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Cinéma

Sergio et Sergei

       Sergio et Sergei un film d’Ernesto Daranas ( Sortie Nationale le 27 mars 2019)

 

L’acteur Ron Perlman, l’AmĂ©ricain, dans un film cubain version socialiste du film Gravity du Mexicain Alfonso Cuaron.

 

 

 

Cela pourrait ĂȘtre une accroche pour prĂ©senter Sergio et Sergei. Ça serait peut-ĂȘtre aussi vendeur qu’une confĂ©rence sur le Marxisme. N’en dĂ©plaise Ă  Sergio ( l’acteur TomĂ s Cao), professeur Ă©mĂ©rite, contraint Ă  donner des cours de philosophie marxiste pour – pĂ©niblement- subvenir aux besoins de sa mĂšre et de sa fille dans le Cuba de la fin des annĂ©es 80 et du dĂ©but des annĂ©es 90. N’en dĂ©plaise Ă  Sergei (l’acteur HĂ©ctor Noas) , cosmonaute soviĂ©tique, qui apprend lors de sa mission que l’URSS qui l’a propulsĂ© dans l’espace a cessĂ© d’exister.

 

Sergio et Sergei sont deux idĂ©alistes inconnus l’un de l’autre. Des « purs » qui croient encore en l’avenir de l’idĂ©ologie de leur patrie et dans la valeur des efforts pour des jours meilleurs. Comme en occident oĂč il est encore des « purs » ou des idĂ©alistes inconnus l’un de l’autre qui continuent de croire que notre idĂ©ologie libĂ©rale dĂ©sormais souveraine et de plus en plus dĂ©pĂ©nalisĂ©e est la seule Ă  mĂȘme de nous sauver. Amen !

Sergio et Sergei -ainsi que Peter, le personnage jouĂ© par l’acteur Ron Perlman Ă©galement impliquĂ© dans la production du film- sont des « purs » pacifistes, dĂ©sintĂ©ressĂ©s, plutĂŽt altruistes. Certains diraient d’ailleurs que Sergio et Sergei sont deux grands balais adoptifs et dĂ©passĂ©s sur le marchĂ© des aspirateurs Dyson : voire deux idiots dĂ©cotĂ©s ou deux robots de la pensĂ©e qui persistent Ă  se croire branchĂ©s. Et le film nous montre qu’ils sont loin d’ĂȘtre des exceptions.

 

 

 

 

Disons que Sergio et Sergei nous parle du revers de cette crue libĂ©ratrice survenue en occident en 1989 avec la chute du mur de Berlin. L’effondrement de l’URSS s’en Ă©tait ensuivi deux ans plus tard. Une histoire pas si lointaine, aux multiples incidences sur notre quotidien, et pourtant dĂ©jĂ  d’une Ă©vidence incertaine mĂȘme pour celles et ceux qui y avaient assistĂ©. Car nous sommes dĂ©sormais plus familiers avec les prĂ©sences immĂ©diates et intĂ©rieures d’une aviditĂ© financiĂšre gĂ©nĂ©ralisĂ©e ; avec l’extension de la carte mĂ©moire du jihadisme, du terrorisme islamiste et des extrĂ©mismes politiques et racistes ; avec la poussĂ©e du dĂ©labrement climatique et Ă©cologique ; avec la montĂ©e des eaux de quelques dĂ©rĂšglements numĂ©riques- harcĂšlement, hacking et autres cybercriminalitĂ©s ; avec la colonisation de nos vies par la tĂ©lĂ©phonie mobile, les casques et Ă©couteurs audios ( murs et remparts sonores) ainsi que par des lois, des rĂšgles et des frontiĂšres de plus en plus liberticides. Et facturĂ©es. Peu Ă  peu, nous  entrons dans un monde monobloc fait de labyrinthes armĂ©s. Pour l’instant, il existe encore un certain nombre d’annĂ©es avant que nous soyons vĂ©ritablement Ă©tablis dans un monde refermĂ© sur lui-mĂȘme.

 

 

 

Pourtant, en occident, avec la chute du mur de Berlin et le dĂ©membrement de l’URSS, nous avions Ă©tĂ© nombreux Ă  assister Ă  la tĂ©lĂ© Ă  ce dĂ©barquement- Ă  notre DĂ©barquement- de jours meilleurs. Sans avoir vĂ©ritablement Ă  faire la guerre. Du moins, pas frontalement et massivement comme en 1939-1945 ou en 1914-1918. Sergio et Sergei nous raconte un peu ce qui s’est passĂ© de l’autre cĂŽtĂ© du mur lorsque les retransmissions tĂ©lĂ© s’étaient ensuite tournĂ©es vers d’autres programmes.

 

En 2019,  on pourra trouver dĂ©suets les habitats et les façons de vivre et de penser de Sergio, de Sergei et de celles et ceux qui les entourent. Et ils le sont. Pourtant, il est parfois  difficile de savoir si nos progrĂšs ( numĂ©riques et autres) et notre puissante – et « superbe »- Ă©conomie (et pensĂ©e) moderne actuelle nous ont- en tous points- assurĂ©ment un peu plus Ă©loignĂ© de l’ñge du silex comparativement aux annĂ©es 80-90.

 

Sergio et Sergei est inspirĂ© d’une histoire rĂ©elle survenue entre un Cubain et un cosmonaute soviĂ©tique devenu russe dans l’espace. Alors que la CB (bande de frĂ©quences utilisĂ©e par les radioamateurs cibistes Ă  ne pas confondre avec la carte bancaire) Ă©tait plus utilisĂ©e qu’aujourd’hui par quelques cibistes et conducteurs automobiles. La tĂ©lĂ©phonie mobile Ă©tant Ă  l’époque moins « dĂ©mocratisĂ©e » qu’aujourd’hui. Nous ne sommes pas ici dans un film d’espionnage ou un mĂ©chant testostĂ©ronĂ© est trop content de vous malaxer en Ă©coutant du mbalax alors que vous connaissez vos derniĂšres pensĂ©es Ă  travers le filtre de sa cigarette. Mais on nous parle tout de mĂȘme, sur le ton de la comĂ©die, des derniers rĂ©flexes de la guerre froide et de ses effets sur le quotidien de trois hommes reliĂ©s entre eux par un fil et qui sont comme des vases communicants.

Plus joyeux que le Solaris de Tarkovski ( oui, c’est assez facile ), beaucoup moins spectaculaire et moins grand public que le Alita : Battle Angel de Robert Rodriguez, Sergio et Sergei est un film  sur la solitude, la dĂ©crĂ©pitude, la loyautĂ© et l’amitiĂ©. Mais c’ est aussi un film sur la difficultĂ© Ă  se comprendre les uns, les autres, selon l’histoire qui nous encombre et nous poursuit ou depuis le tamis de l’idĂ©ologie Ă  laquelle on reste asservi. Sur notre capacitĂ© au changement. Certains diraient mĂȘme :

« Sur notre capacitĂ© Ă  ĂȘtre proactif et Ă  ne pas nous laisser impacter ».

Cependant, on peut aussi dire que Sergio et Sergei est un film sur les limites d’un engagement comme sur les raisons qui peuvent pousser Ă  rester honnĂȘte, fidĂšle Ă  sa patrie, ou, au contraire, sur les raisons qui peuvent inciter Ă  quitter sa patrie, sa rĂ©gion ou un ĂȘtre cher.

 

Sergio et Sergei nous raconte d’autant plus un monde « disparu » ou en voie de disparition que Cuba, depuis peu (au moins depuis le dĂ©cĂšs de Fidel Castro en 2016) se libĂ©ralise de plus en plus. Certains diraient sans doute que Cuba leur devient de plus en plus un pays Ă©tranger. A l’image de Sergei lors de sa mission spatiale, sans doute que beaucoup de Cubains et beaucoup d’exilĂ©s de par le monde, aujourd’hui, ont quittĂ© un pays (ou un ĂȘtre) qui – transformĂ©- a, Ă  leurs yeux, depuis cessĂ© d’exister. Et, Ă  l’image de Sergio, peut-ĂȘtre que beaucoup d’ĂȘtres humains rĂȘvent encore d’un monde qui peine Ă  exister.

 

 

 

Ce film plutĂŽt sentimental et ensoleillĂ© plaira sans doute aux personnes capables de s’adresser Ă  leurs rĂȘves- marxistes ou tout autres- afin de leur demander de leurs nouvelles pour mieux leur envoyer de nouveaux gestes et mots d’encouragements.

Franck Unimon, ce dimanche 24 février 2019.

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Musique

Peu de Gens Le Savent

Peu de Gens le Savent interlude d’Oxmo Puccino (Album OpĂ©ra Puccino)

Physique de Dr Dre, crùne rasé, visage de profil luisant, le menton imberbe. DerriÚre lui se tiennent deux masques de la Comedia Del Arte qui nous fixent tandis que son regard semble nous voir ou servir de repoussoir à un monde qui nous échappe.

Est-ce un vigile des grands magasins qui Ă  l’image d’un Gauz Ă©crira bien plus tard (en 2014) Debout- PayĂ© ? Nous sommes en 1998 lorsque sort son album OpĂ©ra Puccino. En France, les artistes M et Matmatah connaissent leurs premiers succĂšs. MĂ©nĂ©lik marque avec Bye-Bye. Manau se fait connaĂźtre avec La Tribu de Dana. Louise Attaque fonce avec Ton Invitation. Axelle Red dĂ©cide de Rester Femme. Florent Pagny chante Savoir Aimer. Le Supreme NTM (et Lord Kossity) dĂ©cline Ma Benz. Stomy Bugsy dĂ©clare Mon Papa Ă  moi est un Gangster. Passi affirme Je Zappe et je mate. Lara Fabian projette Je t’aime.

 

Faites l’expĂ©rience en 2019. Et c’est comme cela depuis plusieurs annĂ©es maintenant alors que le RAP- syncope un peu zombie- nous rattrape un peu plus chaque jour : Parlez de RAP avec des connaisseurs. Ils vous citeront pĂȘle-mĂȘle leurs artistes prĂ©fĂ©rĂ©s passĂ©s ou prĂ©sents comme d’autres vous parleront de leur cru prĂ©fĂ©rĂ© en matiĂšre de vin. Les dĂ©bats peuvent ĂȘtre tranchĂ©s tandis que chacun affichera ses arguments : Assassin, NTM, IAM, Kery James, Disiz, Damso, Youssoupha, MC Jean Gab1, Mc Solaar, Sinik, Soprano, Booba, Kaaris, La Fouine, Soprano, Abdel Malik, Orelsan, Rohff,, Jul, Nekfeu, Bigflo& Oli, Eddy de Pretto, Diam’s,
 D’autres noms dĂ©fileront. Des tĂȘtes tomberont. D’autres seront enterrĂ©s vivants.

 

Personne ne le citera.

 

Puis, soyez la premiĂšre ou le premier Ă  prononcer ces simples lettres : Oxmo Puccino.

Il y’a alors de grandes chances pour que l’accalmie et l’unanimitĂ© se fassent en quelques secondes. Oxmo Puccino semble contenir en lui cette alchimie : accalmie et unanimitĂ©.

Dans le milieu du RAP oĂč les « vedettes » sont aussi des habituĂ©es des « clashes », des « buzz » et des faits divers ( le rĂšglement de comptes entre Kaaris, Booba et leurs potes dans un aĂ©roport/ « Le combat du siĂšcle » prĂ©vu en Tunisie entre Booba et Kaaris prochainement etc… ) et oĂč les amateurs aiment dĂ©livrer des sentences dĂ©finitives comme n’importe quel spectateur excitĂ© devant un combat de rue, cela dĂ©tone lorsqu’un rappeur comme Oxmo Puccino semble plĂ©biscitĂ© par Ă  peu prĂšs tout le monde. D’autant que ce plĂ©biscite ne tient pas Ă  la peur qu’il suscite Ă  l’instar du personnage le CaĂŻd ( trĂšs bien interprĂ©tĂ© par Michael Clark Duncan dans le Daredevil rĂ©alisĂ© en 2003 par Mark Steven Johnson) ennemi hĂ©rĂ©ditaire de Daredevil, hĂ©ros de Comics.

MĂȘme si, dĂšs le dĂ©but de son interlude Peu de Gens le Savent, Oxmo Puccino s’enfuit tout de suite de l’illusion selon laquelle il serait « cool » parce qu’on l’a vu
sourire.

Oxmo Puccino est sans doute respectĂ© parce qu’il sait de quoi il parle. Parce qu’il a connu ce que beaucoup de parias des citĂ©s ou des banlieues ont vĂ©cu et vivent. Et qu’il le raconte. PosĂ©ment. Dans son style. Depuis son enfance, comme un certain nombre, ses poumons et sa voix ont stockĂ© tant de goudron qu’ils sont devenus le bitume du monde sur lequel Oxmo Puccino marche avec ses mots prĂšs du micro. D’ailleurs, malgrĂ© ses travers, en prenant la parole et grĂące Ă  sa rĂ©ussite Ă©conomique et sociale, le RAP reste un modĂšle pour les minoritĂ©s invisibles lassĂ©es d’ĂȘtre Ă©vincĂ©es des productions cinĂ©matographiques, tĂ©lĂ©visĂ©es et thĂ©Ăątrales voire littĂ©raires….

 

Peu de gens le savent est peut-ĂȘtre un titre mineur pour celles et ceux qui avaient entendu cet album Ă  sa sortie ou qui le connaissent jusque dans ses moindres intonations. Puisqu’il s’agit officiellement d’un interlude. Mais c’est celui qui m’a le plus parlĂ© en dĂ©couvrant rĂ©cemment OpĂ©ra Puccino.

Ma toute premiĂšre expĂ©rience du RAP date de 1979 avec le tube Rapper’s Delight de Sugarhill Gang dans une soirĂ©e antillaise Ă  Colombes. Au milieu de la musique Kompa haĂŻtienne, de titres antillais et sans doute de musique salsa, le tube m’avait fait l’effet d’un Concorde me faisant dĂ©coller vers New-York. Ce sera un peu pareil quelques annĂ©es plus tard avec le titre Rock it d’Herbie Hancock en pleine soirĂ©e antillaise.

J’étais trop vieux ou trop orientĂ© vers d’autres genres musicaux lorsque vers les annĂ©es 80-90, le RAP est « revenu » en France. J’avais aussi quittĂ© “ma” citĂ© HLM de Nanterre depuis quelques annĂ©es. D’oĂč, aujourd’hui, ma culture RAP  de pois chiche et ma dĂ©couverte rĂ©cente d’OpĂ©ra Puccino.

OpĂ©ra Puccino s’écoule en trois temps. Durant les 45 premiĂšres secondes, Puccino rappe tranquillement. Si l’on peut se demander s’il caricature un peu le fait de rapper, il n’y’a d’abord rien de particulier lorsqu’il bande ses muscles : « J’ai entendu dire que j’étais cool car on m’aurait vu sourire. Reste ici et rectifions le tir
 ».

