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Le discours de l’actrice Aïssa Maïga aux Césars 2020

 

 

Le discours de l’actrice Aïssa Maïga aux Césars de cette année 2020 :

 

J’ai suivi de très loin ce qui s’est passé aux Césars cette année. Je ne connais même pas le palmarès des récompenses avec précision.

J’avais lu que Terzian et son équipe avaient démissionné avant la cérémonie. Suite à une pétition de professionnels du cinéma lui adressant un certain nombre de reproches.

J’avais entendu parler et lu à propos de Polanski, du fait que la présence de son film J’accuse ainsi que sa nomination avaient été insupportables pour bien des personnes en raison de l’agression sexuelle dont il avait été l’auteur aux Etats-Unis il y a plusieurs années. Pays dont il a fui la justice.

J’ai lu en filigrane que cette cérémonie des Césars avait été considérée comme « insipide ». Et j’avais peut-être un peu entendu parler du discours d’Aïssa Maïga mais alors, vraiment, en sourdine. L’affaire Polanski, les réactions diverses qu’elle avait suscitées, le Coronavirus Covid 19 puis le 49.3 du gouvernement Philippe-Macron pour imposer la réforme des retraites avaient emporté le plus gros de mon attention en ce qui concerne les actualités en France. J’avais aussi appris que toute la rédaction des Cahiers du cinéma avait démissionné après que le journal ait été racheté par vingt hommes d’affaires ( dont Xavier Niel, PDG de Free, un des actionnaires du journal de Le Monde, et prétendant au rachat de France Antilles) dont le projet est de faire des Cahiers du cinémaun journal « chic » mais aussi de dire aux journalistes de quels films ils doivent parler.

 

Mais un très proche m’a adressé hier ou avant hier le lien vers la vidéo du discours d’Aïssa Maïga aux Césars cette année. Des liens vers des articles ou des vidéos, on en reçoit tous désormais à l’époque internet. Ça fuse. Certains articles et certaines vidéos sont drôles, parodiques, critiques, en colère, déprimants, faux (les « fameuses » Fake news). Et d’autres sont bien réels.

 

Aujourd’hui, tout le monde peut donner son avis sur tout et tout le temps très facilement. Trop facilement. Et cela peut aussi se retourner contre nous d’une part si nos propos déplaisent. Puisque tout le monde peut donner son avis sur tout, tout le temps et très facilement, une ou plusieurs personnes peuvent très bien être d’un avis contraire au nôtre et considérer que sa mission ou leur mission est de nous voir comme une cible à atteindre ou à détruire.

 

Et puis, d’autre part,  comme nous l’explique très bien un Edward Snowden dans son livre Mémoires vives, ( E. Snowden est quelqu’un qui s’y connaît très bien en informatique ainsi qu’en ce qui concerne toutes ces ingérences dans nos vies privées que nous permettons chaque fois que nous tâtons du numérique) tout ce que nous faisons sur internet laisse des traces quasi indélébiles. A moins, bien-sûr d’être un expert de l’informatique en particulier en matière de cryptage. Donc tenir ou écrire certains propos considérés comme « vulgaires » ou « indignes » sur le net peut nous suivre toute notre vie y compris après notre mort. Même en cas de catastrophe nucléaire nous apprend toujours Edward Snowden dans son livre.

 

Avec cet article, j’espère donc rester digne car je ne suis pas un expert en cryptage.

En cela, j’imite un petit peu Aïssa Maïga lorsqu’elle a prononcé son discours aux Césars en février, en clair, à visage découvert et sans cryptage. Pourquoi ?

 

J’ai lu que le discours d’Aïssa Maïga prononcé aux Césars dernièrement était un discours « racialiste» et « embarrassant ».

