
La Reprise
Lui ressembler, c’est déjà être sa proie. Je refuse de la nommer. Mais c’est de plus en plus difficile. Dans quelques jours, ce 11 Mai, à la reprise de l’activité scolaire, après plusieurs semaines de confinement dans la peur pour cause de pandémie du covid-19, il y aura encore plus de peur et de colère. Elle sera à nouveau là pour en profiter.
Adroite fille de son père, elle a récupéré son parti politique d’abord avec l’aide et les encouragements de celui-ci. Puis, ils se sont fâchés. Cela fait des années qu’on dirait qu’ils font leur thérapie familiale à travers la scène politique et publique.
Mais elle est un modèle de réussite familiale dans un pays, la France, qui reste une grande puissance Mondiale dont la société assez traditionnaliste voire conservatrice sait être raciste :
En France, en 2020, il vaut mieux être un homme, plutôt blanc, plutôt de religion catholique, être marié à une femme et avoir effectué de grandes études, dans des écoles réputées, pour accéder aux plus hautes fonctions et aux meilleurs salaires.
Et, elle, femme divorcée, patronne d’un parti selon elle devenue le premier parti de France, n’est pas sortie de ces grandes écoles élitistes.
Même si elle a fait des études et a plus qu’un BEP, elle incarne donc une certaine modernité par rapport à la France d’avant Mai 1968. Cependant, elle se réclame de la Grandeur d’une France d’avant qu’elle n’a pas connue mais que- comme son père- elle idéalise et aime à jeter au visage de celles et ceux qu’elle vise et entend provoquer, humilier et dominer.
Après bientôt un demi siècle de présence- en incluant la carrière de son père- dans la politique, les média, les sondages, refuser totalement de la voir ou l’oublier reviendrait à se comporter comme un climato-sceptique.
C’est donc par Devoir que, pour la première fois, la nuit dernière, je me suis imposé de la regarder et de l’écouter lors de son allocution du 1er Mai 2020. J’ai voulu m’abstenir de cette réaction viscérale de rejet que j’ai pour elle et qu’elle a, je crois, pour les autres :
Celles et ceux qui pensent différemment d’elle et ne lui ressemblent pas.
Moi, le Français noir, d’origine antillaise, plutôt fier de me rappeler que son père n’avait pas pu débarquer en Guadeloupe lorsqu’il s’y était rendu en avion plusieurs années auparavant (on ne parlait pas beaucoup d’elle, alors) j’ai pris sur moi pour regarder sa vidéo sur Youtube, une innovation technologique étrangère, contemporaine, entrée dans les mœurs, qui n’existait pas dans cette France du passé à laquelle elle se réfère.
Son allocution durait environ 21 minutes. Je suis resté dix minutes.
Souriante, dans un intérieur évoquant plus le salon d’une maison de privilégiés que l’appartement exigu, dans un quartier bruyant, elle rayonne dès le début. Lovée dans ce système politique et démocratique qu’elle aime saturer et persifler, elle est tellement contente d’être là une fois de plus. De déranger. De se montrer. De s’exprimer sans la moindre interruption ou intervention extérieure.
Très à l’aise, sans lire ou sans sembler lire une seule note ( au contraire du maire de ma ville mais aussi de certains députés et d’un certain nombre de ministres) elle distribue les sarcasmes à l’intention de ses rivaux politiques actuellement au Pouvoir qu’elle nomme à visage découvert.
Mais, d’abord, elle nous parle de Jeanne d’Arc et des travailleurs. Je ne connais pas personnellement Jeanne d’Arc mais elle semble très bien la connaître comme elle semble aussi savoir ce que celle-ci aurait pensé et fait dans la France d’aujourd’hui qui serait envahie. Par des étrangers. Par Youtube et les réseaux sociaux, aussi, mais, ça, ça ne la contrarie pas apparemment.
Je suis persuadé de faire partie des étrangers pour elle, son père et sa nièce. Mais je n’ai pas de preuves.
Par contre, je fais partie des travailleurs depuis des années. Et, dans ce domaine, j’ai des preuves. En France, je suis un travailleur parmi des millions d’autres. Je fais également partie des travailleurs susceptibles de travailler n’importe quel jour de l’année. Le Week-end comme un jour férié. De nuit comme de jour. Je sais que d’autres travailleurs n’aimeraient pas travailler les week-end, les jours fériés ou la nuit. Je sais aussi que d’autres travailleurs exercent dans le froid, portent des charges pénibles, nettoient, respirent et débarrassent la saleté du monde.
Je sais que des travailleurs ont voté, votent et voteront pour elle. Qu’il y en a de plus en plus parmi mes collègues. Peut-être des femmes plus que des hommes. Question d’identification.