L’importance de l’image que l’on donne de soi. De la rĂ©putation. La nĂ©cessitĂ© d’avoir une image de dur- de pur ?- pour se faire respecter d’autrui et ne pas se faire marcher dessus :

Ce sont des standards dans le monde de la citĂ©, de la rue et du RAP. Mais, aussi, dans le monde de celles et ceux qui ont « rĂ©ussi ». Sauf que dans le monde de celles et ceux qui ont « rĂ©ussi » ou qui font partie des « bourgeois », cela se fait avec des codes que d’aucuns qualifieraient de plus sournois ou plus hypocrites.

AprĂšs le mot « honnĂȘtement », cela fait environ quarante cinq secondes qu’Oxmo Puccino Rappe. Il transforme alors son titre selon moi en classique. C’est une sorte de confession dont on a du mal Ă  dire si elle a d’abord Ă©tĂ© trĂšs bien Ă©crite puis trĂšs bien reprise, en insĂ©rant par moments des touches d’improvisations. Ou s’il s’agit d’une libre improvisation dĂ©cidĂ©e Ă  un moment donnĂ©. La rythmique, basse-batterie, sobre, est pratiquement la mĂȘme depuis le dĂ©but. Elle s’arrĂȘtera quelques secondes avant qu’Oxmo Puccino couse le point final de son titre et alors que sa voix se rapprochera de l’état de celle d’un LKJ (Linton Kwesi Johnson ) dans son titre Sonny’s Lettah ou Reality.

Peu de gens le savent dure quatre minutes. Lors de ces quatre minutes, on passe par le « hall », gare de stationnement et de procrastination des jeunes sans (prĂ©)destination qui, enfants, ne dĂ©rangeaient pas, et qui, devenus plus grands et plus affirmĂ©s, font dĂ©sormais peur. Et se comportent « mal ». Le monde des adultes- dĂ©passĂ©s et usĂ©s- qu’ils connaissent n’exerce sur eux aucune fascination. Et, ce, depuis des annĂ©es dĂ©ja. Oxmo Puccino parle du « hall » encombrĂ© de jeunes mais la cave, monde et mode souterrain, est aussi un terrain pratiquĂ©.

Sa façon un peu comique de dire le mot « hall », fait penser Ă  l’accent wolof mais aussi au mot anglais « All ». Il parle du « Tout » pour parler du vide et de la grande solitude avec lesquels correspondent ces jeunes qui boivent et qui fument en groupe. Qui font (et qui sont) les durs. Mais qui dĂ©priment en sourdine et ont peur de l’avenir.

Puccino est Ă  la fois le confident, le tĂ©moin, de la citĂ© et d’une certaine banlieue, comme pourrait l’ĂȘtre le pilier de bar dans Ces Gens-lĂ  (1966) de Jacques Brel. Oui, son surnom de « Black Jacques Brel » est ici pleinement comprĂ©hensible. Mais c’est ici un pilier de bar qui a un certain humour. L’humour de l’aĂźnĂ© voire du pĂšre (Puccino a « seulement » 23 ans alors) qui gronderait gentiment ses cadets ou ses fils. Ses « Hein ?! » (plus d’une dizaine) quelques fois couplĂ©s Ă  des bĂ©gaiements et Ă  des « enfoirĂ© ! » sont Ă  double sens : ils simulent celui qui feint d’ĂȘtre malentendant ou qui, alcoolisĂ©, aurait perdu toute ou partie de son discernement. Pourtant, ils ponctuent et affirment surtout, dans une grande familiaritĂ©/connivence ce que, dans les faits, lui et ses interlocuteurs, ont trĂšs bien compris : les formations et les diplĂŽmes qu’ils ont acquis avec fiertĂ© font partie de lots en tocs rĂ©servĂ©s Ă  tous ces jeunes sacrifiĂ©s/avariĂ©s depuis leur enfance.

A propos de la violence armĂ©e et aveugle ou aveugle et armĂ©e qui fait peur aux honnĂȘtes gens et aux mĂ©dia, Puccino rappelle que les jeunes des citĂ©s et de certaines banlieues commencent d’abord par la subir trĂšs tĂŽt avant (« ça fait beaucoup quand mĂȘme ») d’en devenir les Ă©missaires forcĂ©s ou volontaires.

L’humour de Puccino, Ă  la fois noir mais aussi calĂ© sur une certaine autodĂ©rision, Ă©vite Ă  son titre d’ĂȘtre dĂ©primant. Dans une version plus sombre, si j’avais Ă©tĂ© Ă  mĂȘme de savoir mixer, Ă  la fin de ses quatre minutes, j’aurais relancĂ© son texte Ă  l’identique, accentuĂ© ses bĂ©gaiements, en redoublant d’échos certaines de ses phrases et de ses « Hein ?! » en faisant porter Ă  son texte la chemise de cendres d’une dĂ©mence Ă  la fois contestataire et sans rĂ©mission.

Franck Unimon, ce lundi 18 février 2019.

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Cinéma

Peu M’importe si L’Histoire Nous ConsidĂšre Comme des Barbares

Peu M’importe si l’Histoire nous considùre comme des Barbares

Un film de Radu Jude en salles le 20 février 2019.

Ioana/Mariana, Roumaine plutĂŽt coquette d’une trentaine d’annĂ©es, est un « monstre d’érudition ». C’est aussi une forte personnalitĂ©. Elle pourrait ĂȘtre navigatrice, chef d’entreprise, espionne, chercheuse. Elle est metteure en scĂšne. A la faveur d’une commĂ©moration, sa gageure est de reconstituer Ă  notre Ă©poque un pan de l’Histoire de la Roumanie lors de la Seconde Guerre Mondiale. Et, Ioana a Ă  cƓur de rappeler Ă  ses contemporains la participation zĂ©lĂ©e de la Roumanie dans l’application de la Shoah.

Lorsque l’on Ă©voque la solution finale et l’antisĂ©mitisme, il est plutĂŽt assez rare, en France, d’y associer la Roumanie. On pense plutĂŽt Ă  l’Allemagne nazie bien-sĂ»r, Ă  la France, la Pologne, l’Autriche, la Russie et l’ex-URSS


En effet.

A titre d’exemple : il y’a deux ou trois ans, la lecture de Les Cavaliers de l’Apocalypse, trĂšs bien Ă©crit par Jean Marcilly en 1974 d’aprĂšs le rĂ©cit de Ion. V Emilian, ex officier du 2Ăšme rĂ©giment de Calarashis pendant la Seconde Guerre Mondiale, avait Ă©tonnĂ© par son grand mutisme sur le sujet de l’antisĂ©mitisme et de la Shoah. A la fin du rĂ©cit qui coĂŻncidait avec la fin de l’épopĂ©e des Calarashis et la dĂ©faite militaire de la Roumanie, seuls le prĂ©nom et le nom de Simon Wiesenthal Ă©taient prononcĂ©s du bout des lĂšvres. La « rencontre » de Simon Wiesenthal semblait fortuite et anecdotique. Presque « people » : Les motifs de sa « cĂ©lĂ©britĂ© » Ă©taient Ă  peine Ă©clairĂ©s et on aurait tout aussi bien pu nous parler d’une rencontre avec Paris Hilton Ă  la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Cela aurait Ă©tĂ© pareil.

En revanche Ă  la fin de Les Cavaliers de l’Apocalypse, l’admiration pour le GĂ©nĂ©ral amĂ©ricain Patton, bĂ©nĂ©ficiait de bien plus de lumiĂšre : Peut-ĂȘtre parce que l’on apprĂ©cie mieux un hĂ©ros militaire que l’on estime pourvu du mĂȘme sens de l’honneur que soi mĂȘme si, comme Ion. V Emilian, on faisait alors partie du camp des vaincus. Peut-ĂȘtre aussi parce-que le GĂ©nĂ©ral Patton incarnait l’éclat de la virilitĂ© victorieuse lĂ  oĂč Wiesenthal, lui, reprĂ©sentait celui qui, une fois la guerre et la peur « finies », s’était donnĂ© pour mission d’aller ausculter les dĂ©combres.

Par ailleurs, un peu de recherche nous permet d’apprendre que Jean Marcilly, l’auteur du livre Les Cavaliers de l’Apocalypse paru en 1974, donc, deviendra plus tard ( dans les annĂ©es 80) durant un temps le compagnon de la premiĂšre Ă©pouse de Jean-Marie Lepen et mĂšre de Marine Lepen.

En 1974, Jean-Marie Lepen est depuis deux ans le PrĂ©sident du Front National, parti d’extrĂȘme droite français d’ascendance fasciste. Jean-Marie Lepen dirigera le FN jusqu’en 2011. Depuis ce 1er juin 2018, le Front National a Ă©tĂ© rebaptisĂ© Rassemblement National par Marine Lepen, et, cela, aprĂšs sa propre dĂ©faite aux Ă©lections prĂ©sidentielles de 2017 face Ă  Emmanuel Macron.

Cette « parenthĂšse » permet de faire un raccordement avec Antonescu, chef – d’extrĂȘme droite- du gouvernement roumain lors de la Seconde guerre Mondiale et Ă  qui l’on doit cette dĂ©claration- avant son exĂ©cution en 1946 pour crimes de guerre- qui donne le titre du film :

Peu M’importe si l’Histoire nous considĂšre comme des Barbares. Le film sortira le 20 fĂ©vrier soit dans une semaine et un peu plus de soixante dix ans aprĂšs la fin de la Seconde Guerre Mondiale.

Ioana/Mariana, du fait de son Ăąge, n’a pas connu cette pĂ©riode. Mais ses grands-parents, voire ses parents, sans aucun doute.

Pour aborder ce sujet, Radu Jude (Ours d’Argent de la meilleure mise en scĂšne au festival du film de Berlin pour son film Aferim en 2015) fait un film dans le film : l’interprĂšte principale se prĂ©sente comme Iona Iacob, soit son vĂ©ritable prĂ©nom et son vĂ©ritable nom, et non comme le personnage de Mariana. Et nous assistons aux premiĂšres rĂ©pĂ©titions de comĂ©diens amateurs dont certains pourraient ĂȘtre les grands-parents de Iona/Mariana. On peut un moment espĂ©rer trouver un cousinage avec le Looking for Richard mis en scĂšne et interprĂ©tĂ© par Al Pacino. Mais Peu M’importe si l’Histoire nous considĂšre comme des barbares est plus sec et plus rĂ©aliste.

Le cĂŽtĂ© bon enfant et Ă  la bonne « franquette » du dĂ©but du film qui nous rapprochent un moment d’un certain ennui laissent peu Ă  peu la place Ă  un film trĂšs moral et, Ă  l’image d’Ioana/Mariana, plein d’érudition. On y cĂŽtoie la mĂ©moire des armes et des musĂ©es, mais aussi celle de figures littĂ©raires ou d’historiens qui ont soit Ă©tĂ© victimes de l’antisĂ©mitisme soit des personnalitĂ©s qui ont effectuĂ© des recherches sur le rĂŽle pris par la Roumanie dans la Shoah. Citons Isaac Babel, Raoul Hilberg, Dennis Deletant


Les Cavaliers de l’Apocalypse s’attardait sur la menace communiste expansionniste comme raison principale de l’alliance de la Roumanie avec l’Allemagne nazie. Peu M’importe si l’Histoire nous considĂšre comme des Barbares nous apprend que les « BolchĂ©viques et les youpins » Ă©taient perçus depuis des annĂ©es comme « les ennemis » endĂ©miques dĂ©clarĂ©s des Roumains. Et peu importait qu’au pays des « BolchĂ©viques », des juifs soient victimes de pogroms ou des purges staliniennes
.

Le film de Radu Jude nous pousse Ă  nous interroger sur ce qui installe au sein d’une population, d’une communautĂ© ou d’une sociĂ©tĂ© la permanence d’une pensĂ©e hostile Ă  l’encontre d’un certain groupe de personnes au point de finir par trouver « normal » et justifiĂ© de l’exterminer ou de le stigmatiser. A voir Peu M’importe si l’Histoire nous considĂšre comme des Barbares, on comprend que cette pensĂ©e hostile provient d’assez « loin » dans le temps :

Elle s’impose aprĂšs des dĂ©cennies, des gĂ©nĂ©rations, sans doute des siĂšcles ou peut-ĂȘtre aprĂšs des millĂ©naires de croissance et d’expansion. ConvoyĂ©s au moins par la force de certaines superstitions et de certaines traditions, l’antisĂ©mitisme, toutes les haines en « isme » ainsi que toutes leurs mutations, peuvent alors sembler plus rĂ©sistants Ă  l’érudition, Ă  la morale et au Temps, que notre environnement au glyphosate et Ă  la pollution atmosphĂ©rique. Ioana/Mariana, tĂ©moin de notre Ă©poque, en fait la difficile expĂ©rience. Elle, qui, pourtant, accepte de ne pas ĂȘtre aimĂ©e et dĂ©fend son projet avec ruse et tĂ©nacitĂ© a par ailleurs du mal Ă  se composer un avenir affectif. Mais elle a rĂ©sistĂ© et va continuer de le faire. Ainsi que quelques uns autour d’elle, dans la foule comme dans l’anonymat.

Franck Unimon, ce mercredi 13 février 2019.

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Puissants Fonds/ Livres

L’instinct de vie

 

                                     

« Les souvenirs deviennent-ils les dĂ©mons du sujet qui les garde ? » se demande Patrick Pelloux dans son livre L’instinct de vie ?

 

Si le « diable » – ou ce qui en est pour nous l’agent permanent- avait souhaitĂ© faire de la tĂȘte de Patrick Pelloux un passage cloutĂ© de tourments, il ne s’y serait pas pris autrement :

 

MĂ©decin urgentiste engagĂ© et « connu » au moins depuis 2003 pour avoir alertĂ© les mĂ©dias des consĂ©quences sanitaires de la canicule, auteur de plusieurs ouvrages relatifs au monde de la SantĂ©, Patrick Pelloux Ă©tait aussi un chroniqueur attitrĂ© de Charlie Hebdo depuis plusieurs annĂ©es lorsqu’eut lieu « l’attentat de Charlie Hebdo » ce 7 janvier 2015. Puis celui de l’hyper cacher de Vincennes aprĂšs l’assassinat la veille de la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe.

Dans ce livre de 174 pages dĂ©coupĂ© en quatorze chapitres- publiĂ© en 2017 soit environ deux ans aprĂšs l’attentat- Patrick Pelloux prend le parti de s’inspirer de sa dĂ©marche personnelle de reconstruction aprĂšs l’attentat du 7 janvier :

Rappelons qu’il Ă©tait ce jour-lĂ  en pleine rĂ©union professionnelle non loin du journal Charlie Hebdo. Sans cette rĂ©union, il se serait trouvĂ© au journal parmi ses collĂšgues et amis lorsque les terroristes sont arrivĂ©s, ont assassinĂ© et meurtri.

