Les algorithmes puissants d’internet ou de youtube m’ont amené cette nuit à regarder un documentaire d’une trentaine de minutes en replay sur Arte consacré au sujet des addictions à la pornographie. J’y ai découvert le témoignage de quelques jeunes Allemands (des hommes exclusivement), plutôt d’un bon milieu socio-culturel apparemment ( journaliste….) qui ont développé cette addiction.
Ps : Concernant notre addiction à nos écrans et aux vidéos qui nous sont très facilement proposées sur nos ordinateurs, tablettes et smartphones via internet, et aux conséquences possibles de cette addiction, je vous invite à lire l’ouvrage Algocratie (vivre libre à l’heure des algorithmes) d’Arthur Grimonpont, paru en 2022.
Cette nuit, après avoir studieusement regardé ce documentaire sur l’addiction à la pornographie, toujours sur « recommandation» des algorithmes, parmi plusieurs propositions manifestement aiguisées par mes navigations précédentes, j’ai regardé un second documentaire d’une trentaine de minutes (c’est la durée à laquelle je me suis limité, que je me suis astreint cette nuit à ne pas dépasser) consacré à ces personnes ( des « hippies ») venant se «réfugier » sur l’ile des Canaries afin d’y changer de vie.
Dans ce documentaire, nous voyons quatre personnes vivant dans une grotte ou ayant vécu dans une grotte. Des personnes de 30-45 ans (même si un homme de 62 ans, devenu riche après avoir travaillé dans l’immobilier, est ensuite venu se joindre à eux) sans enfants.
On pourrait se dire : après avoir prétendu s’intéresser aux addictions en regardant un documentaire tout de même consacré à la pornographie, voilà que maintenant il se mate un documentaire sur un mode de vie inspiré des hippies. Alors que l’on sait très bien que les hippies ne sont pas les derniers pour s’envoyer en l’air et partouzer.
Comme on peut se dire, aussi, que « Changer de vie, les addictions », ces deux sujets semblent peut-être ne rien avoir en commun.
Il est vrai que ce ne sont pas ces deux documentaires « nocturnes » abordant le sujet de l’addiction à la pornographie et de la volonté de changer de vie qui m’ont inspiré le titre de « dissociation » pour ce chapitre. Chapitre, qui, pour ce blog, se résumera à cet article.
En revanche, il y a une forme de dissociation dans le fait, d’une part, que des algorithmes prennent le relais de multiples et incessantes incantations ou sollicitations sociales, culturelles, économiques, publicitaires, mensongères, informationnelles, politiques ou autres pour tenter de tirer parti -et profit- de nos failles psychologiques afin de nous faire adopter des comportements qui nous contredisent, nous nuisent et nous font ignorer nos besoins les plus évidents. Et, d’autre part, le fait qu’un métier comme celui d’infirmier consiste plutôt à être au chevet de celles et ceux qui ont des failles psychologiques et autres sans volonté voire sans espoir d’en tirer un quelconque profit économique et/ou politique.
D’un côté, une société qui « s’enrichit » économiquement avec méthode en vampirisant les forces vives d’une majorité d’êtres humains. En lui faisant payer le prix fort en termes de santé physique, mentale, économique et autre.
D’un autre côté, des infirmières et des infirmiers (pour ne parler que de ces « acteurs » de la santé sociale mais aussi mentale et physique) qui puisent ou ont constamment à puiser dans leurs ressources et leurs réserves personnelles ( qui peut encore croire que la seule application d’horaires à la minute, de protocoles, de slogans, de « trucs », de « recettes », de séances de méditation et de yoga et de cours appris à l’école suffisent pour s’appliquer à veiller sur les autres pendant une bonne quarantaine d’années ?! ) pour en soutenir d’autres, et qui, parallèlement à cela, trinquent et subissent comme la majorité les coûts et les coups de la vie sans s’enrichir matériellement à l’image de ces nouvelles grandes fortunes ou de ces milliardaires qui passent souvent pour des génies, des pionniers, des visionnaires, ou des personnes d’autant plus respectables, exemplaires et indispensables qu’elles ont :
« réussi ».
Qu’est-ce que la réussite ? Pour moi, ce serait de ne pas être pris , d’abord, pour une serpillère ou un domestique. Mais, également, de ne pas être essoré, bousillé, cancérisé et déprimé alors que je suis jeune et désireux de vivre. De parvenir à me maintenir, le plus longtemps possible, en bonne ou en très bonne santé mentale et physique. Ou que, en cas de défaillance de ma part, qu’il se trouvera suffisamment de personnes autour de moi pour intervenir rapidement afin de veiller sur moi afin de me sauver, de me protéger et de m’aider à me remettre sur pied.
Mais aussi pour me conseiller, me guider voire m’escorter hors de ce qui peut m’ atteindre ou me nuire.
Au vu de ces quelques critères, je ne suis pas sûr que la réussite soit au rendez-vous pour beaucoup de monde y compris pour moi-même.
Et, cela, malgré tous les efforts ou sacrifices consentis, jour après jour, année après année en échange d’une éventuelle, future ou hypothétique reconnaissance sociale, économique et personnelle.
Amen.
La reconnaissance faciale est peut-être plus certainement ce qui risque de m’attendre au lieu de la grande reconnaissance sociale attendue par tous après bien des années d’efforts, de responsabilités, de sacrifice et de travail.
Pourtant, constamment, nous baignons dans une sorte de liquide et d’ambiance amniotique, pour ne pas dire hypnotique, qui nous laisse croire ou entrevoir que réussite et bonheur crépitent, gisent – voire, rugissent- et se répandent à nos pieds telles des cascades auxquelles il suffirait de s’abreuver. Alors même que la réussite et le bonheur nous glissent entre les doigts ou que nous n’en apercevons que les reflets sans cesse difractés et qui, bien-sûr, s’éloignent « un peu » lorsque nous en approchons.
Ma vision, lors de ce dernier dimanche du mois de juillet, un mois de grandes vacances estivales, est sans doute trop pessimiste. Pourtant, je n’ai pas promis de me tuer cette nuit ou avant l’arrivée du mois d’aout 2023. Et encore moins de me muter en grand gourou ou en marabout.
Ni gourou, ni loup-garou, j’aimerais seulement être sûr de pouvoir et de savoir quand arrêter de m’agiter lorsque l’on me présente, comme cela arrive fréquemment, toutes sortes d’opportunités, d’affaires à ne pas manquer et des bons coups qui sont, finalement, des plans foireux ou stériles, pour ne pas dire des plans de désespoir, des pertes de temps, d’argent et d’énergie.
Dire qu’il faut apprendre à faire le tri ne suffit pas.
Je crois qu’il faut aussi être discipliné. Savoir être discipliné. Apprendre à se discipliner. Apprendre à rester lucide et concentré. Et clairvoyant. Ne pas partir dans tous les sens.
C’est à dire :
Savoir rester suffisamment attentif et perméable à ce qui nous entoure sans pour autant se laisser ou se faire embarquer n’importe où et vers n’importe quoi, n’importe qui.
Savoir rester ancré.
En se mettant dans un état finalement assez proche d’une certaine…dissociation.
Je sais que ce terme de « dissociation » fait partie des symptômes d’une maladie psychiatrique. Mais je sais aussi que ce terme est employé, selon moi à bon escient, au moins par Léo Tamaki, un expert en Aïkido qui se reconnaîtra s’il parcourt les lignes de cet article et qui en sourira certainement ( lire Les 24 heures du Samouraï au dojo d’Herblay ce 20 et ce 21 Mai 2023, 2ème édition ).
Nous ne parlons sans doute pas de la même dissociation, bien-sûr. Au sens psychiatrique, la dissociation emporte ou dévie son sujet ou sa victime. Un peu comme un sous-marin qui, par cinquante ou cent mètres de fond, prendrait l’eau par ses écoutilles et qui tenterait de rester maitre de sa trajectoire et de sa vitesse malgré la force des courants et les grands volumes d’eau qui le perturbent de plus en plus.
Le terme « dissociation » employé par cet expert en Aïkido pourrait aussi être employé par un musicien, un batteur par exemple, lorsque celui-ci est capable, avec sa main droite de réaliser de façon répétée et harmonieuse un geste différent de celui de sa main gauche. Et l’on pourrait dire ça, bien-sûr, d’une pianiste. Ou d’une personne adepte du jonglage.
Un exemple simple de cette action très difficile à maitriser- la dissociation- me suffira, je pense, pour l’illustrer.
Récemment, j’ai revu sur youtube ( dont les séduisants et puissants algorithmes savent nous retenir pendant des heures devant des vidéos qu’ils nous proposent) un extrait de ce concert du bassiste Foley McCreary avec le batteur Chris Dave. Ils étaient accompagnés du saxophoniste Zhenya Strigalev. Voici la vidéo en question. Si « sa majesté » Youtube accepte que je la partage :
https://youtu.be/2ZaMEGnI5iQ
C’était à Londres aux alentours de 2009 dans une reprise spéciale de You are underarrest, un titre interprété par Miles Davis dans les années 80.
Au début du titre, Foley McCreary décide d’une ligne de basse qu’il répète. Une ligne de basse qu’on pourra estimer comme « simple » si l’on fait abstraction du fait que Foley est un exceptionnel joueur de basse et que, nous, nous sommes surtout les spectateurs moyens d’un concert de musique ou, plus simplement :
Nous sommes des amateurs de musique qui regardons des professionnels qui sont, généralement, aussi, des passionnés ou des « fous » de musique.
Je ne suis pas certain que je pourrais vraiment supporter de passer plusieurs jours de suite avec ces musiciennes et musiciens que j’admire. De suivre leur rythme de vie intégralement. Car celles-ci et ceux-ci, probablement, me parleraient de musique, parleraient de musique et joueraient de la musique bien au delà de ce que je serais capable de supporter. Et sans doute, cette analogie est-elle possible avec d’autres artistes ou des Maitres d’Arts martiaux comme avec toute personne passionnée par et pour….sa discipline. Peut-être aussi peut-on se dire que cette passion serait aussi envahissante et dévorante que certains délires, mal maitrisés et mal canalisés, qui amènent certaines personnes à se retrouver enfermées…dans un service de psychiatrie. Ou isolées de leurs proches.
Dans cette vidéo, neuf minutes durant, Foley » le mutant » va tenir sa ligne de basse malgré les « attaques » rythmiques variées de Chris Dave et ses chorus avec le saxophoniste Zhenya Strigalev.
On pourrait s’amuser à imaginer que Chris Dave et Zhenya Strigalev sont des algorithmes qui font tout pour détourner Foley McCreary de ses limites et de sa ligne de basse. Pour nous, spectateurs et amateurs de musique, ces neuf minutes de musique sont une expérience hors norme. Et un très grand plaisir si l’on aime ce genre de musique. Foley McCreary réalise devant nous la dissociation parfaite.
Sauf que dans la vraie vie, nous sommes rarement des Foley McCreary. Et, en plus, il nous faut tenir bien plus que neuf minutes par vingt quatre heures pour tenir notre propre cap. Celui qui nous assure de nous rapprocher véritablement de ce qui nous convient véritablement.
Ce samedi 14 janvier 2023, à l’hôpital Sainte Anne, nous sommes une petite dizaine à être venus écouter et rencontrer Marc Valleur. Marc Valleur, psychiatre retraité, est aussi celui qui était devenu médecin chef de Marmottan, dans le 17ème arrondissement de Paris, à la suite de Claude Olievenstein (1933-2008) qu’il a bien connu.
Marmottan, situé rue Armaillé entre l’avenue des Ternes et des Champs Elysées, qui compte aussi un CMP et un hôpital de jour pour public adulte, à côté du musée Marmottan, s’est fait connaître internationalement pour ses services de consultation et d’hospitalisation spécialisés dans le traitement des addictions.
Marmottan, le service spécialisé dans le traitement des addictions, avait été ouvert en 1971 par Claude Olievenstein (aussi surnommé « Olive » ou « Monsieur Drogue ») et dépendait à l’origine administrativement du centre hospitalier Perray-Vaucluse ouvert en 1869 dans l’Essonne (d’abord asile puis hôpital psychiatrique). Marmottan a fêté son cinquantenaire à la salle de concerts la Cigale ainsi que par des portes ouvertes, des expositions et diverses manifestations lors du premier week-end de décembre 2021.( La ferveur de Marmottan)
Ce matin du 14 janvier 2023, Marc Valleur est devant nous lors de ce séminaire proposé un samedi par mois par Claude Orsel, à l’hôpital Sainte Anne, dans le 14 ème arrondissement de Paris.
Avec Claude Olievenstein, psychiatre, Claude Orsel (né en 1937), psychiatre et psychanalyste, a été un des pionniers du traitement des toxicomanies en France en fondant l’Abbaye en 1969 à St Germain des Prés.
Un samedi matin par mois, à l’hôpital Sainte Anne, dans le service du Dr Xavier Laqueille, psychiatre, Claude Orsel propose ce séminaire Psychothérapies, Psychanalyse et Addictions ( P. P. A) Transfert et Contre-Transfert.
L’accès à ce séminaire – qui se déroule de 9h30 à 12h30- est libre après avoir pris contact au préalable avec Claude Orsel.
S’il s’y trouve généralement des professionnels très expérimentés- voire retraités- dans le traitement des addictions, dont plusieurs ont connu Claude Orsel et travaillé avec lui, il arrive aussi que des patients de celui-ci y soient présents et participent.
Un certain nombre des participants et des intervenants amène avec lui un imposant abattage théorique, conceptuel mais aussi pratique. La moyenne d’âge avoisine la bonne cinquantaine d’années.
Mentionner la présence de tous ces « psy » (psychiatres, psychothérapeutes, psychologues, psychanalystes…) pourrait donner l’impression que ces séminaires – filmés par Claude Orsel- sont des cercueils marbrés d’ennui et de théories. Alors qu’ils sortent plutôt des clous et des colonnes.
La psychiatrie et la société semblent dotées de moyens pour s’accroître en priorité comme des technologies et des pharmacies ombilicales par lesquelles et vers lesquelles nous sommes constamment entraînés, faisant de nous des sidérurgies sidérées et jamais à jour malgré nos libertés.
Un tel séminaire est une pause dans ces processus de constitution de notre cécité que nous connaissons tous. D’autant plus que chaque fois que je peux y assister, j’ai l’impression de recueillir une toute petite parcelle de cette très grande Histoire et de cette grande Culture de la pensée, du soin, de la psychiatrie, de la psychanalyse et de la Santé mentale inaperçues par et pour la majorité. Ce séminaire fait partie de ces moments où j’ai l’impression de me retrouver au pied de certaines immensités de connaissances et d’expériences trop largement ignorées.
Des immensités ou des personnalités, dans diverses disciplines (pas seulement dans le domaine de la Santé mentale comme lors de ce séminaire autour de Marc Valleur ) à côté desquelles je suis aussi beaucoup passé moi-même, en m’en remettant beaucoup à l’habitude, à la facilité de mes certitudes mais aussi au hasard où à mon volontariat là où l’on a bien voulu de moi.
Alors que ces immensités nous aident ou peuvent nous aider à vivre.
Ce matin, je marque un temps d’arrêt en voyant posé sur la table, devant Claude Orsel, l’ouvrage La lionne du barreau de Clarisse Serre (aux éditions Sonatine) accompagné de cette accroche sur la page de couverture :
« Je suis une femme, je fais du pénal, j’exerce dans le 9-3, et alors? ».
Fin décembre, dans la librairie de ma ville, après avoir récupéré mes livres, j’étais tombé sur cet ouvrage dans les rayons. Je l’avais un peu feuilleté, tenté de le prendre avant de me décider finalement à différer son acquisition…
Amusé par mon intérêt soudain pour ce livre, ce samedi matin, Claude Orsel, m’a lancé :
« Vous pouvez le prendre si vous le voulez. Je ne sais pas combien je l’ai acheté… ».
J’ai opté pour partir m’asseoir en laissant le livre à sa place et à son propriétaire.
Marc Valleur prend la parole
Marc Valleur est arrivé à Marmottan en 1974. Au départ, il s’occupait spécifiquement des toxicomanes :
Héroïne, Cocaïne, Crack.
En 1974, l’Abbaye et Marmottan étaient les services pilotes pour s’occuper des toxicomanes.
En 1981, il a commencé à parler de conduite ordalique. Après la mort de plusieurs patients par overdose qui ont beaucoup éprouvé les soignants, Marc Valleur a commencé à penser à la notion de conduite ordalique.
Dans la conduite ordalique, il y a une perception positive et subjective de la conduite à risque : Le risque et le danger étaient attirants.
Les toxicomanes prenaient des produits car c’était dangereux.
Marc Valleur cite l’ouvrage Sorcellerie et ordalies (paru en 1974) d’Anne Retel-Laurentin (médecin et ethnologue décédée) pour parler des épreuves par le poison.
Marc Valleur :
« Dans le jeu de l’argent, on ne s’injecte pas le produit mais le joueur est représenté par son enjeu ».
Marc Valleur cite Le Joueur et Les Frères Karamazov de Dostoïevski ainsi que l’ouvrage Figures du crime chez Dostoïevski (paru en 1990) de Vladimir Marinov (psychologue et psychanalyste).
En 1991-1992, le jeu est alors peu abordé en psychanalyse.
En 1997, Marc Valleur écrit un Que sais-je ? sur le jeu. Après la parution de ce livre, des joueurs ont commencé à demander à consulter à Marmottan. Des joueurs ont pu dire :
« Le crack, j’arrête quand je veux. Moi, c’est le jeu que je n’arrive pas à arrêter ».
Cette nouvelle attention portée aux joueurs pathologiques a d’abord suscité du scepticisme au sein des Pouvoirs publics. Un scepticisme partagé au sein de Marmottan lorsque les soignants ont appris qu’ils allaient être amenés à s’occuper aussi de joueurs pathologiques.
Marc Valleur relate qu’un soignant du service d’hospitalisation de Marmottan avait d’abord éclaté de rire lorsqu’il lui avait annoncé la venue d’un patient joueur pathologique. Le soignant avait cru que c’était une blague.
Marc Valleur explique : « Le toxicomane faisait peur. Cela donnait un côté sulfureux à Marmottan. Le joueur, ça faisait rire ».
Marc Valleur ajoute qu’il existait aussi des images préconçues du toxicomane et du joueur.
Le toxicomane était vu comme quelqu’un « de gauche (politiquement), maigre et qui s’opposait au système ». Alors que le joueur, lui, était vu comme quelqu’un « de droite (politiquement), gros, bourgeois et portant de grosses bagues… ».
Et, puis, très vite, les soignants du service d’hospitalisation de Marmottan se sont aperçus que c’était plus dur avec les joueurs qu’avec les toxicomanes.
En 2006, les Pouvoirs publics montrent leurs premiers signes d’intérêt pour les joueurs pathologiques.
En 2008, une étude de l’INSERM parle du jeu pathologique.
A partir de 2006-2008, le regard sur les joueurs a commencé à changer.
2010 marque le début de la libéralisation des jeux en ligne. A partir de là, les joueurs addict commencent à véritablement être pris en considération.
« Le joueur tente Dieu en lui posant des questions » selon une perception théologique du jeu.
En 2010, le poker et les paris en ligne se développent. Mais, contrairement aux prévisions (sauf pendant le confinement dû à la pandémie du Covid ) le poker en ligne s’est peu développé. Ce sont plutôt les paris sportifs qui ont connu un grand essor sur internet.
Robert Ladouceur (né en 1945), psychologue, auteur et chercheur québecois, spécialisé dans les jeux d’argent et de hasard, souligne les problèmes de croyance chez les joueurs. (croyances et cognitions erronées des joueurs)
« Il faut que je rejoue pour que je me refasse ». Les joueurs croient avoir la préscience.
Il existe une illusion de contrôle chez les joueurs alors que le hasard l’emporte souvent.
Marc Valleur cite un article psychanalytique datant de 1914 intitulé Le plaisir de la peur et l’érotisme anal. Marc Valleur dit que cet article « n’est pas génial » mais qu’il est une première tentative de comprendre le jeu.
Selon la vision freudienne, en 1928, la chance et la malchance peuvent représenter les puissances parentales.
Dostoïevski, lui-même, a été un joueur pathologique. Il est donc très pointu pour parler du jeu.
En 1945, Fenichel (psychiatre et psychanalyste autrichien décédé en 1946) parle des addictions sans substances.
En 1954, Skinner (psychologue et penseur américain décédé en 1990) écrit un article sur les machines à sous qu’il décrit comme « le meilleur conditionnement pour faire payer les gens ».
Erving Goffman (sociologue et linguiste américain d’origine canadienne, 1922-1982) a écrit sur le jeu.
Le joueur s’imagine qu’il va influer sur le destin.
On aime jouer car on se retrouve dans un monde magique et dans un espace qui n’est pas la vie quotidienne. Le jeu est quelque chose de très sérieux.
Le contraire du jeu, c’est la réalité quotidienne.
Les croyances erronées font partie de l’intérêt du jeu.
Marc Valleur cite l’ouvrage En passant par hasard écrit en 1999 par Gilles Pagès (mathématicien) et Claude Bouzitat.
Les gens jouent « pour le vertige du risque ». Les joueurs non pathologiques arrivent à faire en sorte que le jeu n’ait pas d’incidence sur leur vie.
R, un des patients de Claude Orsel, assis à droite de Marc Valleur, se présente comme « joueur depuis 35 ans ». R…parle de sa frustration, de son échec. Et de son amertume. Il parle de ses expériences précoces du jeu qu’il a faites très tôt.
R : « On essaie de se convaincre qu’on est bon à quelque chose ». R dit que sa première addiction a été une addiction aux écrans à l’âge de 8 ans.
Marc Valleur commente :
« La télévision est la grande addiction mondiale…mais personne n’en parle ». « Il y a une seule personne en 50 ans qui est venue à Marmottan pour une addiction à la télévision.. ».
Pour soigner une addiction, Marc Valleur insiste sur :
Une approche multimodale (sociale, familiale et autre…)
La qualité de l’accueil (« Ce qui se passe au premier entretien est déterminant » ; « Une thérapie, c’est l’exégèse de ce qui s’est dit au premier entretien »)
La qualité de la relation
Marc Valleur poursuit :
« Le but de l’Abbaye et de Marmottan, c’était de créer…de recevoir les personnes sans conception canonique du traitement et du soin…De recevoir la personne et, à partir de là, après l’avoir écoutée, de voir ce que l’on peut faire ».
Marc Valleur nous recommande particulièrement de lire The Great Psychotherapy Debate écrit par Wampold et Imel (paru en 2015).
Marc Valeur précise que toutes les méthodes thérapeutiques « marchent » et ont de très bons résultats. Et qu’il n’existe pas une méthode thérapeutique meilleure qu’une autre.
(Je m’abstiens de dire que l’on peut sûrement transposer cela dans beaucoup de disciplines comme dans les méthodes de combats et les Arts Martiaux : la personnalité du combattant importe plus que les techniques de combats ou les Arts martiaux qu’il a « appris » ou pratique. La personnalité du Maitre ou du professeur importe plus que les techniques ou les Arts martiaux qu’il enseigne…).
Marc Valleur souligne qu’il est des mauvais thérapeutes qui, pourtant, sont « très compétents » en termes de formation et de connaissances.
Marc Valleur me confirme que, plus que les thérapies, le plus important, c’est la rencontre. La qualité de l’accueil. La qualité de la relation thérapeutique.
Marc Valleur parle aussi de ces patients qui en savent beaucoup plus sur l’objet de leur addiction que le thérapeute lui-même. Il cite l’exemple d’un patient addict aux jeux vidéos qui ne sortait plus de chez lui et qui refusait de rencontrer psychiatre ou psychologue. Marc Valleur a demandé aux parents de ce patient de lui dire qu’il n’y connaissait rien en jeux vidéos et qu’il aimerait bien qu’il vienne lui expliquer ce que c’est. (Marc Valleur confirme qu’il avait un réel intérêt pour ce que pouvaient lui dire ses patients). Le patient était venu rencontrer Marc Valleur et lui avait en quelque sorte fait cours.
Marc Valleur me confirme que le dogmatisme (thérapeutique) va souvent de pair avec l’excès de théorie thérapeutique.
(A ce moment du séminaire, comme à son habitude, Claude Orsel fait passer un paquet de chouquettes achetées à la boulangerie)
Marc Valleur me confirme l’importance de l’engagement du corps du thérapeute dans sa rencontre avec le patient. Il se remémore qu’un patient lui avait dit s’être attaché à lui lors du premier entretien car, à un moment donné, il (Marc Valleur) lui avait touché le genou.
R, patient de Claude Orsel, dit :
« Le jeu n’est pas un amusement. C’est un exutoire » ; « Entre joueurs, on s’intoxique. C’est aussi ce qui nous fait rester dans le jeu » ; « Si, lui, il joue aussi, ça veut dire que je ne suis pas fou ».
(Plus tôt, R…nous a aussi dit avoir consulté un addictologue pendant dix ans avant que celui-ci ne lui parle de Claude Orsel qu’il voit maintenant depuis 2013 ou 2014. Selon R, l’addictologue, pourtant plutôt réputé, ne l’écoutait pas. En écoutant R parler en termes élogieux de Claude Orsel, j’ai eu l’impression que celui-ci trouvait Claude Orsel « plus puissant » en tant que thérapeute, que son thérapeute précédent).
Marc Valleur répond à Claude Orsel qu’il existe différents profils dans la biographie des toxicomanes.
