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Marche jusqu’au viaduc

 

                                           Marche jusqu’au viaduc

Elles ont probablement pris le bus 361. On peut le trouver à la gare d’Argenteuil d’où il part. C’est à une dizaine de minutes, en marchant bien, depuis le lycée Cognac-Jay.

 

Si elles sont parties du lycée, elles ont peut-être même pris le bus depuis le centre-ville d’Argenteuil, avenue Gabriel Péri, pour aller jusqu’à la gare. Et puis, attendre et prendre le bus 361 ensuite jusqu’à l’arrêt Belvédère. Là où Argenteuil se rapproche de la ville d’Epinay sur Seine.

L’arrêt  » Belvédère » du bus 361 où Alisha est peut-être descendue avec sa camarade, le 8 mars.

 

 

En partant depuis la gare d’Argenteuil jusqu’à l’arrêt Belvédère, près du viaduc qui passe sous l’autoroute A15,  en bus, cela doit prendre une dizaine de minutes.

 

Ce trajet peut même se faire à pied. C’est ce que je viens de faire, ce matin, après avoir emmené ma fille à l’école. Même si le bus 361 a un arrêt près de chez nous.

 

Intérieur-Extérieur

 

Il y a quelques nuits, au travail, j’ai eu un moment de déprime, en sourdine, venu sans prévenir. C’est passé. Personne n’a rien vu. Ni au travail. Ni chez moi. Je suis comme beaucoup de monde : j’ai un extérieur. Et un intérieur. Entre les deux, je filtre. Je fais le tri entre ce que je choisis de montrer et d’exprimer selon le moment, selon l’interlocuteur que j’ai en face de moi, selon la situation, et, bien-sûr, selon la gravité que j’attribue à ce que je ressens ou pense.

 

Une histoire de confiance

 

Bien-sûr, il y a aussi une histoire de confiance. Certaines personnes se racontent facilement voire à n’importe qui par la voire orale. Je dirais que je sélectionne assez strictement celles et ceux à qui je me confie.  Mais, aussi, que je n’aime pas inquiéter mon entourage d’une manière générale. Des coups durs et des contrariétés, on peut en vivre à peu près tous les jours.

 

Apprendre à encaisser et à esquiver

 

Pour vivre, Il faut donc, aussi, apprendre à encaisser et à esquiver. Mais, aussi, à  alerter des personnes ad hoc, ou qui l’on peut, lorsque cela devient vraiment nécessaire.

 

S’il est certaines menaces et certains dangers que l’on ignore ou que l’on néglige, il est, aussi, trop de fausses urgences ou trop de fois où l’on va brasser beaucoup de forces pour presque rien. On me dira : mieux vaut prévenir que guérir. Bien-sûr. Mais ça peut-être utile, aussi, pour d’autres qui peuvent véritablement en avoir besoin, d’apprendre soi-même la différence entre une vraie urgence et ce qui l’est moins.

 

Le même père

 

A mon travail, donc, il y a quelques jours, personne n’a su, je crois, que j’ai eu un petit passage à vide. A la maison, non plus, pour les mêmes raisons. Ce matin, je suis resté le même père qui engueule sa fille avant de l’emmener à l’école parce qu’elle traînait. Alors que j’avais tout préparé avec elle une bonne vingtaine de minutes plus tôt pour éviter ce genre de situation. Lors du trajet vers l’école, après quelques minutes de marche, ma fille a mis sa main dans la mienne. Bien-sûr, je l’ai prise. Il arrivera un jour où nous ne nous donnerons plus la main, elle et moi. D’ici là, j’espère être parvenu à lui apprendre ce qu’est une vraie urgence, mais aussi à se défendre et à avoir confiance en elle.

 

Si Alisha, ce 8 mars 2021….

 

 

Si Alisha Khalid, ce 8 mars 2021, avait effectué le trajet jusqu’au viaduc en marchant, j’ai envie de croire que sa mort aurait pu être esquivée. 

Ce trajet jusqu’au viaduc où elle a été tabassée puis d’où elle a été jetée dans la Seine, je viens de le faire à pied à l’aller comme au retour. Bien-sûr, là-bas, personne ne m’attendait pour me faire la peau ou me foutre le feu.

 

A l’aller, comme j’avais du mal à situer où ça se trouvait, j’ai dû demander mon chemin à plusieurs personnes.

 

 

14 ans

 

En Mai, cela fera 14 ans que j’habite dans cette ville. Pourtant, je ne m’étais jamais rendu à cet endroit.

 

Il y a 14 ans, Alisha venait à peine de naître. Ses deux meurtriers avaient un an tout au plus. Cela nous rappelle qu’il s’en passe du temps, avant de devenir meurtrier. Dans mon premier article ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021), j’ai écrit que « trois » personnes avaient tué Alisha. Deux garçons et une fille. J’ai dû mal comprendre ou peut-être que c’est une information qui a au début circulé. 

J’ai décidé de laisser cette erreur dans cet article.

 

Deux visages

 

Cette erreur de « récit » ne change rien : Alisha est morte après s’être faite piégée. On peut aussi se dire que le garçon qui l’a frappé avait, comme nous tous (femmes ou hommes), au moins deux visages. Celui, le plus connu, du garçon tranquille et « sans histoire » ( qu’est-ce que ça veut dire, « être sans histoire » ? Nous avons tous une histoire). Et,  ce 8 mars 2021, celui de l’agresseur qui a attendu sa victime qui lui a été apportée en sacrifice sur un plateau. 

 

On peut bien-sûr avoir deux visages, un visage public et un visage plus intime ou plus secret, sans être pour autant un meurtrier ou un criminel.

 

Mais il se trouve que pour Alisha, le deuxième visage de ce  jeune garçon et de sa complice, a été celui, le 8 mars 2021, de deux meurtriers.

 

 

Erreur de récit et nombre d’agresseurs

 

 

Cette erreur de récit concernant le nombre d’agresseurs d’Alisha ne change rien :

 

Lorsque des événements subits nous arrivent, nous recomposons et interprétons partiellement, difficilement, et souvent avec des erreurs, les informations que nous recevons.

Parce qu’émotionnellement et intellectuellement, nous sommes limités et qu’il nous faut un temps plus ou moins long pour nous ajuster à l’événement. Pour bien et mieux comprendre. Lorsque nous sommes capables de bien reconstituer le puzzle :

Le trauma et la perte d’un être proche – ou non- peuvent nous empêcher de « comprendre » et de reconstituer le puzzle des événements.

 

 

Contributions à la réussite du/d’un crime :

 

Le 8 mars,  le trajet en bus- s’il a eu lieu– a contribué à la réussite du crime. Pour la rapidité du trajet. Car il aurait fallu environ trente minutes, à pied, pour aller jusqu’au viaduc depuis la gare d’Argenteuil. Et un peu plus depuis le lycée. Tout dépend bien-sûr de là où elles sont parties et de là où elles se sont rencontrées pour aller « ensemble » jusqu’au viaduc. 

 

En trente minutes, il faut pouvoir tenir son rôle afin d’endormir la vigilance de la future victime. La complice du jeune agresseur et co-meurtrier avait peut-être la capacité à faire bonne figure. Mais, en trente minutes, on peut, un peu plus facilement à un moment ou à un autre, instinctivement sentir que quelque chose « cloche » dans l’attitude de la personne qui nous accompagne.

 

A ce moment-là, ce qui permet, ou non, la suite du scénario jusqu’à la mort, c’est peut-être l’optimisme,l’incrédulité ou la naïveté de la victime. Mais, sûrement, d’abord, le sentiment de confiance que la victime ressentait vis-à-vis de celle qui l’accompagnait. Ce sentiment de confiance a suffisamment pris le dessus sur les éventuels doutes que la victime ( Alisha, ici) a pu avoir à un moment donné, lors du trajet.

Car elle « connaissait » celle qui l’accompagnait. Et, à ce que j’ai appris, les lieux où elles se sont rendues toutes les deux étaient pour elle des lieux familiers qui entretiennent aussi la confiance.

 

Le sentiment de confiance :

 

 

Je pourrais être le père ou l’éducateur de ces trois jeunes, d’Alisha, et des deux meurtriers. Je suis un homme plutôt en bonne santé et que l’on décrit plutôt comme une personne que, spontanément, on ne va pas aller provoquer ou menacer dans la rue. Mais je suis aussi un trouillard. J’ai aussi été un ado. Et, je sais qu’ado, on aime bien avoir ses coins à soi, avec des personnes de notre âge, à l’écart des adultes où l’on fait notre vie : on y a notre intimité avec des gens de notre âge ou à peu près. 

 

Je suis incapable de dire, si, ado, j’aurais pu me rendre là où Alisha et l’autre jeune fille se sont rendues ensemble ce 8 mars. Par contre, en m’y rendant tout à l’heure pour la première fois là, je me suis dit qu’il fallait vraiment se sentir en confiance pour y aller. Même en plein jour.

 

Il faut passer à droite pour rejoindre les berges de Seine. C’est par là que j’ai vu descendre un cycliste alors que j’arrivais.

 

 

 

 

Même si, avant de m’engager dans cet endroit, j’ai vu passer un cycliste qui semblait un habitué de ce trajet.

 

Vers les berges de Seine en descendant.

 

 

Ce que l’on voit derrière soi, quand on se retourne, quand on descend vers les berges de Seine.

 

 

 

 

On peut sûrement passer de très bons moments et avoir de bons souvenirs ici. Mais ça fait aussi un peu « coupe-gorge », non ? Et lorsque ces photos ont été prises, nous étions en plein jour ce mardi matin entre 9h et 9h30.

 

En sortant du petit tunnel.

 

 

Je n’ai pas compris tout de suite, en apercevant ce graf’ sur le viaduc qu’il concernait Alisha.

 

Là, non plus, je n’avais pas encore déchiffré le prénom d’Alisha. On peut me trouver Te-bê, mais il faut bien comprendre que je découvrais l’endroit dans des circonstances émotionnelles particulières. Le lieu est loin d’être paradisiaque et a plus eu tendance à mobiliser ma vigilance que mes facultés pour le décryptage et la méditation.

 

Les bouquets de fleurs m’ont aidé à voir.

 

 En bas du viaduc, devant les fleurs posées en mémoire d’Alisha, j’ai ensuite croisé un jogger, qui, en s’approchant, avec ses baskets de la marque Hoka, et en apercevant ces fleurs, a d’abord secoué la tête en signe de désapprobation puis s’est détendu pour me répondre :

 

La direction prise par le cycliste vers St-Denis. Le jogger a pris la direction inverse. Vers moi. Le viaduc est alors pratiquement derrière moi.

 

De là d’où il venait, le long de la Seine, on pouvait aller loin. Jusqu’à la ville de Saint-Denis ! Et, selon lui, le chemin dans cette direction était meilleur pour faire des footing. Puis, il est reparti sans peine.

 

Meurtres glaçants :

Ce matin, avant d’emmener ma fille à l’école, j’ai essayé de trouver de nouvelles informations. Car j’avais vraiment du mal à « voir » où pouvait bien se trouver ce viaduc !

 

Tout ce que j’ai pu trouver comme article remontait à dimanche. Le 14 mars. Il y a deux jours. J’ai compris que pour les média, l’essentiel avait été fait. Couvrir l’événement jusqu’à la marche blanche. Figer les informations. Puis, passer à d’autres sujets. Comme d’autres fois. Comme images ou photos du Viaduc, je trouvais toujours les mêmes. Mais rien pour m’indiquer précisément où cela se trouvait.

 

Du meurtre, on l’a décrit comme « glaçant ». Même le journaliste Harry Roselmack a employé ce terme. C’était il y a quelques jours. Oui, ce meurtre est « glaçant ». Parce qu’il a fini dans la Seine, dans la noyade et dans le sang.

 

Mais on parle beaucoup moins de tous ces meurtres, sans traces de sang,  sans scène de crime, bien mieux prémédités, où l’on licencie des personnes par centaines et par milliers pour assurer à des actionnaires et à des privilégiés leur marge de profit annuelle.

 

 

Cela n’a rien à voir avec le meurtre d’Alisha, vraiment ?!

 

Il s’agit pourtant de meurtres d’autant plus « glaçants » qu’ils sont routiniers et invisibles. Parlez-en aux proches de celles et ceux qui se font licencier. Ou aux personnes licenciées. Expliquez-leur que tout va bien pour elles et eux. Qu’ils n’ont pas été piégés. Que, personne, n’a endormi leur vigilance. Que, eux, au moins, ils sont vivants. Et qu’ils peuvent rebondir.

