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J’ai le moral. Je me sens bien. Et vous ?    

 

Depuis que j’ai regardĂ© un documentaire sur le « quartier Â» des Canibouts, Ă  Nanterre,  en 1981, grĂące aux archives de L’INA, j’estime m’ĂȘtre plus dĂ©conditionnĂ© de l’épidĂ©mie du Coronavirus.   Initialement, aprĂšs avoir lu une interview de Fary, j’avais d’abord cherchĂ© Ă  regarder des prestations de l’humoriste Gaspard Proust. Puis, j’ai regardĂ© Haroun. Thomas N’Gigol. JĂ©rĂ©my Ferrari (dont j’apprĂ©cie le gros travail de recherche et certaines rĂ©flexions mais qui ne me fait pas rire). Il y a longtemps que je me dis que ce serait bien de prendre le temps de regarder le travail fourni par des humoristes. Femmes et hommes. Je regrette de ne pas prendre ce temps. Puis ces archives de l’INA sur Les Canibouts sont restĂ©es lĂ , Ă  me faire de l’Ɠil, sur la droite de l’écran. J’ai fini par cliquer dessus.   

 

 

 

Cinquante minutes durant, j’ai regardĂ© ce documentaire. MĂȘme s’il est triste de se dire que pratiquement tous les problĂšmes rencontrĂ©s dans certaines banlieues et dans certaines citĂ©s aujourd’hui sont lĂ , dans ce documentaire, qui date de 1981 :   Les jeunes originaires d’AlgĂ©rie, nĂ©s en France, qui doivent choisir entre la NationalitĂ© algĂ©rienne ou la NationalitĂ© française. Et qui, s’ils ne choisissent pas, sont considĂ©rĂ©s comme « sans papiers Â» Ă  18 ans. Et, lorsqu’ils ont des papiers français sont dĂ©favorisĂ©s lors de leur recherche d’emploi : «  Quand on est Français, on ne s’appelle pas SaĂŻd Â».  

 

La Drogue. LSD, cocaĂŻne, HĂ©roĂŻne….  

 

La mauvaise cohabitation entre les jeunes, en « meutes Â», et les adultes travailleurs, retraitĂ©s ou joueurs de boules. Une mixitĂ© sociale qui existait alors encore et qui, depuis, a Ă©clatĂ© et disparu, tels des couples et des familles qui, aprĂšs plusieurs annĂ©es de tentatives de vie commune, ont dĂ©cidĂ© de divorcer et de s’affronter.  

La BMW et la Golf, dĂ©jĂ , Ă©taient les voitures de rĂ©fĂ©rence. Comme aujourd’hui, encore, pour certains, dans certaines banlieues et certaines citĂ©s.  

En regardant ce documentaire, je me suis dit que les Ă©lites de l’époque, en particulier politiques, ont soit continuĂ© leur Guerre d’AlgĂ©rie, aprĂšs la Guerre d’AlgĂ©rie, sur le dos de milliers de jeunes originaires d’AlgĂ©rie. Ou Ă©tĂ© proches, finalement, de certaines idĂ©es de l’ExtrĂȘme Droite, dont on devine quelques futurs Ă©lecteurs parmi ces adultes (tous d’origine europĂ©enne et blancs pour ceux que l’on voit) habitant aux Canibouts et excĂ©dĂ©s par les frasques des jeunes des Canibouts majoritairement d’origine maghrĂ©bine pour ceux que l’on voit.  

 

Plus jeune, je connaissais Les Canibouts de « rĂ©putation Â».  J’avais 13 ans en 1981 et je vivais Ă  Nanterre oĂč je suis nĂ©.  

La rĂ©putation des Canibouts Ă©tait mauvaise.  

Au collĂšge puis au lycĂ©e, j’ai connu quelques personnes qui en « venaient Â» ou y habitaient. Toutes ces personnes n’étaient pas des « mauvais Â» Ă©lĂ©ments. Bien des jeunes qui habitaient aux Canibouts ou prĂšs des Canibouts Ă©taient de trĂšs bons Ă©lĂšves et se « tenaient bien Â». Mais ceux qui «dĂ©vissaient» le plus, eux, ont suffi Ă  donner une mauvaise rĂ©putation. Et je ne les connaissais pas pas. C’Ă©taient des personnages tĂ©nĂ©breux.   

En repensant au documentaire hier soir ou ce matin, je me suis aperçu que les filles en sont absentes. On aurait dit qu’il y avait uniquement des garçons adolescents aux Canibouts. OĂč Ă©taient les filles alors que l’on parle trĂšs peu de religion dans ce documentaire ? Et alors que l’on ne parlait pas, Ă  l’époque, d’intĂ©grisme religieux qu’il soit musulman ou catholique. On ne parlait pas non plus de barbu ou de femme voilĂ©e. Aucun des jeunes arabes que l’on voit  l’écran, en 1981,  dans ce documentaire, ne porte la barbe.  

 

Dans ce documentaire, je me rappelle aussi de cette mĂšre, une des seules personnes de sexe fĂ©minin que l’on voit parmi les personnes originaires du Maghreb, qui s’exprime :   C’est la mĂšre d’un des jeunes, SaĂŻd, je crois.

Cette mĂšre nous apprend qu’elle travaille de 6h du matin jusqu’à 21h. 15 heures de travail quotidien.  

ça me rappelle un peu le sketch de Pierre Desproges, Rachid, je crois, oĂč il dit Ă  peu prĂšs :  

«  C’est drĂŽle, comme, pour des fainĂ©ants, les Arabes sont des gens qui se couchent tard et se lĂšvent tĂŽt Â».

HĂ© bien, la mĂšre de SaĂŻd est l’illustration concrĂšte de cela. Peu de personnes accepteraient de trimer comme elle le fait.  Pour un travail qui consiste Ă  faire des mĂ©nages.    

 

Dans le documentaire, cette mĂšre finit par expliciter qu’elle n’a pas le courage d’aller voir deux de ses fils incarcĂ©rĂ©s Ă  Fleury-MĂ©rogis. Vaillante et lasse, elle explique qu’elle « comprend Â» que ses deux fils aient fait des bĂȘtises qui les ont envoyĂ©s en prison car ils n’ont pas de travail. Ils n’arrivent pas Ă  en trouver. Elle le dit sans colĂšre et sans mĂȘme souligner le fait que leurs origines maghrĂ©bines ont plombĂ© leurs recherches d’emploi. On en a une dĂ©monstration lorsque SaĂŻd, filmĂ©, se dĂ©place Ă  l’ANPE ( l’ancien nom de Pole Emploi) de Nanterre-UniversitĂ© ( Au dessus de la gare de Nanterre-UniversitĂ©, anciennement appelĂ©e Nanterre-La-Folie et pas trĂšs loin de la Fac de Nanterre).  

Un peu plus tĂŽt, il est mentionnĂ© que la citĂ© des Canibouts est accolĂ©e Ă  la Maison de Nanterre (L’hĂŽpital de Nanterre) qui est « aussi un lieu d’exclus Â». Et que, peut-ĂȘtre que cette proximitĂ© avec la Maison de Nanterre, a-t’elle entraĂźnĂ© cette citĂ© dans l’exclusion.   J’ai trouvĂ© ce rapprochement un peu facile : car de la Maison de Nanterre comme des Canibouts, il est aussi sorti du bon. Et non loin des Canibouts, aux PĂąquerettes par exemple, il y avait aussi des «problĂšmes Â». Mais il est vrai que Les Canibouts ont sans doute concentrĂ© les problĂšmes.

Il n’y a pas si longtemps, j’avais cru comprendre que les Canibouts, Ă  Nanterre, avait la rĂ©putation d’ĂȘtre une plaque tournante de la drogue. Mais c’est sĂ»rement aussi le cas dans certains coins d’Argenteuil oĂč je vis. Et c’est sĂ»rement aussi le cas dans d’autres endroits Ă  Nanterre. Dans d’autres villes en France. En banlieue parisienne ou en province.  

 

Quoiqu’il en soit, en 1981, j’avais 13 ans. J’étais donc un peu plus jeune de 4 ou 5 ans que ces jeunes que l’on voit dans ce documentaire.  

1981, c’est l’annĂ©e de l’élection historique de François Mitterrand. Il m’a fallu des annĂ©es aprĂšs sa mort (rĂ©cemment) pour comprendre et apprendre que Mitterrand a souvent Ă©tĂ© un homme politique plus prĂ©occupĂ© par sa carriĂšre politique et le Pouvoir que par la sociĂ©tĂ© française. C’est aussi, rĂ©cemment, que j’ai dĂ©couvert son rĂŽle peu honorable d’homme d’Etat français pendant la Guerre d’AlgĂ©rie. Et je me demande ce que son Ă©lection avait pu faire Ă  certaines AlgĂ©riennes et Ă  certains AlgĂ©riens qui avaient connu la Guerre d’AlgĂ©rie (1954-1962).  

Je me rappelle encore des cris de joie de mes parents dans notre appartement de HLM, dans le salon, lors de l’élection de Mitterrand en 1981. Plusieurs des jeunes que nous voyons dans ce documentaire, pour ceux qui sont d’origine algĂ©rienne, sont sans doute des enfants de celles et ceux qui avaient connu la Guerre d’AlgĂ©rie.  

 

A cĂŽtĂ© de ça, (1981, c’est aussi l’annĂ©e de la mort de Bob Marley) en regardant ce documentaire, je me suis aussi dit que je m’en Ă©tais vĂ©ritablement plutĂŽt « bien Â» sorti compte-tenu de la citĂ© oĂč j’avais grandi Ă  Nanterre.    

 

D’une part parce qu’à l’époque, ça ne s’était pas autant dĂ©gradĂ© comme par la suite. MĂȘme si j’ai connu- de prĂšs ou de loin- quelques personnes  qui ont « mal tournĂ© Â» Ă  partir de l’adolescence, dans ma citĂ©, ça allait « mieux Â» que dans d’autres citĂ©s et dans d’autres villes de banlieue hier et aujourd’hui.  

 

Je pense Ă  la Seine Saint Denis dont sont originaires Kool Shen et Joey Starr du groupe de Rap NTM dont j’ai le mĂȘme Ăąge Ă  un ou deux ans prĂšs. La Seine Saint Denis reste, je crois, le dĂ©partement le plus pauvre de France. Alors que le 92, oĂč j’ai grandi (dans une tour HLM de 18 Ă©tages) est encore Ă  ce jour, le plus riche de France. Mais comme on le voit dans ce documentaire sur les Canibouts, on peut vivre dans le 92 et ĂȘtre mal parti dans l’existence. On peut aussi venir du 92 ou y habiter (je n’ai pas vĂ©rifiĂ©) et ĂȘtre l’un des Rappeurs les plus populaires depuis des annĂ©es : Booba.

De toute façon, question musique, on peut venir de partout. Si ce que l’on fait plait, celles et ceux qui Ă©coutent ne nous demanderont pas nos papiers.  

 

D’autre part, je m’en suis sans doute bien sorti parce-que mes parents ont su me donner des limites. Parce-que j’ai Ă©tĂ© en mesure de les accepter.  Parce qu’ils ont Ă©tĂ© suffisamment solides mentalement dans la vie et qu’ils ont toujours eu un emploi qui leur a permis d’assurer les frais de la vie quotidienne. Mon pĂšre n’est pas alcoolique. Ma mĂšre n’était pas dĂ©pressive. Mes parents ont continuĂ© de faire « couple Â» comme on dit, pour le pire et le meilleur. On peut s’en sortir sans ça mais c’est plus difficile.

 

J’ai aussi reçu de l’amour d’une façon ou d’une autre quand j’ai grandi. On peut aussi vivre sans amour, Romain Gary l’explique trĂšs bien, mais c’est aussi plus difficile.  

 

Je m’en suis Ă©galement Ă  peu prĂšs sorti parce que mes parents ont pu nous emmener ailleurs (colonies de vacances pour moi – c’était moins cher Ă  l’époque- moments de retrouvailles avec d’autres membres de la famille,  fĂȘtes foraines,  fĂȘtes antillaises, sĂ©jours en Guadeloupe par le biais des congĂ©s bonifiĂ©s).   

Et aussi parce-que mon pĂšre m’a permis, avec des mĂ©thodes pĂ©dagogiques personnalisĂ©es datant de la bible,  Ă  la lumiĂšre flottante de la bougie et Ă  coups de ceinture pĂ©nĂ©trante, de raccrocher le wagon de la scolaritĂ© que j’avais commencĂ© Ă  laisser filer :

Je me sentais peu concernĂ© par l’école en prime abord au CP, prĂ©fĂ©rant rĂȘver. Jouer. Et regarder la tĂ©lĂ©. Quelles drĂŽles d’idĂ©es !

GrĂące Ă  mon pĂšre, je suis devenu performant Ă  l’école. Et, lorsque j’écris un nouvel article, afin de m’encourager, je dĂ©pose toujours une petite ceinture Ă  cĂŽtĂ© de moi. Et, j’allume une bougie. Quelques fois, quand ça ne marche pas comme je veux, je frappe l’écran de l’ordinateur Ă  coups de ceinture. AprĂšs ça, je me sens mieux. Je vois mieux oĂč j’en suis et je peux reprendre mon article.

Vous n’avez aucune idĂ©e du nombre de coups de ceinture que mon Ă©cran d’ordinateur a pu recevoir juste pour cet article.   

Puis, j’ai dĂ©couvert le plaisir de la lecture et l’existence de la bibliothĂšque municipale, endroit magique, par le biais d’un de nos instituteurs de l’école primaire (publique).  

 

Dans ce documentaire sur les Canibouts, j’ai aimĂ© entendre – sans doute pour la premiĂšre fois- Yves Saudmont, l’ancien maire communiste de Nanterre, qui avait longtemps eu pour moi l’image du maire inamovible jusqu’à ce que sa supplĂ©ante, Jacqueline Fraysse-Casalis, ne prenne sa succession. Jusqu’aux annĂ©es 2000 et la la tuerie qui avait eu lieu lors d’un conseil municipal prĂ©sidĂ© par Jacqueline Fraysse-Casalis.

J’avais entendu parler de la tuerie par les mĂ©dia ainsi que par un collĂšgue qui avait aussi grandi Ă  Nanterre.   

La mairie de Nanterre, oĂč a eu lieu la tuerie, est proche de la bibliothĂšque de Nanterre. Un parvis les sĂ©pare. Mes parents s’y sont mariĂ©s en 1985. En 1985, aprĂšs avoir Ă©tĂ© au collĂšge Evariste Galois, aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă  l’Ă©cole primaire Robespierre, j’Ă©tais au LycĂ©e Joliot-Curie.

Une rue sépare le Lycée Joliot-Curie de la mairie comme de la bibliothÚque. Environ cinq cents mÚtres.

La bibliothĂšque est en hauteur. A mon Ă©poque, la bibliothĂšque « surmontait » un supermarchĂ© Casino. Casino oĂč j’ai rarement fait des achats ( biscuits ou autres friandises) : les prix de ce Casino m’ont toujours marquĂ© par leur « hauteur ». Plus Ă©levĂ©s que le supermarchĂ© Sodim, puis le FĂ©lix Potin, de ma citĂ©. Plus Ă©levĂ©s que le Suma prĂšs du collĂšge Evariste Galois. Ce qui ne m’a pas empĂȘchĂ© de voler dans leurs rayons. Et de finir par me faire attraper- pour un vol de crĂȘpes bretonnes ( 5,25 francs les 10)-  par le « vigile » de Suma. Un homme d’origine asiatique.

 

Lorsque j’arrivais Ă  la bibliothĂšque, toujours Ă  pied, j’Ă©tais auparavant passĂ© « devant » le théùtre des Amandiers. Théùtre oĂč je suis, Ă  ce jour, allĂ© une seule fois dans ma vie. C’Ă©tait avec notre prof de Français de 3Ăšme, Mme Askolovitch/ Epstein, afin d’aller y voir Combats de NĂšgres et de chiens. PiĂšce de théùtre qui m’avait moins plu- que j’avais moins bien comprise- que le film E.T de Spielberg que nous Ă©tions aussi allĂ©s voir avec elle au cinĂ©ma de la DĂ©fense de l’Ă©poque. 

AprĂšs ĂȘtre passĂ© « devant » le théùtre des Amandiers, je passais devant la piscine de Nanterre oĂč j’Ă©tais allĂ© Ă  la piscine avec l’Ă©cole et oĂč mon pĂšre m’a appris Ă  nager la brasse Ă  sa façon avant de m’inscrire Ă  des cours de natation auxquels je n’ai pas toujours Ă©tĂ© assidu.

Puis, suivait le stade de Foot avec sa piste d’athlĂ©tisme que j’ai connue en cendrĂ©e, avant celle en tartan du stade Jean Guimier construite plusieurs annĂ©es plus tard, en bordure du parc de Nanterre.

Mes années Carl Lewis. Mes années Miles Davis, Jazz, Dub et Reggae.

Mes annĂ©es « Conscience Noire » avec des modĂšles noirs principaux amĂ©ricains mĂȘme si je connais AimĂ© CĂ©saire et la NĂ©gritude de nom. Le Zouk de Kassav’, et, avant lui, d’autres tubes de groupes antillais- dont des groupes haĂŻtiens, me parle aussi. J’ai aimĂ© The Message de Grand Master Flash quelques annĂ©es plus tĂŽt. Mais j’ai aussi aimĂ© Gaby, oh, Gaby de Bashung. Comme j’ai aimĂ© Ă©couter Love on the beat  de Gainsbourg, Everything wants to rule the world  de Tears For Fear, le Tainted Love de Soft Cell ou des tubes de Depeche Mode.

Par contre, je n’aime pas le Hard Rock. Je n’Ă©coute pas la musique classique. Et je rejette la variĂ©tĂ© française que je vois comme de la crĂ©celle. Je suis admiratif devant le Break Dance et tout ce qui concerne la danse Hip-Hop. Bien-sĂ»r, James Brown et d’autres artistes noirs amĂ©ricains tirant dans le Funk et la Soul font partie de mes modĂšles. Dont MichaĂ«l Jackson. 

Mais je ne comprends rien Ă  cet engouement ainsi qu’Ă  tout ce tapage autour du groupe U2 avec l’album War

 

A l’extĂ©rieur de ce cirque aussi mental que musical, il est un autre endroit Ă  cette Ă©poque oĂč je fais beaucoup de cercles :

Je connais le parc de Nanterre beaucoup plus pour y avoir fait des footing et des entraĂźnements d’athlĂ©tisme que pour m’y ĂȘtre promenĂ©. Avec mon club d’athlĂ©tisme, l’Entente Sportive de Nanterre, ou ESN, qui reste un des meilleurs exutoires de mon adolescence.

Le théùtre des Amandiers a le parc de Nanterre derriĂšre lui. Le théùtre des Amandiers est Ă  quelques centaines de mĂštres de l’arrĂȘt de bus 304 qui permettait (qui permet?) en prenant la direction de Colombes, d’aller Ă  la PrĂ©fecture, accessible Ă  pied, Ă  la gare de Nanterre-UniversitĂ©, mais aussi de se rendre Ă  la Maison de Nanterre ( l’hĂŽpital de Nanterre) proche des Canibouts.

Si l’on prenait ( si l’on prend ?) le bus 304 dans la direction de la place de la Boule, on arrive rapidement devant le LycĂ©e Joliot-Curie, la bibliothĂšque et la mairie de Nanterre. 

 Lorsque je me rapprochais, enfant, puis collĂ©gien et lycĂ©en, de l’entrĂ©e de la bibliothĂšque de Nanterre, on pouvait voir la mairie de Nanterre en contrebas, sur la droite.

 

  Je connaissais « le tueur » de la mairie de Nanterre.  Je l’avais connu au lycĂ©e Joliot-Curie de Nanterre. Je me souviens bien de lui ( Au LycĂ©e). J’avais alors Ă  peu prĂšs l’ñge qu’ont ces jeunes des Canibouts dans le documentaire. L’une des seules personnes rencontrĂ©es dans ma jeunesse Ă  Nanterre qui a pu faire parler de lui, mĂ©diatiquement, est un tueur. Une personne qui, aprĂšs son acte, s’est suicidĂ©e en se jetant par la fenĂȘtre du commissariat.   

 

Dans le documentaire sur les Canibouts, en 1981, en Ă©coutant Yves Saudmont  j’ai pu m’apercevoir- et m’étonner- de son Ă©rudition et de sa grande aisance pour s’exprimer. Aisance supĂ©rieure pour ce que j’en ai vue Ă  celle du Maire actuel d’Argenteuil, Georges Mothron.  

Mais, pour rĂ©sumer, il suffit de regarder ce documentaire pour Ă  la fois penser au film Le ThĂ© au harem d’ArchimĂšde de Mehdi Charef. Pour penser Ă  certaines Ă©meutes dans « les Â» banlieues. Pour comprendre que l’avĂšnement du Rap comme prise de parole d’une certaines jeunesse et d’une certaine catĂ©gorie de la population française (au dĂ©part plutĂŽt dĂ©favorisĂ©e socialement, Ă©conomiquement voire racialement) allait couler de source. Mais aussi que le FN, devenu RN, allait connaĂźtre une ascension constante. Ainsi que l’intĂ©grisme religieux. Mais aussi le terrorisme. Comme certaines mouvances fascistes et nĂ©o-fascistes. Et certains groupes d’autodĂ©fense. Et, Ă©videmment, tant de mouvements de contestation sociale.  

 

Voir dans ce documentaire que le quartier de la DĂ©fense Ă©tait devenu une sorte de « paradis Â» pour les jeunes des Canibouts (mais aussi pour bien d’autres jeunes, dont j’ai fait partie) avec la crĂ©ation du centre commercial Les Quatre Temps est tout un symbole :  

Le quartier de la DĂ©fense est un quartier d’affaires.  

 

Pendant que nous Ă©tions des milliers de jeunes Ă  venir baver sur des vitrines et sur une richesse matĂ©rielle qui nous semblait le but principal Ă  atteindre dans une vie au point d’ĂȘtre toujours volontaires pour dĂ©penser un argent qui nous manquait tout le temps, quitte Ă  chouraver dans les rayons, apprenant en cela notre future activitĂ© d’addicts et de consommateurs, d’autres, que nous ne voyions pratiquement jamais ou alors sur un Ă©cran ou dans un journal, faisaient de vĂ©ritables affaires et voyaient beaucoup plus loin que nous dans l’espace et dans le temps.  A dĂ©faut de croire en nos capacitĂ©s d’aller sur la lune un jour, nous voulions bien nous contenter de nous rendre dans un centre commercial. Ça compensait.  

 

La Défense, aperçue, au fond, avec la Grande Arche, depuis le parc de Nanterre.

Quarante ans plus tard, en 2020,  notre monde a Ă©voluĂ© : En plus des boutiques physiques,  Internet et nos vies numĂ©riques se sont dĂ©veloppĂ©es entre-temps et nous nous y sommes acculturĂ©s. Nous sommes contents de pouvoir baver en illimitĂ©, si nous le voulons, Ă  n’importe quelle heure, sur quelque chose Ă  mater, Ă  chouraver, Ă  consommer ou Ă  acheter. On peut mĂȘme l’écrire, le filmer ou le photographier et le mettre en ligne. Aux lignes de coke que l’on sniffe s’ajoutent dĂ©sormais nos vies que nous mettons nous-mĂȘmes en ligne et que d’autres peuvent sniffer, identifier ou dĂ©tester.   

