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Helie de Saint Marc par Laurent Beccaria

Helie de Saint Marc par Laurent Beccaria

 

 

« Tu veux ĂŞtre bon ?! Va oĂą est le chaos… Â».

 

Nous sommes des millions, en France, Ă  considĂ©rer qu’à partir de ce soir ( ce vendredi 17 dĂ©cembre 2021)  vont dĂ©buter les vacances de NoĂ«l. Et de nombreux prĂ©paratifs, dans cette intention, ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© entamĂ©s.

 

Qu’est-ce qu’on va manger ? Avec qui on va faire la fĂŞte ? Quoi offrir ?

 

Pour certains, Noël et ses vacances sont une période joyeuse. Pour d’autres, il s’agira d’un bataillon de leurres à endurer plus que d’autres jours. Une croix à porter.

Gare de Paris St Lazare, 7 décembre 2021.

 

 

Toutes ces illuminations et ces airs de musique optimistes. Avec ces suggestions de cadeaux qui se dĂ©versent mĂŞme dans  des mĂ©dia « sĂ©rieux Â». ForĂŞts hormonales- et de nitrates- surgies brutalement et Ă  travers lesquelles il s’agira de cheminer comme si tout cela Ă©tait normal. Et qui disparaitront ensuite pour ĂŞtre remplacĂ©es par d’autres tĂ©nors magistraux : les soldes, la galette des rois….

 

HĂ©lie de Saint Marc, lui, ne fĂŞtera pas NoĂ«l. Il est mort en 2013…à 91 ans.  Après plus de 90 NoĂ«l. C’est une longĂ©vitĂ© Ă©tonnante pour un homme qui a fait beaucoup plus que de dĂ©corer des sapins de NoĂ«l.

 

Il a envoyé quelques hommes au sapin, en a vu d’autres se faire harponner par lui. Et, lui-même, dans sa jeunesse, avait évité de peu sa transformation en sapin. C’était pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans un camp de concentration nazi. Il avait à peu près vingt ans. Puis en Indochine. Il y avait eu, aussi, la Guerre d’Algérie….

 

Les dĂ©corations militaires qu’ HĂ©lie de Saint Marc avait reçues ne venaient pas d’un magasin vendant des articles pour NoĂ«l.  

 

Je serai peut-être décédé bien avant mes 91 ans, moi qui bénéficie encore de la sécurité sociale, d’une certaine sécurité de l’emploi et qui réussis à manger à ma faim. Mais aussi à me plaindre, à être insatisfait. Et si, un jour, on parle un petit peu plus de moi que lui et de toutes celles et tous ceux qui lui ont ressemblé, qui lui ressemblent ou lui ressembleront, noirs, blancs, jaunes, arabes, hétérosexuels ou homosexuels, transgenres ou queer, femmes, hommes ou enfants, cela ne changera rien aux faits.

 

Les faits sont que HĂ©lie de Saint Marc, comme celles et ceux qui lui ressemblent, pour moi, est une très grande personne. Beaucoup plus que moi. Et, obtenir plus de « popularitĂ© Â» que lui, si cela arrivait, n’y changera rien.

L’Ă©crivaine Annie Ernaux, vraisemblablement en 1963.

 

Soyons prĂ©cis : c’est ce que j’ai cru entrevoir chez l’homme qu’a Ă©tĂ© HĂ©lie de Saint Marc, malgrĂ© son parcours de militaire qui me fait Ă©crire ça. Certaines de ses…valeurs. Il aura Ă©tĂ© un homme engagĂ© et un rĂ©sistant. Il existe diffĂ©rentes formes de rĂ©sistances. Pour moi, lorsque Annie Ernaux, dans sa nouvelle, L’évĂ©nement, raconte son avortement clandestin, en 1963, alors qu’elle a une vingtaine d’annĂ©es, dans le pĂ©rimètre de Rouen, je vois aussi une rĂ©sistante.

Et, lorsqu’en Guadeloupe, le musicien Vélo, joue du Gwo-Ka, alors que ce genre de musique est alors mal perçu ( ou le Maloya à la Réunion à une certaine époque), je vois aussi un résistant.

 

Aujourd’hui, le mot RĂ©silience, beaucoup transmis par Boris Cyrulnik, est souvent « dictĂ© Â» comme une Ă©vidence, mĂŞlĂ©s parmi d’autres termes qui seraient nos boussoles et nos idĂ©aux communs et immĂ©diats :

 

Humanité, tolérance, bienveillance, être une famille, entraide, solidarité, écologie, démocratie, égalité, liberté, écoute, assistance, conseil, rebondir…

 

Les personnes résistantes sont celles qui s’aperçoivent que la pensée dominante est un échec. Et que le chaos auquel cette pensée obéit ne fera rien sortir de bon ou de meilleur chez l’être humain.

 

« Tu veux ĂŞtre bon ?! Va oĂą est le chaos…. Â». Cette phrase ne signifie pas :

 

« Fais-toi plaisir, Ă©crase tout le monde autour de toi parce-que tu es très fort et que tu as beaucoup de pouvoir Â».

 

Cette phrase ne signifie pas : « Bâtis un empire de carnage Ă  ton image et prends ton pied absolu sans te retourner. Et sans jamais te prĂ©occuper des autres ou te consacrer Ă  eux Â».

 

Contexte de lecture

 

HĂ©lie de Saint Marc, un prĂ©nom et un nom  inconnus, aujourd’hui.

 

Comparativement au variant Omicron de la pandémie du Covid. Au rappeur Orelsan .

Gare de Paris St Lazare, 7 décembre 2021. En haut à droite, au dessus de la sortie, une affiche montrant le rappeur Orelsan pour la promotion de son nouvel album  » Civilisation ».

 

 

Pardon pour la chronologie mais j’essaie de trouver des actualitĂ©s qui parlent ou parleront rapidement au plus grand nombre :

 

Ouvrage dirigé par Zineb El Razhaoui, ancienne journaliste de  » Charlie Hebdo », dans lequel elle recueille 13 témoignages de victimes ou de proches de victimes des attentats islamistes du 13 novembre 2015 à Paris. Elle fait aussi le portrait du meneur de ces attentats.

Le procès des attentats islamistes du 13 novembre 2015 ; Le candidat aux Ă©lections prĂ©sidentielles polĂ©miste-journaliste-Ă©crivain-extrĂ©miste de droite-futur papa Eric Zemmour ; la pĂ©nurie infirmière et mĂ©dicale ;

 

 

L’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama de ce 15 dĂ©cembre 2021.

 

 

le refus du passe sanitaire et de l’obligation vaccinale en Guadeloupe et dans d’autres rĂ©gions de France et d’outre-mer ;

 

 

Le journal  » Charlie Hebdo » de ce 15 décembre 2021.

 

 

la normalisation des relations de certains pays du Machrek tels le Maroc avec IsraĂ«l ; L’emprise croissante de la Chine sur Hong-Kong et dans le Monde ; L’incarcĂ©ration Ă  la prison de la SantĂ© de Claude GuĂ©ant , l’ancien Ministre de l’intĂ©rieur très sĂ»r de lui, de l’ex PrĂ©sident de la RĂ©publique, Nicolas Sarkozy pour dĂ©tournement de fonds ; L’accusation de viol portĂ©e Ă  l’encontre de personnalitĂ©s populaires ( masculines) telles que Nicolas Hulot, ancien Ministre mais aussi animateur de tĂ©lĂ© vedette, Yannick Agnel, ancien champion olympique de natation ; La Turquie qui brĂ»le ou ampute les doigts de certains de ses Ă©crivains afin qu’ils ne puissent plus Ă©crire ; La sonde Parker Solar Probe, de la NASA, qui a « touchĂ© le soleil pour la première fois Â» (La sonde lancĂ©e en 2018  «   a franchi une bordure symbolique appelĂ©e la frontière d’Alfvèn Â» situĂ©e Ă  15 millions de kilomètres de la surface du Soleil Â». Article de France info publiĂ© le 16 dĂ©cembre 2021) ; la sortie du « nouveau Â» film Matrix RĂ©surrections ce 22 dĂ©cembre 2021. La mort rĂ©cente de Pierre Rabhi, Ă©cologiste modèle, homophobe et assez misogyne.  

 

 

Première page de couverture du journal  » Charlie Hebdo » de ce 8 dĂ©cembre 2021. Avec, Ă  gauche, l’homme politique, Eric Ciotti, au centre, la femme politique ValĂ©rie PĂ©cresse, Ă  droite, la femme politique Marine Le Pen et, allongĂ©, Ă  plat ventre, Eric Zemmour ex-journaliste, polĂ©miste, Ă©crivain qui s’est dĂ©clarĂ© rĂ©cemment candidat aux Ă©lections prĂ©sidentielles de 2022.

 

 

Hélie de Saint Marc n’appartient plus à cette époque. Mais je cite ces quelques événements car je crois que connaître un peu le contexte qui entoure une lecture peut rajouter du relief et une certaine profondeur à un article.

 

La couverture de l’hebdomadaire TĂ©lĂ©rama de ce 15 dĂ©cembre 2021. Le rappeur Joey Starr, un des meneurs du groupe de Rap NTM ou SuprĂŞme NTM y est montrĂ© en première page. Aujourd’hui, le groupe NTM n’existe plus. Mais un film consacrĂ© au groupe  » Les SuprĂŞmes » d’Audrey Estrougou est sorti au cinĂ©ma le 24 novembre 2021 et marche plutĂ´t bien en salle. Par ailleurs, Joey Starr, depuis cette photo en 1988, est depuis devenu un acteur et un comĂ©dien ( tant au cinĂ©ma qu’au théâtre) reconnus. Ce que rien en particulier ne laissait prĂ©sager lorsque le groupe NTM a sorti ses premiers albums dans les annĂ©es 90, Joey Starr se faisant plus « connaĂ®tre » pour ses frasques ainsi que pour sa musique et ses prestations scĂ©niques.

 

 

Ma « dĂ©couverte Â» de HĂ©lie de Saint Marc  :

J’avais « entendu Â» parler de HĂ©lie de Saint Marc sans doute un peu avant sa mort.

 

« Tu veux ĂŞtre bon ?! Va oĂą est le chaos Â» n’est pas de lui.

 

Le Maitre Kacem Zoughari en couverture d’un prĂ©cĂ©dent numĂ©ro de la très bonne revue d’Arts martiaux, Yashima.

 

 Cette phrase- Ă  laquelle j’ai dĂ©jĂ  fait rĂ©fĂ©rence- a Ă©tĂ© prononcĂ©e par Kacem Zoughari, Maitre d’Arts martiaux, lorsqu’il avait Ă©tĂ© interviewĂ© pour le magazine Yashima par LĂ©o Tamaki, un autre Maitre d’Arts Martiaux. Un des Maitres d’Arts Martiaux de Kacem Zoughari , devenu un Sensei lui-mĂŞme, lui avait donnĂ© un jour ce « conseil Â».

 

 

 HĂ©lie de Saint Marc n’était ni prĂŞtre, ni rappeur, ni Maitre d’Arts Martiaux :

Il a Ă©tĂ© rĂ©sistant, dĂ©portĂ© dans un camp de concentration nazi, militaire, lĂ©gionnaire parachutiste, officier. Il a avait Ă©tĂ© entachĂ© par sa participation au putsch des gĂ©nĂ©raux en AlgĂ©rie en 1961 qui s’est opposĂ© au GĂ©nĂ©ral de Gaulle. CondamnĂ© pour cela Ă  faire de la prison. Puis rĂ©habilitĂ© après plusieurs annĂ©es d’incarcĂ©ration. Enfin, il est devenu Ă©crivain et ses livres, oĂą il raconte « ses Â» guerres et ses Ă©poques, sont bien cotĂ©s.

Je n’en n’ai lu aucun pour l’instant par contre j’ai lu cette biographie que lui a consacrĂ©, de son vivant, un des membres de sa famille, Laurent Beccaria, historien, ainsi que cet ouvrage qui retranscrivait sa rencontre avec un ancien officier nazi :

Notre Histoire avec August Von Kageneck , conversations recueillies par Etienne de Montety.  

 

Autant que je le comprenne, HĂ©lie de Saint Marc n’a jamais eu d’ambitions politiques et n’a jamais cherchĂ© Ă  se montrer dans les mĂ©dia ou  Ă  participer Ă  une Ă©mission de tĂ©lĂ©rĂ©alitĂ©. Il Ă©tait plutĂ´t Ă  l’opposĂ© de ce mode de « vie Â».

 

Ce qui le différencie complètement d’un Général de Gaulle, son aîné de plusieurs années, qui avait désobéi au Maréchal Pétain en entrant dans la Résistance, c’est son absence d’ambition et stratégie politique. C’est aussi ce qui le sépare de certains des généraux qu’il avait rejoints lors du putsch des généraux en Algérie en 1961. C’est, entre autres, ce qui ressort de cette biographie.

 

Qu’ai-je retenu de cette biographie ?

 

Si le variant Omicron de la pandĂ©mie du Covid est de aujourd’hui le variant dont on parle de plus en plus depuis le dĂ©but officiel de cette pandĂ©mie en France en mars 2020, j’avais lu ou commencĂ© Ă  lire cet ouvrage lorsque le variant Delta de la pandĂ©mie Ă©tait dominant. Peut-ĂŞtre avant l’obligation vaccinale comme celle du passe sanitaire dĂ©cidĂ©e par le PrĂ©sident Macron et son gouvernement ce 12 juillet.  

 

J’ai terminé sa lecture il y a maintenant deux ou trois mois. Je me rappelle d’un jeune Hélie de Saint Marc, issu d’une famille vivant dans les environs de Bordeaux depuis plusieurs générations, plutôt d’un bon milieu social. Une famille cultivée. Catholique pratiquante. Je me rappelle d’un père (celui de Hélie de Saint Marc) avocat ou notaire, ôtant son chapeau avec respect lorsqu’il croisait des juifs forcés par le gouvernement Pétain à porter l’étoile jaune.

 

Je me souviens d’un jeune Hélie de Saint Marc plus à l’aise pour parcourir la région à vélo que pour réaliser des prouesses intellectuelles à l’école. Le travail scolaire lui demandant beaucoup d’efforts afin d’obtenir des résultats moyens ou corrects. Par contre, le jeune Hélie, qui avait au moins un frère, lisait avec admiration les récits de certains grands hommes ou aventuriers.

 

 

Lorsque l’Allemagne nazie envahit la France jusqu’à se rĂ©pandre Ă  Bordeaux, c’est la colère qui anime le jeune HĂ©lie de Saint Marc. Dans cet ouvrage ou dans Notre Histoire, il rappellera comme il avait alors fait l’expĂ©rience douloureuse – voire traumatique- et s’en rappellera plus tard, qu’un grand empire Ă©tabli et semblant parti pour durer peut pĂ©ricliter en très peu de temps. La France d’aujourd’hui n’est peut-ĂŞtre qu’une vitrine de NoĂ«l pour touristes, consommateurs, extrĂ©mistes ou terroristes et apparaĂ®t assez souvent comme la spectatrice un peu consultĂ©e des dĂ©cisions prises par les plus grandes Puissances (La Chine, les Etats Unis, la Russie, Le Japon, l’Allemagne, IsraĂ«l…). Le rĂ©cent ratĂ© oĂą l’Australie a prĂ©fĂ©rĂ©, finalement, rompre le contrat par lequel elle s’était engagĂ©e Ă  acheter des sous-marins nuclĂ©aires Ă  la France au bĂ©nĂ©fice des Etats-Unis et de la Grande Bretagne « prouve Â» Ă  quel point la France a reculĂ© ou recule dans le classement des Nations qui « comptent Â».

 

 Mais la France des annĂ©es 1940 Ă©tait encore une des plus grandes Puissances mondiales. Ainsi qu’une des plus grandes Puissances coloniales. C’est dans cette France et dans sa mĂ©moire concrète et directe qu’HĂ©lie de Saint Marc est nĂ© et a grandi. MĂ©moire d’autant plus concrète qu’il Ă©tait nĂ© dans l’hexagone et qu’il avait suffisamment d’aisance et de conscience sociale et intellectuelle pour en ressentir une certaine fiertĂ©.

Mes grands parents paternels et maternels, de la même génération qu’Hélie de Saint Marc, tous nés en Guadeloupe, un peu plus de cinquante ans après l’abolition de l’esclavage, dans un milieu social rural, manuel, modeste voire pauvre, avaient très certainement une autre perception de la France. Mais aussi de leur propre importance dans le monde en tant que personnes.

 

 

 

 

Extrait du journal  » Charlie Hebdo » du 15 décembre 2021 à propos du refus, en Guadeloupe, de la vaccination anti-Covid et du passe sanitaire obligatoires.

 

 

Bien-sĂ»r, ĂŞtre issu d’un milieu modeste et « sinistrĂ© Â» n’empĂŞche pas, malgrĂ© tout, d’être pourvu d’une certaine conscience de soi et de s’accorder de l’importance. Mais cela nĂ©cessite sĂ»rement une très grande confiance en soi, une pulsion de vie particulièrement dĂ©veloppĂ©e, voire hors norme, un farouche optimisme en mĂŞme temps que certaines qualitĂ©s ou vertus d’opportunisme. Soit des aptitudes qui peuvent ĂŞtre prĂ©sentes en beaucoup d’entre nous. Encore faut-il s’autoriser Ă  les exprimer. Or, ce qui opprime et refrène aussi, beaucoup, les ĂŞtres, c’est toute cette armada de censures et d’interdits qu’ils se sont copieusement entraĂ®nĂ©s Ă  assimiler pour ĂŞtre acceptĂ©s ou aimĂ©s.

 

 

A telle époque et dans telle région, il s’agira d’adopter telle religion pour être bien vu ou pour éviter la mort et l’humiliation économique, sociale ou physique.

Ailleurs, ce sera telle langue plutĂ´t qu’une autre. Ou telles mĹ“urs. Aller Ă  contre-courant de ces normes et de ces pensĂ©es dominantes nĂ©cessite plus que de la chance et de la « simple Â» volontĂ©. C’est l’une des raisons pour lesquelles, après avoir Ă©tĂ© des fidèles croyants, nous sommes majoritairement des consommateurs et des exĂ©cutants.

