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Cinéma

Under The Skin

 

                         Under The Skin un film de Jonathan Glazer

 

Lors de la réalisation de ce film en 2013, Scarlett Johansson était une actrice plus que retenue. Elle avait déjà tourné avec Sofia Coppola, les Frères Coen, Woody Allen. Elle avait aussi déja joué dans The Avengers.

Avec Charlize Theron, Jennifer Lawrence, Maggie Cheung à une certaine époque, Halle Berry et Ellen Page dans une moindre mesure, Cate Blanchett, peut-être Amy Adams, Scarlett Johansson est l’une des rares actrices-vedettes actuelles que l’on nous montre aptes à jouer autant dans des films d’action grand public que dans des films d’auteurs exigeants voire expérimentaux. Under The Skin en est une démonstration.

Il y’avait vraiment peu de monde dans la salle de cinéma lorsque je l’avais découvert la première fois. Il est du reste possible que j’aie été le seul spectateur à la séance où je m’étais rendu. J’ai oublié.

Les premières minutes du film m’avaient rapidement renseigné sur les raisons de cette salle déserte, sorte de Sahel pour cinéphile. A la fin du film, j’étais sorti interloqué. Evidemment, je ne m’attendais pas à ça. Mais Under The Skin m’avait suffisamment intrigué pour me donner envie de le revoir. Je viens de le revoir. Et cela doit maintenant faire quatre à cinq fois que je le revois. Avec plaisir.

Si l’actrice Scarlett Johansson est l’appât de cette affiche pour attirer le spectateur, elle l’est également dans le film. Under The Skin est un film que l’on aimera voir si l’on l’accepte d’aller sous la surface voire sous la glace de ce personnage qu’elle interprète. Elle est au départ une espèce de Terminator au féminin. Mais une Terminator dont les motivations sont floues, alternant entre un rôle d’entomologiste et celui de prédatrice ou de tueuse en série. Mais elle pourrait également être une rabatteuse pour une secte, un groupe terroriste ou tout autre groupe extrémiste. Et, ici, La comparaison avec Terminator s’effiloche car le rythme et la dramaturgie entre les deux œuvres sont très différents.

Dans Terminator, on est très vite dans un film d’action fantastique. Dans Under The Skin, on est davantage dans une prospection, une introspection et une contemplation. En allant dans les clichés, on pourrait dire :

Dans Terminator, Schwarzenegger arrive sur Terre avec l’objectif bourrin de rentrer dans le tas pour remplir sa mission. Ce qui serait une composante très masculine. Ici, Scarlett Johansson, elle, fait plutôt des cercles pour accomplir sa mission. Elle enveloppe et engloutit son sujet. C’est aussi une prédatrice/ prospectrice assez conventionnelle : elle se sert de la palette d’atouts du sexe dit faible (la femme) pour approcher ses proies toutes masculines. Et elle a aussi besoin d’une escorte toute masculine que l’on voit rôder par moments près d’elle sous la forme d’un motard tout en cuir et protections et quelque peu sévère. Nous sommes ici dans un univers très hétéro-normé. Et séduire un mâle hétéro occidental y est très facile pour Scarlett. Sourire.

Film sur l’identité, la naissance et l’humanisation d’une conscience, la solitude existentielle, le désir comme péril mais aussi comme tentative de remédier à la solitude, voire sur l’immigration en ce sens que Scarlett Johansson y est aussi une immigrée sur Terre, Under The Skin nous observe et nous fait de l’œil. Et ce qu’il voit peut être angoissant, désespérant ou captivant. Tant Scarlett Johansson peut par moments nous aveugler au point de nous écarter de toute raison et de toute prudence. C’est peut-être l’une des grandes particularités du film : on y évolue comme dans un rêve pour peu que l’on accepte de se laisser faire. Et Scarlett Johansson semble elle-même évoluer dans le même état.

Le corps musical du film, l’accent écossais épais de plusieurs des protagonistes, les paysages de l’Ecosse contribuent tout autant à nous faire quitter notre quotidien.

Sauf que le rêve est étroit. Le feu sera notre dernière fuite.

Franck Unimon, ce lundi 25 février 2019.

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Cinéma

Sergio et Sergei

       Sergio et Sergei un film d’Ernesto Daranas ( Sortie Nationale le 27 mars 2019)

 

L’acteur Ron Perlman, l’Américain, dans un film cubain version socialiste du film Gravity du Mexicain Alfonso Cuaron.

 

 

 

Cela pourrait être une accroche pour présenter Sergio et Sergei. Ça serait peut-être aussi vendeur qu’une conférence sur le Marxisme. N’en déplaise à Sergio ( l’acteur Tomàs Cao), professeur émérite, contraint à donner des cours de philosophie marxiste pour – péniblement- subvenir aux besoins de sa mère et de sa fille dans le Cuba de la fin des années 80 et du début des années 90. N’en déplaise à Sergei (l’acteur Héctor Noas) , cosmonaute soviétique, qui apprend lors de sa mission que l’URSS qui l’a propulsé dans l’espace a cessé d’exister.

 

Sergio et Sergei sont deux idéalistes inconnus l’un de l’autre. Des « purs » qui croient encore en l’avenir de l’idéologie de leur patrie et dans la valeur des efforts pour des jours meilleurs. Comme en occident où il est encore des « purs » ou des idéalistes inconnus l’un de l’autre qui continuent de croire que notre idéologie libérale désormais souveraine et de plus en plus dépénalisée est la seule à même de nous sauver. Amen !

Sergio et Sergei -ainsi que Peter, le personnage joué par l’acteur Ron Perlman également impliqué dans la production du film- sont des « purs » pacifistes, désintéressés, plutôt altruistes. Certains diraient d’ailleurs que Sergio et Sergei sont deux grands balais adoptifs et dépassés sur le marché des aspirateurs Dyson : voire deux idiots décotés ou deux robots de la pensée qui persistent à se croire branchés. Et le film nous montre qu’ils sont loin d’être des exceptions.

 

 

 

 

Disons que Sergio et Sergei nous parle du revers de cette crue libératrice survenue en occident en 1989 avec la chute du mur de Berlin. L’effondrement de l’URSS s’en était ensuivi deux ans plus tard. Une histoire pas si lointaine, aux multiples incidences sur notre quotidien, et pourtant déjà d’une évidence incertaine même pour celles et ceux qui y avaient assisté. Car nous sommes désormais plus familiers avec les présences immédiates et intérieures d’une avidité financière généralisée ; avec l’extension de la carte mémoire du jihadisme, du terrorisme islamiste et des extrémismes politiques et racistes ; avec la poussée du délabrement climatique et écologique ; avec la montée des eaux de quelques dérèglements numériques- harcèlement, hacking et autres cybercriminalités ; avec la colonisation de nos vies par la téléphonie mobile, les casques et écouteurs audios ( murs et remparts sonores) ainsi que par des lois, des règles et des frontières de plus en plus liberticides. Et facturées. Peu à peu, nous  entrons dans un monde monobloc fait de labyrinthes armés. Pour l’instant, il existe encore un certain nombre d’années avant que nous soyons véritablement établis dans un monde refermé sur lui-même.

 

 

 

Pourtant, en occident, avec la chute du mur de Berlin et le démembrement de l’URSS, nous avions été nombreux à assister à la télé à ce débarquement- à notre Débarquement- de jours meilleurs. Sans avoir véritablement à faire la guerre. Du moins, pas frontalement et massivement comme en 1939-1945 ou en 1914-1918. Sergio et Sergei nous raconte un peu ce qui s’est passé de l’autre côté du mur lorsque les retransmissions télé s’étaient ensuite tournées vers d’autres programmes.

 

En 2019,  on pourra trouver désuets les habitats et les façons de vivre et de penser de Sergio, de Sergei et de celles et ceux qui les entourent. Et ils le sont. Pourtant, il est parfois  difficile de savoir si nos progrès ( numériques et autres) et notre puissante – et « superbe »- économie (et pensée) moderne actuelle nous ont- en tous points- assurément un peu plus éloigné de l’âge du silex comparativement aux années 80-90.

 

Sergio et Sergei est inspiré d’une histoire réelle survenue entre un Cubain et un cosmonaute soviétique devenu russe dans l’espace. Alors que la CB (bande de fréquences utilisée par les radioamateurs cibistes à ne pas confondre avec la carte bancaire) était plus utilisée qu’aujourd’hui par quelques cibistes et conducteurs automobiles. La téléphonie mobile étant à l’époque moins « démocratisée » qu’aujourd’hui. Nous ne sommes pas ici dans un film d’espionnage ou un méchant testostéroné est trop content de vous malaxer en écoutant du mbalax alors que vous connaissez vos dernières pensées à travers le filtre de sa cigarette. Mais on nous parle tout de même, sur le ton de la comédie, des derniers réflexes de la guerre froide et de ses effets sur le quotidien de trois hommes reliés entre eux par un fil et qui sont comme des vases communicants.

Plus joyeux que le Solaris de Tarkovski ( oui, c’est assez facile ), beaucoup moins spectaculaire et moins grand public que le Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez, Sergio et Sergei est un film  sur la solitude, la décrépitude, la loyauté et l’amitié. Mais c’ est aussi un film sur la difficulté à se comprendre les uns, les autres, selon l’histoire qui nous encombre et nous poursuit ou depuis le tamis de l’idéologie à laquelle on reste asservi. Sur notre capacité au changement. Certains diraient même :

« Sur notre capacité à être proactif et à ne pas nous laisser impacter ».

Cependant, on peut aussi dire que Sergio et Sergei est un film sur les limites d’un engagement comme sur les raisons qui peuvent pousser à rester honnête, fidèle à sa patrie, ou, au contraire, sur les raisons qui peuvent inciter à quitter sa patrie, sa région ou un être cher.

 

Sergio et Sergei nous raconte d’autant plus un monde « disparu » ou en voie de disparition que Cuba, depuis peu (au moins depuis le décès de Fidel Castro en 2016) se libéralise de plus en plus. Certains diraient sans doute que Cuba leur devient de plus en plus un pays étranger. A l’image de Sergei lors de sa mission spatiale, sans doute que beaucoup de Cubains et beaucoup d’exilés de par le monde, aujourd’hui, ont quitté un pays (ou un être) qui – transformé- a, à leurs yeux, depuis cessé d’exister. Et, à l’image de Sergio, peut-être que beaucoup d’êtres humains rêvent encore d’un monde qui peine à exister.

 

 

 

Ce film plutôt sentimental et ensoleillé plaira sans doute aux personnes capables de s’adresser à leurs rêves- marxistes ou tout autres- afin de leur demander de leurs nouvelles pour mieux leur envoyer de nouveaux gestes et mots d’encouragements.

Franck Unimon, ce dimanche 24 février 2019.

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Cinéma

Peu M’importe si L’Histoire Nous Considère Comme des Barbares

Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares

Un film de Radu Jude en salles le 20 février 2019.

Ioana/Mariana, Roumaine plutôt coquette d’une trentaine d’années, est un « monstre d’érudition ». C’est aussi une forte personnalité. Elle pourrait être navigatrice, chef d’entreprise, espionne, chercheuse. Elle est metteure en scène. A la faveur d’une commémoration, sa gageure est de reconstituer à notre époque un pan de l’Histoire de la Roumanie lors de la Seconde Guerre Mondiale. Et, Ioana a à cœur de rappeler à ses contemporains la participation zélée de la Roumanie dans l’application de la Shoah.

Lorsque l’on évoque la solution finale et l’antisémitisme, il est plutôt assez rare, en France, d’y associer la Roumanie. On pense plutôt à l’Allemagne nazie bien-sûr, à la France, la Pologne, l’Autriche, la Russie et l’ex-URSS…

En effet.

A titre d’exemple : il y’a deux ou trois ans, la lecture de Les Cavaliers de l’Apocalypse, très bien écrit par Jean Marcilly en 1974 d’après le récit de Ion. V Emilian, ex officier du 2ème régiment de Calarashis pendant la Seconde Guerre Mondiale, avait étonné par son grand mutisme sur le sujet de l’antisémitisme et de la Shoah. A la fin du récit qui coïncidait avec la fin de l’épopée des Calarashis et la défaite militaire de la Roumanie, seuls le prénom et le nom de Simon Wiesenthal étaient prononcés du bout des lèvres. La « rencontre » de Simon Wiesenthal semblait fortuite et anecdotique. Presque « people » : Les motifs de sa « célébrité » étaient à peine éclairés et on aurait tout aussi bien pu nous parler d’une rencontre avec Paris Hilton à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cela aurait été pareil.