Charlie Hebdo Ă©tait Ă  la fois un peu sa maison et son territoire. Son « chez nous » comme dans tout service ou toute entreprise oĂč des employĂ©s se sentent « bien » comme en couple ou en famille. Soit une expĂ©rience encore plutĂŽt courante dans le monde du travail oĂč se crĂ©ent pour le meilleur et pour le pire bien des histoires affectives et amicales entre collĂšgues.

Ce 7 janvier 2015, sa trĂšs grande proximitĂ© affective avec les personnes du journal, sa grande proximitĂ© gĂ©ographique et son sens de l’engagement professionnel plus que prononcĂ© (ce qui lui vaut et lui a aussi valu certaines inimitiĂ©s professionnelles et politiques) sont sans doute ce qui l’a incitĂ©- il lui Ă©tait impossible de rĂ©agir autrement- Ă  intervenir avec d’autres professionnels urgentistes sur les lieux. Avant que les lieux soient sĂ©curisĂ©s nous apprend t’il dans son livre :

Lorsque d’autres professionnels urgentistes et lui sont entrĂ©s dans le journal ce jour-lĂ , ils ignoraient si les terroristes y Ă©taient encore prĂ©sents. Attitude hĂ©roĂŻque, suicidaire ou tĂ©mĂ©raire ? Cet article a d’autres volontĂ©s que ce « dĂ©bat » qui, mĂȘme avec de grandes prĂ©cautions, se rapprocherait du jugement moral et facile que dĂ©tiennent gĂ©nĂ©ralement les personnes bien planquĂ©es Ă  distance des frontiĂšres de l’horreur. Dans les faits, dans la mĂȘme situation, si l’accĂšs au journal avait Ă©tĂ© «libre», d’autres personnes trĂšs impliquĂ©es affectivement avec les victimes, mĂȘme non qualifiĂ©es mĂ©dicalement, auraient eu la mĂȘme rĂ©action que Patrick Pelloux et ces urgentistes professionnels. C’est lĂ  oĂč, pour Pelloux, le « diable » a pu largement faire son trou dans sa tĂȘte :

Le soignant, pour ĂȘtre Ă  mĂȘme d’ĂȘtre aussi « opĂ©rationnel » que possible, mais aussi pour pouvoir quitter la scĂšne clinique et retourner Ă  la vie civile – et chez lui- Ă  peu prĂšs indemne et frĂ©quentable- « sans » usure de l’ñme- doit pouvoir avoir une certaine distance affective avec ce qu’il voit et vit au travail. On peut d’ailleurs reprocher Ă  certains professionnels de la SantĂ© plutĂŽt aguerris et/ou performants une sorte « d’anesthĂ©sie » profonde voire une certaine indiffĂ©rence Ă©motionnelle et affective apparente ou patente. Le Monde de la SantĂ© tangue en permanence entre ces trois ou quatre modĂšles « parfaits » et extrĂȘmes du soignant :

L’un capable d’empathie et l’autre Ă  la technique administrative, diagnostique et gestuelle irrĂ©prochable mais au « cƓur », au regard et au rĂ©confort absents ou froids. Ces trois ou quatre modĂšles ( et d’autres) peuvent bien-sĂ»r coexister dans la moelle Ă©piniĂšre d’un mĂȘme soignant en une alchimie respirable mais cela est loin d’ĂȘtre une Ă©vidence et une science exacte et dĂ©finitive.

Pour Patrick Pelloux – dont au moins les Ă©crits et les chroniques attestent aussi de rĂ©elles prĂ©occupations humanistes- aprĂšs ce 7 janvier 2015 (et pour bien d’autres que lui) il Ă©tait impossible d’ĂȘtre Ă©motionnellement et affectivement absent. Pourtant, s’il avait la possibilitĂ© de retourner dans le passĂ© et de revivre cet Ă©vĂ©nement et le stress post-traumatique qui en a dĂ©coulĂ© depuis, on devine qu’il s’immergerait Ă  nouveau dans le Charlie Hebdo de ce 7 janvier 2015.

Ce dĂ©but d’article pourrait peut-ĂȘtre donner l’impression que L’Instinct de vie relate l’attentat de Charlie Hebdo de bout en bout ce jour-lĂ . Ce serait un malentendu:

L’instinct de vie est un kit destinĂ© Ă  aider Ă  la reconstruction morale, sociale, affective, psychologique et Ă©motionnelle. Il a Ă©tĂ© conçuavec des mots trĂšs simples– au moins pour aider celles et ceux qui ont Ă©tĂ© victimes d’attentats ou d’évĂ©nements traumatiques ainsi que leurs proches ou celles et ceux qui essaient d’apporter une aide en des circonstances similaires.

Pelloux le prĂ©cise : ce qui a Ă©tĂ© trĂšs difficile y compris pour des professionnels de la SantĂ© intervenant par exemple lors de l’attentat du Bataclan du 13 novembre 2015 ( ce jour-lĂ  ont aussi eu lieu des attentats au Stade de France ainsi que dans des rues du 1OĂšme et du 11 Ăšme arrondissement de Paris : 130 personnes – dont 7 des terroristes- ont Ă©tĂ© tuĂ©es et plus de trois cents blessĂ©s ont Ă©tĂ© hospitalisĂ©s ), c’est de devoir faire face- dans le monde civil- Ă  des scĂšnes cliniques et des situations habituellement « rĂ©servĂ©es » Ă  des zones de guerre. Le personnel de santĂ© civil dĂ©pĂȘchĂ© sur les lieux n’était pas prĂ©parĂ© Ă  faire face Ă  des blessures de guerre et Ă  une telle Ă©chelle. Et, les victimes ainsi que leur entourage ont dĂ» dĂ©couvrir Ă©galement Ă  une plus grande Ă©chelle le quotidien des personnes dĂ©veloppant un stress post-traumatique voire une nĂ©vrose traumatique.

Le livre de Pelloux « bĂ©nĂ©ficie » de son expĂ©rience de professionnel de la SantĂ©. Et de victime. Il donne donc un certain nombre de conseils. Ainsi que des repĂšres permettant Ă  d’éventuelles victimes, professionnels de la SantĂ©, proches et entourages de mieux comprendre ce qui peut se passer pour une victime. Quelques extraits en vrac :

« Les mots étaient doux avant. Soudain, tous les mots du monde ont été assassinés ».

« Tout a explosĂ©. Durant les premiers temps, on reste dans la sidĂ©ration. Impensable. L’entourage ne peut pas comprendre ou pas forcĂ©ment. (
). Ce n’est mĂȘme pas de la peur, c’est au delĂ . Un besoin de sĂ©curitĂ© extrĂȘme ».

« J’ai vu des choses que je n’aurais pas dĂ» voir. C’est cela qui fait le traumatisme. (
.) Analyser qu’il faudra vivre avec un drame, savoir qu’il est impossible d’oublier et que tout son ĂȘtre, toute sa psychĂ© devra apprendre Ă  vivre avec cette souffrance ».

« Il faut vivre les trois premiĂšres heures pour arriver Ă  respirer normalement, puis les trois premiers jours, puis les trois premiers mois. Pourquoi trois mois ? Parce que c’est sans doute la durĂ©e qu’il m’a fallu pour rĂ©ussir Ă  dormir deux heures de suite ».

« (
.) Ce dont j’ai besoin, c’est de lĂ©gĂšretĂ© et de douceur. Or, c’est peut-ĂȘtre la chose la plus compliquĂ©e Ă  offrir Ă  quelqu’un de traumatisĂ© ».

« (
) Ne dites jamais Ă  une victime : « ça va passer » ; « ça va aller mieux » ; « Tu vas oublier » ; « C’est la vie » ; « Y’a plus grave ».

« Ce stress dure plus longtemps qu’il n’est Ă©crit dans les articles scientifiques. Il dure des mois (
.). Cela fait deux ans que les flashs me reviennent, par moments. Il suffit d’un petit dĂ©tail. Qui les rĂ©active. Clac ! ».

« Qu’il est difficile d’aider une victime ! Il faudrait ĂȘtre lĂ  et ne pas ĂȘtre lĂ . A l’écoute. Sans poser de questions. Le mieux est de consulter un psychiatre ou un psychologue des cellules d’urgence mĂ©dico-psychologique (CUMP) des SAMU (
) ».

« (
..) Rien ne calme cette culpabilitĂ©, ni l’alcool, ni le cannabis, ni la cocaĂŻne, ni les amphĂ©tamines. C’est un leurre (
). Une chose est certaine : l’illusion de l’ivresse passĂ©e, tout s’aggrave, les troubles du sommeil, les cauchemars, les angoisses, les flashs, les peurs et la culpabilitĂ© ».

« Pour se reconstruire, il faut accepter de rire et de sourire ».

LivrĂ©s de cette façon, ces extraits peuvent peut-ĂȘtre donner l’illusion que Patrick Pelloux s’est reconstruit facilement. Si son livre est optimiste et volontariste, il indique nĂ©anmoins ça et lĂ  qu’il a pleurĂ© tous les jours pendant trois semaines aprĂšs l’attentat du 7 janvier 2015. Qu’il a penchĂ© durant quelques mois vers l’alcool. Sans trop s’étendre sur le sujet, Ă  travers ses chats, il nous renseigne sur ce qu’une personne traumatisĂ©e peut aussi « dĂ©gager » de mortifĂšre pour un entourage proche et intime qui absorberait tout sans aucune limite, distance ou filtre. MĂȘme s’il a depuis repris ses fonctions de mĂ©decin urgentiste, il a conscience d’ĂȘtre restĂ© vulnĂ©rable. Et le 13 novembre 2015, c’est en tant que rĂ©gulateur et non en tant qu’intervenant de terrain qu’il a- avec ses divers collĂšgues- participĂ© aux sauvetages des victimes des attentats au Bataclan et dans les rues de Paris.

On peut ĂȘtre en dĂ©saccord avec certains de ses avis par exemple quant Ă  la prescription de mĂ©dicaments ou non ou sur la façon d’assurer leur rĂ©Ă©valuation. Car cela semble plus facile Ă  dire qu’à faire. On peut par moments lui reprocher d’ĂȘtre un peu trop sĂ»r de lui mĂȘme s’il se dĂ©fend de tout savoir.

Mais on doit avant tout voir ce livre– qui peut ĂȘtre une initiation Ă  la Victimologie– comme un        ( Grand) Acte civique de trĂšs grande utilitĂ© publique pour ce qu’il apprend ou incite Ă  apprendre que l’on soit soignant ou non, victime ou non, proche d’une victime ou non. Car comme le dit son ouvrage, celui-ci  et celui d’autres auteurs -tel le mĂ©decin-gĂ©nĂ©ral Louis Crocq- sont au service de la vie. Les terroristes et les intĂ©gristes, eux, desservent la vie et contrairement au reste du monde se coupent de tout attachement affectif pour pouvoir mieux justifier et rĂ©aliser leurs assassinats physiques et symboliques. Pour les “sceptiques”, il est encore assez facile de retrouver sur le net des photos de certaines victimes des attentats du 13 novembre 2015 pour voir Ă  nouveau qu’elles Ă©taient de tous horizons.

Cet article se veut un complĂ©ment, pour le meilleur espĂ©rons-le, de celui (assez mal Ă©crit) sur le livre Sans blessures apparentes de Jean-Paul Mari. Et de l’article sur le film Utoya. Il a Ă©tĂ© Ă©crit en bĂ©nĂ©ficiant du dĂ©ferlement proche et protecteur de musiques Reggae et Dub Ă  un volume moyennement Ă©levĂ©. Celui en particulier des artistes et groupes Manutension, Steel Pulse et Rod Anton.

 

Peinture : Patrick MarquĂšs.

 

 

 

Franck, ce mardi 5 février 2019.

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Voyage

Feuilles séparées

Feuilles séparées

 

 

Nous sommes faits de feuilles séparées. Nos assemblées ont sur les lÚvres bien des histoires commencées qui resteront secrÚtes.

 

Ce vendredi 18 janvier 2019, nous l’avons pourtant dĂ©cidĂ©.

 

Dans ce salon d’appartement du 18Ăšme arrondissement de Paris, nous sommes venus nous enrouler dans le souffle de MickaĂ«l Attias et de Jean-Brice Godet. Ce souffle frein, ce souffle train, est un emprunt. Et nous avons ce soir-lĂ  la chance de le regarder et de l’écouter nous ferrer de face plutĂŽt que de l’avoir sur les talons. Car on ne sait jamais vĂ©ritablement de quoi est fait un souffle, d’oĂč il provient, oĂč il se branche, oĂč il va et ce qu’il nous veut. Comme nous ignorons souvent exactement de quoi nous sommes faits.

Notre vie est pleine de souffles, certains Ă©teints, d’autres incertains. Et tous se cherchent un domicile, une gare, un rĂ©chaud, une frontiĂšre, un silence, une demie heure ou une gestuelle Ă  entraĂźner. Nous sommes souvent de bons clients pour eux mĂȘme si nous avons parfois du mal Ă  savoir comment nous en sortir avec eux.

Dehors, il fait assez froid, entre sept et huit degrés. Mickaël et Jean-Brice ont des poussées de souffle et des variations sans domicile fixe.

 

 

Ce soir, en les Ă©coutant, nous essayons peut-ĂȘtre de nous rappeler oĂč se trouve notre vĂ©ritable maison. Si nous en sommes encore loin et si nos itinĂ©raires – et nos rĂȘves- sont les bons. Bien-sĂ»r, cela ne se dit pas aussi grossiĂšrement. Nous sommes aussi lĂ  pour passer un bon moment, seul ou avec d’autres, tout simplement. Pour casser la route des chemins obligĂ©s comme de nos ordures quotidiennes et mĂ©nagĂšres. Nous oublions pratiquement tout de ces mauvaises habitudes. Car cela est maintenant autorisĂ©. Tant que l’espace oĂč nous sommes acceptera le souffle de ces deux hommes. L’un, petit, vif, presque teigneux par moments tout en demeurant contemplatif. L’autre, taille de gĂ©ant, peut-ĂȘtre plus ample, peut-ĂȘtre plus conciliant en apparence mais nĂ©anmoins avide des coins. Le but de ce duo est d’éviter de se laisser sĂ©duire et composer par le confort. Alors, on prend les devant. On prend aussi son temps pour s’écouter et s’inspirer de l’autre. Pour laisser passer la note depuis le silence Ă  travers le tamis de la tĂȘte de l’auditoire, sorte de couture sonore. On trace des reflets que l’on ne dresse pas, qui tournent et tiennent par leur propre volontĂ©. On amorce puis on renonce. On met son solfĂšge dans les ronces tout en le poursuivant jusque dans la doublure des sons. On produit ses propres embruns mĂȘme si le vent autour de nous est fixe et que la planĂšte est restĂ©e la mĂȘme.

Et lorsque s’arrĂȘtent les Ă©popĂ©es au plus prĂšs des pourtours de la note, on peut quelques fois entendre ce refrain :

Nous sommes faits de feuilles sĂ©parĂ©es mais nous rejoignons les mĂȘmes notes.

 

Franck Unimon, ce jeudi 31 janvier 2019.

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Cinéma

Yao

                                                Yao un film de Philippe Godeau sorti le 23 janvier 2019.