Marc Valleur cite Michel Foucault ( Philosophe français, 1926-1984) :
« Le but de la transgression, c’est de glorifier ce qu’elle paraît exclure ». ( Dits et écrits de Michel Foucault, de 1954 à 1988, deux tomes de plus de 1700 pages chacun ).
Marc Valleur répond que chez les consommateurs de crack, souvent, la protection maternelle s’est arrêtée très tôt (viols dans l’enfance, traumas répétés…).
R..dit : « La probabilité, c’est la vérité ». « La probabilité ne ment pas ».
Le livre Dans le jardin de l’ogre (cité par qui ?) de Leïla Slimani est mentionné pour évoquer l’addiction sexuelle féminine.
Je demande à Marc Valleur et Claude Orsel comment ils font pour ne pas se décourager face à des patients dont les addictions sont longues à soigner. Mais aussi pour vivre dans un monde comme le nôtre où une « guerre » quotidienne nous est faite afin de nous rendre addict.
Marc Valleur répond que, bien que retraité, il a encore des contacts par mail avec d’anciens patients qui lui donnent de leurs nouvelles et qui vont mieux. Lors de son intervention, Marc Valleur nous a aussi parlé d’anciens patients qui ont très bien réussi leur vie par la suite y compris mieux que lui-même a-t’il ajouté dans un sourire. Et, tout en gardant le sourire, Marc Valleur a convenu qu’en effet, tout est fait dans notre société pour que l’on soit « accroché » et que cela est assez désespérant. Il a ainsi cité les producteurs d’alcool qui, malgré leurs discours empathiques, prospèrent grâce à toutes les personnes dépendantes qui consomment leurs produits.
(Un peu plus tôt, R…avait fait référence à ces joueurs de PMU, un lieu qu’il connaît et dont il observe les usagers à l’écouter, qui, dès qu’ils gagnent un ou deux euros au jeu le rejouent alors qu’ils vivent déja dans des conditions très précaires).
Claude Orsel, répond en souriant, qu’il a envie de « connaître la suite ». A l’entendre, lui comme Marc Valleur, cela semble très simple de s’occuper de personnes addict. Au point que je me demande pour quelle raison seule une minorité de personnes, à laquelle je n’appartiens pas, parvient comme eux à s’occuper de personnes addict sur du long terme :
Le travail qui peut être effectué dans un service de psychiatrie institutionnelle lambda- même si cela peut aussi être sur du très long terme- est très différent de celui que j’ai pu voir pratiqué à Marmottan lors des quelques remplacements ( une quinzaine) que j’ai pu y faire. La distance relationnelle entre le patient/client et le soignant, par exemple, est très différente. Si, en psychiatrie adulte, la psychose des patients peut effrayer certains, l’absence de psychose, comme c’est souvent le « cas » à Marmottan peut déstabiliser, enrayer certaines frontières et les rendre assez floues entre le patient/client et le soignant. Pour ne parler que de ça. Alors, si, en plus, dans le domaine de l’addiction, le patient/client en sait plus que le soignant, il peut y avoir de quoi être troublé.
Claude Orsel m’apprend qu’il est possible que Patrick Declerck (philosophe, ethnologue, psychanalyste et écrivain né en 1953) intervienne à nouveau lors d’un prochain séminaire. Claude Orsel m’apprend aussi qu’il n’y a eu aucun article dans la presse écrit sur le dernier ouvrage de Patrick Declerck, paru en 2022, Sniper en Arizona, dans lequel, celui-ci raconte sa formation de sniper aux Etats-Unis.
R, qui ne demandait qu’à parler, qui a beaucoup à dire, entre-autres sur le poker, et qui a plusieurs fois pris la parole de façon assez intempestive au cours de l’intervention de Marc Valleur, m’a d’abord agacé comme d’autres personnes assistant à ce séminaire. Il fallait entendre R, arrivé avec un peu de retard, dire ensuite à Marc Valleur, à un moment donné, avec une certaine autorité :
« Ce que vous avez oublié de dire… ».
Devant l’attitude répétée de R, j’ai d’abord regardé ces vieux briscards que sont Marc Valleur et Claude Orsel qui n’en n’étaient pas une interruption près. Lesquels ont poliment invité R, à tour de rôle, à attendre que Marc Valleur ait fini de s’exprimer. Ce qui n’a pas empêché R de recommencer.
Ensuite, j’ai compris que R était celui qui était annoncé par Claude Orsel comme le joueur venant nous faire part de son expérience. Et que R réagissait car Marc Valleur parlait de sa vie.
Puis, j’ai saisi que R était porteur de connaissances dont j’étais dépourvu.
Ce samedi, alors que Marc Valleur est déjà parti après nous avoir salué en nous disant que c’était « bien », je suis plus disposé pour écouter R qui, en plus, avait « contre lui », en prime abord, le fait de me rappeler un ancien collègue qui a pu avoir tendance à une époque à me sortir par les yeux. Au travers de R, sans doute ai-je mieux perçu ce samedi, de manière consciente, la dimension addict et sub-agressive de la personnalité de cet ancien collègue…
R m’explique avoir connu un joueur de poker, « parti de rien », et qui, aujourd’hui « est millionnaire ». R m’explique que, durant des années, ce joueur a accepté de « ne rien gagner ». En s’en tenant à des règles de conduite- et à des limites- qu’il s’était fixé, acceptant de gagner petit et évitant de perdre de l’argent. En somme, ce joueur est resté prudent, patient et persévérant. R, à ce que je comprends, n’est ni patient ni prudent bien qu’intelligent et persévérant. Et, il est sûrement aussi convaincu. Et convaincant. Lorsque R m’apprend qu’il a travaillé pendant des années dans « le phoning » et qu’il sent les gens, j’ai tendance à le croire.
Rien ne dure vraiment longtemps, un livre de Matthieu Seel.
Matthieu Seel, le métis adopté, a été la voix de la série podcast Crackopolis. Dans cette série, il racontait le hijack que peut-être le crack en plein Paris, en outre dans le 19ème arrondissement où il a d’ailleurs grandi et où, plus jeune, il avait eu Peter Chérif et les frères Kouachi comme copains de primaire et de collège.
Certains veulent voir, Matthieu Seel a tout vu sauf l’histoire de ses origines dont les barreaux, par condensation, lui résistent. C’est peut-être pour cette histoire qu’il ne connaît pas qu’il commence par fumer des paquets de joints dès l’âge de dix puis qu’il finit, plus tard, par consulter le caillou.
Matthieu Seel ne nous raconte pas tout. Pour cela, il faudrait absolument se souvenir et il a aussi besoin d’oublier. Mais il y en a assez pour dix dans ce qu’il nous dit. Celle ou celui dont la vie dévie pour dealer et pour attraper du caillou se surpasse jusqu’à un point culminant qui se déplace sans cesse et qui est à peine imaginable.
Il y a des existences beaucoup plus simples et beaucoup plus reposantes. Mais pour cela, il faut être assez robot. Matthieu Seel n’en n’est pas un et il connaît difficilement le repos depuis assez tôt. Artiste photo un temps, vivant la nuit, il finit par vendre son appareil et par connaître des journées de 96 heures sans dormir lorsque le crack est devenu son métronome. Combien de personnes, ou plutôt de formes, a-t’il rencontrées parmi lui et qui, comme lui, pointaient vers les mêmes usages ? De toute façon, ces formes de rencontres ne tenaient pas.
Sa mère ( adoptive) fait partie de celles et ceux qui ont tenu. Et, je comprends qu’une Virginie Despentes ait cru en lui pour ce livre car il aurait pu avoir un rôle dans son film Baise moi. Comme je comprends aussi qu’une personnalité comme Slimane Dazi soit ce parrain qu’il remercie, ainsi que beaucoup d’autres, à la fin de son livre. J’aurais été beaucoup plus étonné si Guillaume Canet ou André Dujardin l’avait parrainé.
Dans Rien ne dure vraiment longtemps , sorti en septembre 2022, Seel raconte les mauvais passeurs d’histoires, les arnaques, les guet-apens, l’entraide, la survie dans la rue, les échecs sentimentaux, la paranoïa, sa famille, l’hôpital, les tentatives de sevrage à Pierre Nicole, le centre thérapeutique de la Croix Rouge, et à Marmottan ( La ferveur de Marmottan). Eduqué, autodidacte, il est loin d’être idiot. D’autres sont comme Matthieu Seel mais leurs mots, leur nom et leur visage ne nous parviendront pas.
Marmottan, le service d’accueil et d’hospitalisation spécialisé dans le traitement des addictions, situé dans le 17 ème arrondissement de Paris, rue Armaillé, près des Champs Elysées, a longtemps fait partie, pour moi, de ces services connus pour eux-mêmes. Porteurs d’un nom et d’une identité qui se suffisent à eux-mêmes pour parler d’eux. Un peu comme cela a pu être le cas pour Miles, qui reste mon musicien préféré, même plus de trente années après sa mort. Même après avoir, depuis, aimé découvrir et écouter d’autres artistes. Tout est fonction de la période de notre vie au cours de laquelle on a effectué certaines rencontres et du tournant que, pour nous, ces rencontres ont permis.
Je sais que Miles avait été un temps héroïnomane et alcoolique. « Comme » d’autres artistes de son époque, avant ou après lui. Et, pour moi, Miles et Marmottan étaient néanmoins deux bras et deux endroits bien distincts, l’un de l’autre. Puisque Miles, lui, officiellement, s’en était sorti.
Le service Marmottan, placé près du musée Marmottan (qui, a priori, ne lui est pas apparenté), faisait de toute façon partie, pour moi, de ces éclats de la Santé mentale. J’en avais entendu parler, moi le jeune infirmier diplômé d’Etat qui, malgré ma culpabilité dans le fait d’abandonner la souveraineté technique des services de médecine et de chirurgie, avait choisi, finalement, de venir travailler en psychiatrie adulte.
J’avais sûrement entendu parler de Marmottan par des collègues, infirmiers diplômés en soins psychiatriques, plus âgés et plus expérimentés que moi.
Comme j’avais aussi entendu parler, par eux, du CPOA, des quatre UMD (Unités pour malades difficiles) qui existaient alors : Cadillac, Sarreguemines, Mont Favet, Carhaix. Mais aussi, sans doute ou peut-être, de la clinique La Borde….
Plus tard, j’entendrais parler d’éthno-psychiatrie de Tobie Nathan et de Devereux, de pédopsychiatrie, d’unités mères-bébé, d’Anzieu et d’autres. Avant de découvrir des lieux et des personnes, ce sont souvent, d’abord, des noms.
Et puis, j’avais d’abord à apprendre à me débourrer de certaines pensées, de certaines croyances et certitudes mais aussi de certaines ignorances. Et, pour cela, le premier service d’hospitalisation en psychiatrie adulte où je commençais à apprendre un peu plus à devenir adulte à Pontoise fut un grand bienfait.
Et un mal.
Car la psychiatrie institutionnelle, selon les époques, les tournants, les orientations et les équipes peut à la fois construire mais aussi enfermer. Et, on peut aussi aimer s’enfermer si cela nous protège et nous rassure. Même si on s’en plaint peu à peu.
D’autant que, plus jeune, même si l’on est supposé avoir la vie devant soi et que l’on aime la littérature de Romain Gary, on est aussi très myope, très étroit d’esprit et on peut manquer de curiosité. Ou on peut être très ou trop inquiet à l’idée de devoir changer de vie, de s’éloigner de ce que l’on connaît. On se laisse donc envelopper et étreindre par les contours des cercles qui nous ressemblent et qui nous permettent d’entrer, ou de stagner, entre amis ou connaissances, dans un monde d’adultes qui nous rassure. Sans prendre trop de risques. Ou seulement ceux qui nous apparaissent connus et mesurés. On peut avoir déjà tellement peur du monde et de la vie adulte que l’on ne va pas en rajouter avec certaines de ces substances dont on avait entendu parler ou commencé à côtoyer, un peu, à partir de l’adolescence :
Le cannabis, principalement, un peu l’héroïne. Le tabac et l’alcool ayant des statuts soit plus acceptables soit plus familiers. Et puis, si l’overdose puis la transmission du VIH pouvaient faire peur pour leur possible immédiateté, entre 12 et 20 ans et encore après, on ne pensait pas nécessairement au cancer ou à la cirrhose du foie tandis que d’autres fumaient devant nous ou se prenaient des cuites, terminant leurs soirées à quatre pattes tels des lévriers en fin de course près d’un évier ou les deux pattes surélevées au dessus d’une cuvette des toilettes pour ne pas sombrer dans ce que l’on y rejetait.
Lorsque l’on entre dans l’âge adulte, on est, alors, dans la force de l’âge. Sexuellement, physiquement, socialement, intellectuellement. Aussi, peut-on, doit-on même, se permettre quelques petits excès. Car ensuite, il sera trop tard. Et puis, si on ne peut pas un peu s’amuser…
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes le 3 et 4 décembre 2021.
Le service Marmottan est sans doute resté longtemps « loin » de moi, physiquement et psychologiquement, parce-que, de cette manière, sans doute, je restais à une distance prudente – et mesurée- de l’aiguille de certaines de mes peurs et inquiétudes. Car géographiquement, toutes les fois où je me suis rendu sur les Champs Elysées, pour aller au cinéma ou au Virgin Mégastore, où même lorsque j’étais allé à la Fnac lorsqu’elle se trouvait avenue de Wagram, je n’étais pas très loin de Marmottan.
Mais, aussi, à aucun moment, je ne fis le rapprochement entre ce Francis Curtet que ma prof principale de 3ème nous avait un jour proposé de rencontrer dans notre collège Evariste Galois de Nanterre, en 1982 ou 1983…et Marmottan.
En décembre dernier, en 2021, j’ai pu faire le rapprochement entre Francis Curtet et Marmottan.
En décembre dernier, Marmottan a fêté ses cinquante ans à la salle de concerts de la Cigale. Entre-temps, des années avaient passé. Et j’avais appris, depuis, où se trouvait Marmottan dans Paris. J’y avais effectué quelques remplacements et j’y avais même postulé afin d’y travailler.
C’était la première fois que je me rendais au cinquantenaire d’un service. Je n’ai pas pu m’empêcher de penser que le choix d’une salle de concert avait été fait aussi pour bien fêter cet événement historique. Car j’appris lors du cinquantenaire que lors de la création et de l’ouverture de Marmottan, en 1971, que Claude Olievenstein, son premier médecin chef -qui fut novateur dans le traitement des addictions – pensait que le service aurait une existence brève.
Lorsque j’écris maintenant qu’en ouvrant Marmottan, Claude Olievenstein et ceux qui furent alors à ses côtés, furent novateurs dans le traitement des addictions, cela peut être abstrait pour beaucoup de personnes. Car, d’abord, qu’est-ce qu’une addiction ?
Il faudrait déjà commencer par le savoir.
Pour ma part, je préfère sourire lorsque je repense au fait que, très sûr de moi, il y a environ trois ou quatre ans maintenant, j’avais répondu à Mario Blaise (déja médecin chef de Marmottan) qui venait de me demander si j’avais des addictions :
« Non ! Je n’ai pas d’addiction ! ».
J’aurais pu répondre « Pas de ça entre nous ! » que cela aurait été pareil.
Mais j’ai un autre exemple de cet esprit novateur de Marmottan. J’aime lire de temps à autre la très bonne revue bimestrielle, assez peu connue finalement, Sport & Vie. Dans le dernier numéro de Sport & Vie, le numéro 194 de Septembre/Octobre 2022 l’article intitulé L’amour chimique nous parle de « Chemsex ». Dans cet article, selon moi très bien rédigé, le rédacteur, Olivier Soichot, précise dans un passage :
« (….) Dans le livre de Jean-Luc Romero-Michel, plusieurs phénomènes se télescopent douloureusement. Notamment la méconnaissance presque totale qui caractérise encore le chemsex en France. Avant le décès de son mari, l’auteur lui-même confesse qu’il en avait vaguement entendu parler mais sans se douter une seconde que son compagnon y avait recours ».
L’article de la revue Sport & Vie consacré au chemsex.
Peut-être qu’un certain nombre des lectrices et lecteurs de Sport & Vie, pour celles et ceux qui connaissent ce bimestriel, ou que plusieurs lectrices et lecteurs de mon article, découvriront en cet automne 2022 ce qu’est le chemsex.
De mon côté, cela fait désormais deux ou trois ans que j’ai découvert l’existence du chemsex. Lors de mes remplacements à Marmottan. A Marmottan, plus que dans un service de psychiatrie ou de pédopsychiatrie, je trouve, les patients informent les soignants de certaines de leurs pratiques. C’est aussi de cette façon que l’on peut apprendre son métier en tant que soignant et en tant qu’accompagnateur. Et, ensuite, mieux aider celles et ceux dont on « s’occupe ». Cet échange de Savoirs contribue à instaurer plus facilement une relationde confiance mais aussi une certaine égalité entre le patient et le soignant.
Dans un service de psychiatrie ou de pédopsychiatrie, une relation de confiance avec le patient ( ou le client ) est aussi nécessaire et recherchée. Mais elle diffère de celle qui peut se développer à Marmottan. Sans pour autant idéaliser la relation patient/soignant, usager/soignant ou client/soignant à Marmottan ( j’ai oublié le vocabulaire exact employé à Marmottan ). Car il existe des ratés à Marmottan. Et, aider à la cure d’une addiction peut être très long.
Mais j’ai l’impression que l’échange des Savoirs entre patients et soignants, en psychiatrie et en pédopsychiatrie, à moins de faire partie d’une association permettant ces échanges, est davantage asymétrique qu’à Marmottan.
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes, le samedi 4 décembre 2021.
Cela peut aussi peut-être s’expliquer par le fait que les personnes addict sont actives lorsqu’elles ont des conduites à risques. Tant pour prendre des substances que pour certains comportements. De ce fait, les personnes addict acquièrent certaines compétences pharmaceutiques ou médicales. Une ancienne collègue infirmière qui avait travaillé plusieurs années à Marmottan m’avait ainsi appris :
« Ce sont les patients qui m’ont appris à faire des prises de sang… ».
Ici, on se doute que les patients en question, à force de se chercher régulièrement une veine pour se piquer en intraveineuse avaient développé une dextérité hors du commun dépassant de loin celle de bien des infirmier ( es).
En comparaison, en psychiatrie adulte ou en pédopsychiatrie, lorsqu’il m’est arrivé de faire des prises de sang, je n’ai aucun souvenir de patient m’indiquant où le piquer ou comment m’y prendre si j’avais du mal à lui faire son prélèvement sanguin.
Mais pour revenir au contexte de l’ouverture de Marmottan, 1971, Le début des années 70, c’est la présidence de Georges Pompidou. Jimi Hendrix, Janis Joplin et Jim Morrisson sont morts d’overdose récemment. Et, Georges Pompidou, qui va bientôt mourir aussi, n’y est pour rien.
Aujourd’hui, seulement, je fais un peu le rapprochement entre l’année d’ouverture de Marmottan et les décès rapprochés de célébrités comme Hendrix, Joplin et Morrisson.
Auparavant, lorsque je pensais à Marmottan les premiers temps, je ne le faisais pas. Puisque, d’ailleurs, j’ignorais la date exacte de création et d’ouverture de Marmottan. Marmottan était déjà « là » lorsque j’ai commencé à travailler en psychiatrie au début des années 90. Et Hendrix, Joplin et Morrisson étaient pour moi des noms et des expériences musicales imprécises.
Cependant, en décembre 2021, je fais un autre rapprochement. C’est une intuition. A Marmottan, tout acte et tout propos raciste et homophobe de la part d’un patient vaut exclusion du service. Mais aussi tout acte de violence.
C’est la première fois, dans un service, que j’ai pu voir afficher aussi explicitement de tels interdits ou de telles limites. Dans tous les autres services où j’ai pu travailler, en psychiatrie adulte, en pédopsychiatrie ou même en soins généraux, ces agissements et ces propos (racistes, homophobes, actes de violence) font plutôt partie du métier. Au point que certaines de ces caractéristiques (risques de violence contre autrui, risques de troubles musculo-squelettiques….) peuvent même être stipulées dans les profils de poste de certaines offres d’emploi.
A Marmottan, le refus de ces comportements et de ces propos renseigne quant au fait que ses services d’hospitalisation et d’accueil s’adressent ou peuvent s’adresser à toutes sortes de publics. Dès lors qu’ils ont des problèmes d’addiction et qu’ils sont estimés suffisamment volontaires, coopérants, et encore assez valides physiquement, pour ne pas nécessiter des soins d’urgence ou de réanimation médicale, sauf exception.
Car il existe des services d’addictologie où des patients sont perfusés par exemple.
Pas à Marmottan.
L’un des principes du service d’hospitalisation de Marmottan (là où j’ai fait mes quelques remplacements) est l’hospitalisation libre, mais avec le principe et le contrat moral, que, durant son hospitalisation, de trois semaines en moyenne, le patient ne sortira pas du service et n’aura aucun contact direct avec l’extérieur. Il n’aura donc pas accès à son téléphone portable ou à son ordinateur ou à sa tablette. A la place, il bénéficiera de la disponibilité du personnel, mais aussi de celles d’autres patients, par le biais d’entretiens, de médiations et de moments passés ensemble. Que ce soit lors de la prise des médicaments ou lors des repas, du petit déjeuner au dîner. Ou, en regardant la télé. Ou, en discutant dans la salle « de thé ». Et l’on parle vraiment de thé ou de café et de quelques gâteaux , de goûters ou d’eau.
Et puis, en décembre 2021, « connaissant » un petit peu la culture engagée et militante de Marmottan, je me suis dit que la salle de concert de la Cigale, pour fêter ce cinquantenaire, était sans doute un hommage aux victimes des attentats terroristes de Novembre 2015, Bataclan, inclus.
Je n’ai pas (encore) demandé confirmation. C’est une intuition. Par contre, j’ai observé, à nouveau, ce jour-là, l’engagement des personnels de Marmottan. Passés et présents. Je le répète :
Je n’ai pas, à ce jour, connu d’équivalent en matière de commémoration de l’existence d’un service de santé mentale. Ou, alors, je ne peux comparer cette commémoration qu’avec celle des cinquante ans d’un groupe de musique, donc, dans le domaine artistique :
Pour moi, ce sera le groupe Kassav’. Puisque j’étais présent au concert de leur cinquantenaire à la Défense Arena. Avant le décès de Jacob Desvarieux.
Mais je ne serais pas surpris qu’à Marmottan, musicalement, l’esprit soit plus Rock ou Punk que Zouk. Du reste, le lendemain, et le surlendemain de cette journée à la Cigale, lors d’une des deux journées portes ouvertes de Marmottan, il y aura une exposition de pochettes de disques du médecin chef depuis quelques années de Marmottan, Mario Blaise. Une exposition très bien intitulée « A vos disques et périls » où il sera possible de voir établie une certaine valorisation des addictions avec substances.
A Marmottan, lors du week-end portes ouvertes du 4 et 5 décembre 2021.
Et, si mes souvenirs sont exacts, aucune pochette de disque de Zouk ne figurait sur les murs de la pièce. Au contraire de pochettes de disque ayant plutôt trait au Rock. Même si je me souviens d’une pochette d’un disque de U-Roy, chanteur de Reggae qui venait de décéder récemment.
Il y avait donc, plutôt, à mon sens, une certaine vitalité Rock, ou punk, dans la tenue de ce cinquantenaire. Voire, free Jazz. Car il m’a semblé qu’à Marmottan, que, même si une certaine ligne de conduite était nécessaire, qu’il importait, aussi, de savoir et de pouvoir improviser entre les lignes. Et de tenir sa partition. Avec les autres.
Cinquante ans plus tard, on peut dire que Marmottan a fait bien plus que tenir. J’ai vu dans cette salle de la Cigale des personnels de Marmottan qui y avaient travaillé et qui sont revenus pour l’occasion. Certains à la retraite. Je pense à l’un d’entre eux, en particulier, un infirmier à la retraite depuis les années 2010 qui m’a répondu avoir travaillé à Marmottan pendant une bonne vingtaine d’années. Il était aux côtés d’une ancienne de Marmottan. Celle que j’avais rencontrée dans mon service précédent et qui m’avait dit que les patients lui avaient appris à faire des prises de sang.
J’ai revu des personnels de Marmottan que j’avais croisés lors de mes quelques remplacements: Aurélie Wellenstein, la documentaliste qui m’avait permis d’assister à l’événement, en charge de l’organisation de celui-ci comme des diverses formations proposées à Marmottan. Des infirmiers, médecins, accueillants, psychologues, assistantes sociales. Mais aussi des médecins ou autres intervenants qui avaient connu Olievenstein et travaillé avec lui avant de quitter Marmottan ou lui ayant succédé. Je pense, ici, à Marc Valleur qui avait succédé à Olivenstein avant que Mario Blaise, ensuite, ne lui succède en tant que médecin-chef de Marmottan.
Cela, devant une salle pleine de professionnels venant de la région parisienne ou d’ailleurs ( une psychologue assise à côté de moi venait de la région de Rennes).
Dans ces témoignages d’anciens de Marmottan, on entendait et on sentait certains de ces engagements maintenus année après année, en dépit d’une certaine adversité. Mais aussi malgré ou à cause de certains conflits internes. On percevait une observation affutée du monde et de la société qui nous entoure et qui, surtout, nous opprime. On recevait une partie de cette mémoire commune de ce qui avait pu être réussi envers et contre tout ainsi que, pour moi, une certaine forme de regret de n’avoir pas vécu cette histoire.