En revanche à la fin de Les Cavaliers de l’Apocalypse, l’admiration pour le Général américain Patton, bénéficiait de bien plus de lumière : Peut-être parce que l’on apprécie mieux un héros militaire que l’on estime pourvu du même sens de l’honneur que soi même si, comme Ion. V Emilian, on faisait alors partie du camp des vaincus. Peut-être aussi parce-que le Général Patton incarnait l’éclat de la virilité victorieuse là où Wiesenthal, lui, représentait celui qui, une fois la guerre et la peur « finies », s’était donné pour mission d’aller ausculter les décombres.

Par ailleurs, un peu de recherche nous permet d’apprendre que Jean Marcilly, l’auteur du livre Les Cavaliers de l’Apocalypse paru en 1974, donc, deviendra plus tard ( dans les années 80) durant un temps le compagnon de la première épouse de Jean-Marie Lepen et mère de Marine Lepen.

En 1974, Jean-Marie Lepen est depuis deux ans le Président du Front National, parti d’extrême droite français d’ascendance fasciste. Jean-Marie Lepen dirigera le FN jusqu’en 2011. Depuis ce 1er juin 2018, le Front National a été rebaptisé Rassemblement National par Marine Lepen, et, cela, après sa propre défaite aux élections présidentielles de 2017 face à Emmanuel Macron.

Cette « parenthèse » permet de faire un raccordement avec Antonescu, chef – d’extrême droite- du gouvernement roumain lors de la Seconde guerre Mondiale et à qui l’on doit cette déclaration- avant son exécution en 1946 pour crimes de guerre- qui donne le titre du film :

Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares. Le film sortira le 20 février soit dans une semaine et un peu plus de soixante dix ans après la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Ioana/Mariana, du fait de son âge, n’a pas connu cette période. Mais ses grands-parents, voire ses parents, sans aucun doute.

Pour aborder ce sujet, Radu Jude (Ours d’Argent de la meilleure mise en scène au festival du film de Berlin pour son film Aferim en 2015) fait un film dans le film : l’interprète principale se présente comme Iona Iacob, soit son véritable prénom et son véritable nom, et non comme le personnage de Mariana. Et nous assistons aux premières répétitions de comédiens amateurs dont certains pourraient être les grands-parents de Iona/Mariana. On peut un moment espérer trouver un cousinage avec le Looking for Richard mis en scène et interprété par Al Pacino. Mais Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des barbares est plus sec et plus réaliste.

Le côté bon enfant et à la bonne « franquette » du début du film qui nous rapprochent un moment d’un certain ennui laissent peu à peu la place à un film très moral et, à l’image d’Ioana/Mariana, plein d’érudition. On y côtoie la mémoire des armes et des musées, mais aussi celle de figures littéraires ou d’historiens qui ont soit été victimes de l’antisémitisme soit des personnalités qui ont effectué des recherches sur le rôle pris par la Roumanie dans la Shoah. Citons Isaac Babel, Raoul Hilberg, Dennis Deletant…

Les Cavaliers de l’Apocalypse s’attardait sur la menace communiste expansionniste comme raison principale de l’alliance de la Roumanie avec l’Allemagne nazie. Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares nous apprend que les « Bolchéviques et les youpins » étaient perçus depuis des années comme « les ennemis » endémiques déclarés des Roumains. Et peu importait qu’au pays des « Bolchéviques », des juifs soient victimes de pogroms ou des purges staliniennes….

Le film de Radu Jude nous pousse à nous interroger sur ce qui installe au sein d’une population, d’une communauté ou d’une société la permanence d’une pensée hostile à l’encontre d’un certain groupe de personnes au point de finir par trouver « normal » et justifié de l’exterminer ou de le stigmatiser. A voir Peu M’importe si l’Histoire nous considère comme des Barbares, on comprend que cette pensée hostile provient d’assez « loin » dans le temps :

Elle s’impose après des décennies, des générations, sans doute des siècles ou peut-être après des millénaires de croissance et d’expansion. Convoyés au moins par la force de certaines superstitions et de certaines traditions, l’antisémitisme, toutes les haines en « isme » ainsi que toutes leurs mutations, peuvent alors sembler plus résistants à l’érudition, à la morale et au Temps, que notre environnement au glyphosate et à la pollution atmosphérique. Ioana/Mariana, témoin de notre époque, en fait la difficile expérience. Elle, qui, pourtant, accepte de ne pas être aimée et défend son projet avec ruse et ténacité a par ailleurs du mal à se composer un avenir affectif. Mais elle a résisté et va continuer de le faire. Ainsi que quelques uns autour d’elle, dans la foule comme dans l’anonymat.

Franck Unimon, ce mercredi 13 février 2019.

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Cinéma

Yao

                                                Yao un film de Philippe Godeau sorti le 23 janvier 2019.

 

 

 

D’autres écrits et d’autres priorités m’ont un peu éloigné de Balistique du quotidien. Des articles de rattrapage devraient bientôt suivre après celui-ci. Au moins un sur la nuit de la lecture à la médiathèque d’Argenteuil centre-ville. Un second sur un entretien. Un troisième sur un concert de jazz donné par Mickaël Attias et Jean-Brice Godet. Un quatrième parlera du livre L’instinct de vie de Patrick Pelloux. Les autres ?

 

Cette « pause » blog m’a permis de me détendre. Et de me défaire un peu de cette injonction de présence en surrégime qui nous commande en particulier sur les réseaux sociaux, cette addiction en plein essor. Stratégiquement, je crois bien-sûr que ce blog bénéficierait de bien plus de vues si j’y postais davantage de vidéos via Youtube ainsi que des enregistrements audio type blog radio. Mais rien ne presse.

 

J’écris cet article en réécoutant l’album Lost & Found de Jorja Smith. Un album emprunté à la médiathèque. J’ai d’abord été perplexe lorsque j’ai entendu parler de Jorja Smith- encore une artiste anglo-saxonne !- comparée à feu Amy Winehouse. Comme si Jorja Smith se devait absolument de remplacer quelqu’un. Amy Winehouse…je souhaite à Jorja Smith d’avoir un destin plus serein. Mais il est vrai que bien des artistes et des célébrités ont ce « pouvoir » de supprimer certaines de nos peines tues comme d’être parfois les réincarnations de certains de nos proches ou de nos moments perdus. Je ne ferai pas ici la critique de l’album de Jorja Smith. Avant le sien, je devrais au moins parler de celui d’Ann O’Aro.

 

 

Mais je peux quand même écrire que Jorja Smith, aussi, chante son âme à pleine bouche. Et, pour avoir aperçu un bout d’une de ses performances en Live, je crois qu’aller l’écouter et la voir en concert est sûrement une expérience aussi singulière que d’aller écouter et voir Ann O’Aro.

 

 

 

 

Avec tout ça, je n’ai toujours par parlé du film Yao de Philippe Godeau. Yao est sorti la semaine dernière, le mercredi 23 janvier 2019. Avant hier, au lieu de Yao, j’aurais pu choisir d’aller voir Another Day of Life de Raül De La Fuente et Damian Nenow :

Le journaliste polonais Ryszard Kapuscinski- dont il est question dans le documentaire- a par exemple écrit Ebène ( aventures africaines) qui m’avait beaucoup marqué. Il avait aussi écrit sur le Négus Haïlé Sélassié, personnage qui a marqué l’inconscient de toute personne un peu concernée par le Reggae et le Rastafarisme.

J’aurais pu aller voir le documentaire Eric Clapton : Life In 12 Bars de Lili Fini Zanuck. Cela fait des années que j’entends dire que Clapton est « God » et aussi qu’il a pris peur ce jour où, la première fois, il avait croisé Jimi Hendrix à un concert. Jimi Hendrix était donc le diable? Je n’ai jamais été converti à « God » Clapton mais d’après certains avis, ce documentaire est très bien.

Avant hier, j’aurais aussi pu aller voir Green Book : sur les routes du sud de Peter Farrelly avec Viggo Mortensen et Mahershala Ali. J’aime ces deux acteurs. Et, évidemment, j’avais découvert Mahershala Ali dans le film Moonlight (2016) de Barry Jenkins.

J’aurais aussi pu aller voir Continuer de Joachim Lafosse. L’actrice Virgine Efira m’épate pour son apparente « banalité » : il est des actrices qui captent bien plus le regard qu’elle. Et, pourtant, on la voit dans des rôles qui nécessitent une grande agilité dramatique ainsi qu’une intelligence de jeu largement supérieure à la moyenne. Et puis, aller au Kirghizistan avec le film m’aurait plu.

La Mule de Clint Eastwood, L’ordre des médecins de David Roux, The Hate U Give : La Haine qu’on donne de Georges Tillman jr. sont des films sortis également ce 23 janvier 2019.

Autant dire qu’avant hier, il y’avait plein de raisons d’aller voir un autre film que Yao de Philippe Godeau. Omar Sy a beau être la personnalité « préférée » des Français ou l’une des premières personnalités « préférées » des Français ainsi que l’acteur dont le statut a changé depuis ses 20 millions d’entrées ( 19,5 plus exactement) avec Intouchables de Toledano et Nakache aux côtés de François Cluzet ( acteur déjà plus que confirmé). Ses 20 millions d’entrées pèsent assez peu face aux poids lourds du cinéma que sont Clint Eastwood, Viggo Mortensen et ses Le Seigneur des Anneaux ( j’ai aussi beaucoup aimé ses films avec Cronenberg)…ou l’Aura de la musique d’un Eric « God » Clapton.

Dans une autre vie, j’aurais vu tous ces films et documentaires et bien davantage. Mais je n’ai plus cette vie. Il m’a fallu faire un choix. L’anecdote que je relate dans l’article Don’t Forget Me m’a poussé vers Yao.

Dans ce film, Omar Sy est Seydou Tall, un « célèbre acteur français » qui « se rend un jour au Sénégal pour dédicacer son livre ». Le Sénégal est son pays d’origine. Mais il s’y rend alors pour la première fois de sa vie, autant dire comme un étranger à son propre passé. On comprend que son livre est plutôt autobiographique.

Yao est sans doute moins bien maitrisé qu’un film comme La Mule de Clint Eastwood, vieux roublard de l’histoire qui empoigne. Mais Yao étale très vite un attachement sincère au Sénégal ainsi qu’une connaissance solide de ce pays (le Sénégal, est-ce l’Afrique ?).

Omar Sy met sa célébrité d’acteur au service de sa double culture et de ce film. A travers son personnage « de célèbre acteur français », on pense bien-sûr à lui. Même si, dans les faits, Omar Sy connaît mieux son pays d’origine. En filigrane, Yao est un film plus critique qu’il n’y paraît :

il reste rare dans le cinéma français qu’un Noir (cela ne dérange personne lorsque l’on parle d’un « Noir américain ») incarne la réussite sociale en ayant le premier rôle d’un film. J’ai par exemple lu beaucoup de bien sur la série Hippocrate et les autres films de Thomas Lilti que j’aurai sûrement beaucoup de plaisir à découvrir. Comme j’ai pu lire une de ses récentes interviews avec beaucoup de plaisir. Mais je m’étonne que ce milieu médical et paramédical -où il existe une certaine diversité dans les faits- reste aussi peu représenté au cinéma. En France. Avec Yao, l’histoire se déroulant en Afrique, il est visiblement plus facile à faire accepter au cinéma que le héros soit Noir. Bon.

L’autre regard critique du film porte sur le grand galop entamé par l’Islam. Un Islam présent depuis plusieurs siècles au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique noire mais devenu envahissant. Le film étant peu porté sur la polémique, il s’attarde peu sur le sujet. Mais lors d’une scène qui doit sûrement avoir été en partie improvisée ou écrite en tenant compte du contexte religieux existant, le visage d’Omar Sy dit beaucoup à propos de son effarement voire de son inquiétude.

La critique du colonialisme mais aussi de l’exploitation des forces vives de l’Afrique par l’Occident (ici, la France) est douce-amère. Yao n’est pas un film rageur.