 

 

 

D’autres Ă©crits et d’autres prioritĂ©s m’ont un peu Ă©loignĂ© de Balistique du quotidien. Des articles de rattrapage devraient bientĂŽt suivre aprĂšs celui-ci. Au moins un sur la nuit de la lecture Ă  la mĂ©diathĂšque d’Argenteuil centre-ville. Un second sur un entretien. Un troisiĂšme sur un concert de jazz donnĂ© par MickaĂ«l Attias et Jean-Brice Godet. Un quatriĂšme parlera du livre L’instinct de vie de Patrick Pelloux. Les autres ?

 

Cette « pause » blog m’a permis de me dĂ©tendre. Et de me dĂ©faire un peu de cette injonction de prĂ©sence en surrĂ©gime qui nous commande en particulier sur les rĂ©seaux sociaux, cette addiction en plein essor. StratĂ©giquement, je crois bien-sĂ»r que ce blog bĂ©nĂ©ficierait de bien plus de vues si j’y postais davantage de vidĂ©os via Youtube ainsi que des enregistrements audio type blog radio. Mais rien ne presse.

 

J’écris cet article en rĂ©Ă©coutant l’album Lost & Found de Jorja Smith. Un album empruntĂ© Ă  la mĂ©diathĂšque. J’ai d’abord Ă©tĂ© perplexe lorsque j’ai entendu parler de Jorja Smith- encore une artiste anglo-saxonne !- comparĂ©e Ă  feu Amy Winehouse. Comme si Jorja Smith se devait absolument de remplacer quelqu’un. Amy Winehouse
je souhaite Ă  Jorja Smith d’avoir un destin plus serein. Mais il est vrai que bien des artistes et des cĂ©lĂ©britĂ©s ont ce « pouvoir » de supprimer certaines de nos peines tues comme d’ĂȘtre parfois les rĂ©incarnations de certains de nos proches ou de nos moments perdus. Je ne ferai pas ici la critique de l’album de Jorja Smith. Avant le sien, je devrais au moins parler de celui d’Ann O’Aro.

 

 

Mais je peux quand mĂȘme Ă©crire que Jorja Smith, aussi, chante son Ăąme Ă  pleine bouche. Et, pour avoir aperçu un bout d’une de ses performances en Live, je crois qu’aller l’écouter et la voir en concert est sĂ»rement une expĂ©rience aussi singuliĂšre que d’aller Ă©couter et voir Ann O’Aro.

 

 

 

 

Avec tout ça, je n’ai toujours par parlĂ© du film Yao de Philippe Godeau. Yao est sorti la semaine derniĂšre, le mercredi 23 janvier 2019. Avant hier, au lieu de Yao, j’aurais pu choisir d’aller voir Another Day of Life de RaĂŒl De La Fuente et Damian Nenow :

Le journaliste polonais Ryszard Kapuscinski- dont il est question dans le documentaire- a par exemple Ă©crit EbĂšne ( aventures africaines) qui m’avait beaucoup marquĂ©. Il avait aussi Ă©crit sur le NĂ©gus HaĂŻlĂ© SĂ©lassiĂ©, personnage qui a marquĂ© l’inconscient de toute personne un peu concernĂ©e par le Reggae et le Rastafarisme.

J’aurais pu aller voir le documentaire Eric Clapton : Life In 12 Bars de Lili Fini Zanuck. Cela fait des annĂ©es que j’entends dire que Clapton est « God » et aussi qu’il a pris peur ce jour oĂč, la premiĂšre fois, il avait croisĂ© Jimi Hendrix Ă  un concert. Jimi Hendrix Ă©tait donc le diable? Je n’ai jamais Ă©tĂ© converti Ă  « God » Clapton mais d’aprĂšs certains avis, ce documentaire est trĂšs bien.

Avant hier, j’aurais aussi pu aller voir Green Book : sur les routes du sud de Peter Farrelly avec Viggo Mortensen et Mahershala Ali. J’aime ces deux acteurs. Et, Ă©videmment, j’avais dĂ©couvert Mahershala Ali dans le film Moonlight (2016) de Barry Jenkins.

J’aurais aussi pu aller voir Continuer de Joachim Lafosse. L’actrice Virgine Efira m’épate pour son apparente « banalitĂ© » : il est des actrices qui captent bien plus le regard qu’elle. Et, pourtant, on la voit dans des rĂŽles qui nĂ©cessitent une grande agilitĂ© dramatique ainsi qu’une intelligence de jeu largement supĂ©rieure Ă  la moyenne. Et puis, aller au Kirghizistan avec le film m’aurait plu.

La Mule de Clint Eastwood, L’ordre des mĂ©decins de David Roux, The Hate U Give : La Haine qu’on donne de Georges Tillman jr. sont des films sortis Ă©galement ce 23 janvier 2019.

Autant dire qu’avant hier, il y’avait plein de raisons d’aller voir un autre film que Yao de Philippe Godeau. Omar Sy a beau ĂȘtre la personnalitĂ© « prĂ©fĂ©rĂ©e » des Français ou l’une des premiĂšres personnalitĂ©s « prĂ©fĂ©rĂ©es » des Français ainsi que l’acteur dont le statut a changĂ© depuis ses 20 millions d’entrĂ©es ( 19,5 plus exactement) avec Intouchables de Toledano et Nakache aux cĂŽtĂ©s de François Cluzet ( acteur dĂ©jĂ  plus que confirmĂ©). Ses 20 millions d’entrĂ©es pĂšsent assez peu face aux poids lourds du cinĂ©ma que sont Clint Eastwood, Viggo Mortensen et ses Le Seigneur des Anneaux ( j’ai aussi beaucoup aimĂ© ses films avec Cronenberg)
ou l’Aura de la musique d’un Eric « God » Clapton.

Dans une autre vie, j’aurais vu tous ces films et documentaires et bien davantage. Mais je n’ai plus cette vie. Il m’a fallu faire un choix. L’anecdote que je relate dans l’article Don’t Forget Me m’a poussĂ© vers Yao.

Dans ce film, Omar Sy est Seydou Tall, un « cĂ©lĂšbre acteur français » qui « se rend un jour au SĂ©nĂ©gal pour dĂ©dicacer son livre ». Le SĂ©nĂ©gal est son pays d’origine. Mais il s’y rend alors pour la premiĂšre fois de sa vie, autant dire comme un Ă©tranger Ă  son propre passĂ©. On comprend que son livre est plutĂŽt autobiographique.

Yao est sans doute moins bien maitrisĂ© qu’un film comme La Mule de Clint Eastwood, vieux roublard de l’histoire qui empoigne. Mais Yao Ă©tale trĂšs vite un attachement sincĂšre au SĂ©nĂ©gal ainsi qu’une connaissance solide de ce pays (le SĂ©nĂ©gal, est-ce l’Afrique ?).

Omar Sy met sa cĂ©lĂ©britĂ© d’acteur au service de sa double culture et de ce film. A travers son personnage « de cĂ©lĂšbre acteur français », on pense bien-sĂ»r Ă  lui. MĂȘme si, dans les faits, Omar Sy connaĂźt mieux son pays d’origine. En filigrane, Yao est un film plus critique qu’il n’y paraĂźt :

il reste rare dans le cinĂ©ma français qu’un Noir (cela ne dĂ©range personne lorsque l’on parle d’un « Noir amĂ©ricain ») incarne la rĂ©ussite sociale en ayant le premier rĂŽle d’un film. J’ai par exemple lu beaucoup de bien sur la sĂ©rie Hippocrate et les autres films de Thomas Lilti que j’aurai sĂ»rement beaucoup de plaisir Ă  dĂ©couvrir. Comme j’ai pu lire une de ses rĂ©centes interviews avec beaucoup de plaisir. Mais je m’étonne que ce milieu mĂ©dical et paramĂ©dical -oĂč il existe une certaine diversitĂ© dans les faits- reste aussi peu reprĂ©sentĂ© au cinĂ©ma. En France. Avec Yao, l’histoire se dĂ©roulant en Afrique, il est visiblement plus facile Ă  faire accepter au cinĂ©ma que le hĂ©ros soit Noir. Bon.

L’autre regard critique du film porte sur le grand galop entamĂ© par l’Islam. Un Islam prĂ©sent depuis plusieurs siĂšcles au SĂ©nĂ©gal et dans d’autres pays d’Afrique noire mais devenu envahissant. Le film Ă©tant peu portĂ© sur la polĂ©mique, il s’attarde peu sur le sujet. Mais lors d’une scĂšne qui doit sĂ»rement avoir Ă©tĂ© en partie improvisĂ©e ou Ă©crite en tenant compte du contexte religieux existant, le visage d’Omar Sy dit beaucoup Ă  propos de son effarement voire de son inquiĂ©tude.

La critique du colonialisme mais aussi de l’exploitation des forces vives de l’Afrique par l’Occident (ici, la France) est douce-amùre. Yao n’est pas un film rageur.

Une autre critique indirecte vise peut-ĂȘtre ce manque de tolĂ©rance du Français moyen, blanc, envers ses autres concitoyens Français d’autres « origines ». Dans Yao, le personnage de Seydou Tall jouĂ© par Omar Sy reste vraiment trĂšs trĂšs sympa lorsque son ex-femme, mĂšre de leur enfant, lui fait ce qu’il faut bien appeler un coup de crasse :

Les sĂ©parations conjugales sont Ă  la fois trĂšs douloureuses et trĂšs difficiles. On ignore ce qui a provoquĂ© la sĂ©paration entre Seydou Tall et son ex-femme blanche. On peut supposer qu’il Ă©tait peu disponible voire qu’il a pu se montrer infidĂšle au mĂȘme titre que certaines personnalitĂ©s publiques. Mais je trouve qu’il prend vraiment avec beaucoup de diplomatie le «coup » qu’elle lui fait avant son dĂ©part pour son pays d’origine. J’ai parlĂ© de « manque de tolĂ©rance ». Mais c’est plus que ça, ici. Il y’a une forme de mĂ©pris qui la rend assez peu pardonnable Ă  mes yeux quels que soient les sentiments amoureux qu’elle ait pu avoir ou qu’elle a toujours pour Seydou Tall.

Evidemment, d’un point de vue scĂ©naristique, cela permet la rencontre avec le jeune Yao. Et si le procĂ©dĂ© est sĂ»rement modĂ©rĂ©ment original, cette rencontre permet Ă  deux enfants (Yao et Seydou Tall) de se reconnaĂźtre l’un en l’autre. Je ne suis jamais allĂ© en Afrique mais le film semble montrer assez fidĂšlement ce que peut ĂȘtre le SĂ©nĂ©gal. Dans son livre EbĂšne, je crois, Kapuscinski parle de cette lumiĂšre-assez aveuglante- spĂ©cifique Ă  l’Afrique. Yao est fait de cette lumiĂšre ainsi que de cette temporalitĂ© auxquelles nos existences d’occidentaux nĂ©vrosĂ©s nous ont rendu Ă©trangers. Je me demande ce que cela aurait donnĂ© si un rĂ©alisateur comme Woody Allen avait pu s’en inspirer.

Dans ce film, on parlera bien-sĂ»r de voyage initiatique pour Seydou Tall mais aussi pour Yao. L’un vers son enfance et son passĂ©. L’autre vers son visage d’adulte et son avenir. Un passage en particulier- Ă  la mer- m’a fait penser au film Moonlight. C’est peut-ĂȘtre une coĂŻncidence.

On pourra penser aussi au chemin de Compostelle. Et cela m’a rappelĂ© le rĂ©cit qu’en a fait la journaliste Laurence Lacour dans son ouvrage Jendia, JendĂ© ( Tout homme est homme) . Bien que cĂ©lĂšbre et riche matĂ©riellement et socialement, Seydou Tall accepte de se dĂ©pouiller au fur et Ă  mesure du film. Car ce qui lui importe le plus, finalement, Ă  lui l’autodidacte qui a tout fait pour « rĂ©ussir », n’est pas dans le matĂ©riel. C’est aussi ce que rappelle d’une autre façon- plus douloureuse- le mĂ©decin urgentiste et journaliste Patrick Pelloux dans son livre-tĂ©moignage L’instinct de vie :

« (
.) Contrairement Ă  ceux qui pensent que les indemnitĂ©s ou de l’argent pourraient aider Ă  reconstruire
non, ça, c’est du matĂ©riel, ce n’est pas ça qui va reconstruire. Ce qui aide Ă  se reconstruire, c’est la bienveillance et l’amour ».

 

 

Je crois que les films rĂ©alisĂ©s par Clint Eastwood font mouche parce qu’ils rappellent aussi peu ou prou les mĂȘmes thĂšmes mais dans un style cow-boy, macho. A savoir que ce qui compte le plus, c’est la capacitĂ© de sacrifice et d’hĂ©roĂŻsme dont on est capable pour soi ainsi que pour celles et ceux que l’on dĂ©cide d’aimer et de protĂ©ger.

 

Yao fera sĂ»rement assez peu d’entrĂ©es comparativement Ă  d’autres films sortis ce 23 janvier 2019 et aprĂšs cette date. Car d’autres affiches sont plus attractives. Et Yao est un film «gentil». Il fait et fera peu de bruit. Mais c’est un film tout public qui devrait trĂšs bien vieillir. J’ai plusieurs fois Ă©tĂ© Ă©mu devant ce film avec des larmes en formation. Je comprends qu’Omar Sy ait eu envie d’en faire partie. On parlera sĂ»rement pour lui de film de « la maturitĂ© ». J’ai envie de croire qu’il Ă©tait en France pour assurer la promotion de ce film plutĂŽt que pour Le Chant du Loup d’Antonin Baudry qui sortira le 20 fĂ©vrier. MĂȘme si voir Ă  ses cĂŽtĂ©s François Civil (que j’ai beaucoup aimĂ© dans la premiĂšre ou la deuxiĂšme saison de Dix Pour Cent) et Reda Kateb me donne envie d’aller voir Le Chant du Loup.

 

Sorti le 23 janvier 2019, Yao aurait dĂ» sortir un mois plus tĂŽt car c’est un vrai film de NoĂ«l.

 

Franck Unimon, ce mercredi 30 janvier 2019.

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Echos Statiques

C’est Comportemental !

 

«(….) Mais pas d’inquiĂ©tude : si vous n’ĂȘtes pas physiquement apte Ă  danser Ă  corps perdu, le simple fait de synchroniser de petits gestes de la main avec votre voisin suffira pour que votre cerveau baigne dans le bonheur musical » conclut Aurore Braconnier dans son article Born To Dance (P4-P11) publiĂ© dans le hors-sĂ©rie numĂ©ro 49 (dĂ©cembre 2018) consacrĂ© Ă  la danse de la trĂšs bonne revue Sport & Vie.