 

Parce qu’être lucide en permanence, s’opposer,  rĂ©sister (la crĂ©ativitĂ© culturelle et artistique font partie de la rĂ©sistance) ou devenir un meneur exige des efforts particuliers. Efforts qui ne sont pas toujours louĂ©s, compris, encouragĂ©s ou partagĂ©s par nos familiers ou proches. Efforts qui ne rencontrent pas toujours le succès et la reconnaissance….

 

Le contraire du mot « consommateur Â», c’est peut-ĂŞtre, dans sa version active et radicale, de devenir un transformateur. Et dans sa version plus sociable et plus indulgente, cela consiste Ă  essayer de devenir un transmetteur.

Première page du New York Times du 8 décembre 2021.

 

 

La résistance

 

 

RĂ©sister, s’affirmer, c’est donc, Ă  un moment ou Ă  un autre,  ĂŞtre prĂŞt, si nĂ©cessitĂ©, Ă  s’exiler mĂŞme si cela peut devenir dangereux. Parce-que s’exposer Ă  l’inconnu et Ă  l’isolement pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e est une aventure dangereuse.

 

C’est  pourtant ce que va faire le jeune HĂ©lie de Saint Marc. Sa connaissance de la rĂ©gion va d’abord faire de lui un messager opportun, et de confiance, pour la rĂ©sistance française. Un univers d’hommes  plus âgĂ©s que lui. Dans un mouvement de rĂ©sistance bien organisĂ©.

En lisant ce livre, je dĂ©couvrirai que si l’on a souvent une image idĂ©alisĂ©e a posteriori de la rĂ©sistance comme d’une action collective hĂ©roĂŻque et bien structurĂ©e, qu’il Ă©tait,  aussi, des mouvements de rĂ©sistance si mal organisĂ©s qu’un certain nombre de leurs membres, pourtant exemplaires, se sont fait attraper ou tuer comme des amateurs. Leur tort Ă©tant d’avoir confiĂ© trop facilement leur vie Ă  des meneurs…incompĂ©tents en termes d’organisation. Ce qui,  aujourd’hui, pourrait aussi nous faire penser Ă   des cadres, des entraĂ®neurs, des conjoints, des amis, des proches, des professionnels ou des chefs d’entreprise (ou d’Etats) incompĂ©tents.

 

Dans le numĂ©ro du journal Le Parisien d’hier, je suis retombĂ© sur ce fait divers arrivĂ© le 8 juin 2018 Ă  Argenteuil, dans ma ville, dans le centre commercial CĂ´tĂ© Seine. Un centre commercial que je n’aime pas et, oĂą, le 8 juin 2018, une mère a perdu un de ses jeunes enfants. Son erreur ? Avoir fait confiance Ă  l’ascenseur qui permettait d’accĂ©der Ă  l’étage supĂ©rieur. Des ascenseurs dans des immeubles ou dans des centres commerciaux, nous en prenons tous. Celui-ci a « lâchĂ© Â» sur plus de deux mètres. Le mĂ´me n’a pas eu le temps de sortir. Il est mort Ă©crasĂ© sous les yeux de sa mère et de son jeune frère. Trois ans plus tard, aucun des responsables des diverses entreprises chargĂ©es de la maintenance de l’ascenseur n’a eu Ă  s’expliquer devant un tribunal. Chacune des entreprises renvoie Ă  l’autre Ă  la responsabilitĂ© de la dĂ©faillance.

 

Voici ce que m’évoque, aujourd’hui, ces rĂ©sistantes et rĂ©sistants, qui, hier, comme aujourd’hui, confient ou confieront facilement leur vie Ă  certains dĂ©cideurs ou dirigeants qui, de leur cĂ´tĂ©, affirmeront que tout va bien se passer sans, par ailleurs,  prendre le temps et la prĂ©caution de vĂ©ritablement s’impliquer afin que tout se dĂ©roule comme prĂ©vu ou puisse ĂŞtre rĂ©solu en cas d’imprĂ©vu.

 

Hélie de Saint Marc, lui-même, fera cette expérience en cherchant à s’affranchir du mouvement de résistance qui l’a initié. Il voudra s’engager davantage et tombera, comme d’autres volontaires, dans une embuscade qui le déportera dans un camp de concentration. Bien que moins robuste que d’autres, il y survivra deux fois. Une première fois grâce à l’entraide concrète dont il bénéficiera du fait de certaines amitiés et relations. Et, une seconde fois parce qu’un homme plus âgé que lui, un Lithuanien, je crois, taillé pour le travail de mineur, et aussi voleur intrépide de nourriture, décidera de le prendre sous sa protection et de partager avec lui ses vols alimentaires.

 

 

Lorsque l’on apprend dĂ©jĂ  « Ă§a Â» de HĂ©lie de Saint Marc, comme de ceux qui l’environnent et qui vivent cela avec lui, on comprend mieux ce qu’il faut avoir comme parcours et ressources en soi pour ĂŞtre un rĂ©sistant.

 

Mais on peut ĂŞtre un hĂ©ros et un rĂ©sistant et avoir des convictions idĂ©ologiques contraires. Cela arrivera Ă  HĂ©lie de Saint Marc qui croisera Jean-Marie Le Pen, « le père de Â», qui sera un de « ses Â» lieutenants et un de ses « subordonnĂ©s Â». La biographie de Beccaria s’étend peu sur cette connaissance de Saint Marc en Indochine, je crois. Mais il ressort que Saint Marc ne partage pas les buts de l’OAS et, plus tard, de l’ExtrĂŞme droite fasciste. MĂŞme s’il a pu connaĂ®tre et combattre aux cĂ´tĂ©s de certains de ses futurs membres et meneurs.

 

Pour comprendre ce qui lui prend d’être du cĂ´tĂ© des gĂ©nĂ©raux qui, en AlgĂ©rie, organisent le Putsch en 1961 contre le GĂ©nĂ©ral de Gaulle, il faut savoir ce qui s’est passĂ© en Indochine :

 

Lorsque la France, après avoir fait de certains asiatiques ses alliĂ©s et ses soldats (des villages), les abandonne sur place après avoir perdu la guerre, faisant d’eux les victimes des  vainqueurs.

En AlgĂ©rie, l’histoire se rĂ©pète avec les harkis et les tergiversations autant politiques que militaires de De Gaulle ainsi que ses visions coloniales pour ne pas dire colonialistes. Saint Marc est dĂ©crit comme un idĂ©aliste qui s’attache aux indigènes en toute sincĂ©ritĂ© comme Ă  leur loyautĂ© et qui croit aussi Ă  une rĂ©elle Ă©galitĂ© des droits entre AlgĂ©riens et pieds noirs. Alors que le gouvernement français de l’époque voudrait tantĂ´t garder l’AlgĂ©rie française telle quelle ou la « rendre Â» au FLN alors que, militairement, la France serait en train de gagner la guerre. Et que des soldats français, après avoir « perdu Â» face aux nazis et après avoir perdu la guerre d’Indochine voudraient, pour leur honneur et celui de la France, imposer cette victoire française.

 

Je ne suis pas pro-AlgĂ©rie française et encore moins pro-OAS. Mais j’ai aussi appris que le FLN a aussi produit des horreurs. Et, je crois que le Martiniquais Frantz Fanon, psychiatre de rĂ©fĂ©rence ( sur lequel le rĂ©alisateur d’origine haĂŻtienne Raoul Peck serait en train de rĂ©aliser un film), très engagĂ© auprès du FLN, a eu une certaine  « chance Â» de mourir- jeune, Ă  39 ans- d’une leucĂ©mie avant l’indĂ©pendance de l’AlgĂ©rie. Car l’AlgĂ©rie qu’il a dĂ©fendue comme d’autres, un demi siècle plus tard, n’est pas devenue la dĂ©mocratie – plutĂ´t laĂŻque- pour laquelle il s’était battu. L’AlgĂ©rie devenue indĂ©pendante en 1962, peu après sa mort,  semble l’avoir plutĂ´t rapidement « oubliĂ©e Â».

 

 

 

La jouissance du danger

 

 

Parler, un peu, de HĂ©lie de Saint de Marc ,  c’est aussi parler de cette  «  jouissance du danger Â» qui pousse certaines personnes Ă  agir comme elles le font. Cette jouissance du danger, dans sa partie la plus visible, serait d’abord propre aux rĂ©sistants, combattants civils et autres, aux militaires, mais aussi sans doute Ă  bien des membres de certains groupes d’intervention tels que le RAID, le GIGN, les SAS, la BRI, dans le banditisme et le grand  banditisme, dans les organisations terroristes.

 

 Mais, Ă©galement, aussi Ă  celles et ceux qui participent Ă  certaines actions militantes :

 

Sea Sheperd ;

 

Txai Surui ? la jeune indigène brĂ©silienne de 24 ans, prĂ©sente Ă  la rĂ©cente COP de Glasow, en novembre, consacrĂ©e au rĂ©chauffement climatique et Ă  l’épuisement des ressources de la planète, qui a affirmĂ©, après la jeune suĂ©doise, Greta Thunberg :

 

« La planète nous dit que nous n’avons plus le temps Â».

 

 Nous pouvons aussi penser aux personnes qui vivent certaines passions. Mais aussi certaines addictions.

Cinquantenaire de Marmottan, à la cigale, à Paris, ce vendredi 3 décembre 2021.

 

Le 3 décembre dernier, dans la salle- remplie- de concerts de la Cigale, le service Marmottan spécialisé dans le traitement des addictions fêtait son cinquentenaire.

 

Sur place, j’ai eu l’impression qu’étaient présentes principalement des personnes préoccupées directement par le sujet des addictions. Soit en tant que professionnels de santé. Soit en tant qu’usagers s’étant sevrés ou ayant du mal- et cherchant- à se décrocher de leur(s) addiction (s).

 

 

Je ne peux pas avoir de certitude mais j’ai eu l’impression que la majorité des personnes de ce pays, la pensée dominante, se sent assez peu concernée directement par ce sujet. Et qu’entendre parler de Marmottan ou de tout autre service dévoué aux addictions n’est pas la priorité de la majorité qui dispose de la pensée dominante. A moins d’y être obligée.

J’ai bien prĂ©vu de consacrer un article sur Ă  ce cinquentanaire de Marmottan dès que cela sera possible. Mais je m’attends Ă  ce qu’il soit en grande partie parcouru par des professionnels de santĂ© des addictions ou par des personnes qui ont envie d’entreprendre de mieux faire le tri parmi leurs addictions. 

 

Une addiction particulière :

 

Pourtant, l’être humain est porteur d’une addiction particulière : celle de la destruction d’autrui, de son environnement comme de sa propre autodestruction. Et, cela, peu importe son niveau intellectuel, social, politique ou son histoire.  Invariablement, l’être humain  retourne Ă  cette addiction de destruction et d’autodestruction.

 

Les fêtes de ce Noël, et d’autres festivités, permettront à certaines et certains de vivre la courte trêve de cette addiction.

Paris, décembre 2021.

 

 

Donc, finalement, avec ou sans sapin, ces fêtes de Noël ont du bon. De même que la lecture de cette biographie d’Hélie de Saint Marc.

 

 

Franck Unimon, ce samedi 18 décembre 2021.

 

 

 

 

 

 

 

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Ricochets-Un livre de Camille Emmanuelle

                             Ricochets– un livre de Camille Emmanuelle

Black Fridays

 

La Black Fridays de ce mois de novembre 2021 se termine dans quelques heures. On reparle peu à peu de la pandémie du Covid qui reprend. En Autriche et en Australie, des mesures gouvernementales ont été prises pour obliger les non vaccinés à se vacciner contre le Covid. Confinement forcé, peines d’emprisonnement, contrôles de police sur la route. Dans le New York Times de ce mercredi 17 novembre, j’ai appris que les non-vaccinés étaient rendus responsables de la reprise de la pandémie du Covid. Pandémie qui nous a fait vivre notre premier confinement pour raisons sanitaires en France en mars 2020. Mais j’ai l’impression que la perspective d’un reconfinement et la peur du Covid semblent très loin des attentions des Français dans l’Hexagone. Même si la troisième dose du vaccin commence à s’étendre aux moins de 65 ans. Environ 80 pour cent de la population dans l’Hexagone est vaccinée contre le Covid. Nous sommes encore nombreux à porter des masques. J’ai l’impression que peu de personnes en France envisagent ou acceptent l’idée d’être à nouveau confinées. Depuis fin aout à peu près, le sujet de la pandémie du Covid s’est dissous. Et, cette nouvelle remontée du Covid associée à une pénurie de lits dans les hôpitaux mais aussi à une accentuation de la pénurie soignante ( 1200 postes infirmiers seraient inoccupés en région parisienne), semblent encore très loin de la portée du plus grand nombre.

 

Les attentats islamistes, c’est un petit peu pareil. Le procès des attentats du 13 novembre 2015 a dĂ©butĂ© en septembre. Il durera jusqu’en Mai 2022. Cependant, Ă  part certaines personnes directement concernĂ©es ou touchĂ©es, et assidues, le sujet apparaĂ®t moins prĂ©sent dans la conscience immĂ©diate de la majoritĂ©. D’abord, pour l’instant, et rĂ©cemment, il y a eu moins – ou pas- d’attentats islamistes Ă  proximitĂ©. Ensuite, nous avons aussi envie et besoin d’air. Donc de « voir Â» et de « vivre Â» autre chose que des attentats et du Covid.

 

A priori. 

 

Psycho-traumatologie

 

A ceci près que, parmi mes sujets « d’intĂ©rĂŞt Â», il y a ce que l’on appelle la psycho-traumatologie. « Tu aimes vraiment ce qui est mĂ©dico-lĂ©gal Â» m’a redit rĂ©cemment mon collègue- cadre au travail, sans doute après m’avoir vu avec le livre Ricochets de Camille Emmanuelle.

 

Il est arrivĂ© que ma compagne se moque de moi en voyant les films ou les livres, assez « chargĂ©s Â», que je regarde et lis pendant mes heures de repos. J’aime la poĂ©sie et la fantaisie. Je peux ĂŞtre très naĂŻf. Très ou trop gentil. Et mĂŞme niais. Puis, il y a une partie de moi, restĂ©e dans la noirceur, dont la mèche s’allume quelques fois et que je suis. Jusqu’à la psychose ou ailleurs. Ce n’est pas très bien dĂ©fini. Mais je sais que cela fait partie de ma normalitĂ© et sĂ»rement aussi de ma mĂ©moire. C’est sans doute cela qui m’a menĂ© Ă  Camille Emmanuelle.

 

Je ne « connaissais Â» pas Camille Emmanuelle.  J’ai tendance Ă  croire que si elle et moi, nous nous Ă©tions croisĂ©s avant la lecture de son ouvrage, que cela aurait fait flop. Je le crois car en lisant son Ricochets, il est une partie d’elle et de son monde qui m’a rappelĂ© comme je suis extĂ©rieur Ă  certaines Ă©lites ainsi qu’à certaines rĂ©ussites. Je ne devrais pas mentionner ça. Parce-que, fondamentalement, et moralement, au vu du sujet de son ouvrage, cela est dĂ©placĂ©. LĂ , je donne le premier rĂ´le Ă  mon ego alors que le premier rĂ´le, c’est foncièrement elle et ce qu’elle a donnĂ©, ce qu’elle nous a donnĂ© de sa vie, avec son ouvrage. Mais je le fais car cela fait aussi partie des impressions que j’ai pu avoir en la lisant. Je me dis que d’autres personnes pourraient aussi avoir ces impressions. Et qu’une fois que j’aurai exprimĂ© ça, je pourrais d’autant mieux faire ressortir tout ce que son livre apporte.

 

Elites et réussites

 

J’ai parlĂ© « d’élites Â» et de « rĂ©ussites Â» car, jusqu’au 7 janvier 2015 (et aussi un peu avant lors d’un Ă©vĂ©nement traumatique antĂ©rieur), son parcours personnel et le mien me semblent deux opposĂ©s. Elle, belle jeune femme, milieu social aisĂ©, bonne Ă©lève, aimĂ©e, assurĂ©e, encouragĂ©e Ă  partir Ă  l’assaut de ses aspirations Ă  Paris. Clopes, alcool, Ă  l’aise dans son corps, soirĂ©es parisiennes, les bonnes rencontres au bon moment pour sa carrière professionnelle. Moi, banlieusard, corsetĂ© par les croyances traditionnalistes de mes parents, antillais d’origine modeste et rurale immigrĂ©s en mĂ©tropole, refugiĂ©s dans l’angoisse du Monde extĂ©rieur et dans la mĂ©fiance vis-Ă -vis du blanc (alors, la femme blanche !) pas si Ă  l’aise que ça dans mon corps. MalgrĂ© ce que mes origines antillaises «Vas-y Francky, c’est bon ! Â» pourraient laisser prĂ©tendre ou supposer.

 

On aime dire que les « contraires s’attirent Â». Mais il ne faut pas exagĂ©rer.

 

Devant une Camille Emmanuelle dans une soirĂ©e ou ailleurs, je me fais « confiance Â» pour me prĂ©senter Ă  mon dĂ©savantage ou m’éteindre complètement. Il n’y aurait qu’en ignorant la prĂ©sence ou le regard d’une personne pareille que je pourrais vĂ©ritablement ĂŞtre moi-mĂŞme, au meilleur. De ce fait, je n’ai pas Ă©voluĂ© dans les domaines oĂą elle a pu Ă©voluer mĂŞme si j’en ai eu ou en ai le souhait. Ce n’est pas de son fait. Mais parce-que je me suis plein de fois censurĂ© tout seul et que je continue de le faire studieusement en « bon » Ă©lĂ©ment qui a bien appris comment Ă©chouer avant d’atteindre certains horizons. 

 

Je parle aussi « d’élites Â» parce-que, lorsque le 7 janvier 2015, deux terroristes sont venus tuer plusieurs personnes dans les locaux du journal Charlie Hebdo, ils sont aussi venus s’en prendre Ă  des Ă©lites intellectuelles et/ou artistiques ou culturelles. Et, ça, je crois que c’est assez oubliĂ©.

 

Charlie Hebdo

 

Je lis Le Canard Enchainé depuis plus de vingt ans. Le Canard Enchainé est un peu le cousin de Charlie Hebdo. Les deux hebdomadaires ont bien sûr leur identité propre. Mais ils ont en commun leur indépendance d’esprit. Un certain humour et une certaine capacité critique (supérieure à la moyenne) envers le monde qui nous entoure et celles et ceux qui le dirigent.

