Say hello, wave good bye
Cette chanson du groupe Soft Cell, sortie en 1981, mâa toujours beaucoup touchĂ©e. Bien qu’elle soit moins connue que son tube : Tainted Love.
A nouveau, je viens dâessayer de chanter sur Say Hello, Wave Goodbye en mĂȘme temps que son interprĂšte, Marc Almond. J’ai probablement chantĂ© faux.
Mais, cette fois, pour la premiĂšre fois, je suis restĂ© dans « ma » voix. Enfin, je crois mâĂȘtre au mieux rapprochĂ© de ce qui est ma voix. Car, Ă chaque fois, auparavant, je me faisais aspirer par celle de Marc Almond fuselĂ©e pour passer des graves aux aigus. Evidemment, je finissais, Ă chaque fois, par «mâasphyxier » et racler mes limites vocales. Cela devait ĂȘtre plus que moche Ă voir et Ă Ă©couter. Fort heureusement, pour lâinstant, je nâai jamais cru en ma carriĂšre de vocaliste. MĂȘme si chanter mâattire depuis des annĂ©es. Au mĂȘme titre que faire de la musique.
Chanter, jouer de la musique, Ă©crire, ce sont des activitĂ©s dâabord humaines, qui, si elles ne permettent pas de devenir « riches » et « cĂ©lĂšbres » matĂ©riellement, autorisent Ă ĂȘtre soi-mĂȘme. Seul ou avec dâautres. Et Ă vivre, autrement, seul ou avec dâautres, connus, ou inconnus, ce temps qui passe, qui nous occupe ou nous accule. Dans une certaine sincĂ©ritĂ©.
Il existe plein dâactivitĂ©s humaines. Certaines plus nĂ©cessaires que dâautres. Certaines plus volontaires. Et, dâautres, plus interdites. Que ces activitĂ©s soient bĂ©nĂ©fiques ou nĂ©fastes, toutes ces activitĂ©s ont lieu. Nous les faisons. Nous y assistons. Nous en entendons parler. Puis, nous en parlons, en rĂȘvons, tentons de faire pareil. Ou, au contraire, nous nous taisons et nous Ă©loignons. Parfois pour des « bonnes » raisons. Dâautres fois, non. Car quelle bonne raison pourrait-il y avoir, si lâon en a envie, de sâinterdire de prendre le temps de chanter ou dâapprendre Ă chanter ? A Ă©crire ? A jouer de la musique ? Si cela nous plait. Si cela nous ouvre Ă nous-mĂȘmes mais aussi Ă certaines Ă©motions.
Ce titre, Say Hello, Wave Good Bye raconte une histoire triste. La musique est fort peu dansante. PlutĂŽt nostalgique. Jâavais 13 ans lorsquâelle est sortie, en 1981. Il nây a rien dâexceptionnel dans le fait de filer une certaine nostalgie lorsque lâon a 13 ans. Une peine dâamour ou dâamitiĂ©. Une mauvaise note. Une mauvaise nouvelle dans sa famille.
En 1981, pourtant, jâavais plus Ă©tĂ© touchĂ© par la mort de Bob Marley. Sa musique Ă©tait familiĂšre grĂące Ă la platine disque de mon pĂšre depuis plusieurs annĂ©es. En 1981, jâavais sĂ»rement entendu Tainted Love Ă la radio. Parmi les tubes. Mais pas Say hello, Wave Good Bye. Et, jamais, je nâaurais entendu ou nâai entendu de groupes du genre de Soft Cell ou Depeche Mode qui se sont faits connaĂźtre Ă peu prĂšs en mĂȘme temps, Ă la maison.
Cette musique, ainsi que dâautres, Ă©taient ignorĂ©es Ă la maison. Et dans nos rĂ©unions familiales. Je ne pourrais mĂȘme pas dire quâelles Ă©taient interdites. MĂȘme si ça revenait au mĂȘme : elles auraient Ă©tĂ© ignorĂ©es, mĂ©prisĂ©es. Ou, auraient Ă©tĂ© perçues comme lâempire du mal. Je repense encore, par moments, Ă ce jour, oĂč, dans un mariage ou une fĂȘte antillaise, j’avais remplacĂ©, pour quelques titres un de mes oncles maternels qui Ă©tait le DJ de cette soirĂ©e.