 

Il y’a encore quelques annĂ©es, je dansais assez rĂ©guliĂšrement dans des soirĂ©es ou dans certains de ces lieux consacrĂ©s : les boites de nuit. La danse avait dĂ©butĂ© dans l’enfance oĂč, initiĂ© par l’AutoritĂ© paternelle, plus que par ma volontĂ©, j’avais dĂ» me montrer Ă  la hauteur de ma valeur sociale, culturelle et raciale :

« DĂ©pi Ki Ou SĂ© NĂšg Ou Dwet Sav DansĂš ! » (« Tout NĂšgre se doit de savoir danser ! ») dirait un jour mon pĂšre en voyant Ă  la tĂ©lĂ© l’artiste noir amĂ©ricain James Ingram se dĂ©hancher tout en interprĂ©tant le tube Yah-Mo Be There. J’étais alors ado et MichaĂ«l Jackson, avec ses clips, ses pas de danse, sa voix et sa musique de granit, rĂ©gnait sur la musique.

Si je m’étais Ă©coutĂ©, et sans l’intervention de mon pĂšre, aux nombreuses festivitĂ©s antillaises oĂč il nous emmenait (baptĂȘmes, mariages et autres ), je serais plus souvent restĂ© assis, prenant plaisir Ă  regarder le spectacle vivant qui se dĂ©ployait devant moi , Ă  ausculter ces musiques qui prolongeaient l’existence de ce monde et , bien-sĂ»r, Ă  ingĂ©rer toutes ces spĂ©cialitĂ©s culinaires qui dĂ©filaient sur un plateau Ă  portĂ©e de bouche. Lesquelles spĂ©cialitĂ©s culinaires autant que la langue crĂ©ole, la sexualitĂ©, la musique et la famille font partie de l’identitĂ© culturelle antillaise : chaudeau, boudin, accras, colombo, salade de concombres au citron et au piment
.

A la maison, aussi, mon pĂšre maintenait une occupation musicale assez constante. A l’ñge de dix ans, il m’était impossible d’ignorer qui Ă©tait Bob Marley. Jimmy Cliff, OphĂ©lia, CoupĂ© ClouĂ©, James Brown et d’autres tubes de cĂ©lĂ©britĂ©s antillaises ignorĂ©es (sous-estimĂ©es ?) par le Français lambda m’étaient tout autant familiers mĂȘme si je n’en retenais ni les noms ni les titres.

 

J’ignore si je serais entrĂ© un jour de moi-mĂȘme dans la danse. Si j’admire une personnalitĂ© comme la navigatrice Ellen Mac Arthur qui, dans son livre Du Vent dans les RĂȘves, raconte aussi son Ă©tonnement – et sa luciditĂ© !- Ă  apercevoir Ă  17 ans des filles de son Ăąge perchĂ©es sur des talons aiguilles afin de se rendre d’un pas mal assurĂ© vers la boite de nuit du coin –un peu comme on se rend dans un abattoir social- j’ai depuis compris, aussi, la grande force en mĂȘme temps que le Savoir, que la musique et la danse peuvent transmettre Ă  un corps et Ă  une Ăąme. . Et, je regrette, enfant, de n’avoir pas pu ou pas su prendre des notes de ce que je voyais et dĂ©couvrais Ă  ces soirĂ©es antillaises comme Ă  propos de plusieurs de ces titres que j’ai pu entendre. Il est assez vraisemblable qu’avec une camĂ©ra dans les mains, enfant, j’aurais filmĂ© lors de ces soirĂ©es. Un stylo, un crayon ou un pinceau, Ă©crire, dessiner, peindre, ce sont peut-ĂȘtre les moyens du bord pour celle et celui qui ne dispose pas de camĂ©ra ou d’appareil photo et qui s’attache durablement Ă  ce qu’il voit comme Ă  ce qu’il vit mal ou bien.

 

Sans qu’un mot ne se soit jamais Ă©changĂ© sur le sujet entre mon pĂšre et moi, alors qu’ado, j’entamais ma croissance en tant qu’amateur de musique, lui, cessait d’en Ă©couter comme de se procurer des magazines tels que Rock&Folk ou Rolling Stones. Peut-ĂȘtre avait-il renoncĂ© Ă  rĂȘver ? Et, peut-ĂȘtre, est-ce, sensiblement au mĂȘme Ăąge, que j’ai, Ă  mon tour, arrĂȘtĂ© de danser dans quelques lieux ou soirĂ©es, il y’a quelques annĂ©es. Bien que mon attrait pour la musique et la dĂ©couverte de nouveaux genres musicaux et de nouveaux titres soient conservĂ©s. Lorsque j’y rĂ©flĂ©chis, j’ai l’impression que je n’ai plus faim. Et qu’il faut avoir faim d’espaces et de gestes pour avoir envie et besoin de danser. Comme il faut avoir faim pour apprendre Ă  penser autrement ou autre chose. Si l’on est repu, dĂ©sabusĂ© ou dĂ©primĂ©, on se lasse devant le moindre apprentissage et l’on s’en tient Ă  un minimum d’actions et de pensĂ©es.

 

« (
.) Le danseur intĂšgre en effet perpĂ©tuellement des gestes inhabituels et abstraits, ce que les autres espĂšces ne font pas ou exceptionnellement » nous confirme Aurore Braconnier, toujours dans le mĂȘme article ( Page 9) du hors-sĂ©rie numĂ©ro 49 de la revue Sport& Vie mentionnĂ©e au dĂ©but de cet article.

 

Ce dimanche du mois d’octobre dernier, il serait plus qu’exagĂ©rĂ© de dire que j’intĂ©grais des gestes inhabituels et abstraits. J’effectuais certes « les mĂȘmes petits gestes avec la main » que certains de mes voisins directs, prĂ©cĂ©dents ou ultĂ©rieurs, avaient produit ou rĂ©aliseraient, mais je ne me reconnaitrais pas dans l’expression : « (
.) Votre cerveau baigne dans le bonheur musical ». Si j’y avais mis un peu du mien en Ă©coutant de la musique, comme cela se fait dĂ©sormais couramment, au moyen d’un casque ou d’oreillettes, peut-ĂȘtre me serais-je un peu introduit dans le bonheur musical dĂ©crit dans cet article d’Aurore Braconnier. Mais je n’étais pas dans ces dispositions ce jour-lĂ  mĂȘme si tout allait plutĂŽt bien. Comme j’empruntais mon trajet habituel de travail afin de venir- volontairement- effectuer des heures supplĂ©mentaires (rĂ©munĂ©rĂ©es) dans mon service. Et, « les mĂȘmes petits gestes avec la main » que, comme mes voisins, j’effectuais ce jour-lĂ , consistaient au moins Ă  sortir mon Pass Navigo afin de franchir les portes de validation.

 

ArrivĂ© Ă  la gare St-Lazare, je me dirigeais vers l’endroit oĂč j’allais rejoindre la correspondance pour prendre le mĂ©tro. Un trajet que j’avais Ă©tudiĂ© et fini par sĂ©lectionner parmi plusieurs. Le plus direct. Le moins de pas gaspillĂ©s. Je le prenais dĂ©sormais sans rĂ©flĂ©chir. Lorsque les portes de validation ont refusĂ© de me laisser passer, je ne me suis pas formalisĂ©. Assez rĂ©guliĂšrement, Ă  cet endroit, il arrive que ces portes de validation soient capricieuses. Mais je finis toujours par passer. AprĂšs plusieurs passages de mon Pass Navigo sur la borne, Ă  un moment donnĂ©, la porte de validation me laisse entrer. Lorsque l’on se rend au travail ou Ă  un rendez-vous, l’enjeu d’un parcours le plus fluide possible est simple : Moins on perd de temps pour passer d’un endroit d’une gare Ă  un autre, et moins on prend le risque de rater notre correspondance et de devoir attendre sur le quai des minutes supplĂ©mentaires dont on aurait pu se passer. Et, j’avais finalement choisi ce trajet pour cette raison.

Mais ce dimanche, ça ne passe pas pour moi malgrĂ© plusieurs tentatives avec mon Pass Navigo tout Ă  fait valide. Finalement, un autre usager qui passe aprĂšs moi rĂ©ussit, lui, Ă  passer. TrĂšs poliment, il me retient la porte afin que je puisse passer Ă  mon tour. Je le remercie. Je passe et commence Ă  descendre les marches. Et, lĂ , un homme en civil peu aimable avec un brassard autour du bras se dirige vers moi. Avec autoritĂ©, il me demande une piĂšce d’identitĂ©. Je m’exĂ©cute tout en lui expliquant tout de suite : « Les machines ne marchent pas ». L’homme ne me rĂ©pond pas. Ma carte d’identitĂ© dans la main, je comprends qu’il me sĂ©questre alors qu’il m’intime de le suivre un peu plus loin oĂč, prĂšs d’un mur, dans un angle oĂč il est impossible de les apercevoir lorsque l’on se trouve prĂšs des portes de validation, se trouvent des contrĂŽleurs en tenue. Le flic, car, pour moi, il ne peut s’agir que d’un agent de police, remet ma piĂšce d’identitĂ© Ă  un des contrĂŽleurs sans prendre la peine de restituer un seul des mots que je viens de lui Ă©noncer et qui sont, pourtant, des faits :

Ces portes de validation marchent quand elles « veulent » et quand elles peuvent. Je peux en tĂ©moigner puisqu’il s’agit de mon trajet habituel de travail.

Une fois sa mission effectuĂ©e avec « efficacitĂ© » (interpeller toute personne qui franchit les portes “sans” valider son titre de transport), le flic repart se mettre Ă  son poste. Comme si je n’avais jamais existĂ©. Je n’aurai du reste plus le moindre contact avec lui.

Pour moi, c’est dĂ©cidĂ© dĂšs le dĂ©but de mon « interpellation » : Je refuse de payer une quelconque amende pour des machines qui dysfonctionnent !

J’explique au contrĂŽleur que j’ai bien prĂ©cisĂ© Ă  l’agent de police que les portes de validation ne marchent pas. Celui-ci m’écoute un petit peu. ContrĂŽle mon Pass Navigo. Puis, constatant qu’il est en rĂšgle, me dit trĂšs vite :

« C’est un Pass Navigo. Je ne vous le fais pas ! ». Traduction : « Je ne vous mets pas d’amende». Mais je suis encore sous le coup de l’agression de cette interpellation absurde et bornĂ©e : Plusieurs agents de la police et de la RATP (environ une dizaine) sont lĂ , en embuscade, en contrebas de ces marches d’escaliers afin de harponner des usagers fraudeurs. Mais aucun d’entre eux ne se prĂ©occupe du bon Ă©tat de fonctionnement des portes de validation comme du confort des usagers qui, comme moi, sont en rĂšgle, et doivent pourtant rĂ©guliĂšrement se farcir les dĂ©sagrĂ©ments occasionnĂ©s par des dĂ©rĂšglements techniques qui sont de la responsabilitĂ© au moins de la SNCF et de la RATP. Entreprises que les usagers- comme moi- paient. Cela, j’essaie de l’expliquer au contrĂŽleur.

Mais il n’est pas de mon avis.

Il me rĂ©pond qu’il y’a d’autres portes de validation en cas de problĂšme. Il ajoute :

« C’est comportemental. Si des usagers vous voient faire ça, ça les poussera Ă  faire pareil ». Son argument se tient. Mais oĂč se trouvent ces autres portes de validation dont il me parle ?! J’aimerais bien qu’il me les montre vu qu’il s’agit quand mĂȘme de mon trajet de travail et que je n’ai jamais remarquĂ© ces autres portes dont il me parle ! Et, menant le geste Ă  la parole, je lui indique de me montrer ! Et, il me montre.

En effet, Ă  deux ou trois mĂštres sur la gauche des portes de validation que j’emprunte habituellement, je dĂ©couvre d’autres portes de validation.   Sur le panneau indicatif qui les surplombe, sont signalĂ©es d’autres lignes de mĂ©tro que la mienne. Ce qui est sans doute la raison pour laquelle, si un jour – lors de mes premiers passages- j’avais portĂ© un vague regard sur ce panneau indicatif, mon cerveau avait rapidement Ă©liminĂ© cet itinĂ©raire et cette information. Sans prendre la peine de venir regarder, contrĂŽler, de prĂšs. Sauf que lĂ , “guidĂ©” en quelque sorte par le contrĂŽleur qui vient de contredire mes affirmations et mon expĂ©rience d’usager, je prends le temps d’aller regarder oĂč mĂšnent ces portes de validation dont il vient de me parler.

Le suspense est trĂšs court :  Je me rapproche. Et, en prenant le temps de les regarder, je dĂ©couvre qu’en passant par ces portes de validation, je peux ensuite facilement rejoindre mon itinĂ©raire de travail.  Jusqu’alors, je ne l’avais jamais remarquĂ© et je n’y avais jamais pensĂ©. Je m’Ă©tais persuadĂ© que si je prenais cet itinĂ©raire, donc ces autres portes de validation situĂ©es Ă  deux ou trois mĂštres Ă  gauche de celles que je prends habituellement, que cela serait impossible. J’Ă©tais convaincu que ce trajet Ă©tait sĂ©parĂ© de mon trajet par un mur. Sauf que le mur Ă©tait, dans les faits, dans ma tĂȘte. C’Ă©tait une construction de mon esprit. Et, j’Ă©tais restĂ© focalisĂ© sur mon seul trajet.  Sur “mes” portes de validation habituelles . Celles que j’avais sĂ©lectionnĂ©es de maniĂšre dĂ©finitive.  Et,  une fois celles-ci  sĂ©lectionnĂ©s, face Ă  un problĂšme de dysfonctionnement de leur part, au lieu d’essayer d’élargir mon champ d’horizon, de pensĂ©e et d’action, je m’Ă©tais obstinĂ© Ă  rester dans la mĂȘme logique : passer uniquement par ces portes de validation habituelles. Un peu comme si j’Ă©tais mariĂ© avec elles pour la vie. Pour le meilleur et pour le pire. Et qu’il m’avait Ă©tĂ© impossible de concevoir de leur faire une petite “infidĂ©litĂ©” en quelque sorte. De prendre un peu de libertĂ© par rapport Ă  leur fermeture rigide et obstinĂ©e. En cela, avant d’ĂȘtre confrontĂ© Ă  ce contrĂŽleur, je m’Ă©tais montrĂ© aussi rigide et aussi obstinĂ©, aussi butĂ©, que ces portes de validation. 

J’ai failli ĂȘtre sanctionnĂ© d’une amende, voire de plus si je m’Ă©tais agitĂ© ou rebellĂ©, parce-que je suis un usager des transports “fidĂšle”…Ă  des portes de validation qui ne me calculaient pas.  

