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Objectif de conscience

 

Lorsque l’ami Zez m’a demandĂ© de tĂ©moigner concernant mon quotidien en tant « qu’agent hospitalier Â», j’ai commencĂ© Ă  me gratter l’arriĂšre-train et Ă  entonner un refrain plus rĂŽdĂ© que mes pensĂ©es.

 

Tout d’abord, je lui ai proposĂ© de lire mes deux derniers articles Vent d’ñme et Adaptations que l’on peut trouver sur mon blog en lui disant :

 

«  Peut-ĂȘtre que tu trouveras dedans ce que tu cherches Â». J’étais content de moi. Je me suis dit qu’encore une fois, mĂȘme si lui et moi nous connaissons finalement assez peu, certaines de nos prĂ©occupations se rejoignent.

 

Et, puis, Zez m’a recontactĂ© :

 

« J’aime beaucoup tes articles mais c’est trop (ou trĂšs) poĂ©tique. Ce n’est pas ce que je recherche. Ce que je veux, vraiment, c’est comment tu vis, comment, lorsque l’on est agent hospitalier, on vit l’épidĂ©mie dans son quotidien. Comment vous vivez avec ça. Parce-que vous ĂȘtes quand mĂȘme supposĂ©s ĂȘtre les sauveurs de la Nation
 Â».

 

Et, lĂ , j’ai Ă©tĂ© coincĂ©. J’ai Ă  nouveau ressenti en mon fors intĂ©rieur cet interdit dĂ©jĂ  ressenti plusieurs fois lorsqu’il s’agit de s’exprimer en tant qu’infirmier sur la place publique.  Bien-sĂ»r,  entre-temps, j’avais compris que lorsque Zez parle «  d’agent hospitalier Â», il ne pense pas forcĂ©ment Ă  un ASH, un agent de service hospitalier comme je l’ai d’abord pensĂ©. Mais Ă  tout agent hospitalier. A toute personne qui travaille dans un hĂŽpital public et qui, du fait de l’épidĂ©mie, se trouve officiellement engagĂ© depuis cette semaine dans cette « Guerre sanitaire Â» dont a parlĂ© et reparlĂ© notre PrĂ©sident de la RĂ©publique Ă  la tĂ©lĂ©. Ainsi que son Premier Ministre et/ou son Ministre de l’intĂ©rieur, je ne sais plus.

 

Mais il existe souvent un mur entre cette demande, spontanĂ©e, de bien des personnes qui souhaiteraient que des professionnels de l’hĂŽpital s’expriment. Et les professionnels de l’hĂŽpital qui peuvent hĂ©siter ou refuser de le faire. Je ne parle pas, Ă©videmment, des mĂ©decins et des psychologues qui sont souvent les plus sollicitĂ©s ou les plus volontaires dĂšs qu’il s’agit de s’exprimer sur une situation donnĂ©e dĂšs qu’il s’agit de l’hĂŽpital et, cela, bien avant l’épidĂ©mie actuelle.

 

Non, je parle de tous les autres qui sont, par ailleurs, souvent les plus nombreux et que l’on pourrait presque surnommer la « majoritĂ© Â» silencieuse, souvent anxieuse, peureuse ou voire honteuse Ă  l’idĂ©e de s’exprimer Ă  visage dĂ©couvert. Et mĂȘme sous couvert d’anonymat.

 

Parce-que, comme je l’ai expliquĂ© Ă  Zez au tĂ©lĂ©phone, car il m’a semblĂ© nĂ©cessaire de le lui dire directement par tĂ©lĂ©phone plutĂŽt que de poursuivre notre correspondance par sms :

«  A l’hĂŽpital, la parole n’est pas libre Â».

 

J’ai ajoutĂ© :

«  Moi, encore, j’écris et je suis plus ou moins Ă  l’aise pour m’exprimer en public mais ça n’est pas le cas de beaucoup de mes collĂšgues Â».

J’ai continuĂ© Ă  expliquer Ă  Zez :

« Dans certains de mes articles, je parle de certaines et de certains de mes collĂšgues. Pourtant, mĂȘme si je fais en sorte que personne ne les reconnaisse et qu’à mon avis, personne ne les reconnaĂźtra en lisant mes articles, je ne suis pas sĂ»r que certaines et certains d’entre eux, en  se reconnaissant dans un de mes articles, ne m’en veuillent pas Â».

 

Et, trĂšs content de moi et de mon argumentation, car j’étais inspirĂ© et Zez semblait de plus en plus convaincu par mes arguments, j’ai placĂ© ce qui Ă©tait l’estocade :

«  Il faut savoir que dĂšs le dĂ©but de notre formation, nous sommes formĂ©s au secret professionnel », ce que Zez a traduit de son cĂŽtĂ© : «  Ah, oui, le serment d’Hippocrate Â».

 

Je n’ai mĂȘme pas essayĂ© de lui dire que le serment d’Hippocrate concerne les mĂ©decins. Pour moi, Zez, avait compris ce que je voulais dire : notre parole, en tant qu’agent hospitalier, n’est pas libre. Nous sommes surtout libres dans le silence et l’anonymat.

 

Je me rappelle que Zez et moi, nous sommes quittĂ©s au tĂ©lĂ©phone avec l’idĂ©e qu’il essaierait de piocher dans mes deux articles ce qu’il pourrait. J’ai oubliĂ© si je lui ai dit que j’allais rĂ©flĂ©chir. Par, contre, oui, je voulais bien lui fournir la play-list des morceaux de musique que j’écoute pour me changer les idĂ©es en ce moment.

 

Depuis, une nuit est passĂ©e. Et, cela m’a apparemment permis de « dĂ©-rusher Â» ma conscience.

 

D’abord, je suis retournĂ© au travail Ă  vĂ©lo. A 20h, hier soir,  je me trouvais dans une des rues- plutĂŽt dĂ©sertes- d’AsniĂšres, lorsque j’ai entendu des gens applaudir. Je « savais Â» que ces personnes, depuis leur balcon,  applaudissaient les soignants pour les remercier et les encourager. J’en avais Ă©tĂ© informĂ© par une chaine de messages reçus sur ma messagerie messenger. Mais aussi sur un des panneaux d’information dans ma ville.

 

Je sais trĂšs bien que je ne suis pas Superman. Que je ne suis pas un hĂ©ros. Mais entendre ces applaudissements alors que me dirigeais Ă  vĂ©lo au travail a fini par m’atteindre. MĂȘme si ces gens qui applaudissaient dans cette pĂ©nombre claudicante ne pouvaient pas savoir qui j’étais vraiment. MĂȘme si je me suis dit que sur mon lit de mourant, ces applaudissements ne me guĂ©riraient pas. L’attention et la bonne humeur de ces personnes Ă©taient sincĂšres et cela m’a quand mĂȘme fait plaisir de faire partie de celles et ceux Ă  qui ces applaudissements Ă©taient adressĂ©s.

Pourtant, j’ai Ă©tĂ© soulagĂ© lorsque les applaudissements se sont arrĂȘtĂ©s. Oui, soulagĂ©. Sans doute estimais-je que je ne mĂ©ritais pas ces applaudissements. Et que « d’autres Â», des vrais soignants, des vrais hĂ©ros, les mĂ©ritaient bien plus que moi.

 

Mais, comme on le dit, on est souvent « l’autre Â» de quelqu’un ou de quelque chose.

 

PrĂšs de Levallois, j’avais un pied posĂ© Ă  terre au feu rouge lorsqu’une fusĂ©e est passĂ©e Ă  cĂŽtĂ© de moi. Une femme Ă  vĂ©lo. Sans casque. Elle m’a rapidement mis Ă  peu prĂšs cent mĂštres dans la vue. Je compte reparler des femmes que j’aperçois dans les rues lorsque je vais au travail Ă  vĂ©lo ou en reviens ces derniers temps. ( L’Avenir de l’HumanitĂ©).

 

A quelques mĂštres de mon service, rebelote, je tourne la tĂȘte, qu’est-ce que je vois ?

 

Une jeune femme Ă  vĂ©lo sur la route, portant un cycliste noir. Celle-ci, dotĂ©e  d’un fessier de pistarde grimpait la route avec conviction. Comme la prĂ©cĂ©dente, quelques kilomĂštres plus tĂŽt, elle roulait sans casque.

 

 

Dans le service, lorsque j’ai rejoint les collĂšgues dans la salle de soins pour les transmissions, cela a Ă©tĂ© trĂšs vite une autre ambiance.

 

Depuis ma derniĂšre nuit de travail, deux nuits plus tĂŽt, notre service de pĂ©dopsychiatrie s’était transformĂ© en service de bloc opĂ©ratoire. Deux jours plus tĂŽt, nous Ă©tions tous avec nos vĂȘtements de la vie civile comme d’habitude. LĂ , par dessus leurs vĂȘtements civils, ou voire avec simplement leurs sous-vĂȘtements en dessous ( c’est ce que j’ai fait. J’ai pris une taille bien trop grande), tous mes collĂšgues portaient un masque chirurgical et s’étaient mis en « pyjama Â» en papier, de bloc, de la tĂȘte aux pieds. Manquaient la charlotte, les gants stĂ©riles et les chaussures de bloc. Mais tout le monde Ă©tait dĂ©jĂ  suffisamment Ă©quipĂ© pour que soit tournĂ© un Ă©pisode de la sĂ©rie Urgences.

J’étais bien-sĂ»r au courant : un jeune hospitalisĂ© rĂ©cemment avait Ă©tĂ© en contact, avant son hospitalisation dans « notre Â» service de pĂ©dopsychiatrie, avec une personne qui s’était avĂ©rĂ©e porteuse du coronavirus Covid-19.

 

Alors que les transmissions se dĂ©roulaient, je digĂ©rais l’information suivante : notre environnement professionnel et, donc, notre comportement de professionnel et d’individu, avait Ă©tĂ© modifiĂ© rapidement.  Telle une fonte brutale des glaces entre l’hiver et le printemps dans certains rĂ©gions.

 

Qu’y’ a-t’il de si particulier dans le fait d’apprendre que des soignants, dans un service hospitalier, portent chacun un pyjama de bloc et un masque chirurgical dans un contexte de grande Ă©pidĂ©mie qui concerne le pays ?

 

D’abord le fait que ce genre de prĂ©cautions et d’attitudes tranche avec notre univers mental en psychiatrie. MĂȘme si, on s’en doute bien, le coronavirus  covid-19 ne va pas faire d’exception pour nous qui travaillons en psychiatrie.

Le virus ne va pas se dire :

« Je suis le Grand MĂ©chant Loup qui laisse tranquille tous les petits cochons qui se sont rĂ©fugiĂ©s en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie
. Â».

 

Ce qu’il y a de particulier, c’est qu’un soignant, quelle que soit sa spĂ©cialitĂ©, en psychiatrie ou en soins somatiques, n’est pas un individu que l’on sort d’un coma artificiel prolongĂ©- ou d’une Ă©prouvette- comme on le voit dans un film de science-fiction et Ă  qui l’on dit :

 

«  RĂ©veille-toi, va soigner et sauver les gens sans te retourner derriĂšre toi Â».  Ce sera peut-ĂȘtre comme ça un jour. Mais, pour l’instant, une soignante, un soignant, c’est encore souvent et toujours, une personne qui a une vie en dehors de son travail. Et qui a un entourage amical, familial ou autre. C’est une personne qui a des tracas personnels. Et qui est permĂ©able aux tracas que peuvent vivre ou susciter des membres de leur entourage.

 

Une soignante et un soignant, c’est aussi une personne qui Ă©coute les informations et qui reçoit des informations par diffĂ©rents canaux. Et, lorsqu’elle ou il arrive au travail, une soignante et un soignant est donc loin d’ĂȘtre une personne « neutre Â» ou « vierge Â» de toute influence de l’extĂ©rieur. MĂȘme si, lors de mes Ă©tudes d’infirmier, on savait nous rappeler qu’en tant que professionnels, nous nous devions d’ĂȘtre
. Â« objectifs Â». Evidemment, il s’agit, pour rester professionnel de savoir trancher, de savoir dĂ©limiter mentalement notre vie extĂ©rieure de notre vie professionnelle. Certaines personnes y arrivent mieux que d’autres voire peut-ĂȘtre trop bien d’ailleurs, mais penser, nĂ©anmoins, que ce qui se passe Ă  l’extĂ©rieur, dans notre vie personnelle, n’a aucune incidence, jamais, sur notre vie professionnelle



 

 

Concernant l’épidĂ©mie, il y a donc bien-sĂ»r la «  Guerre sanitaire Â» qu’on lui livre actuellement. Mais il en est une autre, plus personnelle et plus solitaire que chaque soignante et chaque soignant livre tous les jours comme tout un chacun. Et, cette guerre personnelle et solitaire, il n’y a qu’elle, il n’y a que lui, qui peut en parler, qui pourra en parler, car il s’agit de la sienne et elle n’intĂ©resse que lui, ses intimes, et, peut-ĂȘtre quelques auteurs et quelques chercheurs qui s’intĂ©resseront ensuite Ă  ce genre de sujet.

 

C’est Ă  propos de cette guerre-lĂ  que Zez m’a interrogĂ© et que, spontanĂ©ment, j’ai voulu me taire sous tout un tas de prĂ©textes.

 

MĂȘme si j’ai fini par lui envoyer un sms oĂč je lui ai proposĂ© d’en parler Ă  quelqu’un que je « connais» que je sais ĂȘtre engagĂ© et qui, selon moi, serait plus « lĂ©gitime Â» que moi pour parler.

 

Oui, «  lĂ©gitime Â». Car c’est aussi ce que j’avais expliquĂ© Ă  Zez :

 

« Tu vas peut-ĂȘtre trouver ça Ă©tonnant mais je ne me sens pas lĂ©gitime pour parler de ce sujet Â».

 

C’était en effet trĂšs Ă©tonnant !

 

Depuis des annĂ©es, je passe mon temps Ă  rĂ©clamer la parole,  Ă  la prendre, Ă  m’exprimer, que ce soit en Ă©crivant et en me mettant en scĂšne, quand je le fais,  en tant que comĂ©dien, et par mes Ă©crits et, lĂ , on me demande de parler- j’ai quartier libre- de mon quotidien au cours de l’épidĂ©mie et je suis pressĂ© de disparaĂźtre des radars.

 

 

J’ai rĂ©flĂ©chi Ă  ce sentiment d’illĂ©gitimitĂ©.

 

 

Premier constat : je me suis senti illĂ©gitime parce-que, par rapport Ă  nos collĂšgues des soins somatiques (chirurgie, urgences, rĂ©animation, SAMU et autres
.) la psychiatrie et la pĂ©dopsychiatrie traĂźnent depuis longtemps ce sentiment d’infĂ©rioritĂ©. Je croyais m’ĂȘtre plutĂŽt vaccinĂ© contre cette « supĂ©rioritĂ© Â» de la technique des soins somatiques qui m’avait Ă©tĂ© inculquĂ©e dĂšs ma formation. Mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© m’oblige Ă  me rendre compte que, en pleine «Guerre sanitaire Â» et alors que l’on parle d’urgence mĂ©dicale et chirurgicale, un soignant en soins psychiatriques a moins de « valeur Â» et de « compĂ©tences Â» qu’un soignant de soins somatiques. Un soignant en soins psychiatriques apparaĂźt, en pleine « Guerre sanitaire Â», comme un sous-soignant ou un soignant au rabais. Et, les quelques infirmiĂšres et infirmiers diplĂŽmĂ©s en soins psychiatriques qui restent pourront trĂšs certainement parler de cette dĂ©considĂ©ration qui les a souvent concernĂ©s lorsqu’il existait encore deux diplĂŽmes d’infirmier : un, gĂ©nĂ©ral, afin de pratiquer dans tous les services hospitaliers avec ou sans spĂ©cialisation (anesthĂ©sie par exemple). Un autre, en soins psychiatriques, pour pratiquer en psychiatrie, et, Ă©ventuellement, en gĂ©riatrie.

Pourtant, je sais suffisamment que toute Guerre provoque ses trauma et que l’on sera bien content, Ă  ce moment-lĂ , d’avoir des soignants en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie. Que  ce soit pendant la Guerre sanitaire actuelle ou aprĂšs l’épidĂ©mie, on peut s’attendre Ă  ce que les services de pĂ©dopsychiatrie et de psychiatrie rĂ©vĂšlent aussi toute leur nĂ©cessitĂ©.

 

Mais, ça, c’était nĂ©anmoins de l’auto-analyse et de l’autodĂ©nigrement automatique.

 

Si nos collĂšgues en soins somatiques ont d’évidentes aptitudes techniques que nous n’avons pas, ou oublions, en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie, je me suis avisĂ© ce matin qu’en fait, mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© Ă©tait de toute façon antĂ©rieur au dĂ©but de mes Ă©tudes afin de devenir infirmier. Et c’est mon second constat. Pourquoi ?

D’une part, parce-que je sais un petit peu de quoi est fait ma vie personnelle. Et, pour cela, je peux plutĂŽt remercier mes expĂ©riences professionnelles et personnelles en psychiatrie.

D’autre part, parce-que je crois connaĂźtre un peu le monde infirmier, d’un point de vue personnel et professionnel, qu’il exerce dans un milieu gĂ©nĂ©ral ou dans un milieu psychiatrique. Et lorsque j’ai expliquĂ© Ă  Zez qu’à « l’hĂŽpital, la parole n’est pas libre Â», je parlais autant de la parole d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins gĂ©nĂ©raux que d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier en soins psychiatriques :

Parce-que ce n’est pas dans notre culture infirmiĂšre de prendre la parole. MĂȘme s’il y a des infirmiĂšres et des infirmiers qui prennent la parole. Et qui Ă©crivent. Mais il s’agit d’une minoritĂ©. Et cette minoritĂ© est plus restreinte que la minoritĂ© de mĂ©decins somatiques ou psychiatriques et de psychologues cliniciens qui « parlent Â» et Ă©crivent.

On n’est pas Ă©tonnĂ© d’entendre s’exprimer une personne qui sort de l’ENA ou de Polytechnique ou qui sort d’une Ă©cole de la Magistrature ou d’une formation d’avocat. Ces professionnels sont formĂ©s et poussĂ©s Ă  l’art oratoire, Ă  apprendre Ă  sĂ©duire l’auditoire comme Ă  lui jouer du pipeau.

Et je ne serais pas surpris que, quelque part, dans le cursus de formation d’un mĂ©decin ou d’un psychologue, on retrouve ça : le fait d’ĂȘtre formĂ© – et incitĂ©- au fait de s’exprimer, de « prĂ©senter un cas Â» mais aussi de rĂ©flĂ©chir et pousser Ă  rĂ©flĂ©chir Ă  son sujet.

Dans un film comme Elephant Man, la « crĂ©ature Â» est recueillie par un mĂ©decin brillant qui en fait un cas clinique Ă  mĂȘme de critiquer la sociĂ©tĂ©. Pareil dans l’histoire de L’Enfant sauvage dont François Truffaut ( « nĂ© de pĂšre inconnu Â») a rĂ©alisĂ© un film. On ne parle pas d’une infirmiĂšre ou d’un infirmier que ce soit dans l’histoire de Elephant Man ou de L’enfant sauvage.

 

L’infirmier et l’infirmiĂšre en soins gĂ©nĂ©raux ont bien les dĂ©marches de soins et ce qu’il en reste pour faire ça mais, disons, que ce n’est pas vĂ©ritablement ce qu’on leur demande le plus. Ce que l’on demande le plus Ă  une infirmiĂšre et Ă  un infirmier en soins gĂ©nĂ©raux, mĂȘme s’il y a des variantes, c’est, d’abord : d’exĂ©cuter. Soigner. Soigner et exĂ©cuter intelligemment bien-sĂ»r. De savoir pourquoi on rĂ©alise telle action pour soigner et comment. Et quand.  Pas de penser Ă  ce qu’est la vie en SociĂ©tĂ© ou Ă  ce qu’elle pourrait ĂȘtre, ou Ă  ce qu’elle devrait ĂȘtre. L’infirmier diplĂŽmĂ© en soins psychiatriques est sĂ»rement diffĂ©rent. Mais il y en a de moins en moins. Le diplĂŽme d’Etat d’infirmier qui prĂ©pare en prioritĂ© aux soins gĂ©nĂ©raux a dĂ©sormais le monopole en terme de formation infirmiĂšre. Et, je suis moi-mĂȘme un infirmier diplĂŽmĂ© en soins gĂ©nĂ©raux ( donc diplĂŽmĂ© d’Etat) qui a choisi d’aller travailler en psychiatrie il y a plus de vingt ans.

C’est peut-ĂȘtre pour ces raisons qu’hier, je me suis senti illĂ©gitime pour parler de mon quotidien durant l’épidĂ©mie lorsque Zez me l’a demandĂ©. Alors que, lorsque j’y ai repensĂ© dans la nuit, j’avais ce qu’il me demandait :

Il n’est pas nĂ©cessaire d’accomplir de grandes prouesses techniques pour prendre part Ă  une « Guerre sanitaire Â». Il y a bien des bĂ©nĂ©voles qui aident Ă  distribuer des repas ( ou des couvertures) pendant l’épidĂ©mie et personne ne contestera qu’en faisant ça, ils prennent part Ă  la Guerre sanitaire contre l’épidĂ©mie.  

En tant qu’infirmier, ĂȘtre prĂ©sent pour assurer «  la continuitĂ© des soins Â», pour remplacer des collĂšgues malades ou absents, s’occuper des patients, que ce soit dans un service ou au tĂ©lĂ©phone, c’est dĂ©jĂ  participer Ă  la Guerre sanitaire alors que d’autres prĂ©fĂšrent sans aucun doute rester Ă  l’abri chez eux et faire du tĂ©lĂ©travail. Et c’est, lĂ  aussi, un constat. Le Dr House et le Dr Ross ne sont pas les seuls Ă  permettre que la rĂ©sistance hospitaliĂšre l’emporte sur l’ennemi viral et bactĂ©rien qui prĂ©sente des particularitĂ©s mortelles.

 

Et puis, je me suis rappelĂ© de mon journal intime.  Hier aprĂšs-midi, j’ai Ă©crit ça dans mon journal aprĂšs avoir parlĂ© Ă  Zez. Je n’avais pas prĂ©vu de le mettre dans cet article puisque j’étais encore dans mon sentiment d’illĂ©gitimitĂ© et qu’ensuite je me suis dit que j’allais lui proposer quelqu’un d’autre pour s’exprimer sous couvert d’anonymat  ( j’ai Ă©videmment retirĂ© et modifiĂ© certains passages pour des raisons d’intimitĂ© et pour que ça serve l’article) :

« IdentitĂ© en crescendo, album de RocĂ©.

 

Ma fille est dans sa chambre depuis 14h30/15h00 officiellement pour faire sa sieste.

 

Depuis la derniĂšre fois que j’ai Ă©crit dans ce journal, le couvre-feu a Ă©tĂ© dĂ©clarĂ© par le PrĂ©sident Macron du fait de l’épidĂ©mie du coronavirus Covid-19. Il a pris effet cette semaine, mardi ou mercredi. Ma compagne et moi faisons partie des professionnels en premiĂšre ligne de cette « Guerre sanitaire Â» qu’a Ă©voquĂ©e plusieurs fois le PrĂ©sident Macron dans son allocution prĂ©sidentielle lundi soir, je crois. Je travaillais cette nuit-lĂ  avec F
 ma collĂšgue de nuit depuis plusieurs annĂ©es.

