour aller voir le film Kabullywood réalisé par Louis Meunier en Afghanistan où il a vécu…dix années.

Je suis parti avec un peu d’avance. Le film sortira en salles le 6 février 2019.

Alors, je me suis attardé. J’avais du temps. A la gare, je me suis laissé descendre par l’escalator. A mesure que je déclinais, j’ai commencé à regarder cette publicité qui passe et repasse depuis des journées, peut-être depuis plusieurs semaines, peut-être depuis des années, à l’intérieur de ce magasin de vêtements pour jeunes beautés. Ordinairement, cette publicité et tant d’autres réclames de toutes sortes s’accumulent sur mes trajets depuis mon réveil. Et je les passe comme s’il s’agit de simples tentacules, de simples tables de calculs et de conjugaisons, que j’écarte en croyant qu’elles ne me laissent aucune trace.

Ce matin-là, j’ai regardé cette publicité jusqu’au bout, planté devant la vitrine du magasin alors que d’autres personnes continuaient plus loin.

Quatre ou cinq jeunes femmes, on dirait des adolescentes, aussi jolies que des mannequins, sont ensemble dans une pièce. Elles ont l’ennui et l’oisiveté pour seuls projets. Elles souffrent beaucoup de leur inactivité. Elles finiraient presque par se haïr. Elles ne se parlent pas. Elles se regardent du coin de l’œil d’une manière pesante en attendant que l’une d’entre elles trouve ce qu’elles pourraient bien faire.

Puis, le déclic arrive je ne sais comment. Le groupe de filles s’anime. On casse le sapin de Noël. Car on est des rebelles. On se retrouve toutes belles à une station de ski, sur la neige et dans un téléphérique où l’on rigole comme des folles en buvant du champagne à volonté. L’argent n’est pas un problème. Et la vie non plus dès lors que l’on s’amuse et que l’on peut dépenser un argent qui nous vient d’on ne sait où.

Cette pub doit durer à peine une minute. Elle passe en boucle là où je l’ai vue et sur d’autres écrans. Un certain nombre d’adolescents, de pré-adolescents et d’enfants, étrangers et du pays gobent cette pub – et d’autres- de façon illimitée, seuls ou tandis que les adultes qui sont avec eux regardent ailleurs. En repartant, je me suis demandé le montant du budget alloué à la réalisation de cette pub. Il est sûrement facile à connaître.

De manière arbitraire, je me suis très vite convaincu que le budget obtenu pour la réalisation de cette pub est sûrement plus élevé que celui dont a bénéficié Louis Meunier pour « faire » Kabullywood mais aussi pour le distribuer.

Cette pub, et quelques autres, compteront bien plus de spectateurs et de visiteurs que le film de Louis Meunier. Pour une question de moyens financiers et aussi parce-que le rêve proposé par cette pub est plus facilement accessible, davantage grand public, que celui défendu par ce film qui sortira dans bien moins de salles que cette pub ne compte d’écrans dans toute la France.

 

 

 

 

A Kaboul, en Afghanistan, Sikandar, Shab et leurs amis décident de restaurer le cinéma Aryub pour en faire un centre culturel. C’est leur façon de résister à la refonte de l’intégrisme religieux après le départ des armées occidentales. L’Afghanistan fait partie de ces pays davantage connus en occident pour la guerre et ses « fous » de Dieu. Louis Meunier s’attache aussi à nous montrer ce qu’il peut de la culture et de l’histoire de ce pays avant cette folie. Il le fait selon moi avec respect. Même si la caméra est un regard et que chaque culture peut vivre différemment le fait d’être vue ou emportée par l’œil d’un étranger.

«  La liberté n’est jamais acquise », constate Sikandar (l’acteur Omid Rawendah) vers la fin du film. Pour si éloignée de la nôtre que puisse nous paraître la vie en Afghanistan, nous pouvons peut-être trouver ici le conte un peu prémonitoire de ce qui pourrait nous advenir en occident. Si la liberté n’est jamais acquise et que la religion, l’argent et une certaine publicité devenaient l’unique vérité.

Le dossier de presse nous le rappelle :

« (….) Dans les années 70, le pays faisait figure de havre de liberté et se trouvait dans une ébullition culturelle faite de concerts, de défilés de mode, de projections de films ! ».

Kabullywood a des maladresses pour certaines de ses interprétations et pour ce qui est du déroulement de l’histoire. On pourra lui trouver des vertus comiques involontaires à voir la présentation caricaturale de certains protagonistes (mention spéciale au frère de Shab). Evidemment, le principal est ailleurs. Car au travers de ce film, la vie nous arrête à plusieurs reprises. Nettement. Sans artifices. Ce peut-être par une certaine lumière du pays. Un visage ou un regard (ceux par exemple du projectionniste Naser Nahimi qui joue son propre rôle).

Certains moments de musique.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sous couvert de fiction, Kabullywood a des qualités documentaires. Et biographiques.

Le tournage du film a connu plusieurs attentats et menaces.

Si plusieurs des comédiens se sont depuis exilés et ont intégré le Théâtre du Soleil, l’actrice principale, Roya Heydari (Shab) a choisi de rester en Afghanistan pour continuer de s’engager.

 

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.

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Cinéma

Girl

 

Girl film de Lukas Dhont sorti en salles le 10 octobre 2018

«  Il y’a des choses que l’on ne peut pas changer » affirme à Victor une de ses professeures de danse, dans une des meilleures écoles de danse classique du pays.

A l’âge où dans l’univers des comics, certains jeunes découvrent leurs super pouvoirs de mutants, Victor, lui, ploie sous l’encombrement de son corps de garçon.

Il lui faut forcer pour obtenir ce que la majorité des jeunes femmes a de naissance ou acquis plus tôt que lui en travaillant «  doucement ».

La stricte discipline de la chirurgie et de la danse classique de haut niveau sert de justaucorps au film de Lukas Dhont. Et l’on souffre avec Lara-Victor, côté pile et côté face.

Lorsqu’une consultation avec la chirurgienne nous apprend que le corps de Lara-Victor est une cartouche dont il faut vider le pénis et sur laquelle il convient de pratiquer une colostomie qu’il gardera jusqu’à la – « très lente »- cicatrisation.

Lorsque ses répétitions de danse, en groupe ou en individuel, exigent qu’il transforme en profondeur son rapport à la gravité terrestre. Car son corps est déja raide de son expérience de vie de garçon pourtant gracile. Or «  Le poids doit participer à l’action ».

D’un côté comme de l’autre, Lara-Victor se porte volontaire pour se confronter à certains canons de perfection. Il lui faut en tout point être un modèle. Les hésitations de son corps et de son âge ne sont plus de mise :

« Si tu retiens ton mouvement, tu tombes. Danse en profondeur. Tu dois travailler plus dur ».

Cependant, la chorégraphie des contradictions demeure un exercice imposé :

« Toi, tu veux tout de suite devenir une femme. Il faut vivre ton adolescence ».