 

On peut dire beaucoup Ă  propos de cette expĂ©rience. D’abord, ce flic, pour moi, reste un individu et un professionnel qui suscite la colĂšre. Une attitude comme la sienne, transposĂ©e dans un autre mĂ©tier, aussi terre Ă  terre, aussi butĂ©e, suscitera de la colĂšre chez d’autres personnes. Mais comme c’est un flic, toute personne qui, Ă  ma place, se serait rĂ©voltĂ©e physiquement ou verbalement au delĂ  de ce qui est « tolĂ©rable » sur un espace public en prĂ©sence d’un reprĂ©sentant de la loi ou de l’ordre, se serait retrouvĂ©e malmenĂ©e au moins physiquement. Fort heureusement pour moi, lors de cette situation d’interpellation, en dĂ©pit du stress de la situation, j’ai pu rester calme, confiant et capable de me maitriser et de m’exprimer « convenablement » : de façon policĂ©e et assez facilement comprĂ©hensible et supportable. Mon comportement a donc demandĂ© assez peu d’efforts d’adaptation intellectuelle, morale, culturelle, psychologique et physique Ă  mes interlocuteurs policier, et contrĂŽleur.

Ce contrĂŽleur « comportementaliste », on peut avoir envie de le critiquer. D’autant que celui-ci n’a pas compris mon insistance lorsque j’ai essayĂ© de lui faire comprendre ce qu’il pouvait y avoir de violent dans le fait de se faire interpeller par le flic comme je l’ai Ă©tĂ© alors que je suis en rĂšgle. Et que je n’ai fait que m’adapter quant Ă  moi au dysfonctionnement d’une machine dont je ne suis pas responsable. Ce contrĂŽleur ne semble pas non plus avoir compris que je me sois aussi exprimĂ© pour de futurs usagers Ă©ventuels qui, comme moi, alors qu’ils auront un Pass Navigo ou un titre de transport en rĂšgle, ne penseront pas Ă  se rendre vers les autres portes de validation, et se comporteront comme moi si celles-ci bloquent. Ce qu’il m’a traduit de la façon suivante : « Je suis gentil, je ne vous mets pas d’amende et vous essayez encore de nĂ©gocier ! Sinon, ça ferait 60 euros Ă  payer sur place ! ». Je lui ai rĂ©pondu que je voyais bien le geste de gentillesse. Mais que j’essayais de lui faire comprendre que j’étais de bonne foi ! La bonne foi, il la percevait bien m’a-t’il rĂ©pondu. Mais sa perception demeurait comportementaliste. Nous nous sommes sĂ©parĂ©s sur un « Bon week-end » sans amende.

 

Quel est le rapport avec ces articles sur la danse ?

Le plus facile pour moi qui Ă©tais en colĂšre serait de spontanĂ©ment dĂ©clarer que cet agent de police qui m’a contrariĂ© a Ă©tĂ© incapable « d’intĂ©grer perpĂ©tuellement » des gestes mais aussi des pensĂ©es inhabituels. Il m’a vu passer Ă  la suite d’un autre usager et en a dĂ©duit que j’étais en fraude. Par contre, il n’a pas vu ou il lui a Ă©tĂ© impossible de concevoir que j’aie pu essayer au moins cinq fois – en changeant de porte de validation- de passer au moyen de mon Pass Navigo parfaitement valide. Cela pour la version la plus optimiste.

Car la version la plus pessimiste donnerait ceci : Cet agent de police savait que les portes de validation Ă©taient dĂ©fectueuses. Mais, sciemment, afin de faire du chiffre en termes de contrĂŽle et se donner et donner l’illusion d’une efficacitĂ©, il a interceptĂ© toutes les personnes qui, comme moi, ce jour-lĂ , ont eu le mĂȘme comportement.

Personnellement, je crois à la version optimiste qui est déjà suffisamment irritante.

Je pourrais aussi avancer que le contrÎleur « comportementaliste », aussi, a eu du mal à

« intĂ©grer» une pensĂ©e et des gestes inhabituels. Sauf que, dans cette histoire, il est aussi celui qui a pris la dĂ©cision de ne pas me donner d’amende. Et de dĂ©sarmer tout de suite la crise ou l’injustice Ă©ventuelle. Ce en quoi, j’ai eu de la chance. Et, je l’en remercie encore. Car si je m’étais trouvĂ© face Ă  un contrĂŽleur aussi bornĂ© que l’agent de police, il m’aurait Ă©tĂ© plus difficile d’éviter une amende.

En outre, le contrĂŽleur que j’ai croisĂ© m’a dĂ©montrĂ©/rappelĂ©, qu’au lieu de foncer tĂȘte baissĂ©e vers les mĂȘmes portes de validation et vers les mĂȘmes dĂ©cisions qu’il importe, aussi, de savoir prendre le temps de regarder un peu autour de soi. Aussi, je dois conclure que, dans cette expĂ©rience, j’ai aussi eu beaucoup de mal, au moins par habitude, Ă  « intĂ©grer perpĂ©tuellement des gestes inhabituels et abstraits ». Cette habitude vient aussi de notre façon d’apprendre.

 

Toujours dans ce numĂ©ro de la revue Science & Vie que j’ai citĂ©, il est aussi dit : « (
..) Les chercheurs Timothy Lee, Stephan Swinnen et Sabine Verschueren ont montrĂ© en 1995 que, mĂȘme aprĂšs soixante essais pratiques, le cerveau ira toujours dans le sens des mouvements qu’il connaĂźt. Ce n’est qu’aprĂšs 180 essais qu’il reproduira systĂ©matiquement le nouveau schĂ©ma de mouvements » (interview de Deborah Bull, ancienne ballerine du Royal Ballet de Londres, par Aurore Braconnier, P24-31 dans Sport & Vie Hors sĂ©rie numĂ©ro 49).

 

 

 

Et, Ă©galement dans cette interview de Deborah Bull, nous apprenons que, selon Paul Fitts et Michael Posner, nous savons depuis 1967 que l’apprentissage d’une habiletĂ© motrice se dĂ©roule en « trois Ă©tapes » : D’abord, « la phase cognitive ». « A ce stade, les erreurs sont frĂ©quentes et, bien que l’on sache gĂ©nĂ©ralement que l’on fait quelque chose de mal, on ignore comment le corriger ». Puis, vient « la phase associative oĂč on commence Ă  associer certains indices au mouvement. Les normes de performance deviennent un peu plus cohĂ©rentes et on commence Ă  dĂ©tecter certaines de nos erreurs ». Enfin, « AprĂšs une pratique sĂ©rieuse et soutenue – qui peut prendre de nombreuses annĂ©es- certaines personnes (pas toutes) entrent dans la troisiĂšme phase, la phase autonome. Maintenant, la compĂ©tence est devenue presque automatique. On n’a plus besoin de penser Ă  ce que l’on fait et on peut souvent effectuer une autre tĂąche en mĂȘme temps – comme parler Ă  une camĂ©ra pendant que l’on danse ou tenir une conversation pendant que l’on conduit. C’est le mode pilotage automatique. On possĂšde tous un vaste rĂ©pertoire de compĂ©tences quotidiennes que l’on exĂ©cute automatiquement ».

 

J’ai Ă©tĂ© suffisamment autonome pour me rendre jusqu’à ces portes de validation en « mode pilotage automatique ». L’incident causĂ© par ce double contrĂŽle (policier et contrĂŽleur ) m’a donnĂ© la possibilitĂ© de me rappeler comment, finalement, cette forme de confort peut aussi faire perdre
une certaine autonomie de pensĂ©e et d’action et me rendre hors-service.

Lorsque je suis repassé aprÚs ma journée de travail, une affiche spécifiait que les portes de validation en question étaient hors-service.

 

 

Je prends toujours le mĂȘme trajet. Il ne m’est plus arrivĂ© la mĂȘme mĂ©saventure depuis.

 

Franck, ce lundi 21 janvier 2019. ,

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Cinéma

Don’t Forget Me un film de Ram Nehari

 

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Don’t Forget Me un film de Ram Nehari (Sortie en salles ce 30 janvier 2019)

 

 

 

 

 

 

Nation prĂ©maturĂ©e – au sens oĂč un bĂ©bĂ© nait prĂ©maturĂ©ment- entraĂźnĂ©e par son instinct de survie, IsraĂ«l est devenue une grande Puissance Ă©conomique, politique, culturelle et militaire. Refuge, prodige et espoir pour certains, elle est aussi cet Etat exterminateur qui en confine d’autres dans la colĂšre et le dĂ©sespoir. Pour cela au moins, IsraĂ«l a le visage de l’HumanitĂ©. On peut classer les films qui nous montrent certaines facettes du visage d’IsraĂ«l comme des Ɠuvres de propagande et les condamner. On peut aussi les regarder. Car qu’on les aime ou qu’on les rejette, ils nous parlerons de nous.

 

Dans Don’t Forget Me, ce visage situĂ© entre les consciences du passĂ©, du prĂ©sent et de l’avenir, entre celles de l’Orient et l’Occident, entre celles de la vie et la mort, est principalement celui de Tom et Neil ( ou Niel). Tom ( l’actrice Moon Shavit), prĂ©nom ou surnom d’homme sur un corps de femme, et Neil ( l’acteur Nitai Gvirtz), prĂ©nom du premier astronaute- et du premier homme- Ă  prendre pied sur la lune sont les guirlandes qui vont nous guider Ă  travers certains orifices de l’Etat d’IsraĂ«l. Ce sont deux ĂȘtres Ă  la lisiĂšre de plusieurs mondes. Tom le dit Ă  un moment du film : « Je suis un millier de choses ».

 

 

 

 

IsraĂ«l, de par son statut gĂ©opolitique, est un monde Ă  part. Tom et Neil essaient d’incruster leurs univers Ă  l’intĂ©rieur de ce monde. Une fois passĂ©s les check-points et les faux-semblants de la rĂ©ussite de la sociĂ©tĂ© israĂ©lienne. Ce film dĂ©plaira donc Ă  toutes celles et Ă  tous ceux qui prĂ©fĂšrent donner ou exporter d’IsraĂ«l l’image exclusive d’un pays glamour ou exotique. Mais ce film heurtera aussi toute personne qui recherche une comĂ©die facile.

 

J’avais faim en entrant dans la salle. Je venais pourtant de prendre mon petit-dĂ©jeuner. La faim m’est passĂ©e pendant le film. L’affiche sentimentale du film est trompeuse. Il y’a bien une histoire d’amour. Mais c’est Ă©videmment la reprĂ©sentation de l’ange dominant un dĂ©mon Ă  l’arriĂšre-plan qui illustre le mieux la routine de Tom et Neil. L’une est aux arrĂȘts dans un centre pour troubles alimentaires aprĂšs avoir Ă©tĂ© identifiĂ©e/diagnostiquĂ©e comme anorexique. Le second est en rĂ©mission. AprĂšs un passĂ©- que l’on devine plus ou moins long- dans un Ă©tablissement psychiatrique, Neil essaie de rattraper les notes du Temps. Sur la lune, ce serait peut-ĂȘtre possible. Mais nous sommes en IsraĂ«l.

 

 

 

 

Disque rayĂ©, le sourire de Tom et celui d’autres protagonistes du film font d’elles (ce sont majoritairement les femmes, dans ce film, qui s’ankylosent dans le sourire) des cousines de Lara-Victor dans le film Girl de Lukas Dhont. Sauf que plusieurs de leurs simulacres sont dĂ©masquĂ©s par une camĂ©ra qui se fait parfois la traĂźne des soignants qui, ici, font plutĂŽt penser Ă  des matons emmurĂ©s dans le protocole. Devant certaines scĂšnes et certaines rĂ©pliques, on criera peut-ĂȘtre au film « glauque ». J’ai prĂ©fĂ©rĂ© y trouver un certain humour noir- jubilatoire et cathartique- comme Nehari renverse plusieurs fois le schĂ©ma des normes et de la biensĂ©ance.

 

Il est connu que les personnes ( ce sont majoritairement des adolescentes ou des femmes) anorexiques ont des corps de rescapĂ©s d’espaces concentrationnaires alors qu’elles vivent gĂ©nĂ©ralement dans des conditions matĂ©rielles leur permettant de « bien » s’alimenter. Don’t Forget Me, plutĂŽt rĂ©aliste pour restituer le climat d’un centre de troubles alimentaires, nous en donnera un aperçu dans une scĂšne qui est le contre-pied total de bien des scĂšnes Ă©rotiques et romantiques de la vie et du cinĂ©ma.

 

Plus d’une heure trente dans cet environnement aurait Ă©tĂ© quelque peu Ă©touffant. Aussi, Ram Nehari nous fait-il sortir de tout ça en permettant Ă  Tom et Neil de se retrouver Ă  l’extĂ©rieur. Cela nous apporte, comme Ă  eux, une bouffĂ©e d’air. Mais Ram Nehari, contrairement Ă  Tom et Neil, est en rĂšgle avec le rĂ©el. Le repas de famille chez les parents de Tom est un des “sommes-mets” les plus dĂ©lectables  ( TrĂšs bonne prestation de l’actrice Rona Lipaz-Michael dans le rĂŽle de la mĂšre de Tom) de ce film qui, s’il indisposera, est pourtant plus qu’à consommer. On doit bien pouvoir trouver dans celui-ci quelques correspondances avec le cinĂ©ma d’un Yorgos Lanthimos, d’un Robert Altman ou d’un Todd Solondz.

 

Jeunes adultes IsraĂ©liens, Tom et Neil sont en exil dans leur vie et dans leur pays qui leur sont des mondes interdits. Ram Nehari nous dit que malgrĂ© toute sa puissance et ses succĂšs, plusieurs gĂ©nĂ©rations aprĂšs la Shoah, IsraĂ«l a des enfants et des parents qui ne savent pas vivre. Ensemble comme sĂ©parĂ©ment. L’intelligence sur-effective, mais aussi affective, d’une Tom et l’optimisme naĂŻf d’un Neil n’y suffisent pas. Et ceux qui, Ă  l’instar d’Alon ( l’acteur Eilam Wolman), incarnent ces jeunes IsraĂ©liens aisĂ©s, insouciants et cosmopolites sont guettĂ©s par les addictions, le vide et la violence.

MĂȘme le langage est une terre de dĂ©ception. Il est tantĂŽt une bande qui tourne Ă  vide et qu’il faut faire semblant d’écouter- pour ne pas blesser l’autre- ou un organe plutĂŽt propice au dĂ©veloppement de sentiments d’abandon et de dĂ©solation en donnant de mauvaises nouvelles. Ram Nehari ne parle pas de la Palestine. Ou pas directement.

 

Mais le sourire de Tom est bien fait de ce mĂ©tal hurlant jusqu’au soleil couchant. Celui d’un certain inconscient qui refuse d’ĂȘtre oubliĂ© et de disparaĂźtre.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 18 janvier 2019.

Ps : le film est bien meilleur que la bande annonce et les photos.

 

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Voyage

Mise en bouche

J’espĂšre bientĂŽt vous faire dĂ©couvrir la chanteuse Mama Toumani Kone. En attendant, voici  un petit tour d’horizon de quelques assiettes rencontrĂ©es entre l’Ă©tĂ© et l’hiver. Prix de la dĂ©couverte :

20 euros au maximum Ă  chaque fois.

 

Il y’a d’abord eu le restaurant vĂ©gĂ©tarien et vegan Too.Ti Bon à Lannion. C’est un peu loin de Paris.