 

Il s’en est ensuivi une atmosphĂšre assez irrĂ©elle : tout, pratiquement, tourne autour de l’épidĂ©mie. Confinement, plus de contrĂŽles. Obligation d’avoir sur soi un laissez-passer sur soi en cas de contrĂŽle quand on sort. Je n’ai pas encore Ă©tĂ© contrĂŽlĂ© mais j’ai vu des contrĂŽles.

DĂšs l’allocution du PrĂ©sident Macron, j’ai dĂ©cidĂ© de reprendre mon vĂ©lo pour aller au travail. C’est plus loin que pour se rendre Ă  notre ancien service ( 1h05 contre 40 Ă  45 minutes) mais, au moins, je suis Ă  l’air libre et me farcis moins de contrĂŽles ( des contrĂŽleurs + les policiers) dans les transports en commun. Et puis, ainsi, je subis moins la diminution des transports en commun.

 

J’ai le moral. Mais je suis Ă©tonnĂ© de voir comme l’épidĂ©mie a opĂ©rĂ© une vĂ©ritable voire une totale occupation mentale de la plupart des esprits. Et nous n’en sommes qu’au dĂ©but de l’épidĂ©mie en France. Je crois que des personnes vont devenir folles Ă  force d’avoir la tĂȘte mangĂ©e par l’angoisse et en permanence fourrĂ©e dans la pensĂ©e du coronavirus Covid-19.

 

Il y a deux jours, un soir, Ă  l’heure du coucher, j’étais au tĂ©lĂ©phone avec ma compagne lorsqu’elle s’est mise  Ă  pleurer. Soudainement. Cela m’a surpris. Je lui ai demandĂ© si elle pensait que nous allions mourir. Elle m’a rĂ©pondu qu’elle ne savait pas. Qu’elle Ă©tait fatiguĂ©e. Je lui ai dit que je pense que nous ne mourrons pas. Ni elle, ni notre fille, ni moi.

 

Par contre, je crois qu’il est possible que quelqu’un que je connais meure du coronavirus. Puisque cette Ă©pidĂ©mie tue.

 

Rues dĂ©sertes, transports en commun dĂ©serts, tĂ©lĂ©travail et confinement pour celles et ceux qui peuvent. Les supermarchĂ©s, les boulangeries, certains bureaux de tabac ainsi que certains points de presse sont ouverts. Tous les centres culturels et lieux publics divers sont fermĂ©s : mĂ©diathĂšques, musĂ©es, salles de concerts, salles de projection de presse, cinĂ©mas, piscines.

 

Notre fille, comme les autres enfants de soignants, est accueillie dans une Ă©cole et un centre de loisirs dans notre ville. Cela lui permet de prendre l’air et de s’amuser avec d’autres enfants. Ses devoirs lui sont envoyĂ©s par sa maitresse via internet.

 

Quelques amis et proches s’inquiĂštent pour nous, ma compagne et moi, puisque nous sommes appelĂ©s Ă  ĂȘtre en premiĂšre ligne comme d’autres soignants. Pour l’instant, je suis plus inquiet de voir que nous perdons des libertĂ©s, que nous entrons dans un Etat policier, et que nous aurons beaucoup de mal Ă  rĂ©cupĂ©rer certaines de ces libertĂ©s aprĂšs l’épidĂ©mie.

 

Je crois que savoir couper moralement de l’angoisse, bien se reposer, et, aussi, Ă©viter d’ĂȘtre trop au contact avec des personnes trop angoissĂ©es, font partie des munitions Ă  avoir avec soi pour supporter l’épidĂ©mie et la surmonter.

Je n’aime pas cette ambiance de folie gĂ©nĂ©rale hĂ©bergĂ©e par la majoritĂ© sur les rĂ©seaux sociaux par exemple. Tous les jours, tous les jours. MĂȘme s’il y  aussi de la solidaritĂ©, de l’humour.

J’ai aussi appelĂ© quelques amis et proches. Mais je vais aussi veiller Ă  me reposer et Ă  savoir me tenir Ă  l’écart de celles et ceux qui sont trop angoissĂ©s. A couper mon tĂ©lĂ©phone portable.

Mes prochains articles sur mon blog seront si possible « hors Â» Ă©pidĂ©mie, hors du sujet de l’épidĂ©mie. Je vais aussi prendre soin de lire ( en ce moment, je lis La DerniĂšre Ă©treinte du primatologue et Ă©thologue Frans de Waal, bon, le titre a un cĂŽtĂ© funeste mais je l’avais commencĂ© avant le couvre-feu). Et Ă©couter de la musique.

Avant le couvre-feu, nous pensions que X
 serait la ville oĂč nous aimerions vivre. L’épidĂ©mie va peut-ĂȘtre changer la donne. Sans notre mĂ©tier, ma compagne et moi serions confinĂ©s en permanence lors du couvre-feu car nous n’avons pas de terrasse ou de jardin. Rester tout le temps dans son appartement, c’est usant. MĂȘme si on peut sortir pour faire des courses, emmener son enfant Ă  l’école et faire un footing matinal ou emmener son animal faire ses besoins. Ou partir au travail pour celles et ceux qui ne peuvent pas faire du tĂ©lĂ©travail.

 

Hier soir, ma compagne et moi avons fait le mĂȘme constat : nous Ă©tions vendredi et, en raison de l’épidĂ©mie, nous n’avions pas pu prendre le temps de nous occuper de notre fille afin qu’elle fasse ses devoirs. Nous en Ă©tions encore aux devoirs de mardi. Nous nous sommes dit qu’elle allait ĂȘtre pĂ©nalisĂ©e. 

 

Ma play-list pour le moment :

 

1)  A La Claire Fontaine      5:02    Manu Dibango          Afro-Soul Machine [Disc 1]            

 

2) No Monopoly On Hurt    2:55    Kennedy Milteau Segal       CrossBorder Blues (2018) Blues 

 

3) Mirza         3:52    Nino Ferrer   Nino Ferrer Et Cie – La Vie Chez Les Automobilistes      Pop                

4) Verdi: Pater Noster         5:49    Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra & Chorus « Giuseppe Verdi »    Verdi: Messa Solenne          Classical                      

 

5) Rebellion In Heaven       4:17    Inna De Yard Feat. Cedric Myton  Inna De Yard            Reggae                      

6 ) The Wind Blew It Away – Qua CĂąu Gio Bay    7:33    NguyĂȘn LĂȘ     Tales From ViĂȘt-Nam           Jazz                

 

7) Fugue En Rire      2:44    Henri Salvador         Ses Plus Grandes Chansons [Disc 2]         Pop                

 

8) Louxor J’adore     3:02    Katerine        Robots aprĂšs tout     Chanson française              

9) Andy         5:23    Les Rita Mitsouko     The No Comprendo Rock              

 

10 ) DadouĂ©  4:47    Njie (MJthriller)       Best Of (MJthriller)  Zouk              

 

11) Verdi: Laudate Pueri    6:28    Eldar Aliev, Kenneth Tarver, Etc.; Riccardo Chailly: Milan Symphony Orchestra « Giuseppe Verdi », Verdi Chorus Milan  Verdi: Messa Solenne          Classical                    

 

12) Kanou     3:52    Mamani Keita           Kanou            Pop     ».

 

La personne que je pensais plus lĂ©gitime que moi afin qu’elle parle Ă  Zez de son quotidien pendant l’épidĂ©mie a rĂ©pondu ce matin :

 

Elle ne se sent pas légitime pour en parler.

 

Peut-ĂȘtre que mon article va la faire changer d’avis ou inspirer d’autres personnes que je vais contacter et que celles-ci se sentiront suffisamment lĂ©gitimes pour parler de leur quotidien au cours de cette Ă©pidĂ©mie. Ce serait bien d’avoir plusieurs points de vue.

 

Franck Unimon, ce samedi 21 mars 2020.  

 

 

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Une occupation invisible

 

L’occupant est « partout Â». MĂȘme notre parole est occupĂ©e. Si l’on prĂ©sentait devant moi un groupe de personnes en me sommant de dire qui est ou n’est pas contaminĂ©, je serais incapable de rĂ©pondre. Sauf, peut-ĂȘtre, si on me menaçait d’ĂȘtre exĂ©cutĂ©. Et encore. Ça reste Ă  voir. Je me montrerais peut-ĂȘtre hĂ©roĂŻque. Pour une fois.

 

Comme on ne sait pas qui est contaminĂ© ou peut ĂȘtre contaminĂ© par l’ennemi, cet ennemi invisible, nous devrions, nous pourrions imaginer que tout le monde autour de soi est suspect. Tout le monde. MĂȘme si on ne le sait pas. MĂȘme si on n’ose pas le dire.

 

Il a suffi de quelques jours, nous en sommes Ă  peine Ă  la premiĂšre semaine du couvre-feu, pour que dĂ©jĂ , une certaine forme de paranoĂŻa se pose parmi nous comme on peut poser chez soi du papier peint que l’on est allĂ© acheter dans un magasin. Cette forme de parano est autant notre ennemi que ce virus. Elle, aussi, nous occupe.

Face Ă  cela, tout le monde s’organise comme il le peut. La plupart se confinent comme cela a Ă©tĂ© indiquĂ© par les AutoritĂ©s.

D’autres prennent l’air en donnant carte blanche Ă  leurs angoisses et Ă  leurs peurs sur les rĂ©seaux sociaux. Tout le temps. Tout le temps. Tout le temps. Il faut bien s’occuper.

D’autres sortent malgrĂ© les consignes. Enfin, c’est ce que l’on suppose car ces personnes que l’on voit dehors, on ne les connaĂźt pas. On les aperçoit. On ne leur parle pas. On les Ă©vite et on les juge plus vite que d’habitude. Parce-que l’on a plus peur que d’habitude, on voit des collabos, des irresponsables et des idiots partout.

 

Cette occupation est trĂšs effrayante : lorsqu’elle devient visible, il est peut-ĂȘtre trop tard.

 

Voici pour moi, pour l’instant, l’une des plus grandes vĂ©ritĂ©s de cette Ă©pidĂ©mie :

 

Nous n’avons jamais Ă©tĂ© libres.

 

Et lorsque tout cela sera « terminĂ© Â», que nous fĂȘterons la « fin Â» du  couvre-feu  et de la mort, que nous pleurerons et compterons nos dĂ©funts, que nous ouvrirons nos procĂšs pour condamner celles et ceux qui nous ont trompĂ©s, nous oublierons peut-ĂȘtre rapidement que nous n’avons jamais Ă©tĂ© libres. Ce sera notre façon de continuer d’accepter que notre vie est, le plus souvent, occupĂ©e.

 

Je m’attends Ă  ce que bien des records soient battus – et sans dopage- aprĂšs cette pĂ©riode d’enfermement et de peur. Battre des records fait aussi partie de nos tentatives afin d’essayer d’oublier- d’exorciser- le fait que nous ne sommes pas libres.

 

Cet article fait partie d’un trio. Celui-ci est le premier du trio, suivi de Objectif de conscience

puis de L’Avenir de l’HumanitĂ©.

Franck Unimon, samedi 21 mars 2020.

 

 

Catégories
Corona Circus Crédibilité Ecologie

Adaptations

 

                                                   Adaptations

«  Soleil ! Soleil ! Â». On entendait d’assez loin cette voix rocailleuse alors que l’on se rapprochait du service en venant travailler. Ce patient enfermĂ© dans sa chambre d’isolement, convaincu d’ĂȘtre Dieu, croyait pouvoir influer sur la marche du soleil.

 

Un autre jour, l’alarme incendie ou l’alarme anti-agression venait de se dĂ©clencher alors que je me trouvais avec ce patient dans le secteur protĂ©gĂ© de son service. Tout s’était bien passĂ© jusqu’alors avec lui. Pourtant, Je m’étais alors  dit :

«  Vu son Ă©tat dĂ©lirant, cela va ĂȘtre difficile de le faire retourner dans sa chambre
. Â». J’avais Ă  peine eu le temps de former cette pensĂ©e, que, de lui-mĂȘme, ce Dieu-Soleil avait de lui-mĂȘme rĂ©intĂ©grĂ© sa chambre. Ce faisant, il m’avait en quelque sorte dĂ©livrĂ© de lui. Et, je pouvais donc me rendre Ă  l’endroit oĂč l’alarme s’Ă©tait dĂ©clenchĂ©e et oĂč un renfort Ă©tait peut-ĂȘtre nĂ©cessaire.

 

On pourrait ĂȘtre Ă©tonnĂ© par l’extraordinaire facultĂ© d’adaptation ainsi que par la trĂšs grande luciditĂ© de celles et ceux que l’on dĂ©nomme les « fous Â» qu’ils soient hospitalisĂ©s en psychiatrie ou qu’ils soient en « libertĂ© Â». 

 

Cette histoire fait partie de celles que j’aime raconter. Elle a plus de vingt ans. L’HumanitĂ© a peu changĂ© en plus de vingt ans. Il y a plus de vingt ans, nous avions un certain nombre de peurs et d’inquiĂ©tudes qui sont toujours prĂ©sentes aujourd’hui. Au moment de choisir une destination de voyage. Un mode de dĂ©placement. L’endroit oĂč nous allons habiter. L’école oĂč nous allons inscrire nos enfants. Le genre de personnes que nous allons frĂ©quenter. Pour choisir celle ou celui avec lequel nous allons « faire Â» notre vie. Lorsqu’il s’agit de changer d’emploi, de mĂ©tier, de pays ou de rĂ©gion. Le concert oĂč nous allons nous rendre. Le plat que nous allons prendre au restaurant. Le film que nous allons voir.

 

Bien-sĂ»r, depuis quelques jours et les mesures et restrictions dĂ©cidĂ©es par le gouvernement afin d’endiguer les consĂ©quences de l’épidĂ©mie que nous connaissons, un certain nombre de ces actions et activitĂ©s ont Ă©tĂ© limitĂ©es et sont contrĂŽlĂ©es. Le « temps Â» de l’épidĂ©mie. Officiellement.

 

J’écris « officiellement Â» car j’apprĂ©hende beaucoup qu’aprĂšs l’épidĂ©mie, fort de certains chiffres et de rĂ©sultats que le gouvernement saura nous assĂ©ner, que certains contrĂŽles deviennent une norme inacceptable et inconcevable avant l’épidĂ©mie.

 

PrĂ©cisons tout de suite : il y a du bon dans les contrĂŽles. On contrĂŽle bien son poids. Sa tension artĂ©rielle. L’argent que l’on dĂ©pense. Le nombre de verres d’alcool que l’on boit avant de reprendre le volant. S’il fait beau ou froid dehors avant de sortir. Si l’on dispose d’assez de nourriture et de boissons lorsque l’on reçoit des invitĂ©s et que l’on fait la fĂȘte.

 

Et je m’attends Ă  ce qu’avec la multiplication des contrĂŽles du fait de l’épidĂ©mie,  et le couvre-feu, que diverses sortes de criminalitĂ©s diminuent, que la menace anti-terroriste recule. Avant hier soir, je crois, je me suis imaginĂ© ça en passant devant un coin de rue :

 » ça fait drÎle de voir un dealer qui porte un masque chirurgical dans la rue ».

On sait aussi qu’une moindre circulation routiĂšre et une moindre activitĂ© « humaine Â» fait du bien Ă  l’atmosphĂšre de la planĂšte et du pays. MĂȘme si on sait aussi nous dire que cela est catastrophique pour l’économie et les finances mĂȘme si certains en profitent pour faire un trĂšs bon chiffre d’affaires ou pour y gagner en popularitĂ© :

Du revendeur et du producteur de papier toilettes Ă  certains financiers en passant par d’autres activitĂ©s. Je veux bien croire que mon blog, comme d’autres blogs, d’autres sites, et bien des auteurs,  sera un peu plus lu en ce moment qu’avant la pĂ©riode de l’épidĂ©mie.

 

Mais c’est la frĂ©quence des contrĂŽles, leur justification et leurs caractĂšres obligatoires qui peuvent devenir oppressants et rendre certaines rĂ©actions et certaines rĂ©sistances
.explosives.  

En y repensant, je me suis aperçu que ce je dis et ressens vis-Ă -vis d’un « contrĂŽle Â» qui nous est frĂ©quemment imposĂ©, s’applique autant Ă  la façon dont nous Ă©duquons nos enfants oĂč nous avons beaucoup tendance Ă  les « contrĂŽler Â» ou Ă  vouloir les « contrĂŽler Â». Mais aussi Ă  ce que peuvent vivre des dĂ©tenus
en prison. Hier, j’ai lu que les conditions de prĂ©vention sanitaire dans des cellules de prison dĂ©jĂ  surchargĂ©es Ă©taient pratiquement irrĂ©alisables. On peut donc s’attendre Ă  des Ă©meutes prochainement dans certaines prisons comme dans tout endroit qui cumulera trop d’enfermement et trop de contrĂŽle. Et pas assez
.de folie.

 

J’ai  vĂ©ritablement compris ce matin la raison pour laquelle, en apprenant les mesures relatives au couvre-feu, la diminution des transports etc
, j’avais d’un seul coup Ă©prouvĂ© le besoin de me rendre au travail au vĂ©lo. Alors que cela m’impose une certaine contrainte physique :

 

Prendre les transports en commun, le mĂ©tro, s’est s’enfermer. Se priver de l’air et de la lumiĂšre extĂ©rieure. C’est accepter de se dĂ©placer dans un espace restreint avec peu de possibilitĂ©s d’échappatoires en cas de besoin ou si je le souhaite. Quand je le souhaite.

 

Je ne suis pas particuliĂšrement claustrophobe. J’aime beaucoup prendre les transports en commun. En rĂ©gion parisienne, je prĂ©fĂšre largement prendre les transports en commun Ă  conduire ma voiture. Et je ne suis pas particuliĂšrement inquiet Ă  l’idĂ©e d’ĂȘtre contaminĂ© parce-que j’aurais partagĂ© un espace public confinĂ© dans les transports en commun.

 

Par contre, savoir qu’aux contrĂŽles de titres de transport dĂ©jĂ  frĂ©quents bien avant l’épidĂ©mie, vont dĂ©sormais s’ajouter, en toute lĂ©galitĂ©, d’autres contrĂŽles pour, officiellement, des raisons sanitaires du fait de l’épidĂ©mie. Tout en sachant que chaque fois que l’on appose notre pass navigo sur une porte de validation, notre itinĂ©raire est dĂ©jĂ  contrĂŽlĂ© ; et que chaque fois que notre tĂ©lĂ©phone portable ou notre ordinateur est allumĂ© qu’il est possible non seulement de contrĂŽler notre itinĂ©raire mais aussi notre activité ..

 

Toutes ces mesures de contrĂŽles et d’enfermement ont soudainement fait trop pour moi. MĂȘme si, je le rĂ©pĂšte, j’approuve toutes les mesures de prĂ©cautions sanitaires et m’applique Ă  les suivre de mon mieux comme la majoritĂ© des citoyens de France et des pays concernĂ©s par l’épidĂ©mie.

 

Je veux pour preuve de ce « trop-plein Â» d’enfermement et de contrĂŽle le premier rĂȘve que j’ai fait cette nuit directement inspirĂ© de l’épidĂ©mie.

 

Dans mon rĂȘve, il n’était pas question d’un hĂŽpital, de patients exsangues, ou de moi, ou d’un proche, mourant sur un lit d’hĂŽpital alors que ces Ă©ventualitĂ©s sont pourtant probables.

Dans mon rĂȘve, il Ă©tait question
.d’un Etat policier et de contrĂŽles permanents. VoilĂ  ce qui, pour l’instant, m’inquiĂšte et m’épouvante plus que le coronavirus Covid-19.

 

 

 

 

Je devrais ĂȘtre content d’ĂȘtre dans un pays puissant qui dispose d’un gouvernement qui essaie de son mieux de prendre la mesure de l’épidĂ©mie afin d’éviter qu’elle se rĂ©pande et tue beaucoup de gens. Mais ce sentiment, s’il est prĂ©sent, reste habitĂ©, infectĂ©, percĂ©, par un trĂšs grand sentiment de dĂ©fiance envers ce mĂȘme gouvernement.

 

Je n’ai pourtant rien, spontanĂ©ment, je me rĂ©pĂšte, contre les contrĂŽles, la police et l’Etat.

Mais ce qui fait la diffĂ©rence entre ma fille qui, ce matin, alors que je la ramenais Ă  l’école, m’a dit «  J’adore la police. Parce-que la police est lĂ  pour nous protĂ©ger et arrĂȘter les mĂ©chants Â» et moi, c’est, sans doute, la somme de tous ces contrĂŽles, leur frĂ©quence comme leurs justifications, que j’ai dĂ©jĂ  vĂ©cus et subis comme la majoritĂ© des citoyens.

 

Et, cela, bien avant l’épidĂ©mie.

 

Et, j’ajoute tout de suite que, ici, je me mets dans le mĂȘme lot que n’importe quel citoyen, blanc ou noir. En excluant tout critĂšre racial.

 

Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu Ă  venir, lorsque j’ai dĂ©cidĂ© de reprendre mon vĂ©lo pour aller au travail, je ne me suis pas dit :

 

« Avec ma tĂȘte de noir, je suis bon pour battre tous mes scores de contrĂŽles au faciĂšs ! Â».

 

MĂȘme si je peux imaginer que des noirs mais aussi des Arabes ou des asiatiques se sont peut-ĂȘtre dit, eux, qu’avec le couvre-feu et la multiplication des contrĂŽles, qu’ils allaient en bouffer, des contrĂŽles, pendant l’épidĂ©mie.

 

Il y a deux jours, en apprenant le couvre-feu, je me suis simplement dit – sans prendre le temps de rĂ©flĂ©chir- que ce serait bien et mieux de rester Ă  l’air libre. Et de moins subir le fait qu’il y ait moins de transports en commun. De ne pas avoir Ă  attendre une demie heure ou plus pour avoir un train.

 

Les faits m’ont dĂ©jĂ  donnĂ© un peu raison.

 

Hier matin, une collĂšgue a appelĂ© vers 6h10. Elle Ă©tait contrariĂ©e et semblait culpabilisĂ©e :

 Il n y avait pas de train prĂšs de chez elle. Elle ne savait pas quand il allait y en avoir un. Et elle ne savait pas Ă  quelle heure elle allait pouvoir arriver dans le service. Cette collĂšgue censĂ©e commencer Ă  6H45 arrive habituellement avec dix Ă  quinze minutes d’avance. Elle est donc un modĂšle de ponctualitĂ©.

Notre autre collĂšgue qui commençait Ă©galement Ă  6h45  a, en temps ordinaire,  plus de difficultĂ©s pour arriver Ă  l’heure dans le service.

Depuis le « dĂ©mĂ©nagement Â» provisoire de notre service, cette seconde collĂšgue met environ une heure trente pour venir dans le service en prenant les transports en commun. 