Pendant qu’on nous montre, et c’est normal, ce meurtre d’Alisha, on passe sous silence, tous ces meurtres de notre vie quotidienne, que nous subissons et acceptons en bons citoyens éduqués, civilisés, apeurés et désarmés.

 

Photo prise « derrière » le graf. Depuis là, où, vraisemblablement, Alisha a été frappée puis jetée dans la Seine. J’ai dû rester là deux à trois minutes. Pas plus. C’est de là que j’ai aperçu le « foyer » du SDF, sur la droite. Mais je ne l’ai pas vu. Le sentiment dominant que j’ai alors ressenti a été la peur. La peur du vide.

 

 

Rebondir

 

 Je ne supporte pas ce terme prémâché et formolé. » Rebondir »….telle une balle de tennis à Roland-Garros.

 

Mais, Alisha, c’est certain, n’a pas pu rebondir le 8 mars. Une fois sur place, tout à l’heure, là où sa vie s’est terminée, je me suis d’abord senti subitement seul ( avant de passer « derrière » le graf et le béton).  On ne réagit pas tous avec la même lucidité ni avec la même combattivité lorsque l’on se sent subitement seul. Quel que soit l’endroit, le moment ou les personnes avec lesquelles on se trouve.

 

Sur le papier, en théorie, ou lorsque l’on se sait entouré de personnes de confiance solides et fortes, on peut peut-être se reposer sur elles ou s’inspirer de leur exemple. Mais, lorsque c’est tout le contraire. Et que l’on est véritablement, et soudainement seul, face à soi-même. Et que toutes les apparences, tous les maquillages et tous les mensonges- les nôtres et ceux de nos agresseurs- qui nous préservent et nous dissimulent disparaissent d’un seul coup, comment fait-on ?

 

Il fallait vraiment se sentir en confiance, être un(e)  habitué(e) de l’endroit ou avoir des intentions pacifiques pour ne pas se sentir menacé sous cette autoroute.

 

J’ai vu ce qui était sans doute le « domicile » du SDF qui se trouve près de là où Alisha a été passée à tabac. J’ai vu, je crois, les traces de sang que le SDF a désignées quand il a témoigné. J’avais vu la vidéo de son témoignage sur le net.

 

Je ne l’ai pas rencontré. Mais j’ai vu ses paires de chaussures, l’aménagement de son lieu de vie. J’ai même vu sa paire de gants de boxes accrochée. J’aurais voulu discuter un peu avec lui. Savoir comment on fait pour continuer de vivre après « ça ». Mais aussi, le connaître un peu. Connaître sa vie. Ce qui l’a amené jusqu’à venir vivre ici. Cependant, je n’insisterai pas car je n’ai pas envie de l’enquiquiner ou de faire le voyeur. Et, c’est pour ces raisons que je ne montre pas de photos de son « foyer » ou des traces de sang supposées d’Alisha sur le sol.

 

Biographie brève des deux jeunes meurtriers :

 

 

A ce que j’ai compris un peu de la biographie des deux jeunes meurtriers, ceux-ci ont en commun de ne pas avoir connu leur père. Ou de l’avoir perdu. Alisha était tout le contraire : c’était, à entendre une partie du discours de sa mère, une adolescente heureuse dans une famille plutôt unie, avec un père, et une bonne élève. Elle était aussi jolie.

 

« Le » meurtrier, lui, n’a pas connu son père et avait beaucoup d’absentéisme scolaire. Même si, une fois à l’école, il semblait plutôt content et dans le coup d’un point de vue scolaire d’après le témoignage de sa mère. Ses absences scolaires semblaient principalement dues au fait qu’il jouait beaucoup aux jeux vidéos. Mais bien d’autres jeunes qui préfèrent passer leur temps devant des jeux vidéos, au lieu d’aller à l’école, ne deviennent pas des meurtriers.

 

« L’autre » meurtrière, j’ai oublié, si elle était bonne élève. Mais elle était aussi sans père. C’est aussi une jolie fille, apparemment, et celle qui est devenue la petite amie du « meurtrier ». Après qu’Alisha ait eu une histoire amoureuse « d’une semaine » avec lui.

 

D’après ce que j’ai « lu » ou « entendu » en glanant sur le net, j’en déduis que le tandem qui a tué Alisha était fusionnel.

 

 

Devant l’obstacle : préméditation et acharnement

 

 

A un moment donné, Alisha, pour eux, a sans doute pris l’apparence de celle qui pouvait devenir un obstacle à leur fusion. Un obstacle, ça s’évite, ou ça se détruit. Ou ça se jette dans la Seine ou dans le vide.

 

On parle de « préméditation ». On apprendra plus tard peut-être jusqu’à quel point. Pour l’instant, je crois que ce qui a été prémédité, c’est surtout l’embuscade, le passage à tabac ou le règlement de comptes. Ensuite, je veux bien croire que, pour se « débarrasser » du problème, ou sous l’effet de la colère, et parce-que l’endroit s’y « prêtait, qu’Alisha a « fini » dans la Seine. Dans un autre endroit, dans un parc, par exemple, loin d’un fleuve, Alisha ne serait peut-être pas morte de noyade. Mais peut-être d’une autre forme d’acharnement.

 

 

Une colère et une tristesse aveugles qui viennent de loin :

 

J’explique cet acharnement des deux jeunes par une colère et une tristesse – aveugles- qui viennent de loin. De plusieurs années. D’avant leur rencontre avec Alisha au lycée Cognac-Jay. Une colère et une tristesse invisibles, indicibles, qu’ils portaient en eux depuis leur histoire personnelle.

 

Une colère qu’ils ont « mutualisée » en fusionnant et, dont, la personne et le corps d’Alisha, sont devenus la cible. Je raisonne bien-sûr en « psy Babou »  ou en « psy de supermarché ».  Je n’ai pas de certitudes sur la façon dont ça s’est passé. Je compose avec ce que j’ai attrapé comme informations à droite, à gauche. Mais je sais que lorsque les mots échouent, les coups peuvent tuer.

 

 

Etre puissants :

Je crois, que, lorsqu’ils ont frappé, les deux jeunes meurtriers, ont estimé qu’ils leur fallait frapper fort et être « puissants » pour se guérir ou se libérer d’une offense ou d’une menace qui avait les traits d’Alisha.

 

Ensuite, après le déferlement ou la bouffée d’adrénaline, est arrivée la redescente sur terre et la prise de conscience. Le : «  J’ai fait une bêtise ». Sauf que ce n’était plus une bêtise d’un enfant de cinq ans qui a cassé la jolie tasse de maman ou de papa sous l’effet de la colère. Une tasse que l’on peut réparer, racheter ou oublier.

 

Non. C’était une personne, cette fois, qui avait pris ou bu la tasse. Après avoir été tabassée. C’était plus grave. Une bêtise de « grand » : de quelqu’un qui a grandi, qui a désormais plutôt une apparence et une force d’adulte mais qui, dans le fond, doit encore apprendre à devenir adulte et à se maitriser. A savoir faire la part des choses entre son intérieur et son extérieur. On a toute une vie pour apprendre ça. Sans prendre pour autant la vie des autres. C’est un travail difficile. Plein de personnes ne réussissent pas à réaliser ce travail. Et, on ne touche pas de salaire pour l’effectuer.

 

Une heure et quinze minutes :

 

 

Sous ce viaduc, après avoir pris des photos et filmé, après avoir fait « le tour », d’un seul coup, je ne savais plus quoi faire de mes mains. C’était le moment pour moi de partir. Je n’avais plus rien à faire là.

 

Un peu plus tôt, en arrivant et en m’approchant des bouquets de fleurs, comme je l’ai écrit, je me suis senti seul. Et, j’ai entendu un peu un titre de John Lee Hooker où celui-ci confirme à quelqu’un qu’il est seul. Peut-être ce titre où il chante Oh, Come back, Baby, Let’s Talk it Over… One More Time.

 

On trouvera peut-être que j’en ai trop fait avec ce « fait divers » ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021Harcèlement et réseaux sociaux : la démocratisation et la sophistication des guillotines). Qu’il m’obsède par rapport à ma fille  ou que je suis excessif. Ou, limite timbré et paranoïaque. Mais, ce n’est pas grave. En tout et pour tout, cela m’a pris 1h15 pour faire l’aller et retour à pied jusqu’à cet endroit.

 

Je ne vois pas en quoi donner 1h15 de mon temps pour cette marche m’a privé de quoique ce soit. Je ne vois pas pourquoi passer 1H15 dans les rayons d’un supermarché ou pour regarder un énième dvd ou pour zoner sur internet à la place aurait eu plus de valeur.   

 

Je suis désolé si je donne l’impression d’être morbide :

 

Mais si l’agonie d’Alisha jusqu’à sa mort a sûrement été longue, son passage à tabac puis son rejet dans la Seine a sûrement pris beaucoup moins de temps qu’une heure et quinze minutes.

 

 

 

En m’éloignant du viaduc

En commençant à m’éloigner du viaduc, ce qui devait arriver est arrivé :

 

Je me suis mis à pleurer.

 

 

Mais je n’étais pas détruit. J’ai pensé au navigateur Jean Le Cam lors du dernier Vendée Globe. Lorsqu’il avait compris, vers la fin de la course que son navire, endommagé, aurait pu couler et, lui, mourir avec. Une fois arrivé sain et sauf, à terre, il avait expliqué sur le plateau télé que l’être humain était « bien fait ». Car, pleurer lui avait d’abord fait du bien. Ensuite, il s’était repris.

 

Je me suis rapidement arrêté de pleurer en m’éloignant du viaduc.

 

Alors que je marchais dans la rue d’Epinay pour rentrer, la colère que j’ai ressentie, il m’a semblé que rien ne pourrait l’arrêter. Lorsque je suis comme ça, personne, jamais, à ce jour, n’est venu m’enquiquiner.

 

Une fois, chez moi, j’ai jeté mon masque anti-Covid, j’ai changé de chaussures et je me suis mis à écrire.

 

Depuis, j’essaie aussi d’écouter  un album d’Agnès Obel en me disant que cela ne peut que me faire du bien. 

 

Franck Unimon, ce mardi 16 mars 2021.

 

 

 

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Harcèlement et réseaux sociaux : la démocratisation et la sophistication des guillotines

Avenue Gabriel Péri, à Argenteuil, ce dimanche 14 mars 2021. L’Avenue Gabriel Péri est un des moyens d’accès et de sortie de la ville d’Argenteuil en prenant le pont d’Argenteuil, au bout, qui surplombe la Seine. C’est aussi une avenue qui traverse le centre-ville et qui mène, au bout ( derrière nous) vers la mairie actuelle d’Argenteuil. A gauche, sur la photo, on peut lire  » Alisha. Non, au harcèlement ». Sur la droite de la photo, la fresque que l’on voit orne un des bâtiments du conservatoire départemental d’Argenteuil. Ordinairement, l’Avenue Gabriel Péri est évidemment très passante d’autant que le dimanche est un jour de marché, le marché d’Héloïse, « derrière » le conservatoire. Enfin, en face de nous, au loin, on peut apercevoir sur le pont d’Argenteuil, le barrage policier réalisé pour la circonstance de la marche blanche d’Alisha. Rappelons qu’Argenteuil compte plus de 100 000 habitants.

 

 

 

 

Harcèlement et réseaux sociaux : la démocratisation et la sophistication des guillotines

 

 

« Harcèlement » était l’un des chaînons manquants dans mon article ( Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021). C’est en décidant finalement de me rendre hier à la marche blanche (ce dimanche 14 mars 2021)  que je l’ai « découvert ». Arrivé un peu après 14h, je suis reparti vers 14h40 avant le discours de la mère d’Alisha que j’ai partiellement entendu tout à l’heure.

 

Dans la ville d’Argenteuil, dont l’entrée par le pont vers l’avenue Gabriel Péri et quelques rues près du lycée étaient bouclées, le mot «  harcèlement » était affiché sur quelques murs. Mais aussi sur quelques tee-shirts comportant une photo d’Alisha. On pouvait aussi lire, inspiré de la phrase reprise après les attentats « de » Charlie Hebdo, ce qui suit :

 

« Je suis Alisha ».

 

Devant le lycée Cognac-Jay, ce dimanche 14 mars 2021. L’avenue Gabriel-Péri, qui traverse le centre-ville et mène à la mairie, passe derrière le lycée.