Une autre critique indirecte vise peut-être ce manque de tolérance du Français moyen, blanc, envers ses autres concitoyens Français d’autres « origines ». Dans Yao, le personnage de Seydou Tall joué par Omar Sy reste vraiment très très sympa lorsque son ex-femme, mère de leur enfant, lui fait ce qu’il faut bien appeler un coup de crasse :

Les séparations conjugales sont à la fois très douloureuses et très difficiles. On ignore ce qui a provoqué la séparation entre Seydou Tall et son ex-femme blanche. On peut supposer qu’il était peu disponible voire qu’il a pu se montrer infidèle au même titre que certaines personnalités publiques. Mais je trouve qu’il prend vraiment avec beaucoup de diplomatie le «coup » qu’elle lui fait avant son départ pour son pays d’origine. J’ai parlé de « manque de tolérance ». Mais c’est plus que ça, ici. Il y’a une forme de mépris qui la rend assez peu pardonnable à mes yeux quels que soient les sentiments amoureux qu’elle ait pu avoir ou qu’elle a toujours pour Seydou Tall.

Evidemment, d’un point de vue scénaristique, cela permet la rencontre avec le jeune Yao. Et si le procédé est sûrement modérément original, cette rencontre permet à deux enfants (Yao et Seydou Tall) de se reconnaître l’un en l’autre. Je ne suis jamais allé en Afrique mais le film semble montrer assez fidèlement ce que peut être le Sénégal. Dans son livre Ebène, je crois, Kapuscinski parle de cette lumière-assez aveuglante- spécifique à l’Afrique. Yao est fait de cette lumière ainsi que de cette temporalité auxquelles nos existences d’occidentaux névrosés nous ont rendu étrangers. Je me demande ce que cela aurait donné si un réalisateur comme Woody Allen avait pu s’en inspirer.

Dans ce film, on parlera bien-sûr de voyage initiatique pour Seydou Tall mais aussi pour Yao. L’un vers son enfance et son passé. L’autre vers son visage d’adulte et son avenir. Un passage en particulier- à la mer- m’a fait penser au film Moonlight. C’est peut-être une coïncidence.

On pourra penser aussi au chemin de Compostelle. Et cela m’a rappelé le récit qu’en a fait la journaliste Laurence Lacour dans son ouvrage Jendia, Jendé ( Tout homme est homme) . Bien que célèbre et riche matériellement et socialement, Seydou Tall accepte de se dépouiller au fur et à mesure du film. Car ce qui lui importe le plus, finalement, à lui l’autodidacte qui a tout fait pour « réussir », n’est pas dans le matériel. C’est aussi ce que rappelle d’une autre façon- plus douloureuse- le médecin urgentiste et journaliste Patrick Pelloux dans son livre-témoignage L’instinct de vie :

« (….) Contrairement à ceux qui pensent que les indemnités ou de l’argent pourraient aider à reconstruire…non, ça, c’est du matériel, ce n’est pas ça qui va reconstruire. Ce qui aide à se reconstruire, c’est la bienveillance et l’amour ».

 

 

Je crois que les films réalisés par Clint Eastwood font mouche parce qu’ils rappellent aussi peu ou prou les mêmes thèmes mais dans un style cow-boy, macho. A savoir que ce qui compte le plus, c’est la capacité de sacrifice et d’héroïsme dont on est capable pour soi ainsi que pour celles et ceux que l’on décide d’aimer et de protéger.

 

Yao fera sûrement assez peu d’entrées comparativement à d’autres films sortis ce 23 janvier 2019 et après cette date. Car d’autres affiches sont plus attractives. Et Yao est un film «gentil». Il fait et fera peu de bruit. Mais c’est un film tout public qui devrait très bien vieillir. J’ai plusieurs fois été ému devant ce film avec des larmes en formation. Je comprends qu’Omar Sy ait eu envie d’en faire partie. On parlera sûrement pour lui de film de « la maturité ». J’ai envie de croire qu’il était en France pour assurer la promotion de ce film plutôt que pour Le Chant du Loup d’Antonin Baudry qui sortira le 20 février. Même si voir à ses côtés François Civil (que j’ai beaucoup aimé dans la première ou la deuxième saison de Dix Pour Cent) et Reda Kateb me donne envie d’aller voir Le Chant du Loup.

 

Sorti le 23 janvier 2019, Yao aurait dû sortir un mois plus tôt car c’est un vrai film de Noël.

 

Franck Unimon, ce mercredi 30 janvier 2019.

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Cinéma

Don’t Forget Me un film de Ram Nehari

 

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Don’t Forget Me un film de Ram Nehari (Sortie en salles ce 30 janvier 2019)

 

 

 

 

 

 

Nation prématurée – au sens où un bébé nait prématurément- entraînée par son instinct de survie, Israël est devenue une grande Puissance économique, politique, culturelle et militaire. Refuge, prodige et espoir pour certains, elle est aussi cet Etat exterminateur qui en confine d’autres dans la colère et le désespoir. Pour cela au moins, Israël a le visage de l’Humanité. On peut classer les films qui nous montrent certaines facettes du visage d’Israël comme des œuvres de propagande et les condamner. On peut aussi les regarder. Car qu’on les aime ou qu’on les rejette, ils nous parlerons de nous.

 

Dans Don’t Forget Me, ce visage situé entre les consciences du passé, du présent et de l’avenir, entre celles de l’Orient et l’Occident, entre celles de la vie et la mort, est principalement celui de Tom et Neil ( ou Niel). Tom ( l’actrice Moon Shavit), prénom ou surnom d’homme sur un corps de femme, et Neil ( l’acteur Nitai Gvirtz), prénom du premier astronaute- et du premier homme- à prendre pied sur la lune sont les guirlandes qui vont nous guider à travers certains orifices de l’Etat d’Israël. Ce sont deux êtres à la lisière de plusieurs mondes. Tom le dit à un moment du film : « Je suis un millier de choses ».

 

 

 

 

Israël, de par son statut géopolitique, est un monde à part. Tom et Neil essaient d’incruster leurs univers à l’intérieur de ce monde. Une fois passés les check-points et les faux-semblants de la réussite de la société israélienne. Ce film déplaira donc à toutes celles et à tous ceux qui préfèrent donner ou exporter d’Israël l’image exclusive d’un pays glamour ou exotique. Mais ce film heurtera aussi toute personne qui recherche une comédie facile.

 

J’avais faim en entrant dans la salle. Je venais pourtant de prendre mon petit-déjeuner. La faim m’est passée pendant le film. L’affiche sentimentale du film est trompeuse. Il y’a bien une histoire d’amour. Mais c’est évidemment la représentation de l’ange dominant un démon à l’arrière-plan qui illustre le mieux la routine de Tom et Neil. L’une est aux arrêts dans un centre pour troubles alimentaires après avoir été identifiée/diagnostiquée comme anorexique. Le second est en rémission. Après un passé- que l’on devine plus ou moins long- dans un établissement psychiatrique, Neil essaie de rattraper les notes du Temps. Sur la lune, ce serait peut-être possible. Mais nous sommes en Israël.

 

 

 

 

Disque rayé, le sourire de Tom et celui d’autres protagonistes du film font d’elles (ce sont majoritairement les femmes, dans ce film, qui s’ankylosent dans le sourire) des cousines de Lara-Victor dans le film Girl de Lukas Dhont. Sauf que plusieurs de leurs simulacres sont démasqués par une caméra qui se fait parfois la traîne des soignants qui, ici, font plutôt penser à des matons emmurés dans le protocole. Devant certaines scènes et certaines répliques, on criera peut-être au film « glauque ». J’ai préféré y trouver un certain humour noir- jubilatoire et cathartique- comme Nehari renverse plusieurs fois le schéma des normes et de la bienséance.

 

Il est connu que les personnes ( ce sont majoritairement des adolescentes ou des femmes) anorexiques ont des corps de rescapés d’espaces concentrationnaires alors qu’elles vivent généralement dans des conditions matérielles leur permettant de « bien » s’alimenter. Don’t Forget Me, plutôt réaliste pour restituer le climat d’un centre de troubles alimentaires, nous en donnera un aperçu dans une scène qui est le contre-pied total de bien des scènes érotiques et romantiques de la vie et du cinéma.

 

Plus d’une heure trente dans cet environnement aurait été quelque peu étouffant. Aussi, Ram Nehari nous fait-il sortir de tout ça en permettant à Tom et Neil de se retrouver à l’extérieur. Cela nous apporte, comme à eux, une bouffée d’air. Mais Ram Nehari, contrairement à Tom et Neil, est en règle avec le réel. Le repas de famille chez les parents de Tom est un des “sommes-mets” les plus délectables  ( Très bonne prestation de l’actrice Rona Lipaz-Michael dans le rôle de la mère de Tom) de ce film qui, s’il indisposera, est pourtant plus qu’à consommer. On doit bien pouvoir trouver dans celui-ci quelques correspondances avec le cinéma d’un Yorgos Lanthimos, d’un Robert Altman ou d’un Todd Solondz.

 

Jeunes adultes Israéliens, Tom et Neil sont en exil dans leur vie et dans leur pays qui leur sont des mondes interdits. Ram Nehari nous dit que malgré toute sa puissance et ses succès, plusieurs générations après la Shoah, Israël a des enfants et des parents qui ne savent pas vivre. Ensemble comme séparément. L’intelligence sur-effective, mais aussi affective, d’une Tom et l’optimisme naïf d’un Neil n’y suffisent pas. Et ceux qui, à l’instar d’Alon ( l’acteur Eilam Wolman), incarnent ces jeunes Israéliens aisés, insouciants et cosmopolites sont guettés par les addictions, le vide et la violence.

Même le langage est une terre de déception. Il est tantôt une bande qui tourne à vide et qu’il faut faire semblant d’écouter- pour ne pas blesser l’autre- ou un organe plutôt propice au développement de sentiments d’abandon et de désolation en donnant de mauvaises nouvelles. Ram Nehari ne parle pas de la Palestine. Ou pas directement.

 

Mais le sourire de Tom est bien fait de ce métal hurlant jusqu’au soleil couchant. Celui d’un certain inconscient qui refuse d’être oublié et de disparaître.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 18 janvier 2019.

Ps : le film est bien meilleur que la bande annonce et les photos.

 

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Don’t Forget Me

Don’t Forget Me

 

 

 

Avant hier, après avoir assez bien avancé sur mon article Combats de boxe que je présenterai bientôt, j’avais prévu d’aller voir Don’t Forget Me de Ram Nehari à une projection de presse. Ce film sortira en salles ce 30 janvier 2019.

Toute personne accaparée par la rédaction d’un article, par toute « création », une activité ou une méditation pour laquelle elle se sent inspirée sait comme il peut être difficile de s’en décrocher. Tout cela afin de se réconcilier avec le corset d’une certaine réalité, passage obligé , ou droit de douane, qu’il nous faut accepter car il a ceci de particulier que s’il nous plie, il nous relie- aussi- aux autres ainsi qu’à d’éventuelles nouvelles dimensions.

 

Parti de chez moi à la limite de mon jugement, j’allais être à l’heure pour la projection de 10h30 de ce mercredi. Entretemps, j’avais répondu à cette autre question capitale :

 

Comment concilier cette projection de presse et aller faire les courses à la boucherie selon la liste que m’avait adressée ma compagne par sms un ou deux jours plus tôt ? Les deux évènements se déroulant à Paris alors que nous habitons en banlieue.

Je suis capable de me rendre à une projection de presse avec mon sac de courses. Mais je suis aussi capable de me raisonner. J’ai estimé plus pratique de me rendre à la boucherie après la projection.

 

En arrivant au club de projection, vu qu’il était presque l’heure du début, j’étais un petit peu aux abois. Sur une table à l’entrée, j’ai d’abord vu une bouteille de jus et quelques apéritifs. J’ai continué de me diriger vers la salle de projection. Avant d’arriver aux escaliers et de descendre, sur ma droite, j’ai aperçu l’intérieur d’une petite salle de projection. Je la découvrais. La porte de cette intimiste salle de projection était habituellement fermée toutes les autres fois où je m’étais rendu à ce club comme, par exemple, lorsque je suis allé voir le film Kabullywood de Louis Meunier. Film qui sortira ce 6 février 2019 et dont j’ai parlé dans ma rubrique Cinéma.