Il y a eu au moins quatre mots en particulier qui m’ont marqué lors de ce cinquantenaire à la Cigale. Des mots qui, pour moi, expliquent Marmottan mais aussi la raison pour laquelle Marmottan a survécu et continue d’inspirer.
Plusieurs des professionnelles et professionnels venus témoigner de leur expérience de Marmottan, sur la scène, ont raconté que lors de leur entretien d’embauche avec Olievenstein, celui-ci, avait pu plus ou moins leur/lui dire :
« Je crois que vous êtes folle. Donc, je vous embauche ».
Par « folie », bien-sûr, il fallait, ici, comprendre que ces professionnelles et professionnels qui postulaient ne se contenteraient pas d’être des petits soldats ou des exécutants de la morale bien-pensante. Et qu’ils seraient impliqués dans leur travail bien plus qu’une personne venant juste pour faire ses heures de travail et pour toucher sa paie à la fin du mois. C’est en tout cas comme ça que je l’ai décrypté.
Car, oui, la folie peut aussi aider à vivre. Et à travailler.
Le mot Plaisir a été employé par Mario Blaise, le médecin chef actuel de Marmottan. Par ce mot, le principe est d’éviter de juger le mode de vie des uns et des autres. Ou ce qu’ils sont. Dès lors qu’ils n’agressent pas leur entourage.
Un autre mot m’a, d’un seul coup, fait comprendre la raison pour laquelle, Marmottan est un service à part. Et que c’est pour cela que j’avais senti, quelques fois, que lorsque je m’exprimais avec mes instruments de mesure psychiatriques, que cela avait fait flop et que quelques uns de mes collègues de Marmottan m’avaient alors regardé comme si j’appartenais à une espèce insolite :
Antipsychiatrie
L’antipsychiatrie a été un courant dont j’ai pu entendre parler. Mais un peu. Comme d’une époque passée depuis longtemps. Bien avant que je ne commence à venir travailler en psychiatrie au début des années 90. Encore, qu’à cette époque, la psychiatrie n’avait rien à voir avec la psychiatrie actuelle en matière de moyens et de culture de pensée mais, aussi, de transmission.
Grossièrement, aujourd’hui, je dirais que la psychiatrie telle qu’elle a pu être argumentée par Frantz Fanon, lors de la guerre d’Algérie, avait à voir avec l’antipsychiatrie. Il s’agissait alors de libérer les individus, ou de contribuer à les aider à se sortir de leur asservissement. A Marmottan, pour commencer, il s’agit d’essayer d’aider des personnes à se sortir de leur asservissement à certaines pratiques lorsque celles-ci sont devenues dangereuses pour leur santé. Cet asservissement a une histoire. La rencontre avec cette pratique s’est faite à un moment particulier de leur histoire.
Le mode relationnel que j’ai pu « voir » à Marmottan entre patients et soignants était différent de celui que j’avais pu connaître ailleurs. On n’était pas, on n’est ni potes, ni amis. Cependant, la distance entre le soignant et le patient est différente comparativement à ce que j’ai pu connaître dans d’autres services de psychiatrie et de pédopsychiatrie. Et, je ne parle pas, ici, de l’absence de la blouse pour le soignant. Car j’avais déjà connu l’expérience de l’absence de blouse en tant qu’infirmier.
Mais la façon de parler du traitement à Marmottan avec le patient, de l’accompagner comme on dit, est différente. Peut-être que cela se faisait aussi un peu de cette façon dans la psychiatrie des années 60 et 70. Lorsque la société était différente ? Et que certains nouveaux neuroleptiques permettaient à certains patients d’aller mieux ?
Mais on ne parle pas des mêmes publics de patients. J’ai croisé assez peu de patients psychotiques lors de mes quelques remplacements dans le service d’hospitalisation de Marmottan. Et, on ne s’adresse pas de la même façon à une personne non-psychotique même si celle-ci répète des comportements extrêmes du fait de ses addictions.
Un autre mot, depuis décembre, revient par intermittences, lorsque je repense à ce cinquantenaire de Marmottan. Et, cela, d’autant plus que je n’ai pas vu le visage ni le corps de son locuteur, apparu soudainement hors-champ, à aucun moment présent sur la scène puis disparu aussi rapidement.
Et pourtant, cet homme était bien conscient de l’histoire de Marmottan comme porteur d’une partie de sa mémoire. Le fait que cet homme, qui devait avoir dans les 70 ans, ait un accent antillais, a certainement eu sur moi un effet particulier. Celui d’un certain réveil de mes origines antillaises. Peut-être, mais je n’en suis pas sûr, que ce mot sur lequel il a insisté m’a autant parlé parce-que, dedans, j’ai entendu du Gro-Ka, cette musique traditionnelle, très lointaine, rattachée à la mémoire de soi, à la permanence d’une certaine vitalité malgré les trajectoires et qui a besoin de ça pour exister :
La Ferveur( en cliquant sur le lien à gauche, une vidéo apparaît).
Au bâtiment 21 avec Pierre Sabourin et Claude Orsel
La semaine dernière, le groupe de Rap PNL (aucun rapport a priori avec la Programmation Neuro Linguistique ) a joué plusieurs jours de suite au Palais Omnisports de Bercy. Après avoir écouté cinq titres de leur album Dans la Légende (sorti en 2016), j’ai changé de Cd pour leur préférer celui de Kool Shen, Sur le Fil du rasoir qui, bien que daté (sorti également en 2016), m’a offert deux titres que j’ai réécouté :
Déclassé et Debout.
Auparavant, le titre Ska du Cap de Marion Canonge, sur son album Mitan (sorti en 2011) m’avait beaucoup parlé. De même que la sincérité à peu près infaillible de Diam’s dans son album Brut de Femme (sorti en 2003) ainsi que dans ces quelques minutes que j’ai regardées de son interview récente par le journaliste Augustin Trapenard à propos de son documentaire sur sa carrière et sa vie, projeté cette année au festival de Cannes, festival- présidé cette année par l’acteur Vincent Lindon– qui s’est terminé ce samedi 28 Mai.
Mais, il m’a néanmoins fallu écouter l’album solo du pianiste cubain Bebo Valdès (sorti en 2005) – et peut-être aussi débuter la lecture de Notre corps ne ment jamais d’Alice Miller (paru en 2004)- pour me décider à raconter un peu le séminaire Psychothérapies, Psychanalyse et Addictions ( P.P.A) Transfert et Contre Transfert proposé un samedi ( ou deux ?) par mois par Claude Orsel.
A moins que ce ne soit, tout simplement, le fait d’avoir discuté la veille ou l’avant veille, avec un de mes cousins, dont l’ex beau-père a été condamné, à plus de 60 ans, à 12 ans de prison, pour agression sexuelle sur l’une des filles de sa compagne. Cela fait deux ou trois fois, maintenant, qu’alors que nous discutons de tout autre chose, que mon cousin a « besoin » de faire allusion à son ex-beau père, qui, désormais, est en prison pour ces faits. Lui, qui se donnait en exemple. Mon cousin a du mal à l’admettre, mais, plus de trente ans après avoir atteint sa majorité et être parti vivre chez lui, il en veut encore à son ex-beau père. Quelques années plus tôt, avant tout « ça », avant cette condamnation, mon cousin m’avait un jour répondu, sûr de lui :
« Tout ça, c’est le passé ». Comme s’il avait tiré un trait. Un trait ?! Le voici, le trait tiré par mon cousin, cela fait deux ou trois fois, maintenant, en à peu près deux ans, qu’il faut qu’il mentionne, à un moment ou à un autre, le fait que son ex beau-père est en prison…
J’ai de quoi comprendre. J’ai été, là, enfant, chez lui. Si son ex- beau-père avait toujours été gentil – ou indulgent plutôt- avec moi, j’avais aussi été quelque peu témoin de certaines humiliations qu’il lui avait infligées. Et, j’ai au moins à peu près un souvenir d’un jour où mon cousin, à dix ou douze ans, s’était démené pour se faire aimer de cet homme qui soufflait le chaud et le froid dans cette maison. Mais, moi, je n’étais pas directement concerné par cette tyrannie. Et puis, ça me dispensait de celle de mon propre père, à la maison, alors, je n’avais pas à me plaindre….
La dernière fois que j’avais vu l’ex-beau père de mon cousin, c’était, par hasard, à la Défense, il y a à peu près dix ans. Il ne vivait plus avec ma tante, la mère de mon cousin, depuis des années. Il allait bien. Il vivait avec quelqu’un d’autre. Peut-être avec celle dont la fille, ensuite, s’est plainte d’agressions sexuelles…
L’invité de Claude Orsel, ce samedi 19 Mars 2022, c’était Pierre Sabourin. Son nom me disait quelque chose. Je savais que c’était quelqu’un d’important. Mais c’était flou.
Pierre Sabourin, psychiatre et psychanalyste, a cofondé, il y a trente ans, le Centre des Buttes Chaumont. Dans ce centre, on reçoit des victimes d’inceste et on « s’occupe » des violences intrafamiliales et des thérapies familiales.
Inutile de dire que durant toute mon enfance et mon adolescence, jamais les mots «psychiatre » et « psychanalyste » n’ont été prononcés devant moi par quelqu’un de la famille, ou un proche, faisant autorité ou d’à peu près respecté. Au mieux, « la psychiatrie », ça allait avec la folie de celle ou de celui qui avait mal tourné. Et c’était tout ce qui pouvait nous y attendre, à la limite :
Nous retrouver du côté des fous. En quelque sorte ensorcelés par cette croyance, notre destin était ainsi scellé. Mais, chez moi, nous ne pensions pas à la psychiatrie de toute façon. Ou alors, un peu en secret, plus tard, lorsque ma mère évoquerait le fait que mon père était devenu fou au moment de partir faire son service militaire. Mais cela restait un mystère. On pouvait donc devenir fou comme ça ou après avoir été ensorcelé. Comme on attrape un rhume….
Ce samedi 19 mars 2022, un peu avant 9h30, pour assister à ce séminaire à l’hôpital Ste Anne, à Paris, dans le 14 ème arrondissement, il y avait presque autant de monde qui attendait devant le bâtiment 21 qu’au festival de Cannes ou avant un des concerts du groupe PNL.
Il faisait neuf degrés. Il faisait donc, un peu frais.
Bien que Claude Orsel ait appelé l’hôpital, avant son arrivée, ce samedi matin, l’entrée du bâtiment 21 était toujours close à notre arrivée.
Claude Orsel est né en 1937. Praticien depuis les années 60, il est l’un des pionniers, en France, dans le traitement des addictions. C’est seulement depuis deux ou trois ans, que j’ai commencé à rencontrer Claude Orsel. En cherchant à me former aux addictions. En tant que soignant.
La première fois que je me suis rendu aux séminaires qu’il organise, Monique Isambart est venue raconter son parcours ainsi que cette époque où, avec Claude, et d’autres, ils s’étaient occupés de patients toxicomanes, à l’Abbaye, en 1969, dans les beaux quartiers de St-Germain des Prés. Deux ans avant que Olivenstein ne crée Marmottan dans le 17ème arrondissement. Je ne connaissais pas du tout l’Abbaye. Je connais un petit peu mieux Marmottan. J’y ai même fait quelques remplacements en tant qu’infirmier. Marmottan a fêté ses cinquante ans à la Cigale en décembre de l’année dernière. J’y étais mais je n’ai pas encore pris le temps d’en rendre véritablement compte dans un article. ( pour patienter, on peut lire Les cinquante Temps de Marmottan).
Ce samedi 19 Mars 2022, j’ai été admiratif de voir comme Claude Orsel et Pierre Sabourin ont pris ce contretemps, dehors, avec légèreté ; discutant, attendant avec nous que l’on vienne nous ouvrir. Et, pour cela, se mettant au soleil avec nous pour se réchauffer un peu. Ils n’étaient pas à ça près. A plus de 80 ans ! Après tant d’années à percevoir des histoires dans tous les sens mais aussi à vivre des expériences cliniques de fond….
Nous pouvons supposer que toutes les portes de ce bâtiment auraient été ouvertes avant même l’arrivée du groupe PNL ou de n’importe quelle vedette du festival de Cannes. Nous pouvons aussi supposer que Claude Orsel et Pierre Sabourin ont dû en rencontrer, des célébrités. Tant dans le monde du spectacle que de la clinique et de la pensée. Mais ce samedi 19 mars 2022, j’ai sûrement été plus contrarié que l’un et l’autre que l’on nous fasse autant attendre pour accéder à l’intérieur de ce bâtiment. Eux deux semblent avoir à peine remarqué l’incongruité de notre « sort ». Et puis, cela ne valait pas la peine de s’attarder sur ce genre de détail.
Par terre, avant d’entrer dans ce bâtiment 21, j’ai aperçu un article de Georg Simmel : Les grandes villes et la vie de l’esprit.
En tout, dans la salle, nous étions huit en incluant Claude Orsel. Quatre femmes et quatre hommes, dont une patiente de Claude Orsel. Ce n’est pas la première fois qu’un patient ou une patiente de Claude Orsel vient assister à ce séminaire. Je le souligne car je suis habitué, dans mon travail, à ce que patients et soignants soient séparés.
Pierre Sabourin et Claude Orsel se sont connus en Troisième et en Seconde. Pierre Sabourin a un ou deux ans de plus que Claude Orsel.
D’emblée, Pierre Sabourin, encore debout dans la salle, nous a interrogé à propos des transgenres. « C’est une question à laquelle on n’est pas habitué ».
« J’ai envie de prendre un peu de testostérone » a pu dire une jeune patiente.
Le terme « maltraitance » n’existait pas dans le vocabulaire lorsque Claude Orsel et Pierre Sabourin faisaient leurs études de médecine.
Direct, voire assez directif, avec la volonté sans doute de trancher afin d’aller à l’essentiel, Pierre Sabourin nous recommande certains ouvrages :
La violence impensable, « Introuvable » nous dit Sabourin.
Quand la famille marche sur la tête qu’il a co-écrit avec Martine Nisse, autre cofondatrice, avec lui, du Centre des Buttes Chaumont.
Sandor Ferenczi, un pionnier de la clinique
Puis, Sabourin nous recommande « trois livres sans complexe » :
Mort de honte, la BD m’a sauvé dans lequel Serge Tisseron raconte son viol par sa mère.
Dans le Petit chaperon rouge de Charles Perrault, « les loups les plus doucereux sont les plus dangereux » nous dit Sabourin. Mais, aussi, « la menace de mort est toujours présente dans les incestes » :
L’auteur(e) de l’agression menace soit la victime de mort ou de se suicider si elle parle pour dénoncer.
Sabourin évoque « l’effet hypnotique » de la menace de mort sur les victimes. Et poursuit :
« Le médecin doit être le défenseur de l’enfant ». Le médecin a devoir de signalement s’il constate un danger pour l’enfant dans son entourage.
Sabourin parle de Marceline Gabel, ancienne secrétaire de Serge Lebovici, psychiatre et psychanalyste, décédé. Celle-ci a écrit des livres.
Il est fait mention du numéro 154 de la revue Coq-Héron (revue scientifique d’orientation psychanalytique crééé en 1969).
Sabourin recommande le livre Dans la maison de l’ogre- quand la famille maltraite ses enfants de Bernard Lempert, « Une merveille d’écriture » selon Pierre Sabourin.
Sabourin explique :
« L’absence d’amour entraîne l’absence de don qui amène la dette ».
Sabourin parle ensuite, chez la victime de « l’autosacrifice de sa propre intégrité de pensée pour sauver ses parents ».
Je découvre que Sabourin connaît très bien des cliniciens hongrois. Ainsi, il est capable de nous donner l’orthographe exacte de Boszormenyi-Nagy Ivan, psychiatre qui a écrit l’ouvrage Invisible Loyalties.
Sabourin recommande de relire :
Sándor Ferenczi, un pionnier de la clinique
Totem et Tabou de Freud
« La loi de Lacan, c’est la loi du langage » nous dit Sabourin. « On fait appel à la police quand la loi symbolique n’a plus d’effet ».
Sabourin nous recommande la lecture de Le Petit homme-coq de Sándor Ferenczi.
Est-ce en parlant de Le Petit homme-coq de Ferenczi et/ou de Le petit Hans de Freud que Sabourin parle « d’identification à l’agresseur » ?
Il est demandé à Sabourin quels sont quelques uns des signes qui peuvent faire penser qu’un enfant a été abusé. La réponse de Sabourin :
Lorsque l’enfant se masturbe tout le temps, tape, frappe, tripote les gens…
Un dessin d’enfant peut être une preuve clinique et peut être envoyé au procureur.
Autrefois, l’enfant était le « domaine » de la femme et de la mère. Il y avait une grande importance de la nounou.
« Le silence structure les familles » nous dit Sabourin. « Du ciment dans lequel on met les pieds ? » remarque une des participantes du séminaire.
« La Terre a marché sur un certain nombre de mensonges » nous dit Claude Orsel.
Sabourin nous recommande l’ouvrage Le Mystère Freud, psychanalyse et violence familiale de Giovanna Stoll et Maurice Hurni, aux éditions L’Harmattan.
Sur le site de la sécurité sociale, depuis quelques mois, une attention est portée en matière de prévention sur les 1000 premiers jours de l’enfant est-il dit lors de ce séminaire.
« La haine de l’amour ». Cette expression est employée par quelqu’un toujours lors de ce séminaire mais j’ai oublié l’auteur(e) de cette expression.
J’ai parlé de l’artiste et chanteuse réunionnaise, Ann O’Aro, abusée par son père et qui en parle dans son premier album ( Ann O’Aro). Quelques personnes ont pris ses « références ».
Cependant, je ne connaissais aucun des ouvrages cités par Sabourin. Et n’en n’avais, et n’en n’ai encore lu aucun. Je connaissais Ferenczi, Freud et Tisseron de nom. J’ai peut-être lu un ouvrage ou deux de Tisseron.
Sabourin m’a toutefois confirmé que le livre Le Berceau des dominations de Dorothee Dussy, livre dont j’avais entendu parler récemment, et que je venais de commander, est à lire.
Sabourin me confirme aussi que, souvent, lorsque des professionnels de la Santé se retrouvent face à une situation d’inceste qu’ils se demandent en quelque sorte :
« Pourquoi, c’est tombé sur moi ?! ». Tant ces professionnels peuvent être désemparés devant ce genre de situation. Je ne me sens pas particulièrement à l’aise, personnellement, devant des situations d’inceste que je pourrais rencontrer au travail.
L’inceste ( au même titre, sans doute, que la pédophilie, mais pour d’autres raisons) est une « particularité » de la clinique qui peut désarmer ou égarer bien des professionnels de la Santé.
Je comprends que la pratique d’un PierreSabourin ou d’un Claude Orsel repose, aussi, sur un armement intellectuel « lourd ». Armement ou ossature dont je suis dépourvu, contrairement sans aucun doute à plusieurs des autres participantes et participants de ce séminaire. Sur les 8 personnes présentes ce samedi 19 Mars 2022, 6 sont des thérapeutes (psychothérapeutes, psychanalystes, psychiatres), 1 est une patiente. Je suis infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie. Je lis mais assez peu ces ouvrages cités par Sabourin. Et je ne suis pas formé à la psychanalyse.
Il faudrait aussi parler de la moyenne d’âge des participantes et participants. J’aurai 54 ans, cette année. L’ensemble des participantes et participants m’a semblé plus âgé que moi en moyenne de quelques années. Certaines des participantes connaissent Claude Orsel depuis vingt, trente ans, voire davantage.
La psychanalyse, un peu comme l’Aïkido, a perdu de sa reconnaissance médiatique. Son nombre d’adhérents diminue. En plus, il s’agit d’une discipline difficile à « maitriser » comme à intellectualiser.
Il lui est préféré des « protocoles » ou des techniques présentées comme plus rapides à utiliser, plus efficaces et aux résultats plus concrets.
Je sais que lire et la théorie ne font pas tout. On peut être très « bon » en théorie ou pour un travail administratif. Et être complètement inadéquat pour la pratique. Pourtant, lorsque la psychanalyse est servie par des personnes comme PierreSabourin ou Claude Orsel, il me semble plus difficile de la contredire ou de la déshériter.
Le prochain séminaire proposé par Claude Orsel se déroulera ce samedi 4 juin 2022 avec Patrick Declerck qui vient d’écrire Sniper en Arizona.
J’aurais d’autant plus voulu être présent que Patrick Declerck – formé à la psychanalyse- avait donné un cours à ma promotion. Il me reste des souvenirs de son intervention. C’était il y a plus de trente ans. A la fin des années 80, en pleine épidémie du Sida, à l’époque où François Mitterand était Président de la République. L’hôpital de Nanterre s’appelait peut-être encore la maison de Nanterre.
Mais je serai en stage avec mon club d’apnée, ce samedi 4 juin.
De temps à autre, dans une œuvre ou parce-que nous sommes les porte-frontières d’une certaine « curiosité », nous parviennent quelques informations sur des systèmes et des planètes éloignées. Des endroits et des histoires survenues avant nous, qui nous survivront, et où nous n’avons pas le souvenir ou l’expérience d’avoir jamais mis les pieds.
Nous entendons alors parler de cycles, de satellites en orbite, de révolutions autour du soleil, de conditions particulières et hors normes qui seraient pour nous, les communs des mortels, impossibles à vivre ou à approcher.
A moins de l’imaginer.
Marmottan m’a peut-être fait cet effet-là. Parce-que je ne savais pas ce que je savais. Parce-que, pour savoir, il faut partir un peu de soi.
Partir un peu de soi : Qui est Marmottan ?
Marmottan a fêté ses cinquante ans l’année dernière, en décembre 2021.
Qui est Marmottan ?
Pendant des années, pour moi, Marmottan était un personnage à part entière de l’Histoire de la Psychiatrie.
C’était aussi un nom : Olivenstein.
Un texte écrit par un patient de Marmottan, visible à Marmottan lors des journées portes ouvertes qui ont suivi le cinquantenaire à la Cigale.
Lorsque j’ai commencé à travailler de manière établie en psychiatrie à Pontoise, en 1992-1993, Olivenstein était encore vivant.
Infirmier Diplômé d’Etat en 1989, en 1992, j’avais décidé de rompre avec les services de soins généraux (médecine, chirurgie…) ainsi qu’avec une certaine culpabilité de les quitter.
Parce qu’être un véritable infirmier, cela consistait à se rendre utile dans les services de soins généraux. A être capable de performer, de faire et de répéter quelque chose de concret et d’immédiatement vérifiable :
Poser des perfusions, poser des sondes urinaires, faire des pansements et des prises de sang. Transfuser. Faire, poser, reproduire. Surveiller. Réaliser les prescriptions.
Mais aussi : se taire. Suivre. Subir. Exécuter. Obéir.
Après trois années de tentatives variées dans les services de soins généraux ou soins somatiques, par intérim, ou par vacations, jusqu’à Margate, en Angleterre, durant pendant un mois, la psychiatrie adulte avait fini par réapparaître, de façon idéalisée, comme étant plutôt l’opposé.
Comme une expérience qui m’avait plu.
En psychiatrie, j’avais le sentiment d’être moi-même. De me réunifier. De me retrouver. De me reconstituer. De me découvrir. Et cela m’étonnait que ce métier d’infirmier qui, depuis ma formation, avait sans scrupules piétiné mes théories de lycéen pour me décharger dans la benne du monde du travail et de celui des adultes devienne….agréable. Tant dans mes relations avec les patients qu’avec plusieurs de mes collègues plus âgés et majoritairement diplômés en soins psychiatriques.
Ma rencontre avec ce service de psychiatrie adulte en tant qu’infirmier, alors que j’avais 24 ans, a selon moi décidé de la continuité de ma carrière. Je crois encore que sans cette expérience en tant qu’infirmier, dans ce service de psychiatrie adulte où j’avais effectué un stage lors de ma troisième année d’étude d’infirmier, que j’aurais trouvé en moi la ressource de changer de métier.
Aujourd’hui, en 2022, certaines personnes ont « besoin » d’un livre comme Les Fossoyeurs de Victor Castanet pour apprendre que les conditions de travail dans les établissements de santé peuvent être de plus en plus épouvantables. Alors que pour moi, dès mes études d’infirmier entre 1986 et 1989, le travail d’un infirmier dans les services d’hospitalisation de soins généraux s’apparentait déjà beaucoup à du travail à la chaine, comme sur les chaines de montage dans une usine.
On peut aimer « ça » par tempérament ou à un moment de sa vie personnelle et professionnelle. Lorsque l’on aime ou que l’on veut que « ça bouge ». Lorsque l’on ne supporte pas d’être là à « rien faire ».
Sachant que pour certains, le fait d’écouter et de penser ; ou d’apprendre à penser par soi-même ou de prendre du temps face à quelqu’un d’autre qui se comporte ou se présente de manière « étrange», « bizarre », « anormale », « incompréhensible » voire « dangereuse » pour lui même ou pour autrui, c’est ne « rien faire ».
Un DJ décédé l’année dernière ou l’année précédente, a écrit dans un livre quelque chose comme : « En fait, j’ai commencé à détester tout ce qui pouvait m’empêcher ou empêcher de danser ».