 

 

Des personnes des deux sexes, masculin et féminin, portaient ce tee-shirt. Il faut le souligner et l’encadrer dans une ville, ou, comme ailleurs, certains apparats religieux entendent marquer les frontières, les corps – et les esprits- entre les hommes et les femmes.

 

Il y avait foule hier devant le lycée Cognac-Jay  pour Alisha et ses parents. La foule était masculine et féminine. Adolescente et adulte. Il y avait même des enfants et quelques voisins qui regardaient depuis leur fenêtre ou leur balcon l’attroupement en « bas de chez eux ».

 

 

Dans la rue, j’ai entendu le chiffre de « 2000 personnes » concernant la foule. Il y avait des journalistes, des caméramen et aussi plein de smartphones qui prenaient des photos ou filmaient. Je n’ai pas aperçu de drones. Mais, peut-être étaient-ils cachés ?

 

Devant le lycée Cognac-Jay, toujours à Argenteuil, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

C’est une des curiosités de notre époque et aussi de notre espèce humaine que d’avoir la capacité de filmer et de prendre des photos de notre espace, comme à peu près de tout ce que l’on veut quand on le veut avec précision. Sans pour autant toujours nous sentir obligés de faire attention à celles et ceux que l’on filme.

 

Si une image peut aider à faire rêver, à libérer et à éduquer, il arrive aussi qu’elle opprime. Tout dépend du projet et de l’intention de celle ou de celui qui s’en sert et du public et de l’époque auxquels elle ou il s’adresse.

 

Au cinéma, il y a déja eu des débats concernant la responsabilité morale de celle ou de celui qui filme. Comme de ce que l’on a le droit de montrer. Quand et à qui.

Dans le monde de la photographie, aussi, cette question existe. En littérature, aussi. Chaque fois que l’on témoigne ou que l’on va rendre public une histoire ou une image sur un sujet sensible ou considéré comme sensible.

 

Il y a celles et ceux qui estiment que l’on peut pratiquement tout dire et tout montrer. Ou que seule «  la fin justifie les moyens ». Tant qu’une image peut faire vendre et donner de la renommée à son autrice ou à son auteur. D’autres qui sont là pour secouer les esprits. Ou pour les enterrer.

 

On pourrait reparler des caricatures puisque je fais le parallèle avec le journal Charlie Hebdo dans cet article. Sauf qu’une caricature, malgré ses défauts, ne lapide pas, ne jette personne au dessus d’un pont ou sous un train. Elle ne fait sauter aucun immeuble ni aucun squelette. Une caricature ne poursuit pas une personne nuit et jour jusqu’à chez elle. Elle ne commet pas non plus d’attentat suicide.

 

 

Notre caricature

 

 

Chaque fois que nous les employons, les réseaux sociaux peuvent devenir une caricature de certains de nos travers.

 

Ils ont aussi du bon. Ils permettent de rester en contact, de rencontrer ou de retrouver des personnes qui comptent. Ils sont le pivot ou la lance de rampement de certaines carrières artistiques et professionnelles.

 

Mais les réseaux sociaux peuvent aussi être le lance-flammes qui, à l’image du chien de combat, peut causer énormément de torts si son propriétaire ou son usager le jette sur une proie ou une cible qui ne peut faire le poids. Et qu’il ne lâche pas.

 

Ils peuvent aussi devenir la béquille sans laquelle nous nous effondrons si nous leur donnons toute notre vie.  

 

Si l’on parle de « harcèlement », alors il faut parler de « l’emprise ». Car les deux vont ensemble. Sauf que des situations « d’emprise », nous en connaissons tous. Certaines sont volontaires, d’autres moins. Certaines plus nocives que d’autres. Etre sous l’emprise de l’alcool ou de la peur n’a pas les mêmes effets que d’être sous l’emprise de la lecture.

 

Près de l’avenue Gabriel Péri, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

Edward Snowden, dans son livre Mémoires vives ( 2019) rappelle cette époque où, adolescent, il a découvert un internet permettant de « converser » avec n’importe qui à l’autre bout du monde partageant le même centre d’intérêt. Cet internet-là,  a été une école alternative ou parallèle et l’est peut-être resté pour certaines et certains. Sauf qu’à cette époque, internet « se méritait » en quelque sorte explique Snowden :

 

Il fallait avoir de sérieuses compétences informatiques pour parvenir à se connecter sur le net. C’était peut-être cette époque, avant l’essor de la téléphonie mobile, où les téléphones fixes à fil à domicile étaient La règle. Et où, chaque fois que l’on tentait de joindre une internaute ou un internaute à son domicile, cela était impossible si celle-ci ou celui-ci était « connecté(e). Car la ligne téléphonique restait alors systématiquement occupée. Aujourd’hui, il est banal de pouvoir être joint sur son smartphone alors que l’on navigue sur le net.

 

Snowden relate aussi certains travers que lui-même a pu avoir, sous couvert de pseudo, adolescent, sur certains forums, où il avait pu se permettre certains propos déplacés. Et, parce qu’il n’a a priori tué personne à cette époque, il explique que l’anonymat des internautes peut aussi permettre de donner une chance à certaines et certains de changer et de se racheter une conduite au lieu d’être fichés pour des conneries qu’ils ont pu faire « plus jeunes ».

 

Il est probable qu’un certain nombre des internautes, qui, aujourd’hui (ou hier) enfants, pré-adolescents ou adolescents ou même adultes se permettent d’écrire et de tenir des propos qu’ils regretteront d’eux-mêmes par la suite. Ne serait-ce, par exemple, que sur Youtube même si ce n’est pas un réseau social en tant que tel. Mais où le fait de visionner une simple vidéo et d’en « parler » suffit pour- très rapidement- voir surgir ici ou là des propos « extraordinaires » d’agressivité et de jugements personnels et définitifs. La façon dont ça peut très vite « dégoupiller » entre deux internautes peut me faire rire. Mais ces dérapages fréquents donnent une idée de ce que la facilité d’accès à internet a amené comme « pollution » dans les échanges entre internautes.  Comme la démocratisation de l’escalade de l’Everest ou de l’Himalaya a pu, dans une moindre mesure, contribuer à polluer une région du monde qui, « auparavant », était pratiquement immaculée ou réservée à quelques uns qui étaient prêts à donner de leur personne pour atteindre un certain sommet.

 

C’est que depuis l’adolescence de Snowden ( E.Snowden est né en 1983), le net et le Web se sont « démocratisés ». Désormais, en quelques clics, n’importe qui, n’importe quand, peut activer une ou plusieurs guillotines à distance. Mais aussi les programmer en s’allouant la complicité spontanée d’autres personnes trop contentes de participer et de faire appliquer leur sens de la justice. Tout en verrouillant leur cible.

 

Devant le lycée Cognac-Jay, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

Alisha est morte de ça, je crois : de la démocratisation et de la sophistication des guillotines.

 

 

Franck Unimon, ce lundi 15 mars 2021.

 

 

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self-défense/ Arts Martiaux

Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021

 

Alisha, 14 ans, morte dans la Seine ce 8 mars 2021

Aujourd’hui, dimanche 14 mars 2021, à 14 heures, une marche partira du Lycée professionnel Cognac-Jay, où elle était scolarisée. La jeune Alisha, 14 ans, a été tuée par trois de ses camarades ce 8 mars 2021. Journée de la Femme.

 

Depuis des années, une femme meurt tous les trois jours en France sous les coups de son conjoint ou de son ex-conjoint. Ce chiffre est rappelé dans le podcast où la journaliste Léa Salamé interroge la colonelle de gendarmerie, Karine Lejeune. Un podcast réalisé pour France Inter ce 2 janvier 2021. Deux mois avant la mort d’Alisha et d’autres.

 

A 14 ans, on pourrait dire qu’Alisha n’était pas encore une femme. Mais, pour ce que j’ai lu des événements, c’est bien au moins dans un contexte passionnel, même si l’acte a été prémédité, qu’elle est morte. Trois personnes l’ont tuée. Une jeune de son âge qui l’a emmenée sur les lieux de l’embuscade. Et deux garçons qui « l’attendaient ». Dont son ex-petit ami, si j’ai bien compris.

 

Cela s’est passé à Argenteuil, ville où j’habite. Et je situe bien où se trouve le lycée Cognac-Jay. Pour tout « arranger », un de mes proches, adulte, a connu l’auteur principal de l’homicide. Donc, tout cela me touche d’autant plus personnellement.

 

Je ne pourrai pas rejoindre la marche pour Alisha tout à l’heure. J’ai travaillé cette nuit. Je reprends le travail cette nuit. Et, à 14 heures, je me reposerai. Provisoirement. Contrairement à Alisha dont le repos est définitif.

 

Par contre, je peux écrire. Pour elle, pour les autres. Et toujours pour moi.

 

Je tiens à le préciser tout de suite :

 

Je ne suis pas féministe. Je le précise parce-que, aujourd’hui, à moins d’être un intégriste d’une certaine religion, je trouve que c’est très facile de se dire « féministe ». Comme c’est très facile, aussi, de se dire « pour le mariage gay ». C’est à la mode. C’est comme, pour un homme,  aujourd’hui, porter une boucle d’oreille ou avoir le crâne rasé. C’est très facile, en France. En plus, ça permet de donner de soi une belle image : celle d’une personne cool, tolérante et « évoluée », bien de son temps.

C’est très important tout ça, de donner de soi, une belle image. D’être « branché ». d’être « dans le coup ». D’être un adepte et un pratiquant de la Nouvelle norme. Après…la Nouvelle Vague….

 

Je ne réagis donc pas en tant que « féministe » dans cet article. Mais en tant que personne. Car je suis une personne. Comme Alisha en était et en reste une.

 

Dans les quelques commentaires que j’ai pu lire et entendre à la télé à propos des conditions de sa mort, l’adjectif « glaçant » a été utilisé. Oui, la description du déroulement de son homicide est glaçante. Je n’arrive pas encore à bien cerner d’où, exactement, Alisha, a été balancée dans le vide. Mais si j’y parviens, je me suis dit que je m’y rendrais. En attendant, ce qui est « glaçant », pour moi, c’est d’imaginer ce moment où ses meurtriers ont décidé de la soulever du sol, après l’avoir tabassée, pour la faire passer par dessus le pont. Il en faut de la détermination pour cela. Et, qu’est-ce que cela a dû être effroyable comme passage de la vie à la mort pour Alisha.

 

C’est une sorte de frisson et de colère que je ressens. Frisson et colère pour cette impuissance intraitable qu’elle a dû ressentir face à cette mort vers laquelle cette ultime rencontre l’a conduite. Elle qui, apparemment, avait éconduit l’un des auteurs de sa mort. J’ai tendance à croire que l’effet de groupe a – encore- joué. Seul, ce jeune garçon, même en colère, n’aurait sans doute pas osé aller aussi loin. Une nouvelle fois, la détermination, la supériorité numérique, en plus de la supériorité physique et de l’effet de surprise l’a emporté sur la raison. On peut être plusieurs à penser la même chose- et à la réaliser- et à être plus que cons ! Plusieurs années après sa mort, d’un cancer, Desproges continue d’avoir raison.

 

 

Vers la fin du podcast où Léa Salamé interroge la colonelle Karine Lejeune, fille et petite fille de gendarme, il est aussi évoqué le travail colossal réalisé par celle-ci pour combattre les violences faites aux femmes. On doit à la colonelle Karine Lejeune, ainsi qu’à une autre personne (une autre femme), le premier recensement des violences faites aux femmes en France. Recensement qui date de 2006. Résultat d’un travail conséquent obtenu en sollicitant les services de police et de gendarmerie de France.

 

A écouter les deux femmes, ce chiffre d’une femme tuée tous les trois jours reste stable depuis qu’il a été trouvé en 2006. Il y a 15 ans. Est-ce désespérant ? La colonelle Lejeune explique que, malgré tout, non. Car, depuis, des campagnes de prévention répétées rappellent et rendent public tel numéro d’urgence. Mais, aussi, que les services de police et de gendarmerie sont disponibles. Entre-temps, petit à petit le personnel masculin- féminin ?- des forces de police et de gendarmerie commence à être sensibilisé au sujet. Même si c’est toute la société qui doit l’être est-il rappelé dans le podcast.