 

Avant le 7 janvier 2015, j’avais acheté une fois Charlie Hebdo. Pour essayer. Philippe Val en était encore le rédacteur chef. Je n’avais pas aimé le style. Les articles. J’ai peut-être gardé ce numéro malgré tout parmi d’autres journaux.

 

Les caricatures de Mahomet, les menaces de mort, les pressions sur Charlie Hebdo mais aussi au Danemark m’étaient passées plutôt au dessus de la tête. Je n’avais pas d’avis particulier. J’étais spectateur de ce genre d’informations comme pour d’autres informations.

 

Le 7 janvier 2015, c’était le premier jour des soldes. Chez nous, je crois, ma compagne m’apprend l’attentat « de Â» Charlie Hebdo. Je lui rĂ©ponds aussitĂ´t :

 

« C’est très grave ! Â».

 

Le 11 janvier, je n’étais pas Ă  la manifestation pour soutenir Charlie Hebdo pour deux raisons. Je « savais Â» qu’il y aurait beaucoup de monde. Donc, j’ai estimĂ© que Charlie Hebdo bĂ©nĂ©ficierait de « suffisamment Â» de soutien dehors.

 

Ensuite, il Ă©tait Ă©vident pour moi que cet engouement se dĂ©gonflerait. Et que soutenir Charlie Hebdo, cela signifiait le faire sur la durĂ©e. A partir de lĂ , j’ai commencĂ© Ă  acheter chaque semaine Charlie Hebdo. Et Ă  le lire. Je me suis Ă©tonnĂ© de voir que les articles me plaisaient. Soit j’étais devenu un autre lecteur. Soit la qualitĂ© des articles avait changĂ©. J’ai trouvĂ© le niveau des articles tellement bon qu’il m’est arrivĂ© de les trouver meilleurs que ceux du Canard EnchainĂ©. J’ai attribuĂ© ça Ă  un rĂ©flexe de survie de la part de la rĂ©daction de Charlie Hebdo. On se rappelle que l’équipe rĂ©dactionnelle qui restait avait d’autant plus tenu Ă  maintenir la survie de l’hebdomadaire en continuant de paraĂ®tre malgrĂ© tout. Et que le numĂ©ro d’après l’attentat avait Ă©tĂ© publiĂ© dans un tirage augmentĂ© et avait Ă©tĂ© disponible pendant plusieurs semaines. Les gens faisaient la queue pour « avoir Â» son numĂ©ro de Charlie Hebdo. Voire se battaient.

 

Je ne me suis pas battu pour avoir ce numéro. J’ai attendu. Et, un jour, une collègue amie m’en a acheté un numéro. Il est même possible que j’aie deux fois ce numéro de Charlie Hebdo.

 

Je n’ai pas Ă©crit ou mis sur ma page Facebook ou autre : Je suis Charlie. Si je crois Ă  la sincĂ©ritĂ© de celles et ceux qui l’ont dit ou Ă©crit, pour moi, on peut ĂŞtre « pour Â» Charlie sans le dire. MĂŞme si je ne suis pas toujours d’accord ou n’ai pas toujours Ă©tĂ© d’accord avec certains points de vue de Charlie Hebdo. Mais je ne suis pas toujours d’accord avec ma famille, mes amis ou mes collègues, non plus.

Et puis, l’expérience d’un attentat, ça change beaucoup la perception que l’on a des autres et de soi-même. Charlie Hebdo vit désormais sans doute dans au moins deux bunkers. Celui qui le protège des menaces extérieures. Et celui, sûrement plus épais, à l’intérieur duquel se sont soudés celles et ceux qui ont vécu l’attentat du 7 janvier 2015.

 

Hormis le dessinateur Cabu qui officiait autant dans Charlie Hebdo que dans Le Canard EnchainĂ©, je n’avais pas de journaliste de Charlie Hebdo auquel j’aurais pu ĂŞtre « habituĂ© Â» ou particulièrement attachĂ©. Il en est un, nĂ©anmoins, que j’avais rencontrĂ© une ou deux fois, des annĂ©es avant l’attentat, car il Ă©tait l’ami d’une amie. Ou mĂŞme l’ami de deux amies : Philippe Lançon, l’auteur de Le Lambeau.

 

Je veux bien croire que je me souvenais bien plus de lui que lui, de moi. Envers Philippe Lançon, j’avais des sentiments contrariĂ©s. Pour moi, lors de cette rencontre il y a plus de vingt ans, il Ă©tait mĂ»r de trop d’assurance. Sauf qu’il avait rĂ©ussi lĂ  oĂą j’aurais aimĂ© rĂ©ussir. Dans le journalisme. Je trouvais qu’il Ă©crivait très bien. Mais nous n’étions dĂ©jĂ  plus du mĂŞme monde lorsque nous nous Ă©tions croisĂ©s. L’élite, dĂ©jĂ . J’aurais peut-ĂŞtre pu, par le biais d’une de nos deux amies communes, le solliciter. Mais je n’en n’avais pas envie. J’ai compris seulement rĂ©cemment que j’étais un peu comme mon grand-père paternel, ancien maçon, dĂ©cĂ©dĂ© aujourd’hui. Mon grand-père paternel avait construit sa maison pratiquement tout seul. A Petit-Bourg, en Guadeloupe. Je n’aime pas contracter de dette morale envers autrui. Je prĂ©fère construire ma « maison Â» seul mĂŞme si cela va me compliquer l’existence. Sauf que dans les domaines professionnels oĂą j’aurais voulu construire, seul, mĂŞme travailleur et plus ou moins douĂ©, on n’arrive Ă  rien. Il faut entrer dans un rĂ©seau. S’en faire accepter. Il faut savoir se faire aimer. Ce que je ne sais pas ou ne veux pas faire. Je suis peut-ĂŞtre trop nĂ©vrosĂ©.

 

Dans son livre, Camille Emmanuel Ă©voque Philippe Lançon. Ainsi que son frère, Arnaud. Je les ai vus tous les deux il y a quelques mois Ă  l’anniversaire d’une amie commune. Je n’avais pas prĂ©vu, en lisant l’ouvrage de Camille Emmanuel, qu’elle allait aussi les Ă©voquer. Et, les quelques passages oĂą elle parle d’eux m’ont donc d’autant plus « parlĂ© Â».

 

D’un cĂ´tĂ©, il y avait ce que je « savais Â» de l’évĂ©nement de Charlie Hebdo. De l’autre cĂ´tĂ©, il y avait la rencontre humaine et directe, lors de cet anniversaire, oĂą il n’a jamais Ă©tĂ© fait mention, par quiconque, du 7 janvier 2015. « Mieux Â» : lors de cet anniversaire, j’ai en quelque sorte « sympathisĂ© Â» avec Arnaud, sans arrière pensĂ©e. Pour dĂ©couvrir plus ou moins ensuite, lors de l’arrivĂ©e de celui-ci, qu’il Ă©tait le frère de Philippe. Je me rappelle de la façon dont Arnaud a saluĂ© son frère Ă  l’arrivĂ©e de celui-ci. De quelques Ă©changes avec l’un et l’autre. Ce fut humainement agrĂ©able. Ma contrariĂ©tĂ©- rentrĂ©e- envers Philippe n’était plus ou n’avait plus de raison d’être. Le voir, lĂ , pour cette amie, en « sachant Â» ce qu’il avait reçu le 7 janvier 2015. Et puis, j’avais aussi changĂ©. On s’accroche par moments Ă  des impressions ou Ă  un certain ressentiment dont on fait une complète vĂ©ritĂ©. Alors que l’on a Ă  peine aperçu celle ou celui que l’on juge.

 

Ricochets :

 

En tant qu’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, j’ai travaillĂ© avec quelques psychiatres et pĂ©dopsychiatres. Un des pĂ©dopsychiatres que j’ai le plus admirĂ© avait dit un jour que, mĂŞme dans les milieux favorisĂ©s, il y a des gens qui souffrent. J’ai parlĂ© « d’élites Â», de « rĂ©ussites Â» concernant Camille Emmanuelle parce-que j’estime ne pas faire partie de son Ă©lite ou ne pas avoir connu certaines de ses rĂ©ussites.

 

Cela dit, Ă  aucun moment, je ne l’ai perçue comme une « pleureuse Â». Je n’envie pas ce qu’elle a vĂ©cu le 7 janvier 2015 et ensuite. Et dont elle nous fait le rĂ©cit. Car le 7 janvier 2015, elle est dĂ©jĂ  la femme de Luz, l’un des dessinateurs de Charlie Hebdo. Celui dont c’était l’anniversaire et qui est arrivĂ© en retard, ce jour-lĂ . Ce qui lui a sauvĂ© la vie : les deux terroristes quittaient le journal lorsqu’il arrivait. Il les a vus tirer en l’air dehors et sans doute crier : « On a vengĂ© le prophète ! Â».

 

Je « connaissais Â» Ă  peine Luz avant le 7 janvier 2015.

 

Je ne connaissais pas l’appellation « Ricochets Â» ou « victime par ricochet Â» avant ce tĂ©moignage de Camille Emmanuelle. Quelques semaines avant de me retrouver devant son livre dans une mĂ©diathèque, j’avais lu un article sur son livre.

 

Sur son livre, on la voit en photo. Je me suis demandĂ© et me demande la raison pour laquelle on voit sa photo. Pour faire face ? Pour lui donner un visage en tant que victime ? Et, donc, pour la personnaliser, l’humaniser ?

 

Je ne me suis pas posĂ© ces questions lorsque j’ai lu l’ouvrage que Patrick Pelloux, -qu’elle mentionne aussi- a Ă©crit après l’attentat de Charlie Hebdo. (Voir  L’instinct de vie ). 

 

Comme Camille Emmanuelle est une belle femme, je me suis aussi dit que c’était peut-ĂŞtre une manière de montrer qu’il peut y avoir un abĂ®me entre l’image et son vĂ©cu traumatique. Nous sommes dans une sociĂ©tĂ© d’images et de vitrines. Son livre vient Ă©ventrer quelques vitrines. Dans son livre, assez vite, elle va parler de son addiction au vin comme une consĂ©quence de son mal ĂŞtre. Ce qui, immĂ©diatement, me faire penser Ă  Claire Touzard, la journaliste. Celle-ci, pourtant, n’a pas un vĂ©cu traumatique dĂ» Ă  un attentat. Mais je n’ai pas pu m’empĂŞcher de « rapprocher Â» leurs deux addictions Ă  l’alcool. Addictions que je vois aussi comme les addictions de femmes « modernes Â», occidentales, libĂ©rĂ©es ou officiellement libĂ©rĂ©es, Ă©duquĂ©es, parisiennes ou urbanisĂ©es, plutĂ´t jeunes, plutĂ´t blanches, et souvent attractives et très performantes socialement.

 

Quelques impressions et remarques sur Ricochets :

 

Assez vite, en lisant Ricochets, je me suis avisé que pour que son histoire d’amour avec Luz soit aussi forte au moment de l’attentat, c’est qu’elle devait être récente. Peu après, Camille Emmanuelle nous apprend qu’ils étaient mariés depuis un an à peu près. Se mariant assez vite après leur rencontre.

L’Amour permet de combattre ensemble bien des épreuves. C’est ce que l’on peut se dire en lisant son témoignage. Pourtant, il est des amours qui, même sincères, ne tiennent pas devant certaines épreuves. Camille Emmanuelle cite ce couple qu’elle rencontre, Maisie et Simon, particulièrement esquinté par l’attentat du Bataclan. Physiquement et psychologiquement. Au point que la rupture est un moment envisagée par Maisie.

 

Si les dĂ©cès et les sĂ©vères « injures Â» physiques dus aux attentats causent des traumas, l’ouvrage de Camille Emmanuelle « rĂ©habilite Â» la lĂ©gitimitĂ© de la psychologie et de la psychiatrie Ă  aider et soigner après des Ă©vĂ©nements comme un attentat. Puisque ce sont deux des disciplines reconnues pour soigner ces « blessures invisibles Â» qui, parce qu’elles le sont – dans notre monde oĂą seul ce qui se « voit Â», se « montre Â» et se « compte Â» est prioritaire – restent minimisĂ©es ou niĂ©es. Or, ces blessures peuvent persister très longtemps. Dans un article que j’ai lu il y a une ou deux semaines maintenant, le tĂ©moignage d’une des victimes de l’attentat du bataclan, non blessĂ©e physiquement, Ă©tait citĂ©.

Dans ce témoignage, cette femme racontait qu’au départ, elle s’estimait quasi-chanceuse par rapport aux autres, décédés ou gravement blessés. Sauf que, six ans plus tard, elle n’avait pas pu reprendre son travail du fait de son stress post-traumatique.

 

Etre soignant

 

En lisant Ricochets et le mal que Camille Emmanuelle s’est donnĂ©e pour « sauver Â» son mari, j’ai bien sĂ»r pensĂ© au mĂ©tier de soignant. On rĂ©sume souvent le rĂ´le de soignant Ă  celle ou celui dont c’est le mĂ©tier. Or, ce qu’entreprend Camille Emmanuelle, au quotidien – et d’autres personnes dĂ©sormais appelĂ©es « personnes aidantes Â» – c’est un travail de soignant. On pourrait se dire qu’il est donc « normal Â» qu’elle flanche Ă  certains moments vu que ce n’est pas son mĂ©tier. Sauf que je n’ai aucun problème pour admettre qu’il puisse exister des personnes non-formĂ©es qui peuvent ĂŞtre de très bons soignants dans certains domaines : les Ă©tudes ne nous apprennent pas l’empathie ou Ă  ĂŞtre sensibles et rĂ©ceptifs Ă  certaines relations ou situations.

 

Et puis, dans tous les couples et dans toutes les familles, il y a des personnes qui sont des « soignants Â» ou des « personnes aidantes Â» officieuses. La diffĂ©rence, c’est qu’avec son mari, Camille Emmanuelle dĂ©couvre ce rĂ´le de manière intensive. « Intrusive Â».

 

Il est toujours très difficile-ou impossible- de faire concilier sa vie affective amoureuse ou amicale avec un rĂ´le de soignant dans son couple. Une absence d’empathie crĂ©e une froideur affective assez incompatible avec l’acte soignant. Mais trop d’empathie crĂ©e une surcharge de responsabilitĂ©s et expose Ă  ce que connaĂ®t Camille Emmanuelle :

 

Une trop grande identification à ce que ressent son mari. Des angoisses. La dépression….

Dans Ricochets, un psychiatre lui explique que la relation fusionnelle de leur couple cause aussi ses tourments.

Dans notre mĂ©tier de soignant, nous sommes « sensibilisĂ©s Â» Ă  la nĂ©cessitĂ© de mettre certaines « limites Â» ou un certain « cadre Â» entre l’autre et nous. MĂŞme si – ou surtout si- nous avons spontanĂ©ment une grande empathie pour l’autre que nous « soignons Â» ou essayons d’aider.

 

Au travail, j’aime me rappeler de temps en temps le nombre d’intervenants que nous sommes. Car ĂŞtre Ă  plusieurs nous permet, aussi, de nous rĂ©partir la charge Ă©motionnelle d’une « situation Â». Seule Ă  la maison avec son mari, puis avec leur fille, Camille Emmanuelle a moins cette possibilitĂ© d’être relayĂ©e. Mais l’aurait-elle eue qu’elle l’aurait probablement refusĂ©e. Si l’Amour peut aider Ă  surmonter certaines Ă©preuves, le sens du Devoir permet, aussi, de le croire. Surtout lorsque l’on est dans l’action.

 

 

Etre dans l’action

Vers la fin de son livre, Camille Emmanuelle « rencontre Â» (soit via Skype ou en consultation) un psychiatre ou une psychologue qui lui explique que son Hyper-vigilance post attentat 2015 s’explique très facilement. La menace de mort a persistĂ© bien après le 7 janvier 2015. Sauf que l’hyper-vigilance, ça use.

 

C’est seulement lorsque le journaliste Philippe Lançon a commencĂ© Ă  aller mieux que son frère , Arnaud, qui venait le voir tous les jours Ă  l’hĂ´pital, s’était autorisĂ© Ă  s’occuper de lui. Et Ă  consulter pour lui. Camille Emmanuelle a Ă©galement ressenti ça. Et, moi, je me suis aperçu en lisant Ricochets que j’avais ressenti ça pour ma fille, prĂ©maturĂ©e, qui avait passĂ© deux mois et demi Ă  l’hĂ´pital dès sa naissance. Tous les jours, nous allions la voir Ă  l’hĂ´pital.  C’est trois Ă  quatre ans après cette pĂ©riode que j’ai commencĂ© Ă  penser Ă  consulter. Et que je me suis dit que nous aurions dĂ» le faire bien plus tĂ´t. Dans la situation de ma compagne et moi, il n’y avait pas eu d’attentat mais il y avait bien eu un trauma : il y a des naissances plus heureuses et plus simples. Or, nous avions comptĂ© sur nos propres forces, ma compagne et moi, pour cette naissance difficile.

 

Et, il y a un autre point commun, ici, entre notre expĂ©rience et celles de certaines victimes d’attentats : si  parmi les gens qui nous entourent, certains ont d’abord exprimĂ© une rĂ©elle empathie, ensuite, la situation a en quelque sorte  Ă©tĂ©  rapidement « classifiĂ©e Â» pour eux. Ils sont restĂ©s extĂ©rieurs Ă  l’expĂ©rience, pensant que cela coulait de source pour nous, et ont vaquĂ© Ă  leurs occupations. Parce-que ce n’est pas la première fois qu’il y a eu un attentat. Qu’il y a la « rĂ©silience Â». Ou que l’on est suffisamment « fort Â» et que l’on va « rebondir Â». Ou ĂŞtre « proactif Â». Ou, aussi, parce-que cette situation les mettait mal Ă  l’aise ou leur faisait peur : «  Je ne sais pas quoi dire… Â».

 

Comme Camille Emmanuelle, sans doute, avec son mari après les attentats, je n’ai pas recherchĂ© et n’aurais pas aimĂ© que l’on me plaigne Ă  la naissance de ma fille. En outre, je mentionne ici sa prĂ©maturitĂ© mais ordinairement je ne le mentionne pas. Je n’aimerais pas devoir en permanence parler de ce sujet. Et, c’est sĂ»rement pour lui Ă©chapper que je me suis beaucoup impliquĂ© en reprenant des cours de théâtre au conservatoire un peu avant sa naissance (environ dix heures de cours par semaine). Et que trois ans plus tard, alors que ma fille allait mieux, j’ai perdu de façon Ă©tonnante ce « besoin Â» de faire du théâtre.