 

La petite salle de projection disposait d’une vingtaine de sièges environ. Dedans, deux hommes. Je me suis adressé au premier, lequel était debout et me faisait presque face alors que je me trouvais sur le seuil :

« C’est ici que se déroule la projection ? » me suis-je étonné. Aussitôt, comme s’il était prêt à faire rempart de son propre corps, l’homme, en s’avançant un tout petit peu vers moi, s’est empressé de me dire :

« Non, non ! Il n’y’a pas de projection, ici ! ». Il était plus inquiet que désagréable ou antipathique. Son attitude, sans doute, m’a alors incité à regarder l’autre homme, assis tranquillement. Celui-ci assistait à la scène :

 

Omar Sy. Son allure longiligne et détendue de lama vapotant paisiblement me l’a aussitôt rendu sympathique. Le regardant et comprenant alors l’anxiété de son attaché de presse sans doute, lequel est également attaché au confort de son acteur vedette, je l’ai salué tout en réfléchissant une seconde à ce que je pourrais éventuellement lui dire.

Comme tout un chacun, il m’est arrivé de croiser des acteurs de manière fortuite, dans la vie de tous les jours, et de décider de leur adresser un mot de sympathie ou de choisir de m’éclipser afin de ne pas les déranger.

C’est ainsi que j’étais allé dire un mot aimable à Simon Abkarian alors qu’il attendait, seul, le bus non loin de la rue Cadet. Ce jour-là, je crois que j’allais rencontrer Stéphane Bourgoin, spécialiste des tueurs en série, dans sa librairie alors encore ouverte Au Troisième Oeil.

 

A l’arrêt de bus, Simon Abkarian avait un air d’incrédulité assez amusant sur son visage. Comme s’il trouvait hautement improbable qu’un bus, un jour, vienne le délivrer de cet endroit. Cela m’avait fait regretter un appareil photo avec un zoom performant. Mais c’était avec un esprit de photographe et non avec un instinct de voyeur que j’avais regardé la situation. Une autre fois, je l’avais laissé tranquille alors que je l’avais aperçu en terrasse à un café près du cinéma MK2 Quai de Loire. C’était avant de le voir dans le remake de Casino Royale, mon James Bond préféré avec Daniel Craig. J’étais alors un des journalistes cinéma du mensuel Brazil.

 

Dans la ligne 12 du métro, je me suis un jour retrouvé assis face à Dominique Blanc. Il m’avait été impossible de savoir si elle était dans sa rêverie ou si elle m’avait vu la regarder. J’avais choisi de rester silencieux et de me faire discret. J’avais ainsi partagé le trajet avec elle le temps de quelques stations. Je me rendais dans le service où je travaille encore à ce jour.

 

Près du cinéma MK2 Beaubourg, j’avais croisé Alex Descas en compagnie de deux compatriotes féminines de son âge. Je l’avais abordé. Cela fait environ vingt ans ou plus, depuis bien-sûr ses rôles dans les films de Claire Denis, que je « connais » une partie de son parcours d’acteur. Je ne l’ai jamais interviewé. Alex Descas et moi, nous étions dit quelques mots. C’était avant la sortie du film Volontaire d’Hélène Fillières, dans lequel il a un rôle. Film que je recommande bien-sûr pour lui et aussi pour les autres : j’aimais déjà le jeu d’actrice d’Hélène Fillières avant ce film (Aïe, Mafiosa….). Je l’ai découverte réalisatrice même si j’aime beaucoup son rôle (secondaire) dans son propre film.

 

Non loin du cinéma des Ursulines, j’avais croisé Isabelle Carré. Elle avait le visage souriant de la sérénité. Comme Dominique Blanc, je l’avais laissée passer. J’ignore si Isabelle Carré m’avait aperçu ou regardé.

 

Une autre fois, il y’a plus longtemps, c’était Rona Hartner que j’avais reconnue dans le RER menant à Cergy-Préfecture. Mais aussi Pascal Légitimus, un autre jour, sur le parvis de la gare de Cergy-Préfecture. J’étais resté à distance.

 

Lucien Jean-Baptiste avait aussitôt perçu ma réaction de surprise dans la rue alors que je venais de le reconnaître. Il m’avait sympathiquement salué. C’était avant qu’il ne réalise Dieu Merci (On a tous un rêve de gosse) où, grâce à l’information donnée à propos de ce tournage par Claire Diao, j’allais faire un petit peu de figuration et rencontrer Djigui Diarra. Sur le tournage de Dieu Merci (On a tous un rêve de gosse) son implication sur un –vrai- chantier dès 8 heures du matin avec nous, par cinq degrés voire moins, mais aussi ses attentions envers nous, de simples figurants, m’avait ramené à de meilleurs sentiments envers lui : j’avais très peu apprécié son rôle de noir immature et rigolo dans son film Premier Etoile qui lui avait valu un bon succès commercial (environ 1,5 million d’entrées) et une certaine reconnaissance. Son attitude, lors de cette journée de tournage, ainsi que les thèmes du film, m’ont fait comprendre comme je l’avais très mal jugé en allant voir Première Etoile à la salle UGC Bercy, où, parmi les spectateurs, dans les premiers rangs, soit dans les rangs du bas de la salle, j’avais reconnu…Zinedine Soualem.

Lors du tournage de Dieu Merci (On a tous un rêve de gosse), je me suis dispensé d’essayer de rappeler à Lucien Jean-Baptiste notre « première » rencontre entre la gare du Nord et le métro Jaurès. Etant donné que cette rencontre datait, qu’il était sur le tournage de son film et que des rencontres de ce type il doit en faire un certain nombre depuis qu’il est « connu ».

J’ai aussi compris que réaliser des comédies est un moyen de séduire- et de rassurer- certains producteurs ; de faire passer des messages et d’attirer plus facilement un certain public qui veut aller au cinéma avant tout pour se divertir. Mais aussi que réaliser des films, mêmes imparfaits, est une façon de rester en activité sur le marché du cinéma, d’un point de vue économique et en tant que comédien. De rappeler que l’on existe. Car dans l’univers de l’image qu’est le cinéma, mais aussi du théâtre ou du journalisme, être oublié est peut-être plus mortel que de manquer de talent. On peut être plus ou moins talentueux, si l’on est le grand oublié (comme on peut-être un grand brûlé) du regard et de la mémoire de celles et ceux qui ont et font des projets (réalisateurs et/ou producteurs ou autres) on disparaît. Et, cela peut-être définitif car l’oubli, dès lors qu’il nous adopte dans ce milieu, est un peu comme la banquise. Il nous recouvre complètement, créé davantage d’oubli et on ne nous voit plus même si l’on est encore en vie et que l’on dispose de sérieux atouts.

 

 

La mémoire que j’ai de mon passé de groupie et un peu de maturité expliquent peut-être aussi mon apparente « sage » attitude envers ces milieux et ces « célébrités » citées plus haut :

Je me rappelle encore comment, embarrassée, une actrice que j’admirais avait poliment accepté une lettre manuscrite que je lui avais remise lors d’une avant-première dans un certain complexe de cinéma. C’était avant l’an 2000 et l’amie qui m’accompagnait ce jour-là s’était moquée de moi. Lorsque j’avais vu cette même comédienne, quelques mètres plus loin, rejoindre l’équipe du film et se servir de mon courrier comme éventail, j’avais dû honteusement accepter ma disgrâce. Sûrement pour me rassurer, une autre amie à qui j’avais raconté ensuite cette anecdote, m’avait à peu près dit :

« Je pense que c’est plutôt une personne timide. Pas le genre à être expansive…. ».

 

Dans mon courrier, pratiquement illisible car écrit manuellement en minuscules, je fourvoyais un tas de salamalecs. Et, déjà, je parlais de la faible représentativité des noirs dans le cinéma français. Cette jeune actrice blanche, à peine âgée de 30 ans alors, a très certainement, j’en suis sûr, beaucoup appris grâce à moi : dans sa mémoire effacée depuis, je fais sûrement partie de la cohorte de tous ces apprentis mentors improvisés aussi dérangés qu’inconnus qu’elle a pu croiser du fait de sa carrière d’actrice alors sur- médiatisée et plutôt exposée.

 

Pour ce dernier exemple, les réseaux sociaux et les selfies n’existaient pas alors ou seulement dans une forme réduite : même s’ils avaient existé dans leur forme actuelle, j’aurais, j’ose le croire, su garder cette mésaventure pour moi. Mais, contrairement à moi, d’autres groupies, déçues ou convaincues, ont envers leurs idoles beaucoup moins de retenues qu’elles en ont pour leur vie et leurs projets.

 

Quoiqu’il en soit, ces actrices et acteurs cités- ou suggérés- ont eu une importance pour moi (voire continuent d’en avoir une) à un moment de ma vie. Et, je les ai croisés avant la création de mon blog. Contrairement à Omar Sy il y’a deux jours.

 

Omar Sy compte pour moi mais je serais incapable depuis Intouchables et ses 20 millions d’entrées, que j’avais bien aimé comme les films précédents –Nos jours heureux en particulier- des deux réalisateurs Nakache et Toledano, d’en donner les raisons exactes.

Le fait d’être noir, de venir de la banlieue et de ne pas faire partie du sérail du milieu plutôt bourgeois, conservateur- et blanc- du cinéma français comme moi à l’origine ?

Le fait d’être au départ un humoriste avec une image de « gentil » néanmoins conscient ?

Le fait qu’il ait désormais réussi économiquement et socialement et que, sauf une désastreuse gestion de carrière ou des dérapages à la Sami Nacéri, son avenir artistique et personnel soit en tout point assuré même s’il venait à expirer à l’âge canonique de 160 ans ?

 

Je ne peux m’empêcher de penser à l’acteur Saïd Taghmaoui, obligé de s’exiler après le film La Haine de Kassovitz pour réussir car, en France, il n’avait pas la bonne couleur comme il le rappelle dans une réplique étonnante dans le Wonder Woman de Patty Jenkins (également réalisatrice de Monster, film qui avait valu l’Oscar à Charlize Theron pour son rôle).

 

Mais cela suffit-il  pour expliquer les raisons pour lesquelles Omar Sy compte pour moi ? Par ailleurs, je n’ai pas vu le film qui expliquait sa présence à cet endroit avant hier.

 

Toutes ces questions, ces expériences et bien d’autres, se sont sûrement fondues en moi en moins d’une seconde lors de cette très brève entrevue (dix ou quinze secondes au maximum) avant hier. Car beaucoup de nos réactions- adéquates ou inadéquates- sont le résultat d’une somme d’expériences dont nous n’avons même pas idée. Et, pour ce moment « historique » et imprévu, je m’étais bien entendu mis à mon avantage :

 

Chaussures de randonnée couleur taupe, bas de survêtement blanc cassé lâche, haut de survêtement à capuche vert, blouson noir de motard (sans les protections, sans le casque et sans la moto puisque je n’ai pas le permis et me déplace principalement en transports en commun ou à pied), bonnet de marin mis à l’envers pour cacher le nom de la marque et lunettes de correction presque à double foyer. Avec, en prime, sur le dos, un grand sac à dos bleu de marque Ortlieb. Le même sac que je portais sur le dos lorsque j’étais allé interviewer Alejandro Gonzalès Inarritu pour Brazil à propos de son film Biutiful . Lequel Inarritu, bien plus intimidant qu’intimidable, s’était un moment étonné avec une voix presque suave :

« You have a huge bag …. ». Aujourd’hui, encore, je regrette d’être resté désarçonné par cette remarque d’Inarritu qui aurait peut-être pu permettre une rencontre un peu plus informelle et donc plus personnelle. Peut-être, d’ailleurs, devrais-je davantage commencer à regarder ce sac à dos comme un porte-bonheur….

Pourtant, de par le passé, j’ai fait le désespoir et la colère de ma petite sœur pour mon dédain vestimentaire. Je m’étais ensuite réhabilité et j’aime aussi bien m’habiller comme offrir des beaux vêtements. Mais je suis en état de rechute vestimentaire depuis quelques temps et ma compagne aussi, pourtant une grande spécialiste des tenues camouflages pour elle-même, se désole, un peu impuissante, devant mes négligences vestimentaires répétées de forcené.

 

Je ne serais donc pas surpris qu’Omar Sy – ainsi que son attaché de presse- m’ait pris pour un coursier d’ Uber disposant de quelques filons pour s’incruster dans un certain nombre de projections de presse (il en est d’autres réservées néanmoins à une élite journalistique ou à des journalistes « sympathisants » ou « courtisans »). Car les projections de presse sont en général de confortables avant-premières pour le premier cinéphile venu.

J’écris ici ce que je suppose. Je me mets peut-être le doigt dans l’œil. Je ne saurai probablement jamais ce que l’un et l’autre ont pensé de moi à ce moment-là.

Mais je garde néanmoins de cette courte rencontre le très bon souvenir de la simplicité d’Omar Sy, plus amusé qu’indisposé, répondant à mon bonjour avec le sourire de l’évidence. Et, je m’en suis contenté.