Lara doit tenir. Elle peut à la fois compter sur l’affection – idéalisée ?- de son entourage proche. Elle doit aussi raviver son père lorsque celui perd pied. Et se heurter à son petit frère qu’elle materne quand celui-ci se révolte et la rejette.

Jeune homme insuffisamment sûr de sa féminité, Lara évite les douches collectives après ses répétitions de danse. Elle évite aussi les bouches des garçons. Mais elle boit les paroles des jeunes rivales de son école de danse qui la guettent et médisent alors que l’instance de leur corps est un supplice pour elle :

« Les gens parlent beaucoup ».

Devenir femme, prendre la place de quelqu’un d’autre dans un monde de compétition, et pourtant se jeter en pâture pour se faire accepter par la norme du groupe qu’elle s’est choisie- celui des apprenties danseuses de son école – cela a un prix.

Un prix d’autant plus élevé que Lara n’est pas une leader pour s’imposer face à la dictature du groupe de filles et de leurs hormones. Plus que d’autres, elle doit suivre cette consigne :

«  Vérifiez votre espace ». Autrement, l’humiliation infligée par le groupe précèdera la mutilation chirurgicale.

Sauf que Lara est celle qui, les pieds en sang, prend parfois une échelle pour s’étirer dans le mensonge. Et pour croire que devenir adulte, c’est tout affronter toute seule. Son sourire d’élite et sa voix douce saupoudrent des semi-remorques de peine.

«  Je sais que tu souffres. Je ne céderai pas ». «  Tu ne te facilites pas la tâche, hein ? ».

Si Lara expose volontiers son corps aux jugements des autres, elle reste close sur ses émois. Ce sont donc les autres qui doivent déduire ce qu’elle pense et ressent même lorsqu’avec eux le courant ne passe pas. Et ce sont les autres filles qui s’accomplissent devant elle. Ce faisant, L’identité de Lara, reste floue. Au contraire de cette détermination, assez proche de celle du Samouraï, finalement, pour changer de sexe. La cisaille contre la grisaille.

 

 

A la fin de la séance, je me suis tourné vers une spectatrice pour l’interroger. Elle m’a répondu avoir été «  prise jusqu’aux ¾ du film » puis avoir ressenti une « fatigue du film ».

Girl a en effet peut-être été un peu trop appuyé. Selon Wikipédia, le film a été très bien reçu par la critique même si l’unanimité est incomplète :

 

« Caméra d’or, le Prix FIPRESCI et la Queer Palm, alors que Victor Polster remporte le Prix d’interprétation de la section Un certain regard. L’accueil des professionnels du cinéma est unanimement très positif, mais le film est cependant critiqué par des militants de la cause trans».

(Source Wikipédia)

 

Girl justifie à mon sens bien plus d’attention que le Black Swan (2010-2011) de Daren Aronofsky qui avait donné l’Oscar à Natalie Portman pour son interprétation. Bien-sûr, dans le film d’Aronofsky, le trouble identitaire était d’un autre genre et l’on était davantage dans le fantastique. Mais pour ce qu’il suggère et sa profondeur, Girl est selon moi supérieur.

Sur un thème assez proche, j’avais aussi bien aimé les films Transamerica (2004) de Duncan Tucker et Man on High Heels ( 2015) de Jin Jang.

 

 

Franck, ce mardi 11 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

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Cinéma

Rafiki

 

« Il semblerait que ce soit un film généreux et mièvre ».

 

Il y’a plusieurs semaines, au sortir d’une séance dans un complexe de cinéma à Paris, je l’ai reconnu. Sans doute un souvenir de séances de presse partagées, chacun dans son coin, du temps où j’écrivais pour Brazil. C’était étonnant de tomber sur lui dans cet endroit.

Durant quelques mètres, j’ai marché derrière lui.

 

Je me suis décidé à l’accoster. Accessible et sympathique, il m’a alors appris avoir été mis à la retraite de l’hebdomadaire dans lequel j’avais pu lire un certain nombre de ses critiques de cinéma pendant des années. Il intervient encore dans l’émission Le Masque et la plume que je connais de nom.

J’ai défendu Rafiki. Il m’a écouté. Il a alors répondu que, comme le lui a recommandé un jour Jacques Lourcelles – qu’il m’a présenté comme un « historien du cinéma »- il est impératif de toujours se faire soi-même sa propre opinion d’un film en allant le voir.

Je l’ai écouté à mon tour : j’ignorais qui était Jacques Lourcelles.

Deux mois sont passés depuis que ce critique de cinéma et moi nous sommes croisés.

Et, c’est seulement aujourd’hui que je viens de faire quelques recherches sur le net pour découvrir l’identité de Jacques Lourcelles. Ce qui fera sourire ou grimacer celles et ceux qui sont au fait de ses engagements et d’une certaine histoire du métier de critique et d’historien du cinéma.

Alors que nous allions nous séparer, notre critique cinéma de Le Masque et la Plume et moi, j’ai pensé à dire mon nom et à évoquer mon projet de créer un blog : trop souvent, de par le passé, lorsqu’il m’est arrivé de croiser des personnes « médiatisées », j’ai oublié cette règle élémentaire, en usage pourtant lors de toute rencontre comme lors de tout cérémonial social, qui consiste….à se présenter. Peu importe que notre interlocutrice ou notre interlocuteur «  médiatisé », choisisse ensuite de classer sans suite ces « faibles » moments que nous avons passés avec lui. On acquiert davantage de présence et de consistance en donnant son nom et son prénom plutôt qu’en se confinant soi-même à double tour avec précaution dans l’effacement et l’autodénigrement. Comme l’a à peu près dit récemment l’artiste Kheiron dans une interview à propos de certains acteurs-renommés- de son dernier film (Mauvaises herbes, sorti ce 21 novembre 2018) :

« Si tu traites les gens comme des stars, ils vont réagir comme des stars ». J’ai envié à Kheiron l’évidence d’une telle assurance mais aussi d’une si grande clairvoyance que je vois comme ce qui lui a permis, avec le travail et certaines aptitudes, à « réussir » sa carrière comme il a entrepris de le faire.

Les deux héroïnes du film Rafiki de Wanuri Kahiu (sorti en salles ce 26 septembre 2018) envieraient davantage la belle assurance de Kheiron. Même si je crois aussi au fait que l’on peut faire une force de ses faiblesses. Je repense par exemple à l’actrice Yolande Moreau à qui un de ses profs, avant qu’elle ne devienne la comédienne Yolande Moreau que l’on « connaît », avait pu dire afin qu’elle croie en ses capacités au moins de comédienne : «  Vends tes faiblesses ! ».

Il y’a du Ken Loach dans cette phrase : «  Vends tes faiblesses ! ». Et, cela me rappelle cette scène dans Raining Stones où le prêtre envoie bouler Dieu et la Loi, devant la détresse et la culpabilité du héros, père croyant et de condition modeste, qui a « fauté » pour offrir un peu de rêve à sa fille.