Mais on a aussi le droit de s’y rendre. Nous y sommes allĂ©s dĂ©jeuner avant de nous rendre Ă  la mer.   Je voulais un autre repas qu’une galette. ExtĂ©rieurement, l’endroit m’a fait bonne impression. Ce restaurant a Ă©tĂ© une trĂšs bonne surprise. C’Ă©tait effectivement trĂšs bon. L’absence de viande a Ă©tĂ© trĂšs vite engloutie.

 

La clientĂšle Ă©tait variĂ©e. J’ai discutĂ© avec un couple. Si je me rappelle-bien, Monsieur Ă©tait Australien et Mme venait d’un  pays comme la Hollande. Ils m’ont appris que le restaurant oĂč nous nous trouvions Ă©tait rĂ©putĂ© et recommandĂ© dans les guides.

 

 

Quelques semaines plus tard, aprĂšs ĂȘtre allĂ© voir le film The Spy Gone North,  j’avais faim. L’effet de la guerre froide entre la CorĂ©e du Nord et la CorĂ©e du Sud ou l’heure tout simplement. Pour remĂ©dier Ă  cela, je suis allĂ© dĂ©couvrir des spĂ©cialitĂ©s chinoises.

Sympathique et connectĂ©, le patron m’a accueilli avec le sourire. Mais il Ă©tait un petit peu inquiet lorsque je lui ai dit que je comptais crĂ©er un blog. Il craignait que je critique sa boutique. J’ai Ă©crit le nom du blog sur un bout de papier. Il l’a gardĂ© avec prĂ©caution. C’Ă©tait en septembre-octobre…

A cĂŽtĂ© de moi, une habituĂ©e m’a appris venir de province. J’ai bien perçu que ce restaurant avait ses initiĂ©s. La clientĂšle semble plutĂŽt ĂȘtre constituĂ©e de cadres dĂ©contractĂ©s. En tout cas lorsque j’y Ă©tais sur l’heure du dĂ©jeuner.

Ces petites boules cuites Ă  la vapeur peuvent contenir du salĂ© comme du sucrĂ©. Du fromage comme de la viande. En en prenant cinq, je me demandais si j’aurais encore faim ensuite. On m’a assurĂ© que cela parlerait Ă  ma faim. On a eu raison de me dire ça. La nourriture est bien-sĂ»r une histoire de palais et d’Ă©ducation. J’ai mangĂ© mes “boules” sans rechigner. Elles portent Ă©videmment un autre nom que j’ai la fainĂ©antise, ce soir, de retrouver. Seraient-ce des Bao ?

HĂ© oui, c’est bien ça. L’endroit peut ĂȘtre un peu petit lorsqu’il y’a du monde. Mais, par temps calme, il doit ĂȘtre bien agrĂ©able de s’y poser. Ici, nous sommes prĂšs des Halles dans le premier arrondissement de Paris.

Puis, petit dĂ©tour par le 18Ăšme arrondissement avec ce repas dĂ©crit dans l’article Etat Satisfaisant . 

La prĂ©sentation est diffĂ©rente mais le repas avait ses atouts. De tous les plats prĂ©sentĂ©s dans cet article, celui-ci Ă©tait le plus copieux ( voici lĂ  le repas servi pour une personne) et le moins onĂ©reux. Se mĂ©fier, sur la feuille d’aluminium de droite, des petits copeaux verts : plutĂŽt que des signes d’espoir, il s’agit de piment Ă  l’Ă©tat sauvage qui prend souche dans la bouche et vous la rend seulement aprĂšs qu’elle se soit livrĂ©e Ă  la confession. Depuis, j’ai cherchĂ© ce restaurant sur le net. Il y est introuvable.

Bon ! Il est temps de conclure. Ce matin, je suis allĂ© Ă  la projection de presse de Don’t Forget Me de Ram Nehari. Je l’avais ratĂ© la derniĂšre fois. J’en parle dans l’article Don’t Forget Me . Je parlerai bientĂŽt du film.

AprĂšs l’avoir vu, je suis passĂ© par l’Italie . Depuis la rue, en apercevant le restaurant J Ghiotti, dans le 17Ăšme,  on devine que l’on est ici dans de la cuisine authentique. Et non dans une quelconque chaine Ă  pizzas. D’ailleurs, pas de pizza sur la carte, c’est un signe, non ?

L’accueil est d’abord serrĂ©, le sourire, avalĂ©. Mais le service est prĂ©cis.

J’avais oubliĂ© ce que c’Ă©tait que de se rendre seul au restaurant. C’est aussi agrĂ©able. On regarde les gens. On Ă©coute ce qui se raconte Ă  cĂŽtĂ© de soi. On contemple ce qui nous environne. Les menus sont en Italien. Je crois avoir commandĂ© un Rigatoni Alla Personna . Pas de viande.

Et c’est trĂšs bien. En cinq minutes, mon assiette est vide. Quelques minutes plus tard, Attenzione ! Le Tiramisu du chef. Son goĂ»t surprend un peu au dĂ©but. Car je suis trĂšs traditionnel avec le Tiramisu.  Mais ça se dĂ©guste. Comme le sourire de la serveuse qui est apparu.

 

Franck, ce jeudi 17 janvier 2019.

 

 

 

 

 

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Echos Statiques

Combats de boxe

« Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, ainsi que tous les films, les    « idoles », les Ă©missions ou les documentaires qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©s ou en dĂ©coulent sont une activitĂ© de bourrins pour des gogos qui ont de l’argent Ă  dĂ©penser et des corps Ă  estropier ».

C’est Ă  peu prĂšs ce que pensent, ont pensĂ© ou penseront des gens « biens », rĂ©flĂ©chis
et « non-violents ». Les combats de boxe, la grande diversitĂ© des sports de combats, c’est, d’un commun accord, de la sueur, des corps des deux sexes qui se confrontent et se choquent, de la souffrance, quelques fois des hĂ©matomes et un peu de sang, parfois des blessures et aussi des destructions irrĂ©versibles pour certaines et certains pratiquants. Mon mĂ©decin du sport m’a parlĂ© d’un boxeur qui avait pris tellement de coups qu’à partir de la trentaine, celui-ci Ă©tait obligĂ© de prendre des notes chaque fois qu’on lui parlait afin de se remĂ©morer ce qu’on venait de lui dire : « ChĂ©ri, je te quitte avec ton meilleur ami. RĂ©ponse type : Attends ma puce, je vais chercher mon cahier et un stylo pour noter tout ce que tu viens de me dire ». On pourrait penser au film Memento de Christopher Nolan mais dans le film de Nolan, le hĂ©ros n’est pas un boxeur. Ou alors j’ai dĂ©jĂ  reçu tellement de coups que je l’ai oubliĂ©.

 

La boxe et les sports de combat ont une mauvaise image auprĂšs d’un certain public. Voire le sport tout court. Chaque sport, de combat ou non, comporte des risques et il est nĂ©cessaire d’en respecter et de savoir en faire respecter les rĂšgles. Pour cela, il existe des MaĂźtres, des professeurs, des Ă©ducateurs, des formateurs, des mĂ©decins, des fĂ©dĂ©rations, des arbitres, des rĂšgles. Et, avant cela, il existe des parents, des tuteurs. Et des pratiquants conscients d’eux-mĂȘmes, de leurs possibilitĂ©s comme de leurs limites et de leurs erreurs, car ils auront appris Ă  se connaĂźtre au travers des Ă©preuves, des apprentissages et des instructions diverses – y compris thĂ©oriques- qu’elles et ils auront reçus ou seront allĂ©s chercher. Personnellement, j’ai fini par comprendre qu’une grande partie des blessures physiques liĂ©es au sport survient souvent alors que l’on a une vulnĂ©rabilitĂ© affective particuliĂšre. PrĂ©sentĂ©s comme cela la boxe et les sports de combats ressemblent dĂ©jĂ  un peu moins Ă  des pratiques de bourrins et de fanatiques pour gogos. MĂȘme s’il s’y trouve des bourrins, des fanatiques et des gogos comme ailleurs. Mais, au moins, ces bourrins et ces fanatiques-lĂ  se dĂ©ploient-ils Ă  visage dĂ©couvert et acceptent de se retrouver seuls face Ă  des adversaires plus ou moins prĂ©venus et plus ou moins prĂ©parĂ©s : un jour, la dĂ©faite de ces bourrins et fanatiques peut ĂȘtre aussi violente- dans les rĂšgles- que n’a pu l’ĂȘtre leur carriĂšre victorieuse si celle-ci l’avait Ă©tĂ©.

 

Si l’on a besoin d’un peu plus de « preuves » intellectuelles et littĂ©raires de ce que la boxe ou les sports de combat peuvent permettre comme rĂ©flexion sur la condition humaine, des ouvrages comme De La Boxe de Joyce Carol-Oates, Un GoĂ»t de rouille et d’os de Craig Davidson (dont le rĂ©alisateur Jacques Audiard s’est inspirĂ© pour son film), ceux de F.X Toole dont on se souvient du Million Dollar Baby adaptĂ© au cinĂ©ma par Clint Eatswood donneront un certain aperçu.

 

Pour la suite de cet article, ma conviction est que, de toute façon, qu’on le veuille ou non, notre quotidien est fait de ces combats de boxe que nous perdons ou que nous gagnons. Mais aussi de ceux que nous Ă©vitons sciemment- Ă©galement avec raison- et de beaucoup d’autres dont nous subissons les coups et les consĂ©quences parce-que nous les ignorons : nous n’avons pas ou plus connaissance de leur existence depuis si longtemps.

Aujourd’hui, c’est le premier jour (l’article a commencĂ© Ă  ĂȘtre rĂ©digĂ© ce 9 janvier 2019) des soldes dans notre pays. Nous serons des milliers ou des millions Ă  nous demander s’il y’a une petite affaire Ă  en tirer. Hier, je me suis ainsi rendu dans un magasin de chaussures afin de bĂ©nĂ©ficier de trente pour cent de rĂ©duction grĂące Ă  un code promotionnel utilisable en vente privĂ©e. Au lieu de me repĂ©rer et de m’insulter – encore toi ?!- comme on le ferait avec un poivrot qui, toujours, croit voir pousser son avantage dans le prochain verre, le vendeur m’a reçu et        « conseillĂ© ». Ensuite, sa collĂšgue, Ă  peu prĂšs la moitiĂ© de mon Ăąge, a fait de mĂȘme. Souriante et disponible, elle avait sĂ»rement le sentiment de me rendre service. Toutes les dĂ©marches ont Ă©tĂ© enregistrĂ©es sur un Ipad 3 (j’ai demandĂ©, sĂ©duit par l’ergonomie du clavier. Mais je n’ai pas cherchĂ© Ă  l’acheter) afin que le modĂšle de chaussures que j’ai choisi – et payĂ©- me soit livrĂ© dans quelques jours Ă  mon domicile. AprĂšs avoir Ă©tĂ© joint par tĂ©lĂ©phone par l’entreprise de livraison. Cette façon de consommer Ă©tait inconcevable lorsque j’étais enfant et que mes parents m’emmenaient essayer des chaussures dans le magasin Bata ou AndrĂ© du coin.

Hier, cette nouvelle façon de procĂ©der avait bien-sĂ»r quelque chose de pratique : Je suis reparti satisfait, avec l’assurance de bientĂŽt recevoir l’objet de mes dĂ©sirs. Si celui-ci ne me convient pas, je pourrai toujours le retourner et me faire rembourser. C’est donc moi qui ai tout pouvoir de dĂ©cision. En plus, j’ai bĂ©nĂ©ficiĂ© d’un tarif promotionnel avant le dĂ©but des soldes : mĂȘme si je sais que tant d’autres en ont Ă©galement bĂ©nĂ©ficiĂ© dans ce magasin ou un autre, cela me donne de prĂšs ou de loin le sentiment d’ĂȘtre privilĂ©giĂ©. Car, bien-sĂ»r, je suis persuadĂ© d’avoir besoin de cette nouvelle paire de chaussures. MĂȘme si notre sociĂ©tĂ© cultive le manque, en extrait et en exploite la quintessence et me l’implante rĂ©guliĂšrement dans l’aorte. Si bien que, mĂȘme si je suis prĂ©occupĂ© par l’avenir Ă©cologique, j’ai assez rĂ©guliĂšrement la sensation – presque dĂ©lirante et hallucinatoire- d’ĂȘtre privĂ© ou d’avoir Ă©tĂ© privĂ© de quelque chose. Soit en regardant les autres, soit en voyant tout ce que la sociĂ©tĂ© nous « offre ». Du fait de cette sensation de manque, certains de mes achats sont sans doute et ont sans doute Ă©tĂ© des achats « de revanche », une revanche illusoire Ă©videmment, plutĂŽt que des achats de rĂ©elle nĂ©cessitĂ©. Et comme n’importe quelle personne dĂ©pendante, j’ai souvent cru avoir le contrĂŽle sur ma consommation.

Il y’a quelques mois encore, alors que j’étais en plein entretien professionnel en vue d’obtenir un poste dans un service spĂ©cialisĂ© dans les addictions, cette question, sans doute rituelle, est tombĂ©e :

« Avez-vous des addictions ? ».

Je me suis empressĂ© de rĂ©pondre : « Non, non, je n’ai pas d’addiction
. ». J’étais alors dans l’ignorance et dans le dĂ©ni, persuadĂ© que le mot « addiction » Ă©tait une part de moi honteuse Ă  mĂȘme de me faire Ă©chouer Ă  l’entretien. J’étais aussi mal prĂ©parĂ© Ă  cet entretien car un tout petit peu de rĂ©flexion m’aurait facilement permis de rĂ©pondre diffĂ©remment.

Car, au sujet de nos addictions ou dépendances, les faits sont plus durs et aussi imparables que certains uppercuts:

L’image pĂ©jorative du boxeur, c’est celle du bourrin attardĂ© dont les traits du visage et les pensĂ©es sont des dessins abĂźmĂ©s. Celle, pĂ©jorative, de la personne dĂ©pendante ou addict, c’est, Ă  l’extrĂȘme, celle du toxicomane peut- ĂȘtre celle du junkie qui se prostitue et est prĂȘt Ă  prostituer son perroquet, sa grand-mĂšre ou son enfant pour une dose. Alors que sans en arriver Ă  cette situation extrĂȘme, je le rĂ©pĂšte, la personne dĂ©pendante, ce peut aussi ĂȘtre celle ou celui qui fixe en permanence l’écran de son ordinateur, de sa tablette ou de son smartphone mĂȘme lorsqu’il est en prĂ©sence de son collĂšgue, conjoint, ami, enfant ou semblable.