 

En effet, le thème du podcast « Des femmes puissantes » reste un sujet animé par une femme- la journaliste Léa Salamé- là où il faudrait que l’on trouve plus souvent des hommes. Ceci reste une constante aussi lorsque l’on parle d’ouvrages littéraires ou autres écrits par des femmes où il est question d’abus ou de violences faites aux femmes par des hommes. Dans le magazine Télérama, par exemple, c’est une journaliste qui a parlé de l’ouvrage de Camille Kouchner qui relate un inceste dans sa famille. Inceste subi par son frère ou son cousin, donc un garçon. Sauf que c’est, elle, Camille Kouchner, une femme, qui raconte le vif de l’histoire. Comme si le sujet ne concernait ou ne pouvait concerner….que des femmes, journalistes, témoins ou victimes.

 

Cependant, un autre point continue de m’inquiéter concernant les violences d’une façon générale :

 

Vers la toute fin du podcast, Léa Salamé nous informe que depuis dix ans, les violences envers les forces de police et de gendarmerie ont augmenté de « 80% ». On remarquera au passage- même si cela ne change rien- que les termes « forces de police et de gendarmerie » sont des termes…féminins.

Léa Salamé interroge la colonelle Karine Lejeune sur ce chiffre de « 80% ». A-t’elle une explication à ce sujet ? ( on aimerait tous que notre salaire, par exemple, ces dix dernières années, ait connu une telle augmentation, non ?). 

 

Un peu plus tôt, la colonelle avait condamné toute bavure émanant d’un représentant de la Loi, policier ou gendarme. Et, elle avait critiqué le fait que, trop souvent, le grand public amalgame le comportement de quelques policiers et de quelques gendarmes trop violents avec tout le corps de la gendarmerie et de la police. Par conséquent, la Colonelle Karine Lejeune est contre ce terme de « violences » ou de « bavures»  policières qu’elle trouve trop réducteur.

 

On peut la soupçonner un petit peu de démagogie ou de langue de bois dans un pays, où, lors de la remise de son César de meilleur Espoir masculin il y a quelques jours, Jean-Pascal Zadi, réalisateur et acteur dans son dernier film Tout simplement Noir) cite les affaires Adama Traoré et Michel Zecler dans son discours de remerciement. Pourtant, je crois encore, aussi, comme la Colonelle, que tout n’est pas noir dans la police comme dans la gendarmerie de France.

 

Ce qui m’a plus dérangé, par contre, c’est cette réponse de la colonelle Karine Lejeune, à propos de son explication de cette augmentation des faits de violence ( « 80% ») des citoyens envers les forces de police et de gendarmerie ces dix dernières années.

 

Aujourd’hui, la Colonelle Karine Lejeune incarne une certaine modernité dans la société française. C’est une femme hautement gradée au sein de la gendarmerie nationale, majoritairement composée d’hommes. Et, elle raconte une anecdote avantageuse pour elle à propos d’un de ses anciens supérieurs, le « général incongru », concernant certains propos sexistes au cours de sa carrière.

 

  La Colonelle est aussi une femme « moderne »  dans sa propre vie personnelle : mariée et plusieurs fois mère de famille, c’est son mari qui a pris un congé parental  et mis en suspens sa carrière professionnelle. Mais elle peut aussi être un peu coquette lorsqu’elle est en service, loin de cette image de la gendarme « hommasse » a priori.

 

 Pourtant, cette femme « moderne » a alors deux réponses à mon sens totalement archaïques ou stéréotypées. Bien-sûr, personne n’est parfait, même moderne, mais quand même, ça dénote :

 

D’abord, comme d’autres avant elle, Madame la Colonelle déplore le fait qu’aujourd’hui, l’uniforme de la police et de la gendarmerie ne fait plus peur. Je tiens à préciser que je respecte l’uniforme de la police et de la gendarmerie ainsi que les personnes qui le portent.

 

Mais, ce que je trouve plus grave, dans les propos de Mme la Colonelle, c’est qu’elle ne s’explique pas ou ne comprend pas cette montée des faits de violence envers les représentants des forces de l’ordre en France ces dix dernières années.

 

Les causes de ces faits de violence sont bien-sûr multiples. Et je ne vais pas me prétendre spécialiste du sujet. Par contre, en témoignant de son ignorance à ce point, Mme la Colonelle rappelle tristement  ce fait :

 

Même en devenant pionnière dans un domaine, à mesure, en France, que l’on incorpore  une certaine élite, on s’éloigne de plus en plus d’un nombre grandissant de citoyens qui ,lui,  cumule les échecs et les exclusions de toutes sortes tandis qu’une minorité- qui vit dans un écosystème apparemment protégé dont la journaliste Léa Salamé fait aussi partie- s’accapare la  majorité des réussites, des privilèges comme des prestiges.

Cette minorité vit dans un vase clos. Et, plus les années passent, plus les ambitions de cette minorité tendent à rendre ce vase clos de plus en plus étanche. Même si certains ou plusieurs membres de cette minorité peuvent ensuite publiquement, gratuitement – ou sincèrement- trouver « glaçant » le récit du décès de la jeune Alisha. 

 

Cette cécité ou ce manque de conscience de Mme la Colonelle m’inquiète particulièrement du fait de son grade et de ses capacités en principe supérieures d’analyse, de jugement mais aussi de décision. Or, si elle n’est qu’un des rouages décisionnels et exécutifs en France, elle en est néanmoins l’un des plus puissants.

 

 

On pensera peut-être que tout cela n’a rien à voir avec la mort de la jeune Alisha. Que je mélange des sujets et des genres très différents. Ou que je fais passer la mort de celle-ci au second plan.

 

Je ne crois pas.

 

Je suis très touché par la mort de la jeune Alisha. Mon article n’est pas rédigé ici pour faire « genre », pour faire « joli » ou pour faire « style ». Par ailleurs, malgré le temps que j’ai passé à le rédiger, comme pour la plupart de mes articles, je sais qu’il sera, pour l’instant du moins, assez peu lu. Car, je fais aussi partie de la majorité des anonymes obéissants et dépourvus de charisme. Et, je fais assez peu d’efforts en matière de communication pour avoir plus de « retentissement » médiatique.

 

J’approuve cette « féminisation » de la gendarmerie et d’autres corps de métiers.

 

Par contre, je ne crois pas que la féminisation, à des postes clés de la société, ou dans le monde, va suffire à elle-même pour tout résoudre- mécaniquement- en termes de violences et d’espérance.

 

Je tiens à rappeler ceci :

 

La norme, chez l’être humain, que l’on soit un homme ou une femme, c’est l’extrême.

 

Et, il faut beaucoup de travail, beaucoup de patience et de diplomatie, beaucoup d’optimisme,  beaucoup de conscience sur soi et aussi à propos de son environnement et des autres, pour ne pas se laisser guider ou fasciner par notre goût immédiat et spontané ou par notre appétence pour l’extrême.

 

La jeune Alisha est morte à cause de cette norme.

 

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 14 mars 2021.

 

 

 

 

 

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Pour les coquines et les coquins Pour les Poissons Rouges

Le défaut à la bouche

 

                                                 Le défaut à la bouche

 

Nous mourrons demain, c’est certain. Et, comme rien ne se meurt dans le bon pain, aujourd’hui, je suis parti assez loin piocher dans deux nouvelles boulangeries.

 

C’est mon beau-frère qui, un jour, a mis le doigt sur ma folie prélevée dans le pain. 

 

Pour du bon pain, moi qui en ai pourtant mangé de l’industriel pendant des années, je ferais des kilomètres. C’est comme avec le thé que j’avais pu boire longtemps au moyen de  sachets achetés en supermarché, aromatisés et très sucrés. Comme ces musiques aussi piquantes que ces moustiques que j’avais pu écouter en boucle. Ou tels ces films mal doublés en version française et ces émissions de mauvaise qualité qui avaient pu me fixer pendant des heures, m’insufflant leur testostérone histrionique, me laissant bouche bée,  la pensée desséchée et avec pour seule activité potentielle celle du chromosome préparant son naufrage.

 

Enfermé, mon monde s’ouvre par paliers.

 

Je trouve dans le pain, qu’il soit au levain ou non, une nouvelle forme de vie qui m’éloigne du gravier. Tout peut être prétexte pour en découvrir un nouveau et me faire l’atelier de sa découverte. Ce matin, après deux nuits de travail, c’était pour donner suite à un rendez-vous qu’on m’avait fixé à Nation.

 

Après ça, je suis parti à la recherche des deux inconnues. L’une, rue de la Chine, l’autre, avenue Gambetta. Le défaut à la bouche, viens,  que je te touche.

 

 

 

Il était plus de midi lorsque je me suis rapproché de la première, la boulangerie Pan Vivo. Trois auxiliaires fliquettes m’avaient devancé. Il ne restait plus beaucoup de pain. Une belle rangée, sur l’étage supérieur d’un chariot, était devancée du panneau «  réservé ». J’ai appris qu’il se préparait la fournée du lendemain.

 

Une des fliquettes a sursauté. Elle ne s’attendait pas à me trouver derrière elle. Elle ne m’avait pas entendu venir. Cela faisait une bonne minute que j’étais là. Qu’est-ce que cela aurait été si nous nous étions trouvés, seuls, elle et moi, dans une  partielle obscurité ?

 

Pour continuer de dédramatiser, je lui ai demandé quelle était la station de métro la plus proche. En regardant sur son smartphone, elle et ses collègues m’ont répondu qu’elles n’étaient pas du coin. Qu’elles étaient du 12 ème arrondissement. Elle est partie comme ça, captivée par son smartphone. Je croyais qu’elle se renseignait pour mon métro. Elle m’a quitté comme une miche.

 

Elle devait lire un sms ou avait peut-être reçu un Like sur un site de rencontres.

Régime pain sec.

 

Pour me consoler, j’ai pris une bonne livrée de pain de la veille vendue avec une réduction de 30 pour cent. Il y en avait pour deux kilos d’armature.

 

 

Le jeune vendeur à l’accent italien m’a dit que, de toute façon, enroulé dans des sacs en coton, il pouvait se garder cinq jours.

 

A l’autre boulangerie, La Gambette à pain, il y avait plus de choix. Mais il y avait aussi la queue. J’ai attendu mon tour dehors avant de pouvoir entrer. Il faisait froid aujourd’hui.

 

 

Une fois à l’intérieur, j’ai fait un festival. Je n’étais pas du coin. Je venais pour la première fois. Je venais de loin. Je n’allais pas me contenter d’une demie baguette de pain ou d’un croissant au beurre et repartir.

 

J’ai dû faire comprendre à l’employée que, non, je n’avais pas fini. J’avais encore d’autres articles à prendre.

 

 

Au final, je suis reparti avec deux sacs de pain et de viennoiserie.

 

 

 

 

 

Etoiles et toiles.

 

En descendant les marches. Tout en bas, le sandwich Kebab, dernier exemplaire, qui a été mon copieux déjeuner. Après ça, on reste sage et boire un verre d’eau suffit.

 

 

Puis, je me suis rabattu sur la station de métro Gambetta. Je me suis même permis de faire un passage dans un magasin de dvds et de blu-ray où j’étais passé il y a quelques années.

 

 

Mais je n’y ai pas trouvé le film que je cherchais. Le blu-ray du film MUD de Jeff Nichols.

 

Cette photo est ratée. On ne voit rien.

 

J’étais bien chargé dans le métro, avec mes deux sacs de pain, ma boite de pâtisseries. Mais j’étais assis. Le trajet a été assez rapide.

 

 

A la station Quatre-Septembre, à trois ou quatre stations de la gare St Lazare,  extinction des feux et petite voix :

 

« En raison de la présence d’une personne sur la voie ferrée, le trafic est momentanément interrompu sur la ligne 3 du métro….. ». Je me suis à nouveau fait confirmer que depuis bientôt deux mois, les incidents de toutes sortes se cumulent dans les transports en commun. J’ai vraiment bien fait d’opter pour un vélo pliant quand je me rends au travail. Mais j’en parlerai mieux dans ma rubrique Vélo Taffe.

 

Dans le métro, station Quatre-Septembre, s’ensuivent quelques minutes d’attente et de réflexion et la fin du suspense :

 

« Le trafic reprendra à 15h15 ». Il était 14h50. Je n’avais pas déjeuné ni fait ma sieste.

 

Sortir de la station, marcher jusqu’à une station de bus. Le prendre jusqu’à la gare St Lazare. Rien ne m’a détourné de l’arôme du bon pain. Car c’est une valeur refuge.

 

Nous sommes arrivés sains et saufs à domicile.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 5 mars 2021.