 

« Vends tes faiblesses ! ».

 

Au début de Rafiki, Kena et Ziki sont chacune à leur façon des jeunes femmes prometteuses, bien éduquées, raisonnables et respectables. En conformité avec ce que l’on attend d’elles. Aucune faiblesse à vendre a priori.

Kena (l’actrice Samantha Mugatsia) avec son physique de garçon manqué à la Syd Tha Kid (une des artistes du groupe californien The Internet) est plutôt de classe moyenne. Elle fait la navette entre ses parents divorcés, les études, le petit commerce de son père et le foot avec les copains.

Ziki, elle (l’actrice Sheila Munyva) est la jeune bourgeoise insouciante qui émet une sorte d’excentricité capillaire ostentatoire. Tout se passe bien pour les deux jeunes femmes tant que chacune vit dans sa jarre.

Nous sommes dans le Kénya d’aujourd’hui, à Nairobi, pays plutôt prospère économiquement et assez stable politiquement malgré certains événements récents particulièrement violents.

 

Rafiki se déroule dans un écrin à l’écart des menaces terroristes et des actes de délinquance.

 

Mais Kena et Ziki ont la faiblesse de s’attirer l’une et l’autre. Les jarres se brisent. Et, à mesure qu’elles se découvrent et commencent à s’émanciper, elles découvrent les limites de leur liberté comme celles de la compréhension de leurs proches. Lesquels sont autant voire plus corsetés qu’elles ne le sont par certains stéréotypes sociaux. Péril périphérique, la solitude de Kena et Ziki ne fond pas alors qu’elles sont perçues…comme de mauvaises herbes.

On peut vendre ses faiblesses ou chanter Come Smoke My Herb comme l’artiste Me’Shell Ndégéocello dans une société qui l’accepte. Kena et Ziki vivent dans une autre société. Leur amour (comme tout amour ?) est révolutionnaire ou un luxe que leur entourage perçoit comme un mauvais sort jeté au visage de toute la communauté et de toutes les générations précédentes.

Ça fait penser à Roméo et Juliette version LGBTI ? Oui. Rafiki est un film révolutionnaire au moins pour son sujet ; parce qu’il a été interdit au Kenya ; parce- qu’il s’agit du premier film kenyan sélectionné au festival de Cannes ; parce qu’il nous montre une autre couleur que celle des safaris, des splendides paysages africains, et de ces femmes et hommes africains, « c’est formidable ! » qui ont toujours la banane et nous redonnent le sourire pour la journée.

 

Franck, ce mardi 27 novembre 2018.

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Frères ennemis

Frères ennemis un film de David Oelhoffen (sorti en salles le 3 octobre 2018 )

Je tenais beaucoup à voir ce film. D’un côté, l’acteur Matthias Schoenaerts dont je préfère la prestation dans le film Bullhead ( 2011) à celle qu’il avait pu ensuite délivrer dans De Rouille et d’os ( 2012) de Jacques Audiard. Même si j’aime beaucoup le cinéma de Jacques Audiard. Peut-être parce-que j’avais été influencé par mes très bons souvenirs de lecture, quelques années auparavant, du livre de nouvelles Un Goût de rouille et d’os de l’auteur Craig Davidson dont Audiard s’était inspiré.

Je n’ai pas encore vu l’acteur Matthias Schoenaerts dans Maryland (2015) d’Alice Winocour.

De l’autre côté, l’acteur Reda Kateb que j’avais interviewé pour son rôle dans Qu’un seul tienne et les autres suivront ( 2009) de Léa Fehner et dont j’essaie autant que possible de suivre la fertile carrière.

 

L’affiche montrant Reda Kateb et Matthias Schoenaerts face à face est racoleuse. Le titre du film est racoleur. Et le rictus de Reda Kateb est peu flatteur pour lui. L’un des inconvénients avec ce type d’affiche, c’est d’inciter le spectateur à faire des comparaisons avec des films policiers américains comme Heat ( 1995) de Michael Mann où les deux acteurs vedettes- mondialement connus- poids lourds que sont Robert De Niro et Al Pacino avaient partagé l’affiche. Certains spectateurs qui auront ce genre de film en tête comme repère seront sûrement déçus devant l’écran. Mais il fallait bien rendre ce projet attractif et convaincre les amateurs de films policiers qu’une réalisation franco-belge peut captiver notre attention.

 

Frères ennemis a certes des scènes d’action très bien filmées et très bien servies. Mais ce serait du gâchis que de le résumer à un film de « Boum-Boum ! Pan ! Pan ! T’es mort ! Tu croyais que tu allais m’avoir ?! Regarde ta face dans le crachoir. Je t’ai bien eu, fils de p… ! ».

 

Reprenons-nous. Frères ennemis a bien sa personnalité. Celle d’un film bien au fait d’une certaine réalité sociale au moins en France peut-être en Belgique.

 

Le film respecte la règle selon laquelle, la solidité d’une histoire tient une sa bonne distribution et à un scénario bien taillé. Même si, quelques fois, il y’a des bouts qui dépassent.

Autour de Matthias Schoenaerts et Reda Kateb, j’ai été marqué par les rôles clés tenus par Adel Benchérif ( Imrane), Ahmed Benaissa ( Raji, le « parrain » de la cité ), Gwendolyn Gourvenec ( Manon, l’ex-compagne de Manuel joué par Matthias Schoenaerts ). Et il m’a plu de retrouver l’acteur Marc Barbé, qui, dans Qu’un seul tienne et les autres suivront de Léa Fehner, imposait sa violence au personnage friable interprété alors par Reda Kateb. Indirectement, il est assez drôle de pouvoir constater dans ce film l’évolution de ces deux acteurs dans les deux rôles qu’ils occupent.

 

J’ai beaucoup aimé Frères ennemis car j’y ai retrouvé de ce fatum présent dans un film comme Romanze Criminale (2005) réalisé par Michele Placido, où, en devenant adultes, les héros sont restés les mêmes enfants se heurtant aux mêmes murs du monde qui les entoure et qu’ils aspirent, pourtant, à conquérir. Ils ont beau devenir grands et calés dans leur domaine (les Stups pour Driss devenu flic, le trafic de coke pour Imrane et Manuel) ils restent contrecarrés par leurs limites.

Tout puissants et reconnus qu’ils sont, Imrane et Manuel appartiennent plus à leur cité de banlieue qu’elle ne leur appartient. Manuel a beau avoir un bel appartement dans un bon quartier parisien, celui-ci est déserté et lui sert…de cité-dortoir voire de cachette.

La vie qu’il aurait souhaité reste pour lui énigmatique. La greffe, malgré l’attirance magnétique que cette vie rêvée a sur lui, n’a pas pris. Et l’on devine par sa relation avec son ex compagne, Manon, qu’il est trop dépendant de sa vie passée pour pouvoir s’insérer dans un autre mode de vie. Ses véritables repères se trouvent dans l’environnement qu’il a toujours connu et qui va l’engloutir : la cité où il a grandi.