Maintenant que j’ai regardé la vidéo de ce discours deux fois,  j’ai le sentiment d’avoir au moins le devoir de m’exprimer à son propos. Et, j’écris bien « Devoir ». Parce-que ce qu’Aïssa Maïga dit dans son discours aux Césars concernant cette nécessité de plus de diversité dans le cinéma français, je l’ai moi-même écrit et dit. Et répété depuis des années. Dans des articles relatifs au cinéma. Dans la vie réelle. Donc, maintenant qu’Aïssa Maïga a pris le risque (oui, elle a pris un très gros risque personnel et professionnel en tenant ce discours à la cérémonie des Césars !), j’aurais l’impression de me défiler si je m’abstenais de prendre le temps d’écrire un article pour dire ce que je pense de son discours. Surtout un discours dans la sphère du cinéma alors que j’écris régulièrement des articles qui ont trait au cinéma. Donc, je ne peux pas faire comme si j’étais absent ou ignorant de l’événement maintenant que j’ai vu et pris connaissance de la vidéo et du contenu du discours d’Aïssa Maïga.

 

« Discours racialiste » et «  embarrassant » : j’ai lu ça à propos du discours d’Aïssa Maïga aux Césars. Je m’en suis tenu à ces deux mots. Je n’ai pas envie de m’amarrer indéfiniment à ce sujet.

 

Tout d’abord, j’aimerais que les personnes qui voient comme principaux défauts au discours d’Aïssa Maïga le fait d’être un « discours racialiste » et «  embarrassant » prennent, un jour,  la parole à visage découvert comme l’a fait Aïssa Maïga et dans les conditions dans lesquelles elle a pris cette parole.

 

C’est à dire en prenant le risque que cette prise de parole se retourne contre eux personnellement et professionnellement. Car je rappelle qu’elle est seule sur scène lorsqu’elle se lance dans ce discours. Seule face à plein de caméras et une salle pleine de regards tournés vers elle. Plus de mille personnes comme elle le dit à un moment donné. Donc, déjà, il faut s’imaginer pouvoir s’avancer en pleine lumière, face à plein de gens et plein de caméras qui vont disséquer et diffuser ensuite vos dires et vos gestes ainsi que votre anatomie, sous toutes les coutures.

 

Alors, on dira : C’est une comédienne. Elle est rôdée à ça. Oui. Mais une comédienne, ça a aussi le trac. Et, en outre, cette fois-ci, la comédienne vient pour dire un texte personnel avec sa propre voix. Il n y a pas de maquillage. Il n y a pas de possibilité de faire de nouvelles prises si ce qu’elle dit et donne à ce moment là est raté. Il n y aura pas d’entracte ou de page de pub si elle se loupe.

Et, en plus, cette « comédienne » qui est aussi une personne, vient pour aborder des sujets polémiques.

 

Donc, on peut dire qu’elle entre dans l’arène ou dans la fosse. Les personnes face à elle qui sont embarrassées que ce soit dans la salle ou devant leur écran prennent beaucoup moins de risques qu’elle. Puisque c’est elle qui met sur la table le sujet qui fâche. Le sujet ou les sujets qui sont tus généralement depuis des années. Il y a eu l’affaire Polanski lors de la soirée avant ou après son intervention. Et d’autres affaires proches. Aïssa Maïga arrive avec d’autres sujets sociétaux. Il est évident que pour bien se faire voir, en tant que comédien ou comédienne, à la cérémonie des Césars ou lors d’un casting, mieux vaut être sympathique,  charmant, élégant, drôle et plein de gratitude. Ça passe et ça passera souvent mieux. L’une des grandes aptitudes de bien des comédiennes et comédiens consiste à savoir séduire et à plaire à la bonne personne au bon moment. Ça peut transformer une carrière.  Aïssa Maïga, avec son discours, fait tout le contraire. On pourrait presque se demander si elle va bien. Ou si elle est suicidaire d’un point de vue professionnel et personnel alors qu’elle se jette dans son discours.

 

« Racialiste », le discours d’Aïssa Maïga ? C’est vrai.