 

On peut trouver indĂ©cent que je rapproche de cette expĂ©rience d’attentats ce que j’ai pu vivre avec la naissance de ma fille. Moi, je crois que certaines expĂ©riences de vie ont en quelque sorte des « troncs communs Â». Et que, mĂŞme si certaines situations sont bien sĂ»r plus extrĂŞmes que d’autres, qu’elles ont nĂ©anmoins une certaine parentĂ© avec d’autres situations de vie. Dans son livre, Camille Emmanuelle relève bien que l’expĂ©rience traumatique de son viol par soumission chimique, en 2012, aux Etats-Unis, l’a sans doute prĂ©parĂ©e Ă  pouvoir d’autant plus facilement se mettre Ă  la place de son mari après les attentats du 7 Janvier 2015. MĂŞme si, Ă©videmment, elle se serait bien passĂ©e de ce viol. MĂŞme si son mari n’a pas Ă©tĂ© violĂ© et a toujours conservĂ© son intĂ©gritĂ© corporelle intacte.

Elle nomme aussi les trois attitudes adoptées par l’être humain face à un stress ou un danger extrême:

Fight, Flight or Freeze : Se battre, fuir ou se figer.

Une psychiatre ou une psychologue qu’elle interroge explique que ces trois attitudes humaines sont normales. Et que se battre, selon les situations, n’est pas toujours l’attitude qui permet de rester en vie.

 

Une sorte de conclusion :

 

L’ouvrage de Camille Emmanuelle m’a plusieurs fois fait penser au livre Je ne lui ai pas dit au revoir : Des enfants de dĂ©portĂ©s parlent de Claudine Vegh, paru en 1996, seul ouvrage, je crois, Ă  ce jour, de cette…pĂ©dopsychiatre.

 

Des attentats, une enfant prématurée, la déportation…on peut se demander quels rapports ces sujets ont-ils à voir ensemble.

 

Le Deuil.

 

D’ailleurs, pour moi, Ă  plusieurs reprises, l’attentat « de Â» Charlie Hebdo a imposĂ© Ă  celles et ceux qui sont restĂ©s, un deuil impossible. Initialement, d’ailleurs, avant de commencer Ă  Ă©crire cet article, j’avais prĂ©vu de commencer par ça :

 

Par écrire Le Deuil impossible.

 

Mais ce n’est pas ce que raconte Camille Emmanuelle dans son livre. Ce n’est pas ce que l’existence de ma fille raconte, non plus. Claudine Vegh, par contre… mais son ouvrage est à lire.

 

Camille Emmanuelle donne aussi des conseils pour celles et ceux qui se retrouveraient dans la même situation qu’elle. Si elle rencontre des avocats, d’autres victimes directes ou par ricochets, des psychiatres, psychologues, mais aussi d’autres personnes, ce qui lui permet, aussi, de reposer un peu sa conscience, elle donne quelques coups de pouce.

 

Elle conseille de ne pas recourir à l’alcool ou à une quelconque substance (cannabis ou autre) peu de temps après un événement traumatique. Pour cause de risque d’addiction.

Même la prescription classique de lexomil serait à éviter. Il semblerait que la prescription de bêta bloquants pourrait être préconisée selon les individus.

 

Elle conseille d’éviter de se livrer dans les média. Pour cause d’amplification d’un effet boomerang de nos propos sous l’effet de l’émotion. Elle fait aussi un travail de recherche sur les effets des réseaux sociaux (ou les média) après qu’un de ses articles ait été lu plus de …600 000 fois après l’attentat de Charlie Hebdo.

 

Elle raconte aussi les dĂ©saffections de certaines personnes proches, et les simples connaissances devenues des proches. 

 

J’ai retenu, dans ce qui l’avait aidĂ© et qui l’aide :

 

Ecrire, regarder (ou lire) des fictions, faire du Yoga, faire de la boxe anglaise, consulter, déménager, quitter Paris, trouver un endroit calme, faire l’amour avec son mari/ou sa femme (lorsque c’est possible), dormir, reprendre le travail…

 

Elle cite aussi plusieurs auteurs ou psychologues ou psychiatres reliés au trauma. J’ai mémorisé en particulier l’ouvrage Panser les attentats de Marianne Kédia.

 

Franck Unimon, ce dimanche 21 novembre 2021.

 

 

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Béatrice Dalle Cinéma Puissants Fonds/ Livres

Béatrice Dalle, trois fois.

 

 

Béatrice Dalle, trois fois.

 

Puisque c’est toujours de la faute des autres, tout est parti d’un cd du groupe Sonic Youth.

 

Je n’ai pas revu les films, ces forêts, où on la trouve. Je suis seul avec mes pensées, ces vieillesses condamnées sur lesquelles il faut apprendre à veiller. Si l’on tient à prévenir le déclin de notre humanité.

 

BĂ©atrice Dalle, trois fois. BĂ©atrice Dalle, pourquoi. Ma prudence me rĂ©pète que je ne la connais pas. Mais, dĂ©ja, pour la première fois dans mon blog, je crĂ©e une rubrique uniquement pour elle. Parce-que parler d’elle m’Ă©voque peut-ĂŞtre le cheval de Troie. 

Le physique de charme est un fusil de chasse. Mais cette arme a une particularitĂ© dangereuse : partout oĂą elle passe, on la repère au lointain. Sa dĂ©tentrice- ou son dĂ©tenteur- doit savoir s’en servir ou la quitter. Sinon, cette arme sera son enterrement ou sa rĂ©tention. Et, elle sera le trophĂ©e de celle ou celui qui la brandira. Qui la tisonnera.  

 

Je me rappelle un peu d’une partie de sa cinĂ©matographie. Dans son livre Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle / BĂ©atrice DalleLouvrier nous apprend qu’hormis avec les rĂ©alisateurs Jim Jarmusch et Abel Ferrara, elle a fait peu d’efforts pour connaĂ®tre une carrière aux Etats-Unis. Parce qu’elle ne parle pas Anglais. 

 

Si tu cours longtemps et vite, et que tu es sur la dĂ©fensive devant la moindre limite, comment te suivre, BĂ©atrice Balle ? Il faut un certain recul pour atteindre quelqu’un. Mais aussi pour l’attendre.

 

Louvrier parle du Rap et de Joey Starr. Mais il y a d’autres musiques. Peut-être du Free Jazz ou ne serait-ce que du Free…gaz.

 

En 1986, Dalle est dans 37°2. Après les Punks (que Louvrier cite). Après Nina Hagen, le Reggae de Police(groupe de Reggae blanc influencĂ© par le Punk), la mort de Bob Marley. La lecture de Que Dalle nous informe que Sting, l’auteur des tubes du groupe Police, Ă©tait « fou Â» d’elle et voulait la rencontrer. Mais « dans Â» la France de Mitterrand et de Jack Lang, elle avait d’autres Ă©vidences.

 

Dans la France de Giscard, je ne vois pas de place pour 37°2. Et puis, rester dans les années 70 et 80, c’est se tenir très loin d’aujourd’hui et de demain.

 

RĂ©cemment, Ă  l’anniversaire d’une amie, Ă  Levallois (oui, grâce Ă  Louvrier, je sais qu’à une Ă©poque, Dalle a vĂ©cu Ă  Levallois) en parlant de mon blog, j’ai rĂ©pondu Ă  quelqu’un avec qui je sympathisais que j’avais, entre-autres, Ă©crit sur BĂ©atrice Dalle. Il a Ă©tĂ© un peu Ă©tonnĂ©. SĂ»r de moi, j’ai alors avancĂ©, tel un attachĂ© de presse bien au fait de ses projets :

 

« Elle fait toujours des films Â».

 

 

J’étais nĂ©anmoins dans la salle pour voir le  film Lux Aeterna de Gaspar NoĂ©. Un rĂ©alisateur dont j’ai vu plusieurs des films depuis Seul Contre tous avec « feu Â» Philippe Nahon. Au contraire de Seul contre tous (un chef-d’œuvre, selon moi) je n’ai pas souscrit Ă  l’intĂ©gralitĂ© de Lux Aeterna. J’ai pour l’instant renoncĂ© Ă  Ă©crire dessus. Mais il m’en reste quelque chose. De mĂŞme pour Climax.

 

 

Dans le Que Dalle de Pascal Louvrier, il est plusieurs fois fait Ă©tat de sa bouche. Cet organe aurait Ă©tĂ© perçu comme « trop Â» grand chez elle au dĂ©but de sa carrière. Presqu’un naufrage.

 

J’ai oublié.

 

Sa bouche est la graine que nulle gravitĂ© n’aliène. Pourtant, dans J’ai pas sommeil, l’acteur Alex Descas- dont je parlerai un jour-  s’en prend Ă  elle :

 

« Tu ne seras jamais prĂŞte ! Â».

 

Devant sa nudité inquiète, mes articles, aussi, sans doute, ne seront jamais prêts.

 

 

Franck Unimon, ce mardi 6 juillet 2021.

 

 

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Béatrice Dalle

 

Béatrice Dalle

 

(cet article est une variation de l’article Que Dalle un livre sur l’actrice et comédienne Béatrice Dalle).

 

 

 

BĂ©atrice Dalle, aujourd’hui, fait moins parler qu’il y a « longtemps Â» : il y a dix ou vingt ans.

 

J’ai achetĂ© ce livre parce que BĂ©atrice Dalle me « parlait Â». Comme un conflit pourrait parler Ă  des vieux qui y avaient participĂ© en tant que simple appelĂ©s ou appuis militaires. Ce qu’ils sont devenus ensuite, c’est un autre problème. Et, avant tout, et surtout, le leur. Ce que je raconte ensuite, ici, c’est peut-ĂŞtre aussi, avant tout, et surtout, mon problème.

 

Lorsque j’avais achetĂ© ce livre consacrĂ© Ă  BĂ©atrice Dalle, je faisais dĂ©jĂ  partie des vieux. Mais, bien entendu, je ne l’avais pas vu comme ça, ce jour-lĂ . Aujourd’hui, je suis un peu plus rĂ©aliste :

 

Même si, en apparence, j’ai encore un look assez jeune, je vois bien que je fais partie des vieux. On peut être myope et visionnaire.

 

Ainsi, je vais spontanĂ©ment vers des musiques – mais aussi vers des pratiques- qui montrent bien que je ne suis plus jeune. RĂ©cemment, lors d’une rencontre professionnelle, celle qui m’a reçu m’a dit :

 

« De toute façon, si vous m’envoyez un mail, je le recevrai sur mon portable Â». Le fait que je sois autrement plus qualifiĂ© qu’elle pour le travail que j’effectuerai peut-ĂŞtre pour sa « boite Â»,  est ici accessoire. J’avais compris Ă  cette simple phrase que j’étais vieux. Tant pour ces valeurs et ce mode de vie que cette « jeune Â» justifie et dĂ©fend. Que pour cette façon d’offenser sans mĂŞme s’en apercevoir.

 

J’ai regardĂ© dans les yeux ma jeune interlocutrice. Ses beaux yeux bleus. Mais je n’étais pas amoureux. J’avais bien plus d’expĂ©rience qu’elle et voire qu’elle n’en n’aurait jamais pour ce travail pour lequel je la rencontrais. Pourtant, c’était elle qui dirigeait l’entretien.   Très certainement, m’a-t’elle trouvĂ© l’abord froid et rigide de celui qui borde un monde qu’elle ne connaĂ®t pas. Elle ne sait pas qu’une grande partie de ma vie comme celle d’autres que je connais ou ai connus, se dĂ©value Ă  mesure qu’elle devient un exemple Ă  suivre. Et, j’en suis aussi en partie responsable :

J’ai refusé de devenir responsable de ce monde qu’elle défend.

 

Béatrice Dalle, dans l’ouvrage de Louvrier, est un moment comparée à Brigitte Bardot et à Marilyn Monroe. Régulièrement, se succèdent des personnalités et des idoles de toutes sortes qui en rappellent d’autres. Et si cela se perpétue, c’est parce-que cela rend plus polis certains de nos échecs. Que l’on soit jeunes ou vieux.

 

Mentionner Bardot, Monroe et Dalle, c’est additionner les sex-symbol. Un sex-symbol, c’est festif. Ça met en alerte. Ça donne envie de consommer. De se transformer en superlatif.

 

Mais c’est une histoire triste. Telle qu’elle m’a racontĂ©e. Celle d’une enfant d’une famille nombreuse sacrifiĂ©e parmi d’autres. Bonne Ă©lève d’une Ă©cole dont elle a dĂ» se retirer Ă  l’école primaire. Afin de s’occuper de frères et de sĹ“urs plus jeunes. Mais, aussi, pour faire la cuisine. Pourquoi elle plus qu’une autre ? Et, en quoi, cela aurait-il Ă©tĂ© plus juste qu’une autre soit choisie ?

 

 

Ma mère est une femme gentille. Comme aurait pu l’être le personnage joué par l’acteur Tim Robbins dans Mystic River réalisé par Clint Eastwood.

 

Ma mère est donc l’opposĂ©e d’une BĂ©atrice Dalle. Si l’une et l’autre ont quittĂ© leurs parents avant leur majoritĂ©, leur tempĂ©rament les sĂ©pare.  BĂ©atrice Dalle a pu « se prendre la gueule Â» avec des femmes et des hommes, connus ou inconnus. Elle a aussi connu la rue. EtĂ© punk. Elle peut baptiser des injures et professer des menaces qui ont valeur de futur. Ma mère n’a jamais prononcĂ© le moindre gros mot devant moi. Elle a fait baptiser ses enfants.

 

Dans le livre qu’il a consacrĂ©e Ă  BĂ©atrice Dalle, le journaliste Pascal Louvrier relate que celle-ci a pu faire penser Ă  une « panthère Â». Ma mère n’a rien de la panthère. Mais j’aurais aimĂ© qu’elle le soit. Qu’elle puisse l’être. Qu’elle sache l’être. Qu’elle puisse griffer. Elle ne le fera jamais. Au lieu de griffer, elle priera. BĂ©atrice Dalle est croyante Ă  sa façon, parle de JĂ©sus-Christ mais elle et ma mère ne sont pas faites de la mĂŞme ferveur religieuse. J’attends de voir BĂ©atrice Dalle dans un film de Bruno Dumont.

 

Ma mère a été et est une très belle femme. C’est une femme capable. A son âge, beaucoup aimeraient avoir sa forme physique. Sa souplesse. Son endurance. Son dynamisme.

Mais elle est une de ces multiples femmes- déployées et employées- qui ont trop accepté un peu tout et n’importe quoi. Piégées sans doute par leur trop grande endurance, leur naïveté et leur indéfectible indulgence pour leurs peurs.

 

 

Certaines rĂ©ussites sont lĂ  pour masquer certains Ă©checs.  Normalement, ma mère a rĂ©ussi. Son mariage. Ses enfants. Sa maison. Ses activitĂ©s. Elle peut parler. Discrètement. Mais elle a plus subi de vĂ©ritĂ©s qu’elle n’en n’a dit.

 

 

Béatrice Dalle, c’est le contraire.

 

 

Ça tombe très bien qu’aujourd’hui, on parle moins de Béatrice Dalle comme sex-symbol.

 

Parce-que toutes ces histoires de sexe, de drogue et de frasques (des histoires de jeunes)  m’empĂŞchaient sans doute de comprendre qu’au cinĂ©ma, ou ailleurs, ce qui pouvait me dĂ©ranger chez BĂ©atrice Dalle mais aussi me donner envie d’aller la voir, c’était de pouvoir m’imaginer un peu ce que ma mère aurait pu ĂŞtre ou faire de diffĂ©rent.

 

Je vais peut-être au cinéma afin de pouvoir imaginer des différences. Et, pour moi, Béatrice Dalle permet ça.

Franck Unimon, Dimanche 4 juillet 2021.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Que Dalle un livre sur l’actrice et comédienne Béatrice Dalle

 

                Que Dalle un livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle

 

                         Ecrit par Pascal Louvrier et BĂ©atrice Dalle

 

 

HĂ©siter entre la lecture de UCHIDESHI Dans Les Pas du Maitre (Apprendre ce qui ne peut ĂŞtre enseignĂ©)  de Maitre Jacques Payet, 8 ème Dan, Shihan, au sein de l’organisation Aikido Yoshinkan. Et la lecture du livre sur l’actrice et comĂ©dienne BĂ©atrice Dalle.

 

Opter pour ce dernier. Et se sentir d’abord éclaboussé par de la poussière de honte. Une fois de plus, avoir cédé aux séductions de la forme. Au lieu de déterrer de soi ces peurs qui nous martèlent les vertèbres.

 

Nos peurs sont des productions incessantes. Les combattants sont celles et ceux qui, jour après jour, les voient s’amonceler sur leur compteur. Et qui ont appris et apprennent de leurs peurs. Et qui répètent des gestes, parfois des incantations, ou des Savoirs, en vue de leur répondre.

 

Ce sont des voix qui leur parlent, Ă  toute heure,  Ă  eux seuls, et que personne d’autre n’entend, d’abord. Du moins ont-ils souvent cette impression.

 

Pas de combattant sans peur.

 

Mais comparer une actrice ou un acteur, Dalle ou autre, à un combattant tel que Maitre Jacques Payet, c’est aussi tenter de vouloir parer un miroir des mêmes mérites et des mêmes héritages que le diamant.

 

La diffĂ©rence entre les deux reste quand mĂŞme que, une fois « choisi Â», l’un (l’actrice ou l’acteur) est si puissamment Ă©clairĂ©, entourĂ©, stylisĂ©, entraĂ®nĂ©, conseillĂ© qu’il est presque condamnĂ© Ă  rĂ©ussir.

Je repense Ă  l’actrice Adèle Exarchopoulos tellement mise en valeur par Kechiche dans La Vie d’Adèle ( 2013)  que je m’étais dit :

 

 Â« Si après ça, elle ne rĂ©ussit pas une belle carrière au cinĂ©ma, elle ne pourra pas dire qu’elle n’a pas Ă©tĂ© aidĂ©e Â».