Un des points forts du film est d’avoir bien montré que la dépendance de Manuel, Imrane et de Driss s’exprime par rapport à ce passé et cette cité qu’ils ont en commun.

Frères ennemis nous fait donc l’économie de protagonistes embarqués par les effets d’une consommation inflationniste de stupéfiants. Ce faisant, le film rappelle une vérité. Un « bon » trafiquant de stupéfiants est un trafiquant clean, lucide, vif, instinctif et suffisamment maitre de lui-même. Un adepte du grand banditisme, c’est d’abord une personne qui a certaines aptitudes physiques, qui sait se servir de sa tête et qui connaît si bien son environnement qu’il peut s’y déplacer et s’en échapper sans se faire attraper.

Le film nous le montre à plusieurs reprises de manière réaliste. Car la cité où ont grandi Driss, Manuel et Imrane, est leur royaume.

Ce royaume, Driss a fait le choix de le quitter pour être en accord avec la loi. Ce qui aurait pu, normalement, se traduire pour lui en respect et admiration, s’est transformé en bannissement et en reniement. Il est le portrait-robot du traître. Peut-être parce qu’il est devenu flic et que le flic, ici, représente le Français armé, le blanc, le riche, qui s’en prend aux étrangers et aux pauvres. Peut-être aussi, ce n’est pas énoncé, parce qu’il a choisi de se mettre en couple avec une Française. A voir la popularité et la respectabilité dont bénéficient Imrane et Manuel au contraire d’un Driss, particulièrement esseulé sauf lorsqu’on le voit avec sa fille idéalement mature et sereine, on a une idée du fort attrait que le crime et la loyauté peuvent exercer sur bien des jeunes et des moins jeunes.

 

Comme dans tout film policier, nous assistons à des duels entre des caractères affirmés. Entre untel et untel qui joue au chat et à la souris avec untel. En plus de cela, Frères ennemis, sans trop en faire, nous explique qu’il y’a deux sortes d’adeptes du grand banditisme :

 

Ceux comme Imrane et Manuel, dans la force de l’âge, qui sont établis, organisés, respectés mais qui vivent au jour le jour. Ce qui les rabaisse au rang de petites frappes malgré leur « réussite ».

Et ceux qui voient loin, qui étrennent une certaine conscience politique, et bénéficient d’une très haute respectabilité.

Les scènes familiales et conjugales de Frères ennemis sont abouties. Il en est une où Driss rend visite à ses parents. On comprend ce qu’il lui en a coûté de grandir et de s’émanciper. Mais ce film dit aussi beaucoup avec peu de mots. Et c’est aussi en cela qu’il est réussi.

Lorsque Manuel, braqué par un de ses complices, reste le dominant et le soumet à la confession :

« Regarde-moi ! ».

Lorsque Driss doit presque se cacher à l’égal d’un clandestin en situation irrégulière dans son ancien quartier pour assister durant quelques moments à une partie de pétanque à laquelle son propre père participe sans doute.

Ou Lorsque Driss encore, au sortir d’une planque, est entouré de jeunes de sa cité qui le menacent.

 

La conclusion du film est socialement très pessimiste pour le futur d’une certaine jeunesse et d’une partie du pays puisque la famille qui devrait être un repaire garant de l’avenir est ici une famille décomposée, déloyale ou qui renie ses enfants.

 

Franck, ce vendredi 19 octobre 2018.

 

 

 

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De Chaque instant

De Chaque instant documentaire réalisé par Nicolas Philibert, sorti en salles ce 29 aout 2018.

 

L’eau coule sans fin dans l’évier. C’est une hémorragie qui va aider la vie. Son débit maitrisé par un robinet va permettre de se laver les mains. Mais selon un rituel à même de préparer des étudiantes et des étudiants infirmiers. Chaque enseignement a ses règles et ses interdits. Il y’a dans cette première scène et dans ce simple geste, pratiqué sans doute un million de fois dans une existence, de De Chaque instant de Nicolas Philipert , l’exposition en pleine lumière d’un dressage aussi justifié soit-il pour des raisons sanitaires. Cette eau qui s’écoule depuis ce robinet, cela peut aussi être l’âme de ces étudiantes et étudiants infirmiers mais aussi celle de tant d’autres personnes appartenant à leur passé comme à leur futur.

Il en faut de l’eau pour pouvoir se laver les mains correctement afin de pouvoir prendre soin de soi et du monde. Beaucoup d’eau. Cette simple scène d’apprentissage de lavage des mains où chacune et chaque étudiant infirmier s’entraîne prononce d’emblée le paradoxe de ce métier de soignant : pour être pratiqué dans des conditions correctes, il a besoin de moyens, ici, en eau, qui s’amalgament difficilement avec certaines règles élémentaires d’écologie ainsi qu’avec bien des desiderata économiques.

 

On peut formuler cela autrement.

 

Même en s’entourant de certaines précautions et en veillant à anticiper, à planifier, il peut être très difficile voire impossible pour une infirmière ou un infirmier un tant soit peu consciencieux de regarder sa montre ou de privilégier son état de forme au regard de certaines situations sensibles. La vie et la mort se maitrisent beaucoup moins bien qu’un robinet que l’on ouvre et ferme selon notre volonté. Et c’est donc en piochant dans ses ressources et ses réserves morales, intellectuelles, physiques, psychiques et techniques, parfois financières, qu’un soignant compensera bien des fois les carences, les lacunes, les manques et manquements d’un patient, de sa famille ou de ses proches, mais aussi celles et ceux de l’institution qui l’emploie. Toute infirmière et infirmier fera donc l’expérience- soit au cours de sa formation mais aussi ensuite- de malmener ou de négliger sa propre écologie «  pour le bien du patient » ou «  pour combler ou satisfaire » l’institution qui l’emploie.

L’infirmière et l’infirmier font partie de ces professionnels dont les horaires de travail occupent tout le cadran solaire et tous les jours d’une année. Il arrive aussi qu’ils soient par exemple sollicités pour des tâches de manutention, tâches a priori étrangères à leur titre. Ou pour remplacer au coup par coup ce que son institution a omis ou choisi d’oublier de remplacer.

 

Et, une personne qui veut gagner beaucoup d’argent de par sa profession se dirige rarement vers le métier d’infirmière ou d’infirmier. Ou alors, c’est qu’elle aura été mal renseignée ou qu’elle se destine à certaines spécialités très pointues et très lucratives- des niches- où les patients représentent un chiffre d’affaires avant de représenter des êtres humains. Sauf, aussi, si elle est prête à travailler trente jours sur trente ou à être sur deux postes en même temps.

 

Le métier d’infirmier est donc un métier soumis à différentes formes d’exigences et qui, en contrepartie, fournira une gratification relative voire modérée d’un point de vue pécuniaire. Pourtant, c’est un métier où, de plus en plus, l’institution qui l’emploie lui demande des comptes et supprime des moyens de toutes sortes (formations plus difficiles à obtenir, diminution de postes, changements d’horaires de travail, réduction du nombre de jours de congés, fermeture des crèches à destination du personnel….).