 

 

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Pour les Poissons Rouges

Ton appel

 

 

                                                                  Ton appel

Je sais que tu n’appelleras pas. Il me reste suffisamment de lucidité. Mais je continuerai de m’en tenir au même emploi du temps. A attendre cet appel. Trois fois par semaine, à la même heure, je me posterai près de chez toi. Grâce au résultat d’une filature de précaution, je sais où. Je ferai très attention.  Si cela s’apprenait, ce serait le désastre.

 

Tout a commencé lorsque nous nous sommes rencontrés. C’était peut-être il y a des années maintenant. Au travail ou ailleurs. Cela n’a aucune d’importance. Il ne s’est rien passé ou dit de particulier.  Tu m’as sûrement oublié depuis comme d’autres avant toi car je fais partie du décor. J’ai simplement été sensible à ton aura. Mais impossible de l’expliquer. A toi comme à qui que ce soit. Je n’ai pas envie de déranger. Cela ne sert à rien d’essayer d’expliquer. Il faut séduire, c’est tout. Or, moi, je ne séduis pas.

 

D’autres ont déjà été enfermés pour des situations similaires à la mienne. Lorsqu’ils ont joué leur va-tout et se sont jetés à l’eau. Ils croyaient qu’on les écouterait, qu’on les accepterait.  Cela a été catastrophique ou ridicule. Ils se sont fait humilier.

 

Je n’ai pas cette naïveté. Moi, je me tais. Je ne me répands pas sur l’espace public. J’en fais une affaire privée. Personne ne peut me reprocher quoique ce soit tant que je reste à ma place. C’est ce que je fais. Je le fais très bien et tous les jours.  Depuis le temps, j’ai acquis une certaine expérience dans ce domaine. Tous les jours, je me polis et me rends irréprochable. Il n’y a que durant cette heure « avec » toi, où, enfin, je suis autrement.

 

Qu’est-ce je te trouve exactement ? Difficile à définir. Difficile à retenir. Je te trouve tout. C’est comme un rêve déclaré qui ne peut se soustraire à mes pensées. Cette heure avec toi, j’en fais mon affaire. Rien ne doit dépasser. Personne ne doit interférer. Pas même mes propres peurs. Alors, je prépare toujours tout à l’avance. Je m’entraine mentalement à revenir secrètement. Pour l’instant, tu ne vois rien, tu ne sens rien. Enfin, je ne crois pas et c’est aussi bien. C’est très bien comme ça, cette sorte d’entente sans conflit. On peut croire que l’absence de conflit est synonyme d’ennui. Pas pour moi. Je préfère rester dans mon coin telle une béquille posée contre un mur. Ou céder chaque fois que l’on veut que je me batte ou que l’on me contredit. Je n’ai rien à perdre et rien à prouver non plus. Je veux juste être tranquille avec toi de temps en temps. Et, pour ça, je veux pouvoir ne laisser aucune trace.  Après ça, le reste suivra puisque tout est réglé. Et qu’il suffit de s’en tenir à une routine consentie de part et d’autres. Avoir très peu d’ambition m’aide beaucoup. Cela m’évite bien des désillusions. Je ne suis pas comme toutes ces personnes qui attendent beaucoup chaque fois qu’elles entreprennent une action. Je me concentre seulement sur cette heure avec toi sur laquelle je veille comme s’il s’agissait d’une fleur qui pousse dans un pot. Je prends soin de la qualité de la terre, de l’eau que j’y mets. Mais aussi de la façon dont je la verse. Il faut être doux et parler délicatement. Sans brusquer. C’est un bercement de tout mon poids au dessus de toi. Pour l’instant, tu ne sens rien mais ça viendra. Tu verras.

 

Franck Unimon, ce mercredi 20 janvier 2021.

 

 

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Pour les Poissons Rouges

Le mec foireux

 

                                                Le mec foireux

Corps uniformes. Horaires chloroformes.

 

 

Pour réussir un projet, il faudra d’abord apprendre à se séparer du mec foireux, conduit incessant de problèmes dans lequel on finit par tomber sans pouvoir remonter. Ou  difficilement. Et seulement par les égouts.

 

Alors que vous ferez connaissance en toute décontraction, le mec foireux ne vous dira jamais, la voix suave et entêtante :

 

«  Je suis un mec ou une fille foireuse ».  D’abord parce qu’il estime avoir une vie normale. Ensuite, parce-que, comme tout le monde, il a besoin de compagnie.

 

Le mec foireux est intelligent et grand travailleur : il travaille à votre perte.

 

Souvent sympathique, vous vous attacherez facilement à lui quelle que soit sa composition :

 

Laine, cachemire, coton, papier toilette,  bois, soie, aqueux, huileux, gazeux, laiteux, synthétique ou plastique. Parce-que le mec foireux a beaucoup de charisme.

 

Si votre projet se résume à partir faire des courses sur le marché près de chez nous, vous pourrez emmener le mec foireux avec nous. Il surviendra bien une tonne d’incidents entre le moment où vous sortirez et rentrerez chez vous. Mais il y a de fortes chances pour que cela soit drôle. Et puis, le mec foireux a de la conversation. On s’ennuie rarement avec lui.

 

Lorsque des projets avancés se présenteront, le plus difficile sera de savoir s’éloigner de lui discrètement sans le vexer. Après tout ce temps passé ensemble.

 

Le mec foireux est très susceptible et a beaucoup de mémoire. La vengeance d’un mec foireux a tous les attributs de la sanction interplanétaire et héréditaire. D’ailleurs, le mec foireux est né à la suite d’une histoire qu’il trimballe vraisemblablement depuis plusieurs mythologies. Ou après d’officieuses et illégales manipulations génétiques- qui ont foiré- dont les auteurs n’ont jamais été identifiés avec certitude :

 

Divinités ? Grammairiens ? Mathématiciens ? Philosophes ? Médecins ? Artistes ? Escargots ? Spermatozoïdes ?

 

 

Le mec foireux peut être votre meilleur ami, votre conjoint ou votre conjointe. Un cousin ou une cousine. Mais il peut aussi être un très bon collègue, votre médecin votre patron….et, avant tout, vous-même. Parce-que là où le mec foireux excellera, ce sera en pédagogie pour bien vous faire comprendre que si tout a foiré et ne pouvait que foirer depuis le début, c’est à cause de vous.

 

 

 

Franck Unimon, ce dimanche 21 février 2021.

 

 

 

 

 

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Cinéma

Maudit !- un film d’Emmanuel Parraud

 

 

L’île de La Réunion est aussi le pays où se déroule une course de trail très dure mais aussi mondialement connue:

La diagonale des fous- ou le Grand Raid- qui perce l’île sur une distance de 164 kilomètres.

 

A première vue, Alix (Farouk Saïdi) et Marcellin (Aldo Dolphin) sont deux sportifs du coin qui reviennent d’un entraînement de trail. Ils ont la trentaine, ont un travail, se débrouillent et ont l’air plutôt cool. Nous sommes en 2020 ou en 2021. C’est aujourd’hui. 

 

Le sport, dont la course à pied, fait partie des valeurs culturelles fortes et des attraits de l’île. La Réunion, c’est joli, avec ses paysages  admirables. Les fées y ont les pieds dans l’eau. Maudit débute d’ailleurs avec la prestation de la belle et blonde Dorothée (Marie Lanfroy, membre et chanteuse dans la vie du groupe réunionnais Saodaj’) alors qu’elle est sur scène. La chanteuse aborde la transe lors d’un concert sans doute au moins de Maloya.

 

Une idylle s’ensuit entre l’artiste Dorothée et Marcellin, le tombeur, vainqueur de plusieurs courses. Tout cela se passe devant Alix qui assiste à ce nouveau succès de son meilleur ami. 

Marcellin est le plus clair des deux hommes. Celui qui semble aussi être le mieux dans cette peau. Cette particularité « pigmentaire » est  sans doute une petite coïncidence.

Ou l’indice d’une certaine forme de paranoïa.

Mais cette distinction pigmentaire est aussi une convention bien assimilée- et pratiquée- lors des critères de séduction et de sélection de son ou de sa partenaire :

Car c’est seulement en me réveillant ce matin, après avoir publié cet article hier ( le 19 février 2021) que je me suis rappelé de ces deux aspects qui différencient les deux amis. 

Nous sommes pourtant sur l’île de la Réunion, une des régions les plus métissées au monde, souvent présentée comme un pays où la tolérance inter-ethnique, multiculturelle et religieuse serait vécue quotidiennement telle une évidence. Avec Maudit ! subtilement, nous faisons une autre expérience de cette « croyance ». Ensuite, nous avons un choix à vivre : 

Préférer à cette « croyance » toutes les beautés étalées et immédiatement accessibles de la Réunion. Ou essayer, aussi, comme le réalisateur, d’entrer dans ce que cette île a de moins supportable.  

 

L’enivrement touche peut-être Emmanuel Parraud, qui, après Sac la Mort (2016), poursuit sa reconnaissance de la Réunion avec un nouveau tandem masculin d’acteurs non professionnels. Le personnage d’Alix lui sert ici d’avatar. Et, vers la fin du film,  on apercevra l’acteur Patrice Planesse, son précédent avatar, un des protagonistes principaux de Sac la Mort.

 

Moins égal que  celui-ci, Maudit !  est aussi plus ambitieux dans son traitement formel pour présenter « l’ire-rationnelle » que contient l’île et qui ne tient pas dans quelques bouteilles en verre. Au même titre que la violence subite qui  part des coulées de terre de cette histoire que nous verse Parraud. Les bouteilles à la mer, si elles existaient du temps de l’esclavage, n’ont servi à rien.    

 

Un film sur la Réunion loin des pistes touristiques,  et, en  Créole, c’est rare au cinéma. Alors, on en profite.

 

Alix et Marcellin ont grandi dans la même famille d’accueil. Orphelins, ils sont devenus inséparables comme les doigts de la main. Cela tient comme ça pendant des années. Puis, arrive la lueur de la femme blanche (Dorothée). On la croit l’éclaireuse magique vers une histoire qu’Alix et Marcellin, malgré leurs kilomètres parcourus en pleine nature, n’ont  pas bouclée. Une histoire où la douleur et la colère, plutôt qu’absentes, s’activent parmi les plantes.  

 

Car lorsque la femme libre- Dorothée- s’évapore, la dépression des deux amis, autrefois relayée, devient une discipline individuelle pour forcenés. Chacun retourne au bercail comme vers les poings… de son cyclone. Et ça cogne fort. Le rhum, sérum ou filtre, est utilisé bien-sûr. Mais c’est un miracle grossier qui, s’il racle et se raccroche à  la gorge, rapproche aussi des traits et de l’acier de la folie.

 

Alix ( l’acteur Farouk Saïdi)

 

Parraud nous parle d’un pays plus mûr pour le fait divers que pour la parole qui libère. Car, selon lui, les beaux paysages, la joie de vivre officielle et les trophées sportifs se lézardent encore devant les fracas du passé.

 

(La sortie du film était prévue dans les salles au printemps 2021. Elle a finalement eu lieu ce mercredi 17 novembre 2021). 

 

Franck Unimon, ce vendredi 19 février 2021.

 

 

 

 

 

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Conventions

 

Forum des Halles, Février 2021.

                               Conventions

Vouloir faire resurgir le passé, c’est aspirer au voyage avec le navire coulé.

 

 

Ce jour que l’on voit  enfin se rapprocher arrive peut-être avec une pierre. Et cette pierre sera pour nous. Même si l’on a travaillé avec intelligence afin que notre trajectoire s’améliore.

 

Il y aura bientôt pire que ce que nous vivons. Je suis désolé de l’écrire. Ce n’est pas dans mes habitudes d’être pessimiste. Et, je ne me sens pas particulièrement pessimiste, ce qui est peut-être pire.

 

Si la majorité l’emporte en théorie, je constate autour de moi que la majorité n’attend qu’une chose. Car, comme la majorité, je suis très nombriliste et résume le monde à ce que je vis et à mon entourage immédiat :

 

Recommencer à vivre, aussi vite que possible, comme « avant » l’épidémie. Retrouver certaines libertés.

 

Forum des Halles, Février 2021.

 

Les vaccins anti-Covid sont beaucoup attendus parce-que l’on espère qu’ils vont aussi nous inoculer le passé d’avant l’épidémie.

 

Je « sais » très bien que des personnes ont perdu leur emploi, vont le perdre ou risquent de le perdre à cause du Covid et ses variants. Ainsi qu’à cause du bizness que font certains labos- et quelques gouvernements- avec les vaccins.  