AprĂšs plusieurs titres antillais, jâavais dĂ©cidĂ© placĂ© sur une des platines le titre World in My EyesâŠde Depeche Mode. Jusque lĂ , tout sâĂ©tait bien passĂ©.
Mais, Ă peine avais-je posĂ© ce titre, que, câĂ©tait comme si jâavais balancĂ© du Round Up sur la piste. En moins dâune minute, tous les danseurs et danseuses avaient dĂ©guerpi ! Ce nâĂ©tait pas uniquement une histoire de goĂ»t ou de rythme. Mais, aussi, une affaire de prestige et de honte. Jâimagine que cela aurait Ă©tĂ© la honte pour elle si une seule personne avait osĂ© danser sur ce titre. Mizik A Blan ! De la musique de Blanc !
Il est un certain nombre dâactivitĂ©s vis-Ă -vis desquelles nous avons le mĂȘme comportement : nous considĂ©rons que ce nâest pas pour nous ! MĂȘme si rien ne nous interdit de les pratiquer ou de nous en approcher. Si ce nâest notre sentiment dâappartenance Ă un groupe. Et la conception, assez superficielle, en surface, que nous avons de ce que nous sommes. Je me rappelle encore de mon petit frĂšre, ado, qui Ă©coutait du Rap avec ses copains, et qui, secrĂštement, en cachette et en ma prĂ©sence, avec ma « complicitĂ© », Ă©coutaitâŠ.Björk.
Car jâĂ©coutais et jâaimais cette artiste que jâai dâailleurs « vue » trois fois en concert. Presque autant de fois que jâai vu Miles Davis, MeâShell NĂ©dĂ©geocello, Kassavâ ou Alain Bashung en concertâŠ..
https://youtu.be/sJ7M3ht9rYI
Jâai dĂ©couvert ou redĂ©couvert Say Hello, Wave Good Bye lors dâun sĂ©jour supposĂ© linguistique en Ecosse, Ă Edimbourg, en 1990. Un sĂ©jour affectivement consĂ©quent pour moi.
Dans ce titre, je suis sensible Ă la tristesse. A cette dĂ©sillusion amoureuse. Sans doute ou peut-ĂȘtre parce-que lors de ce sĂ©jour, jâavais vĂ©cu une double rencontre amoureuse. Avant mon dĂ©part pour lâEcosse. Puis durant mon sĂ©jour. Deux histoires contraires dont le contenu Ă©motionnel et sentimental mâont portĂ© pendant des annĂ©es. Une, plutĂŽt Ă distance, avec une Marseillaise. Une autre, avec une Parisienne, dĂ©jĂ en couple.
Peu importe que Say Hello, Wave Good Bye raconte une histoire dâamour entre un homme et une femme ou pour un autre homme. Car jâai plus tard appris, si je ne me trompe, que Marc Almond est homo. Et, sâil ne lâest pas, je nâai aucune difficultĂ© Ă croire que ce titre puisse ĂȘtre un classique pour une certaine gĂ©nĂ©ration dâhommes voire de femmes homos. Comme je nâavais pas a priori compris, lors de sa sortie, que le tube dâElton John, IâM still standing, puisse ĂȘtre si important pour les homos touchĂ©s, percutĂ©s et persĂ©cutĂ©s par le Sida.
Tout ce que jâavais entendu Ă lâĂ©poque, dans les annĂ©es 80, câĂ©tait un titre plutĂŽt dansant, assez funky. Je nâĂ©coutais pas les paroles. Je ne comprenais pas le contexte. Pourtant, jâavais aussi peur du Sida. Et lâĂ©pidĂ©mie du Sida me concernait beaucoup. En tant que jeune adulte avec une sexualitĂ©. Mais, aussi, en tant quâinfirmier rĂ©cemment diplĂŽmĂ©.
Avec la pandĂ©mie du Covid, câest pareil. Rien ne nous empĂȘche de nous livrer Ă certaines activitĂ©s dont nous avons envie et besoin. MĂȘme sâil faut savoir se protĂ©ger. Car, certaines fois, câest peut-ĂȘtre, aussi, de certaines de nos apparences dont il vaut mieux savoir se protĂ©ger :
Il y a quelques jours, en revenant du travail, sur mon vĂ©lo pliant, jâai dĂ©couvert tous ces gens Ă nouveau en terrasse. Il faisait beau. TrĂšs beau. Et, moi, mĂȘme si je savais que tout cela avait existĂ© auparavant. MĂȘme si je comprenais ce besoin de sortir Ă nouveau. MĂȘme si jâirai sĂ»rement, aussi, Ă une de ces terrasses un jour ou lâautre, jâai nĂ©anmoins eu lâimpression dâassister Ă une mise en scĂšne.