Néanmoins, même si cela n’apporte rien d’un point de vue journalistique ou cinématographique, tout de suite ou en partant, je me suis demandé ce qu’il avait pu ressentir, lui, que je perçois comme une personne au contact plutôt facile. A voir son attaché de presse s’enrubanner quasi instantanément dans des précautions de momie que l’on va embaumer afin d’éviter que, moi, l’inconnu inattendu, j’approche l’être sacré que, désormais, Omar Sy est devenu.

 

J’ai raté la projection de presse de Don’t Forget Me : je me suis trompé d’endroit à quelques mètres près. Convaincu que la séance se déroulait dans ce club, je suis passé devant le cinéma qui le voisine. A aucun moment, il m’a été possible de concevoir que la projection se donnait là, tout près, dans ce cinéma que je connais. Car je n’ai jamais, à ce jour, assisté à une projection de presse dans ce cinéma. Et, vu que je n’avais pas sur moi (erreur corrigée depuis) le numéro de téléphone de l’attaché de presse de Don’t Forget Me , celui-ci n’a pu me renseigner.

 

J’ai un moment erré, un peu remonté contre moi en même temps qu’interloqué. Je suis allé dans un autre club de projection où l’on m’a obligeamment donné les mêmes réponses :

« Quel film ? Don’t Forget Me ne passe pas ici. La séance a commencé depuis 10h. Il n’est plus possible d’accéder à la salle ».

 

 

Heureusement, il reste une séance de projection de Don’t Forget Me la semaine prochaine et l’attaché de presse du film ne m’en a pas voulu. Donc, tout va très bien. Puisque, même s’il m’en avait voulu, je ne vois pas ce qu’il y’a d’extrêmement grave, d’un point de vue vital, dans le fait de rater une séance de cinéma. Et, je tiens à l’écrire car, par moments, voire souvent, dans un milieu comme dans celui du cinéma par exemple (mais aussi, ailleurs, dans la vie de tous les jours) on est capable de se prendre très très au sérieux au point de considérer comme de la plus haute importance des faits et des événements qui, foncièrement, ne justifient pas toutes les urgences et tout le cérémonial qui les accompagnent. Il m’a semblé, que lors de cette courte rencontre imprévue, lors de cet « accident », qu’Omar Sy, malgré ses 20 millions d’entrées avec Intouchables et son statut de « superstar » , était encore bien au fait de tout ça. Et c’est selon moi une très bonne nouvelle.

 

Et, j’ai aussi aimé, pour cet article, autant que possible, me tourner en dérision quitte à me ridiculiser, afin de me mettre au service du rire et du sourire. Car, si Pina Bausch a pu dire : «  Dansez, dansez ! Sinon, nous sommes perdus ». Je sais depuis longtemps que pouvoir rire de soi est aussi un très très bon moyen de faire sourire et de faire rire mais aussi de se retrouver.

 

Pour cela, meilleurs vœux, Omar ! Et, bien-sûr, meilleurs vœux, chers lecteurs !

 

Si cet article vous a plu, touché, et qu’il vous semble qualifié pour faire du bien à quelqu’un que vous connaissez, partagez-le. Même si je n’en parle pas, c’est ce que je souhaite à mes articles.

 

Franck Unimon, ce vendredi 11 janvier 2018.

 

 

 

 

 

 

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Pour la rubrique cinéma de mon blog désormais rebaptisé Balistique du quotidien, j’avais prévu ce matin d’aller voir deux films au cinéma. Afin d’alléger un peu le contenu de certains de mes articles. Et aussi parce-que j’ai bien l’intention de parler cinéma sur ce blog. Et puis, il m’est soudainement apparu évident que la meilleure façon de démarrer ma rubrique cinéma consistait à m’inspirer de mon expérience de journaliste cinéma pour le mensuel papier Brazil. Lequel a cessé de paraître fin juin 2011 si je ne me trompe.

 

Le train du deuil et de la nostalgie de la fin de cette aventure journalistique me semble aujourd’hui, ce mardi 18 septembre 2018, passé. 7 ans pour le passage d’un train, cela est un délai plutôt raisonnable.

 

Avant mon expérience de journaliste cinéma pour Brazil, j’étais un cinéphile parmi d’autres. Bien que cinéphile assez « tardivement ». Ma mère m’a raconté qu’elle et mon père m’emmenaient avec eux lorsqu’ils allaient au cinéma à Paris. Dans les années 70. Car la place était gratuite pour moi et parce-que j’étais un enfant « sage ». Je devais vraiment être très petit (entre mes trois et six ans m’a récemment répondu ma mère) car je n’ai aucun souvenir de séance cinéma avec eux hormis quelques bribes d’un film où le « héros » était une voiture coccinelle du nom de « Choupette ».

A la maison, devant la télé en noir et blanc dont la troisième chaine avait déserté, mes parents étaient plutôt portés sur certaines comédies françaises avec Bourvil et Fernandel. Mais ils avaient aussi une certaine fascination pour les films américains à tendance polar ou western. Ou pour les films de Bruce Lee. Et moi, à 20h30, après le journal des informations, j’avais obligation d’aller me coucher.

 

Je disposais néanmoins de mes plages télévision. A condition que celles-ci soient compatibles avec l’agenda de mon père en termes de retransmission d’événements sportifs à la télé. Si la voie était libre, les samedis après-midis, j’avais par exemple droit à l’émission Samedi est à vous, à Temps X lorsque les frères Bogdanoff étaient jeunes, beaux et sans silicone. Et, j’étais là devant l’écran lorsqu’arriva la saga Goldorak et tout ce qu’elle suscita d’engouement et de nouveauté, amenant avec elle toutes ces caravanes de séries japonaises (Candy, Heidi, Albator, Sandokan) et ignorant tout de leur provenance comme de ce qu’elles pouvaient éventuellement représenter comme « menace » culturelle ou tout simplement commerciale pour des œuvres telles que La Petite Maison dans la Prairie, Amicalement Vôtre, Les Mystères de l’Ouest, Arsène Lupin ou Vidocq….

Plus tard, à partir de l’adolescence, répondant peut-être déjà à un certain appel d’obsolescence programmée, je me suis aussi beaucoup abruti devant la télé. Je me suis beaucoup vu me mettre minable, les dimanches après-midis, en regardant jusqu’au bout et sans rémission les émissions (ré) animées par Jacques Martin. Depuis L’homme qui prend des risques en passant par Incroyable mais vrai jusqu’au Thé Dansant.

Je savais que ce que je regardais était mauvais, très mauvais, que je savais lire et écrire, que je perdais mon temps. Mais je restais là, fidèle au poste, accroché à la lucarne du téléviseur familial qui me semblait être mon seul subterfuge contre l’ennui.

Lequel téléviseur, remplaçant le précédent, était désormais pourvu de la couleur et de la télécommande. Néanmoins, je restais un téléspectateur pédestre et méthodique, dévot jusqu’au-boutiste de la chaine et du programme choisis, totalement sectaire envers l’idée du zapping et la réprouvant même, quelle dégénérescence ! , lorsque mon frère, mon benjamin de 14 ans, s’y adonnerait parfois compulsivement devant moi.

 

Le grand avantage de toutes ces mauvaises cuites télévisuelles alors que j’ingérais toutes les versions françaises de ce que je regardais comme des hosties et du petit lait, c’est qu’en quittant mes parents pour aller emménager chez moi, je me suis aussitôt sevré de la télé. Je n’ai jamais acheté de téléviseur. En acheter n’a jamais fait partie de mes projets. Il est quantité de dépenses dont j’aurais dû me passer et j’ai encore bien des efforts à faire en termes de dépenses. Je perçois la consommation « ordinaire » que nous pratiquons quasiment quotidiennement pour divers achats comme une addiction soit l’équivalent   d’un «  apprentissage pathologique » assimilé depuis des années et qui nous fait du tort. Néanmoins, nous avons aussi des moments de lucidité. J’ai toujours été perplexe devant les (grandes) sommes qu’acceptent de donner mes contemporains en vue d’acquérir un téléviseur. Et j’ai éprouvé une grande fierté à pouvoir être dispensé de payer la redevance télé pendant des années.

Aujourd’hui, nous avons bien un téléviseur à la maison. Mais c’est celui que possédait ma compagne alors que nous nous sommes rencontrés. Je n’ai jamais estimé que cela pourrait constituer un motif recevable afin de la répudier. D’autre part, son téléviseur nous sert d’écran pour regarder des Blu-Ray et des dvds voire des cassettes VHS. Et lorsque notre fille se met subitement en arrêt à à peine cinquante centimètres d’un téléviseur allumé de manière automatique chez des amis ou dans de la famille, je me transforme en vigie qui la fait battre en retrait de deux ou trois mètres. Ma compagne adopte la même attitude même si, assez amusée, elle ne manque pas de (me) rappeler quelques fois que lorsque je passe devant un téléviseur allumé, je me transforme aussi en statue comme notre fille.

Je suis devenu cinéphile lors de ma deuxième ou troisième année d’école d’infirmier. J’avais 20 ans.

J’allais au cinéma généralement seul. Et, après mon diplôme d’infirmier, j’ai connu une période où je voyais un film par jour en moyenne. En voir deux d’affilée était tout autant normal. En version originale. Du jour où j’ai arrêté de regarder la télé et ses versions françaises au profit du cinéma en version originale, il m’est devenu très difficile ensuite de supporter la version française d’un film. Car notre cerveau et notre oreille décèlent très vite le travail de faussaire de la version française aussi bonne soit-elle.

J’ai rencontré Christophe Goffette, le rédacteur en chef de Brazil début 2009 aux Cinglés du cinéma à Argenteuil. Cela faisait 20 ans que je me rendais dans des salles de cinéma. Et autant d’années que j’écrivais dans mon coin, imposant par moments mes éclairs de « génie » littéraire à quelques courageuses et courageux, ou malchanceux, parmi mes proches et moins proches. Perspicaces, toutefois, plusieurs maisons d’édition ont préféré égarer ou me restituer mes manuscrits.

Avec, parfois, cette réponse que j’arrachais et, qui, bien que polie, était pour moi très humiliante : « Trop de lieux communs…. ». Mais ces maisons d’édition avaient raison. J’étais quelqu’un de commun ou un original qui échouait à rendre évidente et captivante sa particularité.

 

En 2009, j’habitais à Argenteuil depuis bientôt deux ans. Malgré ses atouts, Argenteuil est selon moi une ville qui continue de beaucoup subir son image. Cela a peut-être aussi contribué à nous rapprocher, elle et moi. Même si, vis-à-vis d’elle, je peux osciller entre sentiment de saturation et attachement.

 

Habiter à Argenteuil était un gros avantage pour se rendre aux Cinglés du cinéma. Cela fait des années que cette manifestation s’y déroule à la salle des fêtes Jean Vilar, non loin du conservatoire. Et, désormais, j’avais juste une rue à traverser pour, en trois à quatre minutes, m’y trouver.

J’ai néanmoins failli ne me pas me rendre à cette édition des Cinglés du cinéma.

J’étais déprimé. Ma copine de l’époque m’avait quitté. Ma vie sentimentale continuait d’être insatisfaisante. Je n’étais pas un génie.

J’ai oublié comment je m’y suis pris avec moi-même pour me porter jusqu’aux Cinglés du cinéma. Je me suis sûrement dit que j’allais juste y passer.

En furetant parmi les exposants, je suis tombé sur Christophe Goffette avec lequel le contact a d’emblée été très simple et très sympathique en parlant cinéma. Plusieurs numéros de Brazil figuraient sur son stand. Je n’y ai pas prêté d’attention particulière.

Je me rappelle davantage d’un visiteur, un personnage, conversant avec Christophe puis commençant à délivrer son érudition à propos d’un film de genre que très peu de personnes avaient vu et où il était question d’un Batman gay. Un moment hilarant que j’aurais aimé enregistrer ou, à défaut, que j’aurais dû retranscrire aussitôt. Puis, j’étais allé dans d’autres rayons et étais repassé à son stand afin de lui acheter quelques dvds. Cette fois-ci, un autre cinéphile discutait avec lui. En les écoutant, j’ai cru comprendre qu’il était possible d’écrire pour Brazil. J’ai alors interpellé Christophe :

« Vous cherchez des personnes pour écrire ? ». Il s’est défendu, tout sourire :

« Mais je ne cherche pas ! ». Ce qui signifiait que le contenu et le style de Brazil

( « Le cinéma sans concession$ » ) correspondaient aux besoins de bien des cinéphiles qui en avaient assez d’une presse cinéma policée et normothymique.