 

Aujourd’hui, nos citĂ©s sont aussi devenues numĂ©riques. Et nous avons parfois beaucoup de mal Ă  en sortir. Peut-ĂȘtre rĂ©apprenons-nous en permanence Ă  vider notre mĂ©moire et Ă  devenir amnĂ©siques. Le pied !    

Franck Unimon, vendredi 10 avril 2020. ( Photos prises en Mars 2019).  

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Addictions Cinéma Corona Circus

Addictions en temps de pandémie

Confinés 1.

 

 

Addictions en temps de pandémie.

 

Sans doute faut-il ĂȘtre un petit peu formĂ© aux thĂ©rapies familiales, avoir vu certains films tels Canine (rĂ©alisĂ© en 2009 par Yorgos Lanthimos), lu certains ouvrages et articles sur le sujet.

 

Ou plus simplement :

 

Sans doute faut-il avoir Ă©tĂ© tĂ©moin- ou acteur- de certains Ă©vĂ©nements pour savoir qu’il existe rĂ©guliĂšrement une rupture entre la plus ou moins belle image qu’incarne une famille,  un couple ou un groupe et ce qui se passe Ă  l’intĂ©rieur de cette famille, de ce couple ou de ce groupe derriĂšre le grillage des agrĂ©ables assurances et des sourires.

 

On peut multiplier les exemples de films sur ce sujet. On peut mĂȘme citer OpĂ©ration Dragon de Robert Clouse avec Bruce Lee. Mais aussi The Naked Kiss de Samuel Fuller, Get Out de Jordan Peele, L’Impasse de Brian de Palma,  John Wick ou Le Chant du Loup  d’Antonin Baudry ou Alien
. Tous ces films et bien d’autres parlent du confinement imposĂ© au hĂ©ros sous forme d’un destin le plus souvent imposĂ© ou, quelques fois, choisi (Bruce Lee dans OpĂ©ration Dragon par exemple, les hĂ©ros du film Le Chant du Loup) que le hĂ©ros essaie de surmonter et qui le rĂ©vĂšle Ă  lui-mĂȘme dans ses Ă©checs et fracas (le plus frĂ©quemment) comme dans ses succĂšs (plutĂŽt rares) souvent obtenus au forceps.

 

On ne compte plus les hĂ©roĂŻnes et les hĂ©ros administrĂ©s par l’alcool ou une autre substance psychoactive que ce soit au cinĂ©ma ou dans les polars et romans et qui, pourtant, font sortir les «pourris Â» du circuit. On s’identifie Ă  quelques unes et Ă  quelques uns de ces hĂ©roĂŻnes et de ces hĂ©ros ainsi qu’à leurs adversaires qui sont souvent leur propre reflet. Ne serait-ce qu’en acceptant rĂ©guliĂšrement d’aller se confiner dans une salle de cinĂ©ma (oui, ce temps reviendra) pour aller voir et vivre avec une certaine ambivalence toutes ces histoires sur grand Ă©cran. Et/ou en se livrant soi-mĂȘme rĂ©guliĂšrement ou de temps en temps Ă  certaines de ces conduites addictives :

 

« Or, qu’il s’agisse de consommation de produits psychoactifs, de jeux vidĂ©o ou de dĂ©pendance au travail, l’addiction n’a pas attendu le SARS CoV-2 pour affecter les salariĂ©s. L’étude Impact des pratiques addictives au travail, menĂ©e en septembre 2019 par GAE Conseil, indiquait que 44% des salariĂ©s jugent les pratiques addictives frĂ©quentes dans leur milieu professionnel.

« Les expĂ©riences de la NASA ont dĂ©montrĂ© que le stress provoquĂ© par le confinement pouvait conduire les personnes les mieux prĂ©parĂ©es Ă  prendre de mauvaises dĂ©cisions, rappelle Eric Goata, administrateur de la FĂ©dĂ©ration des intervenants en risques psychosociaux (Firps) Â».  C’est extrait de la chronique d’Anne Rodier dans le journal Le Monde du jeudi 26 mars 2020, partie Management, page 19. Titre de la chronique :

Le manageur face à la pandémie de Covid-19.

La chronique d’Anne Rodier se termine en rĂ©pondant Ă  la question suivante :

 Mais comment un manageur peut-il reconnaĂźtre les salariĂ©s Ă  risque Ă  distance ?

Eric Goata rĂ©pond : « En repĂ©rant les alertes, une agitation verbale, un silence inhabituel, un comportement automatique de gestes routiniers sans utilitĂ© pour l’organisation sont autant de signaux faibles Ă  prendre en considĂ©ration Â».

 

Dans le film PlanĂšte Hurlante ( rĂ©alisĂ© en 1995 par Christian Duguay) vu en dvd il y a plusieurs annĂ©es, je me rappelle encore de cette scĂšne oĂč, sur une planĂšte Ă©loignĂ©e de la Terre, revenant d’une mission, un homme interpelle son collĂšgue restĂ© Ă  la base.

Mais si le collĂšgue lui rĂ©pond d’abord « normalement Â», ensuite, il ne cesse de rĂ©pĂ©ter la mĂȘme phrase.  Jusqu’à ce que la porte de la base ne s’ouvre et qu’un cortĂšge de robots hurleurs (plus effrayants que les robots chasseurs de Karaba la sorciĂšre dans Kirikou) ne vienne Ă  sa rencontre.

 

Bien-sĂ»r, une personne « Ă  risque Â» du fait du tĂ©lĂ©travail et qui se rapprocherait du burn-out en pĂ©riode de confinement est Ă  diffĂ©rencier d’un des robots hurleurs de PlanĂšte Hurlante oĂč l’on devient assez rapidement l’un des meilleurs « amis Â» de la paranoĂŻa. Car nous sommes dans l’univers de Philippe K.Dick. Mais aussi dans le nĂŽtre :

 En cette pĂ©riode d’épidĂ©mie, une accalmie mentale peut ĂȘtre recherchĂ©e sous la forme d’un calumet un peu spĂ©cial. Ce peut ĂȘtre la nourriture. Cela peut ĂȘtre le sexe. Cela peut ĂȘtre des images. Mais cela peut aussi ĂȘtre ces substances psychoactives qui peuvent dĂ©boucher sur des addictions ou les entretenir.

 

« + 15% de ventes sur le rayon cave d’Auchan Â» ; «  On est passĂ©s de six rĂ©unions en visioconfĂ©rence par semaine Ă  une trentaine, qui s’étalent de 8 heures du matin Ă  23 heures du soir, nous confirme Laurent, membre des Alcooliques anonymes Â» ( Page 13, dans la rubrique SociĂ©tĂ©/ Crise du Coronavirus du journal Le Parisien du jeudi 26 mars 2020. Titre de l’article : L’alcool, pour oublier).

Toujours dans cet article de Le Parisien, ce passage :

 

« En rĂ©alitĂ©, c’est la peur, l’anxiĂ©tĂ©, le fait de ne pas voir de fin Ă  ce confinement qui augmente le stress et peut donc crĂ©er un besoin d’alcool et une surconsommation. Dans ce contexte, les personnes seules sont encore plus Ă  risques, analyse la psychologue spĂ©cialisĂ©e. D’ailleurs, pour les personnes addictives, il y a un fort risque de majoration de la consommation Â».

Confinés 2.

 

Plus loin, page 15, toujours dans le mĂȘme numĂ©ro de Le Parisien, ces propos du GĂ©nĂ©ral Jean-Philippe Lecouffe, gendarme, dans cet article intitulĂ© :

« La gendarmerie est en alerte sur les trafics de chloroquine Â» .

 

Celui-ci alerte Ă  propos de la cybercriminalitĂ© :

 

« Oui, il faut appeler les internautes Ă  ĂȘtre encore plus prudents que d’habitude. (
.)

Beaucoup de personnes travaillent sur des ordinateurs, parfois personnels, en tĂ©lĂ©travail, sans disposer des moyens de protection d’un service informatique d’entreprise. Nous observons des attaques par rançongiciels ou des hameçonnages avec vol de donnĂ©es. Par exemple, des envois d’e-mails livrant un point de situation dĂ©taillĂ© sur le Covid-19, ou Ă©voquant la chloroquine, avec une piĂšce jointe. DĂšs que celle-ci est ouverte, l’internaute se retrouve avec non pas le coronavirus
.mais un logiciel espion. Nous surveillons aussi tout ce qui est manipulation de l’information sur les rĂ©seaux pour dĂ©tecter les « fake new Â» sur le Covid-19 Â».

 

Concernant les trafics de drogue, voici la rĂ©ponse, toujours, du gĂ©nĂ©ral Jean-Philippe Lecouffe, toujours dans Le Parisien de ce jeudi 26 mars 2020, page 15 :

 

« Ce qu’on pressent, compte-tenu du confinement, c’est qu’une partie de la vente de la drogue se reporte sur le Darknet. Les consommateurs ne vont plus se dĂ©placer, ils vont essayer de passer par des systĂšmes de livraison avec des dealers qui bĂ©nĂ©ficient d’autorisation de circulation. Il y aura une probable « ubĂ©risation Â» du business Â».

 

A propos des violences conjugales, le mĂȘme Jean-Philippe Lecouffe rĂ©pond :

 

« Les violences faites aux femmes restent une prioritĂ©. Je veux ĂȘtre clair : mĂȘme en pĂ©riode de confinement, nos unitĂ©s continuent Ă  intervenir quand elles reçoivent des appels d’urgence. (
.) Je rappelle que la gendarmerie possĂšde une brigade numĂ©rique que l’on peut contacter 24 heures sur 24 sur Internet Â».

 

Rencontrer ce patient dont je parle dans mon article Faire des images m’a sĂ»rement inspirĂ© ce sujet et rappelĂ© le sĂ©minaire sur les addictions oĂč j’étais allĂ© en janvier et dont je compte rendre compte ensuite.

 

Franck Unimon, mercredi 8 avril 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Faire des images

 

 

                                                  Faire des images

 

L’économie est le canon d’une arme. Son barillet tourne aussi mĂ©caniquement qu’une horloge dont chaque oscillation, rĂ©percutĂ©e contre nos tympans, est scrutĂ©e par des comptables qui dĂ©signent de nouveaux coupables Ă  chaque retard de paiement.

 

Depuis Covid-19 (on aimerait l’appeler coĂŻt 19 mais ça ne sera pas pour aujourd’hui), colt viral qui a fait de notre prĂ©sent son cheval, l’ombre de la note s’allonge. Pour certains, c’est celle de la mort, pour d’autres, la maladie ou le chĂŽmage. Pour d’autres encore, la musique d’un dĂ©couragement et d’un dĂ©doublement dont il est difficile de sortir.

 

Le dernier album de Brigitte Fontaine, Terre Neuve,  est depuis quelques jours celui que j’écoute. J’avais sĂ»rement besoin de sa folie. L’album Ă©tait chez moi depuis plusieurs semaines. Mais Manu Dibango avait alors toute mon attention. On va souhaiter Ă  Brigitte (Fontaine) de tenir plus longtemps que Manu Dibango.

 

Le premier titre de Terre Neuve, «  Le Tout pour le Tout Â» qui parle de la vie et de la mort s’accorde bien avec le nĂ©on de nos prĂ©occupations actuelles.

Il y a du Bashung dans sa façon de dire son texte. Plus loin dans son album, on pense Ă  Gainsbourg, au groupe Portishead (le titre «  Ragilia Â») et Ă  d’autres influences.

 

Mais Brigitte Fontaine est bien-sĂ»r Brigitte Fontaine dans cet album plutĂŽt rock.  Je l’avais dĂ©couverte en concert Ă  l’Olympia grĂące Ă  une amie il y a plus de vingt ans. Et je l’avais revue ensuite en concert dans la salle de concert de Cergy St-Christophe, l’Observatoire, oĂč j’ai vu d’autres trĂšs bons concerts :

 

Les groupes Brain Damage (Dub), Improvisator Dub ( Manutension Ă©tait encore vivant), High Tone, Daby TourĂ©, Susheela Raman. J’y avais mĂȘme vu Disiz La Peste qui, malgrĂ© l’incorrection facile de certains spectateurs, avait su tenir son micro et sa scĂšne.

 

 

AprĂšs l’album de Brigitte Fontaine, l’EP d’AloĂŻse Sauvage, Jimy, attend son passage. Puis, il y aura l’album de Damso, LithopĂ©dion. Et, si j’en ai vraiment le temps vu que ma fille est Ă  « l’école Â» aujourd’hui, je mettrais l’album de La Rumeur, Du CƓur Ă  l’Outrage. Et j’extrairai Ă  nouveau des titres de l’album The Downnward Spiral de Nine Inch Nails :

 

Au moins, les titres «  Mr Self Destruct Â», « Closer Â» que j’avais dĂ©couverts Ă  leur sortie grĂące Ă  un ancien collĂšgue, PoupĂ©e, en 1994 ou 1995, et dont l’attrait, sur moi, persiste. Aujourd’hui, PoupĂ©e vit Ă  la RĂ©union.

 

 

En parlant de Rap, j’aurais aimĂ© pouvoir parler de l’album de Ausgang sorti il y a peu ou peut-ĂȘtre de celui d’Isha. Mais je n’ai pas encore eu la possibilitĂ© de les Ă©couter. Ni la disponibilitĂ©.

 

 

Mais l’horloge de l’économie tourne et mes heures sont comptĂ©es. Qu’est-ce que je pourrais raconter, de pas trop long, et qui puisse intĂ©resser un peu celles et ceux qui vont suivre ces lignes ?

 

J’ai connu ce week-end et ce matin mes premiers contrĂŽles policiers en allant au travail et en revenant. A chaque fois Ă  la gare St Lazare. Cela s’est trĂšs bien passĂ© avec les policiers. Au point que, d’une façon un peu paradoxale et amusante, c’est mĂȘme un ancien patient croisĂ© par hasard hier matin prĂšs de la gare St Lazare en revenant du travail qui m’a assurĂ© :

 

« Ă§a va, ils sont cool Â». Nous Ă©tions alors devant la gare St Lazare et pour le prĂ©server d’un nouveau contrĂŽle, je venais de lui proposer de nous en Ă©loigner alors que deux cars de police se trouvaient Ă  une dizaine de mĂštres de nous, sur le parvis de la gare.

 

J’ai fait la connaissance de ce patient dans un service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions dans mon hĂŽpital oĂč il m’arrive de faire des remplacements. J’ai postulĂ© trois fois dans ce service. Mon CV est bon m’a-t’on rĂ©pondu. Et il est rassurant de me voir arriver lorsque je  me prĂ©sente dans ce service.  Pour y effectuer des remplacements, payĂ©s en heures supplĂ©mentaires. Mais il y a toujours eu un « Mais Â» pour ne pas m’embaucher et embaucher quelqu’un d’autre Ă  ma place lorsqu’un poste s’y est libĂšrĂ©. Au prĂ©texte que je manque « d’expĂ©rience dans le domaine des addictions Â».

 

Cette inexpĂ©rience dans le domaine des addictions mais aussi dans le domaine relationnel, hier matin, je l’ai modĂ©rĂ©ment sentie, en prĂ©sence de ce patient.

 

Il Ă©tait d’abord drĂŽle de nous reconnaĂźtre l’un et l’autre dans la rue. Je portais un masque chirurgical et un bonnet quand mĂȘme.

 

 

Pourtant, nous nous sommes facilement reconnus. J’avais bien-sĂ»r un « avantage Â» sur lui. Je voyais son visage dĂ©couvert. Mais cela ne l’a pas empĂȘchĂ© de « savoir Â» qu’il me connaissait. MĂȘme s’il m’a demandĂ© ensuite d’enlever mon bonnet aprĂšs mon masque.

 

Sans doute est-il un spĂ©cialiste de l’observation en temps ordinaire. Pour frayer, en tant que consommateur, dans l’univers des substances addictives illĂ©gales, j’imagine qu’il en faut des capacitĂ©s d’observation. Et d’adaptation. A son environnement. A ses interlocuteurs. Aux situations rencontrĂ©es. Et, lĂ , il venait de passer la nuit dehors.

 

AprĂšs plusieurs semaines d’abstinence, il avait rechutĂ©, devant ses neveux, chez une de ses sƓurs oĂč il Ă©tait en confinement. Sa sƓur l’avait trĂšs mal pris. Dehors. Alors, il a pris le train pour venir sur Paris oĂč il est allĂ© chez un « ami Â» qui l’avait dĂ©pannĂ© d’un bedo.

 

Quelques jours plus tĂŽt, dans le service spĂ©cialisĂ© dans le traitement des addictions oĂč nous nous Ă©tions croisĂ©s, avait eu au tĂ©lĂ©phone le mĂ©decin qui le suit.

 

Il m’a ainsi appris que le service d’hospitalisation spĂ©cialisĂ© dans les addictions oĂč nous nous Ă©tions croisĂ©s allait bientĂŽt rouvrir aprĂšs avoir fermĂ© pendant une dizaine de jours.

 

Il a ainsi rĂ©pondu spontanĂ©ment Ă  une question que je m’étais posĂ© ces derniers temps :

 

Les personnes sujettes aux addictions avec substance me semblent faire partie des personnes particuliĂšrement exposĂ©es au Covid-19. Je pensais d’abord Ă  l ‘affaiblissement  de leur organisme du fait de leur consommation. Mais, ce matin, je pense d’abord aux multiples contacts qui leur sont nĂ©cessaires pour se procurer leur substance, au milieu oĂč ils se le procurent (coin de rue ou fĂȘtes
.), aux moyens employĂ©s ( la prostitution peut en faire partie) et au fait que respecter la distance sociale sera loin- pour certains- d’ĂȘtre leur premiĂšre prioritĂ©.

 

D’ailleurs, pendant que je discute devant la gare St Lazare, avec ce patient, la distance sociale d’un mĂštre n’y est pas. Je le constate. Mais je ne peux rien dire. Au mĂȘme titre que dans le service de pĂ©dopsychiatrie oĂč je travaille, j’ai dĂ©jĂ  plusieurs fois prĂ©sentĂ© mes excuses aux jeunes pour me prĂ©senter devant eux – comme mes collĂšgues- avec un masque chirurgical sur le visage, avec ce patient, je constate Ă  nouveau que l’une des bases de notre travail relationnel en psychiatrie, en pĂ©dopsychiatrie ou dans toute activitĂ© professionnelle psycho-sociale, c’est, avant tout de se montrer Ă  visage dĂ©couvert devant celle et celui que l’on « engage Â» Ă  nous rencontrer.

 

C’est le minimum.

 

Dans une rencontre « directe Â», en vis-Ă -vis,  il est trĂšs difficile d’inspirer confiance Ă  quelqu’un si cette personne voit Ă  peine la couleur de nos yeux, ce qui s’y passe ainsi que ce qui se passe sur notre visage. C’est le ba-ba.

 

Et, avec ce patient qui vient de passer la nuit dehors, qui vit une pĂ©riode un peu dĂ©licate, qui me rĂ©pond que son traitement neuroleptique d’un mois est restĂ© chez sa sƓur, je ne me vois pas trop insister sur la distance sociale.

 

Pourtant, je dois aussi penser Ă  moi. A ma compagne et Ă  ma fille qui sont chez moi pour commencer.

 

Alors, mon masque chirurgical toujours sur le visage, Ă  cĂŽtĂ© de ce patient, j’essaie de trouver une petite distance corporelle qui puisse ĂȘtre un bon compromis entre la distance sociale amicale Ă©lĂ©mentaire et la distance sanitaire recommandĂ©e. Officiellement, elle est de un mĂštre. Mais, la veille, un collĂšgue pĂ©dopsychiatre nous a appris que c’est vraiment le minimum. L’idĂ©al, ce serait trois mĂštres de distance sociale durant cette pĂ©riode de pandĂ©mie.

 

Je dois ĂȘtre dans une distance comprise entre 30 centimĂštres et 50 centimĂštres avec ce patient qui est sur ma droite. Et, de temps Ă  autre, je tourne ma tĂȘte vers le cĂŽtĂ© opposĂ© tout en l’écoutant.

Il est trĂšs renseignĂ© Ă  propos de l’Ă©pidĂ©mie. Il pense que ça va durer comme ça tout le mois de Mai. Il n’est pas plus inquiet que ça en le disant. MĂȘme si, bien-sĂ»r, il est inquiet me rĂ©pond-t’il, Ă  l’idĂ©e d’ĂȘtre contaminĂ©. 

 

Lui et moi, nous discutons ainsi pendant quinze Ă  vingt minutes devant la gare St-Lazare. Lorsque je lui dis que je dois y aller, il comprend et me remercie d’ĂȘtre restĂ© un peu avec lui. Je vois bien Ă  son sentiment de gratitude que ce moment a Ă©tĂ© pour lui l’équivalent d’un remontant. J’insiste pour qu’il aille se mettre au chaud. J’insiste encore pour qu’il aille rĂ©cupĂ©rer son traitement neuroleptique chez sa sƓur. Il acquiesce. Il ne me paraĂźt pas trop dĂ©primĂ©, pas trop persĂ©cutĂ©. Pas trop fatiguĂ©. Il a manifestement des perspectives. Il m’a parlĂ© de son patron actuellement bloquĂ© en Martinique. J’ai un moment regardĂ© prĂšs de nous si un lieu de restauration rapide Ă©tait ouvert. Mais cela l’a plutĂŽt mis un peu sur le qui-vive :

 

« Qu’est-ce que tu regardes ?! Â».

 

Je lui ai expliquĂ©. Mais tout Ă©tait fermĂ©. Lui donner un peu d’argent Ă©tait selon moi Ă  Ă©viter alors je ne lui en ai pas parlĂ©.  De son cĂŽtĂ©, il ne m’a rien demandĂ©.

 

AprĂšs nous ĂȘtre sĂ©parĂ©s, j’ai essayĂ© de joindre le service oĂč lui et moi nous Ă©tions revus deux mois plus tĂŽt. J’ai eu de la chance :

Le service Ă©tait ouvert. Et le mĂ©decin de ce patient en particulier Ă©tait prĂ©sent m’a appris l’infirmier qui m’a rĂ©pondu. Alors, j’ai pu lui raconter.

 

Ce contact direct, hors d’un bureau, voire d’un service, et de la paperasse,  me convient bien, je crois. MĂȘme si je l’ai assez peu vĂ©cu professionnellement (sauf si l’on pense Ă  mes interviews de rĂ©alisateurs et d’acteurs en tant que journaliste cinĂ©ma) comparativement Ă  mes annĂ©es dans un service en tant qu’infirmier. Et que mon inquiĂ©tude, et celle de ma compagne, se concentre plutĂŽt, dans ce genre de travail, dans le risque d’ĂȘtre exposĂ© Ă  certaines maladies ou infections.

 

J’ai eu cette inquiĂ©tude derniĂšrement pour une de nos collĂšgues qui s’est portĂ©e volontaire pour aller travailler dans un des services de notre hĂŽpital qui prend en charge les patients en psychiatrie adulte porteurs du Covid-19.

J’ai lu comme tout le monde que le patron de l’AP-HP, Martin Hirsch, a rĂ©clamĂ© derniĂšrement plus de respirateurs. Et aussi plus de personnel soignant, en particulier infirmier, pour faire face Ă  la pandĂ©mie, soit sur la base du volontariat ou en rĂ©quisitionnant ce personnel.