 

Mais avant qu’Aïssa Maïga, prononce ce discours « racialiste », il faudrait peut-être déjà se rappeler qu’elle l’a subi pendant des années ce discours mais aussi cette attitude racialiste. Et les personnes qui ont du mal à digérer son discours aux Césars, où étaient-elles à ce moment-là ? Aux Césars ?

 

En plein tournage ?

 

 

Avant de voir et de vouloir poser Aïssa Maïga sur le trône de la femme raciste ( car c’est de ça qu’on parle en disant que son discours a été « racialiste » et «  embarrassant »), il faut déjà voir qu’elle, comme tant d’autres dans la société française, et qu’elle « cite », ont été victimes, sont victimes et seront victimes d’un certain racisme inhérent au cinéma français mais aussi…à la société française.

 

Il faudra aussi se rappeler que contrairement à un ancien président de la République comme Nicolas Sarkozy avec son discours de Dakar ou à Feu « Chichi » avec son « Le bruit et l’odeur » -qui sont des monuments de propos et de discours racialistes- , une Aïssa Maïga ne bénéficie pas d’une immunité présidentielle ou diplomatique ou médiatique lorsqu’elle s’exprime aux Césars.

 

 

« Embarrassant », son discours ? Bien-sûr qu’il est embarrassant.

 

Aïssa Maïga rappelle à celles et ceux qui l’oublient ou qui l’ignorent que si le cinéma est une industrie de divertissement, elle est aussi, en passant, un puissant moyen de propagande et aussi une usine à modèles. Des modèles auxquels on s’identifie. Ce qui nous donne envie d’aller au cinéma, c’est de pouvoir nous reconnaître dans les personnages et les situations que nous voyons au cinéma, comme dans les chansons des interprètes que nous écoutons ou des livres des auteurs que nous lisons. Et, il est très étonnant que l’on puisse accepter en France le caractère universel d’une œuvre lorsqu’elle est interprétée à l’écran par des acteurs majoritairement blancs mais, par contre que cette universalité soit si difficile à intégrer si dans l’histoire que l’on voit à l’écran, il y a plus d’acteurs arabes, asiatiques, noirs, handicapés, homos ou trans. Comme s’il y avait des sous-catégories de femmes, d’hommes, d’espèces ou d’organes pour susciter de l’émotion ou une identification chez les spectateurs. Et les « autres », l’élite des femmes et des hommes -qui serait supposément toujours ou souvent blanche- afin que les spectateurs comprennent mieux une histoire et s’identifient mieux aux enjeux et aux thèmes de cette histoire.

 

C’est ce qu’Aïssa Maïga dit selon moi dans son discours. Et, elle le dit de manière frontale et intelligible :

 

Il est impossible en l’écoutant de se dire que l’on n’a pas compris ce qu’elle a voulu dire à très peu de passages près. Cette « frontalité » ou cette franchise  a sûrement sincèrement agressé certaines personnes pourtant bien intentionnées en matière de diversité. Et c’est là où j’en arrive à cette question :

 

Aïssa Maïga avait-elle le choix ? Pouvait-elle s’exprimer avec plus d’humour, plus de douceur et plus de gentillesse ?

 

D’abord, je tiens à rappeler qu’Aïssa Maïga parle. Si elle persifle par moments voire peut se montrer insolente, elle ne fait pas exploser de bombe. Elle ne séquestre personne qu’elle aurait décidé de torturer seulement lors des nuits de pleine lune. Elle n’a cassé aucun meuble. Elle arrive les mains vides sans seringue contenant le coronavirus covid 19 ou covid 2628 541 880. Et elle s’adresse à des adultes, à des personnes responsables ainsi qu’à des décideuses et des décideurs valides. Elle ne s’adresse donc pas à des personnes faibles ou diminuées, respirant difficilement ou se déplaçant au moyen de déambulateurs ou de défibrillateurs. Contrairement à certains producteurs, réalisateurs, directeurs de casting, chefs d’entreprise (hommes ou femmes) qui ont abusé de leur pouvoir pour faire céder certaines personnes en état de vulnérabilité. Donc, je crois que cela limite beaucoup quand même les éventuels « dégâts » moraux ou psychologiques de ses propos.