Hé bien, pour ma part, j’ai commencé à travailler en psychiatrie et eu besoin d’y travailler car, à 24 ans, j’avais commencé à détester tout ce qui pouvait m’empêcher de penser. Sauf qu’alors, je ne pouvais pas l’exprimer de cette manière. Il n’y a qu’aujourd’hui que je peux l’écrire comme ça. Presque trente ans plus tard. C’est venu avec le temps.
Un certain apprentissage de la psychiatrie et de la Santé Mentale
Au lycée, j’aimais apprendre. J’aimais aussi comprendre ce que j’apprenais. Le par cœur sans compréhension de ce que j’apprenais m’était insupportable y compris lorsque je le voyais chez les autres.
Mes études d’infirmier en soins généraux ont été très éprouvantes. Intellectuellement, je trouvais assez peu mon compte. Ni en stage, ni lors des cours théoriques. Et je devais apprendre des notions médicales vers lesquelles, spontanément, je ne serais jamais allé. Mais impossible de faire autrement car, pour pouvoir protéger et sauver des vies, il faut bien apprendre certaines notions de l’anatomie et de la physiologie. Et, pour me sauver de la déchéance du chômage et gagner ma vie, il me fallait trouver un emploi.
J’ai donc dû ingurgiter des connaissances par cœur durant ces études d’infirmier. Des connaissances dont nos propres monitrices nous ont dit un jour que nous n’en retiendrions qu’à peu près « dix pour cent ». Fort heureusement, j’ai rencontré dans mon école d’infirmières des personnes qui, humainement, m’ont fait du bien. Dont une amie avec laquelle je suis toujours en contact.
J’ai appris à travailler en psychiatrie en partant de moi. En vivant des situations. En regardant et en écoutant faire. En me trouvant des modèles parmi mes collègues. En discutant avec des collègues en lesquels j’avais confiance. En les interrogeant. En gambergeant. En faisant des erreurs et en m’en rappelant. En lisant certaines fois à droite ou à gauche. Mais pas toujours des ouvrages ou des articles réservés à la psychiatrie.
Je n’ai pas appris la psychiatrie par cœur. Et j’ai beaucoup de mal avec ces professionnels capables de vous réciter par cœur certaines théories psychanalytiques et autres, si, par ailleurs, je les trouve ou les pressens « mauvais » en situation clinique.
Mais il y a bien évidemment certaines connaissances théoriques et autres à mémoriser. Que ce soit concernant certains effets possibles des traitements ou à propos de certaines attitudes à savoir éviter ou à développer en soi.
Entendre parler de Marmottan
J’ai appris des autres. Et je continue d’apprendre des autres chaque fois que c’est possible.
C’est comme cela que j’ai entendu parler de Marmottan, je pense, dans les années 90. J’avais entendu parler de Francis Curtet au collège, en 3ème, par ma prof de Français. Mais je n’avais pas retenu qu’il avait un rapport avec Marmottan.
Marmottan, pour moi, faisait partie de ces services emblématiques de la psychiatrie en France. Avec le CPOA, la clinique de La Borde, les UMD…
Et lorsque j’écris « emblématiques », cela signifie que ces endroits se distinguaient des services de psychiatrie traditionnels. Il s’y déroulait quelque chose de particulier. D’assez hors norme. Je croyais même que Marmottan était en quelque sorte un hôpital à lui tout seul. Et le savoir me suffisait et m’a suffi pendant longtemps.
Jamais, dans les années 90, je n’ai fait la moindre démarche afin d’en savoir plus sur Marmottan, situé rue Armaillé, pas très loin des Champs Elysées où je pouvais me rendre assez facilement. Ne serait-ce que pour aller au cinéma ou pour me rendre au Virgin Megastore qui existait encore.
Aujourd’hui, je crois avoir choisi d’aller travailler en psychiatrie pour ne pas devenir fou. Mais, aussi, pour mieux comprendre ma propre folie. Et mieux comprendre d’où elle venait. Certains ont peur d’aller travailler en psychiatrie pensant que cela va les perturber irrémédiablement. Et cela peut en effet perturber, ou plutôt déstabiliser, la conscience comme les connaissances que l’on a de soi que d’aller travailler dans un service de psychiatrie :
A Marmottan, lors de la journée Portes Ouvertes.
Nos certitudes, nos croyances, nos apparences, aussi, peuvent se retrouver contestées ou abattues face aux divers miroirs de la psychiatrie. Surtout lorsque l’on ne « fait rien » et qu’il devient plus difficile de se fuir, et de fuir nos propres pensées, émotions et sentiments, dans une certaine activité frénétique. Il peut être plus facile de couler dans du mouvement certaines émotions et certaines pensées plutôt que de les laisser remonter jusqu’à affluer à la surface de soi. Surtout si l’on a une image et une de soi monstrueuse ou désastreuse.
Et, aujourd’hui, je crois avoir décidé, à un moment donné, d’avoir tenté de travailler à Marmottan parce-qu’il y a des années que je crois que, de même que j’aurais pu être un psychotique hospitalisé en psychiatrie, j’aurais aussi pu devenir une personne dépendante à des substances. Mon histoire personnelle, selon mes croyances, aurait pu me faire converger vers ce genre d’état. Or, à ce jour, même si j’ai pu redouter de devenir addict à des substances, plus que de devenir psychotique, cela n’est pas arrivé.
J’ai côtoyé et rencontré des personnes qui ont connu des dépendances dès l’enfance (l’alcoolisme d’un oncle plutôt bien toléré dans la famille ) puis ensuite à l’adolescence et adulte. Des personnes dont j’ai pu être proche (une ex qui avait besoin de fumer cinq à dix joints par jour) ou moins. Cependant, j’étais le « Suédois » de service comme m’avait affectueusement surnommé un ami infirmier psy, ancien héroïnomane, et assez porté sur la boisson festive. Sobre, dans la maitrise ou le contrôle permanent selon l’analyse que l’on en fait.
Sobre, oui, en ce qui concerne les substances. Mais pas pour d’autres addictions.
Addictions sans substance
Lorsque j’ai postulé pour travailler à Marmottan, j’étais sûr de moi. J’allais être pris. J’avais des années d’expérience en psychiatrie adulte et en pédopsychiatrie. J’étais un homme. Et je savais, pour être passé auparavant à Marmottan et y avoir discuté avec certains professionnels qui y travaillaient alors, qu’il n’était pas nécessaire d’avoir une expérience en tant que consommateur de substances ou en addictologie pour y être embauché comme infirmier. Marmottan recrutait des profils divers. Cependant, il y avait des règles très strictes à Marmottan sur certains sujets.
Tout comportement violent ou considéré inacceptable ( relations sexuelles…) , toute consommation de substance dans le service ou tout propos homophobe vaudrait exclusion de ce service ouvert. Cela me convenait.
Pourtant, je n’ai pas été retenu pour le poste. De mon entretien, dans la bibliothèque, face à deux médecins et à la cadre de pole d’alors, je me rappelle entre-autres de cette question posée par Mario Blaise, déjà médecin chef de Marmottan :
« Avez-vous des addictions ? ».
Paris, le magasin Printemps, ce mardi 2 mars 2022 vers 21h.
Pour toute personne un peu formée ou sensibilisée aux addictions, c’est une question banale. Comme demander l’heure à quelqu’un. La réponse est facile.
Pourtant, j’ai répondu « superbement » :
« Non, je n’ai pas d’addictions ! ». J’étais sûr de moi. Bien qu’un peu décontenancé, et aussi un peu mal à l’aise, j’étais sûr de moi. Je n’avais pas d’addictions. Pas de ça avec moi ! J’étais le « Suédois ». Celui qui, au milieu de personnes dans un état d’ébriété avancé, ou qui, face à quelqu’un qui fumait son joint, ne se sentait pas incommodé. Celui qui ne faisait pas de cauchemars après avoir « frayé » avec des patients psychotiques….
Paris, fin février 2022.
Pour moi, addictions rimait encore exclusivement, consciemment, avec les substances. J’avais pourtant bien compris que, dans ma propre vie, certaines situations contraignantes ou douloureuses avaient pu se répéter ou pouvaient encore se répéter sans que je parvienne véritablement à m’en débarrasser. Mais je n’avais pas encore fait le rapprochement. Pour moi, à ce moment-là, les addictions avaient plus à voir avec leur forme la plus visible physiquement mais aussi la plus renommée et la plus condamnée moralement et pénalement :
Les addictions avec substances.
On a peut-être du mal à lire, mais dans cet article, Olivenstein démonte le film » Moi, Christiane F… ». Il en veut en particulier au fait d’avoir choisi David Bowie pour jouer dans le film. Car celui-ci, en tant que Rock star, valorise/héroïse la consommation de substances. ( A Marmottan, également lors des journées portes ouvertes).
Cette nuit encore, alors que je finissais d’écouter un podcast dans lequel témoigne une jeune Française qui, sous l’effet d’une radicalisation islamiste, est partie vivre dans l’Etat Islamique en Syrie en 2013, ma bévue m’est à nouveau apparue évidente. Lorsque celle-ci a parlé de « cage ». Cette jeune femme, dans ce podcast qui comporte quatre épisodes, raconte comment, pour elle, partir en Syrie, avait d’abord été un moyen de quitter la cage dans laquelle elle se trouvait dans sa famille. En espérant trouver mieux ailleurs. En rencontrant quelqu’un, à un moment donné de sa vie, qui lui a promis le meilleur en Syrie en venant vivre dans l’Etat Islamique. Cette rencontre aurait pu être un proxénète, une mère maquerelle, un dealer. Pour elle, cette rencontre a été une personne qui l’a séduite. Cela a été rapide et facile.
Car elle était « disponible » pour ce genre de rencontre à cette période de sa vie. Parce-que cette croyance idéologique collait bien, à cette période de sa vie, avec son patrimoine personnel et culturel. Et que cette croyance idéologique, mais aussi cette fuite en Syrie, lui apparaissaient être la bonne décision.
Cette jeune femme, devenue mère en Syrie est revenue en France six ans plus tard ( en 2019). Et s’est officiellement détournée de cette croyance islamiste. Elle a pu dire qu’en quittant la France et sa famille, elle avait finalement quitté une cage pour une autre cage. Mais aussi que partir de chez ses parents était la « bonne décision » mais que la destination choisie était « mauvaise ». Elle s’en est rendue compte une fois sur place, en Syrie.
Je me suis dit que c’est exactement ce qui peut se passer pour une personne dépendante avec une substance. Même si on peut chercher une substance avant tout pour le plaisir. Le mot plaisir a été prononcé lors du cinquentenaire de Marmottan.
Au début, c’est très bien, c’est merveilleux, c’est exceptionnel, on vibre. La suite est moins agréable. Rencontre. Personnalité. Cage. On peut remplacer le produit par une croyance ou par une pratique lorsque l’on parle d’addiction.
Il y a sûrement d’autres raisons que mon « incapacité » à répondre favorablement à cette question sur « mes » éventuelles addictions pour expliquer mon échec à cet entretien lorsque j’ai postulé pour Marmottan. Comme le simple fait d’avoir envie ou non de travailler avec moi ou de se sentir à l’aise en ma présence. Mais mon ignorance hardie, bien qu’assumée car j’ai ouvertement dit que je ne connaissais pas grand chose dans le domaine des addictions, m’a peu aidé à convaincre de m’embaucher. Puis, par la suite, devant ces échecs ( j’ai postulé trois fois), j’ai développé une ambivalence à l’idée de travailler à Marmottan. Peut-être une ambivalence qui peut se retrouver chez toute personne envers son addiction.
Chaque fois que je suis retourné travailler en remplacement à Marmottan, je m’apercevais que je me sentais suffisamment approprié : je ne regardais pas ma montre en étant pressé que ça se termine. Tout en sachant que j’avais beaucoup à apprendre. Je m’y sentais suffisamment bien. Pourtant, il m’est aussi arrivé de me dire que ce n’était pas pour moi. Que je n’étais peut-être pas fait pour y travailler. Que j’allais me faire rouler dans la farine. Ou que je ne saurais pas conseiller ou accompagner comme il se devait certains patients. Que je ne saurais pas leur répondre.
Marmottan, le service spécialisé dans le traitement des addictions
J’ai néanmoins eu la chance de venir faire des remplacements, avant et après ma postulation à Marmottan, à peu près une quinzaine de fois en tant qu’infirmier. Et, lorsque j’écris Marmottan, car il faut le préciser, je parle bien-sûr du service spécialisé dans le traitement des addictions.
Parce-que si le service spécialisé (hospitalisation et accueil) dans les addictions est connu sous le nom de Marmottan, Marmottan est aussi un endroit où se trouvent un CMP pour patients adultes où se trouve une consultation pour adultes pédophiles. Ainsi qu’un hôpital de jour de psychiatrie adulte. Deux services (le CMP et l’hôpital de jour) qui sont indépendants du service consacré au traitement des addictions. Même si ces deux services (le CMP adulte et l’hôpital de jour) sont aussi situés dans le même bâtiment, rue Armaillé dans le 17 ème arrondissement de Paris.
Il y a aussi le musée Marmottan qui se trouve à côté. Un musée bien référencé que l’on peut visiter et qui n’a rien à voir avec le service.
Le Marmottan dont je parle, initialement, faisait partie de l’hôpital psychiatrique Perray-Vaucluse. Hôpital par lequel j’ai été recruté en juillet 2009. C’est à cette occasion que j’ai compris que « le » Marmottan dont j’avais entendu parler depuis des années était un service. Et que ce service faisait partie du même hôpital que celui qui m’employait.
Lorsque l’on parlait de grands établissements psychiatriques en région parisienne, les établissements hospitaliers auxquels je pensais principalement étaient :
Maison Blanche ; Ville-Evrard ; Ste-Anne ; Voire Villejuif ou Paul Guiraud.
J’ai découvert l’existence du groupe hospitalier psychiatrique Perray-Vaucluse tardivement. Et par hasard. Vers la fin des années 2000. Il y a une explication géographique à cette ignorance. L’Etablissement Perray-Vaucluse est situé dans l’Essonne. Soit dans un département où je n’ai jamais eu d’attache ou de domiciliation. Puis mon ignorance culturelle, comme celle de mes collègues, de la Psychiatrie a fait le reste. J’ai connu la psychiatrie de Pontoise parce-que j’habitais à Cergy Pontoise durant mes études d’infirmier et que j’y résidais encore lorsque j’avais commencé à y travailler en psychiatrie adulte.
L’hôpital psychiatrique Perray-Vaucluse, comme les autres, est au moins centenaire. Absorbé par Maison Blanche il y a quelques années, il fait désormais partie du GHU Paris Ste Anne qui comporte la fusion des établissements Perray-Vaucluse,Maison Blanche et Ste Anne. Soit un ensemble de services intra-hospitaliers mais aussi extra-hospitaliers de santé mentale ( psychiatrie adulte, addictions, soins généraux ou somatiques, pédopsychiatrie…).
A la Cigale, lors du centenaire de Marmottan. Assis, à gauche, le Dr Mario Blaise, chef du Pôle Marmottan-La Terrasse, GHU Paris. Sur sa droite, un des praticiens de Marmottan, le Dr Bertrand. Tout au bout à droite, un des anciens praticiens de Marmottan, Aram Kavciyan, désormais psychiatre chef du service d’addictologie au CH de Montfavet depuis des années. Je crois que la personne debout en train de parler est une accueillante de Marmottan. J’ai oublié la fonction de la dame assise.
Marmottan a été créé en 1971, par ClaudeOlivenstein. Lors du cinquentenaire, j’ai appris qu’il y avait deux ou trois autres médecins avec lui pour fonder à Marmottan le service spécialisé dans le traitement des addictions. Mais lorsque l’on dit Marmottan, encore aujourd’hui, pour beaucoup d’un certain âge, on pense aussitôt : Olivenstein.
Son nom et une partie de sa mémoire -comme de sa présence- habitent encore l’endroit pour le peu que j’ai entrevu. Même si, après lui, Marc Valleur a pris sa suite et a, depuis, transmis le relais à Mario Blaise.
A la Cigale, à gauche, Mario Blaise, chef du Pôle Marmottan-La Terrasse, GHU Paris. A sa droite, le Dr Marc Valleur, le précédent médecin chef de Marmottan-La Terrasse qui continue de consulter à Marmottan. Jan Kounen, réalisateur, venu, entre-autres, parler de son expérience de l’Ayahuesca. Tout à droite, l’alpiniste Marc Batard venu parler de son addiction aux sommets.
Le service Marmottan, spécialisé dans le traitement des addictions, a une personnalité que j’ai rarement trouvée ailleurs. Par personnalité, je pense à une volonté assez farouche de maintenir son autonomie et/ ou son indépendance de pensée, de façon de travailler, qui tranche avec cette façon assez unanime qu’ont eu les services de psychiatrie- que je connais- de s’aligner sur les différents diktats imposés ces vingt dernières années en matière de soin et de façon de soigner. Ou de transmettre. Par exemple, alors que depuis une bonne dizaine d’années maintenant, la majorité des services de santé mentale – et autres- écrivent leurs transmissions et leurs prescriptions sur ordinateur, à Marmottan, on écrivait- et on écrit sans doute encore- les transmissions comme les prescriptions médicales sur papier.
Bien-sûr, mes principaux repères de comparaison sont ici sont ceux de la psychiatrie que je connais.
La psychiatrie que je connais en région parisienne telle qu’elle se pratique aujourd’hui dans la plupart des services est très différente de celle qui est était pratiquée il y a encore vingt ou trente ans. Par bien des aspects, la psychiatrie d’aujourd’hui a défiguré ce qui se faisait de « bien » il y a vingt ou trente ans. Moins de moyens, moins de personnels, plus d’heures de travail…plus d’informatique…
L’ouvrage de Victor Castanet, Les Fossoyeurs qui a fait l’actualité il y a quelques semaines, avant d’être dépassé par l’actualité de l’invasion militaire de l’Ukraine par la Russie « de » Vladimir Poutine, scrute, si j’ai bien retenu, les conditions de travail dans les EHPAD. Malheureusement, sous d’autres formes, les conditions de travail en psychiatrie publique se sont aussi détériorées puisqu’elles doivent désormais se calquer sur le modèle du privé. Et le peu que j’ai vu dans deux cliniques de psychiatrie adulte il y a une dizaine d’années, lorsque j’y avais effectué des vacations, ne m’a pas donné envie d’y postuler.
Aussi, lorsque durant le cinquantenaire de Marmottan, en décembre, le mot « Antipsychiatrie » a été prononcé par un ou une des intervenants, il m’est tout de suite apparu évident que cela expliquait en partie l’une des raisons pour lesquelles Marmottan, le service des addictions, détonait et détone encore dans le milieu de la Santé Mentale.
D’une part parce que le travail qui s’effectue dans un service spécialisé dans le traitement des addictions se distingue du travail effectué dans un service de psychiatrie. Mais aussi parce qu’il s’y pratique un certain esprit, une certaine façon de travailler, pour le peu que j’ai vu sur place, auxquels un professionnel familier avec la psychiatrie n’est pas habitué.
Cet article devait être unique. Mais je m’aperçois que le poursuivre maintenant le rendrait trop long. Et qu’il vaut mieux que je m’arrête sur cette introduction avant, dans un prochain article, de raconter et de montrer davantage comment c’était lors du cinquentenaire de Marmottan à la salle de concert de la Cigale en décembre dernier. Mais aussi dans le service ( d’accueil et d’hospitalisation) lors d’une des deux journées portes ouvertes qui a suivi la journée à la Cigale.
La Clinique de l’Amour, d’après un podcast de France Inter
C’est devenu une obsession. Après quelques autres obsessions. Car je fais partie des obsessionnels anonymes. Nous sommes des millions et peut-être des milliards à porter ce type de tablier :
La personne « obsessionnelle » à laquelle je pense est souvent appelée « maniaque » dans le langage quotidien. Dans le langage quotidien, la personne « obsessionnelle » ou « maniaque » à laquelle je fais allusion est celle ou celui dont la vie semble souvent dépendre de deux ou trois détails qui (le) tuent presque :
Madame ou Monsieur a très bien préparé son repas. Les invités vont arriver. Tout est parfait. La table est mise. Tous les couverts assortis sont disposés à angle droit avec des variations chromatiques étudiées selon le thème astral ou le chakra de chaque convive. Un petit cadeau personnalisé attend chacun. La musique frôle l’intime et le sublime au vu de la créativité des enchaînements. Mais aussi du fait de l’onctuosité de la restitution sonore. Le mobilier a été ciré. Le ménage a été bien fait. Les meubles sont disposés selon des préceptes bouddhistes qui invitent à la détente et à la méditation. D’ailleurs, un bâton d’encens se consume à la façon d’un phare qui assurerait la sérénité ainsi que l’impossibilité du naufrage formel comme spirituel. Tout va bien. Madame ou Monsieur est exactement zen. Et puis, arrive le court-circuit.
En passant la porte de la salle de bain pour aller ouvrir aux invités qui viennent de sonner à l’interphone, Madame ou Monsieur s’aperçoit de la présence d’une boursouflure sur le mur adjacent. C’est trois fois rien. Un demi-centimètre de boursouflure que personne ne remarquera. Mais, à partir de ce moment, une bombe à retardement s’enclenche. Bombe que Madame ou Monsieur ne parviendra pas à désamorcer. Car, Madame ou Monsieur ne pensera plus qu’à cette boursouflure. Et non plus à cette invitée ou cet invité qui lui a tant plu lors d’une précédente soirée et qu’elle ou qu’il espère séduire en sortant le grand jeu.
Avant que le premier invité ou la première invitée n’arrive, Madame ou Monsieur aura peut-être défoncé le mur à la masse et recevra alors dans la poussière et les gravats…..
Je caricature bien-sûr lorsque je donne cet exemple « d’obsession ». Dans cette anecdote que je viens d’inventer ce matin, il s’agit bien-sûr d’une « obsession » grave. D’ordre psychiatrique. Mais j’ai illustré ça de cette façon, en grossissant le trait, pour mieux me faire comprendre lorsque je parle d’obsession. Mes obsessions sont bien-sûr plus légères que celle que je viens de raconter. On peut reprendre son souffle ou se mettre à rire.
Les Maitres, les Experts, les amis….et les faussaires :
Désormais, pratiquement chaque fois que je lis les propos d’un grand Maitre d’Arts Martiaux, d’une Personnalité ou de tout autre individu dont l’itinéraire me « plait », je me soumets à cette question :
Quel genre de personne est-ce lorsque son enfant, comme tous les enfants, le prend au dépourvu et dérange son superbe agencement mental et moral ? La nuit ? Le jour ? Pendant qu’il est au volant ? Alors qu’il est occupé ? Tandis qu’il lui parle et essaie de le convaincre ou de lui transmettre quelque chose ?
Lorsque l’on lit les interviews ou que l’on assiste à des démonstrations de Maitres, d’experts ou autres, on a souvent l’impression que tout coule de source pour eux, sur le tatamis comme dans la ratatouille du quotidien. On dirait que leurs émotions sont toujours leurs alliées ou leurs domestiques. Ou, qu’au pire, elles se prennent une bonne branlée lorsqu’elles tentent de les entraîner dans un mauvais kata ou dans un mauvais plan. Mais je sais que c’est impossible. Je sais que c’est faux. Sauf que je n’ai pas de preuves.
Je pourrais me rabattre sur les amis. Mais j’ai compris que parmi mes amis, connaissances, collègues et autres, passés, présents et futurs se cachent beaucoup de faussaires :
Du côté des mecs ou des hommes, si l’on préfère, cette fausseté est un composé d’ignorance, de prudence et de conformisme. Je n’ai pas oublié, et sans doute ne l’ai-je toujours pas digérée, cette sorte d’hypocrisie sociale et faciale, à laquelle j’ai participé, de bien des hommes qui, plus jeunes, savaient me parler de cul, de leurs coups, de nanas….alors que, secrètement, ils aspiraient à se marier et à faire des enfants.
Un article lu par quelles femmes et quels hommes ? :
Bien-sûr, cette caricature sociale peut faire rire. Et, elle doit faire rire. Ce qui me fait faire la grimace, c’est que cette caricature et ce conformisme social nous font souvent, hommes comme femmes, passer à côté du principal concernant notre vie personnelle. Voire concernant notre vie tout court. Un exemple :
Cet article long (comme beaucoup de mes articles) sera, à mon avis, plus lu – et apprécié- par des femmes que par des hommes. Alors que les hommes ou les mecs (hétéros comme homos) sont à mon avis autant concernés que les femmes par les sujets de cet article. Puisque, tous, à un moment ou à un autre, nous nous postons devant le sujet de l’Amour et essayons d’y répondre avec nos moyens.
Et si des hommes lisent cet article, je m’attends à ce qu’ils soient en majorité âgés de plus de trente ans. Parce qu’en dessous de 30 ans- c’est très schématique- même si les hommes peuvent être des sentimentaux ( je suis un sentimental), nous sommes nombreux, je crois, à être obsédés par le fait d’être performants sexuellement. Que ce soit en termes de nombre de conquêtes ou en termes d’aptitudes particulières (longueur du pénis, durée de l’érection, capacité à s’accoupler dans telle position et dans tel type d’environnement etc….), on dirait que notre valeur personnelle est indexée ( vraiment) sur notre valeur boursière. Et, ce qui est troublant, c’est que plus un homme est « connu » pour être un tombeur, plus sa côte augmente auprès d’une certaine gente féminine. Gente féminine qui peut être tout à fait éduquée, cultivée et aisée socialement et matériellement. Dans le film Extension du domaine de la lutte adapté par Philippe Harel (avec lui-même et José Garcia d’après le livre de Michel Houellebecq) il est clairement démontré que l’homme sans conquête féminine, déprimé, laborieux et terne est souvent célibataire contrairement à celui qui « besogne » les femmes pour être direct.