Mais, femmes comme hommes, il y a différentes sortes de travailleurs. Celles et ceux qui ont un emploi légal. Celles et ceux qui travaillent au noir. Celles et ceux qui ont une situation professionnelle précaire. Celles et ceux qui sont fonctionnaires. Celles et ceux qui sont en colère. Celles et ceux qui ont peur. Celles et ceux qui gagnent à peu près correctement leur vie. Celles et ceux qui gagnent très bien leur vie. On peut très bien gagner sa vie et être en colère. Je ne sais pas si elle est très en colère contre la vie, la France ou les autres, par contre, je crois qu’elle gagne beaucoup mieux sa vie qu’un travailleur comme moi. Je crois aussi que ses horaires et ses conditions de travail sont plus confortables que les miens. Pourtant, je ne me plains pas là où je suis.
Ce matin, j’ai discuté avec deux de mes jeunes collègues. Elles ont la trentaine. Elles faisaient le constat qu’elles avaient désormais de plus en plus de mal à enchaîner plusieurs journées de travail de suite en commençant à 6h45. Et elles aspiraient à moins travailler le week-end que ce soit pour leur vie personnelle et familiale.
Je comprenais de quoi elles parlaient concernant la difficulté de commencer à travailler, de façon répétée, à 6h45. Cela fait plus de dix ans que je n’ai plus eu ce genre d’horaire de travail et je m’en passe très bien. Pourtant, je suis plutôt un lève-tôt.
Mes collègues de ce matin font partie des « Héros de la Nation » depuis le discours du Président de la République, Emmanuel Macron, le 16 mars, je crois. Avant que ne débutent les mesures de confinement pour contrer la pandémie au Covid-19 que la France, dans son ensemble, a embrassé sans expérience épidémiologique, sans masques, sans protection, avec des hôpitaux et des personnels soignants pris de court car pris de haut depuis des années par les responsables politiques, et avec un manque de moyens de dépistage. Comme si la France, une des plus grandes puissances mondiales, première destination touristique mondiale, pays aux références culturelles multiples, était un pays sous-développé sauf pour délivrer des mensonges et des bobards à ses citoyens.
Ce matin, mes collègues ne se plaignaient pas. Elles n’étaient pas en colère. Elles constataient simplement leurs limites au moins physiologiques comme je pouvais moi-même connaître les miennes concernant cet horaire qui consiste à débuter sa journée de travail à 6h45. Comme d’autres millions de travailleurs peuvent finir par connaître leurs limites vis-à-vis d’un horaire, d’un certain type de travail, de ses conditions d’exécution, d’un mode de vie ou d’un salaire. Parmi ces travailleurs qui constatent ces limites, beaucoup d’entre eux doivent pourtant continuer au delà de leurs limites parce qu’ils n’ont pas d’autre choix ou se sentent privés d’horizons.
Lorsque je la regarde et l’écoute sur Youtube (un médium que Jeanne d’Arc aurait peut-être dédaignée), je ne crois pas qu’elle aille au delà de ses limites. Revancharde et sans limites, elle aime faire peur et menacer. Déja candidate aux élections présidentielles en 2022, si elle est en état, elle sera encore là en 2042. A son niveau, la politique est un jeu. Son père a bien tenu jusqu’à au moins ses 70 ans voire davantage. Il a plus de 80 ans maintenant. Elle en a une cinquantaine. Et elle n’a pas ou très peu de comptes à rendre contrairement à la majorité des Français. Même Jeanne d’Arc a dû rendre des comptes.
Elle le sait, c’est mathématique : il peut suffire d’une fois, pour, qu’aux élections présidentielles, elle soit finalement élue. Elle n’a pas si besoin que ça de se métamorphoser. Il lui suffit de continuer de durer. Et les autres classes politiques l’aident bien. Ce système de caste politique et sociale qu’elle méprise- ce n’est pas une pauvre- est complice et responsable de sa réussite comme il l’a été de celle de son père :
Dans une vie politique et sociale ambitieuse, et aussi plus vertueuse et démocratique, on aurait des hommes politiques qui ressembleraient moins à des VRP pour les grandes entreprises et les grands groupes financiers. On est sans doute passé des carriéristes de lutte aux carriéristes de luxe. Les travailleurs, une fois leur vote obtenu, ça ne rapportait plus assez. Alors, on les a délocalisés des grandes équations et des grandes questions. Ils ont été livrés à eux-mêmes sans masques, sans protections. Ce qui lui permet à elle, à la suite de son père, de marquer l’Histoire de France dans le domaine politique. Ou de pouvoir faire son possible pour en faire partie à côté de celles et ceux qui sont dans l’Histoire officielle.