 

Cela, c’est moi qui le souligne afin de compléter le documentaire de Nicolas Philibert que je trouve très bien fait. Il filme très bien par exemple ces deux cours contradictoires où, d’un côté on enseigne à nos futurs infirmières et infirmiers qu’ils ont des « Devoirs ». Et où , d’un autre côté, on leur affirme qu’ils ont « une indépendance professionnelle » qu’ils se doivent de défendre…..

 

Mais j’imagine que comme moi alors que j’étais en formation, ces étudiantes et étudiants infirmiers ont pour eux leur insouciance ainsi que d’autres priorités et sont plus portés sur ce qui valorise ce métier. Alors que je découvrais ce documentaire, je me suis avisé que jeune diplômé, et même après, je me serais abstenu d’aller le voir en salle.

La formation d’infirmier m’a pris une certaine innocence. Et le métier qui consiste à manger de la souffrance et de la violence en permanence est suffisamment contraignant pour qu’une fois sorti du service, on choisisse d’aller au cinéma pour voir et vivre autre chose que ce que l’on a vécu et revécu de l’intérieur pendant nos heures de service.

 

Pour nous dépeindre la formation qui nous mène jusqu’au métier d’infirmier, Nicolas Philibert réalise un documentaire en trois actes :

 

1 ) L’Apprentissage à l’école avec les différents intervenants, infirmières et infirmiers de formation mais aussi médecins et autres.

 

2 ) En stage. On suit certaines étudiantes et étudiants lors d’une partie d’un de leur stage. Ce qui permet de constater à nouveau qu’il y’a aussi un grand potentiel cinématographique dans certaines situations vécues à l’hôpital et, ce, en se passant des inconditionnelles scènes «  d’urgences médicales » comme des sempiternelles « Ne vous inquiétez pas ! Tout va bien se passer ».

 

3 ) Le témoignage de certaines et certains de ces étudiants infirmiers face à certaines et certains formateurs.

 

Le documentaire de Philibert m’apparaît très approprié. J’ai éprouvé une certaine gratitude pour toute sa partie «  témoignages » d’autant que la profession infirmière est une profession souvent bâillonnée. L’un des témoignages d’une des étudiantes m’a semblé être une douloureuse et très juste illustration de ce que peut être ce métier si on s’y engloutit sans apprendre à se préserver : ce métier peut se transformer en cambriolage de notre propre existence. Et, dans la partie « témoignage », je regrette que le formateur ou la formatrice qui en a l’occasion avec un ou une étudiante reste flou sur ce sujet. Il fallait dire ouvertement qu’il est plus qu’important, dans ce métier, d’apprendre à connaître ses limites et à en tenir compte. Et qu’il peut être utile, pour cela, de consulter des professionnels (psychologue, médecin ou autres) et de se familiariser avec ce genre de consultation avant de se retrouver dans le rouge.

Dans la salle de cinéma où je me trouvais, la moyenne d’âge était d’une cinquantaine d’années à vue d’oeil. Je n’ai pas fait de sondage. Dans le fond de la salle, un homme rigolait de temps à autre. J’ai d’abord cru qu’il se moquait des méthodes pédagogiques de certaines et certains formateurs. Et puis, devant une autre scène, peut-être au moment des témoignages, j’ai compris que la raison était toute autre. Cela a été plus fort que moi. Je me suis tourné vers le fond de la salle pour l’informer de façon bien audible :

« Monsieur, ce n’est pas drôle ! ».

Aussitôt, un autre homme, lui, visiblement installé au tout premier rang, face à l’écran, de me répondre :

« Parfois, oui ! ».

«  Ici, non ! » lui ai-je dit. Quelques secondes sont passées puis l’homme du premier rang a repris :

« Et, ici ?! ». Je n’ai rien répondu. Il n’y’avait rien à répondre. Et c’est peut-être là le gouffre dans lequel se trouve le métier d’infirmier face aux différents gouvernements qui pondent une certaine politique de Santé qui met à mal le métier d’infirmier et d’autres professions de santé. Il arrive un stade où il n’y’a plus rien à répondre. Lors d’une manifestation de soignants à laquelle j’ai un peu participé à Paris ce 6 septembre 2018, j’ai vu ce que je ne voyais plus depuis des années. Le métier d’infirmier reste un métier de femmes. En France, la femme reste déconsidérée d’un point de vue professionnel et salarial. Et, après que l’on ait entendu parler de l’affaire Harvey Weinstein dans le milieu du cinéma et des prises de position que cette affaire a déclenchées en faveur des femmes, je me suis avisé que la profession infirmière, elle, restait pour l’heure « arriérée » ou rétrograde en termes d’image dans la société française. Quitte à passer pour un misogyne sans cervelle et sans courage, je me dis que le fait que le métier d’infirmier soit encore principalement un métier de femmes doit, aussi, être l’une des raisons pour lesquelles ce métier reste (mal) traité comme il l’est. Le métier d’infirmier reste perçu à mon sens comme un métier de soin, soit comme une vertu « naturellement » féminine qui va de soi. Je résume : tandis que les ( très) grands dirigeants (principalement des hommes) de cette société et de ce monde font des lois, adoptent des stratégies militaires, politiques, économiques ou autres, les « bonnes femmes » que sont les infirmières et les infirmiers font le boulot, certes beau et nécessaire qu’il faut faire, et pour lequel elles et ils sont faits de toute façon. Donc, de quoi se plaignent-elles les infirmières ?! Ainsi que les hommes qui sont infirmiers ?! Puisqu’il s’agit d’une « vocation » ?!

 

Je crois aussi que le jour où les infirmières et infirmiers seront tous énarques et capables de s’exprimer dans la langue de Shakespeare, tant pour la façon d’exprimer leur pensée, de gérer leur carrière que pour la langue, qu’ils bénéficieront alors d’un statut plus valorisant. Cela est évidemment plus qu’une chimère. Aussi, aujourd’hui, même si le métier d’infirmier est officiellement et politiquement « flatté » et caressé comme on le fait d’un animal domestique ronronnant et affectueux, il reste finalement un métier perçu par bien des élites (politiques et autres) comme un métier de vassal et de prolétaire.

 

Franck, ce lundi 17 septembre 2018.

 

 

 

Deux mois sont passés depuis la rédaction de cet article. Publié parmi d’autres de mes articles, celui-ci, à ce jour, n’a pas été lu. Cela me donne l’occasion de le compléter aujourd’hui, malheureusement, suite à un constat à nouveau assez déprimant.