Avec le « dĂ©mĂ©nagement Â» de notre service, certains collĂšgues ont vu leur temps de trajet diminuer et d’autres, sensiblement augmenter. Je fais partie des chanceux :

 

Par les transports en commun, mon trajet a Ă©tĂ© augmentĂ© d’environ dix minutes, ce qui est peu. Par contre, Ă  vĂ©lo, comme je l’ai Ă©crit plus ou moins ( Vent d’ñme) mon trajet a Ă©tĂ© augmentĂ© de vingt bonnes minutes. C’est un effort physique supplĂ©mentaire supportable Ă  condition de bĂ©nĂ©ficier d’un minimum d’entraĂźnement et Ă  condition, Ă©videmment, de pouvoir bien rĂ©cupĂ©rer entre les pĂ©riodes d’effort. Je rappelle que je travaille de nuit et que le travail de nuit comporte certaines consĂ©quences sur la santĂ© trĂšs bien connues depuis des annĂ©es par la mĂ©decine du travail. MĂȘme si, pour l’instant, Ă  part quelques moments de fatigue, je m’accommode, je crois, plutĂŽt bien du travail de nuit. Et je m’en accommode aussi parce-que c’est mon choix, pour l’instant, de rester de nuit dans ce service.

 

Hier matin, ma collĂšgue embĂȘtĂ©e par son retard incompressible, est finalement arrivĂ©e bien plus tĂŽt que ce Ă  quoi je m’attendais. En sueurs, assez contrariĂ©e, elle m’a dit avoir « speedĂ© Â» pour venir. Au tĂ©lĂ©phone, j’avais pourtant fait mon possible pour dĂ©dramatiser la situation. Ma collĂšgue de nuit et moi pouvions attendre. Nous connaissions trĂšs bien le contexte. Par ailleurs, j’ai toujours en tĂȘte ce qu’avait pu me dire mon ancien ami et collĂšgue, Scapin, Bertrand pour l’Etat-civil, dĂ©cĂ©dĂ© d’un cancer quelques annĂ©es avant de prendre sa retraite :

Se dĂ©pĂȘcher lorsque l’on est en retard, c’est courir le risque de l’accident idiot qui peut ĂȘtre mortel.

Scapin n’avait pas eu besoin de forcer pour me convaincre de ce genre de raisonnement. J’ai longtemps Ă©tĂ© un retardataire chronique et cela m’arrive encore d’ĂȘtre en retard.

 

Lorsqu’il n’y a pas d’urgence.

 

J’essaie de faire le tri et la diffĂ©rence entre les vĂ©ritables urgences
.et les fausses urgences. J’ai continuĂ© Ă  apprendre Ă  le faire lorsque j’ai travaillĂ© dans un service d’hospitalisation de psychiatrie adulte il y a plus de vingt ans. J’avais commencĂ© Ă  apprendre Ă  le faire auparavant en travaillant comme vacataire et comme intĂ©rimaire. En prenant certaines personnes et certaines situations pour modĂšles. En faisant le ratio entre le stress ressenti, maximal, et le rĂ©sultat final d’un certain nombre de situations vĂ©cues au travail mais aussi dans la vie. AprĂšs avoir conclu un certain nombre de fois :

 » Tout ça ( autant de stress et d’inquiĂ©tudes, tout un pataquĂšs ) pour ça ?! « .

J’Ă©tais sans doute volontaire pour ce genre d’apprentissage. Cet apprentissage s’accorde peut-ĂȘtre assez bien avec mon tempĂ©rament. Avec mes croyances. Avec, aussi, ce que j’imagine, Ă  tort ou Ă  raison, de mes capacitĂ©s rĂ©elles et supposĂ©es d’adaptation en cas de problĂšme. 

 L’anxiĂ©tĂ© et la peur nous font souvent voir des situations d’urgences lĂ  oĂč, en fait, nous avons affaire Ă  des fausses urgences.

C’est ce que je crois d’aprĂšs mes expĂ©riences.  

 

Mais il me sera difficile de convaincre celles et ceux qui voient des urgences Ă  peu prĂšs partout et qui ont aussi de l’expĂ©rience  :

Cette attitude et cette vision des Ă©vĂ©nements n’est pas une science exacte ni dĂ©montrable. MĂȘme en donnant des exemples « concrets ». Le sentiment de vulnĂ©rabilitĂ© et d’impuissance fluctue d’une personne Ă  un autre. 

Et puis, voir des urgences partout est une façon personnelle de s’adapter aux Ă©chĂ©ances. De se prĂ©parer ou de se « sentir » prĂȘt.

Les façons de s‘adapter Ă  une mĂȘme Ă©chĂ©ance peuvent Ă©normĂ©ment varier d’une personne Ă  une autre selon les environnements : une personne trĂšs Ă  l’aise dans un environnement donnĂ© peut complĂštement perdre ses moyens dans un autre environnement Ă  un point inimaginable. 

Je me rappelle avoir recroisĂ© une Ă©tudiante infirmiĂšre qui avait effectuĂ© un stage dans le service de psychiatrie adulte que je mentionne dans le dĂ©but de cet article. Lors de son stage, cette jeune Ă©tudiante ne m’avait pas marquĂ© par une aisance particuliĂšre. Lorsque je l’ai revue plusieurs annĂ©es plus tard, je reprenais des cours de plongĂ©e dans un club en rĂ©gion parisienne. Et, nous avions Ă  nous immerger dans une fosse pouvant atteindre les vingt mĂštres de profondeur. Cette Ă©tudiante-infirmiĂšre, qui Ă©tait peut-ĂȘtre diplĂŽmĂ©e depuis, n’Ă©tait alors plus dans la situation de l’Ă©tudiante face Ă  un infirmier. Et elle n’Ă©tait plus, non plus, dans un service de psychiatrie. Elle Ă©tait dans un univers aquatique oĂč, de toute Ă©vidence, elle avait ses marques et une grande aisance. Alors que moi, je reprenais la plongĂ©e aprĂšs plusieurs annĂ©es d’inactivitĂ© dans ce club que je dĂ©couvrais. HĂ© bien, ce jour-lĂ , le grand anxieux et l’inadaptĂ©, ce fut moi sans aucune discussion. Qu’est-ce que je fus ridicule peut-ĂȘtre lors de cette sĂ©ance lorsqu’il fut question de nous jeter Ă  l’eau depuis un plongeoir, tout harnachĂ©s de notre Ă©quipement de plongeur ! Ridicule, hors de propos, pas dans le coup, flippĂ©. Un vrai sketch comique. 

 

De temps Ă  autre, j’essaie de me rappeler, comme, selon les circonstances, nous sommes beaucoup moins assurĂ©s et beaucoup moins beaux Ă  avoir que lorsque nous Ă©voluons dans un univers que nous connaissons et maitrisons. Mais, aussi, que celles et ceux qui nous « commandent » ou nous Ă©patent, sont aussi exactement pareils une fois sortis de leur domaine de compĂ©tences et de prĂ©dilection. Ce que nous avons pourtant souvent bien du mal Ă  imaginer et Ă  accepter. 

 

Et puis, il y a aussi du bon dans le fait d’ĂȘtre entourĂ© de certaines personnes anxieuses ou prĂ©voyantes comme de savoir les Ă©couter. Car l’excĂšs d’assurance peut nuire.  

Et, Ă©videmment, il  existe bien-sĂ»r des façons communes de rĂ©agir Ă  une mĂȘme Ă©chĂ©ance.

Certaines urgences sont indiscutables

 

Hier matin, pour moi, mes deux collĂšgues du matin pouvaient prendre leur temps pour arriver. Je savais que leur retard leur Ă©tait imposĂ© par les circonstances. Je savais que j’avais de la marge pour les attendre. Il n’y avait pour moi pas d’urgence Ă  ce qu’elles arrivent. Le service Ă©tait calme. Et si nĂ©cessitĂ© il y avait, ma collĂšgue de nuit et moi aurions pu nous occuper des patients en attendant l’arrivĂ©e de nos collĂšgues du matin. Du reste, en les attendant, je me suis rappelĂ© que j’avais dans mon vestiaire une enceinte portable. Je suis allĂ© la chercher et ai raccordĂ© mon baladeur audiophile pour lancer le titre Reggae Makossa de Manu Dibango.

 

Plus tard, et alors que la musique continuait de tourner lĂ  oĂč je l’avais laissĂ©e , lors de ma conversation avec ma collĂšgue du matin dans la salle de soins , celle-ci m’a rĂ©pondu avoir renoncĂ© Ă  venir Ă  vĂ©lo dans notre « nouveau Â» service :

D’une part, elle s’était faite trĂšs peur en passant par l’Arc de Triomphe en raison de la densitĂ© de la circulation routiĂšre. C’était avant le couvre-feu et avant que l’épidĂ©mie prenne autant d’ampleur. Je n’ai pas discutĂ© son propos. Je me rappelle encore d’une anecdote qu’un kinĂ© m’avait racontĂ© il y a plusieurs annĂ©es : une connaissance, qui avait principalement vĂ©cu quelque part en Afrique, s’Ă©tait retrouvĂ©e sur l’Arc de Triomphe en voiture. Cette personne avait tournĂ© pendant une demie-heure autour de l’Arc de Triomphe avant de rĂ©ussir Ă  en sortir. 

 

D’autre part, toujours pour cette collĂšgue,  l’effort physique pour venir Ă  vĂ©lo dans notre « nouveau Â» service avait Ă©tĂ© si Ă©prouvant  qu’en arrivant dans le service, elle Ă©tait au bord du malaise. Et elle avait dĂ» prendre le temps de rĂ©cupĂ©rer de son effort avant de pouvoir prendre son service.

 

Le repos, la capacitĂ© de rĂ©cupĂ©rer physiquement et mentalement, de savoir se limiter,  mais aussi de s’y autoriser, fera partie de la solution  pour gagner la  « Guerre Â».

 

Cette vĂ©ritĂ©-lĂ , concrĂšte, je doute que le GĂ©nĂ©ral Macron l’ait prise en compte lors de l’effort de guerre qu’il a demandĂ© aux soignants dans son allocution. Ou alors il connaĂźt cette vĂ©ritĂ© et en a rajoutĂ© une couche en parlant et en reparlant de « Guerre sanitaire Â» pour enjoindre et pousser les soignants Ă  se lancer, Ă  se jeter pratiquement tĂȘte baissĂ©e, sans prendre le temps de respirer, dans le combat contre l’épidĂ©mie :

Avant toute Ă©pidĂ©mie, quelle qu’elle soit, et avant d’ĂȘtre « mobilisĂ©s Â» ou «  rĂ©quisitionnĂ©s Â» par leur hiĂ©rarchie ou des circonstances sanitaires particuliĂšres,  les soignants sont avant tout des personnes engagĂ©es qui ont une conscience morale et professionnelle et qui travaillent dans des conditions qui peuvent ĂȘtre particuliĂšrement exigeantes et contraignantes.

 

Les soignants sont souvent des personnes qui s’autocontrĂŽlent  et s’autocensurent d’elles-mĂȘmes en permanence.

 

Elles se mettent d’elles-mĂȘmes, et toutes seules, une grande pression. Elles ont souvent  un sens des responsabilitĂ©s, du Devoir, mais Ă©galement de culpabilitĂ© et d’autocritique particuliĂšrement Ă©levĂ©.

 

Ce qui est souvent bien pratique pour les manager. Et les maltraiter.

 

Oui, j’ai bien Ă©crit «  soignants Â» car dans mon article Vent d’ñme , j’ai beaucoup centrĂ© mon attention sur le personnel infirmier. Alors qu’évidemment, il y a d’autres professionnels et d’autres mĂ©tiers soignants que celui d’infirmier. Et que l’on peut du reste ajouter tout le personnel socio-mĂ©dical, administratif ainsi que le personnel de mĂ©nage et hĂŽtelier lorsque l’on parle d’un Ă©tablissement de soins.

Il faut aussi ajouter le personnel technicien. Car un Ă©tablissement de soins tient aussi grĂące Ă  son personnel technicien :

Lorsqu’un ascenseur tombe en panne, que l’informatique se dĂ©chausse et se dĂ©rĂšgle, ou qu’un incendie dĂ©bute, il faut bien faire appel Ă  des techniciens. Et c’est tout ce personnel soignant et non-soignant qui permet Ă  des lieux de soins de tenir et de bien fonctionner. Pas uniquement le personnel infirmier ou mĂ©dical.

Et, sans doute, aussi, doit-on ajouter dans cet organigramme, Ă  cĂŽtĂ© des services de direction
 les syndicats. Les syndicats qui ont connu une certaine dĂ©saffection par rapport Ă  il y a vingt ou trente ans,  sont des organisations, du moins Ă  l’hĂŽpital, pour ce que j’en vois, souvent constituĂ©es de personnel hospitalier initialement soignant comme non-soignant.

 

Tout le personnel, soignant et non soignant,  syndiquĂ© ou non syndiquĂ©, indispensable Ă  la bonne marche d’un lieu de soins, a, connaĂźt, vit, un certain nombre de contraintes personnelles et professionnelles variables en dehors de tout contexte d’épidĂ©mie.

 

Certaines de ces contraintes peuvent ĂȘtre le fait de tomber malade. Car, oui, du personnel soignant et non-soignant, hors de tout contexte d’épidĂ©mie, ça tombe aussi malade. OĂč ça a des enfants ou des proches qui tombent malades comme tout le monde hors de tout contexte d’épidĂ©mie. Et ce personnel soignant et non-soignant, ne bĂ©nĂ©ficie pas toujours des Ă©gards auxquels il pourrait avoir droit lors de ces circonstances de maladie et autres qui l’empĂȘchent de se rendre au travail. D’oĂč la raison pour laquelle, oui, j’ai bien Ă©crit le mot «  Maltraiter Â».

 

Avant l’épidĂ©mie, dans mon hĂŽpital, il y avait rĂ©guliĂšrement du personnel manquant dans un certain nombre de services. Dont le mien. Pour raisons de maladies qui n’ont rien Ă  voir avec l’épidĂ©mie. Pour des arrĂȘts de travail. Mais aussi du fait de dĂ©parts de personnels non remplacĂ©s.

 

Alors, en pĂ©riode d’épidĂ©mie et de « Guerre sanitaire Â», je vous laisse imaginer ce qu’il peut ĂȘtre possible, pour certains managers et dĂ©cideurs, d’exiger du personnel soignant et non-soignant pour combler ce manque de personnel.  Pour des raisons « d’éthique Â», de « solidaritĂ© Â».

 

Et je ne crois pas que le GĂ©nĂ©ral Macron soit bien au fait de tout cela. Ses diffĂ©rents intermĂ©diaires se garderont bien de lui faire part de ce genre d’informations. D’autant qu’un GĂ©nĂ©ral en pleine guerre peut avoir bien d’autres prĂ©occupations que de s’assurer du bien-ĂȘtre de ses soldats.

 

Je le prĂ©cise tout de suite :

 

Dans mon service, je nous crois , pour l’instant,  prĂ©servĂ©s de ces travers en termes de maltraitance. Nous sommes plutĂŽt solidaires. Du mĂ©decin-chef, Ă  la cadre de pĂŽle jusqu’à la femme de mĂ©nage.

 

Par exemple, un des praticiens hospitaliers du service avait crĂ©Ă© un groupe What’S App plusieurs semaines avant qu’on en arrive au couvre-feu et aux mesures actuelles. Et ce groupe What’s App permet bien des Ă©changes d’informations concernant les adaptations Ă  faire au vu du contexte ainsi que d’informations qui permettent de dĂ©miner le climat anxiogĂšne actuel.

 

 

Mais je « connais Â» suffisamment, je crois, mon environnement professionnel, ainsi que d’autres soignants ailleurs, pour savoir ce que le mot «  Maltraiter Â»  peut vouloir dire concrĂštement, dans le milieu hospitalier lorsque l’on y exerce en tant que soignant. Ou non-soignant. 

 

Si j’ai autant pris le temps d’écrire tout ça, c’est parce-que, l’on a vite fait de dresser un portrait convenable et prĂ©sentable de l’engagement des soignants en occultant ce qu’il peut y avoir derriĂšre comme souffrance personnelle et professionnelle du cĂŽtĂ© des soignants ( mais aussi du cĂŽtĂ© des non-soignants), et, cela, bien avant l’épidĂ©mie qui nous occupe en ce moment.

 

Maintenant, que j’ai Ă©crit ça, passons aux bonnes nouvelles, car il y en a.

 

Ça passe Ă©videmment par ces initiatives diverses sur les rĂ©seaux sociaux. Avec des chaĂźnes de solidaritĂ© et de reconnaissance envers les personnels soignants.

 

Par des messages d’amis.

 

Par la solidarité qui peut exister au sein de certaines équipes et dans certains services.

 

 

Par cette initiative de l’OpĂ©ra de retransmettre gratuitement sur le net certains de ses spectacles. Une collĂšgue nous en a informĂ©s.

 

Par des actions comme celle de ce réalisateur, de ce caméraman et de ce danseur croisés devant le Louvre.

 

Le danseur Dany, avec le réalisateur Cyril Masson. Je ne connais pas le prénom du cameraman.

 

Un certain nombre de lieux publics sont aujourd’hui fermĂ©s. Les cinĂ©mas et les mĂ©diathĂšques par exemple. Les salles de cinĂ©ma sont fermĂ©es jusqu’au 15 avril pour l’instant. Les projections de presse ont Ă©tĂ© annulĂ©es jusqu’Ă  cette date pour le moment. Bien d’autres manifestations artistiques et culturelles ( concerts, expositions….) ont Ă©tĂ© toutes autant suspendues du fait de l’Ă©pidĂ©mie. 

 

En circulant Ă  vĂ©lo, je suis passĂ© plusieurs fois devant l’affiche du film Brooklyn Secret qui devait sortir ce 18 mars et Ă  propos duquel j’ai Ă©crit ( Brooklyn Secret  ). Je sais par un mail des attachĂ©s de presse que la sortie de ce film, comme celle de bien d’autres films, est repoussĂ©e Ă  plus tard. Cela m’a rappelĂ© que je n’ai toujours pas Ă©crit d’article sur les derniers films que j’avais vus au cinĂ©ma avant le couvre-feu :

 

L’appel de la forĂȘt, EMA mais aussi Kongo. J’ai toujours prĂ©vu de le faire.

 

 

Hier matin, en revenant du travail Ă  vĂ©lo, j’ai Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir autant de personnes effectuer un footing matinal. Pratiquement autant de femmes que d’hommes. Je me suis demandĂ© si cela Ă©tait dĂ» au fait que les tempĂ©ratures extĂ©rieures, depuis quelques jours, sont plutĂŽt douces ( 17 degrĂ©s hier Ă  Paris) et que l’on se rapproche du printemps ( le 21 mars). Ou si l’obligation de confinement pousse davantage certaines personnes Ă  aller Ă©vacuer leur trop-plein d’enfermement et de tĂ©lĂ©travail en allant par exemple courir dans des rues de Paris dĂ©sormais plutĂŽt dĂ©sertes. Il y a un ou deux jours, prĂšs de chez nous, des jeunes d’un foyer jouaient bruyamment dehors au basket alors qu’ils auraient « dû » plutĂŽt Ă©viter les contacts avec l’extĂ©rieur. Si leur attitude est contraire aux rĂšgles sanitaires dĂ©cidĂ©es pour Ă©viter et limiter la contagion, cette partie de basket leur a peut-ĂȘtre aussi permis d’Ă©vacuer un trop-plein d’anxiĂ©tĂ© et de stress et les aidera peut-ĂȘtre aussi Ă  supporter moralement les nouvelles restrictions dĂ©cidĂ©es concernant les dĂ©placements Ă  l’extĂ©rieur et les regroupements. 

 

 

En rentrant mon vĂ©lo dans son local, hier matin, je suis tombĂ©, dans le hall de l’immeuble, sur un mot d’une personne qui avait scotchĂ© l’exemplaire dĂ©sormais nĂ©cessaire d’attestation de dĂ©placement dĂ©rogatoire. Cette voisine avait ajoutĂ© un mot dans lequel elle expliquait comment obtenir ce formulaire. Mais elle fournissait Ă©galement son numĂ©ro de tĂ©lĂ©phone portable afin d’aider aux courses. J’imagine qu’il est d’autres initiatives comme celle-lĂ  Ă  d’autres endroits.

 

 

J’ai bien-sĂ»r appelĂ© et contactĂ© quelques personnes afin de m’assurer qu’elles vont bien. J’en contacterai sĂ»rement d’autres.

 

 

Si j’ai exprimĂ© mes rĂ©serves envers le gouvernement, je reconnais Ă©videmment le bien-fondĂ© des mesures de prĂ©cautions sanitaires qu’il prĂ©conise.

 

 

Certains amis m’ont tĂ©moignĂ© leur inquiĂ©tude du fait de mon mĂ©tier d’infirmier en psychiatrie et en pĂ©dopsychiatrie. Parce-que, comme bien des soignants, je suis exposĂ© plus que d’autres au virus. C’est vrai. Mais je peux sortir pour aller travailler et donc prendre l’air. Et, je peux plus ou moins agir. En espĂ©rant que mon action soit plus bĂ©nĂ©fique que porteuse du virus. Lors des grandes catastrophes, les personnes qui peuvent- aussi- avoir le plus de mal Ă  s’en remettre sont celles et ceux qui ont Ă©tĂ© principalement spectatrices ou victimes de la catastrophe. Celles et ceux qui agissent, s’ils peuvent mourir ou se voir infliger des blessures ou des douleurs du fait de la catastrophe, se sentent au moins utiles. Ne serait-ce que pour remplacer une collĂšgue ou un collĂšgue malade ou absent. Ou en retard. Et puis, face Ă  l’épidĂ©mie, je ne suis pas seul. Tout cela, en plus des encouragements adressĂ©s de part et d’autres aux soignants,  change beaucoup la donne.

 

Sur la premiĂšre photo de cet article, prise prĂšs du Louvre avant hier matin, en revenant du travail, on peut voir des barriĂšres. Lorsque je suis passĂ© hier matin au mĂȘme endroit, et Ă  peu prĂšs Ă  la mĂȘme heure, toujours Ă  vĂ©lo, en plus des barriĂšres,  trois maitres-chiens Ă©taient prĂ©sents de part et d’autre de la pyramide du Louvre.  Cette prĂ©sence m’a intriguĂ©.

 

Les photos pour cet article ont Ă©tĂ© prises entre le 17 au  matin et ce matin, le 19. Parmi elles, des photos d’articles de presse, ou de couvertures de la presse. 

 

A priori, toutes ces barriĂšres devant la pyramide du Louvre gĂąchent la vue sur la premiĂšre photo de cet article. Mais en la regardant ce matin, je me dis qu’elle est trĂšs  bien comme ça :

 

Car on voit bien que le soleil passe Ă  travers. Soleil ! Soleil !

 

 

Franck Unimon, ce jeudi 19 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

Dans  » Le Canard Enchaßné » de cette semaine.

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

 

Dans  » Le Canard Enchainé » de cette semaine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Vent d’Ăąme

    

                                                   

  Vent d’ñme

Selon les principes de la Commedia dell a’rte, nos masques sont nos vrais visages. Il est bien des cultures et bien des pratiques ignorĂ©es et disparues oĂč l’on porte des masques en certaines circonstances. Et c’est un combat, parfois de toute une vie, que d’Ă©chapper Ă  ces visages ou, au contraire, de les accepter.