 

 

La combattante ou le combattant, longtemps, est bien moins entourĂ© que l’actrice ou l’acteur. C’est peut-ĂŞtre, aussi, ce qui le pousse Ă  surgir. Car, soit il restera victime, oubliĂ©, dominĂ© ou enfermĂ©. Soit il vivra. En se mettant Ă  vivre, la combattante ou le combattant commence Ă  Ă©blouir celles et ceux qui l’entourent.  Parce que vivre, c’est notre histoire Ă  tous. Sauf que pour beaucoup, vivre reste une intention ou une tentation. Alors que pour la combattante ou le combattant, vivre est une action.

 

L’actrice et l’acteur se mettent Ă  vivre lorsque l’on dit : « Action ! Â». La combattante et le combattant vivent parce qu’ils agissent. En dehors du combat. Au cours du combat. Mais, aussi, après le combat.

 

Le combat, c’est le temps absolu. L’extrême. Aucun faux semblant possible.

 

Il y a maintenant un jeu de mot très facile Ă  faire : le contraire du combat, plus que la dĂ©faite, c’est le coma. Etre dans le coma, c’est bien-sĂ»r ĂŞtre allongĂ© dans un lit d’hĂ´pital dans un service de rĂ©animation. Peut-ĂŞtre en mourir. Peut-ĂŞtre en sortir. Peut-ĂŞtre en revenir diminuĂ©, paralysĂ© ou transformĂ©.

 

Mais le coma, c’est aussi laisser quelqu’un d’autre ou une substance agir ou faire des rĂŞves Ă  notre place. Puis exĂ©cuter au dĂ©tail près. Comme des rails nous menant vers une destination préétablie par quelqu’un d’autre que nous et Ă  laquelle nous accepterions de nous rendre sans conditions.  

 

 

A ce stade de cet article, par lequel je me suis laissĂ© « dĂ©tourner Â», il faudrait maintenant  vraiment parler du livre.

Normalement, ce que j’ai Ă©crit m’a dĂ©jĂ  disculpĂ© concernant le fait d’avoir « prĂ©fĂ©rĂ© Â» d’abord lire cet ouvrage sur BĂ©atrice Dalle. Mais la normalitĂ© peut aussi ĂŞtre une folie souvent acceptĂ©e par le plus grand nombre. Alors, je vais prendre mes prĂ©cautions et m’en tenir Ă  ce que j’avais prĂ©vu de mettre en prĂ©ambule.

 

La lecture de la « biographie Â» de l’acteur SaĂŻd TAGHMAOUI, SAĂŹD TAGHMAOUI De La Haine A Hollywood dont j’ai rendu compte il y a quelques jours m’a influencĂ©. SaĂŻd Taghmaoui/ De la Haine A Hollywood

 

Dans son livre, TAGHMAOUI ne dit pas un mot sur Béatrice Dalle et Joey Starr. Pourtant, il est impossible qu’ils ne se soient croisés.

 

Ils ont Ă  peu près le mĂŞme âge. Sont entrĂ©s dans le grand bal de la scène mĂ©diatique Ă  peu près au mĂŞme moment mĂŞme si Dalle fait un peu figure « d’aĂ®nĂ©e Â» avec 37°2  de Beineix, sorti en 1986.

Ils ont eu des amis et des intĂ©rĂŞts communs : Au moins Le Rap, Les Tags, les graffitis, la banlieue parisienne dĂ©favorisĂ©e ( Taghmaoui, Morville) Benoit Magimel, les frères Cassel ( Vincent et/ou Rockin’ Squat).

 

Si leur adresse et leur réussite artistique (TAGHMAOUI, DALLE, Joey Starr/ Morville) doivent à leur présence physique ainsi qu’à leurs origines sociales et personnelles, elles doivent aussi à leur intelligence particulière (du jeu, du texte, pour faire certaines rencontres existentielles et décisives) ainsi qu’à leur travail d’avoir duré alors, qu’au début, dans leur vie mais aussi comme lors de leur arrivée dans le milieu de la musique ou du cinéma, rien ne le garantissait.

 

Pour le dire simplement et sans mĂ©pris : Aucun des trois ne venait d’un milieu social et intellectuel privilĂ©giĂ© et, d’une façon ou d’une autre, tous les trois ont connu ce que l’on appelle la « zone Â». Que ce soit la prison, les gardes Ă  vue, la drogue, la rue. Dans un pays officiellement dĂ©mocratique et universel comme la France, celles et ceux qui rĂ©ussissent et sont aux avant postes de la sociĂ©tĂ© ont gĂ©nĂ©ralement d’autres profils, d’autres CV,  voire d’autres prĂ©noms, que ces trois-lĂ .

 

Et, avec ces trois-lĂ , aussi, le mĂŞme « miracle Â» s’est plus ou moins rĂ©pĂ©tĂ© (davantage avec Dalle et Joey Starr en France, toutefois) :

 

Une fois que chacun de ces trois-là a réussi à bien planter sa tente dans le décor avide de la réussite artistique, économique, commerciale et Jet Set de ce pays, ils sont devenus désirables. Respirables. Par le plus grand nombre. Spectateurs et parasites compris.

 

Je ne fais pas exception. Au dĂ©but du livre, avant sa toute première rencontre avec elle, Pascal Louvrier raconte son apprĂ©hension vis-Ă -vis des rĂ©actions de BĂ©atrice Dalle qui avait pour rĂ©putation d’être imprĂ©visible et, bien-sĂ»r, d’ĂŞtre peu frĂ©quentable. Une fĂ©tichiste des options racaille. Ces apprĂ©hensions, je les ai longtemps eues vis-Ă -vis d’elle comme vis-Ă -vis de Joey Starr . Et les jugements moraux dĂ©prĂ©ciatifs dĂ©finitifs -fondĂ©s bien-sĂ»r sur des Ă©clats mĂ©diatiques et certaines de leurs attitudes- que d’autres ont pu avoir sur eux, je les ai eus aussi.

 

Et, cela va dans les deux sens : Dalle, pour parler d’elle, ne brille pas non plus par une tolĂ©rance de tous les instants pour autrui. MĂŞme si elle est capable de gentillesse ou de prendre la dĂ©fense de celles et ceux qu’elle perçoit comme victime. Lors d’un tournage comme dans la vie.

Car, Dalle « vomit Â» aussi les tièdes. Et les mĂ©ritants. Toutes celles et tous ceux qui font de leur mieux et qui, Ă  ses yeux, sont « faibles Â» ou ne valent pas qu’on s’attarde sur eux : les gens sans particularitĂ© Ă©vidente, monocordes et lambda qui se fondent dans le dĂ©cor social comme dans une boite Ă  chaussures.

 

Ce faisant, elle rĂ©pète comme d’autres, y compris comme celles et ceux qui l’adorent, certaines injustices et certains prĂ©jugĂ©s, que, comme ses adorateurs,  elle condamnera ailleurs. Et en d’autres circonstances selon des critères sĂ©lectionnĂ©s par eux. Et par elle.

Cela, c’est le paradoxe permanent du « Star Système Â» que l’on Ă©volue dans le cinĂ©ma hautement commercial ou dans le cinĂ©ma d’auteur :

 

Pour peu que l’on soit admirĂ© et aimĂ© par des personnalitĂ©s du monde du spectacle, de l’art ou de l’intellect, on sera excusĂ© et dĂ©fendu contre les bien-pensants et les bons Ă©lèves besogneux qui, les abrutis ! , ne peuvent rien faire de mieux- et de plus- que de rĂ©flĂ©chir de travers. Comme on pisse sur le sol en ratant l’urinoir ou la cuvette des toilettes. Avant, Ă©videmment, de partir prestement et lâchement, en laissant tout en l’état sans mĂŞme se laver les mains. 

 

C’est mon principal reproche au livre de Louvrier : cette façon de mettre Dalle sur un piĂ©destal et de, pratiquement, tout justifier et tout accepter de certains de ses actes « dĂ©flagrants Â».

 

Je vais nĂ©anmoins m’abstenir de frimer dans ces quelques lignes. Au tout dĂ©but du livre, je me suis bien dit :

« J’aurais pu mieux Ă©crire Â». «  J’aurais pu mieux faire Â».

 

Mais, par la suite, je me suis avisĂ© que Louvrier a effectuĂ© un très gros et très bon travail de recherche. Que ce soit dans les archives mais aussi auprès de Dalle et de quelques personnes qui ont travaillĂ© avec elle et dont certaines sont devenues des proches :

 

Dominique Besnehard, l’agent qui l’a découverte et qui est aussi un de ses protecteurs et un de ses proches. Un protecteur dévoué et idéal.

Besnehard a aussi été l’agent de TAGHMAOUI. Mais à lire celui-ci, sa rencontre avec Besnehard a nettement moins été à son avantage.

 

Du reste, pour avoir lu- avec plaisir- l’ autobiographie Casino d’Hiver de Besnehard ( parue en 2014), je « sais Â» que TAGHMAOUI ne figure pas parmi les rencontres qui ont le plus marquĂ© Besnehard, humainement et artistiquement. Au contraire de BĂ©atrice Dalle, Jean-Claure Brialy, Nathalie Baye, Marlène Jobert ou Maurice Pialat par exemple.

 

Je garde d’ailleurs un très bon souvenir de ses pages sur Pialat.

 

La rĂ©alisatrice Claire Denis est aussi « convoquĂ©e Â» pour parler de BĂ©atrice Dalle dans Que Dalle.

 

Tout comme le photographe  Richard Aujard.

 

Ainsi que le rĂ©alisateur Jean-Jacques Beineix, bien-sĂ»r, dont j’avais aimĂ© lire l’autobiographie parue en 2006 : Les Chantiers de la Gloire.

 

Ma seconde excuse pour avoir choisi de lire Que Dalle avant celui de Sensei Payet est que le livre de celui-ci est sorti récemment. En 2021 pour la version française. Celui consacré à Dalle, en 2008 puis en 2013. Je crois l’avoir acheté en 2013. Cela fait donc huit ans que je l’avais parmi plein d’autres livres. Sur le cinéma et d’autres thèmes.

 

Entre les annĂ©es 80-90 et le « rĂ©cit Â» parcellaire, de sa relation Ă  ressorts et Ă  sorts avec Joey Starr/ Didier ou avec son premier mari et ses autres amants et mari(s) sans omettre certaines parties judiciaires de sa trajectoire, et les annĂ©es qui ont suivi, j’ai appris Ă  mieux regarder Dalle et celles et ceux qui lui ressemblent. Pour tout dire : je l’avais toujours fait. Car il n’y a aucune raison pour que, subitement, je sois devenu plus sensĂ©. Elephant Man

 

 

MĂŞme si je me distingue des mâles alpha et de ces personnes « destroy Â» ou « rock’n’roll Â» (femmes ou hommes) qui captent tant le regard de BĂ©atrice Dalle et l’imaginaire des rĂ©alisateurs et des photographes comme des stylistes de toutes sortes, ma vie normale et mentale, comme celle de beaucoup d’autres, est moins monocorde et plate qu’elle ne le paraĂ®t. Sauf que je le garde pour moi. Par prĂ©caution. Par peur.

 

Mais, aussi, pour protéger les autres.

 

Car c’est aussi, ça, l’un des très grands secrets de beaucoup de gens normaux : avoir cette capacitĂ©, trop grande sans doute, de tenir en laisse certaines folies. Et laisser Ă  d’autres l’initiative de se jeter dans les gueules mais aussi dans les trous de diverses folies que l’on a pu soi-mĂŞme, suivre, observer, tuyauter, tutoyer, dissimuler. Ou condamner.

 

Les gens normaux peuvent être de très grands comédiens. Ils le sont tant qu’ils jouent leur vie puis l’oublient. La folie, psychiatrique, comme la dépression, bien-sûr, est régulièrement proche à trop souvent se renier.

 

Alors, quelques fois, lorsque les gens normaux tombent sur une BĂ©atrice Dalle, ou une autre ou un autre, ça peut aussi leur donner envie de se rapprocher. Mais pas trop près. Car ça leur rappelle quelqu’un. Peut-ĂŞtre, aussi,  que ça leur rappelle leur adolescence. L’époque des rĂ©voltes, des mutations et des rĂŞves les plus excessifs. Lorsque ça bouge et que ça s’agite. Parce-que, c’est bien connu, le calme, le quotidien et l’immobilitĂ©, c’est l’extinction et la soumission assurĂ©es. Et, ça, c’est bien-sĂ»r pour les faibles et les moins que rien.

 

Franck Unimon, ce vendredi 2 juillet 2021.

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Corps d’Acier/ un livre de MaĂ®tre Jean-Pierre Vignau

 

 

Corps d’Acier(La Force conquise La violence maîtrisée)un livre de J-Pierre Vignau

 

Les Fêtes de ce Noël 2020 se rapprochent. Comme chaque année, nous achèterons des objets du bonheur que nous offrirons. Nous sommes souvent prêts à payer de notre personne pour celles et ceux que nous aimons. Et pas uniquement à Noël.

 

La pandĂ©mie du Covid que nous connaissons depuis plusieurs mois, avec ses masques, ses restrictions, ses consĂ©quences sociĂ©tales, affectives, Ă©conomiques, culturelles et ses « feuilletons Â» concernant la course aux vaccins, leur fabrication et leur distribution, donne encore plus de poids Ă  ce que nous vivons de « bien Â» avec les autres.

 

Pourtant, le bonheur ne s’achète pas.

 

« Avant Â», la vie Ă©tait plus dure. « Avant Â», les clavicules obnubilĂ©es par l’étape de ma survie ou de ma libertĂ© immĂ©diate, je n’aurais pas pu m’offrir le luxe de m’épancher sur mon clavier d’ordinateur.

 

Mais, aujourd’hui, un sourire comme une décoration de Noël peut aussi être le préliminaire d’un carnage futur.

 

Avant, comme aujourd’hui, cependant, le bonheur existe.

 

Parce-que le bonheur ne s’achève pas.

 

La lecture après la rencontre :

 

 

Sauf qu’en tant qu’adultes, nous sommes souvent coupables. Soit de ne pas assez nous mouvoir. Soit d’être forts d’un Pouvoir que nous ne savons pas voir.  De mal nous protĂ©ger et de mal protĂ©ger notre entourage et notre environnement. Comme de tenir de fausses promesses. Et lorsque nous agissons et prenons certaines dĂ©cisions, nous agissons souvent comme des enfants. Les fĂŞtes de NoĂ«l et d’autres rĂ©jouissances officielles nous permettent de l’oublier. Sans doute prĂ©fĂ©rons-nous croire que c’est seulement en ces circonstances que nous nous comportons comme des enfants…..

 

Le livre Corps d’Acier La Force Conquise La violence MaitrisĂ©e de jean-Pierre Vignau publiĂ© en 1984 m’a parlĂ© parce-que le « petit Â» Vignau nĂ© en 1945 a parlĂ© Ă  l’enfant que je suis restĂ©.

 

D’ailleurs, c’est souvent comme ça lorsque l’on rencontre quelqu’un. L’enfant qu’il est ou qu’il a été parle d’abord à nos rêves près de la frontière de notre squelette.

C’est instinctif. ViscĂ©ral. C’est seulement après, lorsque c’est possible, que, nous, les « civilisĂ©s Â», laissons Ă  nos lèvres et Ă  nos oreilles le temps de parler et d’écouter.

Et, assez généralement, alors, on finit par se reconnaître un peu dans l’autre.

 

 

J’ai lu ce livre après avoir rencontrĂ© et interviewĂ© Maitre ( ou Sensei) Jean-Pierre Vignau comme je l’ai racontĂ©. ( Arts Martiaux) A Toute Ă©preuve : une interview de Maitre Jean-Pierre Vigneau ) Puis, juste après ce livre, j’ai lu son dernier ouvrage, paru en 2020, Construire sa lĂ©gende Croire en soi, ne rien lâcher et aller jusqu’au bout, qu’il a acceptĂ© de me dĂ©dicacer.

 

 Chacun ses Maitres :

Certaines et certains trouveront leurs Maitresses et leurs Maitres dans l’exemple et le parcours de personnalitĂ©s diverses. Aya Nakamura, Camille Chamoux, Booba, Kylian MbappĂ©, Donald Trump, Nicolas Sarkozy, Lilian Thuram, Zinedine Zidane, Benoit Moitessier, Olivier de Kersauson, Alain Mabanckou, Samuel Jackson, Miles Davis, Denzel Washington, Krzysztof Kieslowski, Damso, Blanche Gardin, Laure Calamy, Frantz Fanon, Robert Loyson, Jacob Desvarieux, Danyel Waro, Ann O’Aro, Cheick Tidiane Seck, Tony Allen, Amadou HampatĂ© Ba, Tony Leung Chiu Wai…

 

Certaines des quelques personnes que je viens de citer ne font pas partie de mes références mais elles le sont pour d’autres. Des artistes, des sportifs de haut niveau, des femmes et des hommes politiques….

 

On peut aussi trouver ses Maitresses ou ses Maitres chez des Maitres d’Arts Martiaux.

 

Si je suis sĂ©duit et sensible au parcours de bien des « personnalitĂ©s Â» d’hier et d’aujourd’hui, comme Ă  celui de Maitres d’Arts martiaux, j’ai, je crois, assez vite- et toujours- fait une distinction entre le titre et la personne.

 

Je choisirai toujours d’abord, si j’en ai la possibilité, la personne qui me parle personnellement. Correctement. Même si elle est sévère et exigeante. Dès l’instant où elle ou il me semblera juste.

 

Et, cela, avant son titre ou ses titres. Pour moi, une Maitresse ou un Maitre, c’est aussi celle ou celui qui a vécu. Qui a traversé des frontières. Qui a peut-être morflé. Qui s’est aussi trompé. Qui en est revenu. Qui s’en souvient. Qui peut faire corps. Et qui peut être disponible pour transmettre à d’autres ce qu’il a compris, vécu. Afin que celles-ci et ceux-ci vivent mieux, comprennent, s’autonomisent ou souffrent moins.

 

Dès les premières pages de Corps d’acier,  on apprend que Jean-Pierre Vignau, placĂ© enfant Ă  l’assistance publique, a Ă©tĂ© le dernier mĂ´me Ă  trouver une famille d’accueil dans une ferme dans le Morvan.