Depuis la rédaction de cet article,  le mouvement des gilets jaunes que j’évoque dans plusieurs articles ( dont Privilégié ou La Vocation et le talent  dans la rubrique Echos Statiques ) est apparu. Et, ce, quelques mois après la grève de trois mois de la SNCF qui, en dépit d’une certaine radicalité qui l’a rendue assez impopulaire et incomprise, a semblé annihilée par la stratégie du gouvernement. Dans mes souvenirs, les manifestations infirmières depuis une trentaine d’années ont toujours été des manifestations pacifistes et “obéissantes”. Et bien moins dérangeantes que celles menées par la SNCF ou les routiers par exemple.  Ce monde du silence   ( celui des infirmières, infirmiers, et des soignants en général) a un prix. Comme on pourra s’en faire une idée dans les extraits du Charlie Hebdo de ce 26 décembre 2018 ( numéro 1379) dont je publie quelques photos à la fin de cet article. Le prix d’une certaine souffrance humaine. Et, il est difficile de savoir quelle conscience de cette souffrance et de cette violence à venir ont ces étudiants et étudiantes infirmiers dont Nicolas Philibert fait le portrait dans son documentaire De chaque instant. Lorsque j’étais élève/étudiant comme eux ( entre mes 18 et mes 21 ans), je me sentais à peu près inépuisable au moins moralement lorsqu’il s’agissait de me dévouer au mal-être des autres.

Il me semble donc très difficile de deviner les aptitudes qui seront les leurs pour remédier comme pour se préserver de façon préventive de la souffrance et de la violence inhérentes à la profession soignante mais aussi à celles rajoutées par les décisions des gouvernements, des directions et des cadres des institutions où ils exerceront. Pour ces quelques raisons, la profession infirmière ainsi que les autres professions soignantes sont des viviers “naturels” et “tout désignés” où peuvent se trouver des professionnels ” sans blessures apparentes” tel qu’en parle Jean-Paul Mari dans son ouvrage ( voir mon article sur son livre dans la rubrique Puissants fonds). Jusqu’à ce que l’usure se manifeste, un beau jour, d’une façon socialement “acceptable” et plus ou moins isolée ( arrêt maladie, accident de travail, départs du service, changement d’horaires ) ou horrible  comme dans le film The Thing et se répande d’une façon épidémique tandis que les “autorités”, désarmées, sanctionneront. Ou s’étonneront de l’ampleur des dégâts, affichant, par les voies médiatiques appropriées , leur émotion pleine et sincère comme leur grande volonté d’éradiquer le mal tout en se sachant à l’abri de ses effets immédiats.

Un tel pamphlet de ma part a peut-être de quoi étonner en cette fin d’année usuellement consacrée aux festivités et aux projets souriants. Et, bien-sûr, festivités et projets souriants et optimistes font partie de la solution. Mais il est des professions où, plus qu’ailleurs, il est de rigueur de sourire même lorsque la brisure interne est proche et, ce, quelle que soit la période de l’année. En cela, les soignants peuvent être bien des fois des gymnastes et des danseurs étoiles    ( voir mon article sur le film Girl dans la rubrique Cinéma, et, à la place, imaginer un soignant ou une soignante en exercice…. ) de la souffrance mettant sous cloche leurs propres stigmates  pour s’occuper et s’attacher en priorité à ceux des autres mais aussi pour satisfaire aux diverses exigences de leurs directions. Ces quelques extraits du Charlie Hebdo de ce 26 décembre 2018 en rendent compte. On se doute que d’autres média se font et se feront aussi le relais de tels constats, festivités ou non.

Franck, ce samedi 29 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le Monde est à toi

Le Monde est à toi de Romain Gavras, sorti en salles le 15 aout 2018.

 

Dans une interview lue récemment (mais où ?), Karim Leklou, acteur principal du dernier film de Romain Gavras, a présenté le réalisateur américain Spike Lee comme un de ceux qui l’ont beaucoup marqué dans sa jeune cinéphilie. Et, je ne serais pas surpris d’apprendre que Spike Lee figure parmi certaines des références cinématographiques et militantes de Romain Gavras également. J’ai vu Le Monde est à toi de Romain Gavras et le dernier film de Spike Lee, BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan (Grand Prix du jury au festival de Cannes cette année 2018) l’un à la suite de l’autre. Aucun calcul de ma part au départ. ( voir https://balistiqueduquotidien.com/blackkklansman-j…-le-ku-klux-klan) .

 

En faisant du mauvais esprit, on pourrait hasarder qu’avec Le Monde est à toi, Romain Gavras, lui, a « infiltré » une certaine banlieue française ou une certaine France. Celle qui est souvent dissimulée, ignorée ou camouflée dans bien des productions françaises. Celle qui fait peur et qui est aussi, pour toutes ces raisons aussi, souvent méconnue. Celle qui évoque des envahisseurs ou des barbares, voire des zombies, que seules la police répressive et une certaine politique extrémiste semblent qualifiées à mettre au pas, au trou, au pied et, pourquoi pas ? à coloniser de nouveau comme «  au bon vieux temps ». Ou à rejeter à la mer par le premier bateau ou dans les airs par la magie des charters.

 

Aussi, il y’a une audace- parmi d’autres- de Romain Gavras à inclure dans son film (qui montre une minorité de cette France « indigène » qui parle la langue de Molière plutôt dans une mentalité verlan et dans sa version MP3) des icônes ou des trophées du cinéma national mais aussi mondial :

Isabelle Adjani en tête bien-sûr et Vincent Cassel évidemment. Quant à François Damiens et Philippe Katerine, leur singularité leur permet de se promener à peu près n’importe où : L’un des grands avantages qu’il y’a à être artistiquement «  fou » (et c’est un compliment !), c’est que cela rend passe-partout.

Punk, le film de Gavras ? Peut-être. Récit d’émancipation, Le Monde est à toi nous dit que l’homme est un chien pour l’homme. Que nous vivons tous dans une fourrière. Et que la différence qui existe entre un chien et un homme, c’est qu’un chien, même mal dressé et agressif, a un peu plus de chance qu’un être humain, son « maître » le plus souvent, fasse tout son possible pour le faire sortir de la fourrière. Car l’Amour, l’Amitié et la Loyauté sont insuffisants entre les hommes et les femmes ; mais aussi entre une mère et son fils ; entre un homme de main et une femme de tête ; ou entre des jeunes hommes qui ont grandi ensemble dans la même cité.

Histoire féministe dans une caverne macho, Le Monde est à toi raconte comment l’argent a beaucoup dévasté les relations humaines, se substituant à presque tout, et, ce, jusqu’au bout des ongles. L’acteur principal Karim Leklou, le candide de l’histoire

(François dans le film) est plus le passeur de cette prise de conscience que le passeur d’autre chose. Devant la mégalomanie et le degré élevé d’égarement de la plupart des protagonistes de Le Monde est à toi, je pense à cette scène dans Stalker de Tarkovski, où, dépité, le guide ou passeur (le Stalker) constate que le physicien et l’écrivain qu’il a accompagné après diverses tribulations jusqu’à la «  zone des désirs » ont les «  yeux vides » et aucun projet d’envergure à proposer pour l’humanité. Et c’est le plus effrayant pour l’avenir.