 

Ensuite, ces personnes adultes auxquelles Aïsa Maïga s’adresse sont supposées être déjà plus qu’au courant  de ce qu’elle dénonce. Puisque cela dure depuis des « décennies ». Pas uniquement lors de la cérémonie des Césars. Parlez-en avec un Saïd Taghmaoui ou voire peut-être avec un Hubert Koundé, les autres « héros » du fim La Haine de Kassovitz dont on a beaucoup parlé lors de la sortie du film Les Misérables de Ladj Ly, sorti l’année dernière, primé au festival de Cannes ainsi qu’à ces derniers Césars si je ne me trompe.

 

Le film La Haine, prenons-le donc comme exemple, date, je crois, de 1995. Au lieu de se dépêcher de faire des reproches à Aïssa Maïga pour son discours aux Césars, il faudrait se demander ce qui l’oblige, en tant que professionnelle et en tant que personne, à prendre de tels risques en faisant un tel discours en 2020, soit 25 ans après le film La Haine.

 

Rappelons que La Haine qui avait été primé à l’époque au moins à Cannes, n’est pas un film comique alors qu’il décrit une certaine partie de la société française. Ce qui signifie quand même un peu, que sur certains points, depuis le film La Haine, la société française a plutôt régressé. Certaines personnes ont la possibilité et la faculté de l’ignorer parce qu’elles peuvent se permettre d’être dans le déni ou tout simplement parce qu’hormis quelques minutes de prise de conscience, en regardant un film par exemple, elles ignorent régulièrement qu’existe une certaine France ou d’autres France à côté de celle dans laquelle elles évoluent régulièrement.

 

Aïssa Maïga n’avait donc pas d’autre choix que d’essayer de secouer le cocotier avec un discours comme le sien pour tenter de sortir un peu de leurs facilités de pensée et de leurs habitudes certaines décideuses et certains décideurs. Ainsi que d’autres personnes.

 

Aïssa Maïga est aussi une femme. Ce détail là a aussi son importance. Dans son discours, je vois aussi une femme qui s’exprime là où la société française préfère sans doute encore des femmes qui se taisent. Lorsque l’on regarde par exemple Pénélope Fillon, la femme de l’ancien premier Ministre François Fillon et ex-futur potentiel Président de la République, actuellement jugé, on est assez loin de se dire que l’on est là face à une femme de décision. Même si, évidemment, les apparences peuvent être trompeuses et l’attitude de Pénélope Fillon devant la caméra peut aussi résulter d’une stratégie.  

 

Aïssa Maïga ressemble néanmoins davantage à ces femmes qui ont décidé de prendre la parole et non de se contenter de réciter- avec les éléments de langage qui leur ont été attribués- ce qu’elle est censée dire ou penser. Comme ont pu s’exprimer des femmes qui ont été victimes de viol, d’attouchement ou de harcèlement dans le milieu du cinéma ou dans la société, dans le sport de haut niveau par exemple.

 

Mais en Aïssa Maïga,  je vois aussi une femme qui s’exprime dans la mouvance des femen. Donc, avant de vouloir lui coller l’étiquette d’une « femme noire » qui se serait prise pour une Angela Davis ou une Toni Morrisson ( même si ces deux femmes peuvent aussi faire partie de ses modèles) il faut déjà la voir comme une femme qui est complètement raccord avec son époque. L’époque d’une Virginie despentes. D’une Béatrice Dalle. D’une Brigitte Fontaine. D’une Casey. D’une Angèle. D’une Aya Nakamura. D’une Nicole Ferroni. D’une Blanche Gardin. D’une Shirley Souagnon et d’autres….