 

Nos peurs sont sans doute aussi nos vĂ©ritables visages ainsi que nos vĂ©ritables voix. Aucun maquillage, aucune mise en scĂšne et aucun angle mort ne sera suffisamment rĂ©sistant et solide pour les obliger Ă  se tenir dociles indĂ©finiment. Un jour ou l’autre, nos peurs dĂ©fileront et parleront pour nous. Qu’on les y autorise ou non.

 

Nos peurs connaissent nos rĂȘves et nos cauchemars. Nos peurs, nos rĂȘves, nos cauchemars, nos voix et nos visages, voici ce qui nous dĂ©finit tous Ă  un moment ou Ă  un autre.

Et l’épidĂ©mie, que ce soit celle aujourd’hui du coronavirus Covid-19 ou une autre  (la crise sanitaire actuelle me fait beaucoup penser Ă  celle du Sida dans les annĂ©es 80 pour cette ambiance de fin du monde et d’effondrement qui semble se refermer sur nous ) fait partie de ces expĂ©riences propres Ă  permettre notre mĂ©tamorphose :

 

Nous vivons plein d’expĂ©riences depuis notre naissance qui nous inclinent vers certaines mĂ©tamorphoses. La plupart de ces expĂ©riences sont invisibles. Une Ă©pidĂ©mie, une grĂšve – comme celle des transports il y a encore quelques mois en rĂ©gion parisienne afin de protester contre la rĂ©forme des retraites-  une guerre, une catastrophe ou un attentat terroriste font partie de ces expĂ©riences visualisables et indĂ©niables qui nous obligent Ă  nous transformer. Et notre transformation est notre façon de nous adapter Ă  l’évĂ©nement. On peut louer, regretter, reprocher ou pleurer cette adaptation :

Mourir est aussi une certaine forme d’adaptation. MĂȘme si selon certaines croyances et certaines valeurs, mais aussi selon nos peurs,  mourir est plutĂŽt une adaptation qui a Ă©chouĂ© et qui, en plus, peut ĂȘtre trĂšs douloureuse et trĂšs angoissante.

 

Mais mĂȘme si nous nous aimons et nous cĂŽtoyons tous les jours, lorsque nous nous aimons et nous cĂŽtoyons, nous ne sommes pas – toujours- faits des mĂȘmes rĂȘves, des mĂȘmes cauchemars et des mĂȘmes peurs. Et nos choix comme nos rituels afin d’essayer de composer avec eux peuvent ĂȘtre trĂšs diffĂ©rents de ceux que l’on aimerait pour nous ou que l’on estime « faits Â» pour nous.

 

Mais je n’ai pas la science infuse pour parler de tout ça. Je raconte sans doute Ă©normĂ©ment de conneries comme Ă  peu prĂšs tous les jours. J’ai peut-ĂȘtre attrapĂ© froid en rentrant tout Ă  l’heure, Ă  vĂ©lo, du travail.  J’essaie d’attraper ce qui me reste de ces idĂ©es qui me sont venues aprĂšs une nuit- tranquille – de travail dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč je suis en poste depuis quelques annĂ©es.

 

Je suis partagĂ© entre prendre toutes mes prĂ©cautions pour ne pas m’enrhumer, rester disponible devant une Ă©ventuelle sollicitation sociale du tĂ©lĂ©phone portable, qu’il est un peu plus difficile d’éteindre au vu du contexte de l’épidĂ©mie -depuis le couvre-feu dĂ©cidĂ© hier par le gouvernement et qui deviendra effectif dĂšs ce soir – et aller voir si je peux aller faire quelques courses alimentaires en espĂ©rant qu’il n’y aura pas trop de monde.

 

 

 

Hier soir, j’ai repris mon vĂ©lo pour aller au travail.  Lorsque j’ai entendu que, par prĂ©caution sanitaire, il y aurait moins de transports en commun et aussi que nous devrions respecter, autant que possible, une distance de un mĂštre entre chaque passager, je me suis dit que j’allais reprendre mon vĂ©lo autant que je le pourrais.

 

D’une part, parce-que j’avais dĂ©jĂ  envie de le faire : s’enfermer dans le mĂ©tro, subir rĂ©guliĂšrement des contrĂŽles de titre de transport, monter et descendre des escalators a quelque chose d’usant alors que faire du vĂ©lo permet d’éviter certains de ces dĂ©sagrĂ©ments en mĂȘme temps que de rester Ă  l’air libre. Et de faire un peu de sport en mĂȘme temps que de dĂ©couvrir son environnement autrement.

 

Hier soir,  j’ai ainsi dĂ©couvert un nouvel itinĂ©raire puisque notre service a dĂ©mĂ©nagĂ© il y a plusieurs semaines en raison de travaux dans notre service « originel ». Notre service a donc Ă©tĂ© provisoirement dĂ©localisĂ©. Le trajet est dĂ©sormais plus long Ă  vĂ©lo pour aller au travail. J’ai sĂ»rement fait quelques petites erreurs de parcours. Et j’ai roulĂ© prudemment. Sans chercher Ă  remporter une Ă©preuve contre-la-montre. Je pensais mettre 45 minutes. J’ai mis vingt minutes de plus. Soit j’ai beaucoup vieilli ces derniĂšres semaines. Soit j’avais tout simplement surestimĂ© mes capacitĂ©s de rouleur. La seconde option est la plus vraisemblable. Mais la premiĂšre va  aussi se vĂ©rifier un jour ou l’autre. C’est inĂ©luctable.

 

Je suis passĂ© devant le Louvre. Il y a pire comme itinĂ©raire. Mais je ne pouvais pas m’arrĂȘter pour prendre des photos. Ça, je l’ai fait ce matin. En rentrant du travail.

 

 

Je vois deux aspects face Ă  une Ă©pidĂ©mie :

 

Les dispositions et les prĂ©cautions sanitaires, logistiques incontournables ( se laver les mains, Ă©viter les contacts, limiter ses dĂ©placements, se protĂ©ger et protĂ©ger les autres etc
) que l’on s’applique Ă  suivre de son mieux.

 

Et notre attitude vis-Ă -vis de l’épidĂ©mie. Nous sommes vraiment trĂšs diffĂ©rents les uns des autres.  Impossible d’échapper au sujet du Coronavirus Covid-19 depuis quelques jours. Et c’est d’autant plus impossible depuis l’allocution prĂ©sidentielle d’hier soir d’Emmanuel Macron qui a parlĂ© et reparlĂ© de « Guerre Sanitaire Â» et a officialisĂ© le couvre-feu Ă  partir de 18h ce soir ou demain.

 

Hier soir, au travail, j’ai prĂ©venu ma collĂšgue que je n’allais pas passer la nuit Ă  regarder et  Ă  discuter de l’allocution du PrĂ©sident Macron concernant l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid-19. Elle a acquiescĂ©. J’avais rĂ©agi de la mĂȘme maniĂšre lors des attentats du Bataclan. Une autre collĂšgue- que j’aime aussi beaucoup- cette nuit-lĂ , avait un moment voulu allumer la tĂ©lĂ© pour « voir Â» et pour « avoir plus d’infos Â». Je lui avais rĂ©pondu :

 

« Tu peux. Mais sans moi ! Â». Ma collĂšgue avait choisi de laisser la tĂ©lĂ© Ă©teinte. Peut-ĂȘtre s’était-elle ensuite rattrapĂ©e chez elle.

Samedi matin, au travail, aprĂšs que les jeunes hospitalisĂ©s se soient farcis plusieurs tours d’informations concernant le coronavirus Covid-19  sur BFM, je les ai obligĂ©s Ă  changer de chaĂźne de tĂ©lĂ©. J’estime que c’est aussi notre rĂŽle de personne responsable et de professionnel, que de limiter cette intoxication permanente que certaines informations anxiogĂšnes rĂ©pĂ©tĂ©es  nous impose.

Dans le service, les jeunes ont alors remis une chaine de clips musicaux. Puis, avec ma collĂšgue, nous avons proposĂ© une sortie que les jeunes ont acceptĂ©e. C’Ă©tait il y a quelques jours. Et c’Ă©tait dĂ©jĂ  Ă  une « autre Ă©poque ». J’en parle un peu dans l’article Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020.

 

 

DĂ©cider de me « calfeutrer » mentalement contre des informations sinistres et permanentes ne m’ empĂȘche pas de regarder, d’Ă©couter ou de lire ce qui se passe autour de moi. C’est ce que j’avais fait dans les transports dĂšs le lendemain « des » attentats du Bataclan.  Cela  a Ă©tĂ© pareil ce matin alors que je rentrais Ă  vĂ©lo.

 

Si je me suis concentrĂ©- avec mes photos- sur les bons moments de ce retour « cycliste Â», j’ai bien vu, devant le centre commercial So Ouest , Ă  Levallois,  cet attroupement de personnes qui faisait la queue vers huit heures. Je m’en demandais la raison. Plusieurs centaines de mĂštres plus tard, aprĂšs avoir vu un peu plus de gens portant des masques dans la rue et d’autres personnes faisant la queue devant des pharmacies encore fermĂ©es, j’en ai dĂ©duit que toutes ces personnes faisaient la queue sans doute pour acheter des masques de protection et peut-ĂȘtre aussi des solutions hydro-alcooliques. Plus tard, j’ai aussi aperçu des personnes qui attendaient l’ouverture de la Western Union.

 

 

Je pense aussi au Coronavirus Covid-19. Ne pas en parler, ne jamais y penser, revient Ă  un moment donnĂ© Ă  ĂȘtre dans le dĂ©ni. Il m’est donc impossible d’éviter d’y penser. Mais tout est dans la façon de laisser ce sujet s’emparer de notre Ăąme. Certaines personnes sont dĂ©jĂ  Ă  « bloc ». On en est au tout dĂ©but des mesures les plus strictes et, dĂ©jĂ , un certain nombre de personnes n’ont que le Coronavirus comme perspective. Tout tourne autour de lui.  Concernant le Sida, il y avait une campagne qui disait, je crois :

 

« Le Sida, il ne passera pas par moi ! Â».  Pour le Coronavirus Covid-19, j’aimerais bien-sĂ»r affirmer la mĂȘme chose. Mais je ne peux pas le confirmer. Peut-ĂȘtre que lorsque l’épidĂ©mie sera passĂ©e, que je ferai partie des maccabĂ©es nouveaux-nĂ©s. Peut-ĂȘtre que des proches ou des connaissances en feront partie aussi. Alors qu’aujourd’hui, pour moi, ces Ă©ventualitĂ©s sont impensables. Mais il Ă©tait impensable pour moi il y a encore deux semaines que l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid-19 nous fasse autant de mal ou puisse nous faire autant de mal. Mon article Coronavirus postĂ© il y a trois semaines ne fait pas vraiment un pronostic trĂšs alarmiste. MĂȘme si je parle en filigrane de cet affolement qui surviendrait en cas de rupture de stocks de masques FFP2, je parle aussi du « business » que la vente de ces masques va constituer pour certaines entreprises telles que les pharmacies. Car la mort rapporte beaucoup Ă  certaines entreprises en terme de commerce. On peut mĂȘme dire que la mort, comme toute «activitĂ© » humaine est un commerce ou une niche susceptible d’ĂȘtre un commerce pour certains hommes d’affaires ainsi que pour certains hommes politiques et militaires inspirĂ©s.   

 

 

Quoiqu’il en soit, au cours de l’Ă©pidĂ©mie,  je mourrai peut-ĂȘtre parce-que je me serai fait percuter Ă  vĂ©lo par une voiture. Se faire renverser par une voiture lorsque l’on circule Ă  vĂ©lo est  assez courant. Surtout au vu de la conduite de certains automobilistes qui vous serrent sur la route ou vous coincent entre la carrosserie de leur vĂ©hicule et le bitume du trottoir ou vous forcent Ă  freiner quand ils tournent devant vous.

 

Mais aussi au vu de la conduite de certains cyclistes :

 

Ce matin, une jeune gazelle portant un sac Ă  dos de marque Eastpak m’a laissĂ© sur place. Le temps de l’entendre qui se rapprochait, elle m’avait mis une dizaine de mĂštres dans la vue. Bon, je ne suis pas lĂ  pour faire la course et une femme peut me doubler sur la route que ce soit Ă  vĂ©lo ou en voiture. Mais Ă  vĂ©lo, Mademoiselle, au feu rouge, on s’arrĂȘte ! Surtout lorsque l’on passe devant une sortie de pĂ©riphĂ©rique et que l’on ne porte pas de casque sur la tĂȘte. Ça fait bien, lorsque le feu passe au vert sur votre droite et qu’une voiture commence Ă  s’avancer, de dĂ©vier un peu sa trajectoire tout en continuant Ă  pĂ©daler. C’est adroit. Mais ça peut aussi faire passer l’ñme Ă  gauche. Ceci dit, je sais aussi que ce ne sont pas toujours les personnes les plus prudentes et les plus respectueuses des rĂšgles qui s’en sortent toujours le mieux dans la vie. Ce que je viens d’écrire est dur et ressemblera Ă  un acte moralement irresponsable en pĂ©riode de Coronavirus Covid-19 ou de toute autre Ă©pidĂ©mie. Mais si on prend un peu le temps d’y penser, on s’apercevra que l’on a bien connu au moins une fois dans sa vie une personne qui a toujours Ă©tĂ© droite, toujours Ă©tĂ© dans le respect des rĂšgles, et qui, pourtant, a eu une vie et une mort trĂšs conne, injuste ou incomprĂ©hensible pendant que d’autres ont pu batifoler et vivre tout un tas d’excĂšs, et, finalement, s’en sortir pas si mal que ça.

 

Donc, avoir des Devoirs, oui. Respecter les rĂšgles, oui. Mais il ne faut pas confondre faire montre de prudence et s’enfermer de soi-mĂȘme en toutes circonstances dans un cercueil ou un bunker, ainsi que celles et ceux qui nous entourent comme si notre mort Ă©tait assurĂ©e alors que l’Ă©pidĂ©mie vient Ă  peine de commencer. Et que l’on s’entoure d’un certain nombre de prĂ©cautions
.et d’informations. Lesquelles informations nous apprennent que ce coronavirus Covid-19 est quand mĂȘme moins mortel, par exemple, qu’une catastrophe nuclĂ©aire : Oui,  je pense aux effets d’ une catastrophe nuclĂ©aire similaire Ă  celle de Tchernobyl  s’il s’en produisait une en France ! Pourtant, nous vivons plutĂŽt bien grĂące au nuclĂ©aire mĂȘme s’il nous fait peur : c’est lui qui nous fournit la plus grosse partie de notre Ă©lectricitĂ© domestique.

 

 

Quoiqu’il en soit, je crois qu’il rĂ©sultera de cette Ă©pidĂ©mie et des transformations qui en dĂ©couleront de nouvelles amitiĂ©s ou de nouvelles solidaritĂ©s. Car on se rĂ©vĂšle aussi Ă  soi-mĂȘme et aux autres dans ces moments-lĂ . Et on a de bonnes et de mauvaises surprises. On peut soi-mĂȘme ĂȘtre une mauvaise surprise pour certaines et certains qui nous plaçaient sur un piĂ©destal ou sur un trĂŽne dont on n’a jamais voulu. C’est comme ça.

 

 

L’allocution du PrĂ©sident de la RĂ©publique, hier soir, m’a contrariĂ© parce-que, mĂȘme si les mesures sanitaires qu’il a officialisĂ©es sont justifiĂ©es, j’ai beaucoup trop vu en lui l’homme politique et de Pouvoir qui jouit de sa position de supĂ©rioritĂ©. J’ai trop vu en lui l’homme politique qui, en nous enfonçant dans la tĂȘte le concept de « Guerre sanitaire », en profite un peu plus pour nous dominer et nous gouverner Ă  sa main. Et, je me demande ce que, en Ă©change de notre salut sanitaire et civil, nous allons perdre en libertĂ©s et en droits divers,  pendant cette pĂ©riode d’épidĂ©mie mais aussi aprĂšs elle. Parce qu’aprĂšs l’épidĂ©mie, il sera encore possible de trouver  bien des raisons pour justifier d’un couvre-feu et d’un certain type de contrĂŽles et d’interdits inĂ©dits jusqu’alors ou moins frĂ©quents. Que deviendra le mouvement des gilets jaunes aprĂšs l’épidĂ©mie ? La rĂ©forme des retraites ? Combien de temps rĂ©flĂ©chirons-nous Ă  ce genre de question aprĂšs plusieurs jours, plusieurs semaines de couvre-feu, lorsque la peur de la mort sera devenue un peu plus la couleur de nos rues et de nos regards ?

 

Je sais pourquoi j’avais prĂ©fĂ©rĂ© voter pour lui au second tour des derniĂšres Ă©lections prĂ©sidentielles : pour ĂȘtre sĂ»r d’Ă©viter l’Ă©lection de celle que je refuse de nommer. Parce-que j’ai l’impression que le simple fait de la nommer contribue dĂ©ja Ă  lui donner un vote de plus ou plus d’aura. Elle qui, depuis des annĂ©es, fait sa thĂ©rapie familiale voire sa thĂ©rapie de couple au travers de sa vie politique qu’elle a transformĂ© en une scĂšne publique et mĂ©diatique, comme son papa. Cela a Ă©tĂ© une grande surprise pour moi lorsque j’ai appris que de plus en plus de personnel infirmier votait pour cette candidate aux Ă©lections prĂ©sidentielles. On peut vraiment dire qu’il s’agit d’un vote de colĂšre.

 

J’ai Ă©coutĂ© une petite partie de l’allocution du PrĂ©sident Emmanuel Macron lorsqu’il a annoncĂ© le couvre-feu Ă  venir, la  » Guerre sanitaire » etc…Mais en y repensant, je me suis dit que j’avais du mal Ă  me faire Ă  ce GĂ©nĂ©ral Macron qui, Ă  mon avis, aurait eu beaucoup de mal, si en tant que soignant, on lui avait dit :

« On te laisse la dame de la chambre 8. C’est toi qui lui fera sa toilette complĂšte. Pas plus de dix minutes.  Parce qu’il y a d’autres toilettes Ă  faire et, aprĂšs, il y a tous les mĂ©dicaments Ă  distribuer « .

Ou si on lui avait dit :  » On t’attend pour faire l’entretien avec ce patient qui est persuadĂ© que tu couches avec sa femme et que tu lui bloques ses spermatozoĂŻdes ».

 

Etre PrĂ©sident de la RĂ©publique est bien-sĂ»r un mĂ©tier difficile. Et chaque mĂ©tier a ses difficultĂ©s. Mais disons qu’il s’intercale tellement d’intermĂ©diaires entre un PrĂ©sident de la RĂ©publique et celles et ceux qui, Ă  peu prĂšs tout en bas, doivent s’Ă©craser et obĂ©ir coĂ»te que coĂ»te, que j’ai l’impression que cette « Guerre sanitaire » contre le Coronavirus Covid-19 fait des soignants des hĂŽpitaux publics un peu les Ă©quivalents des liquidateurs qui, lors de la catastrophe de Tchernobyl, s’Ă©taient plongĂ©s dans la fosse afin d’arrĂȘter le rĂ©acteur nuclĂ©aire.

 

En rangeant mon vĂ©lo dans son local tout Ă  l’heure, je me suis dit qu’aprĂšs l’épidĂ©mie, si notre « cher » PrĂ©sident est vĂ©ritablement si concernĂ© par le personnel soignant, dont le personnel infirmier , il abrogera ce statut de soignant « sĂ©dentaire » et rĂ©visera ce qui concerne l’ñge de dĂ©part Ă  la retraite ainsi que le niveau du montant des pensions de retraite infirmiĂšres :

 

Il y a quelques annĂ©es, les infirmiers ont Ă©tĂ© sommĂ©s de choisir entre une catĂ©gorie A, dite « SĂ©dentaire Â» et une catĂ©gorie B dite « active Â».

Depuis, tous les nouveaux infirmiers diplĂŽmĂ©s sont d’office considĂ©rĂ©s comme relevant de la catĂ©gorie A, dite « sĂ©dentaire Â» : ils sont supposĂ©s ĂȘtre mieux payĂ©s que ceux de la catĂ©gorie B dite « active Â» mais, aussi, avoir une carriĂšre plus longue de cinq annĂ©es que ces derniers.

Avec les dĂ©crets et toutes les dĂ©marches lĂ©gislatives effectuĂ©s par les gouvernements successifs concernant la rĂ©forme des retraites, on en arrive Ă  ce que les infirmiers de catĂ©gorie B qui pouvaient prendre leur retraite plus tĂŽt ( avant leurs 60 ans) avec une pension de retraite convenable , Ă  condition d’avoir effectuĂ© un certain nombre d’annĂ©es de travail, sont dĂ©sormais de plus en plus obligĂ©s de tabler sur un dĂ©part Ă  la retraite au delĂ  de 60 ans ( 62 ans semble pour l’instant l’ñge moyen de dĂ©part Ă  la retraite pour les infirmiers de catĂ©gorie B) s’ils veulent Ă©viter une certaine prĂ©caritĂ©. 

 

 

Le PrĂ©sident de la RĂ©publique et ses Ministres prĂ©conisent le tĂ©lĂ©travail quand c’est possible lors de « notre Â» Ă©pidĂ©mie du Coronavirus Covid-19. Mais cela est impossible pour du personnel infirmier en pĂ©riode d’épidĂ©mie et de «  Guerre sanitaire Â». Hier soir, un ami m’a demandĂ© oĂč nous allions choisir de rester « confinĂ©s Â» pendant les 45 jours Ă  compter de demain. Et il a ajoutĂ© : «  On reste en contact Â».  Je lui ai rappelĂ© que, si « confinement Â» il peut y avoir pour nous, infirmiĂšres et infirmiers, ce sera peut-ĂȘtre dans un cercueil parmi des maccabĂ©es. Que l’on soit infirmier de catĂ©gorie A ou de catĂ©gorie B.

 

J’ai nĂ©anmoins tenu Ă  assurer mon ami que nous resterions bien-sĂ»r en contact mĂȘme si je doutais un peu que, en cas de dĂ©cĂšs, ma toute nouvelle constitution l’incite Ă  m’accueillir les bras grands ouverts.

 

 

Je crois que je survivrai Ă  cette Ă©pidĂ©mie. Et je pratique bien Ă©videmment l’humour noir, ce qui est une mes particularitĂ©s qui m’a dĂ©jĂ  desservi et qui peut encore me coĂ»ter certaines dĂ©saffections sociales. Mais je prĂ©fĂšre l’humour noir Ă  me carboniser la cervelle en bouffant en boucle la junk Food d’informations toxiques Ă  la tĂ©lĂ©, sur les rĂ©seaux sociaux, dans d’autres mĂ©dia ainsi que, bien-sĂ»r, dans la vie rĂ©elle. L’attention de cet ami ainsi que celle d’un autre m’a fait plaisir et aussi un peu Ă©tonnĂ© :

Je n’ai pas prĂ©vu de mourir maintenant. Je ne bombe pas le torse. C’est juste que j’estime que j’ai encore Ă  vivre et Ă  transmettre et que je suis encore assez loin de l’Ăąge oĂč je me dis que je pourrais mourir.