 

Cette famille qui l’a alors accepté, ou intercepté, c’était un peu la famille de la dernière chance. Jean-Pierre Vignau était le plus chétif du lot. Or, les familles d’accueil étaient plutôt portées sur les enfants d’apparence robuste pour aider dans les diverses tâches de la maison.

 

Vignau raconte comment, conscient que c’était sa dernière chance, il accourt vers cette femme qu’il voit pour la première fois pour plaider sa cause et la convaincre.

Il se rétame alors devant elle et le directeur, embarrassé, de l’assistance publique. Pour se relever et se plaquer contre cette adulte inconnue et, quasiment, l’implorer de le prendre….

 

 

Une fois adoptĂ© par cette femme, les ennuis mĂ©dicaux de Jean-Pierre Vignau s’amoncellent. Cirrhose du foie, problèmes pulmonaires, dĂ©calcification, colonne vertĂ©brale en dĂ©licatesse…. On est donc très loin du portrait de l’enfant « parfait Â» ou douĂ©.

 

La greffe prend entre Vignau et ses parents « nourriciers Â». Mais pas avec l’école. Il sera analphabète jusqu’à ses 28 ans et apprendra Ă  lire en prison.

 

Lors de ma rencontre avec lui fin novembre chez lui, un demi-siècle plus tard,  nous avons surtout parlĂ© d’Arts martiaux ;  un peu de son expĂ©rience de videur (durant huit ans). Et de son accident lors d’une de ses cascades qui lui a valu la pose d’une prothèse de hanche alors qu’il Ă©tait au sommet de sa forme physique.

Nous avons peu parlé de son enfance. Pourtant, il est évident que celle-ci, de par les blessures qu’elle lui a infligées, mais aussi grâce au bonheur connu près de ses parents nourriciers, l’a poussé dans les bras de bien des expériences, bonnes et mauvaises, qu’il raconte dans son Corps d’acier.

 

Je n’ai aucune idĂ©e de ce que cela peut faire de lire d’abord Construire sa lĂ©gende, son dernier ouvrage. Mais en le lisant après Corps d’acier, j’ai vu dans Construire sa lĂ©gende une forme de synthèse intellectualisĂ©e et actualisĂ©e de ce que l’on peut trouver, de façon « brute Â», dans Corps d’acier.

 

Construire sa lĂ©gende a Ă©tĂ© co-Ă©crit par Jean-Pierre Vignau et Jean-Pierre Leloup «  formateur en relations humaines en France et au Japon Â».

Jean-Pierre Leloup « anime des confĂ©rences sur le dĂ©veloppement personnel Â» nous apprend entre autres la quatrième de couverture. L’ouvrage est plus rapide Ă  lire que Corps d’Acier et le complète. Corps d’Acier, lui, compte plus de pages ( 231 contre 159) a Ă©tĂ© publiĂ© par les Ă©ditions Robert Laffont  dans la collection VĂ©cu.

 

Donc, avec Corps d’Acier, on a un récit direct d’un certain nombre d’expériences de vie de Jean-Pierre Vignau ( Assistance publique, ses parents nourriciers, sa mère, son beau-père, la découverte des Arts Martiaux, son passé d’apprenti charcutier, de serveur, de mercenaire en Afrique, son flirt avec le SAC de l’Extrême droite etc…). Dans un climat social qui peut rappeler la France de Mesrine – qu’il ne cite pas- ou du mercenaire Bob Denard qu’il ne cite pas davantage. Mais aussi à l’époque du Président Valéry Giscard D’estaing (Président de 1974 à 1981) décédé récemment voire du Président Georges Pompidou qui l’avait précédé.

 

Cette Ă©poque peut sembler Ă©trangère et très lointaine Ă  beaucoup. Et puis, on arrive Ă  des passages oĂą on se dit que, finalement, ce qui existait Ă  cette Ă©poque peut encore se retrouver aujourd’hui. Exemples :

 

Page 89 (sur son expérience de mercenaire)

 

« L’Afrique, je n’ai pas grand chose Ă  en dire (….). J’étais lĂ  pour me battre, pour oublier, si c’était possible. Pour me lancer Ă  corps perdu dans des combats auxquels, politiquement, je ne comprenais rien mais dont la violence effacerait peut-ĂŞtre Claudine de ma mĂ©moire Â».

 

Page 90 :

«  La grande majoritĂ© des gars du camp cherchaient Ă  anĂ©antir leur peur par tous les moyens, surtout grâce Ă  l’alcool. Parfois, c’était Ă  se demander pourquoi ils Ă©taient lĂ . 80% d’entre eux faisaient croire aux autres qu’ils Ă©taient lĂ  pour la paye. Les autres 20% Ă©taient lĂ , paraĂ®t-il, pour « casser du Nègre Â». En rĂ©alitĂ© tous ces bonshommes qui Ă©taient loin d’être des « supermen Â», Ă©taient larguĂ©s dans cette jungle pour des motivations semblables aux miennes. C’est-Ă -dire qu’une femme les avait laissĂ©s tomber, leur femme, leur mère, leur sĹ“ur etc…Et par dĂ©pit, ils s’étaient embarquĂ©s, comme moi, dans cette galère Â».

 

Sur sa violence au travers de son expĂ©rience de videur :

Page 173 :

 

« Donc, tous les soirs, bagarre (… ) C’était le n’importe quoi intĂ©gral, dans cette ambiance bizarre de trois quatre heures du matin, dans cette jungle pas africaine du tout ».

 

«  Quelque chose ne tournait pas rond en moi, aussi (….). Je sentais que je commençais Ă  prendre du plaisir Ă  taper sur les emmerdeurs. La violence accumulĂ©e toutes ces annĂ©es Â».

 

« Ces soirĂ©es oĂą je risquais ma vie pour que les noctambules puissent s’agiter tranquillement sur les pistes de danse Â».

 

« J’étais devenu une sorte de machine parfaitement rodĂ©e et huilĂ©e, toujours en progrès. Une machine Ă  dĂ©molir. Une machine Ă  tuer. MĂŞme quand je dormais je ne rĂŞvais que de bagarres, coups, courses dans les rues de mes rĂŞves Â».

 

Jusqu’au jour oĂą un Ă©vĂ©nement « l’éveille Â» particulièrement et l’amène Ă  changer d’attitude.  (L’évĂ©nement est relatĂ© dans le livre). A partir de lĂ , la pacification de soi qui est au cĹ“ur de la pratique des Arts Martiaux prend le dessus. Mais comme on le comprend en lisant Corps d’Acier, il a fallu que Jean-Pierre Vignau vive un certain nombre d’épreuves et d’expĂ©riences auxquelles il a survĂ©cu. Et, il lui a fallu beaucoup de travail effectuĂ© au travers des Arts Martiaux – qu’il dĂ©bute Ă  13 ou 14 ans- tel qu’il en parle, page 190.

 

 

L’importance de persĂ©vĂ©rer dans le travail sur soi :

Page 190 :

 

«  La deuxième forme de recherche, celle Ă  laquelle je consacre mon temps et ma vie, est une esthĂ©tique du mouvement. Ce qui amène Ă  une forme de logique spirituelle. Pour obtenir un rĂ©sultat, il faut travailler, travailler encore et toujours. On forme donc son corps, son endurance et la volontĂ© de son esprit. Et, sans mĂŞme la chercher, on obtient l’efficacitĂ© Â».

 

Dans ce passage, Vignau explicite que la voie martiale est assez longue. C’est donc un mode de vie. La voie martiale est le contraire d’une mode, d’un spectacle, d’un raccourci vers le chaos comme une dictature, le banditisme ou le terrorisme par exemple.

 

Par manque de travail sur soi, nos existences peuvent facilement devenir stĂ©rĂ©otypĂ©es et stĂ©riles mĂŞme si nous avons l’impression de « faire quelque chose Â» ou d’être «  quelqu’un Â». Vignau le dit Ă  sa manière, page 192 :

 

« Ici, quand je m’entrainais, c’était uniquement pour moi et pas pour aller frapper les images parlantes qui viendraient «  foutre la merde Â» le soir dans les boites Â».

Conclusion :

Pour conclure, dans Construire sa lĂ©gende Croire en soi, ne rien lâcher et aller jusqu’au bout, page 42, il y a ce passage :

 

« La rĂ©action aux situations stressantes sont de trois ordres : combat, fuite, blocage, respectivement 15%, 15%, 70 % chez l’individu lambda. Les policiers du RAID, par exemple, inversent ce rapport avec 70% pour la rĂ©action de combat. Appliquons cela Ă  Vignau Ă  travers quelques unes de ses expĂ©riences Â».

 

 

Dans Construire sa lĂ©gende, il est aussi prĂ©cisĂ© plusieurs fois qu’il est inutile d’essayer de ressembler Ă  Vignau. Ou Ă  un policier du RAID, d’abord sĂ©lectionnĂ© pour des aptitudes mentales, psychologiques et physiques particulières. Puis formĂ© et surentraĂ®nĂ© Ă  diverses mĂ©thodes de combat.  Avec et sans armes.

 

Chacune et chacun fait comme il peut. Cependant, certaines personnes, sans faire partie du RAID, savent très bien combattre. Mamoudou Gassama, le jeune Malien sans papiers, qui, le 26 Mai 2018,  avait sauvĂ© le gamin accrochĂ© dans le vide Ă  un balcon d’immeuble dans le 18ème, avait selon moi combattu. Sans pour autant faire partie du RAID. Et je ne sais mĂŞme pas s’il Ă©tait pratiquant d’Arts Martiaux.

Ce 26 Mai 2018, Mamoudou Gassama avait au moins combattu l’impuissance et l’inaction devant la chute prĂ©visible de l’enfant suspendu dans le vide. Mais aussi  certains prĂ©jugĂ©s sur les migrants sans papiers.

 

Mais seule une minoritĂ© de personnes est capable de rĂ©agir spontanĂ©ment comme l’avait fait Mamoudou Gassama en risquant sa vie ce jour-lĂ . D’ailleurs, il avait Ă©tĂ© le seul, parmi les « badauds Â» prĂ©sents, Ă  pratiquer l’escalade jusqu’au gamin. 

 

On peut trouver des Maitres, des coaches, des thérapeutes ou autres personnes de confiance et bienveillantes qui peuvent nous permettre d’inverser un peu ces pourcentages lors de situations stressantes dans notre vie quotidienne. Pas nécessairement lors d’un combat ou d’une agression dans la rue.

 

On peut aussi diversifier nos expériences pratiques et sportives dans des disciplines qui, a priori, nous effraient ou nous semblent inaccessibles. Et se découvrir, avec de l’entraînement, certaines aptitudes que l’on ignorait.

 

Le combat, cela peut être, et c’est souvent, d’abord vis-à-vis de nous mêmes qu’il se déroule. Vis-à-vis de nos propres peurs que nous acceptons de combattre ou devant lesquelles nous fuyons ou nous bloquons. Si nous acceptons de combattre certaines de nos peurs, nous pouvons changer de vie pour le meilleur au lieu de subir.

 

Corps d’Acier La force conquise La violence maitrisée et Construire sa légende Croire sa légende Ne rien lâcher et aller jusqu’au bout parlent au moins de ça. Ou, alors, j’ai lu de travers et raté mon explication de texte.

 

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 11 décembre 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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La Fabrique du Monstre / Un livre de Philippe Pujol

 

 

 

 

 

Marseille a d’abord été un amour étranglé. Il m’a fallu du temps pour aimer cette ville. L’élan de l’accent, du soleil et de la mer, stoppé. Elle était blanche. J’étais noir.

 

J’aurais dû le savoir dès notre première rencontre à Paris, à la Gare du Nord. Elle partait en Irlande. Moi, en Ecosse. Elle écoutait U2 et des groupes comme Simply Red. J’écoutais Miles Davis, des groupes comme Black Uhuru mais aussi du Zouk.

 

Ses parents ne votaient peut-être pas pour le Front National mais sans doute louaient-ils certaines de ses idées.

La littĂ©rature, sujet de ses Ă©tudes universitaires en lettres classiques avec le Latin et le Grec, nous avait aussi rapprochĂ©s. Par « rĂ©alisme Â» Ă©conomique et social,  quatre ans plus tĂ´t, au lycĂ©e, j’avais renoncĂ© Ă  aller Ă  la Fac. Et, peut-ĂŞtre qu’avec elle, je me rattrapais.

 

Je fus prêt à venir m’installer à Marseille. J’avais prévu de postuler à l’hôpital Edouard Toulouse ou dans n’importe quel autre établissement hospitalier. Elle m’en dissuada.

 

Après une première « sĂ©paration Â» et quelques annĂ©es, comme tant d’autres qui vivent par espoir et par amour, je finis par ĂŞtre dĂ©shĂ©ritĂ© par cette histoire de rejet.

 

Notre première rencontre datait du 20 ème siècle. En 1990. Deux de mes amis, une femme et un homme, elle, parisienne blanche, lui, Arabe originaire d’Algérie qui, enfant, avait connu les bidonvilles de Nanterre, ne croyaient pas à cette histoire de couleur de peau.

 

Je n’ai jamais douté de cette histoire. Il a toujours été évident pour moi que tout sacrifice de sa part en faveur de notre relation me serait reproché plus tard.

 

Je rencontrais néanmoins ses parents. Et cela se passa bien. Je pris une chambre d’hôtel avec vue sur le Vieux-Port. Ce fut pour son mariage avec un autre. Un Marseillais comme elle avec lequel la rencontre avait coulé de source.

 

Quelques années plus tard, nous nous sommes brouillés officieusement. Peut-être définitivement. J’imagine que, pour elle, c’est du fait de ma connerie.

 

Depuis, je suis retourné à Marseille. Sans l’appeler.

 

J’ai appris avec cette histoire que l’Amour partagé et sincère ne suffit pas.

 

 

Philippe Pujol a quarante et un ans lorsqu’il écrit La Fabrique du Monstre, paru en 2016.

Ce livre a un sous-titre : «  10 ans d’immersion dans les quartiers nord de Marseille, parmi les plus inĂ©galitaires de France Â».

 

Pujol aime Marseille qu’il qualifie de «  plus jolie ville de France Â» Ă  la fin de son livre. Mais lorsqu’il  parle de Marseille, l’Amour n’est pas son seul atout.

 

Pujol s’est fait connaĂ®tre pour d’autres ouvrages. Il a obtenu le prix Albert Londres de l’annĂ©e 2014 «  pour sa sĂ©rie d’articles Quartiers Shit publiĂ©s dans le quotidien rĂ©gional La Marseillaise Â» nous apprend la quatrième de couverture.

 

C’est sans doute ce prix Albert Londres, un de ses ouvrages relatif à Marseille ou celui qu’il a consacré à son cousin fasciste qui m’a permis d’entendre parler de Philippe Pujol pour la première fois il y a deux ou trois ans.

 

Je croyais que Pujol, d’origine corse nous apprend-t’il, était né à Marseille. Il est né à Paris dans le 12èmearrondissement selon Wikipédia. Par contre, il a grandi et vit à Marseille depuis sa petite enfance. Au gré de certaines de ses connaissances qu’il nous présente, on devine qu’il a dû grandir dans un milieu social moyen ou au contact de personnes d’un milieu social moyen et modeste avec lesquelles il a su rester en relation. J’aurais peut-être pu devenir un petit peu comme lui si j’étais resté vivre dans ma cité HLM de Nanterre. Pas en faisant une école de journaliste. Mais en rencontrant d’abord comme je l’ai fait et comme je continue de le faire différentes sortes de personnes de par mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie.

 

La ville de Marseille que Pujol raconte dans La Fabrique du Monstre est celle des tranchées. Peut-être, aussi, celle des trachées. On y respire moins bien qu’en terrasse ou au bord de la plage où l’on vit débranché de ce que Pujol raconte.

 

En cherchant un peu, on apprend vite que Pujol a tenu pendant des annĂ©es la colonne fait divers d’un journal de Marseille. Et qu’il a appris Ă  Ă©crire de cette manière. De ses dĂ©buts de journaliste-reporter, Pujol peut dire lui-mĂŞme qu’il faisait « pitiĂ© Â» question Ă©criture.

Alors que je rédige cet article, je me dis qu’il y a un peu du David Simon (l’auteur de Sur Ecoute, Treme…..) chez Philippe Pujol. Pour cette façon qu’il a de coller ses branchies, ses six-trouilles et son cerveau dans certains milieux de Marseille tapis dans l’hostilité ou la clandestinité où il vaut mieux être accepté. Et pour pouvoir en parler ensuite dans ses livres.

 

Pujol a sans aucun d’autres modèles que Simon et il en cite quelques uns à la fin de son livre. Mais je ne crois pas qu’il me reprochera de le rapprocher- un peu- de David Simon.

 

Car son La Fabrique du Monstre est un travail de pelleteuse lorsqu’il parle de Marseille. Il retourne la ville pour nous l’expliquer. TantĂ´t en sociologue ou en historien, tantĂ´t en expert comptable ou comme un auteur de polars. Qu’il parle des petits trafiquants de shit, des règlements de compte, d’autres trafics ; du monde politique marseillais depuis ces trente dernières annĂ©es (Gaudin, GuĂ©rini…) ; des alliances politiques avec le Front National ; des immeubles insalubres, des difficultĂ©s de logement, de cafards Ă  cinq centimes et de Mac Do ; des projets immobiliers discordants, du clientĂ©lisme ; de certains bandits qui investissent ou s’arrangent avec de grandes entreprises, de racket, d’un certain «bordel Â» concernant la conduction des projets ; de la mainmise du syndicat F0 sur certaines transactions… Pujol dĂ©crit presque Marseille comme s’il s’agissait d’une simple citĂ© (une citĂ© faite d’un certain nombre de villages). Et qu’il en connaissait presque chaque atour. Ainsi que les murmures et les rumeurs qui vont avec.

 

 

La ville qu’il « enseigne Â», je l’ai Ă  peine effleurĂ©e. Et, l’on se dit que toute personne qui souhaiterait venir s’installer Ă  Marseille pourrait ĂŞtre bien inspirĂ©e de lire son ouvrage. Selon son projet de vie, y aller seule, investir dans l’immobilier ou y faire grandir ses enfants, celle ou celui qui lira son livre aura de quoi Ă©viter de s’illusionner sur le cĂ´tĂ© en prime abord dĂ©contractĂ© de la ville. MĂŞme si Pujol souligne aussi qu’il y a des personnes qui rĂ©ussissent Ă  venir habiter Ă  Marseille. Et Ă  y rester.