S’il existe des couples de déprimés, il est aussi assez courant que l’un des deux aille chercher de la légèreté et du réconfort ailleurs. Même si c’est pour, ensuite, revenir au domicile par sécurité, par espoir ou par devoir.
Mieux se comprendre, mieux se choisir et mieux s’aimer :
Je crois néanmoins que certaines femmes n’ont pas besoin qu’on leur promette des étoiles (comme m’avait dit un jour un de mes cousins Don Juan il y a plusieurs années) pour « faire le grand soleil » comme dirait le romancier René Depestre.
Ou pour se mettre en couple.
Pourtant, à propos du sujet de l’Amour, je crois les femmes plus sincères entre elles. Pour l’aborder. Mais je ne vais pas non plus en faire des anges de clairvoyance et de droiture. Car, comme je l’ai dit ce matin avec humour et provocation devant plusieurs de mes collègues femmes :
« Cela peut être difficile d’être d’un homme devant une femme ». Et je ne parlais pas de compétences sexuelles en particulier. Pour être un homme devant une femme, il faut déjà savoir ce que cette femme attend d’un homme. Mais aussi ce qu’être femme signifie pour elle. Et quels sont leurs véritables projets à tous les deux dans la vie. Et si ça concorde suffisamment pour tous les deux.
Ça paraît simple écrit comme ça. Mais si c’était si simple que cela, les gens se choisiraient mieux, se comprendraient mieux et s’aimeraient mieux.
Je crois que, généralement, on continue de croire qu’il « suffit » de s’aimer et de se désirer pour qu’une histoire dure.
Il existe, aussi, une sorte de méfiance instinctive, donc animale, entre l’homme et la femme, mais aussi entre deux personnes, dès qu’elles se rencontrent, qui fait, bien des fois, que certaines personnes qui pourraient s’allier se rejettent. Pendant que d’autres qui auraient mieux fait de s’ignorer décident de s’amalgamer.
Les Hommes, tous des salauds ?! Et les Femmes, toutes des salopes ?!
Comme tout le monde, j’ai entendu certaines femmes dire des hommes qu’ils sont « tous des salauds!». Et certains hommes dire que les femmes « sont toutes des salopes ! ».
Ce qui m’étonne, de manière répétée, même s’il y a bien-sûr des « salauds » parmi les hommes et des « salopes » parmi les femmes, c’est que ces mêmes personnes (femmes et hommes), lorsqu’elles croisent des gens « bien », les zappent ou les ignorent. C’est une constante. Je n’écris rien d’extraordinaire, ici.
Des couples volontaires : Se dire oui…et non.
Et puis, il y a cette ambivalence ou cette particularité, propre, je crois, à tous les couples :
Lorsque l’on décide de se mettre ensemble, on est souvent l’un et l’autre très volontaire. Car on est au moins soutenu par l’Amour, le désir ainsi que par le souhait de rompre notre solitude.
Cependant, dans chaque couple, je crois, même si l’on se dit « oui » (que l’on se marie ou non), il est des domaines sensibles où l’on se dit non.
Mais on le banalise ou on l’ignore parce-que le regard et le corps de l’autre produisent alors des atomes qui propulsent notre univers personnel dans un espace-temps qui s’ouvre seulement pour nous. Et cela nous rend extraordinairement optimistes. Ou exaltés.
Et, nous aussi, nous produisons des atomes auxquels l’autre est alors particulièrement sensible. Cela la rend ou le rend aussi extraordinairement optimiste ou exalté( é).
Alors, nous décollons ensemble vers un ailleurs sans toujours bien prendre le temps de bien vérifier la validité de tout l’équipement affectif que nous emportons. Mais aussi ses réelles compatibilités avec l’équipement affectif, moral et psychologique de l’autre. Car notre vie est ainsi faite :
De vérifications mais aussi d’élans et de spontanéités. Certains de nos élans et de nos spontanéités sont inspirés par des reflets de nous-mêmes….sauf qu’un reflet, c’est le contraire de l’autre. C’est notre regard sur lui.
Série » La Flamme » sur la chaine Canal + que je n’ai malheureusement pas encore pu voir.
Moi, thérapeute de couple ?!
A ce stade de cet article, on peut peut-être croire que je ma la pète :
Que j’ai tout vu et tout entendu. Et que je sais tout concernant le couple. Que je maitrise mon sujet. Ce serait plutôt, un peu le contraire. Je m’applique seulement à être aussi sincère que possible. Aux potins, ragots et autres articles de psychologie « de cuisine » où l’on donne des « trucs », je préfère donner la priorité à un certain vécu, à certaines réflexions. Et à les transmettre. Parce-que j’ai aussi eu la chance, quand même, d’avoir des discussions ouvertes, ou d’être le témoin direct de certaines situations affectives sensibles.
Néanmoins, j’ai aussi lu des articles de psychologie « facile ». Et, j’en lirai sans doute d’autres. J’ai aussi écouté des potins et des ragots même si ce n’est pas mon point fort.
Car, évidemment, comme pour tout le monde, tout a commencé dans mon enfance.
Le modèle de mes parents :
Je suis largement l’aîné des enfants de mes parents. A voir mes relations passionnelles et rapidement explosives avec mon père, je reste devant un mystère. Je me demande encore quel genre de père il était lorsque je ne m’en souviens pas :
Lors de mes quatre premières années de vie. Lorsque j’écoute ma mère, que j’ai déjà questionnée et re-questionnée, mon père aurait été un père tout ce qu’il y a de plus « ordinaire » à mon égard. Mais je ne le crois pas. Je crois que ma mère, pour défendre l’image de mon père et aussi parce qu’elle s’y retrouvait en tant que femme et en tant que mère, avec moi, n’attendait pas trop de « choses » de mon père, lorsque j’étais petit.
Si bien des femmes se sentent peu maternelles, il existe aussi néanmoins beaucoup de femmes, sans doute selon un certain modèle traditionnel, qui se sentent d’autant plus femmes qu’elles deviennent mères. Et qu’elles s’occupent de la petite ou du petit. Ce modèle de mère ou de maman n’attendra pas de l’homme ou du père qu’il se lève la nuit lorsque le bébé ou l’enfant se réveille. Ni que l’homme ou le père change les couches, prépare les biberons ou garde l’enfant à la maison. Pour ce « genre » de maman, si le père ou le papa est important, en pratique, celui-ci est un personnage assez secondaire lors des premières années de vie. Or, les relations que l’on a dès les premières années de vie avec notre enfant mais aussi avec nos frères et nos sœurs engagent nos relations futures.
Lorsque je vois à quel point et avec quelle rapidité, quelques échanges avec mon père suffisent à ce que nous soyons chien et chat, ou, plutôt, deux coqs face à face, j’ai beaucoup de mal à croire qu’il ait pu être si « affectueux » à mon égard lors de mes premières années de vie. Même si je ne doute pas de son amour comme de son implication- musclée et obsessionnelle- ensuite dans mon éducation.
L’enfance est une carrosserie : différences entre la chirurgie et la psychiatrie
Aîné de mes parents, par contre, je me rappelle bien avoir été le témoin direct et contraint de leurs différends. Et ce n’était pas toujours très beau. Des propos tenus en ma présence.
Des confidences que ma mère a pu me faire. Confidences qui m’ont appris le sens et l’importance de la discrétion et des mots. Ainsi que la solidarité. Sauf que j’étais trop jeune lorsque cet apprentissage a débuté. J’avais moins de dix ans.
L’enfance, c’est une carrosserie. Pendant des années, l’enfance permet d’absorber un certain nombre de chocs et d’accidents. Les parents parfaits n’existent pas. Même si chaque parent, je crois, essaie de réparer et de faire mieux ou un peu mieux que ses propres parents.
Mais la vie parfaite n’existe pas. Et nous sommes faits et constitués de manière à pouvoir encaisser un certain nombre d’accrochages. Sauf que les coups que nous prenons sont invisibles et laissent des traces invisibles. C’est une des grosses différences entre la chirurgie et la psychiatrie et la psychologie.
Lorsque l’on se fracture une jambe en faisant du ski, de la danse, de la Gym ou du Foot, on a des signes physiques visibles. Cela se voit à la radio. On peut réparer. Je crois de plus en plus que beaucoup de nos blessures sportives arrivent souvent , aussi, dans un certain contexte affectif et psychologique même si la fatigue physique et le surentraînement ou la méforme peuvent augmenter les risques de blessures. Mais, retenons dans notre exemple ce que je veux surtout démontrer. La chirurgie permet de réparer et de réduire des dommages physiques et physiologiques « visibles », détectables. Incontestables. Le terme « incontestables » a une grande importance.
Le terme « Démontrables », aussi. On se fracture une jambe, il est très facile de le démontrer. Il suffit de toucher. De regarder à l’œil nu. C’est souvent gonflé, chaud, froid, etc….
En psychiatrie et en psychologie, il y a aussi des signes cliniques variés :
Perte d’appétit, perte de sommeil, boulimie, anorexie, conduites à risques, pensées particulières, idées de mort, délires etc….
Sauf qu’entre le moment où un événement traumatique a lieu et « déclenche » l’état psychiatrique ou psychologique- physique et social- visible et détectable, il peut se passer plusieurs années. En pédopsychiatrie, on a des mômes de dix, onze ans voire moins. Ça fait très « petit » pour être hospitalisé dans des services de pédopsychiatrie ou pour consulter dans un centre médico-psychologique ou dans un CMPP. Ou pour rencontrer un psychologue. Mais ça fait combien d’années que la « carrosserie » de ces mômes se mange des chocs et des accrochages ? Depuis leur naissance ? Avant leur naissance ?
Dans un garage, on peut vous dire : ça fera tant et tel nombre d’heures pour réparer la carrosserie. La voiture est un objet inerte. L’être humain est le contraire d’un objet. Et l’être humain est tout sauf inerte. L’être humain, c’est de la matière vivante. Réceptive à ce qui l’environne, qu’elle s’en rende compte ou non. Partout, tout le temps. Lorsqu’elle dort. Lorsqu’elle écoute de la musique. Lorsqu’elle passe devant une réclame publicitaire. Lorsqu’on la touche. Ça n’a rien à voir avec une carrosserie de voiture ou avec une fracture que l’on va réduire au bout de quelques semaines ou quelques mois.
Le couple, continuité de notre enfance :
Le couple, c’est la continuité de notre enfance. Même adultes, nous restons des enfants.
Beaucoup de personnes croient qu’une fois adultes, elles se sont complètement séparées de leur enfance. Elles ont évolué, oui. Si on leur propose une tétine ou un biberon pour bébé, c’est évident, qu’elles n’en voudront pas. Mais les tétines et les biberons ont aussi évolué. Eux aussi sont devenus grands. Mais avant de devenir adultes, on passe par l’adolescence. Une période assez critique. On critique le monde, les autres, soi. On fait les comptes de ce que l’on a compris et assimilé de la vie, les bons aspects comme les mauvais.
Il existe un âge théorique pour l’adolescence, grossièrement entre 12 et 20 ans, selon les personnes, les sexes et les cultures. Mais c’est très théorique. Cela varie selon les expériences de vie, les tempéraments et les personnes.
L’adolescence est la période des virages sensibles. On n’est plus un enfant physiquement, mentalement, intellectuellement au sens où les adultes n’ont plus le même pouvoir d’autorité ou de dissuasion sur nous. Ils n’ont plus le monopole de l’expérience et du Savoir aussi, et c’est encore plus vrai avec l’informatique et les nouvelles technologies qui ringardisent de plus en plus rapidement les plus « vieux ».
Même si, en tant qu’ados, on craint certains » vieux ». Même si on en admire d’autres. Même si on recherche d’autres. Ouvertement ou secrètement.
Le couple, qui, en principe, est l’un des « trophées » ou l’apanage de l’adulte, permet à l’adolescente et à l’adolescent de passer à l’action. De mettre en pratique sa vision du monde. Ses convictions. L’adolescente ou l’adolescent se croit souvent plus libre que l’adulte qui peut être criblé de défauts. Du côté des adultes, on peut aussi très mal vivre ou très mal supporter ces « jeunes » qui nous dérangent, qui nous cherchent ou nous provoquent. Mais il y a de l’adolescent en chaque adulte et de l’adulte en chaque adolescent. Et, bien-sûr, il y a de l’enfance dans les deux. Sauf que cette enfance n’est pas vécue, protégée ou sacrifiée de la même manière selon les circonstances et les choix des uns et des autres. Il est ados qui font des choix de vie dont bien des adultes seront incapables. Il est aussi des ados qui font des choix de vie qui feront d’eux des adultes suppliciés et déprimés alors qu’ils avaient pour eux certains atouts. D’autres, ados ou adultes, deviendront des criminels, des SDF…je ne vais pas réinventer la vie. Elle est devant nous, tous les jours.
Un Adolescent :
Adolescent, je voulais devenir père à vingt ans. Comme ma « mère ». Tout est parti de la naissance de ma sœur, neuf ans après moi. Puis de celle de notre frère, cinq ans plus tard.
Au départ, j’avais très mal supporté la présence de ma petite sœur ainsi que ses diverses sollicitations. Puis, je m’étais « acclimaté ». De toute façon, je n’avais pas le choix :
Lorsque ma mère partait à l’hôpital pendant douze heures dans le service de réanimation où elle était aide-soignante, et que c’était le week-end, notre père considérait qu’il avait mieux à faire. Et, il me laissait m’occuper de ma sœur et de mon frère à la « place » de maman.
J’y ai pris goût. Même si, certaines fois, j’aurais bien aimé pouvoir sortir pour m’amuser avec les copains ou pour aller à mon club d’athlétisme. Un de mes cousins m’avait surnommé, en se marrant : « La nounou ! ».
La Nounou
A vingt ans, étudiant infirmier, comme ma mère aurait souhaité le devenir, j’ai croisé une femme dans un mes stages à l’hôpital. Elle était aide-soignante, était plus âgée que moi de six ans et avait un enfant. Simplement, sincèrement, elle m’a fait comprendre qu’elle aimerait bien avoir une histoire avec moi. Elle était plutôt jolie. Elle m’était sympathique et rassurante. J’avais été touché par sa déclaration. Elle m’avait expliqué que le père de son enfant, dont elle était séparée, était quelqu’un de gentil mais de pas très adulte.
Son offre était tentante. Jeune adulte assez récemment déniaisé sexuellement et bien évidemment tourné vers les prodigieux gisements de l’orgasme, j’ai probablement entrevu le très grand potentiel sexuel d’une union avec elle. Mais je savais aussi ce que celle-ci impliquait :
Avec elle, je n’avais aucun doute quant au fait que je serais rapidement devenu père. Et, elle, à nouveau, une mère.
Enfant, puis ado, j’avais pu voir et revoir ce schéma très courant parmi bien des couples de ma famille antillaise, à commencer par mes propres parents :
Des jeunes adultes, qui, très vite, dès qu’ils commencent à travailler, font des enfants. Des femmes qui, jeunes, étaient belles et sveltes, et qui, en devenant mères, s’alourdissaient de kilos en kilos avec les années. Des hommes qui, généralement, étaient plutôt machos et se préoccupaient assez peu de psychologie. Contrairement à moi, on l’aura compris.
Je tiens à préciser que lorsque cette femme, plus mûre que moi, m’avait abordé, je n’avais pas d’intention particulière à son sujet. Si je regardais les femmes au point d’être amoureux de certaines, j’étais beaucoup dans l’idéalisation de la femme. J’avais aussi un sacré handicap, voire plusieurs, pour rencontrer des femmes et avoir des relations intimes avec elles.
Mes handicaps au sortir de l’adolescence :
Au dessus de ma tête et dans ma tête, était plantée l’interdiction paternelle de la Femme blanche. Dans un pays où les gens sont majoritairement blancs, ça compliquait un peu la donne.
Ma mère, aide-soignante dans un service de réanimation, m’avait planté dans la tête l’interdiction de la mobylette et de la moto. Interdiction dont je ne me suis toujours pas relevé même si j’ai pu être passager plutôt facilement et avec plaisir derrière des conducteurs de deux roues. Mais, mon père, lui, c’était l’interdiction de la Femme blanche.
Si j’avais été un « queutard », j’aurai pu contourner l’interdit. Parce-que Monsieur Papa, lui-même, a bien aimé « rencontrer » quelques femmes blanches. Mais, peut-être du fait de ma solidarité enfantine avec ma mère, je ne suis pas un queutard. Or, un queutard s’intéresse avant tout à son propre plaisir. Et, n’importe qui, n’importe quand, voire, dans n’importe quelles circonstances peut-être, lui « va ».
J’avais peur de mettre une femme enceinte. Même si la contraception (pilule et préservatif) existait bien-sûr et était déjà normalisée. Sauf que j’avais sans doute une mentalité de campagnard traditionnel à l’image de mes propres parents. Et, je savais déjà assez concrètement qu’avoir un enfant ou faire un enfant était une responsabilité. On comprend assez facilement vu ce que j’ai pu raconter de mon adolescence. Si plusieurs de mes amis (femmes et hommes) ont découvert vers 25 ou 26 ans, ou plus tard, ont découvert, en devant mères ou pères, ce que ça faisait de s’occuper d’un bébé, moi, je l’avais découvert environ dix ans plus tôt. Et quelque peu par la contrainte. J’en ai eu des bénéfices. Si, aujourd’hui, j’ai plutôt de bonnes relations avec ma sœur et mon frère, aujourd’hui adultes et mères et pères de famille, cela vient sans aucun doute de mes « aptitudes » également maternelles lorsque je me suis occupé d’eux. Néanmoins, une partie de mon adolescence a été un peu malmenée, en particulier lorsque notre père m’imposait de tenir son rôle lorsque notre mère était au travail et qu’il partait vadrouiller pour son bon plaisir pendant l’intégralité du week-end. Soit un homme et un adulte très exigeant mais pas très juste avec moi. Ce qui explique ma colère assez facilement « érectile » envers lui encore aujourd’hui.
« Enfin », et c’est à peu près tout, j’avais aussi peur du Sida. Car la fin des années 80, c’était l’épidémie du Sida. Epidémie qui existe toujours mais face à laquelle, aujourd’hui, nous disposons de plus d’armes. Aujourd’hui, ce serait plutôt la pandémie du Coronavirus et celle du terrorisme jihadiste vis-à-vis desquels nous manquons d’armes. Ainsi que face au réchauffement climatique et à la montée des extrémismes du manière générale, politiques comme religieux. Cela fait aujourd’hui partie de notre routine de la peur.
Une femme et un homme : routine ou normalité sociale et conjugale
Après avoir croisé cette femme plus âgée que moi, j’ai bien-sûr appris que la « routine » ou normalité conjugale et sociale qu’elle m’avait proposée se retrouve dans bien d’autres cultures.
Mais cette femme était d’origine antillaise comme moi. Sans doute que cela m’a d’autant plus alerté et poussé à déserter. J’avais donc décliné poliment ses propositions malgré l’insistance, aussi, de sa jeune sœur, laquelle me plaisait encore plus mais avait déjà un compagnon.
J’avais décliné sa proposition car, depuis mon adolescence, je savais que je ne voulais pas faire partie de ces hommes qui font des mômes sans penser à l’avenir. Et, je savais aussi, sans doute, que je refusais une relation de mensonge :
J’aurais pu faire mine d’accepter le projet conjugal de cette femme, coucher avec elle pendant un certain temps, me faire dorloter par elle. Puis m’enfuir. C’est un classique. S’il est assez classique que des hommes quittent une femme après lui avoir fait un ou plusieurs enfants, il est aussi certaines femmes dont la priorité est d’ « avoir » un ou plusieurs enfants. Comme si l’enfant présent permettait de remplacer un ou plusieurs membres qui manquent à la mère.
La psychiatrie adulte à vingt cinq ans :
Après mon diplôme d’infirmier, ma mère a essayé un temps de me dissuader d’aller travailler en psychiatrie. Elle avait peur que je devienne fou. Cette fois-ci, sa peur de la psychiatrie m’a moins parlé que sa peur de la moto.
A vingt cinq ans, après mon service militaire que j’avais réussi effectuer en tant qu’infirmier dans un service de psychiatrie adulte, j’ai commencé à travailler dans un service de psychiatrie adulte.
Depuis l’obtention de mon diplôme d’Etat d’infirmier, quatre ans plus tôt, je m’étais aperçu que cela ne me correspondait pas d’aligner des tâches à la chaîne dans un hôpital dans un service de soins généraux. Comme si je travaillais sur une chaîne de montage dans une usine. C’était au début des années 1990.
Si l’on était en pleine épidémie du Sida, on ne parlait pas, alors, de la pandémie du Covid qui a atterri dans notre système solaire et mental en mars 2020. Mais on parlait déjà de pénurie infirmière. Avant de devenir infirmier titulaire à vingt cinq ans dans ce service de psychiatrie adulte, j’avais aussi été vacataire et infirmier intérimaire dans des cliniques mais aussi dans des hôpitaux publics en île de France. De jour comme de nuit.
Dans mon « nouveau » service, en psychiatrie adulte, j’ai été le plus jeune infirmier pendant deux ou trois ans. Plusieurs de mes collègues étaient mariés avec enfants ou vivaient en couple. J’étais tout le contraire mais j’avais des principes et des certitudes concernant l’amour et le couple.
J’avais donc été très choqué en apprenant que tel collègue, marié, avait trompé sa femme avec telle autre collègue, mariée également mais aussi mère de famille. J’avais été si choqué moralement que j’avais envisagé de quitter le service devant cette débauche morale, pour moi, évidente.
Puis, j’étais resté. Je me sentais très bien professionnellement et humainement dans ce service. Je m’y sentais si bien que j’ai d’ailleurs fini par m’y sentir comme chez moi. Au point de devenir incapable de le quitter même si je sentais que c’était pourtant ce qu’il fallait faire. Cela a eu plus tard des incidences personnelles et professionnelles qui m’ont obligé et poussé plus tard- enfin- à partir. Et à comprendre que l’affectif, même s’il est important avec nos collègues, doit rester secondaire sur notre lieu de travail.
Mais, dans ce service, en apprenant à connaître ces collègues, je compris un peu plus que la vie adulte et la vie de couple avaient leurs impasses.
Couper le cordon avec nos parents :
Le modèle du couple de mes parents et de membres de ma famille m’avait bien-sûr déjà donné des indices. Mais on ne fait pas toujours le rapprochement entre le modèle de nos parents et de notre famille et celui que l’on va suivre pour notre propre vie affective. Assez souvent, on suit à peu près le même modèle que nos parents. Même si, en apparence, on a l’impression d’être différent. D’avoir coupé le cordon avec nos parents. Et cela se comprend facilement :
Même si nous pouvons nous montrer aussi critiques que des ados envers nos parents, ceux-ci n’ont pas tout raté dans leur vie. Il est même des aspects de leur vie que nous serions incapables de supporter ou de réaliser. Je me suis déja demandé par exemple, si, à la place de mes parents, j’aurais eu la capacité, comme eux, de quitter mon pays natal pour la France. A la fin des années 60, mon père et ma mère ont quitté la Guadeloupe. Ils ont ainsi rompu avec une certaine tradition ainsi qu’une partie du cordon qui les reliait à leurs aînés depuis plusieurs générations depuis l’arrivée de leurs ancêtres, du fait de l’esclavage, en Guadeloupe. Esclavage qui a été aboli en Guadeloupe en 1848. Je le rappelle. Car il est encore des personnes instruites et de bonne foi en France qui ignorent que la présence de la majorité des Antillais par exemple en Guadeloupe ou en Martinique résulte de la traite négrière occidentale qui a duré environ deux cents ans.
En 1966 et 1967, mon père avait 22 ans et ma mère, 19 ans. Même s’ils sont arrivés en « Métropole » avec la nationalité française, il existait alors un tel décalage culturel- qui subsiste- entre la Guadeloupe et la France, ainsi qu’un certain handicap de couleur de peau, que, pour moi, leur venue « en » France a bien des points communs avec celle de beaucoup d’immigrés. C’est comme cela que je m’explique ma compréhension assez « intuitive » de certaines difficultés d’intégrations de jeunes français d’origine arabe ou maghrébine par exemple. Et, je ne vois aucun hasard dans le fait que mon meilleur ami soit d’origine algérienne. Même si j’ai appris depuis que dans certains quartiers, il arrive qu’Arabes et noirs ( africains ou antillais) soient les pires ennemis les uns pour les autres.
Et puis, il y a une frontière que l’on ne franchit pas vis à vis de ses parents lorsque l’on est mature :
Leur sexualité nous est interdite. Ce n’est pas Auchan ou une salle de cinéma. Nous n’avons pas de droit de regard dessus. Alors que l’on peut plus facilement s’autoriser à franchir cette frontière en « regardant » ou en imaginant la sexualité de tels collègues ensemble. J’ai déjà entendu parler de ragots à propos des coucheries ou de la relation sentimentale entre deux collègues. Je n’ai jamais entendu parler de ragots à propos de la sexualité de mes parents lorsqu’ils s’accouplaient :
Il doit être très rare que des enfants, entre eux, se racontent les derniers potins concernant les derniers vibratos éjaculatoires et clitoridiens de leurs parents.