 

 

Hier matin , devant l’Ă©cole de ma fille,  j’aurais aimĂ© ĂȘtre capable d’humour  lorsque j’ai vu une « collĂšgue » infirmiĂšre devoir rebrousser chemin avec ses trois enfants. La directrice de l’Ă©cole maternelle, trĂšs accueillante par ailleurs, a expliquĂ© avoir reçu des directives selon lesquelles,  pour que des enfants soient accueillis par l’école en pĂ©riode d’épidĂ©mie, que les deux parents se doivent d’ĂȘtre des professionnels du secteur hospitalier
.

J’ai dit Ă  cette directrice qu’une telle exigence ne pouvait pas tenir. Mais, une fois de plus, l’administratif a encore gagnĂ©. Et, une fois de plus, une infirmiĂšre a dĂ» prendre sur elle. Tout en se montrant comprĂ©hensive, trĂšs polie et trĂšs disciplinĂ©e, cette « collĂšgue » infirmiĂšre- que je rencontrais pour la premiĂšre fois- a acceptĂ© de repartir avec ses trois enfants sans faire d’esclandre. C’était Ă  elle qu’il incombait  de trouver une solution pour faire garder ses enfants mais aussi de se rendre disponible pour participer Ă  «  La Guerre Sanitaire ». 

J’imagine qu’il s’agissait d’un couac. Le temps que la logistique et la sociĂ©tĂ© s’adaptent Ă  l’épidĂ©mie qui, demain, pourrait ĂȘtre remplacĂ©e par l’effondrement dont parlent les collapsologues depuis quelques annĂ©es. Lesquels collapsologues disent peut-ĂȘtre que la façon dont cette Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 nous prend de court et nous met Ă  nu rĂ©vĂšle ce qu’il en sera en cas d’effondrement plus visible de notre civilisation. Mais, aussi, que cette Ă©pidĂ©mie du Coronavirus Covid-19 et ses consĂ©quences sont une des manifestations, parmi d’autres, de l’effondrement dont ils parlent. 

 

En attendant, c’est la tĂȘte un peu baissĂ©e que je suis rentrĂ© chez moi Ă  pied. Non par honte ou par abattement :

 

A force de prendre mon temps ce matin pour faire des photos sur mon trajet de retour, j’avais un peu attrapĂ© froid. Mon nez coulait. Et je n’avais pas de mouchoir Ă  portĂ©e de main. Je ne voulais pas inquiĂ©ter qui que ce soit dans la rue.

 

Quelques minutes plus tĂŽt, aprĂšs avoir parlĂ© Ă  ma compagne, j’avais eu  un peu eu ma fille au tĂ©lĂ©phone. Alors qu’elle allait passer la journĂ©e dans cette Ă©cole qui recueille les enfants de personnel hospitalier.

Comme le sont souvent les enfants, alors que les adultes sont plus que prĂ©occupĂ©s par un sujet donnĂ©, ma fille Ă©tait contente de se rendre dans cette Ă©cole oĂč elle allait ĂȘtre avec d’autres enfants et sans doute s’amuser. Son attitude m’a rassurĂ© : en tant qu’adultes et en tant que parents, nous ne l’avions pas trop contaminĂ©e avec nos inquiĂ©tudes concernant le Coronavirus Covid-19.

 

Hier, nous avions dĂ©couvert avec elle cette nouvelle scolaritĂ© qui se passe Ă  travers des vidĂ©os et des cours envoyĂ©s par sa maitresse via internet. C’était une expĂ©rience assez insolite et assez drĂŽle de voir la maitresse de notre fille donnant ses explications face camĂ©ra avant chaque exercice et de comprendre que tout cela Ă©tait aussi trĂšs nouveau pour elle. Aujourd’hui, internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile peuvent ĂȘtre des trĂšs bons moyens d’échapper Ă  la dĂ©pression morale qu’amĂšne l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid-19 et toute autre catastrophe. A condition de s’en servir avec cette volontĂ©-lĂ . Et si internet et la tĂ©lĂ©phonie mobile flanchent ou nous en empĂȘchent, il nous faudra ĂȘtre capables de savoir nous en passer pour continuer d’entendre le vent de notre Ăąme. Beaucoup d’autres l’ont fait avant nous. Et un certain nombre d’entre eux avaient nos visages.

 

 

Franck Unimon, mardi 17 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Corona Circus Crédibilité

Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020

 

 » Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante » peut-on lire sur le fronton du PanthĂ©on. Jusqu’Ă  tout Ă  l’heure en rĂ©digeant cet article et en le mettant en forme, j’avais ignorĂ© cette phrase qui orne le PanthĂ©on. 

Qu’est-ce qu’une Grande Femme ou un Grand Homme ? Qu’est-ce qu’une Patrie ? Qui peut en dĂ©cider ?

Et quand ? Les dignitaires politiques officiels sont-ils toujours les plus légitimes et les plus sages pour en décider ?

Il est quantitĂ© de Grandes Femmes et de Grands Hommes qui appartiennent davantage Ă  l’anonymat qu’Ă  notre mĂ©moire collective et mĂ©diatique.

Si l’on regarde « seulement » du cĂŽtĂ© des soignants, toutes professions confondues dans les Ă©tablissements hospitaliers, que l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 vient de placer en premiĂšre ligne alors qu’une bonne partie de la population, pour des raisons fondĂ©es de prĂ©vention et de prĂ©servation sanitaire, est appelĂ©e Ă  limiter autant que possible ses dĂ©placements comme ses Ă©changes interpersonnels, combien d’entre-eux ont figurĂ© et figureront au PanthĂ©on lorsque l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 , aprĂšs et avant d’autres, sera passĂ©e ?  Lesquels ?

Combien d’Ă©boueuses et d’Ă©boueurs, de femmes et d’hommes de mĂ©nage,  figureront-ils pour des raisons permanentes de prĂ©vention sanitaire au PanthĂ©on de la Patrie reconnaissante ?

 

On pourrait multiplier les exemples avec d’autres professions et d’autres actions d’individus et de groupes d’individus qui effectuent une mission d’ordre et d’utilitĂ© publique dont on n’entendra pas parler contrairement Ă  certaines « cĂ©lĂ©britĂ©s ».  

D’ailleurs, et  je me demande si c’est une vision biaisĂ©e de ma part, mais lorsque le PrĂ©sident Macron invite les soignants Ă  se consacrer pleinement Ă  l’effort sanitaire pour rĂ©pondre Ă  l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 et aux frayeurs parasites qu’elle suscite, j’ai l’impression que seuls les soignants du service public sont appelĂ©s Ă  rĂ©pondre prĂ©sents. Et non ceux du secteur privĂ©. Pourtant, depuis des annĂ©es, l’Etat Français, donc le gouvernement Macron-Philippe ainsi que les prĂ©cĂ©dents, oblige les hĂŽpitaux publics Ă  ressembler de plus en plus aux Ă©tablissements de soins privĂ©s. Ce qui consiste Ă  adopter des modĂšles de gestion et de soins  indexĂ©s sur la mĂ©canique du chiffre et de la rentabilitĂ© parfois Ă  tombeau ouvert. Ce qui se traduit souvent au moins par  » une baisse des effectifs » en personnel soignant.

Concernant le personnel infirmier, on peut aussi mentionner l’allongement de la durĂ©e de carriĂšre. Un « gel » des salaires. La diminution du nombre de jours de congĂ©s.  Un ralentissement de la montĂ©e d’Ă©chelon. Des difficultĂ©s renouvelĂ©es afin d’obtenir des formations professionnelles. La perte d’autres droits et avantages.  Selon moi, si on le souhaite,  on devrait avoir la possibilitĂ© de prendre sa retraite Ă  cinquante ans un peu sur l’ancien modĂšle des militaires et bĂ©nĂ©ficier d’aides Ă  la reconversion professionnelle. 

Pourquoi employer trois ou quatre infirmiers si deux parviennent Ă  faire ce qu’on leur demande  ? Si le service est « calme » ?  Pourquoi en employer trois ou quatre si on peut mettre deux aides-soignants avec deux infirmiĂšres ? ça fait toujours quatre, non ? 

 

Je n’avais pas prĂ©vu de me poser ce type de questions et d’en arriver Ă  ce genre de dĂ©veloppement en prenant en passant cette photo et les autres autour du PanthĂ©on.

Le PanthĂ©on, je suis plusieurs fois passĂ© Ă  cĂŽtĂ©. Souvent dans un Ă©tat d’esprit dĂ©tendu.  J’en ai bien-sĂ»r entendu parler Ă  la faveur du « dĂ©mĂ©nagement » de telle PersonnalitĂ© dont les cendres y sont dĂ©posĂ©es ou susceptibles de l’ĂȘtre. Je ne l’ai jamais visitĂ©. Il y avait des annĂ©es que je ne l’avais pas cĂŽtoyĂ© d’aussi prĂšs. Et la bibliothĂšque Ste-GeneviĂšve, je n’ai jamais pris le temps d’y entrer mĂȘme si je possĂšde une carte d’accĂšs depuis des annĂ©es.

 

 

Mais un jour seulement sĂ©pare ces photos prises prĂšs du PanthĂ©on et la manifestation des gilets jaunes le lendemain, ce samedi 14 mars 2020 ( hier). Et, ce samedi 14 mars ( hier), je n’avais pas non plus prĂ©vu de me trouver face Ă  cette manifestation en sortant du travail. Pas plus que je n’avais prĂ©vu d’Ă©crire cet article lors du premier tour des Ă©lections municipales oĂč, en raison de l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19, il est probable que l’absentĂ©isme Ă©lectoral batte de nouveaux records. Puisqu’aujourd’hui nous en sommes au stade 3 de l’Ă©pidĂ©mie comme en en matiĂšre de mesures de prĂ©vention. Et qu’aujourd’hui, cinĂ©mas, piscines et d’autres lieux publics encore ouverts hier ont Ă©tĂ© fermĂ©s. 

 

 

Depuis que le mouvement des gilets jaunes a dĂ©butĂ© il y a plus d’un an maintenant, je n’ai assistĂ© ou participĂ© Ă  aucune manifestation des gilets jaunes. Et sans doute est-ce parce-que beaucoup de personnes agissent comme moi que des gouvernements en France et ailleurs conservent leur façon de gĂ©rer certaines Ă©chĂ©ances sociales, Ă©conomiques et environnementales, modelant Ă  leur image le monde dans lequel nous vivons. Lorsque l’on parle de personnes conservatrices, on dĂ©signe souvent d’autres personnes. Mais moi qui n’ai jamais pris part Ă  une seule manifestation des gilets jaunes, je fais bien partie Ă  un moment donnĂ©, que je le veuille ou non, des conservateurs. C’est comme pour le vote : est principalement pris en compte le nombre de votes. Et non le nombre de personnes qui s’est abstenu de voter et qui exprime pourtant quelque chose. 

 

Je me mĂ©fie beaucoup des effets de groupe. Je redoute l’aspect « troupeau » que l’on peut conditionner. Et qui peut aussi s’affoler ou s’emballer pour le pire comme pour le meilleur. Mais mon attitude vis-Ă -vis du groupe et de la foule a ses limites.

Bien-sĂ»r, chacun ses limites et il importe de les connaĂźtre comme il existe diffĂ©rentes maniĂšres de manifester et de militer. Mais Ă  se tenir prudemment, peureusement, hors du « troupeau », du groupe, de la masse ou de la foule, en toutes circonstances, on se retrouve un moment isolĂ©. Certaines fois, cela peut ĂȘtre avantageux. D’autres fois, on devient une proie de choix. 

Et puis -quoiqu’on en dise- on appartient Ă  un groupe ou, le plus souvent, Ă  plusieurs groupes :

Au moins Ă  un groupe familial. A un groupe social. A un groupe professionnel. A un groupe amical. Et chacun de ces groupes nous inspire et nous incite Ă  suivre et Ă  adopter certains comportements que ce soit par la contrainte, par intĂ©rĂȘt, par stratĂ©gie, par mimĂ©tisme ou par choix. 

Dans son livre La DerniĂšre Ă©treinte, l’Ă©thologue et primatologue Frans de Waal Ă©crit page 33 :

 » La sociĂ©tĂ© des chimpanzĂ©s n’est pas faite pour les humbles et les faibles ». 

Page 36, il Ă©crit aussi :

 » Les chimpanzĂ©s jouent constamment Ă  prouver qu’ils sont plus forts, Ă  tester les limites de leur pouvoir ou du vĂŽtre ». 

Et, page 31, il avait affirmĂ© :  » Ce sont les Ă©motions qui orchestrent le comportement ». 

 

Hier aprĂšs-midi, vers 14h30, en sortant du travail, mes premiĂšres rĂ©actions en dĂ©couvrant la prĂ©sence de cette manifestation, ont Ă©tĂ© celles de l’Ă©tonnement et de la curiositĂ©. Quelques minutes plus tĂŽt,  j’avais interrogĂ© un collĂšgue arrivant de l’extĂ©rieur. Il avait eu un peu de mal Ă  me dire ce qui se passait.

Il n’Ă©tait pas prĂ©vu que je travaille hier matin. Quelques heures plus tĂŽt, avec ma collĂšgue, nous avions fait une sortie agrĂ©able et tranquille avec les jeunes hospitalisĂ©s. Tout Ă©tait calme.

Je finis ma journĂ©e de travail, je tombe sur une manif. J’ai d’abord pensĂ© que c’Ă©tait un Ă©vĂ©nement festif. Le dĂ©ni sans doute. Puis, j’ai pensĂ© Ă  une manifestation des avocats. J’ai lu que les avocats, en ce moment, protestaient contre les mauvaises conditions de travail qui sont les leurs. J’avais lu un article montrant une course dans la rue effectuĂ©e par des avocats en guise de protestation. Une fois plus prĂšs de la manifestation, j’ai rapidement compris que je m’Ă©tais trompĂ©.

 

Quelques personnes scandaient avec provocation :  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! ». En regardant en contre-bas, j’ai aperçu des camions des forces de l’ordre sur la route. Un attroupement de personnes au carrefour. Cela faisait beaucoup de monde. Et, un peu plus haut, sur ma droite vers Place d’Italie, d’autres reprĂ©sentants des forces de l’ordre se tenaient immobiles, sur la route.

 

MĂȘme si cela se passait « bien » et qu’un certain nombre de personnes circulait librement, je me suis un peu senti pris en tenaille. J’ai un peu hĂ©sitĂ©. J’avais prĂ©vu de me rendre Ă  la sĂ©ance du film Kongo rĂ©alisĂ© par Hadrien La Vapeur et Corto Vaclav. Ce film sorti cette semaine passe dans une seule salle Ă  Paris. Il passe aussi Ă  Montreuil. Mais en tant que citoyen et en tant que crĂ©ateur et rĂ©dacteur d’un blog qui s’appelle Balistique du quotidien, il m’Ă©tait impossible de partir sans faire un minimum l’expĂ©rience de cette manifestation. 

 

 

J’ai regardĂ© un peu. Quelques fumigĂšnes ont Ă©tĂ© de sortie. Puis, en bas Ă  droite,  j’ai aperçu plusieurs membres des forces de l’ordre attraper quelqu’un, une ou plusieurs personnes, et les emmener vers l’arriĂšre de leurs camions. A ce moment-lĂ , plusieurs des personnes qui figuraient du cĂŽtĂ© de celles et ceux qui scandaient  » Gilets jaunes ! Gilets jaunes ! » sur ma gauche ont battu en retraite et ont refluĂ© un peu dans ma direction comme si elles s’en allaient. Alors que j’Ă©cris, je me demande maintenant ce que l’on doit ressentir lorsque l’on se fait alpaguer par des forces de l’ordre :

Si on a juste manifestĂ© et que l’on est innocent, on doit avoir beaucoup de mal Ă  le vivre. Par contre, si on a recherchĂ© l’affrontement et le contact, on doit sans doute un peu jubiler comme certains peuvent jubiler de pouvoir dire qu’ils ont fait de la taule. Car cela signifie que l’on n’a pas peur d’aller au combat. Et sans doute aussi que, d’une certaine maniĂšre, mĂȘme arrĂȘtĂ© puis enfermĂ©, que l’on  est  libre ou que l’on s’estime plus libre que d’autres. 

 

De ce point de vue et depuis d’autres points de vue, je ne suis pas libre. Mais il me fallait passer de l’autre cĂŽtĂ© de la manif pour ma sĂ©ance cinĂ©. Ce qui a permis ces photos. Pour illustrer cet article, j’ai d’abord voulu d’Ă©viter autant que possible les photos en noir et blanc qui peuvent donner un aspect « reportage de guerre » ou qui pourraient laisser croire que nous sommes en Mai 68.

Mais certaines photos en noir et blanc, parmi celles que j’ai prises hier, m’ont semblĂ© incontournables. Et puis, pour essayer d’Ă©viter le plus possible de manipuler celles et ceux qui regarderont ces photos, je me suis dit qu’il fallait en mettre un certain nombre afin d’essayer de restituer au mieux l’ambiance assez gĂ©nĂ©rale  lĂ  oĂč j’Ă©tais durant la manif.

 

Je suis restĂ© Ă  peu prĂšs une quinzaine de minutes. A voir la « tranquillité » des reprĂ©sentants des forces de l’ordre, je me suis dit qu’un certain nombre d’entre eux avaient l’expĂ©rience de ce genre de situation sociale. J’ai bien-sĂ»r Ă©tĂ© intimidĂ© par le nombre de leurs effectifs. Par moments,  j’avais l’impression que la terre tremblait sous mes pieds ou qu’elle aurait pu le faire si cela dĂ©gĂ©nĂ©rait.

Leur harnachement et leurs protections. Leur stature. Leur entraĂźnement supposĂ© aux confrontations dans la rue. Leur nombre. Leurs diffĂ©rentes positions stratĂ©giques. Leur regroupement. Moi, je n’Ă©tais qu’une personne parmi d’autres qui passait par lĂ . En cas d’assaut, impossible pour eux de le deviner si je me trouvais entre eux et des manifestants dĂ©terminĂ©s. Evidemment, mes Ă©motions provenaient du fait que je dĂ©couvrais ce que pouvait ĂȘtre une manif en prĂ©sence d’autant de forces de l’ordre dans un contexte oĂč un affrontement Ă©tait possible.

Mais je ne me suis pas fait dessus non plus.  Pas plus que je n’ai inondĂ© mes vĂȘtements de couleurs suite Ă  une trop forte stimulation de mes glandes sudoripares. 

 Je me suis aussi dit que nous Ă©tions encore dans une dĂ©mocratie puisqu’une telle manifestation pouvait avoir lieu en prĂ©sence d’autant de membres de forces de l’ordre qui, pour la plupart, se contentaient d’observer et de se dĂ©placer en fonction de l’Ă©volution et des dĂ©placements de la manif. MĂȘme si, en raison de l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19 et du risque de contagion multipliĂ© par ce rassemblement de personnes, cette manifestation et les suivantes seront sans doute reprochĂ©es Ă  leurs organisateurs.  

Hier, le rassemblement autorisĂ© maximal de personnes sur un lieu public, du fait de l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus, devait ĂȘtre de cinq cents ou de mille personnes, je crois. A vue d’oeil, je crois que l’on peut facilement estimer qu’il devait bien y avoir plus de mille personnes Ă  cette manifestation hier. Etant donnĂ© qu’aujourd’hui, nous en sommes au stade 3 de l’Ă©pidĂ©mie, cela limite dĂ©sormais encore plus le nombre de personnes qui souhaite se rassembler ainsi que les lieux accueillant du public ( mĂ©diathĂšques, cinĂ©mas, restaurants, piscines…).

Il est prĂ©vu qu’il y aura moins de transports en commun. Les personnes qui le pourront resteront chez elles afin d’effectuer du tĂ©lĂ©travail. 

Vu que nous sommes toujours sous le plan vigipirate concernant le terrorisme ( New-York 2011 ), toute personne ou tout groupe de personne ayant l’intention de manifester va sans doute se sentir lĂ©sĂ© de plus en plus dans ses libertĂ©s et ses droits fondamentaux. Ce qui risque de durcir certains mouvements sociaux. Mais aussi d’exaspĂ©rer des personnes qui, jusque lĂ , Ă©taient restĂ©es conciliantes et dociles en termes de revendication sociale. 

A un moment, Ă  quelques mĂštres de moi, j’ai entendu une femme crier  » ArrĂȘtez de nous gazer ! On est en train de manger ! ( au restaurant ou dans un Fast-Food) ».  Je n’ai pas senti d’odeur incommodante.

J’ai entendu un couple se disputer parce-que monsieur et madame ne s’Ă©taient pas compris lorsqu’ils s’Ă©taient dit lĂ  oĂč l’un et l’autre se trouverait dans la manif. 

J’ai vu des personnes  prendre des photos. 

 

J’ai vu un reprĂ©sentant de l’ordre laisser passer civilement un couple d’un certain Ăąge aprĂšs que celui-ci lui ait dit qu’il habitait non loin de lĂ . C’est sans doute ce reprĂ©sentant de l’ordre qui a rĂ©pondu Ă  un autre homme :  » Vous ĂȘtes dĂ©ja passĂ© tout Ă  l’heure ». 

A moi, ce mĂȘme reprĂ©sentant de l’ordre, ou un autre, m’a rĂ©pondu poliment que pour aller vers le PanthĂ©on, il me fallait passer ailleurs en tournant ensuite sur la droite. Ce que j’ai fait.

 

AprĂšs Ă  peine quelques minutes de marche, mĂȘme si j’ai croisĂ© d’autres vĂ©hicules de police qui arrivaient en renfort, j’ai Ă  nouveau Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© de voir comme il suffit de franchir quelques rues pour retrouver la quiĂ©tude mais aussi l’ignorance. Les personnes que j’ai croisĂ©es ensuite dans la rue, dans un restaurant, vaquaient comme si de rien n’Ă©tait. 

 

Je ne sais pas ce qui s’est passĂ© ensuite comme je n’ai pas vu d’images ou lu d’informations concernant ce qui s’Ă©tait passĂ© hier lors de la manifestation des gilets jaunes. Sans doute devrais-je le savoir. Sans doute que je ne suis pas un Grand Homme. 

 

Franck Unimon, dimanche 15 Mars 2020. 

Photos : Franck Unimon, le 13 et 14 Mars 2020. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le discours de l’actrice AĂŻssa MaĂŻga aux CĂ©sars 2020

 

 

Le discours de l’actrice AĂŻssa MaĂŻga aux CĂ©sars de cette annĂ©e 2020 :

 

J’ai suivi de trĂšs loin ce qui s’est passĂ© aux CĂ©sars cette annĂ©e. Je ne connais mĂȘme pas le palmarĂšs des rĂ©compenses avec prĂ©cision.

J’avais lu que Terzian et son Ă©quipe avaient dĂ©missionnĂ© avant la cĂ©rĂ©monie. Suite Ă  une pĂ©tition de professionnels du cinĂ©ma lui adressant un certain nombre de reproches.

J’avais entendu parler et lu Ă  propos de Polanski, du fait que la prĂ©sence de son film J’accuse ainsi que sa nomination avaient Ă©tĂ© insupportables pour bien des personnes en raison de l’agression sexuelle dont il avait Ă©tĂ© l’auteur aux Etats-Unis il y a plusieurs annĂ©es. Pays dont il a fui la justice.