 

Je « sais » aussi que d’autres personnes sont décédées, vont décéder, ont perdu un proche ou une connaissance ou sont tombées malades. Et, je peux faire partie d’eux bientôt sans le voir venir même si j’ai été prévenu.

 

Je m’abstiendrai de comparer ma vie à celle d’une personne en prison que ce soit dans un centre pénitentiaire ou enfermée dans une maladie mentale et physique. En ce moment, alors que j’écris, j’ai toute latitude pour exposer mon idiotie. Et comme tout idiot, je me répands en me croyant un peu original. Je ferais sûrement mieux de faire des mots croisés ou de regarder une série dans mon coin comme d’autres le font. D’ailleurs, j’ai  commencé à regarder la dernière saison, la cinquième, de la série Le Bureau des Légendes crééé par Eric Rochant. Je n’envie pas du tout la vie de ces agents secrets qui passent leur temps à frôler leur dernier souffle comme à se méfier de tous.

 

Il y a tellement de décisions et d’habitudes que nous prenons de nous-mêmes depuis des années et qui nous verrouillent un peu plus tous les jours. Pour toutes sortes de raisons que nous sortons de notre manche et que nous justifions. C’est notre magie  personnelle. Celle qui nous guidait et va continuer de le faire. Comme avant l’épidémie. On peut donc comparaitre libre tous les jours et être déjà plus ou moins en prison. Et aussi contribuer à emprisonner d’autres personnes autour de nous. 

 

 

C’est ce que j’appelle des conventions.

 

Des conventions de pensée. Des convictions intimes. Des conventions de comportements et d’attitudes envers la vie. L’inconvénient des conventions – ou des protocoles – c’est que même si elles sont foireuses, une fois rôdées, on les laisse nous guider de manière automatisée. Puisque la majorité les adopte ou les accepte, c’est donc qu’elles sont justifiées. Et puis, une fois lancées, il est très difficile de les arrêter.

 

C’est bon, pour vous ?!

 

Ce jeudi matin, la secrétaire de cette clinique du 15ème arrondissement de Paris finalise au téléphone la prise d’un nouveau rendez-vous. Elle a la trentaine. Un peu plus tôt, de manière accueillante, elle m’a reçu. J’avais quinze minutes d’avance. J’ai fait un peu d’humour quand elle a d’abord cru comprendre que j’étais pompier. Elle a souri.

 

Puis, je me suis installé dans la salle d’attente vide où se trouvaient deux stagiaires en pédicurie-podologie. Peu après, ceux-ci sont partis rejoindre un des chirurgiens dans son bureau. De temps à autre, par les portes restées ouvertes des bureaux, j’entends donc des bouts de conversation. La leur. Et celle que la secrétaire a de temps à autre avec une autre femme qui se trouve dans un des bureaux. L’ambiance est détendue. Bien qu’il ait gelé la veille ou l’avant veille et qu’il fasse assez froid dehors, il y a également une belle luminosité. En arrivant, j’ai repéré une boulangerie qui m’a l’air de faire du bon pain. J’y passerai après mon rendez-vous.

 

Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.

 

 

La secrétaire vient de m’apprendre que la chirurgienne que je viens consulter va avoir « quinze minutes de retard ». J’accepte assez facilement les retards des autres. D’abord parce qu’il m’arrive d’être en retard. Mais aussi parce-que je trouverais idiot d’avoir un accident parce-que l’on se presse pour un rendez-vous pour lequel on est en retard. Ce qui m’importe, c’est, une fois sur place, la disponibilité que l’on a pour l’autre ou pour son travail. Bien-sûr, Il y a des rendez-vous où il faut être ponctuel ou en avance. Il ne servirait à rien de se rendre à un aéroport en retard et de crier depuis le taxi alors que notre avion a décollé : « Maintenant, je suis disponible ! ».

 

Je viens voir cette chirurgienne pour un troisième avis. En banlieue parisienne, à Cormeilles en Parisis, un chirurgien m’a bien opéré il  a trois ans. Il est réputé dans son domaine. Mais chaque fois que je lui pose certaines questions, il ne me répond pas vraiment. Je vais le revoir bientôt à Eaubonne. A cause du Covid et de mon emploi du temps qui a changé  en commençant un nouvel emploi, j’ai dû repousser plusieurs fois ma prochaine consultation avec lui.

 

Pendant les vacances de Noël, j’ai vu un second chirurgien dans une clinique du 16ème arrondissement de Paris. Sympathique, celui-ci a aussi été pédagogue et suffisamment convaincant pour l’opération du pied à propos de laquelle je m’interroge. Deux techniques sont possibles. J’avais refusé jusqu’alors l’une des deux techniques. Ce chirurgien m’a donné des bons arguments. Puis, il m’a invité à prendre le temps de la réflexion. J’avais dit à ce chirurgien que je sortais d’une nuit de travail et que j’étais infirmier.  Il a refusé de me répondre lorsque je lui ai demandé le coût de l’opération. Le premier chirurgien, lui, m’avait donné son tarif quand je lui avais posé la question : 400 euros. Une toute petite partie remboursable selon ma mutuelle. Mes consultations avec lui me coûtent entre 50 et 80 euros. C’est déjà cher pour moi. Mais l’opération était nécessaire. Et j’ai préféré mettre le prix pour me garantir la meilleure opération possible. Plutôt que de me livrer au premier chirurgien venu.

 

Dans la clinique du 16ème arrondissement, la consultation avec le second chirurgien m’avait coûté environ 110 euros. Quand j’avais présenté ma carte bancaire, la secrétaire m’avait rappelé que l’on pouvait payer uniquement en espèces ou par chèque ! C’était indiqué ! Il y avait bien un distributeur de billets mais c’était « loin » m’avait-t’elle alors répondu. Elle allait donc attendre que je lui envoie mon chèque par la poste pour m’adresser ensuite ma feuille de soins me permettant d’être remboursé. Partiellement. Puisque ce chirurgien pratique aussi le dépassement d’honoraires.

 

Je ne compte plus toutes ces personnes qui m’ont affirmé qu’un lieu était « loin » dès lors qu’il s’agit de marcher quelques minutes.

 

J’avais pris soin d’aller tirer de l’argent dans ce DAB qui était « loin » et de revenir quelques minutes plus tard donner l’argent de la consultation à la secrétaire de cette clinique du 16ème arrondissement.

 

La chirurgienne que je viens voir aujourd’hui dans le 15ème arrondissement de Paris m’a été recommandée par le médecin du sport fédéral que je consulte ces derniers mois. Il m’a dit que l’atout de cette chirurgienne est qu’elle n’a pas :

 

« Le bistouri entre les dents ! ».

 

Je consulte ce médecin du sport à Levallois, une ville de banlieue parisienne, dans les Hauts de Seine, le département du 92. Levallois est une ville plutôt cossue. C’est la petite sœur de Neuilly, dans le 16èmearrondissement. Depuis un peu plus de dix ans, je suis venu habiter à Argenteuil pour me rapprocher de Paris. L’immobilier, dans l’ancien, y était plus abordable que là où j’habitais auparavant à Cergy-le-Haut, une ancienne ville nouvelle plus éloignée de Paris et plus proche du Vexin. 

 

Ce médecin du sport de Levallois m’a aussi conseillé un nouveau podologue. J’étais devenu insatisfait du second podologue que je voyais depuis quelques années dans la ville de St-Leu la Forêt. 

 

La veille de mon rendez-vous avec cette chirurgienne, j’ai revu ce nouveau podologue dans un cabinet situé près du jardin du Luxembourg. Pour venir chercher mes nouvelles semelles orthopédiques. La pratique du sport et l’âge m’ont rendu indispensable l’usage de semelles orthopédiques. On peut aimer les œufs sur le plat. J’ai les pieds plats. C’est moins grave que d’avoir le diabète, un cancer, une psychose, de l’hypertension, des problèmes de poids, de dos…. ou le Covid.

Mais, d’un point de vue biomécanique et pratique, avoir les pieds plats, lorsque l’on sollicite son corps sur la terre en faisant du sport,  cela entraîne des déséquilibres et des tensions de l’appareil locomoteur qui peuvent donner des tendinites, des douleurs musculaires ou ligamentaires. Si j’étais une personne strictement sédentaire et imperméable au sport, évoluant uniquement dans l’eau, sur l’eau, ou dans les airs,  ou jouant régulièrement d’un instrument de musique, j’aurais peut-être pu me passer de ces semelles. Mais le sport terrestre fait partie de ma vie. Même si j’en pratique moins qu’auparavant et moins que je ne le voudrais.

 

 

Pour ce podologue, avec mes nouvelles semelles conçues avec la 3D, une opération du pied n’est plus justifiée. Le cabinet de ce podologue se trouve donc près du jardin du Luxembourg, à Paris. Cet endroit, pas plus que le 15èmearrondissement ou le 16ème arrondissement de Paris, ou Levallois, ne fait partie de mes foyers de vie.  J’ai beau avoir un travail  et un salaire fixe depuis plus d’une vingtaine d’années, je n’en n’ai pas les moyens. J’ai toujours vécu en banlieue parisienne. Dans une ville où se loger était financièrement plus accessible. Lorsque j’entendais parler d’un loyer de 3000-3500 francs en plein Paris pour un appartement de 25 à 30 mètres carrés, un montant courant dans les années 90, je me comportais comme un cheval refusant mentalement et physiquement de franchir l’obstacle.

 

Je suis allé très loin dans mon refus et mon ignorance : Il  y a plus de vingt ans, lorsque le prix de l’immobilier à l’achat, à Paris, dans l’ancien, était encore présentable, j’ai raté le coche. J’ai préféré jouer la « sécurité ». Faire un prêt immobilier sur 15 ans pour acheter sur plan dans le neuf un studio de 23 mètres carrés à Cergy-le-Haut, dans le Val d’Oise, une ville que je connaissais et où j’habitais depuis une quinzaine d’années. A plus de 45 minutes en transports en commun du jardin du Luxembourg ou du 15 ème arrondissement où j’ai rendez-vous avec cette chirurgienne.

Je me rendais alors à Paris, souvent dans les mêmes endroits, toujours pour mes loisirs ou pour des achats.

Pour le même prix que mon studio, un ou deux ans plus tôt,  une de mes amies qui vivait alors à Paris, avait acheté dans le 19ème arrondissement, près de la Villette, un appartement de 45 mètres carrés, en loi carrez, dans l’ancien, au sixième et dernier étage sans ascenseur d’un immeuble. Elle avait fait faire quelques travaux.

 

Elle avait eu une très bonne intuition. C’était avant le passage à l’euro.

 

A moins d’être « parrainé » par quelqu’un de bienveillant et de clairvoyant, lorsque l’on ignore la façon dont tourne l’horloge du monde ou d’une société, on accumule rapidement plusieurs fuseaux horaires de retard. On prend donc de plus ou moins bonnes décisions en s’appuyant sur nos conventions. Même si l’on est travailleur et passablement intelligent. Et nos décisions, lorsqu’elles sont mauvaises, peuvent être de bonnes décisions que nous avons prises avec plusieurs fuseaux horaires de retard….    

 

Je ne suis pas riche. Mais, comme beaucoup, je suis travailleur et je peux me lever tôt. Y compris pour effectuer un certain travail non rémunéré.  On dit qu’il faut aussi faire ce que l’on aime par plaisir et sans attendre pour autant de faire de l’argent avec. J’applique cette convention au moins pour ce blog mais aussi en amitié et dans mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie : lorsque je m’engage dans mon travail, généralement,  je ne pense pas à l’argent qui va arriver sur mon compte en banque. Ce n’est pas ma première motivation. Et, c’est sans doute, aussi, ce qui, depuis des années, m’a lourdement pénalisé. Pour ne pas dire  « planté » dans une certaine évolution personnelle et sociale.   

Car, pour ma santé, que j’estime prioritaire, par contre,  j’accepte de mettre le prix lorsque je pars consulter. On est bien capable de lâcher bien plus d’argent dans une nouvelle paire de sneakers, des écouteurs bluetooth – qui nous rendront peut-être sourds-, un nouveau téléphone portable ou pour tout un tas de vêtements et d’objets que l’on utilisera assez peu et que l’on oubliera ensuite. Nous sommes incités à ça en permanence.Cela fait partie des conventions de la majorité d’entre nous. 

Quelques jours avant les fêtes de Noël 2020, près des Galeries Lafayette et des Magasins Printemps, à Paris près de l’Opéra Garnier.