Contrairement à l’autre cinéphile présent, je connaissais Brazil vaguement.

Contrairement à l’autre cinéphile présent, sitôt rentré chez moi, j’ai envoyé un mail à Christophe comme convenu dans lequel je me présentais un peu. Environ une à deux semaines plus tard, Christophe m’a envoyé par mail une liste de films à voir en avant-première dans des salles dédiées aux professionnels de la presse. Il s’agissait de réelles avant-premières. De séances qui se déroulaient un voire deux mois avant la sortie des films en salle. Néanmoins, aucun de ces films ou de ces réalisateurs ne me parlait. Il s’agissait pour la plupart de petites productions et de cinéma d’auteur dont, très certainement, le grand public a peu entendu parler car il s’agit de réalisations assez peu diffusées dans les salles et non-éligibles au succès commercial.

Même si Brazil frayait dans le cinéma d’auteur et le cinéma de genre(s), il est vraisemblable que Christophe me testait.

Ma première réaction a plutôt été de croire qu’il s’agissait d’un canular : je croyais modérément à l’existence de ces séances de presse dans ces rues proches des Champs- Elysées dont, jusqu’alors, j’avais ignoré l’existence.

Christophe m’avait dit de joindre par téléphone les attachées de presse concernées et de m’annoncer comme journaliste de Brazil. C’est ce que j’ai fait. Et, en me rendant sur place, je me suis aperçu que tout était vrai.

Je crois que le premier film que j’ai « critiqué » était un film se déroulant en Azerbaïdjan ou en Ouzbékistan (Non ! Il s’agit du film Tulpan réalisé en 2006 par Sergey Dvortsevoy au Kazakhstan et distribué en 2009). Après avoir lu mon texte, bienveillant, Christophe m’avait répondu que l’on sentait que je me retenais encore un peu mais que ça allait venir par la suite.

Christophe m’avait aussi d’emblée prévenu que tous les journalistes de Brazil étaient bénévoles. Cela ne m’a jamais dérangé durant les deux ans et demi de mon expérience avec Brazil car nous avions une très grande liberté d’expression que je n’ai pas retrouvée par la suite. Et aussi parce-que cette expérience m’a permis d’interviewer des réalisateurs et des acteurs (et aussi de me rendre dans certains endroits) que je n’aurais jamais rencontrés si j’avais été stagiaire ou même pigiste dans d’autres médias papiers officiels qui existent encore à ce jour.

Et en écrivant cela, je dis plusieurs choses : l’arrêt de Brazil fin juin 2011 a été passionnément mal vécu par plusieurs de mes anciens collègues journalistes de Brazil. A tort ou à raison, plusieurs de mes anciens collègues journalistes de Brazil en ont beaucoup voulu à Christophe de la fin de Brazil. Pour ma part, j’ai comparé la fin du mensuel Brazil …à une rupture amoureuse mais aussi à la fermeture d’une usine dans une ville ou une commune dont toute l’activité économique et sociale dépendait. Ce qui était forcément douloureux. Mais quelques expériences de vie m’avaient appris que dès lors qu’une rupture amoureuse est inéluctable, qu’il est beaucoup moins douloureux de l’accepter.

 

On peut me voir comme l’idiot ou le grand naïf de l’histoire. Et je veux bien croire que ma « sympathie » voire ma « loyauté » envers Christophe Goffette a pu, aussi, m’isoler ou me coûter en termes d’opportunités journalistiques puisque beaucoup est aussi affaire de relations, d’alliances et de réseaux dans ce milieu. Pour le reste, ma dépendance envers l’expérience et l’époque Brazil m’a certainement empêché de voir comme de m’ouvrir à d’autres opportunités ou d’autres média. J’avais sûrement besoin d’un temps de deuil plus long et plus lent que d’autres. Car il est bien deux ou trois autres anciens collègues de Brazil qui ont su persévérer et, depuis, évoluer dans le journalisme du cinéma tandis que d’autres, déjà versés et reconnus dans ce milieu, avaient bien moins besoin que moi d’un dispositif comme Brazil pour se faire connaître de la profession. D’autres, aussi, semblent avoir délaissé le journalisme cinéma. Enfin, je dois ajouter que mon humour, noir, absurde, à froid, mes bizarreries ou ma folie mais aussi ma timidité me rendent quelques fois peu performant en matière de séduction sociale. Par exemple, lorsque je sors d’une séance cinéma, je peux avoir beaucoup de mal à partager ce que je viens de voir. J’ai besoin de garder mes impressions, avec une certaine exclusivité, pour pouvoir les écrire. Et je peux aussi avoir besoin de temps pour laisser infuser. Je suis plutôt pressé de m’isoler, si je suis inspiré, pour écrire.

Ce genre d’attitude ou d’incartade est assez contre-productif en termes d’échanges sociaux avec des collègues journalistes par exemple. Et sauf si ceux-ci nous connaissent bien ou ont la possibilité de nous connaître et de passer avec nous quelques moments informels et agréables, ou tout simplement sociables, à force de rencontres répétées dans des festivals ou autres lieux dévolus au cinéma, nous passons inaperçus ou pour quelqu’un de peu attractif.

 

Pour compléter le tableau, il convient sans doute aussi de dire qu’il existe une ligne de démarcation non-dite mais bien concrète entre la caste, jugée inférieure, des journalistes cinéma bénévoles et celle, estimée supérieure, des journalistes cinéma ou critiques de cinéma officiels et professionnels. On perçoit l’existence de cette séparation entre ces deux « castes » dans l’accueil que peuvent réserver certaines et certains attachés de presse à des journalistes cinéma patentés qui ont pour eux d’officier au sein d’un journal qui jouit soit d’un certain prestige intellectuel ou d’une grande puissance de diffusion économique et commerciale voire des deux lorsque cela se produit. On peut alors entendre des attachées et des attachés de presse donner cérémonieusement du « Monsieur » à un journaliste « réputé » ou «  connu » comme on s’adresserait à un vicomte ou à un monarque au 18 ème siècle. Si je reconnais à un certain nombre de ces journalistes ou critiques cinéma reconnus une connaissance, une certaine conscience du cinéma ainsi qu’une aptitude à les transmettre, je crois aussi qu’après avoir lu un certain nombre de leurs articles pour certains, qu’après avoir vu un certain nombre de films et qu’après avoir connu soi-même- et continuer de le faire- un certain nombre d’expériences dans différents domaines de l’existence (culturels et autres) qu’on acquiert soi-même une certaine conscience et une certaine connaissance de ce que l’on voit, comprend et de ce que l’on ressent. Ainsi que sa façon toute personnelle, inconditionnelle, et vivante, de les transmettre.

Et, je crois aussi qu’il est des fois ou des journalistes ou critiques cinémas labellisés et « reconnus » ont des trous de connaissance et de conscience ou, tout simplement, des insuffisances bien que celles-ci soient évidemment humaines. Par exemple, dès qu’il s’agit de parler d’un film sur une certaine banlieue comme cela avait pu être le cas pour le film L’Esquive de Kechiche, soit un univers extérieur visiblement à certains des journalistes ou critiques cinéma « reconnus » que j’ai lus, j’ai déjà pu être désagréablement surpris par la qualité de leurs écrits aussi bienveillants et encourageants soient-ils. Je ne peux pas me considérer comme un spécialiste de la jeunesse de la banlieue ou d’une certaine banlieue : je fais désormais partie des « vieux » et je suis inséré professionnellement depuis des années. Pourtant, à lire certains articles à propos de L’Esquive de Kechiche, il m’avait sauté aux yeux que les journalistes ou critiques de cinéma « reconnus » dont je lisais les critiques depuis des années étaient alors plutôt poussifs ou dépassés.

Un autre aspect me dérange dans cette espèce de monarchie laquée des journalistes et critiques de cinéma certifiés. Et cela me dérange dans d’autres milieux que dans celui du journalisme cinéma : disposer d’un grand bagage intellectuel et culturel, c’est très bien. Et je suis preneur en termes d’apprentissage. Mais si on le transmet principalement de manière hautement cérébrale, corsetée, froide de telle façon que cela détourne de la lecture, de l’écoute, du sujet ou du film dont on parle, quel est le but ? De s’aimer soi plus que les autres ?

Pour beaucoup s’aimer, il est manifeste que certains journalistes ou critiques cinéma professionnels s’aiment beaucoup. Un jour, avant une projection de presse, j’ai rencontré l’un d’entre eux. Nous avions un peu de temps pour discuter. Et, celui-ci s’est montré très sympathique, chaleureux, allant même jusqu’à aller me chercher un exemplaire du dossier de presse lorsque l’attaché(e ) de presse est arrivé (e ). J’étais si enjoué devant une rencontre si avenante et si agréable que je me suis présenté en toute sincérité :

« Journaliste bénévole. L’avantage, c’est qu’on est libre ». Il était autodidacte ? Moi, aussi. Le journaliste cinéma ne m’a rien répondu.

Je l’ai revu à d’autres projections de presse. Il ne me voyait pas. Ou me saluait du bout des lèvres lorsque nous nous croisions. Il lui est arrivé de passer juste devant moi sur le quai du métro sans me voir comme si j’étais un passager parmi d’autres. Je l’ai vu se montrer très sympathique, très drôle, voire avenant avec d’autres journalistes cinéma ainsi qu’avec certaines attachées de presse. Un exercice de drague qui avait tourné à son désavantage ? Peut-être mais je ne crois pas que ce soit la principale raison.

Amnésique, alors ? Hypermétrope ? Lunaire ? L’une des dernières fois où je me souviens l’avoir vu et où, en me voyant, il m’a reconnu et salué sans trop de difficulté c’était, c’était….au festival de Cannes. Muni d’un badge de journaliste tout comme lui, quoiqu’avec un badge d’une couleur moins avantageuse que le sien sans doute, je prenais le même chemin que lui pour me rendre à la même projection de presse que lui. Et, me voyant dans ce lieu tout de même assez prestigieux qu’est le festival de Cannes, cet homme, journaliste cinéma patenté et sûrement toujours en activité , avait dû estimer que, tout de même, j’étais un peu du même milieu ou de la même caste que lui. J’ai constaté un peu le même effet sur une attachée de presse dont je parle « mieux » un peu plus bas. Mais là où je me suis illusionné quant au fait, désormais, de commencer à faire partie de ce milieu du journalisme cinéma, c’est que deux à trois semaines plus tard, Christophe nous apprenait la fin de Brazil.

Néanmoins, j’ai toujours privilégié ma gratitude envers Christophe même si j’ai quand même connu des expériences journalistiques par la suite avec le site Format Court, principalement, qui m’ont donné une certaine satisfaction. Après avoir rencontré sa rédactrice en chef, Katia Bayer, dans le point Presse….du festival de Cannes. J’ai aussi écrit deux ou trois articles pour un magazine étudiant. Et, après Brazil, j’ai un peu écrit pour le site Cinespagne. Ce qui m’a permis de me rendre à un festival du cinéma à Marseille, une ville qui m’est particulière. J’essayais,  alors, de me maintenir et de me diversifier dans le journalisme cinéma. Et d’y retrouver ce que j’avais pu vivre avec le journal Brazil. Et, cela, en demeurant au plus près de celui que j’étais. Mais le contexte était différent. J’étais sûrement lassé, aussi, de courir après les films, les événements ( festivals, projections et autres)  le texte et tout cela, en outre, bénévolement.

Ma lassitude a été telle que si j’ai pris soin de prévenir Katia que j’allais désormais arrêter de co-animer avec elle les soirées mensuelles de courts-métrages  de Format Court au cinéma Le Studio des Ursulines, j’ai coupé tout contact sans préavis  avec Thomas, le rédacteur en chef du site Cinespagne.com.  Même si j’ai peu écrit pour le site cette attitude ne me ressemble pas. Je profite donc de cet article, même s’il ne le lira probablement jamais et qu’il a sans doute depuis bien d’autres préoccupations, pour présenter mes excuses à Thomas pour ce comportement. C’était il y’a un peu plus de cinq ans.

