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Titane- un film de Julia Ducournau

 

Titane un film de Julia Ducournau

 

 

Prise d’adolescence

 

Titane, le deuxième long métrage de Julia Ducournau, a obtenu la palme d’Or lors de ce dernier festival de Cannes, la semaine dernière. Je l’ai appris par hasard le jour-même. Aussitôt, j’ai ressenti des sentiments contrastés.

 

J’étais allĂ© voir le film deux Ă  trois jours plus tĂ´t. Et, en sortant de la salle, j’avais prĂ©fĂ©rĂ© parler d’un autre film plus ancien, regardĂ© en dvd :

 

 Sex & Fury de Norifumi Suzuki rĂ©alisĂ© pratiquement un demi-siècle plus tĂ´t. ( Sex & Fury un film de Norifumi Suzuki

 

On peut donc dire qu’en « nĂ©gligeant Â» Titane, en termes de stratĂ©gie et d’anticipation -lorsqu’il s’agit de faire son possible pour obtenir le maximum de vues avec un article- j’avais ratĂ© la marche de tout mon long.

 

Heureusement, pour moi, Black Widow, réalisé par Cate Shortland, vu quelques jours avant Titane n’a pas eu de prix à ce dernier festival de Cannes.

 

Alexia/Agathe Rousselle

 

Mais j’avais fait le choix de faire « patienter Â» Titane , avant de parler de lui, car il m’avait moyennement enthousiasmĂ©. J’avais presque regrettĂ© d’être allĂ© le voir.

 

En me levant pour quitter la salle à la fin du film, j’avais même eu l’impression qu’une partie des spectateurs présents- dont un certain nombre de femmes- était à peu près dans le même état émotionnel que moi.

 

Cette impression en dit bien-sĂ»r plus sur moi que sur les autres : peut-ĂŞtre que la majoritĂ© des spectateurs prĂ©sents ce jour-lĂ  avaient beaucoup et secrètement aimĂ© Titane.

 

Donc, parlons de « moi Â» qui avais peut-ĂŞtre Ă©tĂ© le seul Ă  regretter d’être venu voir  Titane au cinĂ©ma. Au lieu de Teddy, rĂ©alisĂ© par Ludovic et Zoran Boukherma.  

 

 

J’avais vu Ă  sa sortie le prĂ©cĂ©dent long mĂ©trage de la rĂ©alisatrice : Grave. Je le prĂ©fère largement Ă  Titane.

 

L’actrice Garance Marillier dans “Grave”

 

Avant d’aller voir Titane  en salle, coĂŻncidence, j’avais lu dans TĂ©lĂ©rama l’interview de la rĂ©alisatrice. J’y avais appris que les parents de Ducourneau, dermatologue et gynĂ©cologue, l’avaient en quelque sorte exhortĂ©e Ă  ce qu’elle les « laisse tranquilles Â» dans ses films. Tant les parents, dans les deux films de Ducournau, sont loin d’être transparents.

 

Dans cette interview, j’avais aussi appris que Ducournau avait eu une Ă©ducation de cinĂ©phile en famille- avec sa mère et son père, donc- comme d’autres peuvent en avoir avec les consoles de jeux vidĂ©os. Et qu’elle avait aimĂ© regarder les films de David Cronenberg tels que Crash. Film que j’avais vu au grand jour Ă  sa sortie au cinĂ©ma- et qu’il serait bien que je revoie aujourd’hui- tandis qu’elle, avait vu ce film et d’autres de Cronenberg, en cachette. On voit le rĂ©sultat de certains plaisirs interdits.

  

 

Sur la planète Ducournau, les mĂ©langes sont des habituĂ©s. Et  le cinĂ©ma « parisien Â», intello,  bourgeois et propre sur lui a Ă©tĂ© Ă©vacuĂ©. Cela fait partie des attraits de sa filmographie ainsi que son cĂ´tĂ© Pardonnez-moi de MaĂŻwenn pour cette façon de fureter près de la porte de la chambre de ses parents. Et, cela, pour mieux les tourmenter pour dĂ©faut de dĂ©faillance Ă©ducative et affective mais aussi pour des raisons scĂ©naristiques.