 

Mais  je ne crois pas non plus que les meilleurs spécialistes de la santé soient toujours celles et ceux qui nous font payer leurs consultations les plus chères ou qui disposent du matériel le plus moderne. Mais pour commencer à le comprendre, j’ai d’abord dû passer à la caisse plusieurs fois….  

D’ailleurs, dans cette clinique du 15ème arrondissement, le chirurgien qui m’avait opéré il y a trois ans pour 400 euros consulte aussi. Mais un autre jour.

 

Gare de Paris St-Lazare, novembre 2020.

 

 

Plus jeune, en particulier à l’adolescence, et même un peu après, j’avais tendance à négliger tout ce qui est suivi médical après une blessure sportive. Il est convenu dans la mentalité de bien des sportifs, qu’il faut être prêt à se faire mal lorsque l’on pratique. Donc, une blessure, ça peut  aussi attendre pour être soignée ou correctement soignée. Lorsque j’allais consulter, plus jeune, je ne faisais pas toujours attention au fait que certains médecins se contentaient d’appliquer des protocoles de traitements.

Avec l’expérience, plus d’une fois, c’est moi qui ai dû demander la prescription d’un certain nombre de séances de kinésithérapie en plus du traitement médicamenteux censé tout résoudre par lui-même. Je prends le moins de médicaments possible.

 

Après mon intervention chirurgicale du pied il y a trois ans, le chirurgien m’avait prescrit une certaine quantité d’antalgiques qui aurait permis à un toxicomane de monter un petit commerce. Ou à une personne lambda de peut-être devenir toxicomane. Cette pharmacie aurait aussi pu constituer le début d’un trésor pour de la médecine de guerre. Il fallait bien compenser l’absence de présence médicale- et surtout paramédicale- alors que la personne opérée retourne chez elle quelques heures après l’intervention chirurgicale.

 

J’avais dû insister auprès de ce chirurgien pour obtenir un certain nombre de séances de kiné pour ma rééducation. Il était persuadé que son intervention chirurgicale se suffisait et que je pouvais reprendre le travail après trois semaines d’arrêt. A l’écouter, je me devais seulement de faire ma rééducation tout seul chez moi.

 

 Il m’avait fallu deux bonnes semaines d’arrêt de travail supplémentaires, davantage de séances de kiné et en retournant au travail, je boitais encore du fait de la douleur consécutive à l’opération chirurgicale.

La profession infirmière, aussi, même non sportive, peut avoir tendance à se surmener ou à être surmenée même lorsqu’elle devrait lever le pied. Il existe aussi d’autres professions, paramédicales, ou autres, qui sont soumises durablement aux mêmes conflits de loyauté entre leur sens du Devoir ou du sacrifice et leurs conditions de vie, de travail ou salariales, plutôt défavorables. C’est peut-être le cas de cette secrétaire qui m’a accueilli pour cette consultation.

Et c’était comme ça bien avant l’épidémie du Covid. 

 

En venant voir cette chirurgienne ce jeudi, j’aimais, aussi – c’est peut-être un cliché-  l’idée d’obtenir l’avis d’une femme.

 

Venir en avance m’a donné le temps d’apprendre le montant de la consultation : 112 euros. Déduction faite de ce que me rembourseraient la sécurité sociale et ma mutuelle, 93 euros resteraient à ma charge. Le prix de cette consultation, 112 euros, correspond à peu près à ce que je gagne en une journée de travail comme infirmier après bientôt trente ans d’ancienneté. 

 

Comme j’attends, une jeune femme vient se présenter au secrétariat. Elle explique avoir trente minutes de retard. Elle avait rendez-vous à 9h15. Il est 9h45. J’avais quant à moi rendez-vous à 9h30. Et je suis là depuis 9h15.

 

Quelques minutes plus tard, la chirurgienne, la cinquantaine, sort de l’ascenseur. Je suis assis presque en face, à côté du secrétariat. La secrétaire lui dit bonjour en l’appelant par son prénom alors qu’elle file vers un bureau. Bureau où elle est bientôt rejointe par la secrétaire. Je l’entends donner des nouvelles de sa fille qui  vient d’emménager avec son copain. «  C’est bien » conviennent, ravies, la secrétaire avec l’autre femme qui était déjà présente dans un des bureaux à mon arrivée.

 

 

La chirurgienne reparaît quelques minutes plus tard. Elle appelle la personne qui est arrivée avec trente minutes de retard. Laquelle se lève et va à la rencontre de la chirurgienne. Je la laisse partir. Je me lève alors calmement. Je viens annoncer à la secrétaire, revenue à sa place, que je m’en vais.

 

Bien que je n’aie ni la tête et ni la voix de Serge Gainsbourg, il faut quelques secondes à la secrétaire pour rassembler l’information que je viens de lui donner.  Alors,  je l’aide avec mes mots qui ne deviendront jamais un tube à la radio :

 

«  J’ai passé trois quarts d’heure dans les transports en commun pour venir. Je suis arrivé avec 15 minutes d’avance. Madame arrive avec 20 minutes de retard et prend une personne qui est arrivée après moi…. ».

 

La secrétaire,  demi-sourire gêné, je crois qu’elle a subitement chaud au visage, reste  professionnelle et pédagogue. Et m’explique :

 

« Oui, j’ai bien vu que vous veniez de loin. …c’est une patiente qui avait rendez-vous avant vous…. ». Je lui fais comprendre que cet argument, pour moi, ne tient pas. Elle n’insiste pas :

 

« Je le lui dirai. Je vous laisse rappeler pour reprendre rendez-vous ? ».

 

« Peut-être, peut-être pas ! ». Puis, je m’en vais en prenant le temps de passer aux toilettes auparavant.

 

 

 

Confinement doré

 

Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.

Depuis le début de l’épidémie du Covid, nous nous plaignons du couvre-feu, du confinement. Et, nous avons raison de nous plaindre de la perte de libertés occasionnée – ou justifiée- par l’épidémie. Je pense à certains lieux obligés de rester fermés telles que les salles de cinéma, les musées et les salles de théâtre dont nous avons aussi besoin.  Comme certains lieux de pratique sportive. Voire, de restauration…

 

 

A côté de ça, pour moi, la secrétaire et la chirurgienne de cette clinique, au moins, et toutes les personnes qui leur ressemblent, femmes comme hommes, vivent dans un monde confiné. Dans un confinement doré. Et cela n’est pas dû à l’épidémie du Covid. C’était déjà comme ça avant l’épidémie du Covid.

Je n’ai pas de problème particulier, au départ, avec le fait de parcourir un certain nombre de kilomètres ou de passer un certain temps dans les trajets pour me rendre quelque part. Si j’ai une bonne raison de m’y rendre. Mais c’est peut être un tort. Et cela peut être une très mauvaise habitude, le résultat de mon éducation, que j’ai contractée tôt, avant l’âge adulte et qui consiste en quelque sorte à être capable de se donner, de manière répétée, sans compter. Car, selon le type d’interlocuteur ou d’interlocutrice auquel on a affaire, accepter facilement ou comme une évidence de réaliser certains efforts- et trouver cela normal de manière implicite- créé d’emblée un handicap ou un rapport de dominé-dominant. Cela revient à se brader même si on vous parlera de « gentillesse » ou de « générosité » vous concernant :

Dans le monde confiné de cette secrétaire ou de cette chirurgienne, dans leur royaume, il est « normal » de faire attendre des patients. De disposer d’eux.  Et de les faire raquer ensuite. Il y a bien d’autres fois où je l’ai accepté.

 

J’accepte que la chirurgienne ait eu une bonne raison d’être en retard. J’aurais même accepté qu’elle prenne le temps de se rendre aux toilettes ou de se laver les mains si elle en avait eu envie ou besoin.

 

Par contre, j’ai plus de mal à digérer l’absence de bonjour de cette chirurgienne en arrivant après quinze à vingt minutes de retard. Pour une consultation à 112 euros. Or, cette absence de « bonjour » d’une professionnelle de la santé qui passe devant la salle d’attente de son lieu de consultations est aussi une convention très courante.

 

Pour moi, l’ambition de la secrétaire ne doit pas se limiter au fait de pouvoir appeler la chirurgienne par son prénom. Si elle peut appeler la chirurgienne par son prénom, alors, elle est aussi capable de faire valoir à cette chirurgienne le fait que j’étais le patient à voir d’abord. Mais il y a une telle habitude à ce que les gens qui viennent consulter s’en tiennent à certaines conventions de prosternation totale devant des professionnels de la santé.

 

Pourtant, je n’ai rien de particulier contre les chirurgiens et les médecins. Et, j’ai été très fréquentable. Voire sans doute trop fréquentable. Car j’ai respecté certaines conventions de politesse et de diplomatie. D’autres personnes, plus « nerveuses » ou plus « fières »,  à  ma place, auraient retourné la salle d’attente.

 

Visiblement, cette secrétaire et cette chirurgienne ne connaissent pas cette vie-là. Où un certain manque de considération peut se payer cash. Leur confinement est un confinement doré.

 

Je n’attends aucun changement particulier dans leurs conventions de pensées. Je suis sûrement passé pour un « caractériel » ou pour quelqu’un qui ne sait pas vivre.

 

En sortant de la clinique, je me suis rendu à la boulangerie que j’avais repérée en arrivant. Les baguettes traditions que j’ai achetées y sont vraiment bonnes.

Puis, j’en ai profité pour marcher jusqu’à apercevoir la Tour Eiffel.

 

Février 2021. Non, il ne fait pas froid !

 

J’ai eu une pensée pour cet homme qui, poussé par ses hallucinations vraisemblablement, s’est rendu à la Tour Eiffel, et s’est mis à errer autour. Lorsque la police, appelée par un employé de la Tour Eiffel, est arrivée à quatre heures du matin, l’homme n’a pas pu expliquer la raison de sa présence. Il semblait confus, ne pas avoir toute sa tête, bien que très calme.

Ensuite, j’ai pris le bus 80 vers St Lazare.

 

En passant près de Matignon, j’ai pensé à cette femme venue chercher protection auprès du Président Macron. Un mois et demi plus tôt, elle s’était rendue au commissariat pour les mêmes raisons. Mais on ne l’avait pas crue. Alors, cette fois, elle avait décidé de s’adresser à plus haut. Elle craignait pour sa vie. Elle était «  Un Trésor vivant » mais personne ne voulait la croire !

Elle avait sur elle sa clé de voiture, ses papiers, son téléphone portable, trois cartes bancaires, deux chéquiers et quelques affaires.

 

Ces deux personnes, on s’en doute, bien que de bonne foi, avaient contre elles d’avoir enfreint les «bonnes » conventions. Les conventions où l’on reste à sa place. Et où l’on s’en tient aux horaires et aux lieux où l’on a le droit d’agir et de se comporter d’une certaine façon. Les religions, aussi, peuvent fournir et prescrire leur lot de conventions. La particularité de certaines conventions, même lorsqu’elles nous interdisent de vivre, c’est d’avoir une date de péremption très lointaine ou indéfiniment renouvelable. 

 

Si j’avais retourné la salle d’attente de cette clinique, peut-être que, comme cet homme et cette femme, j’aurais, moi, aussi, été interpelé par les forces de police.

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 18 février 2021.  

 

 

 

 

 

 

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Une ligne 14 à bloc !

 

Gare de Lyon, ce vendredi 12 février 2021 au matin, vers 9h10. Cette rame du ligne 14 du métro vient d’arriver à la gare de Lyon après être restée immobilisée trente minutes dans le tunnel. Jusqu’à ce qu’une agent de la RATP parvienne à la conduire manuellement. Cette rame de métro va repartir sans passagers.

                                            Une ligne 14 à bloc !

Le Grand Paris, environ trente millions d’habitants, c’est pour bientôt. Les Jeux olympiques de 2024 en France, et ses millions ou ses milliards de visiteurs, ses heures de retransmissions et ses pubs, encore plus tôt.

 

Si cette date est retenue. Si nous avons le droit de sortir.

 

Les pharaons d’Egypte, en exploitant et en tuant dans l’oeuf des  quantités indénombrables d’ouvriers, ont entre-autres laissé des pyramides qu’aujourd’hui, nous admirons. Car elles sont bien plus célèbres que tous ces clandestins, aujourd’hui disparus, qui auront contribué à leur élévation.

 

Nous, pour nos grands projets, nous avons besoin de transports en commun ad hoc. Et, peu importe que nous soyons anonymes. Pourvu que ça roule dans la farine.

 

Pour cela, nous pouvons compter sur la Ligne 14 entièrement automatisée. La ligne 14, ça fuse ! Et ça ne se refuse pas. Depuis la gare St Lazare, la ligne 14 a été bien des fois mon arme de réduction temporelle pour aller dans les salles de cinéma.