 

 

En parcourant La Fabrique du Monstre, on apprend que Marseille, cela reste loin, pour le gouvernement parisien. D’oĂą cette espèce de « carte blanche Â»  laissĂ©e aux diffĂ©rents acteurs Ă©conomiques et politiques de la ville et de la rĂ©gion abonnĂ©s aux excès. Au dĂ©tour d’une anecdote, on croise ainsi le mĂ©pris aujourd’hui lointain d’un Lionel Jospin, alors Ministre, qui, sollicitĂ© pour intervenir sur un dossier marseillais rĂ©plique en quelque sorte qu’il a d’autres mistrals Ă  fouetter. Sa future dĂ©faite aux Ă©lections prĂ©sidentielles peut-ĂŞtre….

 

Pujol prĂ©cise que, malgrĂ© le soleil, la mer et diverses rĂ©alisations qui ont fait du bien Ă  l’image de Marseille, celle-ci reste pour beaucoup une ville «  en voie de dĂ©veloppement Â». D’autres parlent d’une paupĂ©risation de ses classes sociales moyennes et modestes. Ce qui l’amène Ă  voir Marseille comme un condensĂ© de la France oĂą, de plus en plus, les pauvres vivent avec les pauvres, et les riches avec les plus riches. 

 

 

NĂ©anmoins, Pujol souligne que deux ou trois grandes avancĂ©es pour Marseille viennent de l’Etat ou de l’Europe :

 

Le TGV qui a mis Marseille à trois heures de Paris. Le projet Euroméditerranée.

Marseille, ville européenne de la Culture 2013.

 

 

Pour conclure, Pujol salue la grande aptitude des Marseillais Ă  continuer de se parler. J’ai Ă©tĂ© agrĂ©ablement Ă©tonnĂ© d’apprendre qu’il existe Ă  Marseille un militantisme  antifasciste actif qui a plus d’une fois pris le dessus sur certaines initiatives du Front National.

Plus tĂ´t, il a affirmĂ© que Marseille a plus une culture du grand banditisme que du terrorisme islamiste.  

Pour lui, Marseille n’est pas le monstre rĂ©gulièrement prĂ©sentĂ© dans certains mĂ©dia. Mais la France telle qu’elle peut ĂŞtre dans d’autres rĂ©gions. Sauf que sa misère et ses travers se voient davantage en plein soleil que coulĂ©s dans le bĂ©ton et dans certaines banlieues plus ou moins Ă©loignĂ©es.  

 

Franck Unimon, ce jeudi 3 décembre 2020.

 

 

 

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Renaître/ un livre écrit avec Marion Bartoli

   

 

        RenaĂ®tre/ un livre Ă©crit avec Marion Bartoli

« Bartolir : prendre une dĂ©cision irrĂ©flĂ©chie Â». 7 ans plus tard, ce nĂ©ologisme portĂ© sur un rĂ©seau social ( Twitter ou instagram) par un lettrĂ© mĂ©diatisĂ© continue Ă  ne pas me revenir.

 

C’était fin 2013, après la victoire de la joueuse de tennis Marion Bartoli à Wimbledon. Celle-ci venait d’annoncer sa retraite sportive. Et, Bernard Pivot, référence littéraire en France depuis les années 70 avec l’émission Apostrophes, s’était exprimé.

 

J’ai grandi « avec Â» Apostrophes. MĂŞme si j’ai peu regardĂ© cette Ă©mission, je savais que c’était une institution intellectuelle. MĂŞme Mohammed Ali Ă©tait passĂ© Ă  Apostrophes. LycĂ©en et ensuite, si j’avais pu, j’aurais aimĂ© Ă©crire un livre ou pouvoir susciter l’intĂ©rĂŞt des pointures qui s’y sont prĂ©sentĂ©es. Comme de Bernard Pivot.

 

Evidemment, comme la majorité des lycéens et des spectateurs, cela n’est jamais arrivé. Je me suis rabattu sur L’école des fans de Jacques Martin où je ne suis jamais passé non plus.

 

Puis, ça m’était passé. Bernard Pivot et Apostrophes ou sa dictée ne faisaient plus partie de cette lucarne de but où je cherchais à entrer. Ou peut-être aussi, que comme la majorité, je m’étais résigné au babyfoot.

 

Aujourd’hui, on dirait plutĂ´t : « Comme la majoritĂ©, je m’étais rĂ©signĂ© Ă  la console de jeux et aux rĂ©seaux sociaux Â». Après avoir obtenu un travail, m’être insĂ©rĂ©, fait des amis, quelques voyages, j’avais trouvĂ© ailleurs et avec d’autres de quoi me regarder.

 

« Bartolir Â».

 

Visiblement, en 2013, Bernard Pivot continuait de compter pour moi.

Lorsque j’avais lu ce mot, je m’étais dit que j’aurais bien voulu le voir, le Bernard Pivot, en short et chaussettes, avec une raquette de tennis, se mangeant les sĂ©ances d’entraĂ®nement massives et quotidiennes de Marion Bartoli !

 

J’en ai beaucoup voulu Ă  ce lanceur de dictĂ©e. Je me suis rappelĂ© de ma lecture d’un article racontant sa « rencontre Â» avec le navigateur Eric Tabarly. Pivot, l’intello de plateau, y avait Ă©tĂ© dĂ©crit comme une sorte d’animateur prenant Tabarly de haut, car incapable de s’ajuster au fait que cet homme des vagues se tenait lĂ  sans se prĂŞter Ă  l’eau pâle des alexandrins et des cotillons verbaux. 

 

En 2013, amateur de sport, comme Bernard Pivot, j’imaginais pourtant facilement l’usure mentale et physique de celle qui s’était engagée mais aussi esquintée en pratiquant le sport à très haut niveau. C’était peut-être dû aux séquelles de mes propres blessures de sportif amateur depuis mon adolescence. A ce que j’avais fini par en apprendre.

 

C’était peut-ĂŞtre dĂ» Ă  la lecture de quelques articles dans les journaux concernant Marion Bartoli. Ou Ă  celle d’ouvrages d’anciens joueurs de tennis de haut niveau :

 

Déclassée de l’ancienne numéro un française Cathy Tanvier m’avait sans doute beaucoup éduqué.

 

Plus jeune, adolescent, je me marrais devant les dĂ©faites rĂ©pĂ©tĂ©es de Cathy Tanvier pendant les tournois de tennis. En apprenant qu’elle avait Ă©tĂ© « Ă©liminĂ©e Â» dès les premiers tours de tel tournoi du grand Chelem, « notre Â» numĂ©ro vingt mondial.

 

 Puis, j’avais lu son DĂ©classĂ©e, (paru en 2007). Non seulement, il Ă©tait très bien Ă©crit, m’avait Ă©mu. Mais, en plus, ce livre m’avait remis Ă  ma place.

 

En dĂ©couvrant la vie personnelle de Cathy Tanvier, j’avais compris que le parcours professionnel de haut niveau qu’elle avait tracĂ© en parallèle avait nĂ©cessitĂ© des efforts gigantesques. Et que ces efforts qu’elle avait dĂ» produire en « surcharge Â» avaient sĂ»rement plus d’une fois fait la diffĂ©rence avec les autres championnes qui gagnaient les finales car, dĂ©lestĂ©es, elles, de ces contraintes. Mais aussi de certaines blessures physiques. Car Cathy Tanvier avait participĂ© Ă  certains de matches en Ă©tant blessĂ©e.

 

 

Open Ă©crit par AndrĂ© Agassi (paru en 2009) m’avait aussi Ă©duquĂ©. Si la carrière tennistique d’AndrĂ© Agassi a bien sĂ»r Ă©tĂ© plus triomphale que celle de Cathy Tanvier, il existe pourtant des points communs entre leurs carrières et celle…d’une Marion Bartoli dont « le Â» livre, RenaĂ®tre, est paru en 2019. Aujourd’hui, Marion Bartoli, nĂ©e en 1984, a 36 ans.

 

La prĂ©cocitĂ© :

Marion Bartoli a quatre ou cinq ans lorsqu’elle tient sa première raquette de tennis en main. Contrairement à un André Agassi et une Cathy Tanvier qui se révèlent très tôt particulièrement doués, dans Renaître, Marion Bartoli répète qu’elle avait seulement pour elle une concentration supérieure à la normale ainsi qu’une certaine rage.

 

 

Modèle et environnement familial :

J’ai oubliĂ© comment Cathy Tanvier en Ă©tait arrivĂ©e Ă  jouer au tennis. Mais je me rappelle que le père d’AndrĂ© Agassi avait d’abord voulu faire de son frère et de sa sĹ“ur aĂ®nĂ©e des champions de tennis. En vain. Avant de s’apercevoir que le « dernier Â», AndrĂ©, avait des aptitudes particulières : dont un certain coup d’œil pour Ă©valuer la trajectoire de la balle.

 

C’est en regardant son père et son frère Franck, de neuf ans son aîné, jouer au tennis que Marion Bartoli eu envie de participer.

 

Pendant toute sa carrière, Cathy Tanvier n’a eu de cesse de courir après les balles de tennis et les tournois afin de compenser les infidélités conjugales et les pertes financières de son père.

 

André Agassi a eu à faire avec un père tyrannique, d’origine arménienne, déterminé et imposant.

 

Le Clan des Bartoli :

 

Marion Bartoli, elle, nous parle d’un clan familial obligé de partir de Marseille, leur ville de chair, en se coupant du reste du monde afin d’aller s’établir à Retournac, petit village pépère de 2500 habitants.

« Papa Â» Walter Bartoli a perdu sa mère lorsqu’il avait deux ans. Son père a refait sa vie sans lui. « Maman Â» Sophie, elle, est manifestement brouillĂ©e Ă©galement avec sa propre famille. Mais la petite Marion ignore la raison de ces diffĂ©rends. Papa, maman, Franck et Marion Bartoli partent s’installer Ă  Retournac et vivent en clan.

Retournac se trouve en Auvergne. L’Auvergne est une très jolie région. Mais cela n’a rien à voir avec le climat et l’ambiance de Marseille.

 

Dans la rĂ©gion d’Auvergne, donc, les Bartoli forment un clan d’amour oĂą la rudesse Ă©conomique est perceptible. Papa Bartoli est mĂ©decin libĂ©ral. Maman, ancienne infirmière de nuit, est la secrĂ©taire. En Ă©tĂ©, pendant les vacances, la famille s’en sort financièrement. Autrement, il y a deux ou trois fois moins de travail pour le Dr Bartoli et donc moins d’argent pour la famille. 

 

A lire RenaĂ®tre, il semblerait aussi que « Les Â» Bartoli soient un clan fermĂ© : apparemment, aucun cousin, cousine, tonton ou tata du cĂ´tĂ© du père comme de la mère n’est prĂ©sent dans le cadre de la maison.

 

La petite Marion Bartoli est très bonne élève. Elle aime être la première de la classe et ne sourcille pas lorsque son père lui demande de prendre de l’avance sur ses cours. En outre, au vu des difficultés concernant les fins de mois, elle s’applique à être exemplaire.

 

Le tennis va devenir un cocon pour faire plaisir, pour exister, pour prendre une revanche mais, aussi, pour donner une certaine revanche aux parents.

 

Construire ses matches comme on construit les marches de son  destin :

Le goût de la compétition, de l’effort, ainsi que l’envie de rendre les parents fiers, vont petit à petit gagner du terrain. Le père et la fille, au moins, vont de plus en plus se prendre au jeu. Marion, pour réussir et donner cette réussite à sa famille. Le père, pour être présent et soutenir sa fille mieux et plus que son propre père ne l’a fait pour lui.

Le frère aîné va s’engager dans l’armée. Marion, elle, va devenir un soldat volontaire de l’entraînement. Pour réussir, elle apprend très vite qu’il lui faut travailler bien plus que les autres.

 

Une critique du système Ă©ducatif dans son ensemble :

 

Dit comme ça, on pourrait penser que ce tandem que va former Marion Bartoli avec son père est « juste Â» l’histoire de deux personnes qui pansent leurs plaies Ă  travers l’autre. Ou  l’histoire d’une enfant qui fait son possible pour sauver ses parents d’une certaine dĂ©tresse.

 

Mais la carrière de Marion Bartoli, « peu douĂ©e pour le tennis Â», est aussi une critique du système Ă©ducatif dans son ensemble. MĂŞme si, dans RenaĂ®tre, Marion Bartoli s’en prend principalement Ă  la FĂ©dĂ©ration Française du Tennis qui, Ă  plusieurs reprises, s’obstine Ă  vouloir faire d’elle une simple exĂ©cutante de la balle jaune. Alors que, très tĂ´t, celle-ci a Ă©tĂ© l’associĂ©e de son père et entraĂ®neur. Et que c’est par lui et avec lui qu’elle s’est sortie du lot des joueuses jusqu’à se faire remarquer, du fait de ses rĂ©sultats, par cette mĂŞme FĂ©dĂ©ration Française du Tennis.

 

Dans son livre, on est marquĂ© par le très grand manque de compĂ©tence psychologique de plusieurs personnalitĂ©s, pourtant Ă©mĂ©rites, de la FĂ©dĂ©ration Française de Tennis. Et, on se dit qu’il doit y avoir bien d’autres fois, ou en d’autres circonstances, et dans d’autres institutions, oĂą ce genre de situation arrive :

 

Des cadres qui ont le Pouvoir- et dont la carrière et le palmarès font autorité -s’estiment légitimes pour disqualifier les méthodes d’apprentissage d’un athlète ou d’un candidat dont les performances font pourtant partie du plus haut niveau. Un peu comme si un professeur de guitare au conservatoire méprisait la façon dont un jeune Jimi Hendrix avait appris à jouer des notes.

 

 Il faut attendre AmĂ©lie Mauresmo, un profil peut-ĂŞtre « diffĂ©rent Â» ou hors norme de par sa vie personnelle en tant que femme homosexuelle affirmĂ©e, pour trouver une interlocutrice plus ouverte. Ou, peut-ĂŞtre aussi que lorsque cette rencontre survient entre AmĂ©lie Mauresmo, capitaine de l’équipe de France de Tennis, que Marion Bartoli est alors mieux disposĂ©e pour s’affranchir de son père.

 

La retraite sportive et la vraie vie :

Avec sa retraite sportive, on retrouve cette « petite Â» mort dĂ©jĂ  racontĂ©e par d’autres.  A la fin de la carrière intense et des jets d’adrĂ©naline, pousse un vide et un sentiment de surplace sans limites qu’il faut remplir. Marion Bartoli peine Ă  digĂ©rer son « dĂ©part Â» Ă  la retraite mais aussi sa sortie du cocon familial qu’a Ă©tĂ© sa relation en particulier avec son père au travers du tennis.

 

Pendant des années, au travers du tennis, Marion Bartoli a vécu dans un cocon. Dans ce cocon, sa famille, son clan, était constamment présent grâce au cordon qui la reliait à son père. Sa retraite sportive coïncide avec l’âge où elle quitte ses parents. Ça fait beaucoup.

 

S’ensuit une sĂ©vère dĂ©pression. Pour Marion Bartoli, ça passe Ă  la fois par des troubles alimentaires… mais aussi par une relation sentimentale « banque-cale Â» avec un homme.  Puisqu’il en faut un pour essayer de colmater l’absence de papa. Ou de maman.

 

Cela a pu arriver à d’autres y compris dans des professions rigoureuses comme espionnes (Les Espionnes racontent, un livre de Chloé Aeberhardt, paru en 2017).

 

Car l’armature et la très haute habilitĂ© affective que l’on peut avoir sur un terrain de sport ou dans un environnement professionnel ne suit pas forcĂ©ment dans la vie intime. Les règles et les limites y sont plus floues et plus incertaines. Sur un court de tennis, lorsque la balle est dans le filet  ou dans le couloir, il y a faute et le jeu s’arrĂŞte. Dans la vraie vie, le jeu peut malgrĂ© tout continuer. La vie intime est tel un hymen docile. S’offrir  Ă  l’autre, en vue de rester avec lui ou de le garder, est le contraire de la performance. Dans une performance, on cherche Ă  annuler, bloquer, dĂ©tourner, dĂ©passer, dĂ©stabiliser ou dĂ©truire l’autre.

 

Dans RenaĂ®tre, on lit et on entend l’humour et l’autodĂ©rision « connues Â» de Marion Bartoli. J’ai eu un grand plaisir Ă  lire ce livre dans lequel elle nous parle aussi un peu de quelques Ă -cĂ´tĂ©s du Tennis de haut niveau : Serena Williams, Maria Sharapova….

 

Aujourd’hui, ce ne sont plus les mêmes joueuses de tennis qui dominent autant le Tennis mondial (à part peut-être Serena Williams encore un peu), mais il en est sûrement quelques unes et quelques uns qui ont connu ou vont connaître les mêmes états que Marion Bartoli. Dans le monde du Tennis ou ailleurs.

 

Franck Unimon, ce mardi 17 novembre 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

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Je suis Ă  l’Est ! un livre de Josef Schovanec

 

Je suis Ă  l’Est ! , livre paru en 2012, a Ă©tĂ© Ă©crit par Josef Schovanec ( avec Caroline Glorion).

 

J’ai pris du temps à lire ce livre. Peut-être parce-que Josef Schovanec, comme toutes les personnes que l’on ne prend pas le temps d’écouter, avait beaucoup à dire. Ou peut-être parce-que dans la vie ordinaire, aimanté par l’affiche d’un nouveau film ( avant ces histoires de reconfinement et de covid) ou par un de mes écrans, j’ai plusieurs fois laissé un Josef Schovanec de côté.

 

De toute façon, en tant que professionnel de la santĂ©, ce genre de livre nous donne une tape derrière la tĂŞte. Parce-que, cette fois, celui qui fait autoritĂ© en matière de connaissances et d’expĂ©riences, c’est le patient ou la victime qui a Ă©crit le livre dont je vais vous parler. Et, lĂ , je ne peux qu’écouter, rĂ©flĂ©chir et lire puisqu’il s’agit d’un tĂ©moignage, celui de Josef Schovanec. Je ne peux pas tĂ©moigner Ă  la place de Josef Schovanec. Si je m’étais senti capable de tĂ©moigner Ă  sa place, je me serais dispensĂ© de lire son Je suis Ă  l’Est !