 

Dans Titane, les parents  sont moins aimables que dans Grave. Moins cannibales, aussi. C’est peut-ĂŞtre dĂ» aux bienfaits de la thĂ©rapie. La thĂ©rapie est un organe alimentaire. 

Mais je n’ai pas aimĂ© la façon de montrer le « trauma Â» initial qui fera ensuite de l’hĂ©roĂŻne Alexia (l’actrice Agathe Rousselle) une psychopathe. Oui, je parle de psychopathie. MĂŞme si pour la mentionner, on en parle ensuite comme d’une « tueuse en sĂ©rie Â». Dans la pyrotechnie des crimes d’Alexia devenue adulte, moi qui suis souvent invitĂ© Ă  des barbecues avec des tueuses et des tueurs en sĂ©rie, je ne retrouve pas leurs alchimies attitrĂ©es.  

 

 

De toute façon, dès le dĂ©but du film, la rĂ©alisatrice nous enferme dans son parti pris. Cela se passe dans une caisse (une voiture). Fi-fille asticote papa (Bertrand Bonello, que je n’ai pas reconnu) qui conduit. L’ambiance est lourde. Papa est peu aimant. On dirait le beau-père dont la prĂ©sence de la petite Ă©quivaut Ă  une peine de prison. Aucune parole entre les deux. La petite est en  recherche de frĂ©quence et d’attention par des provocations. L’adulte recherche le solo et l’évasion par la radio.

 

On comprend que dans ce duel sourd, les deux préfèrent l’affrontement à la communion ou à la confession. Finalement, le père s’impose mais c’est au prix de l’accident coupable.

 

On entre alors dans le titane : ce mĂ©tal en transition, lĂ©ger et rĂ©sistant, nous dit wikipĂ©dia. Mais ce que je sais sans l’aide de wikipĂ©dia, pour avoir assistĂ© dans le passĂ© au mariage d’un couple de tueurs en sĂ©rie dans le Val d’Oise, c’est que le titane sert aussi Ă  la constitution des alliances.

 

Je me suis nĂ©anmoins demandĂ© si Titane pouvait aussi signifier « Tite Anne Â» tant nous sommes dans le registre de l’enfance. Une enfance dĂ©boutĂ©e par les parents. En particulier par le père (Bertrand Bonello, donc) qui en prend plein la gueule dans le film. L’expression « plein la gueule Â» est Ă©clairĂ©e plein phares. Car la tronche de l’acteur Bonello- qui assure bien la relève de l’acteur Laurent Lucas prĂ©sent dans Grave est bien choisie pour ce rĂ´le.

 

Si Titane m’a laissĂ© un goĂ»t dĂ©crĂ©pi, je lui reconnais des aventures et des plaisirs. Telle cette scène oĂą le père d’Alexia s’enfourne une assiette de pâtes Ă  cheval entre le vomi et le repas insipide qui en disent long sur la touche grise du personnage qui est l’incarnation de l’anti-orgasme.

Ducournau est très habile avec le comique de situation. Je repense encore Ă  cet Ă©change de regards entre l’hĂ©roĂŻne et son père lorsqu’elle lui dit «  au revoir . Aucune phrase. Ducournau sait se servir du silence et des intentions. De l’instinct, aussi. 

 

J’ai bien-sûr aimé revoir ce visage familier que j’ai réussi à identifier parce-que j’avais lu l’interview. Celui de l’actrice Garance Marillier, Justine, l’héroïne de Grave.