Mais depuis plusieurs mois, les cinémas et les salles de théâtre sont fermées, remplacées par les festivals pandémie, vaccins, couvre-feu et confinement qui s’opposent aux rapprochements humains. Heureusement que des bibliothèques et des librairies sont ouvertes ou ont rouvert pour compenser un peu ce traitement au scalpel – sans anesthésie- que subissent  bien des espaces culturels.

 

Pour le bien-être de l’économie, il a aussi été plus rapidement permis de s’attrouper  de nouveau aux heures de pointe dans les transports en commun parisiens. Comme ce matin, ce vendredi 12 février 2021, ou, après une nuit de travail de douze heures, je me dirige vers la ligne 14 à la station Bercy. La température extérieure est alors d’environ -1 degré. Nous connaissons une vague de froid depuis deux à trois jours.

 

Mon rêve, alors qu’il est près de 8h30, en finir au plus vite avec ce trajet jusqu’à Paris St Lazare. Puis, là, prendre mon train de banlieue. J’aurais bien-sûr préféré vivre dans un appartement avec vue dégagée sur la Pyramide du Louvre. Mais on fait ce que l’on peut. Même si c’est sûrement de ma faute si j’ai raté une bonne partie de ma vie. Je n’avais qu’à choisir de devenir pharaon au lieu de manquer d’ambition. Quand on veut, on peut.

 

Faute d’ambition, je me contente ce matin d’avoir une place assise dans la ligne 14. Et de me dire que dans dix minutes, je marcherai vers le grand hall de la gare St Lazare.  C’est un bon début vers mon destin de moins que rien.

 

Mais j’ai à peine imaginé ce scénario de film de série V que le métro de la ligne 14 se bloque sur les rails en plein tunnel. Sans doute la ligne 14 a-t’elle été vexée par mes pensées indignes. Parce-que, très vite, je me fais la remarque que, première lame des rails pendant des années, la ligne 14 semble être devenue un second couteau alors qu’elle dessert, depuis quelques semaines maintenant, les nouvelles stations Sanofi,  4 milliards, Actionnaires, et Vaccin anti-Covid prévu pour la fin de l’année. Heureusement qu’elle ne dessert pas en plus les stations Pfizer, Moderna, Astrazeneca, Sputnik V, Masque chirurgical. Mais ça viendra sûrement.  Chaque pirogue en son temps. Mais comme c’était mieux, lorsque la Ligne 14 avait Paris St Lazare pour départ et terminus.

 

 

Assez rapidement, une voix Off nous informe que nous sommes arrêtés. Cette voix  nous quittera seulement lorsqu’une femme agent de la RATP viendra nous rejoindre afin de conduire « manuellement » la superbe ligne 14.

 

Heureusement, notre sauveuse arrive assez rapidement. Cela fait alors environ quinze minutes que nous sommes dans l’au-delà des rails. Là où je suis, pratiquement en tête du métro, au niveau des troisièmes portes, personne ne panique. Tout le monde reste calme même s’il semblerait qu’une personne essaie, sans insister, d’ouvrir les portes. L’agent de la RATP lui demande de ne rien en faire. L’homme avorte sa tentative.

 

Un autre passager s’avance pour prendre une photo puis retourne à sa place. Une autre passagère, assise en face de moi, prévient qu’elle sera en retard pour son rendez-vous de 9h. Il lui est proposé un autre rendez-vous à 11h15.

 

Avant de me décider pour la ligne 14, j’avais testé d’autres itinéraires. Depuis deux à trois semaines, j’ai l’impression que les défauts techniques dans les transports en commun se multiplient. Ligne J, Ligne 6 du métro. Une amie m’a parlé de la ligne B du RER. L’usure due à la pandémie semble avoir gagné le matériel qui nous transporte. Or, les transports en commun, lorsqu’ils permettent à des femmes, des enfants et des hommes, de se rendre d’un point vers un autre, afin d’accomplir leur mission, leur travail ou un projet quelconque, deviennent l’équivalent du système sanguin d’une société.

Si le système sanguin d’une société se bloque, celui-ci peut finir par se détériorer. Car il a besoin d’échanges entre son intérieur et l’extérieur. D’une certaine fluidité comme d’une certaine mobilité. Une société qui se fige peut ainsi finir par se retrouver sous dialyse ou sous galère.

 

 

Après quinze minutes d’échanges d’un certain nombre de protocoles et de procédures techniques avec son collègue- ou son supérieur- l’employée de la RATP réussit à redonner un élan vital au métro de la ligne 14. On dirait Sigourney Weaver aux commandes d’un vaisseau dans Alien.  La gare de Lyon, et la sortie du tunnel, n’était pas si loin que ça, finalement. L’état de choc du métro de la ligne 14 aura duré trente minutes.

 

Des applaudissements justifiés saluent la réussite de l’agent de la RATP. Après ça, il  faut trouver un itinéraire bis. Pour moi, ça sera la ligne A du RER jusqu’à Opéra. Puis, je préfère marcher jusqu’à la gare St Lazare.

Gare de Lyon, ligne 14 ce vendredi 12 février 2021 vers 9h10. Après avoir réussi à rejoindre la gare de Lyon, il nous est demandé de descendre et de prendre un autre itinéraire pour la suite de notre voyage. Le temps que le trafic de la ligne 14 vers St Ouen reprenne.

 

Contraint à lézarder avec d’autres dans le métro immobilisé, j’ai repensé au vélo pliant que j’avais commandé la semaine dernière. Car j’en avais assez de dépendre de ces « défauts techniques » répétés. En moins d’un mois, j’estime avoir rencontré plus de déconvenues dues à des  » défauts techniques » liés aux transports en communs qu’en plusieurs années de trajets. Néanmoins, un de mes nouveaux collègues, adepte de la ligne 13 du métro, m’avait dit que je m’étais un peu trop précipité. J’avais commencé à me dire que partir plus tôt de chez moi permettait d’échapper à ce genre de désagrément. Et, ce collègue avait même réussi à me convaincre de recommencer à prendre la ligne 13, une ligne de métro dont j’ai choisi de limiter l’usage au strict minimum pendant des années. Au point de presque exclure son existence de ma mémoire.  Alors que la ligne 13, lorsqu’elle marche, est en effet rapide.

Mais tout usager de la ligne 13 connait sa réputation de ligne souvent marquée par les arrêts pour causes techniques ou de sur-encombrement. Sans oublier la « culture » de pickpocket qui lui est accolée. Mais l’extension de la ligne 14 a aussi pour but d’alléger la ligne 13. Et, je me suis dit que ce collègue avait finalement raison. En prenant la ligne 13, cela s’était bien passé.  Jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’un autre collègue, un mordu de la ligne 14, avait pu mettre encore moins de temps que moi pour son trajet. 

 

 Mais maintenant…..

Gare de Lyon, ce vendredi 12 février 2021. Le trafic est interrompu jusqu’à environ 9h15 sur la ligne 14 du métro du fait de l’impair technique que nous avons connu pendant trente minutes. Il est donc demandé aux voyageurs que l’on voit en haut d’attendre la reprise du trafic de la ligne 14 vers la Porte de St Ouen.

 

Franck Unimon, ce vendredi 12 février 2021.

 

 

 

 

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Tu ressembles à ça ?!

 

 

J’ai aperçu son visage grâce à la porte entre-ouverte de son bureau. C’était la première fois que je le voyais vraiment. Lui et tous les autres se connaissaient depuis des années. Mais, moi, le petit nouveau, je les découvrais tous à cette époque des masques. Cela faisait à peine un mois que j’étais avec eux, et ce que je voyais, c’étaient des yeux, des fronts, des cheveux et assez peu de visages sauf, bien-sûr, au moment des repas. Pour ceux que je partageais avec certaines et certains d’entre eux. Ou épisodiquement lors de certaines pauses.

 

Je devais avoir presque dix ans, lorsque je me suis avancé pour lui dire :

 

« Ah ? Tu ressembles à ça ?! ». Il était près de 19H. Comme la veille, pour débuter cette journée qui allait se terminer vers 20h, je m’étais levé à 5h50. Et, jusque là, tout s’était bien passé avec l’ensemble des personnes et des situations rencontrées.

 

Après avoir dit ça, je suis resté là, sur le seuil. Il était seul, assis derrière son bureau. Il n’avait pas l’air occupé. Quelques jours plus tôt, lors de notre première rencontre où il avait opté pour garder son masque alors que je déjeunais, ça s’était passé de façon détendue. J’avais fait de l’humour à propos de son refus de se découvrir. J’avais mentionné l’importance de préserver sa pudeur. Il l’avait bien pris.

 

Il a commencé à m’expliquer plutôt sérieusement qu’il s’était laissé pousser la moustache. C’était comme une sorte de confession que je ne demandais pas. J’ai compris qu’il n’était pas très satisfait du résultat. Mais qu’il avait fait de son mieux. Et puis, il a tiqué sur le terme : « Tu ressembles à ça ?! ». J’ai aussitôt récupéré toutes mes années. Je n’avais pas dix ans. J’étais dans mon nouvel emploi depuis à peine un mois. Et, j’y faisais connaissance avec un nouvel environnement ainsi qu’avec une bonne cinquantaine de nouvelles et de nouveaux collègues. Dès les débuts, j’avais déjà entendu parler de Radio Langue de pute, qui, ici, émettait sur bien des fréquences comme partout. Sauf qu’ici, les fréquences affleuraient davantage au grand jour. Le matin, un collègue qui terminait sa nuit, proche de la retraite, que je croisais pour la première fois, m’avait dit avec le sourire :

 

« J’ai entendu parler de toi. Tu verras, ici, c’est une petite famille…. (sous-entendu : tout se sait rapidement et les ragots sont fournis avec le wifi et la fibre optique intégrés) ».

 

Debout, de l’autre côté du bureau de ce nouveau collègue, je l’ai regardé buter sur ce que je venais de dire. Nos propos peuvent être bilingues ou trilingues. Mais il était trop tard pour que je me reprenne. Ni lui ni moi n’avions dix ans. Je savais pertinemment qu’isolé et pris au pied de la lettre, le terme « ça » pouvait être dégradant. Mais ce n’était pas mon intention en disant « ça ». Et le contexte avait aussi son importance :

 

Hormis nos proches et celles et ceux que nous connaissions déjà avant la pandémie du covid et l’épopée des masques que nous vivons depuis plusieurs mois, notre cerveau compose une certaine image avec le peu que nous voyons du visage des autres. Le décalage est fréquent mais il nous apprend quelque chose sur notre perception- imparfaite-  et immédiate de notre environnement.  Et ce n’est pas une histoire de manque d’intérêt.

 

Un peu plus tôt, ce jour-là, je crois, alors qu’elle déjeunait, j’avais vu de profil une personne que j’avais vue jusque là seulement de face. Mais que je connaissais uniquement porteuse d’un masque. En la voyant démasquée pour la première fois alors qu’elle mangeait devant moi, je m’étais demandé si c’était bien la même personne. Alors que je savais que c’était  elle ! Je pensais, pourtant, l’avoir plus d’une fois plus que que bien regardée :

 

Je l’avais rencontrée lors de mes trois entretiens de pré-embauche, elle comme moi portant notre masque.  Je la trouvais plutôt sympathique. Elle était désormais ma supérieure hiérarchique en chef.

 

 

Mais impossible de parler de ça à mon nouveau collègue. J’étais trop imbibé par ce qui était en train de se dérouler. D’autant qu’à deux reprises, pour essayer de désamorcer le malentendu, j’avais baissé mon propre masque et lui avais dit avec le sourire :

 

« Moi, je ressemble à ça ! ».

 

 A le voir continuer de régurgiter ma phrase « Tu ressembles à ça ?! », je me suis dit :

 

Soit cet homme, toute sa vie durant, a aspiré à s’élever socialement.

Soit, malgré son envergure, il a toujours eu une mauvaise image de lui. Et moi, le « jeune » nouveau  collègue, en moins de dix secondes, j’avais écrabouillé tout ça.

 

 

Je n’avais pas rêvé de lui  par la suite. Mais j’allais savoir assez vite lorsque je retournerais au travail si Radio Langue de pute avait lancé un avis de recherche à mon sujet. Ou si une vendetta était en cours me concernant.

 

Des histoires de vengeance peuvent se décider pour bien moins que ça.

 

Franck Unimon, ce mardi 9 février 2021.