 

La nĂ©cessitĂ© de personnel soignant prĂ©sent et compĂ©tent ( dans les techniques d’urgence et de rĂ©animation mĂ©dicale ou chirurgicale) pour « rĂ©pondre Â» Ă  la pandĂ©mie, personne ne la contestera. Et si j’ai d’abord pensĂ© que seuls les hĂŽpitaux publics Ă©taient sollicitĂ©s pour « rĂ©pondre Â» Ă  la pandĂ©mie, j’ai depuis lu dans un journal que les Ă©tablissements privĂ©s appuyaient l’effort sanitaire en vue de « rĂ©pondre Â» Ă  la pandĂ©mie (article d’Antoine Boudet Comment le leader de l’hospitalisation privĂ©e en France, Ramsay SantĂ©, fait front  dans Les Ă©chos du mercredi 1er avril 2020, page 21). Donc, j’avais une vision biaisĂ©e concernant l’attitude des Ă©tablissements de soins privĂ©s. MĂȘme si j’imagine qu’aprĂšs la pandĂ©mie, cette « solidaritĂ© Â» du privĂ© avec le public, aura un coĂ»t d’une façon ou d’une autre. Car il faut se rappeler que « l’économie Â» dirige nos vies et que nous avons Ă  payer, d’une façon ou d’une autre, pour avoir le droit de vivre dans nos sociĂ©tĂ©s modernes.

 

Mais parler de « rĂ©quisitionner Â» au besoin du personnel soignant, en particulier infirmier, est un vocabulaire Ă  mon avis assez suspect ou Ă©trange :

 

Car, que ce soit par sa culpabilitĂ©, son sens du Devoir ou du fait des dĂ©cisions imposĂ©es par sa hiĂ©rarchie, le personnel infirmier se fait souvent rĂ©quisitionner en temps ordinaire. Pour toutes sortes de raisons. «  Pour le bien du malade et de ses proches Â». « Pour l’éthique Â». « Pour les besoins du service Â».

 

Et, je n’ai mĂȘme pas envie de redire- comme cela l’a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© fait Ă  plusieurs reprises depuis cette pandĂ©mie- que cela fait des annĂ©es (selon moi, depuis une gĂ©nĂ©ration) que le personnel soignant et les syndicats prĂ©viennent les diffĂ©rents gouvernements des effets dĂ©lĂ©tĂšres de la casse organisĂ©e des hĂŽpitaux publics. Et avant son appel rĂ©cent, Martin Hirsch a participĂ© Ă  cette casse organisĂ©e des hĂŽpitaux publics. ( on peut lire l’article CrĂ©dibilitĂ© Ă©crit en novembre de l’annĂ©e derniĂšre bien que Martin Hirsch n’en n’ait pas Ă©tĂ© un des acteurs directs). 

 

Martin Hirsch et d’autres personnes dĂ©cisionnaires ont des connaissances sur la pandĂ©mie et sur les besoins sanitaires pour y « rĂ©pondre Â» que n’ai pas. Par contre, j’ai appris qu’il se trouve dans mon hĂŽpital au moins deux services oĂč 75% du personnel infirmier est en arrĂȘt de travail.  Et je ne sais pas tout. Et cela fait « seulement Â» trois semaines que les mesures de confinement sont appliquĂ©es avec distance sociale etc
.

 

Donc, rĂ©quisitionner du personnel infirmier en arrĂȘt de travail ou porteur du Covid-19 paraĂźt ĂȘtre une drĂŽle de façon de penser : C’est une façon  de penser Ă  court terme. Comme d’habitude. Comme s’il suffisait de dĂ©busquer du personnel infirmier cachĂ© sous des rochers. Un peu comme des coquillages que l’on ramasse sur la plage Ă  marĂ©e basse. Qu’il suffit de venir avec ses bottes, sa pelle et son seau et de se servir.

 

 Ces 75 % de personnels en arrĂȘt de travail, je ne les connais pas. Mais il y avait dĂ©jĂ  du personnel infirmier en arrĂȘt de travail avant la pandĂ©mie. Et c’est assez facile de comprendre que ce pourcentage d’infirmiers en arrĂȘt de travail augmente avec la pandĂ©mie aprĂšs avoir contractĂ© le Covid-19 ou par anxiĂ©tĂ© afin d’éviter de le contracter. Oui, on peut ĂȘtre «  Une hĂ©roĂŻne ou un hĂ©ros de la Nation Â» et avoir peur de tomber malade ou de mourir.

 

Parce-que c’est trĂšs joli d’ĂȘtre surnommĂ©s «  les HĂ©ros de la Nation Â». Mais, concrĂštement, des hĂ©ros de la Nation qui partent au combat sans armes (gants, masques FFP2, tenues de protection, avec moins de possibilitĂ©s de jours de repos etc
), c’est plutĂŽt des personnes suicidaires, sacrifiĂ©es ou inconscientes qui vont affronter pratiquement Ă  mains nues, avec de l’eau et du savon, un virus plutĂŽt inquiĂ©tant qui, lui, ne prend pas de jour de congĂ© et se contrefiche de l’horloge de l’économie.

 

 

Ma collĂšgue volontaire pour aller travailler dans une unitĂ© Covid en psychiatrie m’a rĂ©pondu qu’elle estimait y ĂȘtre mieux protĂ©gĂ©e que dans notre propre service. Car dans l’unitĂ© Covid oĂč elle va aller travailler, ils y portent des «  tenues de cosmonautes Â». Et, elle m’a retournĂ© les prĂ©ventions que j’avais pour elle :

 

«  Toi, aussi, fais attention Ă  toi Â».

 

 

Ça et lĂ , les avis divergent quant Ă  la suite de la pandĂ©mie. On entend dire qu’un certain nombre de jours de vacances seront sucrĂ©s. Que pour une durĂ©e indĂ©terminĂ©e, on renoncera aux 35 heures. Afin d’essayer de « rattraper Â» ce qui a Ă©tĂ© perdu en productivitĂ©. Car il est impĂ©ratif de limiter le plus possible les rĂ©percussions Ă©conomiques de la pandĂ©mie.

 

Un ancien Ministre de l’Education, spĂ©cialiste des croisiĂšres oĂč il se fait bien payer pour ses confĂ©rences, et aussi grand philosophe qu’historien, dans un article, raille les collapsologues, les Ă©cologistes et Nicolas Hulot.

Pour lui, Ă  l’évidence, aprĂšs la pandĂ©mie, le business reprendra as usual.

(Chronique Les Vautours de Luc Ferry dans le Figaro du jeudi 26 mars 2020, page 25) :

 

«(
.) La croissance libĂ©rale mondialisĂ©e repartira donc en flĂšche dĂšs que la situation sera sous contrĂŽle. Les revenus de nos concitoyens auront diminuĂ©, certes, mais ils auront aussi fait des Ă©conomies et elles inonderont le marchĂ© dĂšs la fin du confinement Â».

 

« (
.) Pour le reste, ce sera reparti, non pas comme en 14, mais comme dans les pĂ©riodes d’aprĂšs-guerre. «  Business as usual Â» est l’hypothĂšse la plus probable, et du reste la plus raisonnable, n’en dĂ©plaise aux collapsologues. Je crains qu’Hulot, Cochet et leurs amis ne doivent patiemment attendre la prochaine crise pour se frotter Ă  nouveau les mains Â».

 

Et, sans doute trĂšs content de son humour comme de son intelligence, Luc Ferry conclut sa chronique de cette façon :

 

« Ps : Pour ceux que ça intĂ©resse, vous pouvez me retrouver chaque jour vers 15 heures sur Instagram, pour un cours sur les grands moments de l’histoire de la philosophie. C’est une histoire gĂ©niale et c’est gratuit ! Â».

 

 

Je crois en effet que les Puissants et les privilĂ©giĂ©s dont fait partie Luc Ferry mais aussi la patronne du RN (mĂȘme si celle-ci rĂ©ussit Ă  se faire passer pour une proche du « peuple Â» et des gens modestes) resteront Ă  leur place de Puissants et de privilĂ©giĂ©s si la pandĂ©mie les laisse indemnes Ă©conomiquement, socialement et personnellement.

 

Et qu’ils continueront d’excrĂ©ter leurs certitudes et leurs visions du monde, et de les imposer, car ce monde dans lequel nous vivons encore leur convient. Ils y ont leurs entrĂ©es, leurs connexions, leurs intermĂ©diaires, leurs bĂ©nĂ©fices, et leurs remparts. Ils peuvent s’y permettre d’y dire Ă  peu prĂšs tout et n’importe quoi. Le temps que la Justice les rappelle Ă  l’ordre, d’une part, lorsque cela arrivera, ils auront une somme symbolique- en guise de rĂ©paration- Ă  payer Ă  la sociĂ©tĂ© et, d’autre part, entre-temps, ils auront continuĂ© Ă  assurer leur promotion personnelle, Ă©conomique et sociale. Ils courent peu de risques Ă  s’exprimer dans tous les sens. Leur plus grand risque est de passer inaperçus et d’ĂȘtre oubliĂ©s ou exclus de la scĂšne publique.

 

 

Et, il faudra un grand dĂ©sastre, que la pandĂ©mie dure suffisamment longtemps et dĂ©truise une bonne partie de ces entrĂ©es, de ces connexions, de ces intermĂ©diaires et de ces remparts qui protĂšgent les Puissants et les privilĂ©giĂ©s qui prĂŽnent un monde Ă  l’identique aprĂšs la pandĂ©mie pour qu’ils commencent Ă  se dire qu’il faut peut-ĂȘtre changer de modĂšle d’action, de vie et de pensĂ©e. Et apprendre, peut-ĂȘtre, Ă  coopĂ©rer avec les autres plutĂŽt que de continuer Ă  les mĂ©priser.

 

Mais, pour l’instant, comme le dit Luc Ferry dans sa chronique, les Puissants et les privilĂ©giĂ©s – qui sont favorables au fait de rester dans notre monde libĂ©ral tel qu’il est- sont convaincus qu’à un moment ou Ă  un autre, ils reprendront «  le contrĂŽle de la situation Â». Que l’on parle de Luc Ferry, du PrĂ©sident Macron, de Donald Trump, Poutine, Bolsanaro et d’autres. Politiciens, Puissants hommes d’affaires etc
.

 

 

Ce n’est pas Ă©tonnant de leur part : Un Puissant ou une Puissante, est une personne qui peut tenir une position, une volontĂ©, en vue d’atteindre un but, un objectif, coĂ»te que coĂ»te et qui y parvient. C’est vrai pour un sportif de haut niveau. Mais c’est Ă©galement vrai pour une femme ou un homme politique. Pour une PDG ou un PDG. Et celles et ceux qui nous gouvernent sont aux postes qu’ils occupent parce-que, en maintes occasions, elles ont su, ils ont su, tenir un cap, arriver lĂ  oĂč ils le souhaitaient, malgrĂ© les difficultĂ©s rencontrĂ©es.

 

Pendant que le PrĂ©sident Macron parle des soignants comme des « HĂ©ros de la Nation Â», il livre ses propres combats dont il est convaincu qu’il sera, lui aussi, le HĂ©ros. Comme il a pu ĂȘtre le HĂ©ros des Ă©lections prĂ©sidentielles. Et c’est pareil pour Trump, Poutine etc
.

 

Donc, on peut leur faire « confiance Â» sur ce point :

 

Si, comme Luc Ferry l’avance, la pandĂ©mie s’arrĂȘte assez « vite Â», Macron, Poutine, Trump et toutes celles et ceux qui nous gouvernent, et celles et ceux qui les entourent, sauront s’attribuer les mĂ©rites de la grande victoire sur la pandĂ©mie du Covid-19. Et ils sauront s’affirmer comme les personnes les plus lĂ©gitimes pour nous dicter encore plus de quelle façon notre monde et nos vies doivent tourner.

 

 

Le seul moyen pour que notre monde change vĂ©ritablement est donc que nos Puissants actuels (hommes politiques, PDG etc
.) se confrontent
.Ă  leur impuissance. Et ça, la pandĂ©mie peut aussi le dĂ©cider. Par ses effets directs ou indirects qui touchent et toucheront quantitĂ© de gens avant de les atteindre, eux, les Puissants. Et nous n’en sommes pas lĂ  pour l’instant, je crois. MĂȘme si, dĂ©ja, beaucoup de personnes souffrent depuis le dĂ©but de l’Ă©pidĂ©mie.

 

C’est donc la raison pour laquelle on a un Luc Ferry qui peut crĂąner comme il le fait dans sa chronique du Figaro. Et c’est la raison pour laquelle, pour l’instant, on nous parle, aprĂšs la pandĂ©mie, de « rattraper le temps perdu Â» etc
pour combler le dĂ©ficit Ă©conomique. Et, surtout, pour conserver exactement le mĂȘme mode de vie mais en plus radical. En plus extrĂȘme.

 

Pour l’instant, nos Puissants et nos « penseurs Â» qui voient comme unique monde futur possible notre monde actuel Ă  l’identique- mais en plus dur- me font penser au personnage de Cersei dans Games of Thrones  ( article Game of Thrones saison 8 ):

Jusqu’au bout, Cersei a cru au triomphe de sa vision. Et lorsqu’il lui a Ă©tĂ© impossible d’échapper Ă  la dĂ©faite de sa vision, brĂ»lĂ©e et dĂ©truite par la vision de Daenarys, une extrĂ©miste plus puissante qu’elle, elle aurait pu se jeter dans le vide. A la place, elle s’effondre sous les pierres de son propre royaume avec son chĂ©ri.

 

A la fin de Games of Thrones, il est trĂšs difficile de rĂ©ussir Ă  trouver parmi les survivants une personne restĂ©e indemne de tout trauma. Il y a surtout des personnes qui s’en sortent un peu mieux que d’autres. Il y a beaucoup de victimes. Et une haine meurtriĂšre Ă©loignĂ©e et amadouĂ©e (Ver-Gris).

 

La refonte du systĂšme de santĂ© dont parle le PrĂ©sident Macron Ă  l’issue de la PandĂ©mie ?

On va dĂ©jĂ  essayer de tenir jusqu’à la fin de la pandĂ©mie. Parce-que, que l’on soit d’accord ou pas les uns avec les autres, on est au moins d’accord sur le fait qu’il faut continuer de serrer les fesses en vue de sortir de cette pandĂ©mie. MĂȘme si l’on devine que certains pays, certaines Ă©conomies, certaines rĂ©gions et certaines personnes s’en sortiront mieux que d’autres.

 

Mais ce qui, dĂ©jĂ , me fait une drĂŽle d’impression, c’est le fait que l’on parle de prime pour les soignants Ă  l’issue de la pandĂ©mie. Si l’on nous octroie une prime, je l’accepterais Ă©videmment. Je ne vais pas la donner Ă  Luc Ferry.

Mais j’ai l’impression que si l’on en reste uniquement Ă  parler de « prime Â» pour les soignants, cela signifie que, d’une façon ou d’une autre, on veut acheter le silence des soignants tout en conservant le modĂšle sanitaire et social Ă  peu prĂšs tel qu’il est. Et tel qu’il a exposĂ© ses failles.

 

Et, comme l’ont dit d’autres personnes : Ă  cĂŽtĂ© des soignants, il y a d’autres professionnels dont il faudra revaloriser et revoir l’évolution de carriĂšre, le salaire, le statut social. Qu’il s’agisse des Ă©boueurs, des caissiĂšres, des conducteurs de transports en commun ( surtout lorsqu’ils ont pu se montrer corrects voire avenants contrairement au chauffeur de bus d’hier soir) des pompiers, des policiers, des enseignants, des agriculteurs etc
.enfin, toutes ces personnes qui sont soit au contact ou en premiĂšre ligne de la population, ou Ă  son service, au quotidien et qui, eux, ne bĂ©nĂ©ficient pas de remparts, de connexions, de raccourcis, d’intermĂ©diaires, de trucs, de passe-droits lorsqu’il s’agit de mener un combat ou de tenir un contrat social garant de la bonne santĂ© d’une sociĂ©tĂ©. Et dans le mot santĂ©, je pense Ă©videmment beaucoup au bien-ĂȘtre sous toutes ses formes.

 

 

Dans Le Figaro, toujours, de ce jeudi 26 mars 2020, page 24, donc une page avant celle oĂč l’on trouve la chronique de Luc Ferry, il y a cette interview de Marcel Gauchet, historien et philosophe, que je ne connaissais pas (contrairement Ă  Luc Ferry beaucoup plus mĂ©diatisĂ© que Marcel Gauchet). Dans cette interview intitulĂ©e «  Si cette crise pouvait ĂȘtre l’occasion d’un vrai bilan et d’un rĂ©veil collectif Â»  rĂ©alisĂ©e par Alexandre Devecchio, il y a ces passages que je restitue :

 

Alexandre Devecchio demande : La crise du coronavirus a rĂ©vĂ©lĂ© les failles d’un systĂšme de santĂ© que l’on croyait parmi les meilleurs du monde ainsi que notre extrĂȘme dĂ©pendance envers la Chine. Comment en est-on arrivĂ© lĂ  ?

 

RĂ©ponse de Marcel Gauchet : « (
.) Nous disposons d’établissements de pointe qui sont au meilleur niveau mondial. Mais cette brillante zone d’excellence (qui est celle que frĂ©quentent nos Ă©lites) cache un tableau d’ensemble moins reluisant) Â».

 

A.D demande Pourquoi l’Europe est-elle devenue l’épicentre de la crise sanitaire, tandis que des pays thĂ©oriquement moins dĂ©veloppĂ©s, comme la CorĂ©e du Sud, la surmontent avec de trĂšs faibles pertes humaines et sans confinement gĂ©nĂ©ralisĂ© ?

 

« (
.) C’est que la CorĂ©e est mieux dĂ©veloppĂ©e que nous ne le pensions. Elle monte tandis que nous descendons. Nous payons en Europe le prix d’un sentiment de sĂ©curitĂ© mal fondĂ© et d’un sens exacerbĂ© jusqu’à l’anarchie des libertĂ©s personnelles. La discipline confucĂ©enne est meilleure conseillĂšre en la circonstance. Ajoutons que la proximitĂ© avec la bombe biologique que constitue la Chine incite Ă  l’anticipation et Ă  la prudence Â».

 

Que rĂ©vĂšle la crise sanitaire des fractures de notre pays ?

 

« (
.) L’inĂ©galitĂ© entre riches et pauvres n’est pas une dĂ©couverte. Il est plus agrĂ©able de passer le confinement dans une grande maison avec jardin  Ă  la campagne qu’entassĂ© Ă  plusieurs dans un appartement exigu.

(
..) Mais il y a une fracture que je n’avais pas perçue Ă  ce point et que je trouve trĂšs inquiĂ©tante pour l’avenir, qui est la fracture gĂ©nĂ©rationnelle entre jeunes et vieux. Elle s’est manifestĂ©e en grand au travers des attitudes de dĂ©fi, presque, vis-Ă -vis des rĂšgles de protection qu’on a observĂ©es dans un premier temps. Sans que rien ne soit dit ouvertement, il Ă©tait visible qu’une population jeune se sentait peu concernĂ©e par le sort de la population ĂągĂ©e, victime prioritaire de la maladie pour le dire poliment. Les jeunes savent bien qu’ils seront vieux un jour. En attendant, ils voient un systĂšme social qui fonctionne massivement Ă  l’avantage des seniors, sans qu’eux-mĂȘmes soient assurĂ©s d’en bĂ©nĂ©ficier Ă  l’avenir. Il y a lĂ  un dĂ©calage dans les perspectives existentielles qu’il va falloir prendre trĂšs au sĂ©rieux Â».

 

Certains observateurs vont jusqu’à vanter le « modĂšle chinois Â». La Chine peut-elle sortir gagnante de la crise ?

 

 » La force totalitaire a toujours eu et continue d’avoir ses admirateurs. (
.) Et ne cĂ©dons pas bĂȘtement au miracle de l’efficacitĂ© chinoise. Ne pas oublier que c’est Ă  la volontĂ© initiale d’escamoter le problĂšme- caractĂ©ristique de ce genre de rĂ©gimes- que nous devons la pandĂ©mie mondiale. Le point de dĂ©part est un Tchernobyl sanitaire qu’il a fallu ensuite compenser par des mesures policiĂšres extrĂȘmes qui n’ont pas empĂȘchĂ© la diffusion planĂ©taire du virus. Les dirigeants chinois ont certainement l’intention de sortir gagnants de la crise. Ils le montrent dĂ©jĂ , en ne se privant pas de nous donner des leçons Â».

 

Quelles leçons pouvons-nous d’ores et dĂ©jĂ  tirer de cette crise ?

 

« (
.) ArrĂȘtons une bonne fois avec les Ăąneries sur le postnational. Les marchĂ©s ne font pas le travail. Seconde leçon qui dĂ©coule de la premiĂšre : la qualitĂ© de la vie dĂ©pend plus du niveau des Ă©quipements collectifs que des revenus individuels. Le systĂšme de santĂ© et le systĂšme d’éducation sont ce que nous avons ensemble de plus prĂ©cieux. C’est Ă  eux que doit aller la prioritĂ© Â».

 

 

 

Depuis le dĂ©but de cet article, l’album de Brigitte Fontaine, Terre Neuve, a Ă©tĂ© remplacĂ© par l’EP d’AloĂŻse Sauvage. Si les deux titres, PrĂ©sentement et Parfois Faut ont Ă©tĂ© plaisants Ă  l’oreille, je ne peux pas dire que je les ai vĂ©ritablement Ă©coutĂ©s, concentrĂ© que j’étais sur l’écriture de cet article. Voyons ce que ça donne avec l’album LithopĂ©dion  de Damso que j’avais Ă©coutĂ© une premiĂšre fois. Je me souviens avoir trouvĂ© court son titre Silence avec AngĂšle : «  Ta vĂ©ritĂ© n’est pas la mienne Â». Et un peu trop de gros mots jonchaient son Rap qui peut et sait s’en passer.

 

Ce matin, en arrivant devant la gare St Lazare, j’ai vu « venir Â» mon premier contrĂŽle policier avec file d’attente. J’ai Ă©tĂ© principalement contrariĂ© en voyant que la distance sociale Ă©tait peu respectĂ©e par deux personnes derriĂšre moi. Cela m’a poussĂ© Ă  me rapprocher de la policiĂšre aprĂšs l’avoir entendue rĂ©pĂ©ter qu’elle demandait au personnel hospitalier d’avancer jusqu’à elle. J’ai donc dĂ» dĂ©passer quelques personnes devant moi et suis entrĂ© rapidement dans la gare St Lazare.

 

 

Dans le train, j’ai constatĂ© ce que nous sommes dĂ©jĂ  plusieurs Ă  constater : Les gens refluent de plus en plus dans les transports en commun. Par nĂ©cessitĂ© Ă©conomique sĂ»rement.

 

Le titre Baltringue de Damso traĂźne des gros mots «  sales Â» mais la dynamique me plait bien. Il me semble qu’on y trouve du Booba. Je sais que les deux sont fĂąchĂ©s. Mais ce n’est pas une raison pour s’empĂȘcher de le voir.