 

Une époque où des femmes expriment assez radicalement leur point de vue et aspirent à cesser d’être souvent victimes du bon vouloir des hommes car elles n’ont pas d’autre choix : c’est soit se montrer radicale ou être victime.

Une époque où le droit à l’IVG est de plus en plus menacé. Entendre ça remue peut-être assez peu certains hommes en 2020 mais sans doute que bien des femmes sont horrifiées devant cette menace qui concerne le droit à l’IVG.

 

 

Ai-je à peu près dit concernant le discours d’Aïssa Maïga ?  Pour toute la partie où je suis d’accord avec son discours, je crois.

 

Puis, viennent mes réserves. Evidemment, ce qui donnera pleinement raison ou non à Aïssa Maïga, quelles que soient mes réserves, ce sera l’avenir. Pour elle. Mais aussi pour les autres.

 

« Racialiser » son discours était selon moi inévitable :

 

Car cela permet d’appeler un chat, un chat. D’éviter les «  Je ne savais pas » ; «  Je n’étais pas au courant » ; « Ah, bon, ça se passe comme ça en France avec les minorités ? ». «  Mais dans quel monde vit-on ? En France ? ».

 

On peut même se dire que parmi celles et ceux qui reprochent à son discours d’être « racialisé », se trouvent sans doute quelques personnes de mauvaise foi qui, ni vues, ni connues, aimeraient bien continuer (vont continuer) de perpétuer leurs pratiques.

 

Or, le discours d’Aïssa Maïga intervient comme un gros coup de projecteur inattendu qui viendrait déranger leur « trafic ». Et on peut voir dans ce « trafic » une sorte de « trafic d’influence » puisque le cinéma et aussi le théâtre, comme bien des arts médiatisés en général, génèrent une influence ainsi que des modèles pour les autres :

Acteurs, créateurs, producteurs comme spectateurs.

 

Et le discours d’Aïssa Maïga est bien équivalent à celui d’un sportif de haut niveau qui déciderait de dire que dans le milieu sportif où il évolue, beaucoup de sportifs se dopent. Et que pratiquement tout le monde dans le milieu le sait. Donc, évidemment, ça passe mal auprès de certaines personnes,  sportifs de haut niveau ou dans les instances dirigeantes, qui ont intérêt, pour des raisons économiques et personnelles, à ce que le système reste comme il est.

 

C’est pour cette raison qu’Aïssa Maïga a pris de gros risques avec ce discours. On peut s’attendre à ce que quelques peaux de bananes soient jetées sur son parcours personnel et professionnel désormais. Et ce sera fait hors caméra. Et il se peut qu’elle soit seule pour encaisser ces peaux de bananes malgré la « sympathie » et le « soutien » qui lui seront témoignés. Bien-sûr, je choisis sciemment d’employer le terme « peaux de bananes » pour dire que certaines personnes voudront certainement la peau d’Aïssa Maïga après ce discours :

 

Parce qu’elle n’est pas restée à sa place de femme soumise voire de femme noire soumise ou d’actrice soumise. On choisira les termes que l’on préfère selon ce que l’on pensera.

 

Il est possible qu’avant même ce discours aux Césars, Aïssa Maïga ait déjà eu à faire avec un certain nombre de peaux de bananes sur son parcours. Elle en parle avec d’autres actrices dans son livre Noire N’Est Pas Mon Métier  que j’ai lu et sur lequel j’ai écrit un article. Je ne serais pas surpris d’apprendre que peu de personnes, parmi toutes les personnes présentes lors de la cérémonie des Césars, ont lu ce livre. Ce qui, à nouveau, démontre que la radicalité du discours d’Aïssa Maïga était nécessaire et inévitable. Dans Noire n’est pas mon métier, fait de témoignages de plusieurs actrices noires, Aïssa Maïga, lors de son témoignage raconte par exemple avoir été retirée de l’affiche d’un film dont elle avait le premier rôle avec un acteur blanc. L’acteur blanc, lui, est resté sur l’affiche pour annoncer la sortie du film aux spectateurs. Ce coup de sécateur dans l’image, que j’ignorais jusqu’à ce que je lise ce livre de témoignages, me semble un exemple de racialisation bien plus grave que son discours. Et en écrivant ça, je donne un nouvel argument en faveur de son discours aux Césars.