En attendant, l’acteur Karim Leklou tient bien son rôle. Il réussit à garder son personnage attachant et innocent malgré sa double culpabilité (pour ses infractions à la loi/ envers sa mère). Isabelle Adjani, dans le rôle de Danny, est redevenue belle, c’est-à-dire irrésistible malgré l’horreur et l’égoïsme qu’elle représente. La plus grande racaille du film, c’est sans doute elle. Et pour cela, nul besoin de singer certaines mimiques de la banlieue, de se livrer à des combats vertèbres contre vertèbres ou de projeter trois cents balles à la seconde.

Bien des acteurs méritent leur petite palme de l’interprétation dans ce film à l’image d’Oulaya Amamra, dans le rôle de Lamya, que je n’ai pas encore vue dans Divines de Houda Benyamina dont j’ai acheté le Blu-Ray cet été.

 

Néanmoins, j’ai deux préférences. La première, pour le rôle d’Henry, tenu par Vincent Cassel. Vocalement, Cassel a retiré une demie-octave voire une octave. On peut dire qu’il a une voix de cave dans tous les sens du terme. On devine que son personnage en sait beaucoup sur cette violence qui fascine – et que pratiquent- ces jeunes et moins jeunes caïds qui environnent l’histoire avec leurs rêves standardisés semblant sortir tout droit de l’enseigne Ikea. Sauf que le personnage d’Henry est manifestement revenu de toute cette fureur. Il est l’avenir possible de tous ces jeunes en armes mais aussi en panne d’inspiration.

Henry, pour moi, c’est une forme de béatification par la beaufitude. Dans son regard luit une illumination un peu à l’instar du personnage de Samuel Jackson dans Pulp Fiction de Tarantino. Excepté qu’Henry est dépourvu de la soutenance intellectuelle suffisante pour assurer les prêches du « pasteur » Samuel Jackson dans Pulp Fiction.

Ma seconde préférence va à Sofiane Khammes dans le rôle de Poutine. Je ne connaissais pas cet acteur. Le qualifier, dans le film, de jeune chien fou, est sans doute vrai. Mais cela ne restitue pas assez ce qu’il donne au film. Je sais depuis qu’il a aussi joué dans Chouf de Karim Dridi, film que je n’ai toujours pas vu. Et que c’est un acteur que j’aurai plaisir à revoir.

Si Le Monde est à toi a reçu de bonnes voire de très bonnes critiques dans la presse et bénéficié, je crois, d’un affichage publicitaire correct (on pouvait voir cette affiche-ci dessous à la gare St Lazare environ trois semaines après sa sortie), je reste perplexe devant sa sortie nationale ce 15 aout, période de l’année où beaucoup de personnes sont en vacances ! Mais ce film est supposé devenir « culte ». C’est possible ….

 

Franck, ce mercredi 19 septembre 2018.

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BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan

BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan, le dernier film de Spike Lee, est sorti en salle ce 22 août 2018. En plus du Grand Prix du jury obtenu au festival de Cannes cette année, ce film a pour lui d’être inspiré du livre-témoignage de Ron Stallworth traduit en français sous le titre Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan.

Je suis allé le voir deux à trois jours après sa sortie. Il y’a deux semaines maintenant, mon petit frère m’a demandé mon avis sur ce dernier film de Spike Lee. J’ai eu du mal à être enthousiaste comme à lui en parler et m’en suis désolé : je me suis empressé de l’encourager à aller le voir afin de se faire sa propre idée.

 

Spike Lee, c’est ma jeunesse et mes premières années de cinéphile. J’avais vu à leur sortie en salles la plupart de ses premiers films qui, au moins en France, permettaient à des jeunes français non-blancs de se voir à l’écran dans des œuvres originales, bien réalisées, drôles et militantes. She’s Gotta have it sorti en 1986 (qui avait sans aucun doute beaucoup inspiré le Métisse de Matthieu Kassovitz d’avant La Haine) Do The Right Thing (1989), Mo’ Better Blues (1990), Malcolm X (1992), Jungle Fever ( 1991) :

Je les avais pratiquement tous connus et aimés en salle à leur sortie. A cette « époque-là », il était bien plus rare de voir des Français non-blancs dans des bonnes réalisations au cinéma. Comme dans des séries télévisées.

Afin de donner des repères, j’ai découvert beaucoup plus tard le très bon Le Thé au Harem d’Archimède réalisé en 1984 par Mehdi Charef. Alors qu’en 1984, j’avais à peu près l’âge des acteurs principaux. Et, c’est à mon avis en 1995 (j’avais 27 ans) que pour la première fois, j’ai découvert en la personne de Roschdy Zem, un acteur français d’origine arabe qui disposait, enfin, dans un bon film, d’un véritable rôle comme d’un crédible jeu d’acteur. C’était pour le film N’oublie pas que tu vas mourir de Xavier Beauvois. Et j’assistais, là, sans m’en apercevoir au début d’une collaboration qui allait se renouveler entre les deux hommes (Beauvois et Zem) mais aussi au commencement d’une carrière cinématographique plus que confirmée pour tous les deux, aujourd’hui.

Et en 1995, il était inconcevable qu’un acteur français d’origine arabe dispose d’un rôle comme celui de Reda Kateb, Samir Guesmi et Mehdi Nebbou dans des très bonnes séries françaises telles que Engrenages (année 2008 pour la Saison 2) ou Le Bureau des Légendes (année 2015 pour la première saison).

 

En deux ou trois ans, Spike Lee, lui, nous avait livré trois acteurs noirs américains du futur :

Denzel Washington, Wesley Snipes et Samuel Jackson. A celles et ceux qui feront la grimace quant aux capacités de jeu de Wesley Snipes, je les invite à le découvrir dans Mo’ Better Blues et dans Jungle Fever.

 

Mais j’ai du mal à parler de BlacKkKlansman : J’ai infiltré le Ku Klux Klan. Pour débuter, ce film a pu être présenté comme une « comédie policière ». Il ne m’a pas fait rire. We Are Four Lions réalisé en 2010 par Chris Morris avec entre autres l’acteur Riz Ahmed m’avait fait rire bien qu’il aborde le sujet tout autant sensible du terrorisme islamiste. Pas le film de Spike Lee. Je ne peux pas dire que j’ai aimé le film : je suis allé le voir par Devoir. Il est des films que l’on va voir pour le plaisir et d’autres par Devoir.

Et, je pense que ce film de Spike Lee est nécessaire.

L’image d’une personne adhérente du Ku Klux Klan, c’est une personne cagoulée qui dissimule son visage. Peut-être que je n’ai pas envie ou plus envie de voir ce genre de présence cagoulée, raciste et meurtrière tandis que je dois, malgré tout, faire l’effort de me rappeler qu’elle persiste. Au lieu de vivre le plus librement et de mon mieux, avec le Ku Klux Klan, je dois continuer d’insérer dans ma conscience que des prédateurs d’un certain type pourraient en vouloir à ma personne pour des motifs raciaux dont ils ont fait des lois et des justifications. On peut dire que le sujet du film me touche de près. Mais je ne crois pas que ce soit la seule raison pour laquelle je me suis modérément enthousiasmé devant ce film.