J’ai envie de croire que si elle était élue, que très vite, elle serait perdue. Parce-que depuis des années, elle a la place la plus facile : critiquer sans gouverner.
Si elle avait été membre d’un parti politique classique, comprendre « socialement » fréquentable, je crois qu’elle aurait sans doute déja été nommée Ministre plusieurs fois. Mais ça se serait mal passé car elle aime le Pouvoir et, avec elle, c’est toujours de la faute de l’autre. Elle fait partie des personnes qui ont les moyens d’imposer ça comme principe : ce n’est jamais de sa faute. Et, il lui avait fallu plusieurs semaines pour comprendre qu’elle avait raté sa prestation face à Emmanuel Macron lors du débat d’avant le second tour des élections présidentielles de 2017.
Mais si elle était élue présidente, je crois que des femmes et des hommes politiques très «respectables » viendraient toquer à sa porte pour obtenir un poste de Ministre et nous expliqueraient de façon didactique avec des polycopiés qu’ils font ça par Devoir, pour la France, ou qu’ils estiment qu’elle est- profondément- attachée au rayonnement de la France.
Je crois aussi qu’il y a peut-être pire qu’elle en politique mais que nous ne le connaissons pas encore. Je ne sais pas si sa nièce est ce « pire-là » mais je me dis que si elle et son père peuvent, comme ils le font, prospérer sur la scène politique française depuis des années, que le pire est possible. Même si, pour moi, elle fait plus partie du passé que du futur.
La reprise scolaire et un « déconfinement » gradués ont été prévus pour la semaine prochaine, à partir du 11 Mai. Je ne serais pas étonné que, finalement, le gouvernement change d’avis et repousse la date. Mais, en attendant, le gouvernement a « découpé » la France en trois couleurs, selon le niveau de la pandémie. Vert, orange, rouge. Sur la carte de France affichée dans le journal Le Parisien du samedi 2 Mai 2020, on peut voir qu’une bonne majorité des départements de l’ouest de la France est en vert. La pandémie y est moins sévère. La Guadeloupe, la Martinique la Guyane, la Réunion mais aussi la Corse sont aussi en vert. Mayotte, par contre, est en rouge comme tout le Nord-Est de la France, île-de-France, incluse.
« Après le 11 Mai, il sera possible d’effectuer des déplacements dans un rayon de 100 km à partir de son domicile. Au delà, il faudra pouvoir justifier d’un motif professionnel ou d’un « impératif familial impérieux ». Mais l’exécutif, par la voix d’Olivier Véran, appelle à limiter les déplacements « entre les territoires plus ou moins éloignés, mais très différents sur le plan de la circulation du virus » (….)
« En clair, un habitant d’un département rouge est prié de ne pas se déplacer dans un département vert » ( article d’Aurélie Sipos et Frédéric Gouaillard, dans le journal Le Parisien du 2 Mai 2020, page 2 et 3 dans la rubrique Le Fait du Jour : Crise du Coronavirus avec le titre Du flou sur la carte).
Le retour des enfants à l’école, même en prenant en compte les mesures de prévention recommandées par l’Etat a mis et met beaucoup de parents en colère :
On a l’impression d’envoyer nos enfants et notre santé au casse-pipe pour permettre à l’économie de reprendre. Il est imposé à l’échelle nationale une logique qui a fixé de plus en plus, depuis des années, les conditions de travail des soignants dans les établissements de santé :
L’économie et la rentabilité avant la santé, la relation humaine et la réflexion.
On essaie avant tout de voir comment on peut se faire encore plus de fric en un minimum de temps. On pensera peut-être à (sa)voir plus tard les éventuels dégâts que cette logique cause et creuse.
Les conditions pour la reprise de l’école la semaine prochaine ont été qualifiées » d’usine à gaz » par le maire de ma ville, Georges Mothron. J’ai regardé sa vidéo sur youtube après que ma compagne me l’ait envoyée. Il y avait trois cents ou quatre cents vues. Beaucoup moins de vues sans doute que pour elle.
L’intervention de Georges Mothron date du 1er Mai mais la vidéo a été ajoutée le 2 Mai. Sur la vidéo, Georges Mothron avait beaucoup moins d’éclat qu’elle. Elle et lui ne sont pas du même camp politique.
Malgré sa prestation dépourvue de charisme, le maire de ma ville m’a donné le sentiment d’un élu sincèrement préoccupé par la santé de ses concitoyens. Il a précisé qu’il attendait encore d’autres informations, dont certaines des associations de parents d’élèves, pour arrêter une décision concernant la reprise de l’école.