 

 

Devant la gare St Lazare tout Ă  l’heure, deux personnes venaient de s’installer. «  Pour faire des images Â». J’ai demandĂ© Ă  l’homme pour quel mĂ©dia ils travaillaient. Il a diffĂ©rĂ© pour parler dans son tĂ©lĂ©phone :

 

«  Je suis Ă  St Lazare. On ma demandĂ© de faire des images Â».

 

Je suis parti avant qu’il ne me rĂ©ponde. La file d’attente m’a aspirĂ©. Puis la policiĂšre. Puis l’escalator. Le train. Puis cet article.

 

 

 Hier soir, j’avais pris avec moi un livre court :

 

Une femme d’ici et d’ailleurs «  La libertĂ© est son pays Â»  de FadĂ©la M’Rabet.

 

L’idĂ©e Ă©tait de lire autre chose que du Coronavirus Covid-19 comme je le fais depuis plusieurs semaines. MĂȘme si ça va mieux. Et que je me crois moins obsĂ©dĂ© par lui.

 

Sauf qu’il m’a fallu environ trois heures pour m’apercevoir que ma collĂšgue d’hier soir, au travail, me parlait Ă  plus de 90% uniquement de ça. Du Covid-19. Ce matin, quinze minutes avant que n’arrivent nos collĂšgues de jour, rebelote. J’ai fini par lĂącher la carte :

 

  • Tu arrives Ă  penser Ă  autre chose ?
  • Oui m’a-t’elle rĂ©pondu. 

Puis, elle de me dire qu’il paraĂźt qu’on pouvait dĂ©sormais se procurer du CHA. Du CHA ? Oui, du gel Hydro-alcoolique. Et comment tu fais quand tu fais tes courses m’a-t’elle ensuite demandĂ© ? Quand tu rentres chez toi ?

 

 

C’est seulement sur les dix minutes qui ont prĂ©cĂ©dĂ© l’arrivĂ©e de notre premiĂšre collĂšgue de jour, que nous avons pu vĂ©ritablement parler d’autre chose. CinĂ©ma.

 

Dans le train du retour chez moi, j’aurais pu ouvrir le livre de FadĂ©la M’Rabet. J’aurais aussi pu Ă©couter de la musique via mon baladeur audiophile. Mais il y a ce besoin d’ĂȘtre vigilant frĂ©quemment. Par rapport Ă  la distance sociale.

 

Hier soir, j’ai appris que la jeune qui nous avait sollicitĂ©  mardi, toutes les 30 secondes, notre autre collĂšgue de nuit et moi, Ă  partir de 3 heures du matin, et avec qui la proximitĂ© physique Ă©tait inĂ©vitable, avait Ă©tĂ© testĂ©e au Covid. Par la technique de l’écouvillon dont les rĂ©sultats ont, comment dire, une marge d’erreur.

 

Les rĂ©sultats sont revenus nĂ©gatifs. Mais au vu de la fiĂšvre de cette jeune et de sa perte d’odorat, « notre Â» mĂ©decin-chef a rappelĂ© qu’il valait mieux la considĂ©rer comme « positive Â». D’autant que l’intensitĂ© et l’expression des symptĂŽmes peut varier d’une personne Ă  une autre.

 

Je suis peut-ĂȘtre contaminĂ©. Je l’étais dĂ©jĂ  peut-ĂȘtre avant. Il me reste encore quelques jours avant de « savoir Â» si je ressens certains des symptĂŽmes courants :

FiĂšvre,  difficultĂ©s respiratoires, Ă©puisement, perte d’odorat, de goĂ»t, courbatures ou autres. Mais peut-ĂȘtre que mon symptĂŽme principal consistera-t’il Ă  faire des images.

 

Ps : ces photos ont Ă©tĂ© prises soit en me rendant au travail soit en en revenant.

 

Franck Unimon, lundi 6 avril 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Correspondance et introspection

 

                                  Correspondance et introspection

 

 

Ce week-end, nous sommes passĂ©s Ă  l’heure d’étĂ©. Comme chaque annĂ©e, Ă  cette pĂ©riode de l’annĂ©e, nous avançons nos montres d’une heure.

 

Mais nous avons tellement de retard sur nos peurs et nos angoisses qu’il faudrait avancer nos horloges internes de plusieurs heures ou de plusieurs annĂ©es  pour essayer de le combler. Et mĂȘme comme ça, ce ne serait peut-ĂȘtre pas suffisant.

 

Notre planĂšte sera un jour Ă  court de certaines de ses richesses mais le rĂ©servoir de nos peurs et de nos angoisses est, lui, inĂ©puisable. InĂ©vitable. Nous sommes chacune et chacun des quantitĂ©s astronomiques de ces peurs et de ces angoisses et nous sommes dĂ©sormais des milliards sur Terre. MĂȘme s’il nous arrive rĂ©guliĂšrement de penser que nous sommes seuls sur Terre.

 

J’ai lu dans ce numĂ©ro du journal Les Echos que je cite et rĂ©cite, au point que l’on pourrait se demander si c’est la seule fois de ma vie que j’ouvre et lis un journal, qu’il a vraisemblablement fallu «  en gros, 250 millions d’annĂ©es pour constituer les stocks de charbon de gaz et de pĂ©trole qu’on est en train de griller, d’aprĂšs les spĂ©cialistes, en seulement 250 ans ! Â» (Chronique de Xavier Fontanet, dans le journal Les Echos du jeudi 26 mars 2020, page 12).

 

Pour que nos peurs et nos angoisses soient des rĂ©servoirs Ă  ce point inĂ©puisables, je me demande combien de temps il a fallu Ă  l’HumanitĂ© pour les constituer. Le jour oĂč on le saura, sans doute parviendrons-nous, aussi, Ă  entrer dans l’immortalitĂ©.

 

Sur ces peurs et sur ces angoisses, je n’ai pas plus de droits que les autres. Et j’ai peur ainsi que des angoisses comme tout le monde. Peut-ĂȘtre pas de façon aussi visible que d’autres. Peut-ĂȘtre pas toujours pour les mĂȘmes raisons que d’autres. Mais cela ne change rien :

 

Les peurs et les angoisses ne sont pas destinĂ©es Ă  des dĂ©filĂ©s de mode. Et je ne me perçois pas comme un couturier de mes peurs et de mes angoisses que j’exposerais plus que d’autres Ă  travers des mannequins vivants. A travers des bouquins, peut-ĂȘtre. Si j’y arrive un jour.

 

En attendant, je me résume aussi à des articles comme celui-ci.

 

 

Mon meilleur ami s’inquiĂšte pour moi. Il me l’a dit il y a quelques jours.  Ma mĂšre et ma sƓur, aussi. Un autre ami, Ă©galement. Et encore un autre.  Et d’autres personnes encore.

 

Ces attentions me font plaisir. Je les reçois au coup par coup. Cette Ă©pidĂ©mie est une Ă©preuve d’endurance. Et il n’y pas que le physique qui compte. Il y a aussi le mental, le moral. Comment on se repose. Comment on dĂ©truit ses mauvaises « morales Â». Oui, j’ai bien Ă©crit « dĂ©truit Â». « DĂ©truit Â» plutĂŽt que « couver Â» ou «  nourrir Â». DĂ©truire peut avoir du bon. Esquiver, aussi. DĂ©truire l’invisible. Esquiver cette occupation invisible.

On est presque dans une expĂ©rience dĂ©lirante (et dĂ©personnalisante ) : collectivement, et chacun Ă  sa façon, nous essayons de dĂ©truire ou d’esquiver l’invisible.

 

Hors du contexte d’une Ă©pidĂ©mie, de cette Ă©pidĂ©mie,  qui est bien rĂ©elle, si on racontait ça Ă  quelqu’un :

 

« J’essaie de dĂ©truire l’invisible. De l’esquiver Â». Elle ou il nous prendrait pour un fou.

 

 

L’inquiĂ©tude de mon meilleur ami pour moi est bien rĂ©elle. Ainsi que celles d’autres personnes. Pourtant, avant hier soir, sur le pĂ©riphĂ©rique, au volant de ma voiture, mon inquiĂ©tude Ă©tait concentrĂ©e sur un autre sujet :

 

Je m’étais montrĂ© « dur Â» avec ma fille Ă  la maison. On peut, comme me l’a dit plus tard mon meilleur ami, se dire que le principal, c’est de s’en rendre compte. Mais lorsque l’on est lancĂ© dans une certaine attitude assez extrĂȘme et qu’il nous est en quelque sorte impossible de nous dĂ©tendre, tout, absolument tout, peut ĂȘtre prĂ©texte Ă  nous « dĂ©clencher Â». J’ai Ă©tĂ© comme ça avec ma fille pendant dix Ă  quinze minutes avant hier.

 

A la fois, je percevais que j’étais trop dans le « dur Â». Mais c’était plus fort que moi. Une sorte de dĂ©personnalisation. Une forme de transe sans jouissance. OĂč ce qui reste, ensuite, c’est le souvenir prĂ©cis, immĂ©diat, de ce que l’on a « accompli Â» :

 

 Un acte de torture mental.

 

Ma fille s’est dĂ©fendue.  Ce qui est bon signe. Elle m’a dit :

 

«  Mais qu’est-ce que tu peux ĂȘtre pipelette ! Â». Et, moi, pour moitiĂ© conscient et pour moitiĂ© incandescent, j’ai rĂ©pondu :

 

« Parce-que je te rĂ©pĂšte des choses que tu es supposĂ©e savoir maintenant ! Â».

 

Lorsque je suis parti au travail, j’étais revenu Ă  mon Ă©tat « normal Â» et ma fille et moi avions de nouveau une relation agrĂ©able et affectueuse. Mais je n’ai pas aimĂ© ça de moi.

 

 

Je ne sais pas si cela a jouĂ© dans le fait qu’ensuite, je me sois relĂąchĂ© au moment de partir prendre mon train pour aller au travail.

Une fois à la gare, le panneau indiquait que le prochain arrivait dans
58 minutes. Impossible de l’attendre. Cela m’aurait fait arriver à 22h ou 22h30 dans mon service au lieu de 21h, heure à laquelle je commence.

 

En temps ordinaire, 45 minutes me suffisent en transports en commun pour arriver Ă  mon travail. LĂ , j’étais Ă  la gare avec une heure d’avance. Insuffisant pour ĂȘtre Ă  l’heure avec un train qui arrive dans 58 minutes.

 

Alors, j’ai dĂ» prendre ma voiture pour aller au travail. Une PremiĂšre pour moi depuis que je travaille sur Paris. En bientĂŽt 11 ans. La roue de mon vĂ©lo Ă©tait toujours crevĂ©e. Et une heure aurait Ă©tĂ© trop juste de toute façon pour ĂȘtre au travail Ă  vĂ©lo. Le temps de me changer. De me rendre au local oĂč je range mon vĂ©lo. Je suis une vraie mariĂ©e quand je prends mon vĂ©lo pour aller au travail. J’emporte tout mon trousseau : vĂȘtements de rechanges, complĂ©ments alimentaires, mon livret de famille, mon carnet de vaccinations etc


 

 

Lorsque mon meilleur ami m’a appelĂ© sur mon tĂ©lĂ©phone portable, je n’ai pas rĂ©pondu. J’étais sur le pĂ©riphĂ©rique. MĂȘme si c’est contre mes principes de prendre ma voiture pour aller au travail, je me disais qu’au moins, en prenant ma voiture, je faisais de «  la distance sociale Â» et donc de la prĂ©vention sanitaire.

 

Le trajet s’est dĂ©roulĂ© sans incident. MĂȘme si, au dĂ©but de mon trajet, sur la A15, j’avais aperçu sur l’autre voie, en sens inverse, une personne sur un brancard en train de se faire transporter. Accident de la route. L’accidentĂ© (un homme apparemment) Ă©tait conscient. A moitiĂ© assis sur le brancard. Plusieurs vĂ©hicules de secours Ă©taient arrĂȘtĂ©s sur l’autoroute. Vu le peu de trafic routier, les secours avaient dĂ» arriver assez « vite Â». A condition qu’ils ne soient pas trop surchargĂ©s et pas trop Ă©puisĂ©s par les effets de l’épidĂ©mie qui se surajoutent aux interventions « courantes Â».

 

 

J’ai Ă©coutĂ© le message de mon meilleur ami une fois au travail. Il souhaitait avoir de mes nouvelles.

 

La nuit a Ă©tĂ© calme jusqu’à 3h du matin.

 

 

A partir de 3h du matin, une jeune patiente, rĂ©hospitalisĂ©e la veille, a commencĂ© Ă  nous solliciter. Toutes les 30 secondes. «  Vous avez de l’eau gazeuse ? Â». « Vous avez une banane ? Â».

 

Il nous a fallu la maintenir dans sa chambre. Pour Ă©viter qu’elle ne dĂ©ambule dans le service, entre dans la chambre des autres patients ou adopte certains comportements que l’on qualifiera d’inadĂ©quats et qu’elle a dĂ©ployĂ©s en notre prĂ©sence, dans sa chambre oĂč, Ă  tour de rĂŽle, ma collĂšgue et moi avons fini par nous relayer.

 

Mains dans la culotte et simulation de masturbation. Tentative pour sortir de sa chambre. Tentative de s’installer dans l’armoire de sa chambre. S’allonger par terre. Simulation de coĂŻt par terre. Aller se voir dans le miroir. Baisser son pantalon. Relever le store. Tenter d’ouvrir la fenĂȘtre de sa chambre (situĂ©e en hauteur). Impossible de dĂ©tailler avec prĂ©cision le nombre de demandes, le nombre de fois oĂč nous nous sommes adressĂ©s Ă  elle et avons essayĂ© de la « raisonner Â» et de l’enjoindre Ă  aller se recoucher sur son lit.  OĂč elle ne restait pas tranquille. Le nombre de fois oĂč il lui Ă©tait impossible de passer plus d’une minute sans nous solliciter. Sans nous « provoquer Â». Sans faire le contraire de ce qu’on lui disait de faire. Une conversation, un accord avec elle ? Impossible.

 

 

 

Comme ça, jusqu’à 7h10 environ. Heure Ă  laquelle, une collĂšgue du jour est venue me relever aprĂšs que ma collĂšgue de nuit ait fait les transmissions. Nous Ă©tions du mĂȘme avis, cette collĂšgue de jour et moi : il valait mieux que la jeune patiente descende avec nous.

 

Pourquoi n’avons-nous pas sollicitĂ© le mĂ©decin de garde ? Pour ma part, parce-que nous « connaissions Â» dĂ©jĂ  cette patiente. Et que je me rappelle qu’il lui avait fallu plusieurs jours- et nuits- lors d’une de ses hospitalisations prĂ©cĂ©dentes pour s’apaiser et « faire Â» ses nuits, le traitement aidant.

Qu’a t’elle comme diagnostic ou comme maladie ? Je ne le dirai pas. Je peux dire qu’elle « Ă©tait Â» hypomane : agitĂ©e, dĂ©sinhibĂ©e, plus ou moins confuse. Mais je parlerai pas de son diagnostic car ce qui me prĂ©occupe, plus qu’un tableau ou une Ă©tiquette, c’est comment essayer d’entrer en relation, comment faire au mieux pour y parvenir, malgrĂ© l’état et la situation.

PlutĂŽt que d’appliquer un protocole de maniĂšre mathĂ©matique en se disant : devant tel tableau diagnostic, je fais ceci ou je fais cela.

 

Il faut apprendre Ă  penser. Autant voire plus que d’apprendre Ă  appliquer et Ă  systĂ©matiser un type de rĂ©ponse et de comportement de maniĂšre bornĂ©e et automatique.

 

Or, avec l’épidĂ©mie, nos peurs et nos angoisses sont devenues automatiques. En quelques jours. A moins qu’elles ne l’aient toujours Ă©tĂ©, ce qui est bien possible, et qu’une certaine cosmĂ©tique sociale nous masquait certaines de nos peurs et de nos angoisses.

 

Pour avoir un aperçu de la vitalitĂ© de nos peurs et de nos angoisses concernant l’épidĂ©mie, il suffit de faire un petit « voyage Â» sur les rĂ©seaux sociaux. Le voyage est « gratuit Â» et peut ĂȘtre illimitĂ©.

 

 

RĂ©seaux sociaux ou non, je me suis fait prendre Ă  tout ça. L’épidĂ©mie ceci, l’épidĂ©mie cela. Et moi, je pense ça, et moi, je pense ceci.

 

 

Puis, j’ai fini par me dire que ça suffisait. Enfin. Qu’il me fallait changer d’état d’esprit. Au bout d’une bonne dizaine de jours, ou plus. Depuis l’appel, pardon, depuis l’allocution prĂ©sidentielle du 16 Mars 2020. Et tout ce qui s’en est ensuivi.

 

 J’approuve complĂštement tout ce qui est relatif aux gestes barriĂšres, Ă  la distance sociale, au confinement etc
.

 

Mais c’est de cet Ă©tat de vocifĂ©ration et d’excitation anxieuse gĂ©nĂ©rale, dont j’estime qu’il faut savoir sortir. Car cet Ă©tat de vocifĂ©ration et d’excitation anxieuse gĂ©nĂ©ralisĂ©e est une autre forme de confinement. Et, il est pire, je crois, que le confinement destinĂ© Ă  limiter et Ă  esquiver l’épidĂ©mie.

 

Bien-sĂ»r, pour moi qui peux sortir prendre l’air pour aller au travail, et ainsi augmenter Ă  chaque fois le risque d’attraper le virus, c’est facile de dire ça.

 

Hier soir, j’ai pu reprendre le train. Cette fois, je suis parti de chez moi avec plus d’une heure trente d’avance. J’ai attendu quinze minutes le train direct pour St Lazare.

 

J’en ai profitĂ© pour appeler mon meilleur ami. Je lui ai donnĂ© de mes nouvelles. Puis, il m’a donnĂ© de leurs nouvelles, de lui et de sa compagne. Pardon, de sa femme. Certaines personnes sont trĂšs susceptibles avec les usages sociaux. Et je voudrais m’éviter une descente de dĂ©cibels dans les oreilles.

 

Donc,  en discutant hier soir avec mon meilleur ami,  j’ai ainsi appris que sa compagne avait contractĂ© le virus la semaine derniĂšre. Au travail. Elle n’est pas soignante. Mais elle cĂŽtoie des personnes en situation prĂ©caire. Et une de ses collĂšgues avait contractĂ© le virus auparavant.

 

Donc, la compagne de mon meilleur ami Ă©tait confinĂ©e chez eux depuis quelques jours. D’abord de la fiĂšvre, jusqu’à 38°5, courbatures, fatigue, difficultĂ©s respiratoires. Ça allait mieux du cĂŽtĂ© de la fiĂšvre et des courbatures. Par contre, il semblait que chaque jour apportait un nouveau symptĂŽme. DiarrhĂ©e. Mal aux oreilles. NausĂ©es. J’ai dĂ©couvert tout ça en Ă©coutant mon meilleur ami. Comment ça se fait ? Parce-que depuis le dĂ©but de l’épidĂ©mie, je m’en tiens aux gestes selon moi prioritaires :

 

Se laver les mains, distance sociale, port du masque quand c’est possible. Et, rester calme, autant que possible. Et respecter le confinement.

 

 

Il faut bien rester calme en arrivant Ă  la gare St Lazare. MĂȘme s’il y a moins de monde que d’habitude. Le hall de la gare est devenu un atelier de « zombies Â». On y travaille sa vĂ©locitĂ© comme Ă  l’athlĂ©. A petites foulĂ©es, il s’agit de slalomer entres les « zombies Â» :

 

Des ĂȘtres humains comme moi, qui, patiemment, attendent leur train en faisant semblant d’ignorer les embruns de l’urgence.

Certains portent des masques. D’autres pas. En masques, j’ai vu un peu de tout. Cela va du masque de chantier, au masque de couleur noir apparemment en tissu, en passant par le masque chirurgical (il y a beaucoup de chirurgiens dĂ©sormais dans la rue) jusqu’à quelques masques FFP2. Il est certain qu’un marchĂ© des masques est en train de se crĂ©er et qu’aprĂšs l’épidĂ©mie, il va y avoir toute une gamme de masques de prĂ©vention sanitaire qui va arriver. MĂȘme les grands couturiers vont s’en inspirer. Comme pour le voile.

 

 

Quelques heures plus tĂŽt, le marchand de cycles qui m’a « dĂ©pannĂ© Â», ne portait pas de masque. Pas plus que l’autre client avec lequel je l’ai trouvĂ©. C’était dĂ©jĂ  une trĂšs grande et trĂšs agrĂ©able surprise qu’il soit ouvert. D’abord, lundi, il m’avait rappelĂ© alors que son magasin est fermĂ© les lundis. Je ne suis pas certain qu’une enseigne comme DĂ©cathlon aurait fait ça. Ensuite, en fin de matinĂ©e ce mardi, il s’est en effet rapidement occupĂ© de moi.

 

 

La veille, il m’avait appris avoir dĂ©pannĂ© «  une infirmiĂšre Â» et « un cardiologue Â». Et m’avait affirmĂ©, lorsque je lui avais appris ĂȘtre Ă©galement infirmier :

 

« Je vous soutiens ! Â». Et quel soutien ! La premiĂšre fois que j’étais venu dans son magasin de cycles, un des clients m’avait dit, content : « C’est un artisan, Ă  l’ancienne ! Â».

 

Il est certain que la relation clientĂšle est trĂšs diffĂ©rente avec lui. PĂ©dagogue, celui-ci ma expliquĂ© d’oĂč venait selon lui la cause de ma crevaison. La « roue Â» de ma jante Ă©tait usĂ©e. Elle Ă©tait d’origine. Plus de vingt ans.

Perfectionniste, une fois ma roue de jante et ma nouvelle chambre Ă  air posĂ©e, Monsieur est allĂ© jusqu’à tenter d’insĂ©rer le mieux possible le pneu. Il m’a expliquĂ© qu’il pouvait y avoir un effet de rebond vu que mon pneu s’était relĂąchĂ©.

 

J’en ai profitĂ© pour acheter d’autres chambres Ă  air, et encore ceci, et encore ça.  Ainsi qu’un nouveau carnet de vaccinations et une robe de mariĂ©e. Pour mon vĂ©lo.

 

Lorsqu’il m’a prĂ©sentĂ© l’addition, il m’a dit : «  ça monte vite ! Â». J’aurais peut-ĂȘtre payĂ© moins cher Ă  DĂ©cathlonmais ce que cet artisan m’a donnĂ© valait selon moi la somme qu’il m’a demandĂ©.  Cet homme-lĂ , pour moi, est un hĂ©ros. Travailler dans ces conditions, sans masque. Le voir se pencher comme il l’a fait pour rĂ©parer ma roue de vĂ©lo. Sans plier les genoux. Sans s’asseoir.  Sans faire attention Ă  son dos.

 

Je vois Ă©videmment un grand parallĂšle entre l’attitude de cet artisan, entre le mĂ©tier de soignant dans un hĂŽpital public mais aussi de tout professionnel dans une institution publique et avec toutes ces personnes qui acceptent bien des contraintes inhĂ©rentes Ă  leur travail et capables de donner plus que ce pour quoi on les paie ou les forme :

 

De la relation. Un rĂ©el conseil. Une attention vĂ©ritable.  Et non pas des phrases toutes faites solubles dans des protocoles, des spots publicitaires, et des mĂ©thodes de pensĂ©e et d’action servant avant tout Ă  se faire du fric et voir celle ou celui qui se prĂ©sente principalement comme un mouton bon Ă  tondre. J’ai tort de penser ça ?