 

Brazil a été une expérience extraordinaire. Je dois rappeler, aussi, qu’il s’agissait d’un mensuel papier. Je reste très attaché à la presse papier. Je suis peut-être vieux jeu mais je lui trouve un aspect plus prestigieux que la presse numérique. Je me contredis peut-être car j’écris aujourd’hui depuis mon blog. Et, j’ai aimé écrire en ligne pour Format Court.  Les deux supports ( papier et numérique ) sont bien-sûr complémentaires.

De l’expérience journalistique avec Brazil, je concède que, oui, un peu plus de rigueur à propos de la rédaction des articles aurait été bienvenu un certain nombre de fois. Cette rigueur m’a été profitable en écrivant pour Format Court. Même si j’ai plusieurs fois mal pris le fait que Katia me demande de corriger certains passages de mes articles. Et, je veux bien croire qu’il a bien dû y avoir des fois où je me suis montré désagréable compte-tenu de la trop haute importance que j’attribuais à mon intelligence.

Pourtant, même si je doute qu’un autre journal aurait pu me donner la même latitude que celle que j’ai pu connaître dans Brazil, j’ai toujours su et pensé, aussi, que j’étais plus dans mon élément en tant que journaliste qu’en tant que rédacteur en chef. Etre rédacteur en chef est une charge dont je me dispensais très bien que ce soit à Brazil , à Format Court ou ailleurs.

Concernant les reproches faits à Christophe à la fin de Brazil, je n’avais pas de raisons pour les partager. Christophe a toujours tenu ses engagements envers moi à l’époque Brazil.

Exemple : sûrement pour régler des comptes parce-que Christophe avait critiqué dans un de ses éditos sur le thème « Voici pourquoi vous ne lirez jamais d’interview de telle actrice française dans Brazil », l’attitude d’une certaine grande vedette du cinéma français qu’elle représentait (obtenir la couverture de Brazil contre une interview) une attachée de presse m’avait finalement privé d’accréditation pour un festival. Christophe m’avait alors dit :

« Ne t’inquiète pas. Tu iras dans un festival bien mieux que celui-là…. ». Quelques mois plus tard, Christophe m’apprenait que j’allais…au festival de Cannes.

Aujourd’hui, si je m’exprime depuis ce blog, c’est bien-sûr ma façon de m’affirmer un peu plus en tant qu’individu et en tant que journaliste. Dans le but d’essayer de m’acquitter de ces minutes où nos aventures se limitent à des sacrifices au service du futile et de l’artifice. Mais si ce blog est un moyen de transmettre, de faire connaissance (s) et de (faire) rire, c’est en en sachant, aussi, ce que je dois et à qui je le dois à Brazil ou ailleurs.

 

Ce préambule est sans doute un peu long. Mais je crois qu’il a son importance.

 

Autrement, Hirokazu Kore-Eda, vous connaissez ?

Le voici.

J’ai pris cette photo après l’avoir interviewé en mars ou avril 2009. Ma première interview pour Brazil. La photo a été prise à contre-jour donc on voit à peine le visage de Kore-Eda. Toutes mes excuses. Je n’ai pas osé le faire se déplacer d’autant que cette photo relevait de mon initiative. Le mensuel avait un très bon photographe, Eddy Brière, et je suis certain que sans moi, Christophe aurait obtenu des photos de Kore-Eda bien plus présentables. Cette photo a néanmoins paru dans Brazil.

Ici, même si cela a un caractère frustrant, je trouve que cette photo donne un petit plus à Kore-Eda d’avoir son visage un peu dans la pénombre. Par ailleurs, on voit bien l’intérieur plutôt luxueux, feutré et spacieux, de cet hôtel. Impossible, à moins de connaître cet hôtel, de deviner que nous nous trouvons là du côté d’ Odéon où a eu lieu l’interview. Un hôtel où je n’aurais jamais mis les pieds sans cette interview. Je n’en n’ai pas les moyens et suis si peu habitué à ce genre d’endroit que, spontanément, pour moi-même, je me tournerais plutôt vers des Formule 1 ou des hôtels Ibis.

Kore-Eda, réalisateur japonais, a été palme d’or au festival de Cannes cette année 2018 pour son film Une Affaire de famille (sorti en salles ce 12 décembre soit depuis dix jours  puisque nous sommes le 22 décembre 2018 lorsque je corrige et complète cet article). Lorsque je le rencontre dans cet hôtel en mars ou avril 2009, c’est pour parler de son film Still Walking ( 2008) réalisé quatre ans après son film Nobody knows ( 2004) qui l’a fait connaître.

J’avais intitulé mon interview pour Brazil de Hirokazu Kore-Eda : échos d’une mère. Et, dans le chapo, je présentais l’interview de la façon suivante ( Brazil# 18- mai 2009, page 56) :

« La rupture et la perte nous poussent souvent à certains engagements. Kore-Eda a réalisé Still Walking après le décès de sa mère. Et il tient à présenter ce film au moins comme le portrait d’une mère, mais aussi comme différent de ses précédentes réalisations ».

On sait ce que les Premières fois ont de mémorable. Pour moi qui avais fait un voyage au Japon dix ans auparavant, voyage que je qualifie d’extraordinaire, faire ma première interview de journaliste cinéma avec Kore-Eda, réalisateur japonais, avait immédiatement un côté extraordinaire, voire, pourquoi pas, surnaturel.

Et puis, officiellement, journaliste cinéma n’était pas mon métier. A cette époque, j’étais infirmier en poste dans un Centre Médico Psychologique (CMP) pour enfant et adolescents en banlieue parisienne. En gros : avec des collègues éducateurs, je faisais la ronde avec des enfants de trois à six ans en chantant par exemple « Dansons la capucine… ». Ou nous faisions de la peinture et des dessins. Ou nous leur racontions des contes où les emmenions dans des aires de jeu. La plupart de ces enfants avaient soit un retard de langage, soit un retard de psychomotricité ou d’autres difficultés «  du développement ».

Là, pour cette interview de Kore-Eda, changement de décor et de corps. Ces deux mondes, celui de l’infirmier et du journaliste cinéma, n’ont rien à voir ?

D’abord, j’aime ces écarts entre deux univers. J’aime changer de casquette. Ensuite, je réfute totalement ces certitudes qui consistent à opposer systématiquement deux univers qu’a priori tout éloigne. Rien à voir, vraiment, mon métier de journaliste cinéma avec celui d’infirmier ?

Un des grands principes de l’interview, c’est de s’intéresser à autrui et de l’écouter. Comme de l’observer. C’est normalement la base du métier d’acteur, du scénariste ou du réalisateur. Mais c’est aussi la base du métier d’infirmier. Et l’infirmière et l’infirmier ont bien des fois à s’employer pour interviewer qui un patient-client, qui sa famille, qui son entourage, ou d’autres collègues, et, cela, dans toutes sortes de situations (urgentes ou non). Cela se vérifie en soins somatiques. Cela se vérifie encore plus en psychiatrie, spécialité où j’ai, à ce jour, effectué, la plus grande partie de ma carrière.

Donc, faire une interview, une infirmière ou un infirmier, en est tout à fait capable. Ce qui change ici, c’est plutôt le médium et le contexte ou le décor : à l’hôpital, le médium, c’est le trouble, la pathologie ou la maladie qui provoque la rencontre entre le patient-client et l’équipe soignante.

Avec Kore-Eda, le médium, c’est le cinéma. Et le contexte ou le décor, cet hôtel où je l’ai rencontré hors festival. Mais même en changeant de médium de contexte et de décor, les thèmes qui concernent les femmes, les hommes et les enfants de ce monde restent les mêmes. A savoir, la vie, la mort. La vie, la mort, les infirmières et les infirmiers trempent dedans concrètement dans leur service. Donc, à moins de se trouver face à une infirmière ou un infirmier indisponible ou en burn out, si vous voulez vous exprimer à propos de sujets comme la vie, la mort avec une infirmière ou un infirmier, vous avez normalement une interlocutrice ou un interlocuteur ad hoc. Ce qui change, c’est la manière d’en parler, le moment et le lieu. C’est là qu’intervient la cinéphilie ou la culture cinématographique afin d’avoir un langage commun et d’éviter de vouloir réaliser la thérapie du réalisateur ou de l’acteur que vous rencontrez alors que vous êtes là…pour l’interviewer en tant que journaliste cinéma.

Fort heureusement, il y’a des garde-fous au cas où, au lieu d’effectuer une interview, on commencerait à se prendre pour un psychanalyste fou. D’abord, le réalisateur ou l’acteur que l’on interviewe. On peut lui faire confiance pour nous faire comprendre que l’on est hors-sujet. Ou alors, il y’a aussi l’attachée de presse qui peut jouer ce rôle-là.

Et puis, vu que je parle à peine quelques mots de Japonais, était présente une traductrice (qui préfèrerait peut-être être considérée comme « interprète »), Catherine Cadou ; laquelle, lors des présentations préliminaires à l’interview, s’était annoncée comme ayant travaillé (c’était une amie) avec «  Kurosawa, le Grand ». Pourquoi « Kurosawa, le Grand » ? Un autre réalisateur japonais, Kiyoshi Kurosowa, auteur de très bons films

( Tokyo Sonata, Shokuzai….), plus jeune, est toujours en activité. Akira Kurosowa « Le Grand » est une référence mondiale pour le cinéma : il a par exemple réalisé Les 7 Samouraïs qui a inspiré ensuite les remake américains Les 7 Mercenaires.

Que m’avait dit Catherine Cadou, l’interprète, à la fin de mon interview ?

« C’est bien. Vous avez tout ». En effet, j’avais préparé mes questions et les avais dactylographiées. J’étais venu avec mon enregistreur numérique et mon appareil photo.

Catherine Cadou de m’expliquer aussi que certains journalistes, lorsqu’ils arrivaient, savaient à peine de quelle histoire ils parlaient ou avaient oublié le nom de tel personnage.

Et que m’avait appris Kore-Eda lors de l’interview ? Au moins qu’il y’a une certaine logique dans nos parcours personnels. Logique que des personnes formées à la thérapie systémique pourraient tout aussi bien expliciter. Exemple avec cet extrait des propos de Kore-Eda lors de l’interview de ce jour-là ( Brazil # 18-mai 2009, page 57) :

«  (….) Une fille élevée dans une famille comme celle-ci décidera forcément d’épouser un type qui sera l’opposé de son père. Elle ne voudra pas vivre le genre de vie qu’a connue sa mère qui était sous la coupe du père. Donc, elle se choisira forcément un mari comme le sien. Le fils, Ryôta, qui est le fils cadet, était libre. Dans la mesure où son frère aîné était celui qui devait reprendre le cabinet du père, Ryôta n’ayant pas de problème d’argent – c’est une famille assez aisée- il allait forcément choisir une voie artistique, ce qui est tout à fait logique. Après, qu’il tombe sur une épouse qui, justement, travaille dans ce domaine-là….

Mon but n’a pas été d’essayer de reconstituer une société japonaise microscopique…c’est plutôt de la logique : à partir de ce type de parents, on a ce type d’enfants (……) ».

A l’heure où j’écris, j’ignore encore comment m’y prendre exactement avec cette rubrique cinéma. Je crois que revenir sur cette expérience Brazil avec des photos de réalisateurs et d’actrices et d’acteurs accompagnées de mes témoignages in situ a du bon. Mais je ne voudrais pas lasser celles et ceux qui lisent. Alors peut-être que j’opterai pour une alternance avec tantôt ces « retours en arrière » à l’époque Brazil avec des réalisateurs et des actrices et acteurs toujours en activité dans leur majorité et tantôt des films vus récemment ou non.

 

Franck, ce mardi 18 septembre 2018.

 

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Utoya, 22 juillet

                                          Utoya, 22 juillet, Film sorti en salles le 12 décembre 2018.

 

 

Erik Poppe, le réalisateur, rappelle que ce film est une fiction inspirée par les témoignages des victimes (et de leurs proches) du massacre sur l’île Utoya en Norvège le 22 juillet 2011.

 

 

Pour la fiction, on peut trouver une petite parenté avec Hunger Games d’autant plus que le personnage de Kaja, « l’héroïne » de Utoya, 22 juillet a un faux air de Jennifer Lawrence. Mais il a sûrement été assez difficile, même si thérapeutique, pour les acteurs et actrices (tueur inclus) d’endosser les rôles des victimes d’Utoya.