En quittant ce premier service de psychiatrie, quelques années plus tard, pour un autre service, mon regard sur le couple, l’amour et certaines normes conjugales avait changé. J’avais par exemple compris, je crois, que désirer et aimer quelqu’un ne suffit pas pour être heureux ensemble. Même si ce désir et cet amour sont partagés. Et qu’ils comptent bien-sûr dans la construction d’un couple ou d’une relation. Du moins, à mon avis.
Un quasi-expert dans les relations sentimentales à la mords-moi-le-nœud :
Pour apprendre ça, j’avais payé de ma personne :
J’étais devenu un quasi-expert dans les relations sentimentales à la « mords-moi-le-nœud ».
Si j’ai connu des histoires d’amour avant de travailler dans ce service puis ensuite, j’ai aussi vécu l’échec final : ce que l’on appelle la rupture sentimentale. J’ai connu la rupture sentimentale, les ruptures sentimentales. Mais je n’avais toujours pas coupé le cordon avec mes parents. Donc, j’étais dans ce que l’on appelle…la répétition.
J’ai été quitté. J’ai aussi quitté. Peu importe la sincérité de départ de l’un ou de l’autre.
A celles et ceux qui ont pu me dire, à un moment donné que je manquais de chance, j’ai fini par répondre :
« Non ! Je ne suis pas doué pour le bonheur ».
A une collègue, en couple, qui avait pu me dire que cela l’angoissait d’être seule, j’avais répondu :
« Moi, c’est d’être en couple qui m’angoisse ».
Et, c’est vrai que, célibataire, j’ai connu un certain nombre de moments où j’étais vraiment très content d’être tout seul chez moi.
Mais il y a eu aussi d’autres moments moins drôles. Où je devais partir à la chasse d’affection. Au point qu’un certain nombre de fois, j’ai pu être trop présent auprès de certaines personnes. Aux mauvais moments. De la mauvaise façon. Avec les « mauvaises » personnes : celles qui étaient indisponibles.
Une certaine addiction :
A la Répétition d’histoires sentimentales à la mords-moi le nœud, s’est ajoutée sa cousine ou sa jumelle : Une certaine Addiction aux histoires à la mords-moi-le-nœud.
Aujourd’hui, je peux parler « d’addiction » parce-que depuis que je m’intéresse d’un peu plus près au sujet des addictions depuis environ quatre ans, j’ai compris que l’on peut être aussi « addict » à un certain type de comportements qui nous sont néfastes. Parce-que ces comportements nous dirigent et nous transportent vers des situations que l’on connaît bien. Même si ces situations nous déposent toujours, à un moment ou à un autre, sur un matelas hérissé de tessons ou de clous dans lequel on s’enroule, seul.
Entre l’obsession et l’addiction, il y a aussi des points communs. Nous sommes nombreux à avoir des obsessions. Nous sommes aussi nombreux à avoir certaines addictions. Mais nous nous en sortons différemment selon les lieux, selon notre entourage et aussi selon notre capacité à le voir ou à le nier.
Je me maintenais dans des histoires à la mords-moi-le-nœud parce-que l’inconnu me faisait peur. L’inconnu d’être dans une histoire sentimentale stable et simple. La peur de me conformer à une histoire conjugale « normale » et routinière comme mes parents où le Devoir et le sacrifice semblent l’emporter, l’ont emporté, avant tout.
Avant que les gens ne prennent de l’âge, de l’arthrose, ne s’avachissent sous les kilos, le poids de leurs artères et de leurs colères contre l’autre, ils ont été beaux. Ils ont été souriants en rencontrant l’autre. Et, ils ont cru à leur histoire même si celle-ci a peu duré et que l’artifice a très vite disparu. Dans le monde animal, il n’y a aucun drame car c’est comme ça que cela doit se passer. Il n’y a pas de rancune particulière, je crois. Mais dans le monde des êtres humains, cela se passe différemment. Il y a de la mémoire, des rancunes, des espoirs et des comptes à rendre à l’autre :
A soi-même, à notre entourage ainsi qu’à nos aînés mais aussi à notre descendance.
Ça fait beaucoup. Et cette histoire se perpétue.
Le mensonge et les normes sociales :
Je suis devenu père et me suis marié tard. J’avais quarante cinq ans. Je connaissais déjà la sécurité sociale et économique. En me mariant avec ma compagne mais aussi en devenant père, j’ai découvert la sécurité affective :
Cette présence quotidienne et aimante qui vous attend et vous reçoit quelle que soit la journée que vous avez passée. Quels que soient vos travers et vos humeurs. Tout ce que vous avez à faire pour cela, c’est rentrer chez vous, passer un coup de téléphone ou envoyer un sms et quelqu’un, votre compagnon ou votre compagne, voire votre enfant, généralement, vous répond plutôt favorablement. Vous êtes souvent le bienvenu ou la bienvenue. Vous bénéficiez assez souvent d’une attention particulière.
En découvrant cette expérience, j’ai aussi eu la confirmation que certains de mes proches et de mes connaissances qui m’affirmaient avoir moins de temps pour me voir ou me rappeler, m’avaient menti. Le mensonge fait aussi partie des normes sociales. Le mensonge envers les autres. Mais aussi vis à vis de soi-même :
Si l’on a moins de temps lorsque l’on se met en couple et que l’on décide ensuite de « faire » un enfant, on peut, si on le veut véritablement, joindre untel ou untel. Ou prendre le temps de le rencontrer. Cela nécessite plus de préparation pour une durée plus courte. Mais c’est possible.
Cet article est imparfait et biaisé bien-sûr mais je le crois sincère. Je le vois comme le contraire de certains mensonges sociaux.
Mais il y a d’autres mensonges qui subsistent. Lorsque l’on se met en couple, que l’on se marie ou non, on se dit oui. Sauf que, même en se disant ouvertement oui, il y a d’autres points sur lesquels on se dit non. Mais comme on est plein d’amour et de désir l’un pour l’autre, on n’y fait pas attention. On banalise ces quelques points qui peuvent ou vont devenir beaucoup plus sensibles à mesure que l’on va se rapprocher l’un de l’autre dans le quotidien mais aussi dans la vie intime.
La Clinique de l’Amour : une émission de France Inter
Cette très longue introduction pour expliquer ce qui a pu me donner envie de découvrir et d’écouter cette émission de France Inter appelée La Clinique de l’Amour. Une émission qui raconte en plusieurs épisodes (cinq ou six) d’une vingtaine de minutes l’évolution de plusieurs couples qui font une thérapie.
L’émission m’a « plu ». Même si je lui reprocherais le fait que, par moments, pour moi, les thérapeutes sont trop intervenus. Cela peut faire sourire après tout ce que j’ai écrit avant de vous parler, finalement, de ce podcast de France Inter qui date de février 2020.
Le thérapeute masculin par exemple. Il est certaines fois où, à mon avis, les deux thérapeutes auraient dû davantage « protéger » la parole de celle ou de celui qui s’exprime et le laisser parler. Au lieu de le laisser ou de la laisser se faire « pilonner » verbalement par l’autre.
Je crois que ça aurait été « bien » d’expliciter :
De dire par exemple à telle personne qu’elle semble très déçue ; qu’elle avait apparemment une très haute vision ou une vision différente de ce que son mari ou sa compagne allait être dans la vie de couple ou de famille.
Un des couples a trois enfants. Je crois que cela aurait été bien de demander pourquoi trois enfants ? Pourquoi pas deux ? Pourquoi pas un seul ?
Vu que j’ai compris que bien des couples font des enfants en pensant que faire des enfants rapproche et va aider le couple à se « soigner ».
Alors que je crois que cela peut être le contraire : lorsque l’on fait un enfant, nos tripes prennent facilement ou peuvent facilement prendre le dessus sur tout ce que l’on essaie d’être ou de faire de manière rationnelle. Et l’on peut alors s’apercevoir à quel point on est très différent de sa « moitié » voire opposé à elle. Même si on peut aussi devenir complémentaire.
J’ai aussi été à nouveau assez agacé par certaines phrases typiques du vocabulaire professionnel de mes « collègues »:
Ma remarque est sûrement très déplacée. Car le principal est bien-sûr que ces thérapeutes aient fourni leur présence, leur constance et leur empathie à ces couples. Mais je vois à nouveau dans ces tics de vocabulaire et de langage de mes « collègues » thérapeutes un certain manque de spontanéité : un trop haut degré d’intellectualisation ; une certaine carence affective. Comme s’ils s’en tenaient à un texte ou à un protocole appris par cœur qui les empêche d’improviser. Comme s’ils s’exprimaient de manière scolaire.
Hormis ces quelques remarques, j’ai bien aimé cette émission.
J’aimerais pouvoir ensuite traduire cet article en Anglais voire peut-être en Espagnol quand je le pourrai.
Apparemment, pour l’instant, je n’arrive pas à intégrer le lien vers ce podcast dans cet article. Mais on le trouve facilement. Dès que je le pourrai, je l’intégrerai à l’article.
Je le précise assez peu dans mes articles mais la plupart des photos prises dans la rue ou dans le métro sont de moi.
Franck Unimon, ce jeudi 29 octobre 2020. Puis, ce lundi 2 novembre 2020 où j’ai ajouté un certain nombre de propos et de pages depuis l’article initial.
Tous les jours, nous avons des désirs, des souhaits, des occasions, des circonstances. Et nous prenons de très grandes décisions. Cracher un gros mollard sur la tête d’untel. Raconter deux ou trois secrets que l’on a appris à son sujet. Aller aux toilettes. Violer la fourmi que l’on avait repérée il y a plusieurs semaines en allant faire nos courses. Eteindre ou allumer la télé. Faire une recherche sur internet. Se brosser les dents. Confectionner un gâteau. Manger des bonbons. Dépasser de dix kilomètres la vitesse autorisée sur la route. Boire. Fumer. Avoir des relations sexuelles. Trucider. Elucider. Déboucher l’évier avec de la javel ou avec du percarbonate de soude. Apprendre à lire. Sourire. Plomber une ambiance. Aller se promener. Enfanter. Se suicider. Démissionner. Voler. Sulfater. Décapiter. Etrangler. Dissoudre. Dessouder. Carboniser.
Une Histoire
J’ai lu ou entendu que l’animal n’a pas d’Histoire. Le genre humain, lui, a une Histoire. Et, certaines fois, une conscience. Du moins en est-il persuadé grâce à cette pensée que nous avons tous eue un jour ou l’autre :
« Je sais ce que je fais ! ».
Au nom d’une Histoire, d’une éducation, d’une religion, d’une tradition, d’un nom, d’un parti, d’une croyance, par anticipation, par automatisme, par intérêt ou par principe, l’être humain est capable de tout. De faire les soldes. Comme de réinventer le néant. Quelle que soit l’action, une fois sa décision prise, il aura toujours raison. Ensuite…
Ensuite….celles et ceux qu’il croisera le conforteront ou lui feront comprendre, s’ils le peuvent, qu’il n’est pas tout seul. Qu’il fait partie d’un gigantesque puzzle qu’il avait à peine aperçu contrairement à tout ce qu’il « sait » et à tout ce qu’il « croit ». Et que ce puzzle, comme les icebergs, les arbres et les plantes centenaires, voire millénaires, a de très profondes et de puissantes histoires et origines. Que ces histoires et ces origines nous concernent et nous relient tous. Et qu’il reste donc beaucoup plus d’une énigme ne serait-ce qu’à entrevoir avant d’espérer la résoudre- si on en a les facultés- avant de véritablement savoir ce que l’on fait !
Je n’ai aucun problème particulier avec la religion comme avec toute autre forme d’autorité. Mais ce qui m’importe, c’est ce qu’on en fait !
Une espèce, comme la nôtre, capable à la fois de trucider pour manger les bonbons de son voisin, ou afin de lui prendre sa console de playstation, a bien évidemment besoin de règles et de « guides ». Mais j’ai besoin de gages d’ouvertures, de pouvoir choisir celle ou celui que je décide de suivre pour une durée donnée, même si c’est pour quelques secondes. On appelle ça le libre arbitre, je crois. Le choix. Ou le consentement éclairé.
La confiance
Lorsque je décide de monter dans un bus ou dans un métro, c’est parce-que je fais confiance à la conductrice et au conducteur comme à la société qui l’emploie. Bien-sûr, je ne connais ni l’un ni l’autre et serais incapable de dire leur nom comme de dire à quoi ils ressemblent physiquement et où ils habitent.
Mais c’est néanmoins une des réussites accomplies par l’être humain : pouvoir obtenir certains services bien pratiques, moyennant finances ou non, en se rapprochant d’inconnus dont, spontanément, il y a plusieurs générations, il aurait mieux valu d’abord se méfier afin de s’assurer au préalable de leurs réelles intentions.
Si je me rends dans un hôpital, dans une administration, dans une école ou dans une association, c’est pareil. Idem pour un club de sport et pour les manifestations qu’il organise et auxquelles je décide de participer. A priori, les personnes qui y oeuvrent veulent mon bien. Et sont compétentes.
Bien-sûr, nous savons tous au quotidien qu’il nous arrive de connaître des déconvenues et des contrariétés. Et nous savons aussi que tout dépend de l’orientation de l’institution, de l’association – et beaucoup des personnes qui la dirigent- à laquelle nous nous en remettons.
Mais le principe est qu’il nous est possible dans un certain nombre de cas de figures de vivre en «société » et de nous sentir en sécurité même lorsque nous sortons de chez nous. Ce qui est plutôt une avancée.
Ça, c’est une partie du puzzle. L’autre partie du puzzle est faite de dogmes et d’obéissances absolues. Lorsque l’on parle de fanatisme, religieux, politique, économique ou autre, il existe au moins deux écueils. Celles et ceux qui s’identifient à ce fanatisme, le justifient et en sont fiers car ils sont persuadés qu’ils « savent ce qu’ils font ! ». Et rien ni personne a priori ne les fera changer d’avis. Ou alors, il faut avoir la personnalité d’un Daryl Davis ( auteur de Klan-Destine relationships ) peut-être. Ce qui est hors du commun.
Et puis, il y a les fanatiques potentiels qui s’ignorent et que l’on ignore. D’une part parce qu’eux mêmes ne savent pas de quoi ils sont capables dans certaines circonstances. Mais aussi parce-que le fanatisme, pour être « détecté », nécessite certaines capacités d’écoute et d’observation. Ou certains moyens humains et logistiques. Des moyens sans doute surhumains faits aussi de psychologie, de patience, d’intuition voire, quasiment, de dons de « voyance ».
La Peur
Faut-il avoir peur ? On choisit rarement ses peurs ou d’avoir peur. On a peur ou on n’a pas peur. On réussit à surmonter ses peurs ou non. Mais pour qu’un dogme s’impose et rende « servile », il a besoin d’instaurer la peur ne serait-ce que machinalement. Instinctivement.
Avoir peur, prendre peur, n’écouter que sa peur, vivre de sa peur et dans la peur, c’est donc, à un moment ou à un autre, se soumettre à une institution, à un ordre ou à quelqu’un même lorsque celle-ci ou celui-ci est absent, inactif ou défaillant. C’est donc perdre notre libre arbitre ou notre consentement éclairé. C’est devenir la chose, le « membre » ou l’extension fidèle, loyal ou zélé d’une institution, d’un ordre, d’une pensée. On croit peut-être être libre et savoir exactement ce que l’on fait. On sauve sûrement sa peau- et son âme- ou on a peut-être le sentiment de les sauver. Mais, en contrepartie, c’est quelqu’un d’autre ou quelque chose d’autre supposé nous « protéger » et nous « guider » qui pense pour nous. On est comme sous hypnose. Une autohypnose consentie.
La Matrice
Et les réelles intentions de cette institution ou de cet autre qui pense pour nous nous sont inconnues. Les intentions de Google, de Facebook, d’Amazon ou D’Apple, par exemple, je ne les connais pas vraiment à part d’établir et de maintenir une sorte de monopole.
Je n’ai jamais rencontré leurs dirigeants. Je ne connais pas ces personnes. Je ne vis pas avec elles. Pourtant, tous les jours, Google, Facebook, Apple, Microsoft et Amazon ( des entreprises américaines) influent sur ma vie directement ou indirectement. Tous les jours, d’une façon ou d’une autre, je contribue à leur richesse et à leur puissance. Puisque j’ai du mal à m’en passer comme une majorité de personnes. Je suis incapable de savoir aujourd’hui si je suis encore suffisamment en bonne santé si je décide de vivre sans ces entités. Mais je sais que passer par Google, Facebook, Microsoft, Apple ou Amazon fait désormais- et pour l’instant- partie d’une normalité.
Je repense de temps à autre au film Matrix des ex-frères Wachowski, film transgenres. Les deux réalisateurs ont changé de genre pour devenir femmes. Comme pour essayer de mieux échapper à un certain conditionnement.
C’est pareil pour certaines décisions politiques. Il s’y trouve un certain mélange des genres. Pourtant, même si je suis hébété et distancé, je ne peux me passer de continuer d’assister à certaines démonstrations politiques.
C’est encore pire lorsque je regarde un certain fanatisme religieux. Décapiter à Conflans Ste-Honorine un professeur ( Samuel Paty) qui parlait de Charlie Hebdo à ses élèves, ça fait très peur. J’ai travaillé à Conflans Ste Honorine il y a quelques années. Je connais un peu cette ville. Une de mes Ex y a habité ou y habite encore. A Conflans Ste Honorine, j’avais aussi vu John Mc Laughlin en concert. C’était une toute autre ambiance que cette décapitation et cet attentat. Le soir de ce concert de John Mc Laughlin à Conflans Ste-Honorine, comme tous les autres spectateurs après le concert, j’étais reparti avec ma tête. Et j’espère l’avoir encore bien avec moi alors que j’écris cet article.
Harry Potter
J’ai appris la nouvelle par une collègue vendredi soir (avant hier) au travail. Elle s’inquiétait du fait que les jeunes hospitalisés dans notre service soient effrayés par la nouvelle. Nous avons « rassuré » cette collègue :
Les jeunes n’en n’avaient pas entendu parler. Ils étaient plutôt concentrés sur le fait de revoir un dvd de Harry Potter, un film où l’on parle aussi de fanatisme. Mais où des enfants, puis des adolescents, les héros, en murissant, en se rappelant certains souvenirs, en remportant certaines épreuves, en souffrant aussi, et en s’entraidant, parviennent finalement à tuer le Mal absolu incarné par un adulte : « celui que l’on ne nomme pas ».
Plusieurs fois, déjà, j’ai exprimé mon étonnement devant le rôle des adultes dans Harry Potter :
Ces mômes sont confiés, par leurs parents, à une école hautement réputée sans doute privée – et secrète- de sorcellerie. Or, bien que ces mômes soient sous la surveillance et la protection d’adultes formés et puissants, ils sont régulièrement exposés au danger et à la mort. Je trouve donc les parents de ces mômes soit très crédules soit irresponsables et suicidaires. A la limite du signalement. Quant aux professeurs, aussi charismatiques soient-ils, plus d’une fois, selon moi, ils devraient au minimum passer devant une commission de discipline pour manquement à leurs devoirs de protection.
Mais, chaque fois que j’ai abordé ce sujet, on m’a écouté avec indulgence. Comme si le principal était ailleurs. Comme si on en savait beaucoup plus que moi. Harry Potter me laisse donc perplexe au moins pour cette raison. Même si je peux avoir plaisir à regarder certains épisodes. Le Prisonnier d’Azkaban- réalisé (en 2004) par Alfonso Cuaron plusieurs années avant Gravity– est pour l’instant mon préféré parmi ceux que j’ai pu voir. Je me rappelle avoir vu le premier volet à sa sortie au cinéma, Harry Potter à l’école des sorciers, en 2001. Si j’avais plutôt bien aimé regarder le film, à aucun moment, je n’avais envisagé qu’il y aurait d’autres films après celui-là et qu’ils deviendraient- comme l’œuvre littéraire originelle- le phénomène mondial qu’ils sont devenus. Encore aujourd’hui, j’ai du mal à retenir le nom de l’auteure de Harry Potter alors que je la sais mondialement connue.
Lors des « attentats du bataclan » et du « Stade de France » en novembre 2015, j’étais également au travail. Et, là encore, les jeunes hospitalisés dans le service ce soir-là avaient baigné dans le «fantastique » mais d’une autre façon :
Nous avions écouté un conte avec eux, en avions discuté, avant qu’ils n’aillent tranquillement se coucher. Puis, tandis qu’ils dormaient, mes deux collègues et moi avions appris les « nouvelles ».
La violence, notre addiction favorite
Que l’on parle de Harry Potter ou de contes (je propose des contes du monde entier : Sénégal, Mali, Tunisie, Tahiti, Nouvelle Orléans, Brésil, Japon, Bretagne….). Ou que l’on parle de pandémie du Covid-19; du couvre-feu décidé récemment par le gouvernement Macron-Castex pour répondre à la reprise de la pandémie du Covid; de la montée des eaux -qui semble s’inspirer de la montée des extrémismes religieux, politiques et économiques- du réchauffement climatique ; de la pollution atmosphérique ; des élections présidentielles américaines Trump-Biden ; de l’emprise croissante des réseaux sociaux et des GAFAM ; des crimes racistes ; des guerres en série ou d’autres tragédies, j’ai l’impression que nous sommes beaucoup de grands enfants qui assistons à un spectacle très violent qui nous dépasse. Spectacle qui explose devant nos yeux en emportant parfois nos bras ou l’une de nos connaissances.
Parce que la violence, sous toutes ses formes, est devenue notre addiction favorite.
Les Adultes face à leur enfance
Je ne sais pas où sont les adultes. Ce qu’ils font et ce qu’ils attendent pour remettre de l’ordre et de l’autorité dans tout ça. Peut-être parce-que c’est encore trop tôt. Peut-être parce-que, comme n’importe quel gamin, je reste déconnecté du lourd travail que réalisent quantité d’adultes. Et que ce travail, s’il se fait devant moi- voire, même si j’y prends aussi ma part – avec d’autres dans un champ invisible, tous les jours, est abstrait. Lent. Et cela me donne peut-être l’impression de servir à rien.
Peut-être, aussi, que certaines personnes ignorent encore à quel point elles sont et peuvent être adultes en certaines circonstances. Face au danger et à la mort.
Beaucoup d’adultes restent des enfants qui, lorsqu’ils ont peur, se cachent sous une couverture. Cependant, la peur peut pousser vers deux extrêmes : la paralysie ou l’attaque.
Donc, tout commence souvent par la façon dont on traite l’enfance. Que ce soit la nôtre, celle de notre descendance mais aussi celle des autres. Ainsi que par la façon dont, en tant qu’adultes, on se comporte et on s’exprime devant cette enfance et par rapport à elle. Par la façon dont on lui apprend à regarder la vie, le monde et les autres. C’est toujours la même Histoire qui se répète et que l’être humain semble avoir beaucoup de mal à retenir, à connaître et à comprendre, si pressé de grandir et d’exposer ses certitudes pour se faire admirer qu’il reste petit.
Parler d’un des derniers livres de Kersauson, Le Monde comme il me parle, c’est presque se dévouer à sa propre perdition. C’est comme faire la description de notre dentition de lait en décidant que cela pourrait captiver. Pour beaucoup, ça manquera de sel et d’exotisme. Je m’aperçois que son nom parlera spontanément aux personnes d’une cinquantaine d’années comme à celles en âge d’être en EHPAD.
Kersauson est sûrement assez peu connu voire inconnu du grand public d’aujourd’hui. Celui que j’aimerais concerner en priorité avec cet article. Je parle du public compris grosso modo entre 10 et 35 ans. Puisque internet et les réseaux sociaux ont contribué à abaisser l’âge moyen du public lambda. Kersauson n’est ni Booba, ni Soprano, ni Kenji Girac. Il n’est même pas le journaliste animateur Pascal Praud, tentative de croisement tête à claques entre Donald Trump et Bernard Pivot, martelant sur la chaine de télé Cnews ses certitudes de privilégié. Et à qui il manque un nez de clown pour compléter le maquillage.
Le Mérite
Or, aujourd’hui, nous sommes de plus en plus guidés par et pour la dictature de l’audience et du like. Il est plus rentable de faire de l’audience que d’essayer de se faire une conscience.
Que l’on ne me parle pas du mérite, héritage incertain qui peut permettre à d’autres de profiter indéfiniment de notre crédulité comme de notre « générosité » ! Je me rappelle toujours de cette citation que m’avait professée Spock, un de mes anciens collègues :
« Il nous arrive non pas ce que l’on mérite mais ce qui nous ressemble ».
Une phrase implacable que je n’ai jamais essayé de détourner ou de contredire.
Passer des heures sur une entreprise ou sur une action qui nous vaut peu de manifestations d’intérêt ou pas d’argent revient à se masturber ou à échouer.
Cela équivaut à demeurer une personne indésirable.
Si, un jour, mes articles comptent plusieurs milliers de lectrices et de lecteurs, je deviendrai une personne de « valeur ». Surtout si ça rapporte de l’argent. Beaucoup d’argent. Quelles que soient l’originalité ou les vertus de ce que je produis.
Mais j’ai beaucoup de mal à croire à cet avenir. Mes écrits manquent par trop de poitrine, de potins, d’images ad hoc, de sex-tapes, de silicone et de oups ! Et ce n’est pas en parlant de Kersauson aujourd’hui que cela va s’améliorer. Kersauson n’a même pas fait le nécessaire pour intégrer l’émission de téléréalité Les Marseillais !