J’ai lu en filigrane que cette cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars avait Ă©tĂ© considĂ©rĂ©e comme « insipide Â». Et j’avais peut-ĂȘtre un peu entendu parler du discours d’AĂŻssa MaĂŻga mais alors, vraiment, en sourdine. L’affaire Polanski, les rĂ©actions diverses qu’elle avait suscitĂ©es, le Coronavirus Covid 19 puis le 49.3 du gouvernement Philippe-Macron pour imposer la rĂ©forme des retraites avaient emportĂ© le plus gros de mon attention en ce qui concerne les actualitĂ©s en France. J’avais aussi appris que toute la rĂ©daction des Cahiers du cinĂ©ma avait dĂ©missionnĂ© aprĂšs que le journal ait Ă©tĂ© rachetĂ© par vingt hommes d’affaires ( dont Xavier Niel, PDG de Free, un des actionnaires du journal de Le Monde, et prĂ©tendant au rachat de France Antilles) dont le projet est de faire des Cahiers du cinĂ©maun journal « chic Â» mais aussi de dire aux journalistes de quels films ils doivent parler.

 

Mais un trĂšs proche m’a adressĂ© hier ou avant hier le lien vers la vidĂ©o du discours d’AĂŻssa MaĂŻga aux CĂ©sars cette annĂ©e. Des liens vers des articles ou des vidĂ©os, on en reçoit tous dĂ©sormais Ă  l’époque internet. Ça fuse. Certains articles et certaines vidĂ©os sont drĂŽles, parodiques, critiques, en colĂšre, dĂ©primants, faux (les « fameuses Â» Fake news). Et d’autres sont bien rĂ©els.

 

Aujourd’hui, tout le monde peut donner son avis sur tout et tout le temps trĂšs facilement. Trop facilement. Et cela peut aussi se retourner contre nous d’une part si nos propos dĂ©plaisent. Puisque tout le monde peut donner son avis sur tout, tout le temps et trĂšs facilement, une ou plusieurs personnes peuvent trĂšs bien ĂȘtre d’un avis contraire au nĂŽtre et considĂ©rer que sa mission ou leur mission est de nous voir comme une cible Ă  atteindre ou Ă  dĂ©truire.

 

Et puis, d’autre part,  comme nous l’explique trĂšs bien un Edward Snowden dans son livre MĂ©moires vives, ( E. Snowden est quelqu’un qui s’y connaĂźt trĂšs bien en informatique ainsi qu’en ce qui concerne toutes ces ingĂ©rences dans nos vies privĂ©es que nous permettons chaque fois que nous tĂątons du numĂ©rique) tout ce que nous faisons sur internet laisse des traces quasi indĂ©lĂ©biles. A moins, bien-sĂ»r d’ĂȘtre un expert de l’informatique en particulier en matiĂšre de cryptage. Donc tenir ou Ă©crire certains propos considĂ©rĂ©s comme « vulgaires Â» ou « indignes Â» sur le net peut nous suivre toute notre vie y compris aprĂšs notre mort. MĂȘme en cas de catastrophe nuclĂ©aire nous apprend toujours Edward Snowden dans son livre.

 

Avec cet article, j’espùre donc rester digne car je ne suis pas un expert en cryptage.

En cela, j’imite un petit peu AĂŻssa MaĂŻga lorsqu’elle a prononcĂ© son discours aux CĂ©sars en fĂ©vrier, en clair, Ă  visage dĂ©couvert et sans cryptage. Pourquoi ?

 

J’ai lu que le discours d’AĂŻssa MaĂŻga prononcĂ© aux CĂ©sars derniĂšrement Ă©tait un discours « racialiste» et « embarrassant Â».

Maintenant que j’ai regardĂ© la vidĂ©o de ce discours deux fois,  j’ai le sentiment d’avoir au moins le devoir de m’exprimer Ă  son propos. Et, j’écris bien « Devoir Â». Parce-que ce qu’AĂŻssa MaĂŻga dit dans son discours aux CĂ©sars concernant cette nĂ©cessitĂ© de plus de diversitĂ© dans le cinĂ©ma français, je l’ai moi-mĂȘme Ă©crit et dit. Et rĂ©pĂ©tĂ© depuis des annĂ©es. Dans des articles relatifs au cinĂ©ma. Dans la vie rĂ©elle. Donc, maintenant qu’AĂŻssa MaĂŻga a pris le risque (oui, elle a pris un trĂšs gros risque personnel et professionnel en tenant ce discours Ă  la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars !), j’aurais l’impression de me dĂ©filer si je m’abstenais de prendre le temps d’écrire un article pour dire ce que je pense de son discours. Surtout un discours dans la sphĂšre du cinĂ©ma alors que j’écris rĂ©guliĂšrement des articles qui ont trait au cinĂ©ma. Donc, je ne peux pas faire comme si j’étais absent ou ignorant de l’évĂ©nement maintenant que j’ai vu et pris connaissance de la vidĂ©o et du contenu du discours d’AĂŻssa MaĂŻga.

 

« Discours racialiste Â» et «  embarrassant Â» : j’ai lu ça Ă  propos du discours d’AĂŻssa MaĂŻga aux CĂ©sars. Je m’en suis tenu Ă  ces deux mots. Je n’ai pas envie de m’amarrer indĂ©finiment Ă  ce sujet.

 

Tout d’abord, j’aimerais que les personnes qui voient comme principaux dĂ©fauts au discours d’AĂŻssa MaĂŻga le fait d’ĂȘtre un « discours racialiste Â» et «  embarrassant Â» prennent, un jour,  la parole Ă  visage dĂ©couvert comme l’a fait AĂŻssa MaĂŻga et dans les conditions dans lesquelles elle a pris cette parole.

 

C’est Ă  dire en prenant le risque que cette prise de parole se retourne contre eux personnellement et professionnellement. Car je rappelle qu’elle est seule sur scĂšne lorsqu’elle se lance dans ce discours. Seule face Ă  plein de camĂ©ras et une salle pleine de regards tournĂ©s vers elle. Plus de mille personnes comme elle le dit Ă  un moment donnĂ©. Donc, dĂ©jĂ , il faut s’imaginer pouvoir s’avancer en pleine lumiĂšre, face Ă  plein de gens et plein de camĂ©ras qui vont dissĂ©quer et diffuser ensuite vos dires et vos gestes ainsi que votre anatomie, sous toutes les coutures.

 

Alors, on dira : C’est une comĂ©dienne. Elle est rĂŽdĂ©e Ă  ça. Oui. Mais une comĂ©dienne, ça a aussi le trac. Et, en outre, cette fois-ci, la comĂ©dienne vient pour dire un texte personnel avec sa propre voix. Il n y a pas de maquillage. Il n y a pas de possibilitĂ© de faire de nouvelles prises si ce qu’elle dit et donne Ă  ce moment lĂ  est ratĂ©. Il n y aura pas d’entracte ou de page de pub si elle se loupe.

Et, en plus, cette « comĂ©dienne Â» qui est aussi une personne, vient pour aborder des sujets polĂ©miques.

 

Donc, on peut dire qu’elle entre dans l’arĂšne ou dans la fosse. Les personnes face Ă  elle qui sont embarrassĂ©es que ce soit dans la salle ou devant leur Ă©cran prennent beaucoup moins de risques qu’elle. Puisque c’est elle qui met sur la table le sujet qui fĂąche. Le sujet ou les sujets qui sont tus gĂ©nĂ©ralement depuis des annĂ©es. Il y a eu l’affaire Polanski lors de la soirĂ©e avant ou aprĂšs son intervention. Et d’autres affaires proches. AĂŻssa MaĂŻga arrive avec d’autres sujets sociĂ©taux. Il est Ă©vident que pour bien se faire voir, en tant que comĂ©dien ou comĂ©dienne, Ă  la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars ou lors d’un casting, mieux vaut ĂȘtre sympathique,  charmant, Ă©lĂ©gant, drĂŽle et plein de gratitude. Ça passe et ça passera souvent mieux. L’une des grandes aptitudes de bien des comĂ©diennes et comĂ©diens consiste Ă  savoir sĂ©duire et Ă  plaire Ă  la bonne personne au bon moment. Ça peut transformer une carriĂšre.  AĂŻssa MaĂŻga, avec son discours, fait tout le contraire. On pourrait presque se demander si elle va bien. Ou si elle est suicidaire d’un point de vue professionnel et personnel alors qu’elle se jette dans son discours.

 

« Racialiste Â», le discours d’AĂŻssa MaĂŻga ? C’est vrai.

 

Mais avant qu’AĂŻssa MaĂŻga, prononce ce discours « racialiste Â», il faudrait peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  se rappeler qu’elle l’a subi pendant des annĂ©es ce discours mais aussi cette attitude racialiste. Et les personnes qui ont du mal Ă  digĂ©rer son discours aux CĂ©sars, oĂč Ă©taient-elles Ă  ce moment-lĂ  ? Aux CĂ©sars ?

 

En plein tournage ?

 

 

Avant de voir et de vouloir poser AĂŻssa MaĂŻga sur le trĂŽne de la femme raciste ( car c’est de ça qu’on parle en disant que son discours a Ă©tĂ© « racialiste Â» et «  embarrassant Â»), il faut dĂ©jĂ  voir qu’elle, comme tant d’autres dans la sociĂ©tĂ© française, et qu’elle « cite Â», ont Ă©tĂ© victimes, sont victimes et seront victimes d’un certain racisme inhĂ©rent au cinĂ©ma français mais aussi
à la sociĂ©tĂ© française.

 

Il faudra aussi se rappeler que contrairement Ă  un ancien prĂ©sident de la RĂ©publique comme Nicolas Sarkozy avec son discours de Dakar ou Ă  Feu « Chichi Â» avec son « Le bruit et l’odeur Â» -qui sont des monuments de propos et de discours racialistes- , une AĂŻssa MaĂŻga ne bĂ©nĂ©ficie pas d’une immunitĂ© prĂ©sidentielle ou diplomatique ou mĂ©diatique lorsqu’elle s’exprime aux CĂ©sars.

 

 

« Embarrassant Â», son discours ? Bien-sĂ»r qu’il est embarrassant.

 

AĂŻssa MaĂŻga rappelle Ă  celles et ceux qui l’oublient ou qui l’ignorent que si le cinĂ©ma est une industrie de divertissement, elle est aussi, en passant, un puissant moyen de propagande et aussi une usine Ă  modĂšles. Des modĂšles auxquels on s’identifie. Ce qui nous donne envie d’aller au cinĂ©ma, c’est de pouvoir nous reconnaĂźtre dans les personnages et les situations que nous voyons au cinĂ©ma, comme dans les chansons des interprĂštes que nous Ă©coutons ou des livres des auteurs que nous lisons. Et, il est trĂšs Ă©tonnant que l’on puisse accepter en France le caractĂšre universel d’une Ɠuvre lorsqu’elle est interprĂ©tĂ©e Ă  l’écran par des acteurs majoritairement blancs mais, par contre que cette universalitĂ© soit si difficile Ă  intĂ©grer si dans l’histoire que l’on voit Ă  l’écran, il y a plus d’acteurs arabes, asiatiques, noirs, handicapĂ©s, homos ou trans. Comme s’il y avait des sous-catĂ©gories de femmes, d’hommes, d’espĂšces ou d’organes pour susciter de l’émotion ou une identification chez les spectateurs. Et les « autres Â», l’élite des femmes et des hommes -qui serait supposĂ©ment toujours ou souvent blanche- afin que les spectateurs comprennent mieux une histoire et s’identifient mieux aux enjeux et aux thĂšmes de cette histoire.

 

C’est ce qu’AĂŻssa MaĂŻga dit selon moi dans son discours. Et, elle le dit de maniĂšre frontale et intelligible :

 

Il est impossible en l’écoutant de se dire que l’on n’a pas compris ce qu’elle a voulu dire Ă  trĂšs peu de passages prĂšs. Cette « frontalitĂ© Â» ou cette franchise  a sĂ»rement sincĂšrement agressĂ© certaines personnes pourtant bien intentionnĂ©es en matiĂšre de diversitĂ©. Et c’est lĂ  oĂč j’en arrive Ă  cette question :

 

AĂŻssa MaĂŻga avait-elle le choix ? Pouvait-elle s’exprimer avec plus d’humour, plus de douceur et plus de gentillesse ?

 

D’abord, je tiens Ă  rappeler qu’AĂŻssa MaĂŻga parle. Si elle persifle par moments voire peut se montrer insolente, elle ne fait pas exploser de bombe. Elle ne sĂ©questre personne qu’elle aurait dĂ©cidĂ© de torturer seulement lors des nuits de pleine lune. Elle n’a cassĂ© aucun meuble. Elle arrive les mains vides sans seringue contenant le coronavirus covid 19 ou covid 2628 541 880. Et elle s’adresse Ă  des adultes, Ă  des personnes responsables ainsi qu’à des dĂ©cideuses et des dĂ©cideurs valides. Elle ne s’adresse donc pas Ă  des personnes faibles ou diminuĂ©es, respirant difficilement ou se dĂ©plaçant au moyen de dĂ©ambulateurs ou de dĂ©fibrillateurs. Contrairement Ă  certains producteurs, rĂ©alisateurs, directeurs de casting, chefs d’entreprise (hommes ou femmes) qui ont abusĂ© de leur pouvoir pour faire cĂ©der certaines personnes en Ă©tat de vulnĂ©rabilitĂ©. Donc, je crois que cela limite beaucoup quand mĂȘme les Ă©ventuels « dĂ©gĂąts Â» moraux ou psychologiques de ses propos.

 

Ensuite, ces personnes adultes auxquelles AĂŻsa MaĂŻga s’adresse sont supposĂ©es ĂȘtre dĂ©jĂ  plus qu’au courant  de ce qu’elle dĂ©nonce. Puisque cela dure depuis des « dĂ©cennies Â». Pas uniquement lors de la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars. Parlez-en avec un SaĂŻd Taghmaoui ou voire peut-ĂȘtre avec un Hubert KoundĂ©, les autres « hĂ©ros Â» du fim La Haine de Kassovitz dont on a beaucoup parlĂ© lors de la sortie du film Les MisĂ©rables de Ladj Ly, sorti l’annĂ©e derniĂšre, primĂ© au festival de Cannes ainsi qu’à ces derniers CĂ©sars si je ne me trompe.

 

Le film La Haine, prenons-le donc comme exemple, date, je crois, de 1995. Au lieu de se dĂ©pĂȘcher de faire des reproches Ă  AĂŻssa MaĂŻga pour son discours aux CĂ©sars, il faudrait se demander ce qui l’oblige, en tant que professionnelle et en tant que personne, Ă  prendre de tels risques en faisant un tel discours en 2020, soit 25 ans aprĂšs le film La Haine.

 

Rappelons que La Haine qui avait Ă©tĂ© primĂ© Ă  l’époque au moins Ă  Cannes, n’est pas un film comique alors qu’il dĂ©crit une certaine partie de la sociĂ©tĂ© française. Ce qui signifie quand mĂȘme un peu, que sur certains points, depuis le film La Haine, la sociĂ©tĂ© française a plutĂŽt rĂ©gressĂ©. Certaines personnes ont la possibilitĂ© et la facultĂ© de l’ignorer parce qu’elles peuvent se permettre d’ĂȘtre dans le dĂ©ni ou tout simplement parce qu’hormis quelques minutes de prise de conscience, en regardant un film par exemple, elles ignorent rĂ©guliĂšrement qu’existe une certaine France ou d’autres France Ă  cĂŽtĂ© de celle dans laquelle elles Ă©voluent rĂ©guliĂšrement.

 

AĂŻssa MaĂŻga n’avait donc pas d’autre choix que d’essayer de secouer le cocotier avec un discours comme le sien pour tenter de sortir un peu de leurs facilitĂ©s de pensĂ©e et de leurs habitudes certaines dĂ©cideuses et certains dĂ©cideurs. Ainsi que d’autres personnes.

 

AĂŻssa MaĂŻga est aussi une femme. Ce dĂ©tail lĂ  a aussi son importance. Dans son discours, je vois aussi une femme qui s’exprime lĂ  oĂč la sociĂ©tĂ© française prĂ©fĂšre sans doute encore des femmes qui se taisent. Lorsque l’on regarde par exemple PĂ©nĂ©lope Fillon, la femme de l’ancien premier Ministre François Fillon et ex-futur potentiel PrĂ©sident de la RĂ©publique, actuellement jugĂ©, on est assez loin de se dire que l’on est lĂ  face Ă  une femme de dĂ©cision. MĂȘme si, Ă©videmment, les apparences peuvent ĂȘtre trompeuses et l’attitude de PĂ©nĂ©lope Fillon devant la camĂ©ra peut aussi rĂ©sulter d’une stratĂ©gie.  

 

AĂŻssa MaĂŻga ressemble nĂ©anmoins davantage Ă  ces femmes qui ont dĂ©cidĂ© de prendre la parole et non de se contenter de rĂ©citer- avec les Ă©lĂ©ments de langage qui leur ont Ă©tĂ© attribuĂ©s- ce qu’elle est censĂ©e dire ou penser. Comme ont pu s’exprimer des femmes qui ont Ă©tĂ© victimes de viol, d’attouchement ou de harcĂšlement dans le milieu du cinĂ©ma ou dans la sociĂ©tĂ©, dans le sport de haut niveau par exemple.

 

Mais en AĂŻssa MaĂŻga,  je vois aussi une femme qui s’exprime dans la mouvance des femen. Donc, avant de vouloir lui coller l’étiquette d’une « femme noire Â» qui se serait prise pour une Angela Davis ou une Toni Morrisson ( mĂȘme si ces deux femmes peuvent aussi faire partie de ses modĂšles) il faut dĂ©jĂ  la voir comme une femme qui est complĂštement raccord avec son Ă©poque. L’époque d’une Virginie despentes. D’une BĂ©atrice Dalle. D’une Brigitte Fontaine. D’une Casey. D’une AngĂšle. D’une Aya Nakamura. D’une Nicole Ferroni. D’une Blanche Gardin. D’une Shirley Souagnon et d’autres….

 

Une Ă©poque oĂč des femmes expriment assez radicalement leur point de vue et aspirent Ă  cesser d’ĂȘtre souvent victimes du bon vouloir des hommes car elles n’ont pas d’autre choix : c’est soit se montrer radicale ou ĂȘtre victime.

Une Ă©poque oĂč le droit Ă  l’IVG est de plus en plus menacĂ©. Entendre ça remue peut-ĂȘtre assez peu certains hommes en 2020 mais sans doute que bien des femmes sont horrifiĂ©es devant cette menace qui concerne le droit Ă  l’IVG.

 

 

Ai-je Ă  peu prĂšs dit concernant le discours d’AĂŻssa MaĂŻga ?  Pour toute la partie oĂč je suis d’accord avec son discours, je crois.

 

Puis, viennent mes rĂ©serves. Evidemment, ce qui donnera pleinement raison ou non Ă  AĂŻssa MaĂŻga, quelles que soient mes rĂ©serves, ce sera l’avenir. Pour elle. Mais aussi pour les autres.

 

« Racialiser Â» son discours Ă©tait selon moi inĂ©vitable :

 

Car cela permet d’appeler un chat, un chat. D’éviter les «  Je ne savais pas Â» ; «  Je n’étais pas au courant Â» ; « Ah, bon, ça se passe comme ça en France avec les minoritĂ©s ? Â». «  Mais dans quel monde vit-on ? En France ? Â».

 

On peut mĂȘme se dire que parmi celles et ceux qui reprochent Ă  son discours d’ĂȘtre « racialisĂ© Â», se trouvent sans doute quelques personnes de mauvaise foi qui, ni vues, ni connues, aimeraient bien continuer (vont continuer) de perpĂ©tuer leurs pratiques.

 

Or, le discours d’AĂŻssa MaĂŻga intervient comme un gros coup de projecteur inattendu qui viendrait dĂ©ranger leur « trafic Â». Et on peut voir dans ce « trafic Â» une sorte de « trafic d’influence Â» puisque le cinĂ©ma et aussi le thĂ©Ăątre, comme bien des arts mĂ©diatisĂ©s en gĂ©nĂ©ral, gĂ©nĂšrent une influence ainsi que des modĂšles pour les autres :

Acteurs, créateurs, producteurs comme spectateurs.

 

Et le discours d’AĂŻssa MaĂŻga est bien Ă©quivalent Ă  celui d’un sportif de haut niveau qui dĂ©ciderait de dire que dans le milieu sportif oĂč il Ă©volue, beaucoup de sportifs se dopent. Et que pratiquement tout le monde dans le milieu le sait. Donc, Ă©videmment, ça passe mal auprĂšs de certaines personnes,  sportifs de haut niveau ou dans les instances dirigeantes, qui ont intĂ©rĂȘt, pour des raisons Ă©conomiques et personnelles, Ă  ce que le systĂšme reste comme il est.

 

C’est pour cette raison qu’AĂŻssa MaĂŻga a pris de gros risques avec ce discours. On peut s’attendre Ă  ce que quelques peaux de bananes soient jetĂ©es sur son parcours personnel et professionnel dĂ©sormais. Et ce sera fait hors camĂ©ra. Et il se peut qu’elle soit seule pour encaisser ces peaux de bananes malgrĂ© la « sympathie Â» et le « soutien Â» qui lui seront tĂ©moignĂ©s. Bien-sĂ»r, je choisis sciemment d’employer le terme « peaux de bananes Â» pour dire que certaines personnes voudront certainement la peau d’AĂŻssa MaĂŻga aprĂšs ce discours :

 

Parce qu’elle n’est pas restĂ©e Ă  sa place de femme soumise voire de femme noire soumise ou d’actrice soumise. On choisira les termes que l’on prĂ©fĂšre selon ce que l’on pensera.

 

Il est possible qu’avant mĂȘme ce discours aux CĂ©sars, AĂŻssa MaĂŻga ait dĂ©jĂ  eu Ă  faire avec un certain nombre de peaux de bananes sur son parcours. Elle en parle avec d’autres actrices dans son livre Noire N’Est Pas Mon MĂ©tier  que j’ai lu et sur lequel j’ai Ă©crit un article. Je ne serais pas surpris d’apprendre que peu de personnes, parmi toutes les personnes prĂ©sentes lors de la cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars, ont lu ce livre. Ce qui, Ă  nouveau, dĂ©montre que la radicalitĂ© du discours d’AĂŻssa MaĂŻga Ă©tait nĂ©cessaire et inĂ©vitable. Dans Noire n’est pas mon mĂ©tier, fait de tĂ©moignages de plusieurs actrices noires, AĂŻssa MaĂŻga, lors de son tĂ©moignage raconte par exemple avoir Ă©tĂ© retirĂ©e de l’affiche d’un film dont elle avait le premier rĂŽle avec un acteur blanc. L’acteur blanc, lui, est restĂ© sur l’affiche pour annoncer la sortie du film aux spectateurs. Ce coup de sĂ©cateur dans l’image, que j’ignorais jusqu’à ce que je lise ce livre de tĂ©moignages, me semble un exemple de racialisation bien plus grave que son discours. Et en Ă©crivant ça, je donne un nouvel argument en faveur de son discours aux CĂ©sars.