Jâai eu lâimpression que beaucoup de ces gens que jâai aperçus, et, parmi eux, sans aucun doute, des amis, des proches ou des collĂšgues, voulaient affirmer que, pour eux, vivre, câĂ©tait absolument ça ! Presque revendiquer le droit dâĂȘtre en terrasse face Ă face. De fumer. De cloper Ă lâair libre. De consommer. De refaire les magasins.
Pourquoi je fais le moraliste ? Pourquoi cela mâa-tâil dĂ©rangĂ© Ă ce point alors que je lâai moi-mĂȘme fait et refait ? Et que je le referai ?! Moi, aussi, je me rendrai bientĂŽt sur une terrasse en plein ParisâŠ
Je fais le moraliste parce-que, subitement, ce jour-lĂ , et parce-que la pandĂ©mie a dĂ©ja durĂ© un certain temps, je me suis peut-ĂȘtre, et de maniĂšre assez provisoire sans doute, aperçu, que, pendant des annĂ©es, je mâĂ©tais accrochĂ© Ă certaines activitĂ©s qui, finalement, Ă©taient peu nĂ©cessaires.
Etre en terrasse, oui, mais pour y vivre quoi et avec qui ?! Juste pour sây montrer ?!
On peut ĂȘtre en terrasse avec quelquâun et ne rien vivre de particulier avec elle ou lui. Donc, pourquoi y rester ?! Pourquoi y revenir ?! Pourquoi se lâimposer si ce nâest, principalement, pour ĂȘtre dans la norme ?! Pour faire quelque chose. Pour ne se pas se confronter Ă notre propre vide. A notre grande tristesse et Ă notre grande solitude.
Pour ne pas devoir admettre que lâon passe une grande partie de son temps Ă se vider de notre vitalitĂ© et de notre crĂ©ativitĂ© au lieu de lui donner les moyens de sâexprimer et de, vĂ©ritablement, nous libĂ©rer, nous aider.
Pour ne pas voir que lâon tourne rĂ©guliĂšrement en rond mais que, comme la majoritĂ© des personne que lâon voit et que lâon frĂ©quente agit de mĂȘme, hĂ© bien, cela nous rassure et nous encourage Ă continuer de rester sur la mĂȘme piste de danse.
Il est plus facile et plus commode de faire la fĂȘte, dâĂȘtre en terrasse en plein soleil avec dâautres que dâadmettre que lâon est triste et dĂ©fait. Lorsque lâon est triste et dĂ©fait.
Jâaime sans doute ce titre de Soft Cell (cellule douce) parce-quâavec lui, comme avec dâautres, je mâautorise Ă entendre et Ă chanter ma tristesse et ma peine. Ce quâil mâen reste. Ou ce que jâen ressens. Si la tristesse dâun Jacques Brel me fait dĂ©primer, celle de Say Hello, Wave Goodbye a plus tendance Ă me donner un certain envol. Ensuite, si jâai envie de bercer cette tristesse, de la distancer ou de la percer, jâĂ©couterai du dub, du Reggae, du zouk, du Maloya, ou Miles Davis par exemple.
https://youtu.be/ChZ1QU9pxZE
Dâautres prĂ©fĂšreront Ă©couter du Rap, de la musique classique, du Rock, de la musique arabe, de la chanson française ou de la techno. La musique, cet ailleurs qui se joint Ă nos coups de poings mais aussi Ă nos soins intĂ©rieurs…
Mais quoiquâil en soit, en terrasse ou non, nous vivrons les mĂȘmes Ă©motions (joie, espoir, tristesse, colĂšre, dĂ©sir ou dĂ©gout) Ă un moment ou Ă un autre. LâidĂ©al, ensuite, ce sera de pouvoir les vivre avec dâautres, ces Ă©motions. Que ce soit en terrasse. Ou ailleursâŠ.
Franck Unimon, ce lundi 31 Mai 2021.