Bien-sĂ»r, il n’y’a pas de dĂ©lit Ă  cette dĂ©pendance – ou addiction- sociale, Ă  celle-ci et Ă  d’autres telles que le recours au crĂ©dit et au dĂ©couvert bancaire. Car ces addictions- sociales et Ă©conomiques- sont lĂ©gales, encouragĂ©es, et nous sommes consentants ou supposĂ©s ĂȘtre en mesure de disposer de tout notre discernement lorsque nous nous y adonnons. Car, officiellement, nous sommes des individualitĂ©s et des ĂȘtres libres. Tel est l’intitulĂ© de notre naissance. Nous sommes libres et Ă©gaux en droits. Aussi, notre usage d’une certaine consommation est-il le rĂ©sultat de notre vocation : Nous sommes faits pour ce produit, cette paire de chaussures, ce smartphone, cet ordinateur, ce crĂ©dit, cet Ă©cran de tĂ©lĂ©viseur, et, pourquoi pas, pour cette femme-ci plutĂŽt qu’une autre, pour cette Ă©cole-lĂ  pour notre enfant. Nous sommes faits pour cela car c’est ce que nous « choisissons » et peu importe si nos choix sont trĂšs influencĂ©s par nos moyens – supposĂ©s- du moment.

Le terme de « vocation » est ici trĂšs trouble, peut-ĂȘtre fourbe, car il suggĂšre une prĂ©destination vertueuse alors que pour beaucoup, une vocation se prĂ©sente ou se dĂ©cide parce-que l’on a Ă©tĂ© privĂ© dĂšs l’enfance, parfois ou souvent avant mĂȘme notre naissance, de la capacitĂ© consciente et Ă©conomique de comparer afin d’arrĂȘter notre vĂ©ritable choix.

Pour ce qui est des soldes, je peux sans doute me rassurer en me disant que je consomme moins qu’avant d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale et, aussi, que, quitte Ă  le faire, autant que ce soit durant les soldes dĂšs lors que c’est mesurĂ©, rĂ©flĂ©chi, et , si possible, Ă  la baisse. C’est peut-ĂȘtre, ce que dans un service d’addictologie, on appelle une rĂ©duction des risques. AprĂšs tout, celles et ceux qui suivent un rĂ©gime amincissant continuent bien de manger. Mais c’est leur façon de manger, leurs habitudes de vie et alimentaires, qui changent.

 

La vraie richesse et la vĂ©ritable libertĂ© consistent sans doute Ă  disposer de maniĂšre Ă©quilibrĂ©e de ses capacitĂ©s conscientes- donc morales, intellectuelles, psychologiques, physiques- et Ă©conomiques avant de faire des choix. Il y’a donc trĂšs peu de personnes libres contrairement Ă  ce qui se dit.

 

Nous sommes des millions voire des milliards ultra-connectĂ©s et nous sommes presque tout autant Ă  ĂȘtre ultra-isolĂ©s. Cela nous fait perdre bien des combats. Ce 7 janvier, cela faisait quatre ans que l’attentat de Charlie Hebdo avait eu lieu. Le 8 Janvier, cela faisait quatre ans que la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe- « alors qu’elle Ă©tait appelĂ©e pour un banal accident de la route »- Ă©tait abattue Ă  Montrouge par le terroriste qui, le lendemain, le 9 janvier 2015, allait attaquer l’Hyper-Casher de Vincennes. En janvier 2015, des gens se battaient en faisant la queue pour se procurer le numĂ©ro de Charlie Hebdo de l’aprĂšs-attentat. Des millions de gens dĂ©filaient le 11 janvier 2015 « pour » Charlie et aussi, sans doute, pour l’Hyper-Casher. Y compris des chefs d’Etat et des personnalitĂ©s politiques cherchant Ă  se placer au bon endroit afin d’ĂȘtre bien vus des photographes et des mĂ©dia.

Assez vite, des dissonances sont apparues : un compatriote m’expliquait qu’en Guadeloupe, la marche du 11 janvier « pour » Charlie avait plutĂŽt Ă©tĂ© perçue comme une marche « raciste » car rien n’avait Ă©tĂ© dit ou fait ce jour-lĂ  en mĂ©moire de la policiĂšre Clarissa Jean-Philippe, noire et antillaise.

Des « Je suis Charlie » cessaient de l’ĂȘtre car en dĂ©saccord avec l’humour et des articles de l’hebdomadaire. Certains de ces ex « Je suis Charlie » regrettant que les terroristes aient mal accompli leur travail le 7 janvier 2015.

Certains intellectuels et journalistes, aussi, ont critiqué et critiquent Charlie Hebdo pour sa persistance à aborder certains sujets : Les intégrismes religieux islamistes et catholiques par exemple.

Des membres de Charlie Hebdo ont quittĂ© le journal depuis. J’ai d’abord cru que c’était dĂ» aux effets- trĂšs comprĂ©hensifs- du traumatisme post-attentat. J’ai compris rĂ©cemment que des dissensions parmi les membres du journal aprĂšs l’attentat Ă©taient peut-ĂȘtre la cause principale de certains de ces dĂ©parts. Et que certains de ces ex-confrĂšres, lorsqu’ils se croisent dĂ©sormais, ne « se disent plus bonjour ».

Et puis, il y’a eu cette intervention rĂ©cente de Zineb El Rhazoui, « la journaliste la plus menacĂ©e de France » (ou du monde ?) dans l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson. J’en ai eu connaissance hier soir, par hasard, en tombant sur un post d’un « ami Facebook » et ex-collĂšgue du mensuel Brazil.

Zineb El Rhazoui, une des rescapĂ©es de l’attentat du 7 janvier 2015, ex-journaliste de Charlie Hebdo Ă©galement, a aussi Ă©crit sur l’attentat du Bataclan le 13 novembre 2015 (13 Zineb raconte l’enfer du 13 novembre avec 13 tĂ©moins au cƓur des attaques, Ă©ditions Ring). Livre que j’ai achetĂ© et sur lequel j’écrirai sĂ»rement comme j’ai parlĂ© du film Utoya dans la rubrique CinĂ©ma. Cela m’a un peu dĂ©rangĂ© que Zineb El Rhazoui passe dans l’émission de Thierry Ardisson car je le perçois, lui, un peu comme un animateur tĂ©lĂ© opportuniste ( autant que les autres ?). Mais le principal Ă©tait sans doute que Zineb El Rhazoui puisse venir s’exprimer sur un plateau tĂ©lĂ©. Et sans doute qu’il valait mieux venir s’exprimer dans l’émission de Thierry Ardisson plutĂŽt que dans celle d’un autre animateur tĂ©lĂ©…ou dans le vide.

Dans cet extrait d’intervention d’environ deux minutes, j’ai regardĂ© et Ă©coutĂ© cette jeune et belle femme dire comment, en tant que rescapĂ©e de l’attentat du 7 janvier 2015, elle avait personnellement ressenti ce 7 janvier 2019, ce « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron. Ce mĂ©pris que les gilets jaunes (8 Ăšme ou 9 Ăšme samedi de mobilisation de suite) ont Ă©voquĂ© pour expliquer leur colĂšre et leur mouvement. Zineb El Rhazoui Ă©tait visiblement Ă©mue. Elle en a expliquĂ© les raisons. Sur le plateau tĂ©lĂ©, la sympathie et l’empathie Ă©taient prĂ©sentes. Je me suis pourtant demandĂ© dans quelle solitude elle allait se retrouver ensuite, une fois qu’elle aurait quittĂ© ce plateau tĂ©lĂ©. Comme plusieurs des survivants de Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui vit dĂ©sormais sous escorte. Ce qui comprime beaucoup sa vie personnelle et sociale Ă  l’image sans doute d’un Roberto Saviano. Ou, dans un autre registre, d’un Edward Snowden ou d’un Julian Assange.

Je n’ai pas le courage – et sans doute ni l’extra-luciditĂ©- d’une Zineb El Rhazoui. Lequel courage (libertĂ©, tĂ©mĂ©ritĂ©, tĂ©nacitĂ© ou inconscience) s’était manifestĂ© bien avant qu’elle rejoigne la rĂ©daction de Charlie Hebdo. Je ne la connais pas. Je ne la rencontrerai sans doute jamais. Et si je la rencontrais, je ne vois pas ce que je pourrais lui dire Ă  elle comme Ă  d’autres -qui risquent leur vie avec leur culture et leur intelligence pour leurs idĂ©es- de consistant. Mais je peux la nommer elle et d’autres. Ce que je viens de faire. Et, ce faisant, je contribue un peu moins Ă  sa mort directe ou indirecte, car ne pas ou ne plus nommer les ĂȘtres, ne pas ou ne plus penser Ă  eux, c’est, d’une façon ou d’une autre, les faire disparaĂźtre ou les laisser disparaitre.

 

Avant le 7 janvier 2015, je ne lisais pas Charlie Hebdo. J’avais essayĂ©, une fois, plusieurs annĂ©es auparavant, alors que Philippe Val dirigeait encore le journal. Je n’avais pas aimĂ© le style ainsi que le contenu. Si j’ai un peu de chance, vu que je garde beaucoup de choses, je retrouverai ce numĂ©ro un jour. Depuis le 7 janvier 2015, je lis Charlie Hebdo. Je trouve un certain nombre de leurs articles trĂšs bien Ă©crits et instructifs. Il s’y parle bien-sĂ»r de l’intĂ©grisme islamiste puisque c’est celui-ci qui constitue leur Hiroshima mĂ©moriel. En cela, pour moi, Charlie Hebdo est le journal d’un deuil impossible. Mais dans Charlie Hebdo, on y parle aussi beaucoup d’autres actualitĂ©s telles que les gilets jaunes, l’écologie, les migrants, la souffrance infirmiĂšre dans les hĂŽpitaux ( il y’a quelques mois, le journal avait sollicitĂ© les tĂ©moignages de personnels exerçant dans les milieux de la santĂ©), la politique en France et ailleurs
.

En commençant Ă  Ă©crire cet article, je n’avais pas prĂ©vu de parler autant de Charlie Hebdo. De L’hyper-casher, de Clarissa Jean-Philippe (qui « a » depuis ce 11 janvier 2019 une allĂ©e qui porte son nom dans le 14Ăšme arrondissement de Paris). Il ne s’y trouvait d’ailleurs aucune ligne mentionnant Charlie Hebdo, Zineb El Rhazoui, Edward Snowden, Roberto Saviano, Julian Assange. Tout au plus avais-je prĂ©vu de mentionner, tout de mĂȘme, l’attentat de Charlie Hebdo le 7 janvier. Il est tellement de situations immĂ©diates, quotidiennes, qui nous Ă©prouvent et nous prennent. Mais nous sommes aujourd’hui le lundi 14 janvier 2019. Presqu’une semaine est passĂ©e depuis que j’ai commencĂ© la rĂ©daction de cet article. Nous sommes nombreux Ă  ĂȘtre assignĂ©s trĂšs tĂŽt Ă  une fonction, un statut, une façon de penser ou une particularitĂ© et Ă  croire que cela est dĂ©finitif. PlutĂŽt que de m’en tenir dĂ©finitivement Ă  la premiĂšre version de cet article, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© l’ouvrir Ă  ce qui m’avait ouvert, moi, entre-temps.

 

Sur un ring, le boxeur a une acuitĂ© maximale. Car il sait et sent intuitivement que sa vie en dĂ©pend. La vie de Zineb El Rhazoui et d’autres personnalitĂ©s – y compris parmi leurs adversaires idĂ©ologiques- ressemble Ă  cela. Sauf que certains coups que l’on reçoit dans la vie sont tellement vicieux. Tellement imprĂ©visibles. Tellement protĂ©gĂ©s derriĂšre des armĂ©es de diffĂ©rentes espĂšces. DerriĂšre de vastes immunitĂ©s. Il nous faut apprendre Ă  les encaisser et Ă  les esquiver dĂšs qu’on le peut. Mais dans la vie de tous les jours, on ne peut pas tout le temps vivre aux aguets, les poings fermĂ©s et les yeux ouverts. MĂȘme un boxeur professionnel et expĂ©rimentĂ© ne peut pas le faire indĂ©finiment sur un ring. Alors, dans la vie de tous les jours, certaines et certains en profitent. D’autres donnent des coups sans le savoir et aussi parce qu’ils ne peuvent pas faire autrement avant d’apprendre Ă  avoir une conscience et Ă  changer de comportement. Et aussi, parce-que, mĂȘme s’ils feront du mal Ă  quelques uns, ils feront du bien Ă  beaucoup d’autres.

D’oĂč l’importance de (savoir) bien s’entourer, de disposer de lieux de rĂ©sidences- et de retraits- sĂ»rs et de savoir entretenir des relations de bon voisinage et en bonne intelligence y compris avec des personnes que notre instinct premier nous donnerait plutĂŽt envie de rejeter ou de dĂ©fier. Cette façon de raisonner contredit ce que j’ai pu Ă©crire plus haut ou est une maniĂšre lĂąche et hypocrite de se dĂ©filer ?

Je repense Ă  Christophe, mon ex-rĂ©dacteur en chef de Brazil alors qu’au festival de Cannes, j’avais Ă©tĂ© content de lui montrer des photos que je venais d’acheter. Parmi elles, une photo de Jet Li. Christophe avait eu une mine dĂ©pitĂ©e. Lui, dĂ©fenseur d’un cinĂ©ma d’auteur indĂ©pendant, face Ă  un de « ses » journalistes lui montrant une photo d’un acteur de cinĂ©ma grand spectacle a priori sans fondement. Mais Jet Li est un artiste martial. Et, aussi bon soit-il, et il l’est, toute personne qui s’y connaĂźt un tout petit peu en films d’art martiaux sait qui est Bruce Lee. Dans son dernier film, Operation Dragon, alors qu’il se rend, mandatĂ© par le gouvernement britannique, Ă  un tournoi d’art martial, Bruce Lee croise un combattant teigneux prĂȘt Ă  se bagarrer Ă  tout bout de champ. ProvoquĂ© par celui-ci, Bruce Lee lui rĂ©pond : « Disons que mon art consiste Ă  combattre sans combattre ».

 

Mais on peut prĂ©fĂ©rer cette conclusion qui reprend mot pour mot les propos d’un manager, Thibaut Griboval, sur son site sixty-two.be, bien qu’au dĂ©part, son orientation libĂ©rale me crispe. Car celle-ci a souvent tendance Ă  mettre dans la lumiĂšre celles et ceux qui « rĂ©ussissent » et Ă  gommer tous les autres qui se sont fracassĂ©s en cours de route en essayant de rĂ©ussir :

« Nous entrons plutĂŽt dans une Ă©conomie de la crĂ©ativitĂ©, oĂč le leader est celui qui sait ouvrir des portes, voire des avenues, dans un espace surchargĂ© d’informations, difficilement lisible ».

On peut aussi s’en tenir Ă  Ă©prouver une certaine culpabilitĂ©. Comme celle que j’ai ressentie ce samedi, en croisant deux gilets jaunes, alors que je me rendais Ă  nouveau dans un magasin pour profiter des soldes. Ou hier soir en Ă©coutant et en voyant Zineb El Rhazoui parler du « mĂ©pris » du PrĂ©sident Macron lors de l’émission tĂ©lĂ©visĂ©e de Thierry Ardisson.

Quoiqu’il en soit, aujourd’hui ou demain, un ou plusieurs combats de boxe avec soi-mĂȘme auront lieu.

Franck Unimon, ce lundi 14 janvier 2019.