 

 

On continue. Comme sur le chemin du retour, il y avait un Lidl. Je m’y suis arrĂȘtĂ© pour faire quelques courses. Il y avait un peu de monde. Mais pas autant qu’il peut y en avoir dans un Lidl. C’était la premiĂšre fois que je me rendais dans ce Lidl. Sur le parking, un homme d’une trentaine d’annĂ©es, devant une voiture, cĂŽtĂ© passager, s’est allumĂ© un pĂ©tard. Je croyais que lui et son copain partaient. Non. Ils venaient de se garer.

 

J’ai rĂ©ussi Ă  me garer plus loin. Et j’ai Ă©videmment gardĂ© mon masque chirurgical dans Lidl. Mais je n’étais pas trĂšs rassurĂ©. J’ai fait quelques courses. Quelques personnes portaient un masque. D’autres, non. Puis j’ai patientĂ© Ă  une caisse. La caissiĂšre avait une double couche de masques. Un masque chirurgical sur un masque en tissu apparemment. Une protection plastifiĂ©e se trouvait devant elle. Les deux hommes que j’avais vu se garer Ă©taient derriĂšre moi. Ils n’ont pas toujours respectĂ© la distance de un mĂštre. Et ils ne portaient pas de masque. J’ai fait avec en leur tournant le dos.

 

A la caisse, je n’avais mĂȘme pas encore payĂ© que le vigile, masquĂ©, m’a demandĂ© Ă  voir l’intĂ©rieur de mon sac Ă  dos. Je lui ai rĂ©pondu :

 

« Je vais peut-ĂȘtre payer d’abord, et ensuite, je vous montre ? Â». Il a acceptĂ©. J’avais donc une tĂȘte de suspect ?

 

AprĂšs avoir payĂ©, je lui ai montrĂ© l’intĂ©rieur de mon petit sac Ă  dos. Il a jetĂ© un coup d’Ɠil. Ça lui a suffi.

 

De retour chez moi, j’ai bien dormi. Plus que ce que j’avais prĂ©vu. Ma compagne est rentrĂ©e avec notre fille plus tard que prĂ©vu. Je ne m’en suis pas aperçu tout de suite.

 

Le temps de reprendre une douche, j’ai dĂ» rester dix minutes en tout avec ma compagne et ma fille. Puis, je suis reparti au travail. Par le train. Comme je l’ai dĂ©jĂ  dit. Avant de partir au travail  hier soir, ma fille m’a dit : «  Je t’adore ! Â». J’ai beaucoup de chance. A son Ăąge, on pardonne encore beaucoup Ă  ses parents. Cela change Ă  partir de l’adolescence.

Ou mĂȘme avant.

 

Hier soir, en sortant de la gare St Lazare, il n’y avait plus les policiers des derniĂšres fois. Ils ont disparu depuis plusieurs nuits. Peut-ĂȘtre l’effet du manque de masques que subissent aussi les policiers.

 

En m’éloignant de la gare St Lazare, j’ai aperçu une femme qui courait. Elle est venue sur ma droite. Elle courait sur la route. Comme on dit : «  Elle avançait bien Â». Allure rĂ©guliĂšre, dĂ©contractĂ©e. Elle devait ĂȘtre sur la fin de son footing. Elle Ă©tait facile. Belle foulĂ©e. Elle m’a rapidement distancĂ©, moi qui marchais, et dont le principal effort a consistĂ© Ă  traverser la route afin de me rapprocher d’une station de mĂ©tro. Ou de l’arrĂȘt d’un bus.

 

La veille, ma collĂšgue de nuit m’avait dit avoir trouvĂ© qu’il y avait plus de monde dans les transports en commun. Pour elle, cela tenait au fait que bien des personnes travaillent au noir pour s’en sortir financiĂšrement. Et que le confinement se prolongeant, il leur faut le rompre afin de pouvoir s’y retrouver un minimum Ă©conomiquement. Moi, je crois aussi que certaines personnes trouvent le temps long, confinĂ©es chez elles. Et comme l’occupation virale que nous vivons est invisible, elle paraĂźt inexistante. On croit s’ĂȘtre habituĂ© au danger. On croit que le plus dur est passĂ©. S’ajoute Ă  cela l’effet psychologique de l’heure d’étĂ© et le fait que les jours se rallongent.

 

On pense plus facilement Ă  la mort lorsqu’il fait nuit plus vite, plus tĂŽt et plus longtemps. Et qu’il fait sombre et gris dehors. Mais lorsque les jours se rallongent de plus en plus et qu’il fait jour de plus en plus tĂŽt comme c’est dĂ©sormais le cas
..

 

Alors que mĂȘme si les tempĂ©ratures restent fraĂźches (1 degrĂ© ou deux  encore ce matin, je crois) il fait beau. Il y a du soleil et les lumiĂšres du jour sont belles. D’autant plus parce qu’il y a moins de pollution atmosphĂ©rique puisqu’il y a moins de voitures qui circulent et sans doute aussi moins d’usines en activitĂ©. Et moins d’activitĂ© Ă©conomique d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale.

 

 

Hier soir, une fois dans Paris, j’ai fait une partie du trajet jusqu’à mon travail en bus. L’autre partie Ă  pied. Il y avait un peu plus de monde dans le bus que la derniĂšre fois Ă  la mĂȘme heure.

 

Lorsqu’une femme est descendue du bus, deux hommes montĂ©s dans le bus en mĂȘme temps que moi, se sont ni plus ni moins installĂ©s juste devant moi. Comme au « bon vieux temps Â». Bien que l’un porte un masque (chirurgical) et l’autre, une Ă©toffe autour de son visage, Je leur ai dit :

 

« Messieurs, il n ‘y a pas un mĂštre, lĂ  ! Â».

 

L’un des deux, l’aĂźnĂ© visiblement, m’a rĂ©pondu dans un sourire :

 

« On ne va pas rester debout, quand mĂȘme
. Â».

 

Je me suis abstenu de faire du mauvais esprit et de dire :

 

« Lorsque vous serez mort, vous n’aurez plus besoin de vous asseoir Â».

 

A la place, je me suis levĂ© et je me suis reculĂ©. Mais voilĂ  qu’arrive un autre homme, « tendance Â» SDF qui vient s’asseoir presque en vis-Ă -vis avec moi. Je me lĂšve et m’éloigne encore. Cette fois, je me rapproche de l’avant du bus oĂč je m’assieds Ă  une distance de un mĂštre d’autres passagers dĂ©jĂ  assis. Dont une dame, sur ma gauche, qui porte un masque et qui tricote ou regarde son tĂ©lĂ©phone portable.

 

 

Dix minutes passent Ă  peine lorsque mon ex-voisin « tendance Â» SDF commence Ă  se plaindre et Ă  demander Ă  ce que l’on appelle les pompiers !  Le chauffeur de bus l’interpelle, alors : «  Qu’est-ce qui se passe, monsieur ?! Â» tout en continuant de rouler. Et les deux hommes «  On ne va pas rester debout, quand mĂȘme Â», qui sont dĂ©sormais les plus proches de l’homme qui se plaint attendant manifestement que ça se passe. Aucun des deux ne rĂ©agit particuliĂšrement.

 

 

Trente secondes plus tard, je suis dehors et je marche. Je laisse le bus repartir. Je tombe sur ce coucher de soleil que je prends en photo avec la Tour Eiffel en arriĂšre plan.

 

 

AprĂšs une bonne demi-heure de marche, je me rapproche de mon service quand je tombe sur une jeune hospitalisĂ©e, dehors. Elle est en pleurs et en compagnie d’un homme qui m’explique qu’il allait appeler ses parents.

La jeune me rĂ©pond qu’elle vient de fuguer du service. Elle me suit sans difficultĂ©. L’homme, rassurĂ© de savoir que je connais cette jeune, nous salue.

 

 

Tout en marchant vers le service, la jeune me rĂ©pond qu’elle voulait revoir ses parents. Que ceux-ci lui manquent. Elle me montre par oĂč elle a fuguĂ©. Sa fugue me rappelle une autre fugue il y a plus de quinze ans dans un autre service oĂč j’avais travaillĂ©.

Ce jour-lĂ , aprĂšs ĂȘtre allĂ© au cinĂ©ma, j’avais optĂ© pour aller faire un tour au magasin Virgin Ă  la DĂ©fense. Magasin depuis remplacĂ© par un Mark & Spencer si je ne me trompe.

 

Alors que j’allais entrer dans le Virgin, j’étais tombĂ© sur une jeune du service. Puis, une seconde. Puis, une troisiĂšme. Puis, celle qui Ă©tait peut-ĂȘtre l’instigatrice de la fugue.

Le temps de comprendre, une des quatre jeunes m’avait dĂ©posĂ© dans la main la « sĂ©curitĂ© Â» de la fenĂȘtre par laquelle elles avaient fuguĂ©. Le service Ă©tait situĂ© en rez de jardin.

Ensuite, cela s’était passĂ© trĂšs vite. « L’instigatrice Â» de la fugue (une fugueuse multirĂ©cidiviste. Dont une des fugues solitaires s’était mal terminĂ©e pour elle en ce sens que, recueillie par un homme, elle s’était faite violer par lui) avait donnĂ© le signal et les quatre jeunes s’étaient mises Ă  courir dans la DĂ©fense, me laissant sur place. J’avais prĂ©venu mes collĂšgues d’alors qui se demandaient oĂč ces jeunes avaient bien pu passer. Elles avaient tout « simplement Â» pris le RER en fraudant et s’étaient rendues Ă  la DĂ©fense. Elles Ă©taient finalement revenues d’elles-mĂȘmes, saines et sauves, dans le service un peu plus tard. Sauf, peut-ĂȘtre, l’instigatrice de la fugue. J’ai un peu oubliĂ©.

 

 

Hier soir, la fugue de cette jeune a Ă©tĂ© plus brĂšve. Cinq Ă  dix minutes. Mais j’aurais pu ne pas la croiser.  Elle aussi a des « conduites Ă  risques Â» : tentatives de suicide, rapports sexuels (non-protĂ©gĂ©s ?) avec des hommes
.

 

Plus tard hier soir, au moment d’aller dans sa chambre, elle me remerciera en quelque sorte. Et m’expliquera que ma prĂ©sence l’avait rassurĂ©e. Car l’homme avec lequel je l’avais trouvĂ©e, lui faisait « peur Â» car elle ne le connaissait pas. Comme m’a dit ma collĂšgue de nuit : peut-ĂȘtre que cette jeune s’est fait peur.

 

Ma collĂšgue de nuit hier soir a d’abord Ă©tĂ© une collĂšgue de jour terminant sa journĂ©e Ă  21H.

Mais Ă  21h15, aucune de mes collĂšgues de nuit n’était prĂ©sente. J’ai donc un peu mieux regardĂ© le planning. Erreur de planning : une collĂšgue encore en arrĂȘt de travail avait Ă©tĂ© marquĂ©e comme prĂ©sente hier soir avec moi.

Ma collĂšgue de nuit mobilisable me rĂ©pond qu’il n’y a dĂ©jĂ  plus de train pour venir.

 

Je pourrais joindre le cadre d’astreinte comme on dit. Mais celle-ci ou celui-ci est un cadre qui ne connaĂźt pas le service et qui s’occupe de l’hĂŽpital d’une maniĂšre gĂ©nĂ©rale. De tous les services. Je ne sais pas sur quel genre de cadre je vais tomber. Une ou un administratif ? Un cadre ou une cadre  qui va tenter de « m’envoyer Â» un ou une collĂšgue d’ailleurs qui ne connaĂźt rien au service ? Un cadre ou une cadre qui va m’apporter plus de contraintes que d’aide ? Un cadre ou une cadre incapable de penser par lui-mĂȘme ou par elle-mĂȘme et va qui appliquer des protocoles et me les imposer ?

 

J’opte pour essayer de joindre nos cadres. Notre faisant fonction de cadre ne rĂ©pond pas tout de suite lorsque je l’appelle. Alors, je me souviens que nous pouvons joindre notre cadre de pĂŽle ( ex-cadre sup) Ă  toute heure en cette pĂ©riode d’épidĂ©mie. Nous avons encore cette chance de pouvoir joindre notre cadre de pĂŽle Ă  toute heure du jour et de la nuit sur son tĂ©lĂ©phone portable. Elle nous en a informĂ©s. Je la joins rapidement. Elle me donne rapidement son aval pour que ma collĂšgue de jour fasse cette nuit en heures sup avec moi. En deux minutes, c’est rĂ©glĂ©, contre beaucoup plus de temps si j’étais tombĂ© sur une cadre ou un cadre d’astreinte « collĂ© Â» au protocole.

 

 

La nuit se passe bien.

 

 

 

Cette nuit, vers 5h15, une jeune vient nous trouver. Elle a une boule dans le ventre. Une angoisse. L’un de nous reste un peu avec elle, l’écoute. Discute avec elle. Lui  donne un traitement prescrit pour ce genre de situation. Cela s’apaise vers 6h05.

 

 

Dans la journĂ©e d’hier, la jeune qui nous avait sollicitĂ© toutes les 30 secondes la nuit prĂ©cĂ©dente avait Ă©tĂ© transfĂ©rĂ©e dans un service de psychiatrie adulte. Sans doute dans une chambre d’isolement ou chambre de contention. En tout cas, dans un service plus fermĂ© que le nĂŽtre.

 

 

Ce matin,  j’ai eu l’idĂ©e de retourner dans cette pharmacie oĂč, fin fĂ©vrier, j’avais achetĂ© trois masques FFP2 comme je l’ai Ă©crit Ă  la fin de mon article Coronavirus.

 

Un peu sur la dĂ©fensive, une pharmacienne m’a rĂ©pondu qu’ils n’avaient plus de masques. J’ai demandĂ© :

 

« Donc, il n’y en n’aura plus ?! Â». Elle m’a rĂ©pondu un peu sur le mĂȘme ton, toujours sur la dĂ©fensive:

 

« Ă§a ne veut pas dire qu’il n’y en n’aura plus ! Mais on ne sait pas quand il y en aura ! Â».

 

On sentait la femme qui avait Ă©tĂ© dĂ» ĂȘtre agressĂ©e verbalement plus d’une fois par des clients angoissĂ©s et Ă©nervĂ©s. Mais on sentait aussi la personne apeurĂ©e par l’épidĂ©mie. Depuis mon passage dans cette pharmacie un mois plus tĂŽt ( le 24 fĂ©vrier), chaque caisse de cette pharmacie avait Ă©tĂ© protĂ©gĂ©e de maniĂšre Ă©viter les contacts et
.tous les personnels que j’ai croisĂ©s dans cette pharmacie, de la femme de mĂ©nage, en passant par les vigiles, ce matin, portaient un masque
.FFP2. Soit, actuellement, la « Rolls Â» des masques prĂ©ventifs en cette pĂ©riode d’épidĂ©mie.

 

Je me suis abstenu de dire Ă  cette professionnelle que je « savais Â» que la France est en pĂ©nurie de masques. Que la Chine est aujourd’hui capable de produire 110 millions de masques par jour contre 1 million pour la France actuellement. Que je l’avais lu dans le journal Les Ă©chos que je cite, Ă  nouveau, du jeudi 26 mars dernier. ( article de FrĂ©dĂ©ric Schaeffer, page 8 Comment la Chine est parvenue Ă  produire 110 millions de masques par jour). ( Le sacrifice )

 

Je me suis abstenu de lui dire qu’en tant qu’infirmier dans un hĂŽpital, j’étais un peu au courant de la pĂ©nurie de masques et de tenues prĂ©ventives. Cette professionnelle et  personne subissait les Ă©vĂ©nements comme tout le monde. MĂȘme si on pouvait supposer qu’elle, comme ses collĂšgues, « bĂ©nĂ©ficiaient Â» sans doute d’un stock de masques FPP2. On pouvait se dire qu’elle comme ses collĂšgues assuraient avant tout leurs arriĂšres et que c’était chacun pour soi et le business comme d’habitude puisque la pharmacie restait ouverte et que j’imagine que son chiffre d’affaires devait ĂȘtre particuliĂšrement attractif depuis l’épidĂ©mie, contrairement au chiffre d’affaires des kiosques Ă  journaux. Et des hĂŽpitaux publics.

 

A la place, j’ai prĂ©fĂ©rĂ© voir une certaine forme d’ironie dans ce genre de situation. Ainsi qu’un caractĂšre comique dans ce revirement caricatural et extrĂȘme d’attitude :

 

Un mois plus tĂŽt, le 24 fĂ©vrier, un des collĂšgues de cette pharmacienne me disait tranquillement qu’il espĂ©rait que « Ă§a allait bientĂŽt se calmer Â», toute cette inquiĂ©tude autour de l’épidĂ©mie du coronavirus. Tout en me vendant trois ou quatre masques Ă  3,99 euros l’unitĂ©, soit un tarif dĂ©ja exorbitant. Un mois plus tard, cette pharmacie, entreprise privĂ©e dont le chiffre d’affaires doit ĂȘtre plutĂŽt bon, ne vend plus ces masques FPP2 mais tous les personnels de cette pharmacie en portent. Pendant ce temps-lĂ , dans mon service, dans un hĂŽpital public, plusieurs de mes collĂšgues sont rĂ©guliĂšrement en colĂšre devant cette pĂ©nurie de matĂ©riel de protection, dont, nous, «  les hĂ©ros de la nation Â», nous manquons.

 

Pendant qu’on est encore un peu du cĂŽtĂ© des « hĂ©ros de la nation Â», nous, les soignants.

 

Afin de tĂ©moigner du quotidien en tant «  qu’agent hospitalier Â» en pĂ©riode d’épidĂ©mie du coronavirus, j’avais pensĂ© Ă  une amie et collĂšgue de ma compagne. J’en parle dans un de mes derniers articles.

 

On se souvient que cette personne que je considĂ©rais comme lĂ©gitime voire plus lĂ©gitime que moi pour tĂ©moigner avait finalement dĂ©clinĂ© au motif qu’elle s’estimait
. Â« illĂ©gitime Â» pour tĂ©moigner.

Depuis, cette personne a contractĂ© le Covid. Et, je ne l’ai pas relancĂ©e pour tĂ©moigner.

 

Il semblerait qu’aprĂšs s’ĂȘtre portĂ©e volontaire pour aller s’occuper de patients atteints du virus, en psychiatrie adulte, qu’elle l’ait attrapĂ©e. Si c’est vraiment comme ça qu’elle l’a attrapĂ©e, il lui a donc « suffi Â» Â» de quelques heures d’exposition en utilisant des masques chirurgicaux au lieu de masques FFP2 (puisqu’il n’y avait pas de masques FFP2 Ă  disposition). Je ne me moque pas d’elle. Mais il y a quand mĂȘme un aspect ironique dans la situation : se sentir illĂ©gitime pour tĂ©moigner, et, Ă  peine une semaine plus tard, attraper le virus. C’est quand mĂȘme au moins ironique. Voire comique. Fort heureusement, elle se remet chez elle du virus.

 

Il y a quelques jours, j’ai essayĂ© de « draguer Â» une  de  mes collĂšgues de jour afin qu’elle tĂ©moigne. AprĂšs que celle-ci vienne de me raconter qu’en passant par la station Stalingrad, le matin, assez tĂŽt, pour venir au travail, qu’elle avait peur. Car elle croisait une population de toxicomanes. Et que cette population restait imprĂ©visible. Or, Ă  l’heure oĂč elle passait Ă  Stalingrad, du fait du confinement, il y avait trĂšs peu d’autres personnes dans les mĂ©tros.

Ma compagne, aussi, m’avait dĂ©jĂ  racontĂ© l’équivalent de ce genre « d’anecdote Â». En prenant le RER E, quasi-dĂ©sert, en se rendant au travail.

Mais ma collĂšgue « Stalingrad Â», lorsque je lui ai demandĂ© :

« Voudrais-tu tĂ©moigner de ton quotidien durant l’épidĂ©mie ? Â» m’a alors rĂ©pondu qu’elle ne comprenait pas ce que je lui demandais. Elle, qui venait de me dire que la prochaine fois qu’elle rencontrerait des policiers dans la rue, qu’elle leur dirait qu’il faudrait faire en sorte d’assurer la sĂ©curitĂ© de certains endroits comme Stalingrad. Mais quand je lui ai proposĂ© l’idĂ©e de tĂ©moigner, sous couvert d’anonymat, c’était comme si je lui avais parlĂ© dans un mĂ©talangage.

 

Quelques nuits plus tĂŽt, Ă  une autre collĂšgue, j’avais aussi fait la mĂȘme proposition. Elle avait dĂ©clinĂ©, m’expliquant qu’elle avait trop de prĂ©occupations personnelles en ce moment. Ce que je sais. Mais, aussi, sa mĂ©fiance. A quoi ce tĂ©moignage allait-il servir ? Pourquoi ? Pour qui ? Et, j’avais retrouvĂ© certains des rouages de pensĂ©e et d’inquiĂ©tude que j’avais dĂ©jĂ  connus il y a plusieurs annĂ©es dĂšs qu’il s’agit de demander Ă  un infirmier de s’exprimer oralement ou par Ă©crit. Publiquement.  Et de laisser une trace.

Laisser une trace de son expression personnelle, pour un infirmier, c’est comme laisser une empreinte sur une scĂšne de crime.  On souffre peut-ĂȘtre particuliĂšrement d’une forme de nĂ©vrose de l’antiseptie, mais, cette fois, mentale : Tout doit rester propre et immaculĂ© aprĂšs notre passage. On ne doit pas pouvoir soupçonner ou suspecter que l’on a pu exister ou penser en dehors du groupe. Ou de la norme supposĂ©e du groupe dont on fait partie dans le corps mĂ©dical et paramĂ©dical.

 

On peut aussi, par pudeur,  ĂȘtre un soignant travaillant dans le public et, pourtant, concevoir notre expression et ce que l’on pense comme relevant uniquement du domaine privĂ©.

 

 

Donc, je ne sais pas si je fais vraiment « bien Â» d’écrire ce que j’écris et comment je l’écris dans ce tĂ©moignage en pĂ©riode d’épidĂ©mie, d’insomnie, coronavirus Covid-19. Mais je sais que d’autres ne se priveront pas et ne se privent pas de s’exprimer qu’ils soient du milieu de la santĂ© ou Ă©trangers Ă  ce milieu.

 

 

La polĂ©mique autour du professeur Raoult ? D’éventuels traitements qui seraient ou pourraient ĂȘtre efficaces ? Je ne m’en occupe pas. Je suis concentrĂ© sur ma vie de tous les jours. Les gestes barriĂšres. Sur mes relations avec mes collĂšgues et les patients. Mais aussi appeler certaines personnes. Ou rĂ©pondre aux messages lorsque l’on m’en envoie. Sur ma vie avec ma compagne et ma fille. Sur, par exemple, le fait que j’avais prĂ©vu de passer moins de temps sur cet article. Beaucoup moins de temps. Et, voilĂ , je n’ai pas encore dĂ©jeunĂ©. Je ne me suis pas encore reposĂ© et je suis encore en train d’écrire. Heureusement, je ne travaille pas cette nuit ni demain soir. Ce sont mes repos hebdomadaires. Demain et aprĂšs-demain, je resterai avec ma fille Ă  la maison. J’espĂšre Ă©videmment faire mieux qu’avant hier soir.