 

Cependant, il y a un « Mais ». La radicalité, ça peut heurter aussi des personnes bien intentionnées. Personnellement, je sais avoir encore un peu honte lorsque je repense à ces moments où j’ai pu, dans mes propos, me montrer à peu près aussi radical qu’une Aïssa Maïga lors de cette cérémonie des Césars, devant certains de mes amis…blancs qui, en toute bonne foi, m’acceptaient et m’acceptent en tant que personne. Et sans préjugé.

 

Avec ces deux amis auxquels je pense en particulier ( une femme et un homme qui ne se connaissent pas), je crois avoir eu la chance d’avoir connu beaucoup plus de moments agréables que de moments de tension raciale. Mais peut-être, et sans doute, qu’il se trouve d’autres personnes, dans ma vie quotidienne ou, qui, en lisant certains de mes articles, se sont senti injustement agressés et visés chaque fois que je parle de « Blancs » et de «  Noirs ».  

 

Lors de cette soirée des Césars, il est vraisemblable que parmi ces plus de 1500 personnes qui l’ont écoutée et regardée, qu’ Aïssa Maïga, de par son discours, ait heurté  des personnes et des professionnels sincèrement ouverts à la diversité. Je me rappelle encore pour ma part des propos de cet ami aujourd’hui décédé mais qui était resté mon ami :

 

« Je n’ai pas aimé du tout être racisé ! ». 

 

Certaines personnes diront que pour bien comprendre ce que certaines minorités vivent comme injustice, qu’il est sans doute « bon » et « nécessaire » que les tenants de la majorité fassent aussi l’expérience, quelques fois et provisoirement, d’être racisés ou ostracisés. Ce genre de raisonnement me laisse perplexe : car si l’on réclame une certaine justice et une certaine équité pour soi-même, je crois qu’il faut aussi la souhaiter pour autrui. Avec son discours radical, Aïssa Maïga a sans doute été injuste envers certaines personnes même si j’écris que sa radicalité était inévitable et nécessaire.

 

Et, d’une autre façon, commencer son discours en disant « nous » ou « on », fait d’elle une porte-parole. J’espère donc qu’avant son discours dont elle avait peut-être prévenu certaines personnes, qu’il y a bien plusieurs personnes qui ont approuvé son discours au préalable voire qui l’ont aidée à l’écrire. Autrement, dire « nous » ou « on » si elle a parlé uniquement en son nom pourrait se retourner contre elle. Mais il est vraisemblable après son livre Noire n’est pas mon métier qu’elle ait été soutenue par plusieurs personnes pour son discours même si elle est seule sur scène.  Et qu’elle surprend visiblement certaines personnes dans la salle avec son discours. Ce qui m’amène à mon autre réserve :

 