 

Cependant, il y a un « Mais Â». La radicalitĂ©, ça peut heurter aussi des personnes bien intentionnĂ©es. Personnellement, je sais avoir encore un peu honte lorsque je repense Ă  ces moments oĂč j’ai pu, dans mes propos, me montrer Ă  peu prĂšs aussi radical qu’une AĂŻssa MaĂŻga lors de cette cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars, devant certains de mes amis
blancs qui, en toute bonne foi, m’acceptaient et m’acceptent en tant que personne. Et sans prĂ©jugĂ©.

 

Avec ces deux amis auxquels je pense en particulier ( une femme et un homme qui ne se connaissent pas), je crois avoir eu la chance d’avoir connu beaucoup plus de moments agrĂ©ables que de moments de tension raciale. Mais peut-ĂȘtre, et sans doute, qu’il se trouve d’autres personnes, dans ma vie quotidienne ou, qui, en lisant certains de mes articles, se sont senti injustement agressĂ©s et visĂ©s chaque fois que je parle de « Blancs Â» et de «  Noirs Â».  

 

Lors de cette soirĂ©e des CĂ©sars, il est vraisemblable que parmi ces plus de 1500 personnes qui l’ont Ă©coutĂ©e et regardĂ©e, qu’ AĂŻssa MaĂŻga, de par son discours, ait heurtĂ©  des personnes et des professionnels sincĂšrement ouverts Ă  la diversitĂ©. Je me rappelle encore pour ma part des propos de cet ami aujourd’hui dĂ©cĂ©dĂ© mais qui Ă©tait restĂ© mon ami :

 

« Je n’ai pas aimĂ© du tout ĂȘtre racisĂ© ! Â». 

 

Certaines personnes diront que pour bien comprendre ce que certaines minoritĂ©s vivent comme injustice, qu’il est sans doute « bon Â» et « nĂ©cessaire Â» que les tenants de la majoritĂ© fassent aussi l’expĂ©rience, quelques fois et provisoirement, d’ĂȘtre racisĂ©s ou ostracisĂ©s. Ce genre de raisonnement me laisse perplexe : car si l’on rĂ©clame une certaine justice et une certaine Ă©quitĂ© pour soi-mĂȘme, je crois qu’il faut aussi la souhaiter pour autrui. Avec son discours radical, AĂŻssa MaĂŻga a sans doute Ă©tĂ© injuste envers certaines personnes mĂȘme si j’écris que sa radicalitĂ© Ă©tait inĂ©vitable et nĂ©cessaire.

 

Et, d’une autre façon, commencer son discours en disant « nous Â» ou « on Â», fait d’elle une porte-parole. J’espĂšre donc qu’avant son discours dont elle avait peut-ĂȘtre prĂ©venu certaines personnes, qu’il y a bien plusieurs personnes qui ont approuvĂ© son discours au prĂ©alable voire qui l’ont aidĂ©e Ă  l’écrire. Autrement, dire « nous Â» ou « on Â» si elle a parlĂ© uniquement en son nom pourrait se retourner contre elle. Mais il est vraisemblable aprĂšs son livre Noire n’est pas mon mĂ©tier qu’elle ait Ă©tĂ© soutenue par plusieurs personnes pour son discours mĂȘme si elle est seule sur scĂšne.  Et qu’elle surprend visiblement certaines personnes dans la salle avec son discours. Ce qui m’amĂšne Ă  mon autre rĂ©serve :

 

A voir la rĂ©action de Ladj Ly et de Vincent Cassel lorsqu’elle les nomme, les deux hommes ont une attitude assez diffĂ©rente. Ladj Ly acquiesce en opinant de la tĂȘte. Vincent Cassel est surpris et ne comprend pas ce qu’AĂŻssa MaĂŻga sous-entend. Le sous-entendu dans la direction de Vincent Cassel est plus difficile Ă  recevoir pour celui-ci je trouve mĂȘme s’il s’en est sĂ»rement remis trĂšs vite. Mais ce qui me dĂ©range avec ces deux « interpellations Â», de Ladj Ly et de Vincent Cassel, c’est qu’elle les contraint Ă  quelque sorte Ă  se mettre dans la lumiĂšre.  Elle les a «  outĂ© Â» comme on dit. Alors qu’ils n’ont rien demandĂ©. Je crois qu’il aurait mieux valu laissĂ© Ă  l’un et l’autre le choix de s’exprimer par eux-mĂȘmes sur les sujets qu’AĂŻssa MaĂŻga aborde. Alors que lĂ , elle les confronte un peu Ă  cette violence qu’elle dĂ©nonce. Pourtant, de mon point de vue, l’un comme l’autre sont plutĂŽt favorables Ă  une certaine diversitĂ© dans le cinĂ©ma français. Bien-sĂ»r, en reparlant de La Haine, on sait que du trio Cassel-Taghmaoui-KoundĂ© (il y avait aussi Yvan Attal entre-autres dans un rĂŽle secondaire) seul Cassel a ensuite eu une carriĂšre honorable en France. Taghmaoui a dĂ» s’exiler. Mais Vincent Cassel ne fait pas figure pour moi d’arriviste dans le cinĂ©ma français.

 

Mon autre rĂ©serve va sembler paradoxale et elle l’est sĂ»rement :

 

Etre radical et critique, oui. Mais se faire enfermer ou s’enfermer dans cette case est un piĂšge. D’un cĂŽtĂ©, on finit par tourner en boucle et Ă  devenir aveugle et sourd mĂȘme lorsque « les choses avancent». Lors d’une interview effectuĂ©e Place D’Italie, il y a quelques annĂ©es, un acteur d’origine arabe particuliĂšrement reconnu aujourd’hui, m’avait Ă  peu prĂšs rĂ©pondu simplement :

« Je crois que ça change quand mĂȘme
. Â». Bien avant cette interview, sa carriĂšre d’acteur et de comĂ©dien donnait dĂ©ja raison Ă  ses propos d’alors. Et c’est encore plus vrai aujourd’hui au vu de sa carriĂšre.  

On pourrait bien-sĂ»r dire, comme j’en suis arrivĂ© Ă   le penser depuis peu, qu’un Arabe, ça passe visiblement  un peu mieux Ă  l’écran qu’un Noir. Au moins en France. Puisque dans une fiction, on peut faire « passer » un Arabe pour un Italien ou un Chilien ou voire pour un Juif. Alors qu’un Noir, c’est irrĂ©ductible,  Ă§a ressemble toujours Ă  un Noir. ça semble rester une couleur diabolique dans le cinĂ©ma français. Un peu comme si Ă  chaque fois on envoyait un pavĂ© dans une vitrine ou que le Mal allait se rĂ©pandre instantanĂ©ment Ă  l’état brut dans l’ñme de celle ou de celui qui le regarde. Mais si c’est le cas, il faut que les films d’horreur français, quand il y en a, exploitent ce filon fictif ! ça changera de Fillon et de ses emplois fictifs.

 

D’un autre cĂŽtĂ©, le piĂšge de la radicalitĂ©, pour AĂŻssa MaĂŻga, c’est peut-ĂȘtre qu’elle se retrouve obligĂ©e de choisir, Ă  un moment donnĂ©, entre sa carriĂšre d’actrice ou de militante. Mais peut-ĂȘtre a-t’elle dĂ©jĂ  choisi.

 

Ce sont mes principales rĂ©serves concernant le discours d’AĂŻssa MaĂŻga aux CĂ©sars cette annĂ©e. Autrement, je crois que son discours Ă©tait nĂ©cessaire et que, plutĂŽt que de se sentir embarrassĂ©, elle devrait ĂȘtre remerciĂ©e. Lorsque l’on est adulte et responsable, on sait aussi remercier celle ou celui qui sait nous dire ce qui ne va pas. Et qui argumente. Cela est bien plus profitable que celles et ceux qui sont toutes en louanges et qui nous assurent que tout est pour le mieux alors que dans les arriĂšres-cabines, ça coince.

 

AĂŻssa MaĂŻga a fait ça sans crier. Sans cracher. Sans jeter des tessons de bouteille, des cocktails molotov ou des rĂ©frigĂ©rateurs au visage. Sans monopoliser les plateaux de tĂ©lĂ©s avec des discours de promotion en faveur de la  haine, de la suspicion et de la vengeance. Elle le dit vers la fin de son discours :  » Je suis optimiste ». MĂȘme s’il y a de l’ironie et du doute dans ses propos, au moins parle-t’elle d’optimisme. On n’y pense pas forcĂ©ment en voyant cette vidĂ©o oĂč AĂŻssa MaĂŻga fait en sorte que son assurance domine, mais j’imagine qu’elle a plutĂŽt Ă©tĂ© lessivĂ©e- mĂȘme fiĂšre- aprĂšs ce discours que triomphante.

 

AĂŻssa MaĂŻga a donc fait un cadeau au cinĂ©ma français mais aussi Ă  la sociĂ©tĂ© française. MĂȘme si ce cadeau a sĂ»rement pu ĂȘtre difficile Ă  transporter jusqu’à chez soi.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 13 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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New-York 2011

 

 

Le PrĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump envisagerait de fermer les frontiĂšres des Etats-Unis pendant une trentaine de jours en vue de tenter d’attraper le Coronavirus Covid 19 par la chatte. J’ai un petit peu modifiĂ© ce qu’une collĂšgue m’a appris ce matin. Mais l’idĂ©e de fermeture des frontiĂšres des Etats-Unis Ă©tait bien lĂ . S’il m’a Ă©tĂ© pour l’instant impossible de vĂ©rifier le caractĂšre officiel de cette information, un rapide passage sur le net m’a rappelĂ© que la fermeture des frontiĂšres, pour compenser peut-ĂȘtre une trop grande ouverture de la braguette et de la bouche, fait partie des leitmotiv du prĂ©sident amĂ©ricain. En France, rĂ©cemment, l’épidĂ©mie du coronavirus Covid 19 et toute l’attention qu’elle captive a permis de faire passer la rĂ©forme des retraites en poussant avec le 49.3.

 

Aux Etats-Unis, peut-ĂȘtre que la peur du Coronavirus Covid 19 permet Ă  Donald Trump de pratiquer au passage une certaine forme de protectionnisme Ă©conomique envers la Chine et le reste du monde. Devant ce genre de pensĂ©e et le climat actuel envers le coronavirus Covid 19,  on se croirait un peu dans le film Les fils de l’homme (Children of men) d’Alfonson Cuaron, un film beaucoup trop ignorĂ© que le rĂ©alisateur mexicain avait rĂ©alisĂ© en 2006 plusieurs annĂ©es avant Gravity ( 2013).  

 

Oui, prĂ©ciser la nationalitĂ© d’Alfonson Cuaron a son importance au mĂȘme titre que celle d’Alejandro Inarritu ( Ă©galement mexicain) ou encore de Robert Rodriguez ( AmĂ©ricain d’origine mexicaine) qui a entre-autres rĂ©alisĂ© rĂ©cemment Alita : Battle Angel ( 2019) inspirĂ© du manga Gunnm crĂ©Ă© par le Japonais Yukito Kishiro au dĂ©but des annĂ©es 1990.

 

Cuaron, Inarritu et Rodriguez ont au moins en commun de partager des origines mexicaines mais aussi de prescrire un cinĂ©ma qui fait beaucoup de bien Ă  l’Art ainsi qu’à l’économie amĂ©ricaine. Pourtant,  selon la logique d’un Donald Trump et d’autres dĂ©cideurs et dĂ©cideuses, ils auraient dĂ» rester confinĂ©s dans « leur Â» pays ou y ĂȘtre renvoyĂ©s Coronavirus ou non, car le Mexique, c’est le pays de la Drogue et des cartels qui est frontalier avec les Etats-Unis. Et le Mexique est aussi l’un des pays de celles et ceux qui entrent clandestinement aux Etats-Unis afin d’essayer d’y trouver une meilleure vie. Le film Brooklyn Secret  qui sort ce 18 mars au cinĂ©ma parle aussi de ça.

 

C’est Ă©tonnant ( effrayant) comme une Ă©pidĂ©mie peut trĂšs vite permettre l’expansion de pensĂ©es et d’idĂ©es racistes. Ce qui se passe en ce moment vis-Ă -vis du Coronavirus Covid 19 et des « Chinois » comme de celles et ceux que l’on estime susceptibles d’ĂȘtre « sales », « impurs » ou tout simplement porteurs du virus me rappelle ce qui se disait lors de l’Ă©pidĂ©mie du Sida dans les annĂ©es 80 :

Les homosexuels, les HaĂŻtiens, les prostituĂ©es et les toxicomanes Ă©taient alors perçus comme responsables ( plutĂŽt que victimes) de l’Ă©pidĂ©mie et aussi comme celles et ceux qui Ă©taient ainsi « punis » pour leurs vices ou leurs pĂ©chĂ©s.  On peut croire ces idĂ©es limitĂ©es par des barrages. Mais non.

Il y a Ă  peu prĂšs un mois maintenant, prĂšs du Val de GrĂące, dans la rue,  j’avais aperçu un SDF qui avait sollicitĂ© une femme d’origine asiatique afin qu’elle lui donne une piĂšce. Celle-ci avait refusĂ©. L’instant d’aprĂšs, le mĂȘme SDF insultait la mĂȘme femme, l’intimant Ă  rentrer chez elle avec son Coronavirus !

Hier soir, une de mes collĂšgues a vu des passagers dĂ©serter la voiture du mĂ©tro oĂč elle se trouvait. Elle est ainsi restĂ©e seule
avec des passagers d’origine asiatique. La peur et l’angoisse font surgir des Ă©tats de folie sociale qui devient une norme beaucoup plus puissante que les services de psychiatrie qui sont souvent jugĂ©s pour leurs travers plus que pour leurs  habilitĂ©s. Peut-ĂȘtre parce-que la folie sociale est mobile, variable, et peut trĂšs facilement devenir indĂ©tectable aprĂšs ses crimes et ses excĂšs. Sauf si l’on dĂ©cide d’une enquĂȘte  aprĂšs coup et mĂȘme de cette façon il n’est pas toujours certain d’en retrouver les principaux acteurs afin de les confronter Ă  leurs agissements. Alors que la psychiatrie, elle, reste localisable et identifiable de par ses murs et son statut Ă  peu prĂšs immuables ainsi que par ses intervenants, ses victimes et ses tĂ©moins.

 

Qu’il soit rĂ©Ă©lu ou que son mandat de prĂ©sident s’arrĂȘte bientĂŽt, Donald Trump passera dans l’Histoire. Et, malgrĂ© ses erreurs, ses fautes et ses coups de folie, il finira vraisemblablement sa vie en restant libre et dans le confort comme celles et ceux qui lui ressemblent. Contrairement Ă  la majoritĂ© des femmes et des hommes de cette terre, que ceux-ci soient chinois, mexicains, clandestins ou autres.

 

Je n’avais pas prĂ©vu une introduction aussi longue avant de  « raconter Â» ce sĂ©jour que ma compagne et moi avions effectuĂ© Ă  New-York en 2011.

 

Je ne crois pas que ce soit toujours « mieux avant Â». Par contre, je crois que ça peut faire du bien de revoir ce qui a pu ĂȘtre vĂ©cu et qu’on peut aussi le voir « mieux Â» qu’avant.

 

Je crois surtout que reparler de ce voyage d’aprĂšs les notes que j’avais alors prises est une bonne façon de retourner dans ce pays que le prĂ©sident Donald Trump veut de plus en plus fermer dans un monde qui semble de plus en plus en train de se fermer :

Ce matin, en prenant cette photo Ă  la gare de Paris St-Lazare, je voulais surtout capter cette discordance qui est dĂ©jĂ  notre ordinaire- et notre imaginaire- oĂč, d’un cĂŽtĂ©, une pub en hauteur reprĂ©sentant l’actrice Julia Roberts nous affirme en souriant que la vie est belle. Donc, que nous aussi, femmes et hommes inclus, nous devons nous Ă©lever, sourire et nous persuader que nos vies sont des triomphes parfumĂ©s. Tandis que d’un autre cĂŽtĂ©, un panneau, comme il y en a tant dĂ©sormais, nous rappelle les consignes d’hygiĂšne Ă  suivre en raison de l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid 19. Et comment nous devons rĂ©guliĂšrement parfumer nos mains avec du savon ou une solution hydro-alcoolique que nous pouvons bien-sĂ»r nous procurer ( acheter) en magasin ou dans des pharmacies. 

Et, ce n’est qu’en rentrant chez moi et en dĂ©couvrant les photos sur mon Ă©cran d’ordinateur que je me suis aperçu que ce panneau nous incitait aussi Ă  la prudence et nous rappelait que nous Ă©tions toujours sous le plan Vigipirate. Entre l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid 19 et la peur du terrorisme, je me suis dit que nous Ă©tions de plus en plus cernĂ©s. Et que nous nous y sommes dĂ©jĂ  accoutumĂ©s. Je me suis aussi dit que, pourtant, nous sommes sĂ»rement aujourd’hui plus libres que demain. Mais, Ă©videmment, ce qui peut faire la diffĂ©rence autant voire plus que les Ă©vĂ©nements que nous vivons, c’est souvent notre regard et notre attitude vis-Ă -vis d’eux. 

Franck Unimon, ce jeudi 12 mars 2020.

 

 

 

Dimanche 8 octobre 2011, New-York.

 

 

Save you Money !

 

Nous sommes dans notre chambre d’hĂŽtel lorsque les femmes de mĂ©nage arrivent.

Une Noire qui a Ă  peu prĂšs 60 ans. Une Blanche originaire de Montenegro, qui a vĂ©cu en Italie, et qui vit maintenant Ă  New-York depuis 16 ans. Elle et moi discutons alors qu’elle travaille seule dans notre chambre. Voici ce qu’elle me dit :

Le quartier oĂč se trouve l’hĂŽtel est un quartier de riches.  Plus on descend, plus c’est riche. Elle m’enjoint Ă  aller Ă  Harlem afin que je vois Ă  quoi ressemble la vie de mes semblables. Elle m’assure que je n’y aurai aucun problĂšme.

Elle ne me parle pas du Bronx, me recommande, si je prends le train, de taire le fait que je suis Français.

Macy’s ? Trop cher. Aller plutĂŽt dans le centre commercial prĂšs de l’ancien emplacement des tours du World Trade Center.  En semaine. Central Park est accessible Ă  pied depuis l’hĂŽtel. « Save your money ! Â».

 

Vers 17h30, nous sommes Ă  la gare Grand Central. Est-ce lĂ  qu’a eu lieu une scĂšne du film X-Men ?

La foule palpite dans la gare. Le flic que je viens d’interpeller me rĂ©pond, goguenard, que le pont de Brooklyn a un dĂ©but. De quel cĂŽtĂ© veux-je le traverser ?

 

Dans le mĂ©tro vers Brooklyn, la foule est subitement dopĂ©e par la reprĂ©sentation numĂ©rique des Noirs. Une petite femme noire d’environ 1m50 , boulotte, Ă  peine la trentaine, s’accroche avec un jeune blanc d’une vingtaine d’annĂ©es du type Ă©tudiant. Celui-ci est avec deux copains.  Le compagnon (noir) de la jeune femme, visiblement, se lĂšve trĂšs vite et commence Ă  apostropher «l’étudiant Â». Lequel se dĂ©fend en disant :

« Ce n’est pas d’elle dont je parlais
. Â». 

Cela nous donne un aperçu d’une certaine tension raciale ou de ce que l’hystĂ©rie peut provoquer :

Je me suis imaginĂ© qu’avant cet incident, le couple noir s’était disputĂ© d’oĂč la distance entre la jeune femme noire et son compagnon. Avant « l’accrochage Â» avec le jeune Ă©tudiant blanc, La femme Ă©tait debout, prĂšs de la porte d’entrĂ©e du mĂ©tro, presqu’à gĂȘner le passage. Tandis que L’homme (son compagnon) assis un ou deux mĂštres plus loin, Ă©tait alors occupĂ© Ă  jouer sur son tĂ©lĂ©phone portable avec leur enfant assis Ă  ses cĂŽtĂ©s.

 

 

 

Dimanche 9 octobre. 7h30, heure locale. HĂŽtel intercontinental, The Barclay. New-York.

 

Do you want cold water ?

 

On fait toute une histoire de New-York. Mais je ne sens nulle transformation. Je suis un touriste. Un consommateur.  Une carte bancaire. Des billets en banque.

Je suis celui, hier, qui a perdu 5 dollars en achetant deux billets de mĂ©tro utilisables une seule fois alors que j’aurais dĂ©jĂ  pu acheter une Metrocard Unlimited pour une semaine pour 29 dollars. Ce qui me permettrait de prendre bus et mĂ©tros de façon illimitĂ©e
.

C’est ce que nous a rĂ©expliquĂ© hier soir une agent du mĂ©tro, derriĂšre son guichet, alors que nous revenions de Brooklyn.

La femme, noire, la quarantaine, Ă©tait sympathique.

A New-York, je suis aveugle et sourd. Comme d’habitude. Mais, ici, je m’en rends davantage compte. Je passe devant des bĂątiments dont j’ignore la rĂ©elle fonction :

Tribunal ? UniversitĂ© ? BibliothĂšque ? Vu que la plupart des bĂątiments sont imposants, on a l’impression que tout bĂątiment est important. Et vu qu’il y’a beaucoup de voitures de police, vides ou occupĂ©es par des policiers qui attendent, on a l’impression que beaucoup d’endroits sont prestigieux.

 

Hier soir, prĂšs de la gare de Brooklyn Bridge City Hall, en pleine nuit, c’est avec un peu d’inquiĂ©tude que je me suis dĂ©cidĂ© Ă  pisser dans un coin. AprĂšs le passage d’un flic noir. A quelques mĂštres de deux mecs qui discutaient. Ma compagne s’est Ă©loignĂ©e. Elle avait tentĂ© de me dissuader, prĂ©occupĂ©e Ă  l’idĂ©e que je me retrouve en prison.

Moi, sĂ»r de mon fait et vidant ma vessie, je repensais Ă  cette phrase lue dans le mĂ©tro Ă  propos de tout paquet abandonnĂ© suspect :

« If you see something say something Â». Allais-je ĂȘtre dĂ©noncĂ© ? Mais je n’en pouvais plus.

 

Ici, Ma compagne et moi sommes deux touristes dans une sorte de supermarchĂ© au toc un peu clinquant oĂč d’autres touristes dĂ©barquent et claquent du fric. OĂč, hier, une employĂ©e derriĂšre son guichet m’a rĂ©pondu que l’accĂšs Ă  internet est effectivement gratuit. En Wifi avec son ordinateur personnel. Sinon, moyennant 8 dollars et quelques dĂ©bits de notre carte bancaire, j’aurai droit
à 15 minutes d’internet.

Dans la mĂȘme idĂ©e, dans cet hĂŽtel, une omelette avec trois Ɠufs (avec libre choix des condiments ?) coĂ»te 22 dollars.

Pour moins de 20 dollars hier soir, Ă  Chinatown, au 67 Bayard Street, au restaurant Xi’an Famous Foods, Ma compagne et moi avons eu un plat chacun :

 

Concubine’s chicken noodles ( 6 dollars).