 

Si le film de Spike Lee restitue aussi une ferveur militante touchante au sein d’une certaine communauté noire américaine dans les années 60, il prend aussi le parti de nous présenter les adeptes du Ku Klux Klan comme des abrutis. Peut-être parce-que cela défoule Spike Lee : il est vrai que cela peut faire du « bien » de se convaincre que des adeptes d’une pensée raciste et homicide sont principalement des attardés. Il suffirait donc d’être une femme ou un homme intelligent pour se garder de toute affinité avec le Ku Klux Klan ou toute organisation ayant une idéologie voisine. Malheureusement, ce raisonnement est démenti par les faits. Il se trouvait parmi les nazis des personnes très intelligentes et très cultivées. Raison pour laquelle le nazisme a pu « s’exprimer » comme il l’a fait. Il existe parmi les extrémistes (en France et ailleurs) des personnes très intelligentes et très cultivées. Et certains des membres du Ku Klux Klan sont sans aucun doute très intelligents et très cultivés. Et, cela, le film Get Out (2017) de Jordan Peele le dévoile à mon sens de façon particulièrement convaincante même si les protagonistes principaux n’ont pas forcément leur carte d’adhérent au Ku Klux Klan.

 

Foncièrement, je crois que ma réserve envers le film de Spike Lee provient du fait qu’il me semble qu’il reste à la surface de son sujet. L’action de Ron Stallworth est bien sûr héroïque et cela rassure, si cela s’est véritablement déroulé de cette manière, de constater dans le film qu’il a pu s’entourer de collègues flics blancs fiables et bienveillants.

Mais nous en restons au même point qu’avant le film pour comprendre ce qui pousse certaines et certains à choisir un camp et s’y tenir quelles que soient les horreurs planifiées et exécutées par leur camp.

Et puis, je crois que Spike Lee, comme d’autres figures militantes noires américaines, répète une certaine erreur ou omission que j’avais retrouvée dans le très bon livre Une colère noire : lettre à mon fils de Ta-Nehisi Coates :

Pour créer les Etats-Unis d’Amérique, Première Puissance Mondiale depuis un bon demi-siècle maintenant, des Blancs ont massacré des millions d’Indiens (J’ai lu ou entendu le chiffre de 15 millions d’Indiens tués par les Européens aux Etats-Unis) puis ont conclu des accords avec ceux qui restaient voire les ont parqués comme des sortes de déchets sur les terres de leurs ancêtres. Bien-sûr, il est probable que des noirs américains, descendants d’esclaves, enrôlés dans l’armée américaine aient participé, de gré ou de force, au massacre de ces Indiens « d’Amérique » : chaque nation sait solliciter ses êtres « inférieurs » lorsqu’elle a besoin de bras et de viscères pour accomplir certaines entreprises.

 

Dès lors que ce génocide originel a pu être mené à bout portant et que les Etats-Unis sont ensuite devenus cette Grande Puissance que nous « savons », il me semble que le reste, malheureusement, suit : Malgré tout ce que peuvent représenter les Etats-Unis d’Amérique en matière de démocratie et d’avancée pour l’humanité, son existence repose sur un génocide validé et accepté par la majorité de ses habitants

(les noirs américains inclus apparemment ). Il me semble de ce fait à peu près évident que parmi ces habitants et citoyens américains, il doit bien s’en trouver quelques uns qui considèrent le génocide inaugural des Indiens « d’Amérique » comme une mémorable victoire militaire et raciale au moins de l’homme blanc sur l’homme « non-blanc ».

A partir de là, pour des adeptes du Ku Klux Klan par exemple, les quelques millions de noirs présents aux Etats-Unis peuvent être considérés comme des encombrants dont on doit pouvoir se débarrasser comme « on » l’a fait des Indiens. L’issue de la Guerre de Sécession est souvent exhibée comme l’explication première voire principale de la création du Ku klux Klan. Mais le génocide des Amérindiens irrigue sûrement ce sentiment de légitimité et d’invincibilité qu’ont visiblement bien des adeptes du Ku Klux Klan. Spike Lee n’en parle pas. Et à la fin de son film, la « victoire » (pardon, si j’en dis trop) de son héros ressemble à une tarte à la crème. Du fait, aussi, d’une absence de volonté politique d’aller plus loin dans la lutte du Ku Klux Klan. Ce qui signifie que les Etats-Unis d’Amérique sont une grande nation ambivalente qui continue d’hésiter sur la « nature » de son vrai visage ou de sa véritable identité : cagoulée, ou non, démocrate ou raciste, chrétienne ou autre. En cela, le personnage de Rorschach dans le comics Watchmen du Britannique Alan Moore adapté ensuite au cinéma par Zack Snyder (en 2009) est peut-être le prolongement de cette tourmente identitaire propre aux Etats-Unis d’Amérique.

A moins qu’il faille voir les Etats-Unis comme une nation déjà beaucoup trop gangrénée par son histoire pour pouvoir être sauvée. Pessimisme que Spike Lee semble observer et interroger à travers le personnage joué par Harry Belafonte. Harry Belafonte est ici un messager qui traverse l’écran et le temps. Il était déjà un acteur – et un chanteur- reconnu lors de cette période où l’histoire de Ron Stallworth prend forme. Il était également un militant en faveur des droits civiques des noirs et a côtoyé diverses personnalités de l’époque telles que Martin Luther King. (A)Voir Harry Belafonte , en 2018, déja témoin et acteur de ces mouvements civiques des noirs dans les années 60, après la double élection passée de Barack Obama, donne d’autant plus d’envergure au sujet du film de Spike Lee.

 

Le Pessimisme de Spike Lee est aussi justifié et présent avec ces images récentes d’émeutes raciales à Charlottesville, dans le sud des Etats Unis, en aout 2017.

 

Quelques signes d’optimisme continuent néanmoins de clignoter si on les regarde bien :

Pour parvenir à infiltrer le Ku Klux Klan, le héros, Ron Stallworth, doit d’abord faire corps avec la police qu’il intègre. Dans les années 60, les militants noirs américains qualifiaient les policiers de « pigs » ( « cochons, porcs ») et s’en défiaient du fait de la quantité de bavures policières à caractère raciste ( dont le film nous donne un aperçu) portées par un certain nombre d’agents de police. Avant d’infiltrer le Ku Klux Klan, Ron Stallworth réussit à se faire accepter de la police, ce qui, a priori, était plutôt antinomique.

Et, d’après le film, Ron Stallworth trouve ses premiers alliés parmi des blancs. Ce qui pouvait, d’abord, en apparence, apparaître irréalisable.

 

Franck, ce lundi 24 septembre 2018.