Pour le cinéma, on pourra se rapprocher du film Elephant de Gus Van Sant (palme d’or à Cannes en 2003) inspiré de la tuerie au lycée de Columbine en 1999. Sauf que les deux meurtriers du lycée de Columbine ont été reconnus comme des tueurs de masse et qu’ils ont agi aux Etats-Unis, pays où la législation sur les armes peut rendre celles-ci aussi accessibles que certains produits de consommation courants. (voir le film Les Veuves de Steve McQueen )

Dans mes souvenirs, Elephant déroulait une atmosphère en suspension à l’intérieur de laquelle, des lycéens livrés à eux-mêmes se faisaient tuer sans que l’on ait le temps d’apprendre à les connaître un peu.

Dans Utoya, 22 juillet, le réalisateur humanise davantage ses victimes avant que le terroriste ne démarre son activité meurtrière en tenue de policier. Quelques heures plus tôt, il avait déclenché un attentat à Oslo. Dans le film, on ne verra jamais son visage. On n’entendra jamais son nom. On apercevra sa silhouette, quelques secondes, de loin, depuis le contrebas d’une falaise, vers la fin du film. C’est plus respectueux des victimes et aussi des faits : personne n’a eu l’idée de lui tirer le portrait alors qu’il abattait ces jeunes idéalistes de gauche.

Même s’il arrive que l’on aperçoive quelques corps inconscients ou blessés, Utoya, 22 juillet s’attache principalement à rester proche des victimes qui se cachent, essaient de comprendre ce qui se passe, fuient ou tentent de prendre des décisions.

Après dix minutes de détonations par à coups, plusieurs spectatrices et spectateurs (il m’a semblé qu’il y’avait un petit peu plus de femmes que d’hommes) dans la salle ont commencé à soupirer tant la situation était stressante. Quant à moi, depuis mon siège confortable et sécurisé de spectateur, il m’a pris l’envie de saisir une grosse branche d’arbre mort afin d’aller la fracasser sur la nuque de l’agresseur. Non par héroïsme : j’aurais été autant voire plus effrayé que tous ces jeunes d’une moyenne d’âge comprise entre 18 et 25 ans à vue d’œil ( même si le jeune Tobias a sans doute 14-15 ans). Et j’aurais peut-être été en état de choc, en position fœtale, bien incapable de courir pour sauver ma peau sur l’île d’Utoya ce 22 juillet.

Mais par besoin d’en finir soit pour moi, soit par sacrifice pour d’autres, j’ai eu envie d’attraper une grosse branche.

A l’image de ces jeunes qui se sont fait tirer dessus comme des pigeons à la foire, les chiffres de ce massacre tombent : Utoya, ce 22 juillet 2011, nous rappelle le film, c’est une tuerie d’une durée de 72 minutes. 77 morts, 99 blessés graves, 300 personnes touchées ensuite par un stress post-traumatique. Le film dure 1h33. C’est bien-sûr 1h33 de trop. Mais ce film, en plus de rendre hommage d’une certaine façon aux victimes et à leurs proches, a au moins deux buts :

Informer sur les menaces profondes que peuvent représenter les mouvements d’extrême droite qui fondent sur les gouvernements comme sur des plages paradisiaques.

Prévenir, peut-être, les futures victimes potentielles (et avant eux, leurs tuteurs, éducateurs ou parents) de tout tueur comme de tout agresseur éventuel.

Cette deuxième partie est peut-être ma façon de me rassurer de manière rationnelle comme le personnage de Petter qui a d’abord besoin de se persuader que l’attaque qu’ils subissent est un «  exercice d’entraînement ». Car, il est bien difficile de se préparer à ce genre d’expérience. Comme le précise Jean-Paul Mari dans son livre Sans Blessures apparentes :

 « (….) A l’heure de la survie, plus de jeu social, d’interrogations existentielles. En une heure d’assaut, face au danger, le soldat en apprend plus sur lui-même que pendant des années de bureau ».

Les jeunes militants de l’île d’Utoya étaient des civils. Et aussi des pacifistes. Pour ce que l’on perçoit d’eux, ils étaient plutôt ouverts au dialogue et optimistes que portés sur le pugilat pour s’affirmer ou survivre. Face à eux, un homme armé, préparé, déterminé, portant sur lui un uniforme représentant l’autorité, qui les prend par surprise sur un lieu isolé ( une île ) , plutôt festif, dépourvu de moyens de sécurité comme de repli et où la communication téléphonique est mauvaise. C’est dire l’impasse.

Et, encore, le fait que les téléphones portables existaient déjà en 2011 a sûrement contribué à diminuer le nombre de morts et de blessés.

Pour prévenir ce genre de tragédie, certains préfèrent une présence armée et constante. D’autres, le droit à porter une arme sur soi.

Je me demande à partir de quel âge et, comment, préparer au mieux son enfant à la survenue possible de certains crimes étant donné qu’être en permanence sur la défensive, c’est aussi l’amputer de son innocence : avoir peur de tout et se méfier de tous, c’est aussi se priver de certaines ressources. Dans Utoya, 22 juillet, les quelques liens sociaux maintenus entre plusieurs victimes, même insuffisants pour se débarrasser de leur agresseur et être totalement solidaires, leur permettent aussi de se soutenir.

Pour moi, Utoya, 22 juillet, n’est pas un film à aimer : la priorité, ici, n’est pas d’aimer. Mais de le voir afin de réfléchir au genre de vie que l’on veut avoir et sur les modèles que l’on veut défendre ou laisser aux autres, à commencer par soi-même.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

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Cinéma

Les Veuves

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les Veuves réalisé par Steve McQueen. Film sorti en salles le 28 novembre 2018.

 Visages d’un sépulcre creux, quatre femmes sont l’atoll de ce film carré. Deux autres sont cachées.

Comme lors de tout rythme initiatique, les héroïnes commencent par dérouiller.

Nous les voyons encaisser la mort. Elles se font éjecter de leur zone de confort.

La «  zone de confort », dans un monde établi selon les process de réussite du règne masculin, blanc, libéral et occidental varie d’une femme à l’autre.

Au tout début du film, Veronica Rawlings ( l’actrice Viola Davis) est la Reine noire qui supprime, de par sa seule présence dans le lit et dans la vie de son mari blanc ( joué par Liam Neeson), plusieurs générations de racisme social, médiatique et cinématographique. C’est une femme d’avenir, éduquée, émancipée et plutôt bourgeoise.

Le personnage interprété par Michelle Rodriguez est une commerçante indépendante, mère de famille et épouse robuste d’un braqueur addict et flageolant. C’est elle qui tient la boutique.

Alice Gunner (l’actrice Elizabeth Debicki) est la grande blonde, mannequin d’argile d’origine polonaise, si peu sûre de sa valeur qu’elle garde les coups de son compagnon et qu’elle dépend de l’escorte de sa mère qui voit en son corps son meilleur capital.

Et puis, il y’a l’outsider, Belle (l’actrice Cynthia Erivo), physique de boxeuse, mère célibataire, coiffeuse, baby-sitter au domicile des autres plus que chez elle, qui ne compte pas ses heures de travail pour s’en sortir.

Une Latinos, une Slave ( se rappeler que le mot “esclave” vient du mot ” slave”), deux Afro-américaines, Steve MacQueen a formé son quarté féminin avant le saut d’obstacles :

Infidélité, double infidélité, ambition politique et sociale (l)acérée, héritage paternel, Les Veuves est peut-être un film de deuil sur les années Obama. La présidence Obama a peu modifié la trajectoire des inégalités et des violences entre les femmes et les hommes, entre les noirs et les blancs, entre les flics blancs armés, adultes, et les jeunes noirs interdits d’insouciance. Mais aussi entre noirs. L’ennemi est partout. Aux sentiments, mieux vaut préférer les alliances par intérêt commun tarifé. Ce sont les meilleures assurances.

Pendant ce temps-là, dans cette ville des Etats-Unis où se passe l’histoire, les armes restent en vente libre et une mère peut enseigner à sa fille qu’une arme est un meilleur compagnon qu’une peluche ou un copain.

Bound, des ex-frères Wachowski, Fresh, de Boaz Yakin, McQueen s’est probablement passé de la vision de ces deux films pour donner à ses héroïnes le pouvoir de se servir de leurs « faiblesses » pour se tailler la part du lion dans le film.

De leur côté, les hommes servent les fantômes d’un passé redoublé ou traumatique. Colin Firth, homme politique par transmission et par vénalité, est asservi aux postulats passéistes et racistes du père (l’acteur Robert Duvall).

Harry Rawlings (Liam Neeson), le braqueur de haute précision, a une tâche sur son CV personnel.

Les deux frères Manning (l’acteur Bryan Tyree Henry et Daniel Kaluuya à nouveau remarquable après Get Out et le premier Sicario) en ont assez du ghetto et veulent en être.

On peut trouver ce film de McQueen plus « mainstream » que les précédents. Son fond est pourtant plusieurs fois aussi lourd qu’un sac de frappe que l’on reçoit de face.

Plusieurs scènes sont virtuoses. Citons-en quelques unes :

Une séance de coaching conjugo-politique avec Colin Firth et sa femme en hors champ.

Une dispute/réconciliation entre Viola Davis et Elizabeth Debicki.

Michelle Rodriguez et un autre veuf.

Le personnage de Daniel Kaluuya donne son avis sur l’Art et le Rap.

Quand un politicien noir en campagne rend visite à une veuve noire.

Un prêche sur la nécessité de faire entrer l’Amour dans l’équation.

 

Comment ne pas aimer ce film ?

 

 

Franck Unimon, ce lundi 17 décembre 2018.

 

 

 

 

 

 

 

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Cinéma

Millenium : Ce qui ne me tue pas

Millenium : Ce qui ne me tue pas, réalisé par Fede Alvarez.

 

Sortie en salles le 14 novembre 2018.

 

Mes articles sont longs. Celui-ci sera court. J’avais aimé les précédents avec Noomi Rapace et Rooney Mara. Avec une préférence pour Noomi Rapace qui a confirmé son envergure d’actrice dans le Promotheus (2012) de Ridley Scott.

J’ai beaucoup aimé l’affiche de Millenium : Ce qui ne me tue pas. Elle est très photogénique.

J’avais bien remarqué que peu de critiques s’épanchaient sur ce film. Mais j’avais envie de revoir Lisbeth Salander. Dans ce film, Lisbeth Salander est James Bond, le Néo de Matrix et Robin des Bois tout à la fois. Une femme peut être plus forte et plus intelligente qu’un homme. Mais, ici, elle reste faible devant quelques puissants clichés du scénario.

Grâce à ce film, j’ai néanmoins reçu deux ou trois enseignements. Il faut toujours avoir quelques amphétamines à portée de main. Au cas où on nous injecterait une forte dose de sédatifs sur la scène d’un crime qui vient d’être commis.

Le monde se répartit en deux sphères : celle des surdoués qui voient tout et peuvent tout en agissant seuls. Et celle des idiots d’Etat qui ne voient pas qu’une caméra miniature a tout filmé du crime qui vient d’avoir lieu malgré la garde rapprochée présente.

Il faut toujours se méfier de sa sœur surtout si on l’a battue aux échecs, enfant. Car, plus tard, elle voudra prendre sa revanche et portera une longue robe rouge.

Certains hommes sont fréquentables : Les hackers solitaires sans libido. Les journalistes qui risquent leur vie pour une enquête. Et les hackers. Surtout si ces derniers ont pour spécialité d’être des tireurs émérites suffisamment habiles pour transporter des armes au doigt et à l’oeil.

La maitrise de l’informatique permet de prendre le pouvoir à peu près n’importe où, n’importe quand. Le bug informatique n’existe pas.

Une baignoire protège des explosifs. Lors du prochain attentat, si possible, se précipiter dans la baignoire la plus proche.

Un homme rendu aveugle se déplace plus vite dans la neige jusqu’à la route qu’une voiture de course.

 

Dans les premières minutes du film, nous assistons pourtant à une scène de violence conjugale particulièrement bien réalisée. Ensuite, Millenium ou non, le film rejoint l’incurie de ces grosses productions folles de la règle selon laquelle à partir d’un certain nombre de scènes d’actions et de revirements, mécaniquement, le public va se mettre à « aimer » un film et affluer dans les salles quelque soit le contenu….

 

Je viens de recevoir un sms de Lisbeth Salander. Celle-ci m’affirme qu’en persistant à écrire pour mon blog, je poursuis le même but que ce film. Pour l’instant, elle ne me menace pas m’écrit-elle. Mais elle me met en demeure de fournir un peu plus de contenu que ce que j’ai pu voir dans ce film. Je vais me rapprocher de la baignoire.

Franck, ce mercredi 12 décembre 2018.