Rien en commun
Mais j’ai plaisir à écrire cet article.
Kersauson et moi n’avons a priori rien à voir ensemble. Il a l’âge de mon père, est issu de la bourgeoisie catholique bretonne. Mais il n’a ni l’histoire ni le corps social (et autre) de mon père et de ma mère. Même si, tous les deux, ont eu une éducation catholique tendance campagnarde et traditionnelle. Ma grand-mère maternelle, originaire des Saintes, connaissait ses prières en latin.
Kersauson a mis le pied sur un bateau de pêche à l’âge de quatre ans et s’en souvient encore. Il a appris « tôt » à nager, sans doute dans la mer, comme ses frères et soeurs.
Je devais avoir entre 6 et 9 ans lorsque je suis allé sur mon premier bateau. C’était dans le bac à sable à côté de l’immeuble HLM où nous habitions en banlieue parisienne. A quelques minutes du quartier de la Défense à vol d’oiseau.
J’ai appris à nager vers mes dix ans dans une piscine. Le sel et la mer pour lui, le chlore et le béton pour moi comme principaux décors d’enfance.
Moniteur de voile à 13 ans, Kersauson enseignait le bateau à des parisiens (sûrement assez aisés) de 35 à 40 ans. Moi, c’est plutôt vers mes 18-20 ans que j’ai commencé à m’occuper de personnes plus âgées que moi : c’était des patients dans les hôpitaux et les cliniques. Changer leurs couches, vider leur bassin, faire leur toilette, prendre soin d’eux….
J’ai pourtant connu la mer plus tôt que certains citadins. Vers 7 ans, lors de mon premier séjour en Guadeloupe. Mais si, très tôt, Kersauson est devenu marin, moi, je suis un ultramarin. Lui et moi, ne sommes pas nés du même côté de la mer ni pour les mêmes raisons.
La mer a sûrement eu pour lui, assez tôt, des attraits qui ont mis bien plus de temps à me parvenir. Je ne vais pas en rajouter sur le sujet. J’en ai déjà parlé et reparlé. Et lui, comme d’autres, n’y sont pour rien.
Kersauson est né après guerre, en 1944, a grandi dans cette ambiance (la guerre d’Indochine, la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam) et n’a eu de cesse de lui échapper.
Je suis né en 1968. J’ai entendu parler des guerres. J’ai vu des images. J’ai entendu parler de l’esclavage. J’ai vu des images. J’ai plus connu la crise, la peur du chômage, la peur du racisme, l’épidémie du Sida, la peur d’une guerre nucléaire, les attentats. Et, aujourd’hui, le réchauffement climatique, les attentats, les serres d’internet, l’effondrement, le Covid.
Kersauson, et moi, c’est un peu la matière et l’antimatière.
En cherchant un peu dans la vase
Pourtant, si je cherche un peu dans la vase, je nous trouve quand même un petit peu de limon en commun.
L’ancien collègue Spock que j’ai connu, contrairement à celui de la série Star Trek, est Breton.
C’est pendant qu’il fait son service militaire que Kersauson, Breton, rencontre Eric Tabarly, un autre Breton.
C’est pendant mon service militaire que j’entends parler pour la première fois de Kersauson. Par un étudiant en psychologie qui me parle régulièrement de Brautigan, de Desproges et de Manchette sûrement. Et qui me parle de la culture de Kersauson lorsque celui-ci passe aux Grosses Têtes de Bouvard. Une émission radiophonique dont j’ai plus entendu parler que je n’ai pris le temps de l’écouter.
Je crois que Kersauson a bien dû priser l’univers d’au moins une de ces personnes :
Desproges, Manchette, Brautigan.
Pierre Desproges et Jean-Patrick Manchette m’ont fait beaucoup de bien à une certaine période de ma vie. Humour noir et polar, je ne m’en défais pas.
C’est un Breton que je rencontre une seule fois (l’ami de Chrystèle, une copine bretonne de l’école d’infirmière) qui m’expliquera calmement, alors que je suis en colère contre la France, que, bien que noir, je suis Français. J’ai alors entre 20 et 21 ans. Et je suis persuadé, jusqu’à cette rencontre, qu’il faut être blanc pour être Français. Ce Breton, dont j’ai oublié le prénom, un peu plus âgé que moi, conducteur de train pour la SNCF, me remettra sur les rails en me disant simplement :
« Mais…tu es Français ! ».
C’était à la fin des années 80. On n’entendait pas du tout parler d’un Eric Zemmour ou d’autres. Il avait beaucoup moins d’audience que depuis quelques années. Lequel Eric Zemmour, aujourd’hui, a son trône sur la chaine Cnews et est la pierre philosophale de la Pensée selon un Pascal Praud. Eric Zemmour qui se considère fréquemment comme l’une des personnes les plus légitimes pour dire qui peut être Français ou non. Et à quelles conditions. Un de ses vœux est peut-être d’être le Montesquieu de la question de l’immigration en France.
Dans son livre, Le Monde comme il me parle, Kersauson redit son attachement à la Polynésie française. Mais je sais que, comme lui, le navigateur Moitessier y était tout autant attaché. Ainsi qu’AlainColas. Deux personnes qu’il a connues. Je sais aussi que Tabarly, longtemps célibataire et sans autre idée fixe que la mer, s’était quand même acheté une maison et marié avec une Martiniquaise avec laquelle il a eu une fille. Même s’il a fini sa vie en mer. Avant d’être repêché.
Ce paragraphe vaut-il à lui tout seul la rédaction et la lecture de cet article ? Toujours est-il que Kersauson est un inconnu des réseaux sociaux.
Inconnu des réseaux sociaux :
Je n’ai pas vérifié mais j’ai du mal à concevoir Kersauson sur Instagram, faisant des selfies ou téléchargeant des photos dénudées de lui sur OnlyFans. Et il ne fait pas non plus partie du décor du jeu The Last of us dont le deuxième volet, sorti cet été, une des exclusivités pour la console de jeu playstation, est un succès avec plusieurs millions de vente.
Finalement, mes articles sont peut-être trop hardcore pour pouvoir attirer beaucoup plus de public. Ils sont peut-être aussi un peu trop « mystiques ». J’ai eu cette intuition- indirecte- en demandant à un jeune récemment ce qu’il écoutait comme artistes de Rap. Il m’a d’abord cité un ou deux noms que je ne connaissais pas. Il m’avait prévenu. Puis, il a mentionné Dinos. Je n’ai rien écouté de Dinos mais j’ai entendu parler de lui. J’ai alors évoqué Damso dont j’ai écouté et réécouté l’album Lithopédion (sorti en 2018) et mis plusieurs de ses titres sur mon baladeur. Le jeune m’a alors fait comprendre que les textes de Damso étaient en quelque sorte trop hermétiques pour lui.
Mais au moins Damso a-t’il des milliers voire des millions de vues sur Youtube. Alors que Kersauson…. je n’ai pas fouillé non plus- ce n’est pas le plus grave- mais je ne vois pas Kersauson avoir des milliers de vues ou lancer sa chaine youtube. Afin de nous vendre des méduses (les sandales en plastique pour la plage) signées Balenciaga ou une crème solaire bio de la marque Leclerc.
J’espère au moins que « Kersau », mon Bernard Lavilliers des océans, est encore vivant. Internet, google et wikipédia m’affirment que « oui ». Kersauson a au moins une page wikipédia. Il a peut-être plus que ça sur le net. En écrivant cet article, je me fie beaucoup à mon regard sur lui ainsi que sur le livre dont je parle. Comme d’un autre de ses livres que j’avais lu il y a quelques années, bien avant l’effet « Covid».
L’effet « Covid »
Pourvu, aussi, que Kersauson se préserve du Covid. Il a 76 ans cette année. Car, alors que la rentrée (entre-autre, scolaire) a eu lieu hier et que bien des personnes rechignent à continuer de porter un masque (dont le très inspiré journaliste Pascal Praud sur Cnews), deux de mes collègues infirmières sont actuellement en arrêt de travail pour suspicion de covid. La première collègue a une soixantaine d’années. La seconde, une trentaine d’années. Praud en a 54 si j’ai bien entendu. Ou 56.
Un article du journal » Le Canard Enchainé » de ce mercredi 2 septembre 2020.
Depuis la pandémie du Covid-19, aussi appelé de plus en plus « la Covid », la vente de livres a augmenté. Jeff Bezos, le PDG du site Amazon, premier site de ventes en ligne, (aujourd’hui, homme le plus riche du monde avec une fortune estimée à 200 milliards de dollars selon le magazine Forbes US cité dans le journal Le Canard Enchaîné de ce mercredi 2 septembre 2020) n’est donc pas le seul à avoir bénéficié de la pandémie du Covid qui a par ailleurs mis en faillite d’autres économies.
Donc, Kersauson, et son livre, Le Monde comme il me parle, auraient pu profiter de « l’effet Covid ». Mais ce livre, celui dont j’ai prévu de vous parler, est paru en 2013.
Il y a sept ans. C’est à dire, il y a très très longtemps pour beaucoup à l’époque.
Mon but, aujourd’hui, est de vous parler d’un homme de 76 ans pratiquement inconnu selon les critères de notoriété et de réussite sociale typiques d’aujourd’hui. Un homme qui a fait publier un livre en 2013.
Nous sommes le mercredi 2 septembre 2020, jour du début du procès des attentats de Charlie Hebdo et de L’Hyper Cacher.
Mais nous sommes aussi le jour de la sortie du film Police d’Anne Fontaine avec Virginie Efira, OmarSy et Grégory Gadebois. Un film que j’aimerais voir. Un film dont je devrais plutôt vous parler. Au même titre que le film Tenet de Christopher Nolan, sorti la semaine dernière. Un des films très attendus de l’été, destiné à relancer la fréquentation des salles de cinéma après leur fermeture due au Covid. Un film d’autant plus désiré que Christopher Nolan est un réalisateur reconnu et que l’autre grosse sortie espérée, le film Mulan , produit par Disney, ne sortira pas comme prévu dans les salles de cinéma. Le PDG de Disney préférant obliger les gens à s’abonner à Disney+ (29, 99 dollars l’abonnement aux Etats-Unis ou 25 euros environ en Europe) pour avoir le droit de voir le film. Au prix fort, une place de cinéma à Paris peut coûter entre 10 et 12 euros.
Tenet, qui dure près de 2h30, m’a contrarié. Je suis allé le voir la semaine dernière. Tenet est selon moi la bande annonce des films précédents et futurs de Christopher Nolan dont j’avais aimé les films avant cela. Un film de James Bond sans James Bond. On apprend dans Tenet qu’il suffit de poser sa main sur la pédale de frein d’une voiture qui file à toute allure pour qu’elle s’arrête au bout de cinq mètres. J’aurais dû m’arrêter de la même façon avant de choisir d’aller le regarder. Heureusement qu’il y a Robert Pattinson dans le film ainsi que Elizabeth Debicki que j’avais beaucoup aimée dans Les Veuves réalisé en 2018 par Steve McQueen.
Distorsions temporelles
Nolan affectionne les distorsions temporelles dans ses films. Je le fais aussi dans mes articles :
En 2013, lorsqu’est paru Le Monde comme il me parle de Kersauson, Omar Sy, un des acteurs du film Police, sorti aujourd’hui, était déjà devenu un « grand acteur ».
Grâce à la grande audience qu’avait connue le film Intouchables réalisé en…2011 par Olivier Nakache et Eric Toledano. Près de vingt millions d’entrées dans les salles de cinéma seulement en France. Un film qui a permis à Omar Sy de jouer dans une grosse production américaine. Sans le succès d’Intouchables, nous n’aurions pas vu Omar Sy dans le rôle de Bishop dans un film de X-Men (X-Men : Days of future past réalisé en 2014 par Bryan Singer).
J’ai de la sympathie pour Omar Sy. Et cela, bien avant Intouchables. Mais ce n’est pas un acteur qui m’a particulièrement épaté pour son jeu pour l’instant. A la différence de Virginie Efira et de Grégory Gadebois.
Virginie Efira, d’abord animatrice de télévision pendant une dizaine d’années, est plus reconnue aujourd’hui qu’en 2013, année de sortie du livre de Kersauson.
J’aime beaucoup le jeu d’actrice de Virginie Efira et ce que je crois percevoir d’elle. Son visage et ses personnages ont une allure plutôt fade au premier regard : ils sont souvent le contraire.
Grégory Gadebois, passé par la comédie Française, m’a « eu » lorsque je l’ai vu dans le Angèle et Tony réalisé par Alix Delaporte en 2011. Je ne me souviens pas de lui dans Go Fast réalisé en 2008 par Olivier Van Hoofstadt.
Je ne me défile pas en parlant de ces trois acteurs.
Je continue de parler du livre de Kersauson. Je parle seulement, à ma façon, un petit peu du monde dans lequel était sorti son livre, précisément.
Kersauson est évidemment un éminent pratiquant des distorsions temporelles. Et, grâce à lui, j’ai sans doute compris la raison pour laquelle, sur une des plages du Gosier, en Guadeloupe, j’avais pu être captivé par les vagues. En étant néanmoins incapable de l’expliquer à un copain, Eguz, qui m’avait surpris. Pour lui, mon attitude était plus suspecte que d’ignorer le corps d’une femme nue. Il y en avait peut-être une, d’ailleurs, dans les environs.
Page 12 de Le Monde comme il me parle :
« Le chant de la mer, c’est l’éternité dans l’oreille. Dans l’archipel des Tuamotu, en Polynésie, j’entends des vagues qui ont des milliers d’années. C’est frappant. Ce sont des vagues qui brisent au milieu du plus grand océan du monde. Il n y a pas de marée ici, alors ces vagues tapent toujours au même endroit ».
Tabarly
A une époque, adolescent, Kersauson lisait un livre par jour. Il le dit dans Le Monde comme il me parle.
J’imagine qu’il est assez peu allé au cinéma. Page 50:
« (….) Quand je suis démobilisé, je reste avec lui ( Eric Tabarly). Evidemment. Je tombe sur un mec dont le seul programme est de naviguer. Il est certain que je n’allais pas laisser passer ça ».
Page 51 :
« Tabarly avait, pour moi, toutes les clés du monde que je voulais connaître. C’était un immense marin et, en mer, un homme délicieux à vivre ».
Page 54 :
« C’est le temps en mer qui comptait. Et, avec Eric, je passais neuf mois de l’année en mer ».
A cette époque, à la fin des années 60, Kersauson avait 23 ou 24 ans. Les virées entre « potes » ou entre « amies » que l’on peut connaître dans les soirées ou lors de certains séjours de vacances, se sont déroulées autour du monde et sur la mer pour lui. Avec Eric Tabarly, référence mondiale de la voile.
Page 51 :
« (…..) Il faut se rendre compte qu’à l’époque, le monde industriel français se demande comment aider Eric Tabarly- tant il est créatif, ingénieux. Il suscite la passion. C’est le bureau d’études de chez Dassault qui règle nos problèmes techniques ! ».
Le moment des bilans
Il est facile de comprendre que croiser un mentor comme Tabarly à 24 ans laisse une trace. Mais Kersauson était déjà un ténor lorsqu’ils se sont rencontrés. Il avait déja un aplomb là ou d’autres avaient des implants. Et, aujourd’hui, en plus, on a besoin de tout un tas d’applis, de consignes et de protections pour aller de l’avant.
J’avais lu Mémoires du large, paru en Mai 1998 (dont la rédaction est attribuée à Eric Tabarly) quelques années après sa mort. Tabarly est mort en mer en juin 1998.
Tabarly était aussi intraitable que Kersauson dans son rapport à la vie. Kersauson écrit dans Le Monde comme il me parle, page 83 :
« Ce qui m’a toujours sidéré, chez l’être humain, c’est le manque de cohérence entre ce qu’il pense et ce qu’il fait (…). J’ai toujours tenté de vivre comme je le pensais. Et je m’aperçois que nous ne sommes pas si nombreux dans cette entreprise ».
Tabarly avait la même vision de la vie. Il l’exprimait avec d’autres mots.
Que ce soit en lisant Kersauson ou en lisant Tabarly, je me considère comme faisant partie du lot des ruminants. Et c’est peut-être aussi pour cela que je tiens autant à cet article. Il me donne sans doute l’impression d’être un petit peu moins mouton même si mon intrépidité sera un souvenir avant même la fin de la rédaction de cet article.
« Différence entre la technologie et l’esclavage. Les esclaves ont pleinement conscience qu’ils ne sont pas libres » affirme Nicholas Nassim Taleb dont les propos sont cités par le Dr Judson Brewer dans son livre Le Craving ( Pourquoi on devient accro et comment se libérer), page 65.
Un peu plus loin, le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction, terme qui n’a été employé par aucun des intervenants, hier, lors du « débat » animé par Pascal Praud sur Cnews à propos de la consommation de Cannabis. Comme à propos des amendes qui seront désormais infligées automatiquement à toute personne surprise en flagrant délit de consommation de cannabis :
D’abord 135 euros d’amende. Ou 200 euros ?
En écoutant Pascal Praud sur Cnews hier ( il a au moins eu la sincérité de confesser qu’il n’avait jamais fumé un pétard de sa vie) la solution à la consommation de cannabis passe par des amendes dissuasives, donc par la répression, et par l’autorité parentale.
Le Dr Judson Brewer rappelle ce qu’est une addiction (page 68 de son livre) :
« Un usage répété malgré les conséquences négatives ».
Donc, réprimer ne suffira pas à endiguer les addictions au cannabis par exemple. Réprimer par le porte-monnaie provoquera une augmentation des agressions sur la voie publique. Puisqu’il faudra que les personnes addict ou dépendantes se procurent l’argent pour acheter leur substance. J’ai rencontré au moins un médecin addictologue qui nous a dit en formation qu’il lui arrivait de faire des prescriptions de produits de substitution pour éviter qu’une personne addict n’agresse des personnes sur la voie publique afin de leur soutirer de l’argent en vue de s’acheter sa dose. On ne parlait pas d’une addiction au cannabis. Mais, selon moi, les conséquences peuvent être les mêmes pour certains usagers de cannabis.
Le point commun entre une addiction (avec ou sans substance) et cette « incohérence » par rapport à la vie que pointe un Kersauson ainsi qu’un Tabarly avant lui, c’est que nous sommes très nombreux à maintenir des habitudes de vie qui ont sur nous des « conséquences négatives ». Par manque d’imagination. Par manque de modèle. Par manque de courage ou d’estomac. Par manque d’accompagnement. Par manque d’estime de soi. Par Devoir. Oui, par Devoir. Et Par peur.
La Peur
On peut bien-sûr penser à la peur du changement. Comme à la peur partir à l’aventure.
Kersauson affirme dans son livre qu’il n’a peur de rien. C’est là où je lui trouve un côté Bernard Lavilliers des océans. Pour sa façon de rouler des mécaniques. Je ne lui conteste pas son courage en mer ou sur la terre. Je crois à son autorité, à sa détermination comme ses très hautes capacités d’intimidation et de commandement.
Mais avoir peur de rien, ça n’existe pas. Tout le monde a peur de quelque chose, à un moment ou à un autre. Certaines personnes sont fortes pour transcender leur peur. Pour s’en servir pour accomplir des actions que peu de personnes pourraient réaliser. Mais on a tous peur de quelque chose.
Kersauson a peut-être oublié. Ou, sûrement qu’il a peur plus tardivement que la majorité. Mais je ne crois pas à une personne dépourvue totalement de peur. Même Tabarly, en mer, a pu avoir peur. Je l’ai lu ou entendu. Sauf que Tabarly, comme Kersauson certainement, et comme quelques autres, une minorité, font partie des personnes (femmes comme hommes, mais aussi enfants) qui ont une aptitude à se reprendre en main et à fendre leur peur.
Je pourrais peut-être ajouter que la personne qui parvient à se reprendre alors qu’elle a des moments de peur est plus grande, et sans doute plus forte, que celle qui ignore complètement ce qu’est la peur. Pour moi, la personne qui ignore la peur s’aperçoit beaucoup trop tard qu’elle a peur. Lorsqu’elle s’en rend compte, elle est déjà bien trop engagée dans un dénouement qui dépasse sa volonté.
Cette remarque mise à part, je trouve à Kersauson, comme à Tabarly et à celles et ceux qui leur ressemblent une parenté évidente avec l’esprit chevaleresque ou l’esprit dusabre propre aux Samouraï et à certains aventuriers. Cela n’a rien d’étonnant.
L’esprit du samouraï
Dans une vidéo postée sur Youtube le 13 décembre 2019, GregMMA, ancien combattant de MMA, rencontre Léo Tamaki, fondateur de l’école Kishinkai Aikido.
GregMMA a rencontré d’autres combattants d’autres disciplines martiales ou en rapport avec le Combat. La particularité de cette vidéo (qui compte 310 070 vues alors que j’écris l’article) est l’érudition de Léo Tamaki que j’avais entrevue dans une revue. Erudition à laquelle GregMMA se montre heureusement réceptif. L’un des attraits du MMA depuis quelques années, c’est d’offrir une palette aussi complète que possible de techniques pour se défendre comme pour survivre en cas d’agression. C’est La discipline de combat du moment. Même si le Krav Maga a aussi une bonne cote. Mais, comme souvent, des comparaisons se font entre tel ou telle discipline martiale, de Self-Défense ou de combat en termes d’efficacité dans des conditions réelles.
Je ne donne aucun scoop en écrivant que le MMA attire sûrement plus d’adhérents aujourd’hui que l’Aïkido qui a souvent l’ image d’un art martial dont les postures sont difficiles à assimiler, qui peut faire penser « à de la danse » et dont l’efficacité dans la vie réelle peut être mise en doute :
On ne connaît pas de grand champion actuel dans les sports de combats, ou dans les arts martiaux, qui soit Aïkidoka. Steven Seagal, c’est au cinéma et ça date des années 1990-2000. Dans les combats UFC, on ne parle pas d’Aïkidoka même si les combattants UFC sont souvent polyvalents ou ont généralement cumulé différentes expériences de techniques et de distances de combat.
Lors de cet échange avec GregMMA, Léo Tamaki confirme que le niveau des pratiquants en Aïkido a baissé. Ce qui explique aussi en partie le discrédit qui touche l’Aïkido. Il explique la raison de la baisse de niveau :
Les derniers grands Maitres d’Aïkido avaient connu la Guerre. Ils l’avaient soit vécue soit en étaient encore imprégnés. A partir de là, pour eux, pratiquer l’Aïkido, même si, comme souvent, ils avaient pu pratiquer d’autres disciplines martiales auparavant, devait leur permettre d’assurer leur survie. C’était immédiat et très concret. Cela est très différent de la démarche qui consiste à aller pratiquer un sport de combat ou un art martial afin de faire « du sport », pour perdre du poids ou pour se remettre en forme.
Lorsque Kersauson explique au début de son livre qu’il a voulu à tout prix faire de sa vie ce qu’il souhaitait, c’était en réponse à la Guerre qui était pour lui une expérience très concrète. Et qui aurait pu lui prendre sa vie.
Lorsque je suis parti faire mon service militaire, qui était encore obligatoire à mon « époque », la guerre était déjà une probabilité éloignée. Bien plus éloignée que pour un Kersauson et les personnes de son âge. Même s’il a vécu dans un milieu privilégié, il avait 18 ans en 1962 lorsque l’Algérie est devenue indépendante. D’ailleurs, je crois qu’un de ses frères est parti faire la Guerre d’Algérie.
On retrouve chez lui comme chez certains adeptes d’arts martiaux , de self-défense ou de sport de combat, cet instinct de survie et de liberté qui l’a poussé, lui, à prendre le large. Quitte à perdre sa vie, autant la perdre en choisissant de faire quelque chose que l’on aime faire. Surtout qu’autour de lui, il s’aperçoit que les aînés et les anciens qui devraient être à même de l’orienter ont dégusté (Page 43) :
« Bon, l’ancien monde est mort. S’ouvre à moi une période favorable (….). J’ai 20 ans, j’ai beaucoup lu et je me dis qu’il y a un loup dans la combine :
Je m’aperçois que les vieux se taisent, ne parlent pas. Et comme ils ont fait le trajet avant, ils devraient nous donner le mode d’emploi pour l’avenir, mais rien ! Ils sont vaincus. Alors, je sens qu’il ne faut surtout pas s’adapter à ce qui existe mais créer ce qui vous convient ».
Nous ne vivons pas dans un pays en guerre.
Jusqu’à maintenant, si l’on excepte le chômage, certains attentats et les faits divers, nous avons obtenu une certaine sécurité. Nous ne vivons pas dans un pays en guerre. Même si, régulièrement, on nous parle « d’embrasement » des banlieues, « d’insécurité » et « d’ensauvagement » de la France. En tant que citoyens, nous n’avons pas à fournir un effort de guerre en dehors du territoire ou à donner notre vie dans une armée. En contrepartie, nous sommes une majorité à avoir accepté et à accepter certaines conditions de vie et de travail. Plusieurs de ces conditions de vie et de travail sont discutables voire insupportables.
Face à cela, certaines personnes développent un instinct de survie légal ou illégal. D’autres s’auto-détruisent ( par les addictions par exemple mais aussi par les accidents du travail, les maladies professionnelles ou les troubles psychosomatiques). D’autres prennent sur eux et se musèlent par Devoir….jusqu’à ce que cela devienne impossible de prendre sur soi. Que ce soit dans les banlieues. Dans certaines catégories socio-professionnelles. Ou au travers des gilets jaunes.