 

Ces derniers temps, ma compagne et moi avons commencĂ© Ă  regarder une sĂ©rie qui s’appelle Warrior, produite, je crois par la fille de Bruce Lee, Shannon Lee d’aprĂšs « The Writings of Bruce Lee Â» peut-on lire sur la jaquette du dvd. Un des dvds empruntĂ©s Ă  la mĂ©diathĂšque de ma ville lorsque celle-ci Ă©tait encore ouverte. Avec Sanjuro  de Kurosowa, Guy Jamet de et avec Alex Lutz.

 

La sĂ©rie Warrior est moyenne. Elle rĂ©plique beaucoup ce que l’on a pu voir ailleurs. Le « hĂ©ros Â» est un peu trop prĂ©tentieux. Il y a beaucoup de tics en ce qui concerne plusieurs des personnages. Mais cette sĂ©rie a un autre mĂ©rite en plus de nous faire penser Ă  autre chose que l’épidĂ©mie. Elle nous rappelle le racisme antichinois des Etats-Unis car nous sommes, je crois, au dĂ©but du 20Ăšme siĂšcle, au dĂ©but de cette sĂ©rie.

 

Cette sĂ©rie nous rappelle que les Etats-Unis sont un pays qui s’est construit sur le racisme. Sur diffĂ©rents racismes. Anti-AmĂ©rindien( Dans les trois premiers Ă©pisodes de la premiĂšre saison, on  n’en voit aucun dans Warrior, c’est dire !)  Antichinois, anti-Irlandais, anti-noir etc
.

 

Ce pays a «  pris Â» le meilleur de diverses cultures, de diverses communautĂ©s tout en dĂ©limitant en permanence ces diverses cultures et ces diverses communautĂ©s. En les minant de rivalitĂ©s et de haines solides. Et le pays, les Etat-Unis, s’est construit sur ça.

 

Alors, aujourd’hui, on parle beaucoup de l’épidĂ©mie, de la menace Ă©conomique chinoise. On parle moins, pour l’instant, du terrorisme ou d’une catastrophe nuclĂ©aire.

Tout cela constitue, avec d’autres Ă©videmment, des expĂ©riences bien concrĂštes qui peuvent nous menacer ou nous inquiĂ©ter. Mais lorsque l’on regarde d’un peu plus prĂšs l’histoire intestine des Etats-Unis, on peut se dire que Chine ou pas, Ă©pidĂ©mie de Coronavirus ou pas, les Etats-Unis possĂšdent dĂ©jĂ  en eux, depuis le dĂ©but, tout ce qu’il faut pour s’autodĂ©truire un jour ou l’autre.

 

Donc, peut-ĂȘtre que, plutĂŽt que de s’obsĂ©der uniquement sur l’épidĂ©mie du coronavirus et de tout ce dont elle nous prive ou peut nous priver, faut-il, aussi, prendre le temps de l’introspection. Et essayer de construire. Et essayer de voir ce qui, en nous, peut nous permettre d’esquiver notre tendance- assez automatique- Ă  l’autodestruction. Et au dĂ©ni.

 

Franck Unimon, ce mercredi 1er avril 2020.

 

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Argenteuil Corona Circus Voyage

Cette nuit : enterrement du mois de mars 2020 en beauté

 

                                                  Cette nuit

Cette nuit, j’ai dĂ» prendre ma voiture pour aller au travail. Je me suis un peu trop relĂąchĂ© hier soir quant aux horaires et j’ai ratĂ© le train. Le suivant arrivait une heure plus tard. Impossible de l’attendre pour ĂȘtre Ă  l’heure au travail.

 

C’était une PremiĂšre pour moi que de devoir prendre ma voiture pour aller au travail sur Paris.

Ce matin, je suis un peu fatiguĂ©. Mais ça n’est pas encore mon heure d’aller me coucher. 

En rentrant tout Ă  l’heure, j’avais prĂ©vu de « publier Â» quelques photos de Tags ou de graffitis pris en photo ces derniĂšres semaines et ces derniers mois jusqu’à ce matin en me rendant au travail ou en revenant. Et puis, finalement, pourquoi se limiter ? Cela fait des annĂ©es que je n’aime pas le mois de mars. Je le trouve trop long. Je n’aime pas cette pĂ©riode. Je vais enterrer ce mois de mars-ci en beautĂ©. Ce sera un peu mon  » We’re gonna chase those crazy baldhead out of town » ( Titre  » Crazy Baldhead » de Bob Marley). En crĂ©ole guadeloupĂ©en, on dirait :

 » Nou Kay KrazĂ© Sa ! ».  » FoutĂ© Sa An Bwa ! ». 

 

Voici donc quelques photos prises entre le mois de Janvier de cette annĂ©e et ce matin en allant au travail ou en en revenant ou ailleurs ( avant le 16 mars 2020) .

Ce ne sont pas des photos du pĂ©riphĂ©rique. Ce sont des photos choisies en Ă©coutant l’album Live de 1991 de Manu Dibango et le titre Crazy Baldhead de Bob Marley en studio ainsi qu’en concert.

Si certaines de ces photos reviennent plusieurs fois, c’est parce-que je n’ai pas voulu choisir entre l’une ou l’autre. On revient bien plusieurs fois aux endroits que l’on aime bien.

 

Merci aux artistes ! Merci aux personnes prĂ©sentes.

Photos prises Ă  Argenteuil, dans la rĂ©gion d’Angers et Ă  Paris.

Franck Unimon, ce mardi 31 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au conservatoire d’Argenteuil.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette galette s’appelle la  » Peggy ».

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le danseur Dany ( ou Dani).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Le sacrifice

 

                                                    Le Sacrifice

Pour la premiùre fois hier soir et encore un peu plus, il y a quelques heures, j’ai remis de l’humour dans mes articles. Oui, je crois que je peux concevoir de l’humour. Et, quelques fois, d’autres personnes le croient aussi.

 

Depuis la premiĂšre allocution du PrĂ©sident concernant l’épidĂ©mie (c’est Ă©tonnant, je n’ai dĂ©jĂ  plus envie de citer le nom du PrĂ©sident ni mĂȘme de l’appeler «  GĂ©nĂ©ral Â»), j’ai en effet transfĂ©rĂ© ce que je prends pour de l’humour dans un de mes articles intitulĂ© Je l’aimerais peut-ĂȘtre. Article plus drĂŽle que l’article Ce serait facile que j’avais Ă©crit hier matin et que j’avais renoncĂ©, pour l’instant, Ă  publier. Car je m’étais dit que cet article, Ce serait facile,  n’était vraiment pas drĂŽle.

Mon article Contrainte et motivation Ă©crit auparavant et par contre, lui, publiĂ© sur mon blog, n’était pas particuliĂšrement drĂŽle non plus, je pense.

 

Donc, hier soir, j’ai commencĂ© Ă  me dire que ce serait bien, mieux, de respirer aprĂšs ces articles que j’écris depuis bientĂŽt dix jours ou un peu plus. Car, oui, depuis la premiĂšre allocution du PrĂ©sident de la RĂ©publique (mĂȘme le mot «  RĂ©publique Â» me dĂ©range), j’avais perdu la notion du temps. J’avais oubliĂ© la date de l’allocution : Le 16 mars 2020. Il y a 11 jours. 11 jours pour changer d’époque. Et de vie.

 

Enfin, depuis hier ou avant hier, je commençais, je crois, Ă  m’adapter. J’ai achetĂ© plusieurs journaux avant hier afin de lire ce qui se dit et ce qui se passe dans le monde Ă  la fois concernant l’épidĂ©mie. Mais aussi pour sortir la tĂȘte du chaudron. Et ça a marchĂ©, d’acheter ces journaux, de commencer Ă  les lire ( Les Echos, The Times, El Pais, Le Parisien, Le Monde, Le Canard EnchaĂźnĂ© d’autres
.j’en ai eu pour prĂšs de 30 euros de journaux papier. Non, non, les journaux ne se vendent pas tant que ça m’avait-il Ă©tĂ© rĂ©pondu : « Entre choisir de sortir pour faire des courses ou venir acheter le journal, les gens prĂ©fĂšrent aller faire des courses Â» m’avait-il Ă©tĂ© expliquĂ©. Par contre, toujours pas de trace du journal El Watan). 

Ce matin, j’ai aussi changĂ© la chambre Ă  air de la roue arriĂšre de mon vĂ©lo. Je ne crois pas que le Tour de France acceptera de me prendre comme prĂ©parateur de vĂ©los mais je suis nĂ©anmoins arrivĂ© Ă  rendre mon vĂ©lo de nouveau utilisable.

Des pompiers effectuant un Footing hier ou ce matin prĂšs des Galeries Lafayette.

 

Ensuite, je suis allĂ© faire quelques courses- dont du thĂ© Matcha- Ă  propos duquel j’ai lu beaucoup de bien pour la santĂ© en me disant que je n’aurai plus de raison de sortir pendant tout le week-end jusqu’à ma reprise du travail, ce lundi.

 

Mais, dans ma tĂȘte, ça a changĂ© depuis moins d’une heure. Il a suffi d’un message laissĂ© sur mon tĂ©lĂ©phone portable cette aprĂšs-midi alors que je me reposais de ma nuit. Pour l’instant, je n’en n’ai pas parlĂ© Ă  ma compagne. Je la crois plus inquiĂšte que moi vis-Ă -vis de ce qui se passe.

 

Dans ce message, mon ancien collĂšgue infirmier qui est maintenant « faisant fonction de cadre infirmier Â» m’explique qu’il a reçu de nouvelles informations. Qu’il aimerait m’en parler. J’ai compris en Ă©coutant qu’il est question soit d’aller remplacer de jour dans mon service ( je travaille de nuit) ou d’aller dans un service «  Covid Â» de l’hĂŽpital qui m’emploie : Certains patients porteurs de troubles psychiatriques ont contractĂ© le virus. Et, bien-sĂ»r, il convient de les surveiller d’une façon particuliĂšre en raison du risque mĂ©dical et vital. Jusque lĂ , rien d’étonnant au vu des « Ă©vĂ©nements».

 

 

Sauf que ma compagne Ă©tant aussi infirmiĂšre, elle est aussi susceptible que moi d’ĂȘtre sollicitĂ©e pour les mĂȘmes raisons. Et que, elle comme moi, sommes un petit peu au courant
du manque de matĂ©riel de protection pour les soignants (masques, tenues, gel hydro-alcoolique
.). Puisque nous sommes directement concernĂ©s.

 

Dans le journal Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020, on apprend par exemple dans l’article  Comment la Chine est parvenue Ă  produire 110 millions de masques par jour ( page 8, signĂ© F.S pour FrĂ©dĂ©ric Schaeffer sans doute) que des milliers d’entreprises chinoises produisent des masques, y compris des entreprises ( tant publiques que privĂ©es), qui, initialement, Ă©taient sur d’autres secteurs ( automobile, Ă©lectronique etc
). L’article se conclut ainsi : « A lui seul, BYD produit 5 millions de masques par jour. Cinq fois plus que la France Â».

 

Sur la mĂȘme page de Les Echos, GuillĂšn del Barrio, un infirmier urgentiste Ă  Madrid, dĂ©clare dans l’article de CĂ©cile Thibaud :

 

«  A Madrid, nous manquons de lits, de matĂ©riel, de personnel, de tout
. Â».

Nous apprenons aussi dans cet article que : « Avec 3.434 dĂ©cĂšs depuis le dĂ©but de l’épidĂ©mie, le pays compte dĂ©jĂ  plus de victimes mortelles que la Chine ( 3.281 selon les chiffres de PĂ©kin).

 

Dans le mĂȘme journal, Ă  la mĂȘme date, toujours, on peut apprendre nĂ©anmoins que la France, pour l’instant, gĂšre (bien) mieux l’épidĂ©mie que les Etats-Unis  ( article Les Etats-Unis, prochain Ă©picentre de la pandĂ©mie mondiale, article de Virginie Robert, page 7.

 

Les Etats-Unis ont mal gĂ©rĂ© l’épidĂ©mie,  d’abord, nous explique Les Echos parce qu’il y a encore un mois, le PrĂ©sident amĂ©ricain Donald Trump «  dĂ©dramatisant les risques de l’épidĂ©mie, demandait seulement au CongrĂšs
.2,5 milliards de dollars, pour acheter des Ă©quipements de protection et surveiller la progression du virus Â» ( article Washington dĂ©ploie l’artillerie lourde pour sauver son Ă©conomie de VĂ©ronique Billon, page 6, Les Echos du jeudi 26 mars 2020).

 

Sauf que, poursuit le mĂȘme article «  Les Etats-Unis sont devenus entre-temps le troisiĂšme foyer mondial de l’épidĂ©mie de coronavirus derriĂšre la Chine et l’Italie, avec plus de 55.000 cas de contamination, et plus de 800 dĂ©cĂšs, selon le dĂ©compte de l’universitĂ© Johns Hopkins Â».

 

 

Ensuite, la France offre une « assurance-santĂ© quasi gratuite alors qu’elle est liĂ©e Ă  l’emploi aux Etats-Unis Â» (propos de Roland Lescure, dĂ©putĂ© ( LREM) des Français d’AmĂ©rique du Nord, prĂ©sident de la commission des Affaires Ă©conomiques dans l’article intitulĂ© Quand on est dans la tranchĂ©e, on ne s’interroge pas sur le coĂ»t des munitions, signĂ© V.L.B, page 7 toujours dans Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020.

 

« Avant mĂȘme d’en mesurer les consĂ©quences, le modĂšle social made in USA en lui-mĂȘme aura participĂ© Ă  la profondeur de la crise : Un quart des salariĂ©s ne bĂ©nĂ©ficient d’aucun congĂ© maladie payĂ© et mĂȘme un sur deux dans les mĂ©tiers les moins rĂ©munĂ©rĂ©s (
.) quel choix, dĂšs lors, avait un salariĂ© lĂ©gĂšrement fiĂ©vreux travaillant dans un hĂŽtel, un restaurant ou un supermarchĂ© ? Â» (article coronavirus : un «  stresse test Â» pour le modĂšle social amĂ©ricain, de VĂ©ronique Le Billon, page 9 Les Echos  du jeudi 26 mars 2020.

 

Autre handicap des Etats-Unis pour gĂ©rer l’épidĂ©mie comparativement Ă  la France, toujours dans le mĂȘme article :

 

« Vu de l’extĂ©rieur, il n’y a qu’un prĂ©sident aux Etats-Unis- Donald Trump. Mais, en rĂ©alitĂ©, cinquante gouverneurs dĂ©cident chacun du degrĂ© de confinement dans leur Etat, sans beaucoup de concertation. Avec un Donald Trump alternant dĂ©ni, prise de conscience et optimisme dĂ©mesurĂ©, l’absence de cap clair aggrave aussi la crise et le « chacun pour soi Â».

 

Le « Chacun pour soi Â», ça peut donner ça (Ă  nouveau, l’article Les Etats-Unis, prochain Ă©picentre de la pandĂ©mie mondiale) :

 

« A Manhattan, l’argent fait plus que jamais la diffĂ©rence pour se procurer au marchĂ© noir des masques vendus Ă  prix d’or ou carrĂ©ment des appareils de ventilation ( s’ils en trouvent) que les plus riches gardent sous le coude, au cas oĂč, rapportent des rĂ©sident effarĂ©s Â».

 

 

NĂ©anmoins, les Etats-Unis ont rĂ©ussi Ă  adopter un plan de sauvetage de «  2.000 milliards de dollars Â» dont « 100 milliards Â» sont destinĂ©s aux « hĂŽpitaux Â» et aux « prestataires de soins Â» ( article PrĂȘts, chĂšques et allĂ©gements de charges : un plan hors normes de V.L.B et N.Ra, page 6 de Les Echos de ce jeudi 26 mars 2020).

 

 

La France aussi fait des efforts avec de moindres moyens financiers. « 100 milliards de dollars Â» aux Etats-Unis pour les hĂŽpitaux et les prestataires de soins ? J’ai oubliĂ© ce que le gouvernement français avait proposĂ© ou a proposĂ© en termes d’aide financiĂšre pour les hĂŽpitaux. Dans les 300 millions d’euros ou quelque chose comme ça, non ?

 

 

De notre cĂŽtĂ©, en France, le « chacun pour soi Â» a aussi commencĂ©. Hier matin en rentrant, j’étais Ă  peine descendu du train dans ma ville que deux ou trois hommes commençaient dĂ©jĂ  Ă  entrer. J’ai dĂ» un peu m’imposer. Il y avait pourtant largement le temps, et la place dans la voiture, pour me laisser sortir. MĂȘme s’il peut y avoir du meilleur chez l’ĂȘtre humain, devant ce comportement,  je me suis demandĂ© ce que ça allait donner aprĂšs deux ou trois semaines de couvre-feu et de confinement.

 

 Un peu plus tĂŽt, dans le service, deux de mes collĂšgues du matin Ă©taient en colĂšre :

Dans la rue, on pouvait voir des personnes porter un masque FFP2 alors qu’il en manquait Ă  l’hĂŽpital. Des stocks de masques et de gel hydro-alcoolique auraient Ă©tĂ© volĂ©s dans des hĂŽpitaux.

Un de mes collĂšgues a affirmĂ© que dans d’autres services de psychiatrie, le personnel Ă©tait fourni en tenues, alors que nous, nous n’en n’avions plus et devions nous contenter de masques chirurgicaux. Il fallait savoir ! Il y a encore peu, en raison de suspicion de coronavirus, nous devions tous porter dans le service une tenue et porter un masque. Et, maintenant, on nous disait que cela n’était plus nĂ©cessaire de porter une tenue. Parce qu’il en manquait ?! Ou parce-que cela n’était plus nĂ©cessaire?! 

 

De nuit, dans mon service, en ce moment, quatre collĂšgues sont en arrĂȘt de travail.

Ce matin, une aide-soignante intĂ©rimaire dĂ©jĂ  venue travailler dans notre service est revenue. Les hĂŽpitaux et les Ă©tablissements de santĂ© (tant publics que privĂ©s) font appel Ă  du personnel intĂ©rimaire ou vacataire depuis au moins trente ans. Ce n’est donc pas une nouveautĂ©. J’ai aussi Ă©tĂ© intĂ©rimaire et vacataire. Et, j’avais mĂȘme entendu dire que sans ce personnel intĂ©rimaire ou vacataire, bien des Ă©tablissements de santĂ© ne pourraient pas tenir. Ceci pour souligner que la pĂ©nurie de personnel soignant qui s’est accentuĂ©e ces dix derniĂšres annĂ©es – en dĂ©cidant de ne pas remplacer le personnel parti ou convalescent, ou en supprimant des postes- a, Ă  mon avis, amplifiĂ© une pĂ©nurie qui Ă©tait dĂ©jĂ  persistante dans les murs des Ă©tablissements de soins.  Un peu comme un incendie Ă  combustion lente.

Et ces choix «  trĂšs avisĂ©s Â» de gestion de personnel, de locaux, de façon de soigner et de planning Ă©claboussent en premier lieu les soignants qui sont dans les services et qui doivent « assurer Â» en servant de contre-feu.

 

On peut se dire que le fait de devoir dĂ©pendre de personnel intĂ©rimaire, donc particuliĂšrement « itinĂ©rant Â», est une incohĂ©rence supplĂ©mentaire dans la gestion de la crise sanitaire actuelle. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© voir « dans Â» cette collĂšgue intĂ©rimaire la possibilitĂ© de savoir comment ça se passait dans un autre service de l’hĂŽpital : Celle-ci m’a appris avoir effectuĂ© une mission rĂ©cemment dans un service d’hospitalisation psychiatrique adulte oĂč il n y avait pas assez de matĂ©riel de protection pour tous les soignants. J’en ai donc dĂ©duit- si comme un de mes collĂšgues l’a affirmĂ©, certains services de l’hĂŽpital sont bien Ă©quipĂ©s en matĂ©riel de protection- que tous les services de notre hĂŽpital ne bĂ©nĂ©ficient pas, de maniĂšre Ă©gale, des mĂȘmes moyens de protection en masques, tenues, gels hydro-alcooliques etc
.

 

 

Ce qui nous amĂšne un peu plus au sujet de cet article. Il y a une heure maintenant, je suis allĂ© souhaiter une bonne nuit Ă  ma fille. Pour la premiĂšre fois depuis les mesures relatives au couvre-feu et au confinement dĂ©butĂ©es il y a une dizaine de jours, je l’ai regardĂ©e diffĂ©remment. Alors que ma fille me parlait et me souriait, et m’interrogeait sur le soleil, les Ă©toiles, le carburant, comment ça se fabrique
 mon cerveau se dĂ©doublait. S’il est assez frĂ©quent d’entendre que les hommes ne peuvent pas faire deux choses en mĂȘme temps contrairement aux femmes, cela est faux pour les hommes qui sont pĂšres, Ă©ducateurs ou se sentent responsables de quelqu’un d’autre.

 

Je n’ai pas particuliĂšrement peur, pour l’instant, de mourir du coronavirus en allant au travail. Par contre, l’idĂ©e que ma fille soit exposĂ©e Ă  la perte d’un ou de ses deux parents en raison d’un manque de matĂ©riel de protection alors mĂȘme que « l’on Â» nous demande d’aller au casse-pipe ne passe pas. Ça ne passe pas. On peut me parler de «  hĂ©ros de la Nation Â», de mĂ©daille, de nom de rue, de PanthĂ©on, des « honneurs de la France Â» et de tout ce que l’on veut. Je ne prends pas. A la place de «  HĂ©ros de la Nation Â», j’entends plutĂŽt les termes de «  Couillon de la Nation Â» si je dĂ©cĂšde ou que ma compagne dĂ©cĂšde parce-que nous aurons Ă©tĂ© mis en contact du coronavirus par manque de matĂ©riel. Du fait de mauvais choix rĂ©pĂ©tĂ©s depuis des annĂ©es concernant la façon de gĂ©rer les hĂŽpitaux ainsi que le personnel soignant.

 

Par ailleurs, je n’ai pas Ă©tĂ© Ă©tonnĂ© d’apprendre que des soignants avaient Ă©tĂ© ostracisĂ©s car leur voisinage craignait qu’ils ne propagent l’épidĂ©mie.

AprĂšs l’épidĂ©mie, je suis curieux de voir ce que l’on nous dira Ă  propos de notre fille quand elle retournera Ă  l’école. Devra-t’elle observer une quarantaine supplĂ©mentaire par rapport aux autres enfants ? Sera-elle suspectĂ©e de pouvoir contaminer l’école ?

Et, mĂȘme nous, les « hĂ©ros Â». On veut des hĂ©ros qui se sacrifient pour nous. Ensuite, si les conditions sont rĂ©unies, et qu’on le souhaite, et aussi selon certains critĂšres, on en choisira quelques unes ou quelques uns que l’on remerciera publiquement. Ou on permettra peut-ĂȘtre Ă  leurs cadavres d’ĂȘtre enterrĂ©s avec des honneurs qui lui Ă©taient interdits de leur vivant oĂč leur statut Ă©tait Ă  peu prĂšs Ă©quivalent Ă  celui d’un ver. On assurera Ă  leurs proches ou Ă  leurs descendants  » toute la reconnaissance » que la Nation leur porte. 