Et puis, je ne me fais assez peu d’illusions : Ă  l’école maternelle oĂą les ennuis de Josef Schovanec ont dĂ©butĂ©, je l’aurais ignorĂ©. J’aurais prĂ©fĂ©rĂ© jouer avec les copains, taper dans une balle de tennis ou un ballon de foot. Peut-ĂŞtre, mais ce n’est mĂŞme pas sĂ»r, me serais-je abstenu de faire partie de ceux qui se seraient amusĂ©s Ă  le tirer comme un lapin avec le ballon de foot ou un autre projectile improvisĂ©, reflet de ces pensĂ©es de reptile qui nous animent par moments tout civilisĂ©s que nous prĂ©tendons ĂŞtre devant nos victimes. Car nous nous transformons vite en barbares dès que nous sommes en meute.

 

Mais ce qui est bien avec Josef Schovanec, c’est qu’il est gĂ©nĂ©reux :

A peu près tout le monde en prend pour son curriculum dans son livre. Le système scolaire et Ă©ducatif français et occidental ; la sociĂ©tĂ© et ses rituels relationnels inadaptĂ©s ; les psychanalystes et psychiatres Ă  but lucratif qui ont su le raccourcir- heureusement, les effets ont Ă©tĂ© rĂ©versibles- Ă  coups  d’antipsychotiques ; certaines et certains anciens camarades de sciences Po pompeurs de ses cours hier, grandes vedettes mĂ©diatiques aussi pomponnĂ©es qu’amnĂ©siques aujourd’hui ; les associations qu’il a pu frĂ©quenter ou qui ont donnĂ© des confĂ©rences ; son exposition mĂ©diatique.

 

Avec sarcasme et humour, Josef Schovanec nous raconte une partie de son parcours personnel. Muet jusqu’à ses six ans, mais habile avec l’astronomie, l’écriture et l’Egypte antique, il a su se frayer un « destin Â» grâce Ă  la pugnacitĂ© et  Ă  la ruse de ses parents. Mais aussi grâce Ă  sa rĂ©sistance. Car ses mĂ©saventures morales, fonctionnelles et physiques ressemblent beaucoup Ă  celles d’un suppliciĂ©.

 

Josef Schovanec, c’est aujourd’hui 1m95 d’autisme qui nous « parle Â», Ă  nous les gens normaux. Mais c’est aussi un homme multi-diplĂ´mĂ©, Docteur en philosophie, plusieurs fois polyglotte et grand voyageur. D’ailleurs, il insiste pour ne pas ĂŞtre rĂ©sumĂ© Ă  son autisme d’asperger qui a nĂ©cessitĂ© plusieurs annĂ©es avant de finir par ĂŞtre diagnostiquĂ©. Peut-ĂŞtre parce qu’à  l’image de la schizophrĂ©nie, il y a diffĂ©rentes façons d’être autiste et diffĂ©rentes façons de le concevoir pour une personne extĂ©rieure.

 

 

Si Schovanec nous parle de nos travers, il nous parle aussi de certaines de ces personnes, devenues ses proches, qui ont su penser diffĂ©remment en le rencontrant ou qui Ă©taient elles-mĂŞmes diffĂ©rentes et pourtant bien dans le coup. Tel Hamou Bouakkaz,  Kabyle nĂ© en AlgĂ©rie, aveugle,  d’origine modeste, venu habiter Ă  Bezons avec sa famille et qui a su , après de brillantes Ă©tudes dont une Maitrise en mathĂ©matiques, accĂ©der au monde de la politique.

 

En lisant Je suis Ă  l’Est !  de Schovanec, on comprend très vite que c’est plutĂ´t, ou souvent, la majoritĂ© d’entre nous qui le sommes. Mais comme nous sommes la majoritĂ© et que c’est elle qui impose souvent l’attitude gĂ©nĂ©rale, nous restons installĂ©s dans nos impasses de pensĂ©e mĂŞme si celles-ci nous implantent un peu plus dans des blocs de bĂ©ton.

 

Je trouve rĂ©confortant, alors que nous vivons cette deuxième vague du Covid et un second confinement plutĂ´t dĂ©primant, de pouvoir trouver dans ce livre de quoi se sentir un peu plus lĂ©ger. On peut bien-sĂ»r se sentir assez peu fier de soi quant Ă  nos prĂ©jugĂ©s devant certains « handicaps Â», mais on peut aussi s’estimer finalement bien plus avantagĂ© que ce que l’on croit. A condition d’être dotĂ© de quelques uns des atouts ou des qualitĂ©s que Schovanec a, pour lui, de toute Ă©vidence :

 

1) La curiosité

2) Le courage : il n’a attendu personne pour s’intĂ©resser Ă  certains sujets, astronomie, Egypte des pharaons, langues ou autres. Et, il ne s’est pas prĂ©occupĂ© de savoir si c’était bizarre ou non de s’intĂ©resser Ă  ces sujets alors que la majoritĂ© des enfants de son âge avaient d’autres intĂ©rĂŞts.

3) La constance ou la persĂ©vĂ©rance : Il ne s’est pas contentĂ© de lire un ou deux ouvrages. Puisque le sujet l’intĂ©ressait, il a continuĂ© tant qu’il a pu trouver des informations sur ce qui lui plaisait d’apprendre.

4) L’humour et l’autodĂ©rision : on ne perçoit pas de haine, de colère, d’espoir ou de projet de revanche sur celles et ceux qui lui en ont fait baver lors des diffĂ©rentes Ă©tapes de sa vie. Il raconte en s’amusant avoir Ă©tĂ© pris pour un prĂŞtre, un homosexuel…ou un agent secret.

 

Sans doute que son entourage familial (au moins sa mère et son père) plutôt aidant, plutôt cultivé et stable lui a permis d’exprimer ces aptitudes.

On pourrait se dire que Josef Schovanec a grandi dans un milieu social plutôt favorisé et dans des écoles plutôt réputées. Mais il explique dans son livre que les écoles réputées sont sans doute bien plus intolérantes que les autres puisqu’elles sont obsédées par leur réputation.

 

 

Vous ne connaissiez pas Josef Schovanec ? Moi, non plus. Pourtant, il a Ă©tĂ© vu et revu Ă  un moment donnĂ©, sans doute comme un Ă©nième exemplaire de ces phĂ©nomènes de cirque autiste type Rain Man ou autre au cinĂ©ma. Il parle de cette pĂ©riode entre-autres dans cette partie, page 231, et c’est lĂ  dessus que nous nous quitterons aujourd’hui :

 

«  Aujourd’hui, tout ce pan de mon passĂ© est terminĂ©. Cela fait longtemps que les gens ne me reconnaissent plus dans la rue. Joie de la paix retrouvĂ©e ! Je n’ai plus aucune responsabilitĂ© officielle dans le monde associatif. MĂŞme si je continue, pour une durĂ©e encore indĂ©terminĂ©e, Ă  participer ponctuellement Ă  tel ou tel Ă©vĂ©nement – confĂ©rences, CafĂ©s de l’association Asperger  AmitiĂ© et autres. Compagnon de route, je chemine. En attendant le moment, impossible Ă  prĂ©dire et pourtant inĂ©vitable oĂą, soudain, brutalement, les rails qui filaient en parallèle s’écarteront et oĂą, vu du train, je perdrai de vue en quelques secondes ceux qui furent longtemps Ă  mes cĂ´tĂ©s Â».

(Josef Schovanec dans Je suis Ă  l’Est !)

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 12 novembre 2020.

 

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Puissants Fonds/ Livres

Dany Laferrière-Tout bouge autour de moi

 

                            Dany Laferrière – Tout bouge autour de moi  

« Une secousse de magnitude 7.3 n’est pas si terrible. On peut encore courir. C’est le bĂ©ton qui a tuĂ©. Les gens ont fait une orgie de bĂ©ton ces cinquante dernières annĂ©es. De petites forteresses. Les maisons en bois et en tĂ´le, plus souples, ont rĂ©sistĂ©. Dans les chambres d’hĂ´tel souvent exigĂĽes, l’ennemi c’est le tĂ©lĂ©viseur. On se met toujours en face de lui. Il a foncĂ© droit sur nous. Beaucoup de gens l’ont reçu sur la tĂŞte Â» (chapitre Les projectiles, page 14 de Tout bouge autour de moi, paru en 2011).

 

Passer sa vie en mer

 

Passer sa vie en mer, c’est passer une certaine partie de son temps à voir des empires se former, s’écrouler et recommencer. Naviguer, c’est être l’aiguille qui peut être amenée à devoir passer au travers du tamis de ces empires. Mais avant même d’arriver jusqu’à la mer, nos histoires personnelles seront nos premiers empires. Nous y passerons tous et ce sera à nous de trouver de multiples façons et de multiples prises afin de passer au travers de leurs rouleaux en évitant le Ippon fatal qui nous laissera à terre.

La lecture du livre Le Monde comme il me parle d’Olivier de Kersauson est encore là. Je vous en ai parlé il y a quelques jours ( Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle). Sa lecture a été après celle du livre de Dany Laferrière. Mais les deux livres se retrouvent. Laferrière et Kersauson ont des univers communs. Et, moi, je suis ici l’aiguille qui va essayer de coudre ces univers ensemble. Et en plus court que je ne l’ai fait pour le livre de Kersauson.

 

L’écrivain Dany Laferrière

 

Dany Laferrière, HaĂŻtien nĂ© Ă  HaĂŻti, obligĂ© de s’exiler pour raisons politiques, a vĂ©cu des annĂ©es (oĂą il vit peut ĂŞtre encore) au QuĂ©bec. Au QuĂ©bec, il a lu tous les auteurs quĂ©becois en activitĂ©. Membre de l’AcadĂ©mie Française- depuis dĂ©cembre 2013- Ă©crivain reconnu et adaptĂ© plusieurs fois au cinĂ©ma ( Comment faire l’Amour avec un Nègre sans se fatiguer (1989) avec Isaac de BankolĂ©, Vers le Sud  rĂ©alisĂ© en 2005 par Laurent Cantet avec Charlotte Rampling), Prix MĂ©dicis en 2009, Dany Laferrière Ă©tait dans un restaurant Ă  HaĂŻti quand la Terre y a tremblĂ© le 12 janvier 2010.

 

Une histoire personnelle de tremblement

 

C’est l’histoire personnelle de ce tremblement qu’il nous raconte, par des chapitres courts, dans Tout bouge autour de moi oĂą il navigue Ă  travers ce qu’il voit et reste d’HaĂŻti comme parmi ses souvenirs.  Fils du pays, comme cela peut ĂŞtre bien dĂ©crit dans son L’Enfant du pays ( très bien restituĂ© par Arthur H et Nicolas Repacdans l’album L’Or Noir ) il sillonne les Ă©tats de sa famille de ses amis intellectuels ( dont FrankĂ©tienne…) et d’inconnus. Ainsi que le traitement humanitaire et mĂ©diatique du sĂ©isme. Page 60 :

« (….). Le photographe Ivanoh Demers la talonne. Lui semble plutĂ´t gĂŞnĂ©. (….) Ses photos ont Ă©tĂ© reprises dans les journaux du monde entier. Et son Ă©mouvante photo du jeune garçon qui tourne son regard vers nous, avec un mĂ©lange de douleur et de gravitĂ©, restera longtemps dans notre mĂ©moire. La lumière douce qui Ă©claire son visage fait penser Ă  la peinture flamande. Pourtant, le photographe semble dĂ©chirĂ© entre cette soudaine cĂ©lĂ©britĂ© et la ville dĂ©truite- l’un n’allant pas sans l’autre. Il n’a pas Ă  se sentir mal. Sa photo du jeune garçon au regard si doux restera Â».

 

A une autre extrémité de la célébrité

Dans ce paragraphe, nous sommes aux antipodes de cette quĂŞte de « cĂ©lĂ©britĂ© Â» de tous les instants sur les rĂ©seaux sociaux, Ă  la tĂ©lĂ© ainsi que dans ses dĂ©rivĂ©s ( Ma vie en rĂ©alitĂ©). NĂ©anmoins, derrière chaque cĂ©lĂ©britĂ© que nous « suivons Â» ou regardons, il y a peut-ĂŞtre aussi l’équivalent d’une ville qui se forme, se dĂ©truit et se remonte indĂ©finiment. Le tout est de ne pas faire partie des dĂ©combres et des encombrants.

 

Cadavres et atelier de digestion

 

Il y a quelques cadavres dans le livre de Dany Laferrière. Et ce ne sont ni des bouteilles d’alcool, ni des merveilles d’alcĂ´ve.

Son chapitre Les projectiles décrit assez techniquement un tremblement de terre. Mais le chiffre de la magnitude pourrait correspondre au calibre d’une balle et nous pourrions très bien être dans le début d’un polar. Cadavres et viscères font partie des quelques points communs- et vitaux- qu’il peut y avoir entre le récit que Laferrière nous fait de ce tremblement et un polar.

 

D’ailleurs, Tout bouge autour de moi dĂ©bute dans un restaurant, page 11, extrait du chapitre La minute :

 

« Me voilĂ  au restaurant de l’hĂ´tel Karibe avec mon ami Rodney Saint-Eloi, Ă©diteur de MĂ©moire d’encrier, qui vient d’arriver de MontrĂ©al. Au pied de la table, deux grosses valises remplies de ses dernières parutions. J’attendais cette langouste ( sur la carte, c’était Ă©crit homard) et Saint-Eloi, un poisson gros sel. J’avais dĂ©jĂ  entamĂ© le pain quand j’ai entendu une terrible explosion. Au dĂ©but j’ai cru percevoir le bruit d’une mitrailleuse (certains diront un train), juste dans mon dos. En voyant  passer les cuisiniers en trombe, j’ai pensĂ© qu’une chaudière venait d’exploser. Tout cela a durĂ© moins d’une minute. On a eu huit Ă  dix secondes pour prendre une dĂ©cision. Quitter l’endroit ou rester (….) Â».  

 

 

Après la nourriture, le plus souvent, commence la partition de la digestion.  La digestion peut faire penser Ă  un tremblement sauf que celui-ci est routinier et imperceptible. On s’en prĂ©occupe gĂ©nĂ©ralement lorsque ça ne passe pas. Lorsque ça ne pousse pas. Quand notre digestion est montĂ©e sur ressort hydraulique et nous dĂ©sopercule de manière incontrĂ´lĂ©e par le haut ou par le bas.

 

Cet ouvrage de Laferrière ressemble Ă  un atelier de digestion de l’évĂ©nement. Comme tout Ă©vĂ©nement. Mais celui-ci se matĂ©rialise et s’impose plus que d’autres comme une  expĂ©rience hypertonique de tremblement intime, page 43, extrait du chapitre Le Court mĂ©trage :

 

« Si je repasse souvent dans ma tĂŞte ces minutes qui prĂ©cèdent l’explosion c’est parce qu’il est impossible de revivre l’évĂ©nement lui-mĂŞme. Il nous habite trop intimement. (….)C’est un moment Ă©ternellement prĂ©sent. On se rappelle l’instant d’avant dans les moindres dĂ©tails. (….) A partir de 16h53, notre mĂ©moire tremble Â».

 

Une expérience traumatique et traumatisante

 

Le tremblement de terre d’HaĂŻti peut faire passer Ă  toute expĂ©rience traumatique et traumatisante : attentat, assassinat, viol, accident, dĂ©cès soudain d’un proche, confinement.

Mais  le tremblement de terre peut aussi faire penser Ă  un soulèvement populaire. Comme celui des gilets jaunes. Ou dans les citĂ©s. Le titre du livre me rappelle aussi le court mĂ©trage Ce Chemin devant moi rĂ©alisĂ©- en 2012- par HamĂ© et EkouĂ© ( du groupe de Rap La Rumeur) avec l’acteur Reda Kateb dans le rĂ´le principal. L’acteur Slimane Dazi fait aussi partie du casting.

 

 

C’est aussi pour ces quelques raisons que Tout bouge autour de moi peut nous parler de manière rapprochée. Et aussi nous guider.

 

 

A un moment, Laferrière nous raconte que le tremblement ne passe pas. Lors d’une scène, quelques jours plus tard, oĂą il croit que le tremblement reprend. Alors que tout va « bien Â» et que ce sont seulement  ses jambes, qui portent encore la mĂ©moire, lourde, du tremblement, qui se mettent soudainement Ă  flageoler.

 

Les Choses :

 

Son court paragraphe sur Les Choses, page 19, vaut aussi davantage que sa lecture :

 

« L’ennemi n’est pas le temps mais toutes ces choses qu’on a accumulĂ©es au fil des jours. Dès qu’on ramasse une chose on ne peut plus s’arrĂŞter. Car chaque chose appelle une autre. C’est la cohĂ©rence d’une vie. On retrouvera des corps près de la porte. Une valise Ă  cĂ´tĂ© d’eux Â».

 

Parmi les décombres, les attraits du livre

 

 

Parmi ses attraits, le livre est simple à lire. Dans son quotidien. Et il est bâti sur la vie sans éluder certaines tragédies.

 

Je suis étonné, que parmi les intellectuels qu’il connaît et qu’il cite, le réalisateur haïtien engagé, Raoul Peck, ne soit jamais mentionné vu qu’ils doivent être à peu près du même âge. Mais Haïti a sans doute beaucoup plus d’histoires et de personnes à nommer qu’elle ne compte de kilomètres carrés. Laferrière souligne la très grande créativité de la culture haïtienne dont je suis un témoin mémoriel au travers de la musique Konpa qui a rythmé une partie de mon enfance mais aussi de certaines de mes vacances en Guadeloupe.

 

Avec le Brésil, Haïti fait partie de ces deux destinations dont j’ai eu envie depuis des années mais où je n’ai jamais osé aller. Par appréhension de la violence. Le livre de Laferrière m’a beaucoup donné envie d’aller à Haïti. Malgré ce tremblement de terre. Alors que nous sommes encore en pleine période de Covid. Et je ne vois dans cette envie aucune parenté avec la folie. C’est peut-être le plus étonnant. Mais je sais aussi que, parfois, ou souvent, seuls les gens fous survivent voire vivent véritablement en passant au travers des empires qui s’écroulent.

 

Franck Unimon, ce lundi 7 septembre 2020.