Dans ce même exemplaire du journal Le Parisien, page 6 ( Le Parisien de ce samedi 2 Mai 2020), l’article Acheter un masque en grande surface, mode d’emploi nous apprend que » Dès lundi ( ce lundi 4 Mai 2020) ils seront en vente libre, mais sous certaines conditions ».
L’article de Sylvie De Macedo et Odile Plichon nous informe que des millions de masques vont être en vente à Carrefour, Casinon, Franprix, Intermarché, Leclerc, Lidl, Monoprix, Système U. Des millions de masques, jetables mais aussi réutilisables. « à prix coûtant » annonce Carrefour soit 0,58 euro le masque chirurgical et » Pour ceux en tissu, les premiers prix seront à » moins de 1 euro ». Un prix plus abordable que celui que j’avais payé fin février ( 3,99 euro) pour un masque FFP2 dans une pharmacie parisienne. ( Coronavirus ).
Dans Le Parisien de ce 2 Mai, il y a même de la Pub pour Leclerc, Carrefour et Intermarché qui nous informent qu’ils vont nous vendre des masques et du gel hydroalcoolique et que leur offre commerciale a pour but de veiller sur notre santé, accomplissant un geste plein de civisme.
Malgré ce cynisme économique ( les rayons alimentaires- et autres- des hypermarchés ont plutôt fait un très bon chiffre d’affaires durant ces semaines de confinement), j’imagine facilement les files d’attente – et les bagarres- à partir d’aujourd’hui dans les hypermarchés pour acheter des masques.
En bas de page de ce même article, les mêmes journalistes ont rédigé un autre article L’attaque choc de la santé contre les enseignes de distribution ( Les professionnels s’indignent de la disponibilité soudaine de gros volumes de masques). L’article prend deux à trois fois moins de place, en bas de page, que celui nous informant de la vente de masques dans les hypermarchés. Mais, au moins existe-il.
Avant d’apprendre cette information en achetant le journal Le Parisien, j’en étais resté sur l’information que le gouvernement avait passé commande en avril de masques à la Chine. Et que deux milliards de masques étaient prévus en provenance de la Chine…fin juin. Je ne comprenais pas comment le gouvernement d’une Grande Puissance telle que la France pouvait accepter de dépendre de la Chine ou d’un autre pays pendant deux mois pour recevoir des masques en période de pandémie. Je n’avais pas été surpris de voir de plus en plus de personnes ces deux dernières semaines portant des masques faits main. Je crois même que fabriquer- et vendre- des masques est désormais un bon filon commercial puisque je m’attends désormais à d’autres pandémies de ce genre à l’avenir.
Mais je ne m’attendais pas à ces millions de masques en vente libre progressivement- en nombre limité par personne– à partir d’aujourd’hui dans des hypermarchés. Plus de 300 millions de masques selon l’article du Parisien.
Je dois au hasard le fait d’avoir acheté et lu ce numéro du Parisien où j’ai appris que des chiens pourraient être « utilisés » pour détecter les personnes touchées par le Covid-19, une démarche qui m’inspire certaines réserves.
Mais le 2 Mai, donc, après une nuit de travail, je suis allé acheter le livre que j’avais commandé une semaine plus tôt dans un point presse où j’ai pris mes habitudes. Je préfère lire les informations sur du papier, surtout celles concernant la pandémie du Covid-19. Je trouve que ça filtre beaucoup mieux cette angoisse permanente dans laquelle nous sommes installés depuis plusieurs semaines. Et puis, ça m’informe sur d’autres sujets tout en soutenant, un petit peu économiquement, la presse écrite qui souffre beaucoup de la fermeture des kiosques à journaux et de sa moindre distribution.
Ce samedi 2 Mai, au matin, je suis donc allé récupérer le livre Déni, Mémoire sur la terreur de Jessica Stern que je ne connaissais pas il y a encore deux semaines. Jusqu’à ce que dans la salle d’attente où le médecin-chef (pédopsychiatre) de mon service reçoit ses consultations, je découvre la revue Cercle Psy de mars-avril 2020.
En sortant du point presse, ce samedi 2 Mai, j’ai été sollicité par un homme d’une soixantaine d’années. Au lieu de me demander de l’argent, il m’a demandé si je pouvais lui acheter Le Parisien. Avec le livre de Jessica Stern, j’avais déja acheté deux ou trois autres journaux. Mais pas Le Parisien que je lis aussi de temps en temps. Je suis retourné au Point Presse et en suis ressorti avec deux exemplaires du Parisien.
Même si je suis en colère, je ne voterai pas pour elle.
Franck Unimon, ce dimanche 3 Mai 2020 + ce lundi 4 Mai 2020.