 

Mais il y a nĂ©anmoins des bonnes nouvelles. Dans le journal Les Echos de ce 26 mars que j’ai abondamment citĂ©, il y a plusieurs articles oĂč des personnes louent le numĂ©rique, la trĂšs haute capacitĂ© d’adaptation des Start-Up et les vertus de l’informatique, du tĂ©lĂ©travail, de la « communication Â» etc
que toutes les nouvelles technologies permettent. Puisqu’elles permettent de continuer de travailler, de s’adapter et de rester confinĂ©s.

 

Je ne conteste pas ces atouts. Sauf que ce sont- aussi- des personnes fĂ©rues des nouvelles technologies, des algorithmes et des calculs en tout genre qui ont fini par ĂȘtre convaincues et par convaincre que l’on pouvait tout maitriser Ă  la seconde prĂšs et s’ajuster en permanence aux Ă©vĂ©nements. Cette Ă©pidĂ©mie, et d’autres catastrophes, avant et aprĂšs elle, dĂ©montrent bien le contraire. Quels que soient les rĂ©els avantages que donnent les nouvelles technologies.

 

Et je suis trĂšs sceptique concernant notre monde s’il dĂ©pendait du tout numĂ©rique, du tout informatique. En cas de panne. En cas de virus informatique. En cas de piratage. En cas de dĂ©sinformation. Lorsque l’on voit Ă  quelle vitesse, et dans quelles proportions, une mauvaise information peut dĂ©sormais se transmettre.

 

Il se trouve que, pour moi, notre PrĂ©sident actuel, mais aussi une bonne partie de celles et ceux qui l’entourent que ce soit au gouvernement ou ailleurs qui l’admirent et l’envient sont acquis depuis longtemps Ă  cette conception qui est que le monde Ă©volue et les technologies avec lui. Et que refuser ça, c’est avoir des difficultĂ©s «  Ă  accepter le changement Â». Je ne vois pas de changement dans le fait qu’il y a toujours des milliers voire des millions de personnes qui se font sacrifier ou se doivent de se sacrifier pour quelques uns qui restent bien Ă  l’abri quelles que soient les consĂ©quences de leurs actes et de leurs dĂ©cisions. Et j’ai beaucoup de mal Ă  l’idĂ©e de me sacrifier ou de devoir me sacrifier pour ce genre de personnes. On parle des irresponsables qui ne respectent pas les rĂšgles du confinement. D’accord. Mais ça ne m’empĂȘche pas de voir qu’il y a des responsables tout autant irresponsables mais d’une autre façon concernant la façon de gĂ©rer ma vie.

 

Donc, pour moi, c’est Ă©vident : ma compagne ou moi, ira en renfort ou en remplacement dans un des services « Covid Â» de l’hĂŽpital si nĂ©cessaire.  Je veux bien ĂȘtre celui qui ira. Mais pas nous deux.

 

 

Franck Unimon, ce vendredi 27 mars 2020.

 

 

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Je l’aimerais peut-ĂȘtre

                                                     

 

 

 

 

 

 

 

Peluches disposĂ©es pour marquer la distance sociale de prĂ©vention sanitaire pendant l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus Covid-19.

 

 

 

                                                            Je l’aimerais peut-ĂȘtre

 

J’ai vraiment eu trĂšs peur quand elle m’a dit :

« DĂ©sormais que nous sommes confinĂ©s ensemble, je saurai quand tu mens Â».

 

 

J’ai Ă©crit ça sur ma page Facebook hier soir et ça a permis de faire sourire quelques personnes. J’en suis content. On pourra trouver ce genre d’humour misogyne et facile. Mais ça m’a fait du bien. Il Ă©tait temps de transfĂ©rer un peu d’humour dans ce que j’écris depuis une dizaine de jours.

 

Puis, j’ai failli ajouter :

 

« C’est le moment oĂč jamais de revoir le film The Mask Â».

 

Et, tout Ă  l’heure, je viens de « trouver Â» :

 

« On a l’impression qu’aller faire des courses ou aller au travail est un acte hĂ©roĂŻque tant on prend de risques. Ce soir, je regarderai dans le ciel comme dans Hunger Games pour voir si  j’y reconnais mon visage avec la petite musique Â».

 

 

Mon humour ne plaira pas Ă  tout le monde. Certaines personnes ne le comprendront pas et le trouveront dĂ©placĂ© car ce qui se passe en moment est grave et pesant. Mais ça fait des annĂ©es, depuis l’enfance, que l’humour me permet de m’échapper de certaines situations trĂšs mal embouchĂ©es oĂč l’anĂ©antissement semble le  seul aboutissement possible. Evidemment, j’aimerais permettre Ă  d’autres personnes de s’échapper avec moi par la porte de secours de l’humour. Mais je ne suis pas seul Ă  en dĂ©cider. Et je ne peux pas tout le temps faire «  le clown Â».  Je trouve que faire rire tout le temps revient Ă  en faire des tonnes et, pour ça, je n’envie pas les humoristes professionnels qui se doivent en permanence d’ĂȘtre des athlĂštes de –trĂšs- haut niveau de l’humour et en mesure de prouver rapidement et facilement qu’ils sont « bons Â».

 

Moi,  je ne fais que tenter quelques pirouettes comme on essaie de rĂ©aliser un plat ou de lancer une crĂȘpe en l’air avant de la rattraper. Des fois, ça passe et on est content. D’autres fois, non, et c’est comme ça. Ce n’est pas une raison pour s’arrĂȘter de faire de l’humour si d’autres fois on a pu rĂ©ussir son coup. Et si on a envie de tenter une « figure Â».

 

On parle de mĂ©canique du rire mais il est des moments oĂč le rire arrive parce que nous sommes dans un moment de tension et d’émotion que la « farce Â» rompt  telle une poche des eaux. Et c’est ça qui fait rire ou sourire.  Cet Ă©coulement possible hors de soi  par le rire ou le sourire. Mais personne, je crois, ne peut vraiment le prĂ©voir avec certitude sans tenter cette figure.

 

Confinés 1.

 

En plus austĂšre, j’ai d’emblĂ©e beaucoup aimĂ© ce titre d’une chanson de Jimi Hendrix lorsque je l’ai lue la premiĂšre fois il y a des annĂ©es :

 

« I Woke up this morning And Found Out I Was dead Â». J’ai peu de fois Ă©coutĂ© ce titre. Ce n’est pas celui que je prĂ©fĂšre de lui. Je prĂ©fĂšre le titre Ă  la chanson mais je n’ai pas Ă©coutĂ© les paroles et c’était il y a trĂšs longtemps lorsque j’ai Ă©coutĂ© cette chanson. Peut-ĂȘtre faudrait-il que je la réécoute lorsque je serai mort. Et, alors, je l’aimerais peut-ĂȘtre.  

 

En attendant, je prĂ©fĂšre des titres comme If 6 was 9 ;  Castles made of sand ; Bold Love et d’autres
..

 

Confinés 2.

 

 

Franck Unimon, vendredi 27 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Ce serait facile

  

                                                   Ce serait facile

 

«  Aux Grands Hommes La Patrie Reconnaissante Â» peut-on lire Ă  l’entrĂ©e du PanthĂ©on.

Je vais finir par connaĂźtre cette phrase par cƓur. Mais il y a une autre affirmation que depuis le couvre-feu dĂ©cidĂ© la semaine derniĂšre, l’épidĂ©mie du Coronavirus Covid-19 va continuer de m’apprendre pendant plusieurs semaines :

 

« Hier Ă  l’abandon, aujourd’hui, les soignants des hĂŽpitaux publics sont les hĂ©ros de la Nation Â».

 

L’épidĂ©mie est dĂ©rangeante car en plus de nous dĂ©sarmer et de tuer, elle nous oblige Ă  comprendre que notre mĂ©moire est changeante. MĂȘme si des monuments prĂ©sents depuis des siĂšcles sont lĂ  pour nous rappeler l’Histoire.

 

Cela a Ă©tĂ© facile d’oublier l’Histoire des hĂŽpitaux publics. MĂȘme moi, je la connais peu.

 

Mais je me souviens encore que les mouvements de contestation des soignants  existent depuis plus d’une gĂ©nĂ©ration : ils n’ont pas dĂ©butĂ© « seulement Â» en 2004 ou en 2005 avec la T2A, depuis dix ans ou quelques mois comme on peut encore le lire.  

 

A la fin des annĂ©es 80, dĂ©jĂ   (au 20Ăšme siĂšcle). Cela serait trĂšs facile de continuer de l’oublier.

 

Comme cela serait trĂšs facile de croire qu’une prime et une revalorisation salariale vont suffire, comme d’autres fois, Ă  gagner du temps, alors que les hĂŽpitaux publics, comme d’autres institutions publiques, sont le miroir de la sociĂ©tĂ© mais aussi son socle.

 

Cela a Ă©tĂ© trĂšs facile de l’oublier. De l’ignorer. De (se) regarder dans d’autres miroirs. De « gĂ©rer Â» le sujet. De considĂ©rer qu’il y avait d’autres prioritĂ©s.   

 

Et l’épidĂ©mie s’est imposĂ©e. C’est l’équivalent d’un Krach en bourse- mais en direct- que peu de personnes ont vu venir. Sauf que donner de l’argent, du matĂ©riel, s’ils font partie de la solution, ne vont pas suffire. Il va falloir donner de la pensĂ©e, du temps et du futur qu’on a bradĂ©. Donner ce que l’on n’a pas ou plus que ce que l’on a, c’est souvent ce que l’on fait Ă  l’hĂŽpital tandis que d’autres prennent beaucoup plus qu’ils ne donnent. Ce n’est pas nouveau dans notre sociĂ©tĂ©. Ce serait facile de l’oublier.

 

Il va falloir rendre une autre vision du monde plutĂŽt que de continuer Ă  contribuer Ă  sa division. Car, aujourd’hui, la division du monde est blindĂ©e et couverte par l’épidĂ©mie.

 

Ce serait facile de croire qu’aprĂšs elle, nous serons prĂȘts, que nous aurons tout prĂ©vu, que nous aurons tout modĂ©lisĂ© et serons capables de tout maitriser. C’est ce que nous avons cru avant l’épidĂ©mie. 

 

Franck Unimon, jeudi 26 mars 2020.

 

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Contrainte et motivation

 

                                                            Contrainte et motivation

 

J’étais en train de sortir mon vĂ©lo de son local lorsque j’ai entendu un bruit Ă©trange.  C’est peut-ĂȘtre ce son particulier- Ploc-ploc- qui m’a d’autant plus donnĂ©, instinctivement, l’idĂ©e de tĂąter mon pneu arriĂšre. Il Ă©tait crevĂ©. Je me suis dit :

 

Soit j’ai trĂšs mal mis ma chambre Ă  air arriĂšre la derniĂšre fois (il y ‘a deux ou trois mois tout au plus). Soit la nouvelle chambre Ă  air, un premier prix, que j’avais mise Ă©tait de trĂšs mauvaise qualitĂ©. J’ai un moment pensĂ© Ă  une de mes collĂšgues, qui, lors de la grĂšve des transports en DĂ©cembre, pour protester contre la rĂ©forme des retraites, avait crevĂ© deux fois en l’espace de quelques jours.

 

Fort heureusement, j’avais des chambres Ă  air de rechange, en principe de bonne qualitĂ© vu le magasin de cycles oĂč je les avais achetĂ©es. Du temps de la grĂšve des transports en DĂ©cembre. Ce magasin, aujourd’hui, est sĂ»rement dĂ©sormais fermĂ©  depuis le couvre-feu consĂ©cutif Ă  l’Ă©pidĂ©mie. 

 

Mais je ne pouvais pas me permettre de prendre le temps de changer la chambre Ă  air de mon pneu arriĂšre.

 

Le local oĂč je mets mon vĂ©lo est Ă  dix minutes Ă  pied de chez moi. En m’y rendant, je m’éloigne de la gare
de dix minutes. Il devait ĂȘtre entre 19h30 et 19h40. Je reprenais le travail Ă  21h. Avec la diminution des transports, le fait que je ne m’étais pas renseignĂ© sur les horaires de train, impossible pour moi de savoir quand j’aurais un train. Mais j’avais bon espoir.

 

J’ai laissĂ© mon casque, mes lunettes et mon bidon d’eau dans le local. Fort heureusement, j’avais toujours sur moi mon Pass Navigo. J’allais devoir prendre les transports en commun pour aller au travail.

 

A la gare, premiĂšre information aprĂšs avoir passĂ© les portes de validation « ouvertes Â» :

 

Le prochain train, direct pour Paris St Lazare arrivait trente minutes plus tard. Soit entre 20h15 et 20h20. Je pouvais donc, dĂ©sormais, ĂȘtre en retard alors qu’avec mon vĂ©lo en Ă©tat de marche, je serais arrivĂ© avec quelques minutes d’avance.

 

Je suis repassĂ© chez moi. J’ai expliquĂ© ce qui se passait Ă  ma compagne. Je me suis changĂ©. J’étais prĂȘt Ă  prendre mes baskets afin d’aller au travail en footing depuis St Lazare. J’avais commencĂ© Ă  enfiler mon collant de footing. Ma compagne m’en a dissuadĂ© : j’avais dĂ©jĂ  fait assez d’efforts physiques cette semaine en m’y rendant Ă  vĂ©lo. Et, lĂ , d’un seul coup, je me prenais pour « un grand sportif ?! Â».

Je lui ai rĂ©pondu : «  Mais je suis un sportif ! Â». Un ancien sportif, Ă©videmment. Qui a vieilli en plus.

J’ai Ă©coutĂ© ma compagne. Je me suis habillĂ© comme quelqu’un qui allait prendre toute la chaine des transports en commun depuis chez lui.  A aucun moment, je n’ai envisagĂ© de prendre ma voiture. Le temps moyen habituellement pour me rendre Ă  mon travail en transports en commun est d’environ 45 minutes. Contre 1h05 au mieux Ă  vĂ©lo. Si je ne traine pas. Si les feux de circulation sont «clĂ©ments».

Comme on me l’avait dit, assez peu de monde dans le train. Par contre, en approchant de St Lazare, le train se met  au ralenti. Cela fait quelques minutes que je suis devant les portes pour sortir lorsqu’un homme d’une trentaine d’annĂ©es vient se placer Ă  cĂŽtĂ© de moi, sur ma droite, sans vraiment donner l’impression de tenir compte de la distance de prĂ©vention sanitaire de un mĂštre. As usual. Cet homme qui a mis du  Â« sent-bon Â»  croit peut-ĂȘtre que le parfum le protĂšge du virus.  Alors que le train se rapproche un peu plus de St Lazare,  je me surprends Ă  sentir se dĂ©placer en moi une certaine agressivitĂ© :

Je pourrais frapper cet homme. Juste parce-que, lĂ , alors qu’il y a tout l’espace nĂ©cessaire pour respecter une certaine distance, il est venu se mettre lĂ , juste Ă  cĂŽtĂ© de moi. Je tourne ma tĂȘte dans le sens opposĂ© Ă  sa prĂ©sence et attends la dĂ©livrance.

Cette rĂ©action ne me ressemble pas. En temps ordinaire, mĂȘme dans un train ou dans un mĂ©tro bondĂ©, je fais avec. Mais lĂ , coronavirus Covid-19 + sentiment d’enfermement dans les transports en commun+ les contrĂŽles de police ou de contrĂŽleurs font que je suis montĂ© dans ce train, auquel je n’ai pu Ă©chapper ce soir, sans doute avec un certain Ă©tat de tension inhabituel.

 

Le train arrive Ă  quai. J’ouvre et je me porte sur le quai. Je redĂ©couvre la gare St Lazare aprĂšs quelques jours de trajet Ă  vĂ©lo. 

TrĂšs vite, je m’aperçois qu’il m’est impossible de choisir l’endroit oĂč je vais prendre les escalators. La gare est quadrillĂ©e. Des sorties habituellement « praticables Â» sont barrĂ©es par des bandes adhĂ©sives blanches et rouges. Nous sommes arrivĂ©s sur la voie 26 ou 27. Il nous faut tourner Ă  droite et aller jusqu’aux premiĂšres voies de la gare pour accĂ©der Ă  la sortie. Je comprends Ă©videmment les raisons sanitaires de ce parcours mais j’ai l’impression que nous sommes traitĂ©s comme du bĂ©tail.

 

Enfin, la sortie de la gare. Juste devant, quatre ou cinq policiers en bas des escalators en tenue. Des gorilles. Ils doivent bien faire entre 100 et 120 kilos chacun. Noirs, crĂąne rasĂ©, sans masque sur le visage. Ils sont dĂ©tendus et ont l’air trĂšs sĂ»rs d’eux. Pas de contrĂŽle. Tant mieux. En passant, je me dis que leur assurance est une erreur. MĂȘme si je sais que le port du masque n’est pas obligatoire dehors en l’absence de symptĂŽmes,  je sais aussi que l’on peut ĂȘtre un «  trĂšs beau bĂ©bĂ© Â» et se faire aplatir mĂ©chamment Ă  coups de massue par un tout petit virus de rien du tout.

 

Je suis obligĂ© de me presser pour prendre le mĂ©tro automatisĂ© et sans conducteur de la ligne 14 car le prochain arrive dans cinq minutes. Il y en a moins que d’habitude. Et je n’ai pas envie de prendre le prochain. Je suis dedans. Le mĂ©tro est Ă  peine parti qu’un homme vient me demander l’heure. Plus ou moins SDF, plus ou moins passager. Habituellement, je rĂ©ponds tranquillement. LĂ , je rĂ©ponds mais Ă  distance. Je suis mĂ©fiant. Pour raisons sanitaires.

 

AprĂšs lui, c’est une jeune femme d’une trentaine d’annĂ©es qui passe. Sac chargĂ© sur le dos, un ou deux autres sacs Ă  la main, elle non plus, n’est pas trĂšs angoissĂ©e comme celui qui m’a demandĂ© l’heure. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est une petite piĂšce. Elle m’explique que les foyers n’ont pas voulu d’elle ou qu’il n y’a pas de place pour elle. Elle accepte mon refus de lui donner une piĂšce avec un sourire de comprĂ©hension et poursuit sa quĂȘte dans le mĂ©tro.

 

C’est Ă  la gare de Lyon, ou j’hĂ©site un peu entre les diffĂ©rentes sorties, en commençant Ă  marcher, que je m’aperçois que je suis comme la roue arriĂšre de mon vĂ©lo : crevĂ©.

En traversant la Seine, j’aperçois le mĂ©tro aĂ©rien de la ligne 5 qui se dirige vers la gare d’Austerlizt. Je me dis que je vais tenter le prendre vu mon Ă©tat de fatigue. Et mon retard. Car, oui, dans Ă  peine une ou deux minutes, je serai en retard au travail. J’avais prĂ©venu les collĂšgues qui m’avaient dit que ça allait aller. Dont une collĂšgue de jour qui m’a dit qu’elle pourrait attendre. NĂ©anmoins, j’aurais aimĂ© ĂȘtre Ă  l’heure.

 

En montant les marches pour prendre le mĂ©tro ligne 5, je croise Ă  nouveau un SDF, assis tranquillement. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a nettement moins de monde dehors et qu’on les voit plus mais ça donne l’impression que les transports en commun, Ă  cette heure, deviennent leur territoire.

 

 

Le temps de me changer, de remettre la tenue de bloc avant d’aller dans le service, j’ai bien prĂšs d’une demie heure de retard. La nuit se passe bien. Mais je vĂ©rifie Ă  nouveau que lorsque l’on est fatiguĂ©, le moral descend. Mon autodiagnostic se fait au petit matin :

Je suis dĂ©primĂ©. Lorsque l’intellect reste aussi affĂ»tĂ© alors que notre moral, Ă©moussĂ©, se fait poussif, c’est que l’on est dĂ©primĂ©.

 

Je me demande ce qui me dĂ©prime. Je ne crois pas ĂȘtre dĂ©jĂ  Ă©puisĂ© physiquement. Le contexte peut-ĂȘtre. Ce n’est pas une pĂ©riode festive. Oui, je crois que c’est ça. Le contexte. La charge anxiogĂšne massive  que l’on s’est tous pris dans la figure, tous azimuts, en quelques jours.

 

Je « sais Â» aussi qu’ĂȘtre dĂ©primĂ©, avoir un moment de dĂ©prime, fait partie de ces moments oĂč l’on est en train de s’adapter, corps et Ăąme, Ă  un stress important. Ce qu’il faut, c’est ne pas se laisser border depuis l’écume de la dĂ©prime vers l’enclume de la dĂ©pression.

 

En pĂ©riode de guerre ou d’épreuve, on s’attache beaucoup aux hĂ©roĂŻnes, aux hĂ©ros, Ă  celles qui ont du charisme, des gestes magnifiques et dĂ©finitifs mĂȘme si ces gestes, surtout si ces gestes Ă©chouent ainsi qu’Ă  celles et ceux qui accomplissent des exploits. Mais tout le monde compte dans un conflit comme dans cette Ă©pidĂ©mie. N’importe quelle action peut avoir son importance. Pour ma part, j’attache toujours beaucoup d’importance au fait de rester d’humeur Ă©gale. Et aussi de faire rire. Mais rester d’humeur Ă©gale ou faire rire lorsque votre moral Ă©choue voire vous « tue Â», cela demande beaucoup d’efforts.

 

Alors, je fais au mieux avec ma collĂšgue de nuit. Nous faisons notre travail. Nos relations restent correctes. Et, le matin, je prends sur moi lorsque notre premiĂšre collĂšgue de jour arrive. Je rĂ©ussis Ă  me dĂ©coincer question humour lorsque la deuxiĂšme collĂšgue de jour arrive. Contrairement Ă  ses habitudes, elle a lĂąchĂ© ses cheveux. Elle a un peu le visage serrĂ©. Peut-ĂȘtre la contrariĂ©tĂ© au vu du contexte, de son retard. Mais je m’entends bien avec elle. Alors, je la chambre avec ses cheveux lĂąchĂ©s : «  Caliente ! Caliente ! Â». Elle sourit. Nous rions tous. Je commence Ă  me dĂ©sengager un peu de cette dĂ©prime.

 

Avant de partir du service, je prends une bonne douche. J’ai dĂ©cidĂ© d’en faire un rituel depuis le couvre-feu. Que ce soit pour des raisons tant sanitaires que morales. Prendre une bonne douche avant de partir du travail. Et, comme d’habitude, avant la douche, prendre un petit-dĂ©jeuner. Je bois du thĂ© vert japonais depuis deux ou trois ans. Et depuis quelques mois,  du thĂ© Gyokuro en particulier. Ce n’est pas pour frimer. J’aime le thĂ© vert japonais. J’ai bien-sĂ»r lu que c’était bon pour la santĂ© : antioxydants etc


 

J’utilise aussi quelques huiles essentielles. Ma collĂšgue de nuit et moi commençons Ă  avoir un rituel. Une goutte d’huile essentielle de Tea-Tree sur un poignet. On frotte ensuite sur notre autre poignet. Et on respire aussi un peu l’odeur en faisant attention Ă  nos yeux. J’utilise aussi l’huile essentielle de Niaouli, de Ravintsara. Nous restons dans une pĂ©riode de l’annĂ©e oĂč les tempĂ©ratures sont fraĂźches. Et, bien-sĂ»r, se laver les mains avec du savon rĂ©guliĂšrement. Maintenir autant que possible la distance sociale du mĂštre. Mais ce n’est pas toujours possible lorsque l’on prend la tempĂ©rature d’un patient. Qu’on lui donne son traitement. Il y a la distance sociale de prĂ©vention sanitaire. Et il y a la distance sociale relationnelle. Les deux distances peuvent se gommer mĂȘme si nous ne sommes pas Ă   la distance d’un slow lors de nos Ă©changes avec les patients .