Et, on en revient à la toute première phrase du livre de Kersauson.
Le plaisir est ma seule ambition
J’ai encore du mal à admettre que cette première phrase est/soit peut-être la plus importante du livre. Sans doute parce-que je reste moins libre que Kersauson, et d’autres, question plaisir.
Plus loin, Kersauson explicite aussi la nécessité de l’engagement et du Devoir. Car c’est aussi un homme d’engagement et de Devoir.
Mais mettre le plaisir au premier plan, ça délimite les Mondes, les êtres, leur fonction et leur rôle.
Parce- qu’il y a celles et ceux qui s’en remettent au mérite – comme certaines religions, certaines éducations et certaines institutions nous y entraînent et nous habituent- et qui sont prêts à accepter bien des sacrifices. Sacrifices qui peuvent se révéler vains. Parce que l’on peut être persévérant (e ) et méritant ( e) et se faire arnaquer. Moralement. Physiquement. Economiquement. Affectivement. C’est l’histoire assez répétée, encore toute récente, par exemple, des soignants comme on l’a vu pendant l’épidémie du Covid. Ainsi que l’histoire d’autres professions et de bien des gens qui endurent. Qui prennent sur eux. Qui croient en une Justice divine, étatique ou politique qui va les récompenser à la hauteur de leurs efforts et de leurs espoirs.
Mais c’est aussi l’histoire répétée de ces spectateurs chevronnés que nous sommes tous plus ou moins de notre propre vie. Une vie que nous recherchons par écrans interposés ou à travers celle des autres. Au lieu d’agir. Il faut se rappeler que nous sommes dans une société de loisirs. Le loisir, c’est différent du plaisir.
Le loisir, c’est différent du plaisir
Le loisir, ça peut être la pause-pipi, la pause-cigarette ou le jour de formation qui sont accordés parce-que ça permet ensuite à l’employé de continuer d’accepter des conditions de travail inacceptables.
Ça peut aussi consister à laisser le conjoint ou la conjointe sortir avec ses amis ou ses amies pour pouvoir mieux continuer de lui imposer notre passivité et notre mauvaise humeur résiduelle.
C’est les congés payés que l’on donne pour que les citoyens se changent les idées avant la rentrée où ils vont se faire imposer, imploser et contrôler plus durement. Bien des personnes qui se prendront une amende pour consommation de cannabis seront aussi des personnes adultes et responsables au casier judiciaire vierge, insérées socialement, payant leurs impôts et effectuant leur travail correctement. Se contenter de les matraquer à coups d’amende en cas de consommation de cannabis ne va pas les inciter à arrêter d’en consommer. Ou alors, elles se reporteront peut-être sur d’autres addictions plus autorisées et plus légales (alcool et médicaments par exemple….).
Le plaisir, c’est l’intégralité d’un moment, d’une expérience comme d’une rencontre. Cela a à voir avec le libre-arbitre. Et non avec sa version fantasmée, rabotée, autorisée ou diluée.
Il faut des moments de loisirs, bien-sûr. On envoie bien nos enfants au centre de loisirs. Et on peut y connaître des plaisirs.
Mais dire et affirmer « Le plaisir est ma seule ambition », cela signifie qu’à un moment donné, on est une personne libre. On dépend alors très peu d’un gouvernement, d’un parti politique, d’une religion, d’une éducation, d’un supérieur hiérarchique. Il n’y a, alors, pas grand monde au dessus de nous. Il s’agit alors de s’adresser à nous en conséquence. Faute de quoi, notre histoire se terminera. Et chacun partira de son côté dans le meilleur des cas.
Page 121 :
« Je suis indifférent aux félicitations. C’est une force ».
Page 124 :
« Nos contemporains n’ont plus le temps de penser (….) Ils se sont inventé des vies monstrueuses dont ils sont responsables-partiellement ». Olivier de Kersauson.
Article de Franck Unimon, mercredi 2 septembre 2020.
Magali Berdah est la créatrice et dirigeante de Shauna Events :
« La plus importante agence de média-influenceurs de France ». Nabilla, Jessica Thivenin, Julien Tanti et Ayem Nour font partie de ses « protégés ».
Un livre publié en 2018
Dans ce livre publié en 2018 (il y a deux ans), Magali Berdah raconte son histoire jusqu’à sa réussite professionnelle, économique et personnelle dans l’univers de la téléréalité et de la télé. Pourtant, Il y a encore à peu près cinq ans, Magali Berdah ne connaissait rien à la téléréalité comme au monde de la télé. Elle ne faisait pas partie du sérail. Son histoire est donc celle d’une personne qui, partie de peu, s’est sortie des ronces. C’est sûrement ça et le fait qu’elle nous parle de la télé et de la téléréalité qui m’a donné envie d’emprunter son livre à la médiathèque de ma ville. En même temps que des livres comme Le Craving Pourquoi on devient accro du Dr Judson Brewer ; Tout bouge autour de moi de Dany Laferriere; Développement (im)personnel de Julia De Funès.
Un homme du vingtième siècle
Je me la pète sûrement avec ces titres parce-que je suis un homme du 20ème siècle. J’ai été initié à l’âge de 9 ans aux bénéfices de ce que peut apporter une médiathèque :
Ouverture sur le monde, culture, lien social, tranquillité, recueillement. Des vertus que l’on peut retrouver ailleurs et que Magali Berdah, dans son enfance, comme elle le raconte, a connues par à-coups.
Une femme du vingtième siècle
Magali Berdah, née en 1981, est aussi une femme du 20ème siècle.
Son enfance, c’est celle du divorce, du deuil et de plusieurs séparations. D’un père plus maltraitant que sécurisant ; d’une mère qui a été absente pendant des années puis qui est réapparue. C’est aussi une enfance dans le sud, sur la Côte d’azur, du côté de Nice et de St Tropez où elle a pu vivre plus à l’air libre, au bord de la nature. Loin de certains pavés HLM, stalactites immobilières et langagières qui semblent figer bien des fuseaux horaires.
Les éclaircies qu’elle a pu connaître, elle les doit en grande partie à ses grands-parents maternels, tenants d’un petit commerce. Mais aussi à ses aptitudes scolaires et personnelles. Son sens de la débrouille et son implication s’étalonnent sur ses premiers jobs d’été qu’elle décroche alors qu’elle a à peine dix huit ans. Fêtarde la nuit et travailleuse le jour, elle apprend auprès d’aînés et de professionnels qu’elle s’est choisie. Cela l’emmènera à devenir une très bonne commerciale, très bien payée, dans les assurances et les mutuelles. C’est sûrement une jolie fille, aussi, qui présente bien, qui a du culot et qui a le contact social facile. Mais retenons que c’est une bosseuse. Elle nous le rappelle d’ailleurs après chacun de ses accouchements (trois, sans compter son avortement) où elle a repris le travail très vite. Elle nous parle aussi de journées au cours desquelles elle travaille 16 heures parjour. Et quand elle rentre chez elle, son mari et ses enfants l’attendent.
Le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une résiliente
Si l’on s’en tient à ce résumé, Magali Berdah a le CV et le visage au moins d’une guerrière et d’une résiliente. Mais elle officie désormais dans le pot au feu de la téléréalité, de la télé, et est proche de personnalités comme Cyril Hanouna. On est donc très loin ou assez loin de ce que l’on appelle la culture « noble » ou « propre sur elle ». Et Magali Berdah critique l’attitude et le regard méprisants portés généralement sur la téléréalité et une certaine télé.
Le début de la téléréalité
La téléréalité, pour moi, en France, ça commence avec le « Loft » : Loana, Steevy, Jean-Edouard….
J’avais complètement oublié que ça s’était passé en 2001, l’année du 11 septembre, de l’attentat des « Twin Towers » et de l’émergence médiatique de Ben Laden, et, avec lui, des attentats islamistes. Dans son livre, Magali Berdah nous le rappelle. A cette époque, elle avait 20 ans et commençait à s’assumer professionnellement et économiquement ou s’assumait déjà très bien.
Un monde en train de changer
En 2001, je vivais déjà chez moi et je n’avais pas de télé, par choix. Mais dans le service de pédopsychiatrie où je travaillais alors, il y avait la télé. J’ai des souvenirs d’avoir regardé Loft Story dans le service ainsi que des images, quelques mois plus tard, de l’attentat du 11 septembre. Et d’en avoir discuté sans doute avec des jeunes mais, surtout, avec mes collègues de l’époque. On était en train de changer de monde d’une façon comme une autre avec le Loft et les attentats du 11 septembre. Comme, depuis plusieurs mois, nous sommes en train de changer de monde avec le Covid-19.
Une image
Une image, ça vous prend dans les bras. La téléréalité est pleine d’images. Il y a quelques jours, j’ai tâté le terrain en parlant de Magali Berdah et de Julien Tanti à deux jeunes du service où je travaille. Cela leur disait vaguement quelque chose. Puis l’une des deux a déclaré :
« Quand je me sens bête, je regarde. Ça me permet de me vider la tête ». L’autre jeune présente a abondé dans son sens. J’ai fini par comprendre que cela leur servait de défouloir moral. Que cela leur remontait le moral de voir à la télé des personnes qu’elles considéraient comme plus « bêtes » qu’elles.
Pour l’avoir vu, je sais que des adultes peuvent aussi regarder des émissions de téléréalité. Ça m’a fait drôle de voir des Nigérians musulmans d’une trentaine d’année, en banlieue parisienne, regarder Les Marseillais. Mais pour eux, venus travailler en France, une émission comme Les Marseillais offre peut-être quelque chose d’exotique et d’osé. Et puis, ce que l’on voit dans cette émission est facile à suivre et à comprendre pour toute personne qui a envie de se distraire et qui est dépourvue de prétentions intellectuelles ou culturelles apparentes.
Magali Berdah défend ses protégés
Lorsque l’on lit Magali Berdah, celle-ci défend ses « protégés ». On pourrait se dire :
« Evidemment, elle les défend car ils sont un peu ses poules aux œufs d’or. Ils lui permettent de très bien gagner sa vie. Les millions de followerssur les réseaux sociaux de plusieurs de ses « poulains » permettent bien des placements de produits et lui assurent aussi une très forte visibilité sociale dans un monde où, pour réussir économiquement, il est indispensable d’être très connu ».
Mais quand on a lu le début de son livre, on perçoit une sincère identification de Magali Berdah envers ses « protégés » :
Le destin de la plupart des candidats du Loft de 2001 mais aussi de bien d’autres candidats d’autres émissions de télé-réalité ou similaires telles The Voice ou autres, c’est de retourner ensuite au « vide », « à l’abandon », et à l’anonymat de leur existence de départ. Et ça se retrouvait déja dans le monde du cinéma, de la chanson ou du théâtre même avant l’arrivée du Covid.
Dominique Besnehard, ancien agent d’acteurs et créateur de la série Dix pour cent, parlait un peu dans son livre Casino d’hiver de ces actrices et acteurs, qui, faute de s’être reposés uniquement sur leur physique et sur leur jolie frimousse avaient fini par disparaître du milieu du cinéma. Et je me rappelle être tombé un jour sur un des anciens acteurs du film L’Esquive d’Abdelatif Kechiche. D’accord, cet acteur avait un rôle très secondaire dans L’Esquive mais ça m’avait mis assez mal à l’aise de le retrouver, quelques années plus tard, à faire le caissier à la Fnac de St Lazare, dans l’indifférence la plus totale. Il était un caissier parmi d’autres.
Un certain nombre d’acteurs et d’humoristes que l’on aime « bien », avaient un autre métier avant de s’engager professionnellement et de percer dans le milieu du cinéma, du stand up, du théâtre, de l’art et de la culture en général. Si je me rappelle bien, Mickaël Youn était commercial.
Etre à leur place
Si on peut se bidonner ou se navrer devant les comportements et les raisonnements de beaucoup de candidats de téléréalité, qui sont souvent jeunes, il faut aussi se rappeler que tant d’autres personnes, parmi nous, secrètement, honteusement ou non, aimeraient être à leur place. Et gagner, comme certains d’entre eux, les plus célèbres, cinquante mille euros par mois. Magali Berdah fournit ce chiffre dans son livre.
C’est un peu comme l’histoire du dopage dans le sport : le dopage persistera dans le sport et ailleurs car certaines personnes resteront prêtes à tout tenter pour « réussir ». Surtout si elles sont convaincues que leur existence est une décharge publique. Et que le dopage est un moyen comme un autre qui peut leur permettre de se sortir de ce sentiment d’être une décharge publique.
Pour d’autres, le sexe aura la même fonction que le dopage. Même en pleine époque de Me Too et de Balance ton porc, je crois que certaines personnes (femmes comme hommes) seront prêtes à coucher si elles sont convaincues que cela peut leur permettre de réussir. Et de réussir vite et bien. Quel que soit le milieu professionnel, ces personnes se feront seulement un peu plus discrètes et un peu plus prudentes.
Concernant Loft Story et l’intérêt que la première saison avait suscité, mais aussi les sarcasmes, je me souviens que l’acteur Daniel Auteuil, dont la carrière d’acteur était alors bien plantée, avait dit qu’il aurait fait Le Loft ou tenté d’y participer s’il avait été un jeune acteur qui cherchait à se lancer et à se faire connaître.
Compromettre son image
Lorsque l’on est optimiste, raisonnable, raisonné, patient mais aussi fataliste, docile et obéissant, on refuse le dopage ainsi que certaines conduites à risques. Comme on peut refuser de prendre le risque de « compromettre » son image en participant à une émission de téléréalité ou à une autre émission.
Mais lorsque l’on recherche l’immédiateté, l’action, le résultat et que l’on tient à sortir du lot, on peut bifurquer vers la téléréalité, une certaine télé et une certaine célébrité. Il y aura d’une part des producteurs, des vendeurs de rêves (proxénètes ou non) et d’autre part un public qui sera demandeur.
Magali Berdah, à la lire, s’intercale entre les deux parties : c’est elle qui a permis aux vedettes de téléréalité de tirer le meilleur parti financièrement de leur exposition médiatique. Et lorsqu’on la lit, on se dit « qu’avant elle », les vedettes de téléréalité étaient vraiment traitées un peu comme ces belles filles que l’on voit sur le podium du Tour de France avec leur bouquet de fleurs à remettre au vainqueur.
L’évolution du statut financier des vedettes de téléréalité
L’évolution du statut financier des vedettes de téléréalité fait penser à celle qu’ont pu connaître des sportifs professionnels ou des artistes par exemple. Avant l’athlète américain Carl Lewis, un sprinter de haut niveau gagnait moins bien sa vie. Usain Bolt et bien d’autres athlètes de haut niveau peuvent « remercier » un Carl Lewis pour l’augmentation de leur train de vie. On peut sans doute faire le même rapprochement pour le Rap ainsi que pour la techno. Ou pour certains photographes ou peintres. Entre ce qu’ils peuvent toucher aujourd’hui et il y a vingt ou trente ans. Certains diront sans doute qu’ils gagnent nettement moins d’argent aujourd’hui qu’il y a vingt ou trente ans avec le même genre de travail. Mais d’autres gagnent sûrement plus d’argent aujourd’hui que s’ils s’étaient faits connaître il y a vingt ou trente ans. Pour les vedettes de téléréalité, il est manifeste que d’un point de vue salarial il vaut mieux être connu aujourd’hui qu’à l’époque de Loft story en 2001.
Une motivation aussi très personnelle
Cependant, la motivation de Magali Berdah est aussi très personnelle. Disponible pratiquement en permanence via son téléphone portable, malgré ses trois enfants et son mari, elle reçoit aussi chez elle plusieurs de ses « protégés », les week-end. C’est bien-sûr une très bonne façon d’apprendre à connaître ses clients et de créer avec eux un lien très personnel.
Toutefois, dans mon métier, en pédopsychiatrie, on crierait au manque de distance relationnelle et affective. On parlerait d’un mélange des genres, vie privée/vie publique. On évoquerait un cocktailémotionnel addictif. On parlerait aussi des conséquences qu’une telle proximité – voire une telle fusion- peut causer ou cause. Parmi elles, une forte dépendance affective qui peut déboucher sur des événements plus qu’indésirables lorsque la relation se termine ou doit s’espacer ou se terminer pour une raison ou une autre. Que ce soit la relation à la célébrité et à l’exposition médiatique constante. Ou une relation à une personne à laquelle on s’est beaucoup trop attachée affectivement.
Il y a donc du pour et du contre dans ma façon de voir ce type de relation que peut avoir Magali Berdah avec ses « protégés ».
« Pour » : une relation affective n’est pas une science exacte. Bien des personnes sont consentantes, quoiqu’elles disent, pour une relation de dépendance affective réciproque. Que ce soit envers un public ou avec des personnes. Et on peut avoir plus besoin de quelqu’un à même de savoir nous prendre dans les bras et nous réconforter régulièrement, comme un bébé, que de quelqu’un qui nous « raisonne ». Même si, Magali Berdah, visiblement, donne les deux : elle réconforte et raisonne ses « poulains ».
Loyauté et vertu morale
En lisant Ma vie en réalité , je crois aussi au fait que l’on peut faire une carrière dans des programmes télé auxquels, a priori, je ne souscris pas, et, pourtant être une personne véritablement loyale dans la vie.
Je ne crois pas que les participants, les producteurs et les animateurs d’émissions de télé, de théâtre ou de cinéma plus « nobles » soient toujours des modèles de vertu morale. Surtout qu’ils peuvent également être « ambidextres » et parfaitement évoluer dans les différents univers.
Le Tsadik
J’ai beaucoup aimé ce passage dans son livre, ou, alors surendettée, et déprimée, et avant de travailler dans la téléréalité, elle va rencontrer un rabbin sur les conseils d’une amie.
Juive par ses grands-parents maternels, Magali Berdah apprend par le Rabbin qu’elle est sous la protection d’un Tsadik, un de ses ancêtres.
Dans le hassidisme, le Tsadik est un « homme juste », un « Saint », un « maître spirituel » qui n’est pas récompensé de son vivant mais qui peut donner sa protection à un de ses descendants.
J’ai aimé ce passage car il me plait d’imaginer- même si je ne suis pas juif ou alors, je l’ignore- qu’un de mes ancêtres puisse me protéger. Mais aussi que les soignants (je suis soignant) sont sans doute des équivalents d’un Tsadik et que s’ils en bavent, aujourd’hui, que plus tard, ils pourront peut-être assurer la protection d’un de leurs descendants. Ça peut faire marrer de me voir croire en ce genre de « chose ». Mais je préfère aussi croire à ça plutôt que croire à un complot, faire confiance à un dirigeant opportuniste ou à un dealer.
J’ai d’abord cru que Magali Berdah était juive non-pratiquante. Mais sa rencontre avec le rabbin et sa façon de tomber enceinte « coup sur coup » me fait quand même penser à l’attitude d’une croyante qui «laisse » le destin décider. Je parle de ça sans jugement. J’ai connu une catholique pratiquante qui avait la même attitude avec le fait d’enfanter. Je souligne ce rapport à la croyance parce qu’il est important pour Magali Berdah. Et que sa « foi » lui a sûrement permis de tenir moralement à plusieurs moments de sa vie.
Je précise également que, pour moi, cette protection d’un Tsadik peut se transposer dans n’importe quelle autre religion ainsi que dans bien d’autres cultures.
Incapable d’une telle proximité affective
« Contre » : Je m’estime et me sens incapable d’une telle proximité affective à l’image d’une Magali Berdah avec ses « vedettes ». Donc celle qu’elle instaure avec ses protégés m’inquiète. Une des vedettes de téléréalité dont elle s’occupe l’appelle « Maman ». Même si je comprends l’attitude de Magali Berdah au vu de son histoire personnelle, je m’interroge quant aux retombées de relations personnelles aussi étroites :
Il est impossible de sauver quelqu’un malgré lui. Et ça demande aussi beaucoup de présence etd’énergie. Une telle implication peut être destructrice pour soi-même ou pour son entourage. Donc, croire, vouloir ou penser que l’on peut, tout( e) seul (e), sauver ou soutenir quelqu’un, c’est prendre de grands risques. Mais peut-être que Magali Berdah prend-t’elle plus de précautions qu’elle ne le dit pour elle et sa famille. Il est vrai que le fait qu’elle soit mariée et mère lui impose aussi des limites. Il lui est donc impossible, si elle était tentée de le faire, de se dévouer exclusivement à ses « protégés ».
La Norme :
Néanmoins, au milieu de ce « pour » et de ce « contre, je comprends que ce « support » affectif est la Norme dans le milieu de la télé et des célébrités en général. Et ce qui est peut-être plus effrayant encore, c’est d’apprendre en lisant son livre que lorsque la « mode » des influenceurs est apparue en France (il y a environ cinq ans), que, subitement, ses « protégés » sont devenus attractifs économiquement. Et des producteurs se sont manifestés pour venir placer leurs billes. Les vedettes de téléréalité avaient peut-être la tête « vide » mais s’il y avait- beaucoup- de fric à se faire avec eux maintenant qu’ils étaient devenus des influenceuses et des influenceurs. Grâce à leurs placements de produits via les réseaux sociaux avec leurs millions de followers, on voulait bien en profiter. Magali Berdah n’en parle pas comme je le fais avec une certaine ironie. Car cet intérêt des producteurs pour les vedettes de téléréalité a permis à sa carrière et à sa notoriété de prendre l’ascenseur.
Le Buzz ou le mur du son de la Notoriété
En 2001, à l’époque du Loft et des attentats de Ben Laden, on était très loin de tout ça. Les réseaux sociaux n’en n’étaient pas du tout à ce niveau et on ne parlait pas du tout de « followers ». Je me rappelle d’un des candidats du Loft à qui, après l’émission, on avait proposé de travailler…dans un cirque. Il avait fait la gueule.
En 2020, à l’époque du Covid-19, on est en plein dans l’ère des followers et des réseaux sociaux. Et on peut penser que la téléréalité et le pouvoir des réseaux sociaux va continuer de s’amplifier. Sans forcément simplifier le climat social et général :
Parmi toutes les rumeurs, toutes les certitudes absolues, tous les emballements médiatiques et toutes les peurs qui sont semées de manière illimitée, j’ai un tout « petit peu » de mal à croire que l’époque des followers et des réseaux sociaux soit une époque où l’on court totalement et librement vers l’apaisement et la nuance.
D’autres empires, aujourd’hui timides voire modérés, vont sûrement s’imposer d’ici quelques années. Ça me rappelle les premiers tubes du groupe Indochine et de Mylène Farmer dans les années 80. Vous les trouvez peut-être ringards. Pourtant, à l’époque de leurs tubes Bob Morane et Maman a tort, j’aurais été incapable de les imaginer devenir les « icones » qu’ils sont devenus. Et puis, il y a sans doute pire comme dictature et comme intégrisme que celle et celui d’un monde où nous devrions tous chanter et danser à des heures imposées sur Bob Morane et sur Maman a tort. Même si ces deux titres sont loin d’être mes titres de chevet.
Se rendre incontournable
Il est très difficile de pouvoir dire avec exactitude qui, devenu un peu connu ou encore inconnu aujourd’hui, sera une sommité dans une vingtaine d’années. Les candidates et les candidats du Loft, et les suivants, étaient souvent perçus comme ringards. Dès qu’un marché se crée, et que l’on en est lacause ou que l’on est présent dès l’origine, et que l’on sait se rendre incontournable, la donne change et l’on devient désirable et fréquentable. C’est le principe du buzz. Principe qui existait déjà avant les réseaux sociaux et la téléréalité mais qui s’est accéléré et démultiplié. On peut dire que le buzz, c’est le mur du son de la notoriété. Faire le buzz cela revient à vivre à Mach 1 ou à Mach 2 ou 3. Ça peut faire vibrer. Mais ça fait aussi trembler. Après avoir lu le livre de Dany Laferrière, Tout bouge autour de moi, dans lequel il raconte le tremblement de terre à Haïti le 12 janvier 2010 ( il y était), on comprend qu’un tremblement, ça change aussi un monde et des personnes. ça ne fait pas que les tuer et les détruire.
Une histoire déjà vue
L’histoire que nous raconte Magali Berdah est une histoire qui s’est déjà vue et qui se verra encore : une personne crée un concept. Peu importe qui est cette personne et si ce concept est moralement acceptable ou non. Il suffit que ce concept soit porteur économiquement et tout un tas de commerciaux s’en emparent pour le faire connaître – et monnayer-par le plus grand nombre, ce qui génère un intérêt et un chiffre d’affaires grandissant. Ce faisant, ces commerciaux et celles et ceux qui sont proches d’eux prennent du galon socialement et s’enrichissent économiquement.
A La recherche du scoop et du popotin du potin
J’ai aimé lire Ma vie en réalité pour ces quelques raisons. Il se lit très facilement. Et vite. Si à la fin de son livre, Magali Berdah parle bien-sûr de plusieurs de « ses » vedettes, la lectrice ou le lecteur qui serait à la recherche du scoop et du popotin du potin à propos d’Adixia, Anaïs Camizuli, Anthony Matéo, Astrid, Aurélie Dotremont, Jessica Errero, Nikola Lozina, Manon Marsault, Paga, Ricardo, Jaja, Ayem Nour, Nabilla, Milla Jasmine et d’autres sera mieux inspiré(e) de concentrer ses recherches ailleurs. De mon côté, j’ai découvert la plupart de ces prénoms et de ces noms en lisant ce livre.