Spicy cumin Lamb noodles ( 7 dollars) + 1 chrysanthĂšme tea ( 1,50 dollar) + 1 sour tea (1,50 dollar).

 

 

Hier soir, en sortant du mĂ©tro, le pont de Brooklyn Ă©tait indiquĂ©. Mais, aussi, dans une direction opposĂ©e :

 

Chinatown et Little Italy.

 

Nous avons suivi la procession le long du pont. Nous avons croisĂ© la foule, plus importante, qui revenait du pont. PrĂšs du pont, une voiture de police. De part et d’autre du pont, une circulation routiĂšre, fluide, et assez rapide. Et nous sur le pont. Sur le pont, donc, du monde. Le coucher de soleil Ă©tait passĂ©. Quelques coureuses et coureurs. Plusieurs personnes Ă  vĂ©lo se signalant aux piĂ©tons, lesquels ne tenaient pas toujours compte du sens aller et retour indiquĂ© au sol.

Deux couples en sĂ©ance de photo dans leur tenue de mariage. D’autres personnes

(familles, couples) se photographiant ou se faisant photographier. Des photographes, plein de photographes, avec des compacts, des reflex ou autres. Au loin, la Tour Eiffel ?

Non, la statue de la Liberté.

 

 

Un peu de marche dans Brooklyn. Plus calme. PrĂšs de Montaigue Street. RĂ©apparition de jeunes couples noirs. Nous restons peu de temps. Nous voulons aller Ă  Chinatown et Ă  Little Italy. MĂ©tro oĂč nous croisons cette employĂ©e noire qui m’explique que ces billets que nous avons achetĂ©s 2, 50 dollars l’unitĂ© sont bons pour la poubelle : car ils sont valables une seule fois et deux heures maximum aprĂšs leur achat.

 

ArrĂȘt Ă  Brooklyn Bridge City Hall de nouveau. J’ai plusieurs fois entendu parler de l’aspect dĂ©labrĂ© du mĂ©tro de New-York. Mais je suis plus marquĂ© par le fait qu’il fasse chaud dans les couloirs et sur les quais des mĂ©tros de New-York. Par contre, le mĂ©tro est climatisĂ©. Trop. Mais les New-Yorkais semblent s’en accommoder.

 

A la gare de Brooklyn Bridge, je demande notre chemin Ă  une jeune. 18 ans maximum. Elle est avec deux de ses copines. Elle n’est pas trop sĂ»re d’elle. Elle me recommande nĂ©anmoins un itinĂ©raire. Peu aprĂšs, j’interpelle un flic, la trentaine : il suffit de descendre tout droit Ă  l’entendre.

 

Cent mĂštres plus loin, je redemande Ă  un homme d’une cinquantaine d’annĂ©es apparemment avec sa femme ou sa maitresse :

Descendre jusqu’à Canal Street puis tourner à droite.

A Canal Street, j’interroge un jeune chinois qui se promĂšne avec deux copains. Il me rĂ©pond :

« This is Chinatown Â».

 

 

Bien qu’il parle AmĂ©ricain, il a un accent cantonais. Un restaurant ? Il m’indique un point visuel. C’est de cette façon qu’aprĂšs ĂȘtre passĂ©s devant plusieurs restaurants asiatiques, nous nous arrĂȘtons au Xi’ an Famous Foods tenu visiblement par un jeune homme d’environ 25 ans, trĂšs commerçant et trĂšs sĂ»r de lui. SĂ»rement un bon parti.

Dans le restaurant, nous sommes d’abord les seules personnes de couleur noire. ClientĂšle assez jeune. 30 ans de moyenne d’ñge. Un grand blanc (entre 1m90 et 2mĂštres) semble y avoir ses habitudes. Il mange une salade, une soupe puis passe une autre commande. Je l’imagine Australien. Devant lui, une feuille. Manifestement du travail. Chercheur ?

Les plats sont trĂšs bons. TrĂšs bonnes pĂątes fraĂźches. Mais un peu trop Ă©picĂ©es. Voire un peu trop salĂ©es. Mais c’est bon.

En quittant le restaurant, nous avisons un marchant ambulant de fruits : bananes, mangues
celui-ci parle Ă  peine Anglais. Son accent est sur « coussin Â» cantonais. Mais il sait parler argent. Il est peu aimable. Celle qui le remplace aussi. Je crois qu’il part avec sa radio, laquelle diffuse un programme en Cantonais ou en Mandarin.

Je m’y perds un peu avec ces petites piĂšces de monnaie : quarter dollar, dime. Impossible de savoir si je me fais voler de 5 ou 10 centimes. Mais les prix sont abordables. Moins de 2 dollars un kilo de bananes. 1 dollar 25, la mangue.

Non loin de lĂ , toujours dans Bayard Street, nous tombons sur le Colombus Park Pavillion. Des Asiatiques semblent y pratiquer des arts martiaux. Nous nous rapprochons et nous tombons sur des femmes et des hommes asiatiques attablĂ©s dans le parc :

Ils jouent aux cartes, au GO peut-ĂȘtre ou au Mah Jong. Il y’ a plus d’hommes que de femmes. Les femmes d’un cĂŽtĂ©. Les hommes de l’autre.

Celles et ceux qui jouent sont parfois entourĂ©s de spectateurs. Tout se passe, quand nous passons, en silence. A priori, personne ne nous remarque. Mais c’est sans doute trompeur.

A une table de jeu, deux jeunes dĂ©notent. Ils ont Ă  peine 30 ans, sont plutĂŽt grands, entre 1m80 et 1m90, sont vĂȘtus de maniĂšre assez disco, assez branchĂ©e voire transsexuelle : Leur chemise, leurs bottes, la couleur de leurs cheveux, les pommettes hautes. L’un des deux jeunes joue, l’autre regarde. Les autres joueurs et les autres spectateurs ont une bonne soixantaine d’annĂ©es, portent des vestes et pantalons gris, plutĂŽt fripĂ©s.

 

 

Nos combattants sont finalement des amateurs. Ils sont une dizaine. 5 ou 6 filles. 4 ou 5 hommes. Un homme, apparemment SDF ou Ă©garĂ©, les filme avec son tĂ©lĂ©phone portable. En se marrant. Est-il ivre ? Il fait quelques commentaires. La bonne cinquantaine, en costume lui aussi, sa prĂ©sence semble peu dĂ©ranger nos pratiquants d’arts martiaux.

Les filles sont des débutantes. Elles ont la vingtaine. Celui qui semble faire autorité leur enseigne des gestes. Les filles ne sont pas douées.

Deux binĂŽmes de garçons s’entraĂźnent. Un des « profs Â» me remarque. La sĂ©ance se poursuit. Celui-ci s’occupe d’un jeune qui doit avoir environ 25 ans. Le jeune, torse nu, a un tatouage dans le dos. Bas de survĂȘtement noir, baskets noires (des Nike apparemment) il semble trĂšs disposĂ© Ă  donner des crochets dans les gants de celui qui l’entraĂźne. Mais il est moins concentrĂ© pour retenir les enchainements demandĂ©s. Celui qui l’entraĂźne, assez gros, apparaĂźt particuliĂšrement raide des hanches.

Le prof envisage de montrer un nouvel exercice Ă  un des garçons. Il lance un coup de pied bas, se fait un claquage ou une crampe. Il active sa jambe, essaie de s’étirer. Cela ne passe pas. Cela lui fait tellement mal qu’il doit partir s’asseoir. J’entends une des filles lui demander :

 

« Do you want cold water ? Â».

En tout et pour tout, nous avons dĂ» rester environ dix minutes. A aucun moment, je n’ai eu l’impression que nous avons ou que nous aurions pu faire partie d’eux :

Depuis notre arrivĂ©e Ă  New-York, j’ai dĂ©jĂ  croisĂ© des couples mixtes. Mais les communautĂ©s prĂ©sentes Ă  New-York semblent assez peu permĂ©ables entre elles.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Entre le Pont-Neuf et le Louvre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Photos : Franck Unimon, ce lundi 9 mars 2020.  

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Voyage

Aux alentours du Louvre

 

 

 

Ce matin, au lieu de prendre le mĂ©tro, j’ai eu envie de prendre le bus. Il faisait froid et beau. Peu de monde dans les rues. En nous approchant du Louvre, j’ai aperçu ce soleil. J’ai trĂšs vite appuyĂ© sur le bouton pour arrĂȘter le bus. Le coronavirus Covid-19, le 49.3 employĂ© la semaine derniĂšre pour imposer la rĂ©forme des retraites, la derniĂšre cĂ©rĂ©monie des CĂ©sars. Les inquiĂ©tudes comme les dĂ©sagrĂ©ments  futurs et proches ont disparu alors que j’ai commencĂ© Ă  appuyer sur le bouton de cet appareil photo. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Franck Unimon/ Balistique du quotidien, samedi 7 mars 2020. 

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Cinéma

Des Hommes

 

 

 

 

 

 

 

On ne part pas tous du mĂȘme mur. On ne part pas tous  avec le mĂȘme Savoir, la mĂȘme imagination. Les mĂȘmes errances et les mĂȘmes protections. Ni avec les mĂȘmes crĂ©dits et les mĂȘmes crĂ©ances.

 

Ce n’est pas une question d’intelligence. Ça a plutĂŽt Ă  voir avec le fait d’intĂ©grer certaines «fraternitĂ©s Â», de faire partie de certaines familles. De prendre de plus ou moins bonnes dĂ©cisions et de se livrer Ă  certaines actions et transactions que l’on estime justifiĂ©es et qui se rĂ©vĂšlent ĂȘtre les mauvaises incantations.

 

« Quand j’étais dehors, ça partait en couilles, sa mĂšre ! Â». « Tu vois les gens, ils ont des sous. Tu as envie de te refaire
 Â». « 19 ans ? T’es jeune. C’est ma quatriĂšme peine, frĂšre Â».

 

 

 

Cuisine, monastÚre, hÎpital, salle de sport ou de correction, lieu de conversion et de trafics, une prison est tout cela et davantage en une seule journée comme en quelques secondes.

 

 Â«  Je me suis dĂ©tachĂ© de l’extĂ©rieur, en fait. J’ai dĂ©cidĂ© de me repentir. Je me suis converti Ă  l’Islam. Je ne voulais plus ressembler Ă  ce que j’étais avant (
.). ( avec) La religion, vous vous appuyez sur des fondations assez solides Â».

 

  Â« La prison, c’est la cuisine du diable. Soit tu es la fourchette, soit tu es le couteau. Il faut pas ĂȘtre entre les deux Â».

 

 

« Tous les dĂ©tenus savent fabriquer un couteau surtout ici, aux Baumettes Â».

 

 

«  Tu parles Français ? Â».

 

 

Ce dimanche matin, pour cette premiĂšre sĂ©ance de 9h, nous sommes Ă©tonnamment nombreux. Une bonne quarantaine de personnes dont une dizaine de femmes. La petite salle de cinĂ©ma de ce multiplexe est presque pleine. Le public, entre 40 Ă  50 ans de moyenne d’ñge, est particuliĂšrement concentrĂ© voire austĂšre lorsque je le rejoins.

 

Le  documentaire Des Hommes, rĂ©alisĂ© par Alice Odiot et Jean-Robert Viallet vient de commencer. Il est sorti dans les salles ce 19 fĂ©vrier 2020.

 

Nous sommes informĂ©s qu’il s’est passĂ© trois annĂ©es avant que leur demande (en 2013) Ă  pouvoir filmer dans la prison des Baumettes, une maison d’arrĂȘt et centre de semi-libertĂ©, oĂč des hommes sont en majoritĂ© incarcĂ©rĂ©s, ne soit acceptĂ©e.

 

 

Je ne sais pas ce qui a poussĂ© l’administration pĂ©nitentiaire Ă  accepter ce projet et ce qui nous permet Ă  nous,  ainsi qu’aux prĂ©cĂ©dents et futurs spectateurs, « d’entrer Â» dans la prison historique des Baumettes en regardant ce documentaire. Peut-ĂȘtre le fait que cette prison des Baumettes que nous voyons , crĂ©Ă© dans les annĂ©es 30, vĂ©tuste, insalubre et surpeuplĂ©e – jusqu’à trois dĂ©tenus dans 9 mĂštres carrĂ©s- fermĂ©e en 2018 (donc deux ans aprĂšs le documentaire)  est destinĂ©e Ă  ĂȘtre dĂ©truite en 2020.

 

En acceptant ce tournage, il y avait donc sans doute une volontĂ© officielle de faire comprendre que cette prison que nous voyons dans Des Hommes appartient au passĂ©. MĂȘme s’il ne suffit pas de raser des murs pour sortir du passĂ© :

 

Une extension de la prison des Baumettes, Baumettes 2, a été construite. Elle a ouvert en 2017.

Les visites gratuites organisĂ©es fin 2019 dans certaines parties de la prison historique des Baumettes oĂč se dĂ©roule ce documentaire ont affichĂ© complet.

 

 

Des Hommes rĂ©sulte de 25 jours en immersion dans le « passĂ© Â». L’expĂ©rience se passe sans voyeurisme.

 

 

Des Hommes me fait penser Ă  un croisement entre le film Beau Travail ( 1999)  de Claire Denis, Un ProphĂšte ( 2009)  de Jacques Audiard et 10Ăšme chambre, Instants d’audience ( 2003) de Raymond Depardon.    

 

 

Pour expliquer leur prĂ©sence ou leur retour aux Baumettes, certains disent avoir fait une « connerie Â». D’autres sont dans le dĂ©ni ou sĂ©duisent. Du moins essaient-ils.

 

«  Ma maman a peur de moi, je sais pas pourquoi Â». « Je n’ai rien Ă  faire ici Â».

 

 

DĂ©ni ou sĂ©duction font peut-ĂȘtre partie des recettes qu’ils ont souvent appliquĂ©es dehors et cela leur a sĂ»rement rĂ©ussi comme cela rĂ©ussit Ă   beaucoup d’autres hors de prison. On ignore la raison de leur incarcĂ©ration comme on ignore ce qu’ont Ă©tĂ© leurs vies et leurs leviers dĂšs leurs premiers pas. C’est tant mieux comme ça. Ce n’est pas parce-que l’on est en prison que l’on doit se livrer. Chacun ses secrets. Eux, les leurs et nous, les nĂŽtres :

 

Parce qu’à force de regarder ces hommes (et ça aurait Ă©tĂ© pareil si les dĂ©tenus de ce documentaire avaient Ă©tĂ© des femmes ou des mineurs), si l’on a ce courage, on finit un peu par se regarder soi-mĂȘme.

 

Je me suis dĂ©jĂ  demandĂ© celui que je deviendrais si j’étais incarcĂ©rĂ© quelle qu’en soit la raison. Et combien de temps je  tiendrais avant de me transformer. Je ne suis pas pressĂ© de vĂ©rifier. Mais je me suis dĂ©jĂ  suffisamment regardĂ© pour savoir que, tous les jours peut-ĂȘtre, j’entretiens certaines apparences qui me sont depuis des accoutumances, en maintenant derriĂšre mes propres barreaux certaines vĂ©ritĂ©s bonnes et mauvaises sur moi.

Ce qui m’a sauvĂ© pour l’instant, c’est d’avoir pu disposer du Savoir, de l’imagination, de certaines protections adĂ©quates et de suffisamment de chance afin de me mettre « bien Â» avec la Loi et la justice. Et, aussi le fait, ne nous faisons aucune illusion,  que je me suis jusqu’à maintenant toujours montrĂ© suffisamment convenable et raisonnable en Ă©tant docile et peureux Ă  point. Juste comme il faut.  

 

VoilĂ  pour une rapide mise en relation entre les dĂ©tenus que l’on voit dans le documentaire Des hommes et moi, un spectateur lambda.

 

Et puis,  dans ce documentaire, il y a Ă©galement des intermĂ©diaires que l’on voit aussi en plein Ă©change avec les dĂ©tenus:

 

Le personnel pénitentiaire (matons, personnel soignant, directrice, assistante sociale) et judiciaire.

 

Il y a de tout comme partout ailleurs mais comme l’endroit est occlusif  les effets y sont hypertrophiĂ©s. Il y a Ă  la fois de l’asymĂ©trie, de gros cafouillages dans les relations et de l’empathie :

 

 

«  Non
c’est pas deux mois. C’est deux ans en plus Â» (aprĂšs avoir, dans un premier temps, informĂ© le dĂ©tenu que sa peine Ă©tait rallongĂ©e de deux mois).

 

«  Vous ĂȘtes une personne vulnĂ©rable ? Â». RĂ©ponse de l’intĂ©ressĂ© : «  ça veut dire quoi ? Â».

La directrice de la prison reprend : «  Enfin, vous n’ĂȘtes pas un enfant de chƓur, non plus
 Â».

 

 

Il est Ă©videmment beaucoup plus facile pour moi d’écrire un article sur ce documentaire- mĂȘme si ça m’ennuierait beaucoup de mal le servir- que pour cette directrice d’administrer cette prison et ces hommes. Mais entre les Lois entre dominants et dominĂ©s qui ordonnent les relations entre dĂ©tenus et celles de la Prison et de la Justice, je me dis qu’il peut devenir trĂšs difficile de concilier les deux. Entre se prendre une branlĂ©e ou un coup de couteau- ou pire- parce-que l’on a refusĂ© de rendre un « service Â» ou ĂȘtre un dĂ©tenu modĂšle, il doit ĂȘtre bien des fois trĂšs difficile de (bien) choisir. Et cette directrice ainsi que son personnel sont exemptĂ©s de ce genre de bizutage ou de menace.

 

 

« Depuis que je suis aux Baumettes, il y a eu trois morts Â».

 

 

Il y a aussi le personnel qui essaie de comprendre telle cette assistante sociale ou son Ă©quivalent. Et qui semble avoir une bonne relation avec les dĂ©tenus. Lorsqu’elle s’entretient avec deux d’entre eux aprĂšs qu’ils aient participĂ© Ă  un passage Ă  tabac sur un autre dĂ©tenu, elle essaie de les sensibiliser au  fait qu’ils ont Ă©tĂ© les auteurs d’une extrĂȘme violence.  Elle a vu les images vidĂ©os de l’agression. Devant la camĂ©ra des deux rĂ©alisateurs Des Hommes, les deux dĂ©tenus  se montrent « ouverts Â» Ă  la discussion et polis. D’accord, ils ont peut-ĂȘtre frappĂ© fort juste pour une insulte. Mais l’un des deux souligne qu’il a jetĂ© de l’eau sur la victime pour la ranimer, ce qui, pour lui,  correspondait Ă  un geste d’assistance et de secourisme. Si une certaine satisfaction et une certaine appĂ©tence pour la violence semble Ă©vidente chez ces deux hommes, on peut aussi se demander combien de temps et combien de fois ils avaient eux-mĂȘmes Ă©tĂ© tĂ©moins ou victimes de violences en prison et dehors. Et combien de fois ils avaient aussi dĂ» prendre sur eux et se retenir devant des violences, avant de commencer Ă  se lĂącher sur ce dĂ©tenu et sur d’autres avant et aprĂšs lui. On ne le saura pas comme eux-mĂȘmes ne s’en souviendront peut-ĂȘtre pas, puisqu’il s’agit de vivre au jour le jour,  ou alors lorsqu’il sera trop tard.  Pour eux comme pour leurs victimes. Leurs victimes pouvant aussi ĂȘtre leurs propres enfants s’ils en ont ou certains membres de leurs familles qui subiront aussi directement ou indirectement les consĂ©quences de leurs actions violentes. Mais j’extrapole car Des Hommes s’attache au quotidien de ces prisonniers aux Baumettes.

 

 

 

Il y a aussi une violente asymĂ©trie lorsque l’on voit ce dĂ©tenu jugĂ© par visioconfĂ©rence. Dans ce passage du documentaire, on assiste d’abord Ă  la pauvretĂ© des moyens de la Justice et des prisons (au moins en personnel). Alors, on recourt Ă  la technologie pour truquer les manques. Pour juger Ă  distance. On peut se dire qu’il vaut mieux ça que pas de jugement. Premier constat.

 

Mais on peut aussi se dire qu’en jugeant de cette façon, Ă  distance, que la Justice et la Loi considĂšrent ce dĂ©tenu comme la malaria avant le vaccin : il ne mĂ©rite pas le dĂ©placement. Qu’il reste en prison.

 

Enfin, je reste marquĂ© par cette mĂ©diocre qualitĂ© du son lors des Ă©changes entre ce dĂ©tenu et la cour qui le juge. Ce qui donne l’image d’une justice vĂ©ritablement « cheap Â» ou bas de gamme. Alors que le vocabulaire- et ,vraisemblablement, le niveau de vie- employĂ© par les reprĂ©sentants de la Loi et de la Justice  est,  lui , plutĂŽt haut de gamme et aux antipodes de celui du jugĂ© :

 

 

D’un cĂŽtĂ©, des personnes Ă©duquĂ©es qui ont de toute Ă©vidence bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un trĂšs haut niveau d’études, qui viennent sans doute d’un milieu social plutĂŽt favorisĂ©. D’un autre cĂŽtĂ©, un jugĂ© qui s’est plutĂŽt fait avec sa famille et son milieu et qui possĂšde les codes de la rue et de la dĂ©brouille. On peut bien-sĂ»r ĂȘtre issu d’un trĂšs bon milieu social, avoir fait de trĂšs bonnes Ă©tudes et trĂšs bien servir la Justice et l’équitĂ©. 

 

Mais on a l’impression lors de cette sĂ©quence d’assister Ă  un clichĂ© de justice datant presque de l’époque de MoliĂšre. Et, malgrĂ© le sourire, en forme d’aumĂŽne plutĂŽt sympathique,  de la juge Ă  la fin de la comparution, apprendre en mĂȘme temps que le dĂ©tenu que la dĂ©cision du jugement lui sera signifiĂ©e prochainement par le greffe de la maison d’arrĂȘt des Baumettes nous donne l’impression qu’il sera de toute façon le cocu de l’histoire.

 

 

On parle beaucoup de la tendance Ă  la destruction et Ă  l’autodestruction de celles et ceux qui rĂ©cidivent en prison. On parle moins de cet esprit de compĂ©tition vis-Ă -vis de soi-mĂȘme et des autres qui en est souvent l’un des principaux ingrĂ©dients. Celui qui pousse sans cesse Ă  vouloir sortir du lot. Mais aussi Ă  manquer d’indulgence pour soi-mĂȘme et les autres. Le but suprĂȘme, et volatile, est alors de rĂ©aliser rapidement  certains profits et d’accomplir certains exploits mĂȘme si, pour cela, il faut dilacĂ©rer autour de soi Ă  peu prĂšs tout ce qui peut constituer un refus ou un ralentissement.

 

Beaucoup de ces hommes peuvent donc ĂȘtre vus comme des entrepreneurs et des conquĂ©rants qui ont Ă©chouĂ©. Ou comme les sosies Ă©garĂ©s des mannequins, des VRP, des cĂ©lĂ©britĂ©s et des comĂ©diens que sont certaines et certains de ces dirigeants pour lesquels nous sommes quelques fois appelĂ©s Ă  voter.   

 

«  Je suis de retour en prison. Je suis Ă©garĂ© Â».

 

 

 

Franck Unimon / blog balistique du quotidien, ce dimanche 1er mars 2020.