 

Justine/ Garance Marillier dans ” Titane”

 

 

J’ai aimĂ© la capacitĂ© de Ducournau Ă  entremĂŞler scènes de meurtre, leur labeur et l’humour. MĂŞme si le premier meurtre, de dĂ©fense plus ou moins lĂ©gitime dĂ©rive très vite vers la jubilation. Dans l’action d’occire, il y a aussi beaucoup d’excitation Ă  regarder Alexia agir. Et cette excitation est difficile Ă  apprĂ©hender. A moins de se dire que, comme le titane, elle Ă©tait en transition, et que le premier meurtre a Ă©tĂ© le dĂ©clic vers sa transformation. Ou sa « libĂ©ration Â».  

 

Alexia/ Agathe Rousselle en recherche d’un peu de chaleur humaine.

 

 

Auparavant, j’avais aimĂ© l’attitude bornĂ©e de l’hĂ©roĂŻne. Sorte de figure de Rosetta des frères Dardenne. Mais, cette fois, une Rosetta qui gagnerait sa vie en dansant, dans un corps longiligne, plutĂ´t grand et sec, en effectuant des dĂ©rapages contrĂ´lĂ©s sur la tĂ´le immaculĂ©e de carrosseries de voitures dans des salons d’exposition.  Alexia n’est pas une jolie femme mais elle crĂ©e un dĂ©sir chez les autres alors que son rĂ©servoir Ă  dĂ©sir est vide pour les autres. Dans Exotica (1994) d’Atom Egoyan, ZoĂ© (l’actrice ArsinĂ©e Khanjian), danseuse dans un club de strip-tease, Ă©tait reliĂ©e Ă  Francis. Dans Titane, Alexia n’est reliĂ©e qu’à ses danses sur des voitures et cela suffit pour que des individus (hommes et femmes) souhaitent s’inviter dans son intimitĂ©.  

 

Puis, arrive Vincent (Vincent Lindon), beau camion musclĂ© mais aussi muselĂ© par ses injections rĂ©gulières de stĂ©roĂŻdes. Lui et Alexia sont deux astĂ©roĂŻdes gravitant autour d’un dĂ©ni prononcĂ©. Ils sont  forts mais ont aussi besoin d’être sauvĂ©s de leurs fuites et de leurs culpabilitĂ©s. Comme, peut-ĂŞtre, de certaines de leurs volontĂ©s.

 

Vincent/ Vincent Lindon

 

Vincent, en commandant de pompier à qui ses hommes doivent une obéissance totale mais qui ne rend jamais compte de rien à personne, manque plusieurs fois de crédibilité, ou, le film, de réalisme. Et, Ducournau, plusieurs fois, redresse le tir. Titane vise alors juste (la scène avec l’ex-femme de Vincent, jouée par Myriem Akheddiou).

 

L’obĂ©issance totale, pourtant, Vincent comme Alexia en sont bien incapables, mais Ă  quel prix !

 

Il a Ă©tĂ© dit de Titane qu’il Ă©tait un film « viscĂ©ral Â». Adjectif facile pour ce film si peu tactile qu’il vaut mieux perforer son prochain, se perforer soi-mĂŞme ou s’arracher Ă  lui, plutĂ´t que de simplement se toucher et s’embrasser ( voir la relation entre Alexia et Justine ou, bien-sĂ»r, entre Alexia et son père).

 

Je reproche aussi Ă  ce film qui se veut un film d’émancipation- au moins dans la cinĂ©matographie française- de rester cramponnĂ©, pour la partie musicale, Ă  des rĂ©fĂ©rents rock and roll, forcĂ©ment anglo-saxons. Evidemment, le mĂŞme film , avec du Dub ou de la valse, serait moins « dur Â». Mais quitte Ă  s’émanciper, autant tenter autre chose.

 

Enfin, comme dans Grave, j’ai aimĂ© que dans Titane soit prĂ©sente Ă  l’écran une diversitĂ© de peaux et de couleurs que Ducournau prĂ©sente Ă  chaque fois comme Ă©vidente, alors que dans d’autres productions françaises, elle est encore très souvent absente ou balbutiante. Comme lors du tout premier bal. 

 

Franck Unimon, ce dimanche 25 juillet 2021.

 

 

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