A voir la réaction de Ladj Ly et de Vincent Cassel lorsqu’elle les nomme, les deux hommes ont une attitude assez différente. Ladj Ly acquiesce en opinant de la tête. Vincent Cassel est surpris et ne comprend pas ce qu’Aïssa Maïga sous-entend. Le sous-entendu dans la direction de Vincent Cassel est plus difficile à recevoir pour celui-ci je trouve même s’il s’en est sûrement remis très vite. Mais ce qui me dérange avec ces deux « interpellations », de Ladj Ly et de Vincent Cassel, c’est qu’elle les contraint à quelque sorte à se mettre dans la lumière.  Elle les a «  outé » comme on dit. Alors qu’ils n’ont rien demandé. Je crois qu’il aurait mieux valu laissé à l’un et l’autre le choix de s’exprimer par eux-mêmes sur les sujets qu’Aïssa Maïga aborde. Alors que là, elle les confronte un peu à cette violence qu’elle dénonce. Pourtant, de mon point de vue, l’un comme l’autre sont plutôt favorables à une certaine diversité dans le cinéma français. Bien-sûr, en reparlant de La Haine, on sait que du trio Cassel-Taghmaoui-Koundé (il y avait aussi Yvan Attal entre-autres dans un rôle secondaire) seul Cassel a ensuite eu une carrière honorable en France. Taghmaoui a dû s’exiler. Mais Vincent Cassel ne fait pas figure pour moi d’arriviste dans le cinéma français.

 

Mon autre réserve va sembler paradoxale et elle l’est sûrement :

 

Etre radical et critique, oui. Mais se faire enfermer ou s’enfermer dans cette case est un piège. D’un côté, on finit par tourner en boucle et à devenir aveugle et sourd même lorsque « les choses avancent». Lors d’une interview effectuée Place D’Italie, il y a quelques années, un acteur d’origine arabe particulièrement reconnu aujourd’hui, m’avait à peu près répondu simplement :

« Je crois que ça change quand même…. ». Bien avant cette interview, sa carrière d’acteur et de comédien donnait déja raison à ses propos d’alors. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui au vu de sa carrière.  

On pourrait bien-sûr dire, comme j’en suis arrivé à  le penser depuis peu, qu’un Arabe, ça passe visiblement  un peu mieux à l’écran qu’un Noir. Au moins en France. Puisque dans une fiction, on peut faire “passer” un Arabe pour un Italien ou un Chilien ou voire pour un Juif. Alors qu’un Noir, c’est irréductible,  ça ressemble toujours à un Noir. ça semble rester une couleur diabolique dans le cinéma français. Un peu comme si à chaque fois on envoyait un pavé dans une vitrine ou que le Mal allait se répandre instantanément à l’état brut dans l’âme de celle ou de celui qui le regarde. Mais si c’est le cas, il faut que les films d’horreur français, quand il y en a, exploitent ce filon fictif ! ça changera de Fillon et de ses emplois fictifs.

 

D’un autre côté, le piège de la radicalité, pour Aïssa Maïga, c’est peut-être qu’elle se retrouve obligée de choisir, à un moment donné, entre sa carrière d’actrice ou de militante. Mais peut-être a-t’elle déjà choisi.

 

Ce sont mes principales réserves concernant le discours d’Aïssa Maïga aux Césars cette année. Autrement, je crois que son discours était nécessaire et que, plutôt que de se sentir embarrassé, elle devrait être remerciée. Lorsque l’on est adulte et responsable, on sait aussi remercier celle ou celui qui sait nous dire ce qui ne va pas. Et qui argumente. Cela est bien plus profitable que celles et ceux qui sont toutes en louanges et qui nous assurent que tout est pour le mieux alors que dans les arrières-cabines, ça coince.

 

Aïssa Maïga a fait ça sans crier. Sans cracher. Sans jeter des tessons de bouteille, des cocktails molotov ou des réfrigérateurs au visage. Sans monopoliser les plateaux de télés avec des discours de promotion en faveur de la  haine, de la suspicion et de la vengeance. Elle le dit vers la fin de son discours : ” Je suis optimiste”. Même s’il y a de l’ironie et du doute dans ses propos, au moins parle-t’elle d’optimisme. On n’y pense pas forcément en voyant cette vidéo où Aïssa Maïga fait en sorte que son assurance domine, mais j’imagine qu’elle a plutôt été lessivée- même fière- après ce discours que triomphante.

 

Aïssa Maïga a donc fait un cadeau au cinéma français mais aussi à la société française. Même si ce cadeau a sûrement pu être difficile à transporter jusqu’à chez soi.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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