 

Ce matin-lĂ ,  en quittant le service, je suis ensuite allĂ© interroger silencieusement le PanthĂ©on :

 » Aux Grands Hommes, La Patrie Reconnaissante ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

Et j’ai Ă  nouveau pris des photos comme j’en parle dans mon article Manu Dibango. Puis, je suis allĂ© prendre des photos de Notre Dame que je n’étais pas allĂ© revoir depuis des annĂ©es. MĂȘme lors de son incendie si mĂ©diatisĂ©.

 

J’aime prendre des photos car on peut dire beaucoup de choses avec une photo sans un seul mot.

J’aime prendre des photos car je trouve que c’est un bon anxiolytique.

J’aime prendre des photos car elles nous permettent de nous constituer une mĂ©moire de moments dont on ne mesure pas toujours l’importance.

Enfin, j’aime prendre des photos car en les revoyant ensuite, on voit souvent ce que l’on ne voit pas au moment prĂ©sent.

 

Je prends mon temps pour rentrer ce matin-lĂ . Je sais qu’une fois rentrĂ©, je resterai enfermĂ©. Peut-ĂȘtre que je prends mon temps aussi afin de continuer de me dĂ©toxiquer de mes Ă©motions nĂ©fastes. Bien-sĂ»r, j’ai prĂ©venu ma compagne. Je croise quelques policiers qui font des contrĂŽles. Personne ne m’arrĂȘte. Il fait trois degrĂ©s. 

 

En rentrant chez moi, je m’empresse de me rĂ©chauffer le plus possible. Je ne veux pas attraper froid.  Cela me contrariait de devoir rester chez moi pour cause de rhume ou de grippe surtout aussi tĂŽt dĂšs les premiers jours du couvre-feu pour rĂ©pondre Ă  l’Ă©pidĂ©mie. Pour une raison que je ne peux pas m’expliquer, je tiens particuliĂšrement Ă  « assurer » mes horaires de travail dans le service.Et, je dĂ©ploie tout un arsenal de boissons chaudes et autres : citron, cannelle, miel etc….Je mange mĂȘme les feuilles du thĂ© Gyokuro aprĂšs les avoir utilisĂ©es plusieurs fois. J’ai appris il y a environ deux mois lors d’un sĂ©jour dans la rĂ©gion d’Angers par le revendeur de thĂ© que les amateurs du thĂ© Gyokuro finissaient par en manger les feuilles.  Je mange d’abord quelques bouchĂ©es de feuilles de thĂ© Gyokuro comme ça. Puis, pendant notre dĂ©jeuner, j’essaie de les accommoder avec de la sauce de soja au citron. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© sans. 

 

J’Ă©chappe au froid. Cette nuit-lĂ , Ă  3 heures du matin, j’entends ma fille en pleurs. Ces derniers temps, j’ai laissĂ© ma compagne s’en occuper. Je l’entends avant ma compagne.

Cette fois,  je vais voir notre fille. Pourquoi tu pleures ? Elle m’explique. Assez vite, je me montre ferme. Car j’estime qu’elle est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que Ma-man ou Pa-pa monte pratiquement Ă  la moindre contrariĂ©tĂ© pour rĂ©soudre le problĂšme dont elle me fait part. Un problĂšme qu’elle a dĂ©jĂ  rencontrĂ© maintes et maintes fois. Pour lequel, sa mĂšre et moi, nous l’avons entraĂźnĂ©e maintes et maintes fois. Donc, moi, son pĂšre, j’estime que notre fille, au vu de ses multiples expĂ©riences, est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que la solution vienne de nous. D’autant qu’en pareille situation, elle a dĂ©jĂ  « rĂ©ussi Â» bien des fois.

Résistance et refus de ma fille. Elle déploie son attirail : bras croisés, tape du pied, pleurs, mal-soudain- au genou.

Je commence Ă  me fĂącher vraiment.  Tu peux taper du pied, croiser les bras, donc, tu as l’énergie qu’il faut pour rĂ©soudre ton problĂšme. Ma fille avance au ralenti et commence Ă  s’engager. Finalement, sa mĂšre vient nous rejoindre. Vous allez rĂ©veiller « tout le monde » dans l’immeuble ! Moi, je m’en fiche de rĂ©veiller tout l’immeuble. D’une, je ne crois pas que nous allons rĂ©veiller tout l’immeuble. D’autre part, cĂ©der devant un enfant parce-que l’on a peur de faire du bruit ou de se faire remarquer, quelle erreur ! Ensuite, notre fille peut faire bien mieux que ce qu’elle fait. Elle n’est pas dĂ©bile. Elle n’est pas handicapĂ©e. Elle n’est pas un bĂ©bĂ©. Elle n’est pas une victime. Ce n’est pas une petite malheureuse abandonnĂ©e dĂšs sa naissance dans un orphelinat mal famĂ©. Et, ce n’est pas elle qui commande nos nuits !

Maman-sauveuse engueule tout de mĂȘme notre fille. Mais, pour moi, ça fait trop de bĂ©nĂ©fices vu le nombre de fois oĂč ce genre de rĂ©veils et de sollicitations nocturnes se rĂ©pĂšte. Et, cette nuit, en plus, deux parents pour une seule enfant ! Qui plus est pour une enfant capable de faire beaucoup mieux. Je le dis avant de quitter la scĂšne. Et je prĂ©dis Ă  ma fille que La fessĂ©e va arriver un de ces jours ! Que maman soit d’accord ou pas d’accord !

 

Ce qui s’est passĂ© cette nuit est une raison supplĂ©mentaire pour passer la journĂ©e du lendemain (hier) avec ma fille. Le matin, aprĂšs les retrouvailles affectueuses, ma fille se rappelle du pain au chocolat que je lui ai achetĂ© la veille pour le petit-dĂ©jeuner. Je le lui avais appris au moment du coucher aprĂšs lui avoir massĂ© le dos ainsi que les pieds. Notre fille avait Ă©tĂ© trĂšs contente d’apprendre que je lui avais achetĂ© un pain au chocolat. Elle m’avait embrassĂ© sur la tĂȘte et m’avait dit, contente :  » Tu penses Ă  tout ! ». Ce matin, aprĂšs le bonjour affectueux,  je lui reparle du « cinĂ©ma » de cette nuit. Oui, elle s’en souvient un peu. Elle me dit de quoi elle se souvient. Je complĂšte et lui passe un savon. Ma fille marque d’abord le coup. Puis, aprĂšs quelques minutes,  elle commence Ă  soupirer et me dit :

«  Je m’ennuie
. Â». Je lui dis que cette nuit, c’est moi qui soupirais. Et qu’il aurait fallu qu’elle soit aussi grande qu’elle se montre maintenant. Tu t’ennuies ? Tu vas aller passer un peu de temps dans ta chambre. Tu as faim ? On verra aprĂšs.

 

AprĂšs le petit-dĂ©jeuner (environ cinq minutes plus tard) tout se passe bien. Jusqu’à ce qu’un moment, mademoiselle fasse traĂźner les choses lorsqu’il s’agit d’aller se brosser les dents. Quelques minutes plus tĂŽt, elle Ă©tait d’accord lorsque je l’ai prĂ©venue. LĂ , lorsque je l’appelle, il faut qu’elle ait prĂ©cisĂ©ment quelque chose Ă  faire. Jouer par exemple. Installer tel jouet comme ça. Et celui-ci comme ça. Je confisque. Et je mets ça en haut de l’armoire. Direction la salle de bain oĂč le brossage de dents se dĂ©roule sans trop de façons. Puis, dans quelques minutes, ce sera les devoirs. D’accord.

 

Je suis en train de repasser et j’entends un bruit suspect. J’appelle ma fille. Non, non, je ne touche Ă  rien ! Me dit-elle. Je me dis que j’ai peut-ĂȘtre imaginĂ© des choses. Que je suis trop dans le contrĂŽle.

 

Quelques minutes plus tard, je suis en train de me brosser les dents quand j’ai une « Ă©claircie Â». Je vais voir ce que j’ai confisquĂ©. Ce n’est plus en haut de l’armoire. A la place, il reste une trace du dĂ©lit par terre devant l’armoire. Saisie par mon interpellation quelques minutes plus tĂŽt, ma fille n’aura pas pensĂ©, ensuite, Ă  venir rĂ©cupĂ©rer ce qui restait du crime. Je rappelle ma fille. Je suis ferme et calme. Je la confonds sans problĂšme. Je lui demande de remettre en haut de l’armoire exactement ce que j’y avais mis. Elle s’exĂ©cute. Elle prend un tabouret, monte et remet tout en haut de l’armoire. Voyant l’ingĂ©niositĂ© ainsi que l’audace ( audace que je ne dĂ©couvre pas tant que ça) je lui dis :

« Tu vois, lĂ , tu n’as pas eu besoin de moi pour rĂ©cupĂ©rer tes jouets dĂšs que j’ai eu le dos tournĂ©. Et je ne t’ai pas entendu pleurer ! Tu as mĂȘme pu me mentir. C’est ça que je veux, la nuit ! Tu rĂšgles ton problĂšme sans nous solliciter ta mĂšre et moi ! Â».

 

Ce matin, au rĂ©veil, ma fille m’a sautĂ© dans les bras, trĂšs contente de me faire savoir que, cette nuit, elle avait su rĂ©gler son problĂšme toute seule, sans nous rĂ©veiller sa mĂšre et moi. Elle m’a rĂ©pondu que c’était facile et m’a expliquĂ© comment elle s’y Ă©tait prise. Je l’ai fĂ©licitĂ©e.

 

Par cet exemple, j’ai compris que devant une certaine contrainte, pour peu que ma fille ait la motivation et l’envie nĂ©cessaire d’atteindre son but, qu’elle savait dĂ©ployer son intelligence et son corps de maniĂšre adĂ©quate. Sans cette motivation et cette envie, la contrainte, voire le dĂ©couragement, prennent rapidement le dessus et son rĂ©flexe est de se dĂ©courager, de refuser de faire des efforts…et d’appeler au secours alors qu’elle est parfaitement capable de s’en sortir toute seule. Sa mĂšre et moi ne sommes pas des ThĂ©nardier : notre fille le sait plus que parfaitement. Elle est habituĂ©e Ă  pouvoir compter sur notre disponibilitĂ©. Voire, sur notre culpabilitĂ©, si nous la laissons trop dans la difficultĂ©, la pauvre petite ! 

 

 

Vis-Ă -vis de l’épidĂ©mie, nous sommes pareils. Chacun a un seuil personnel de contrainte et d’effort qu’il peut supporter. Et notre motivation et notre envie varient aussi afin d’atteindre notre but. Il convient donc, bien-sĂ»r, au besoin, de savoir s’entourer de personnes qui peuvent nous aider Ă  maintenir un niveau de motivation et d’envie suffisant afin d’accepter certaines contraintes, de rĂ©aliser certains efforts, en vue de surmonter un obstacle comme celui de l’épidĂ©mie.

Cet entourage peut faire montre de fermetĂ©. Mais il doit aussi ĂȘtre bienveillant. Associer les deux attitudes est difficile, surtout sur la durĂ©e.  Et je rappelle que chez l’ĂȘtre humain, selon ce que je comprends, la norme, c’est l’extrĂȘme : Donc, souvent, l’ĂȘtre humain fait montre soit  de trop de fermetĂ©, soit de trop de bienveillance.Il y a bien-sĂ»r des lois et des rĂšgles ou des protocoles. Mais celles et ceux qui les font appliquer sont des ĂȘtres humains. Il y a donc souvent du bon. Mais aussi du mauvais selon les circonstances.  Et je ne suis pas pressĂ© que l’informatique ou des robots prennent le contrĂŽle en ce qui concerne l’application des lois : certains ĂȘtres humains se comportent dĂ©ja suffisamment comme des robots borgnes et bornĂ©s. 

 

Au vu de ce que j’écris ce matin, on peut considĂ©rer que je vais mieux qu’avant hier soir. Sauf que l’épidĂ©mie est une Ă©preuve d’endurance. Il s’agit donc de savoir se mĂ©nager.  De rester prudent. De s’aĂ©rer la tĂȘte dĂšs qu’on le peut par des moyens autorisĂ©s qui sont compatibles avec les recommandations sanitaires. Faute de ne pas rĂ©ussir Ă  s’aĂ©rer, certaines personnes Ă©chapperont nĂ©anmoins au coronavirus covid-19, mais elles risquent d’ĂȘtre particuliĂšrement Ă©puisĂ©es moralement et physiquement aprĂšs l’épidĂ©mie. Un autre effet secondaire Ă  l’Ă©pidĂ©mie est le risque d’accoutumance Ă  cette pĂ©riode que nous vivons. Cela peut paraĂźtre paradoxal mais nous vivons quand mĂȘme une pĂ©riode qui nous engage d’une maniĂšre particuliĂšre et, mĂȘme si cela peut nous demander certains efforts, voire de grands efforts, certaines personnes peuvent trouver dans cette Ă©preuve un sentiment d’existence dĂ©cuplĂ© car il s’agit de donner le meilleur de soi.

 

Cette pĂ©riode de contrainte peut aussi ĂȘtre une pĂ©riode de grande crĂ©ativitĂ©. Je le perçois Ă  travers mes articles mĂȘme si je les trouve « trop » stimulĂ©s par l’omniprĂ©sence de l’Ă©pidĂ©mie dans nos pensĂ©es.

Notre vie habituelle peut nous empĂȘcher de donner le meilleur de nous-mĂȘmes car nous nous sommes parfois laissĂ©s enfermer dans un sillon dont on a du mal Ă  sortir. Alors, que, lĂ , au cours de cette Ă©pidĂ©mie, nous n’avons pas le choix et nous avons une cause Ă  dĂ©fendre qui est celle, en principe, du plus grand nombre : survivre. Jaillir hors du sillon tout tracĂ©. Ou que l’on soit.

MĂȘme s’il semble que l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus covid-19 touche certaines rĂ©gions du monde mais pas toutes. Une aide-soignante intĂ©rimaire d’origine thaĂŻlandaise particuliĂšrement volubile m’a rĂ©cemment assurĂ© qu’il y avait peu de personnes touchĂ©es par le coronavirus covid-19 en ThaĂŻlande. Elle m’a mĂȘme donnĂ© le nom d’un traitement qui, Ă  l’entendre, serait trĂšs bon Ă  prendre de maniĂšre prĂ©ventive. Je n’ai pas su quoi faire de cette information. D’un cĂŽtĂ©, sa sollicitude m’a fait plaisir. D’un autre cĂŽtĂ©, je me suis dit qu’avec la peur de la mort, il devait sĂ»rement y avoir plein de personnes prĂȘtes Ă  tout prendre comme traitement si on leur garantissait que celui-ci pouvait les sauver. 

 

Il y a deux nuits, j’avais massĂ© ma fille et ma compagne. Le dos de ma fille, un peu son thorax, ainsi que ses pieds. Et le dos de ma compagne.  Une goutte d’huile essentielle de Niaouli et de Ravintsara dans de l’huile vĂ©gĂ©tale pour notre fille. Une goutte d’huile essentielle de girofle et de Niaouli ( dans de l’huile vĂ©gĂ©tale) pour ma compagne qui m’a ensuite rendu la politesse.

 

Je pense que se faire masser habillĂ©  (donc sans huile essentielle et sans huile vĂ©gĂ©tale) peut aussi ĂȘtre un bon moyen de s’aĂ©rer et de rĂ©cupĂ©rer physiquement et moralement. Ça fait du bien Ă  la personne massĂ©e, si elle est Ă  l’aise avec le fait d’ĂȘtre massĂ©e. Et ça peut aussi faire du bien Ă  la personne qui masse. Pour les personnes confinĂ©es, ça peut ĂȘtre un plus. En l’absence d’huile essentielle ou d’une huile vĂ©gĂ©tale dite de « massage Â», on peut utiliser un peu d’huile d’olive si possible bio. Le massage peut se faire en musique ou sans musique mais autant que possible dans une atmosphĂšre dĂ©tendue. Je parle Ă©videmment de massage bien-ĂȘtre. 

 

 

Franck Unimon, mercredi 25 mars 2020.

 

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Manu Dibango

 

 

 

 

                                                      Manu Dibango

 

 

 

Hier matin, en sortant du travail, je suis retournĂ© devant le PanthĂ©on. Il faisait trois degrĂ©s. J’étais retournĂ© lĂ  car, aprĂšs l’avoir plusieurs fois Ă©voquĂ© dans des articles prĂ©cĂ©dents ( tel que Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020 par exemple),  je voulais, cette fois-ci, silencieusement interroger ce symbole :

 

« Aux Grands hommes, La Patrie Reconnaissante Â»

 

J’ai Ă  nouveau pris des photos. Puis, j’en ai profitĂ© pour aller voir du cĂŽtĂ© de Notre Dame pour laquelle des milliardaires ont Ă©tĂ© prĂȘts Ă  mettre la main Ă  la poche afin de la faire reconstruire. Alors que l’on entend moins parler de ces milliardaires et de bien des cĂ©lĂ©britĂ©s quand il s’agit de rĂ©parer les hĂŽpitaux publics.

 

 

J’avais prĂ©vu de me servir de ces photos pour illustrer un article qui devait s’appeler :

 

Le silence des organes.

 

J’ai pris des notes pour Ă©crire cet article. Je savais qu’il serait long. J’étais inspirĂ©.

Je pourrais encore l’écrire. Mais je me suis dit qu’il y avait d’autres prioritĂ©s. Que je m’étais dĂ©jĂ  suffisamment exprimĂ© sur l’épidĂ©mie que nous connaissons. Qu’il me fallait revenir Ă  d’autres sujets davantage pourvoyeurs de vie.

 

« Le silence des organes Â» est une expression que j’avais dĂ©couverte Ă  la fin des annĂ©es 80 Ă  l’hĂŽpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre. Laquelle Ă©tait, Ă  ce que m’en avait dit ma mĂšre, une ancienne prison pour femmes.

La Maison de Nanterre Ă©tait aussi le « havre Â» de certains SDF. J’ai connu cet hĂŽpital dĂšs mon enfance. Ma mĂšre y a Ă©tĂ© aide-soignante pendant des annĂ©es dans un service de rĂ©animation. Et deux de mes tantes y ont aussi travaillĂ©.  

 

Lors d’un de nos cours, pendant mes Ă©tudes d’infirmier, nous avions rĂ©flĂ©chi Ă  la dĂ©finition que nous pourrions donner au fait d’ĂȘtre en bonne santĂ©. La personne qui animait le cours, ce jour-lĂ , nous avait sorti cette expression de ses recherches. Je me rappelle de mon amie BĂ©a, mon aĂźnĂ©e de plusieurs annĂ©es, une pointure en tant qu’infirmiĂšre, qui s’était exclamĂ©e :

« C’est fort ! Â».

Le silence des organes n’a donc a priori rien Ă  voir avec la mort. MĂȘme si on y pense trĂšs fort en ce moment et que le musicien Manu Dibango est mort aujourd’hui ou hier.  Du Coronavirus Covid-19. J’ai appris son dĂ©cĂšs tout Ă  l’heure par hasard, sur le groupe What’s App de ma famille.

 

Il est nĂ©anmoins quelque chose de trompeur dans cette expression, «  silence des organes Â», pour parler du fait que l’on est en bonne santĂ©. Car  chaque organe a son bruit spĂ©cifique lorsqu’il va bien. Par contre, son bruit se dĂ©range lorsqu’il va mal. Rappelez-vous lorsqu’un mĂ©decin vous dit de tousser, ou de dire « 33 Â», vous ausculte, alors que vous le consultez parce-que vous ne vous sentez pas bien. Entendre, Ă©couter les mouvements internes d’un corps, c’est aussi ce qui permet de savoir s’il est en « paix Â».

Il en est de mĂȘme lorsque l’on Ă©coute la voix d’un proche ou d’une proche. Il nous est souvent possible de dĂ©celer si elle ou s’il est dans son assiette si l’on connaĂźt cette personne vĂ©ritablement. 

Si l’on est un peu attentif, on peut assez bien percevoir si son attitude et son regard concordent avec ses propos pour peu que cette personne soit « vraie Â» devant nous. Pour peu qu’elle ne porte pas un masque et ne soit pas experte dans cette grande comĂ©die sociale qui consiste Ă  dire que tout va bien quand ça va mal mais aussi Ă  dire que ça va trĂšs mal alors que cela ne va pas si mal que ça.

 

Mais des organes vĂ©ritablement et dĂ©finitivement silencieux, Ă  moins d’ĂȘtre dans un Ă©tat de lĂ©thargie particuliĂšrement complexe et indĂ©tectable, et encore !, signifient quand mĂȘme notre arrĂȘt de vie dĂ©finitif. Tout au moins sous notre forme humaine habituelle. Ensuite, on peut Ă  peu prĂšs tout concevoir. Et, c’est ainsi que je me raccroche Ă  nouveau Ă  Manu Dibango, dĂ©cĂ©dĂ© Ă  86 ans.

 

Je ne pensais pas Ă  Manu Dibango lorsque dans un de mes rĂ©cents articles, j’écrivais qu’il y avait sĂ»rement des personnes que je « connaissais Â» qui allaient mourir dans l’épidĂ©mie. Pourtant, je pensais Ă  lui depuis quelques jours.

 

Il se trouve qu’il y a bientĂŽt deux semaines, ou un peu moins, je m’étais rendu dans un magasin afin d’aller acheter le dernier album de l’artiste de Maloya, DanyĂšl Waro.

 

DanyĂšl Waro fait actuellement partie des artistes auxquels je suis particuliĂšrement attachĂ©. Avec une Ann  O’Aro par exemple. Le Maloya est pour moi tellement proche du Gro-Ka, du LĂ©woz et du Bel-Air des Antilles qu’il a fini par me rattraper avec les annĂ©es. La boite de nuit parisienne,  Le Manapany, est sans doute l’endroit oĂč j’avais entendu du Maloya pour la premiĂšre fois dans les annĂ©es 90. Pourtant, j’ai oubliĂ© oĂč elle se trouve.

 

Et, il y a quelques jours, c’est en allant acheter le dernier album de DanyĂšl Waro, que j’ai fini par fureter dans les rayons de disques comme lors de mon adolescence. Peut-ĂȘtre le jour oĂč j’étais allĂ© voir l’exposition de la derniĂšre tournĂ©e de NTM – en accĂšs libre-  sous la canopĂ©e aux Halles encore pour un jour. Exposition (du 20 fĂ©vrier au 10 mars 2020)  dont j’avais appris l’existence par hasard ainsi que la fin le lendemain en me rendant au cinĂ©ma. En allant voir, je crois, le film L’appel de la ForĂȘt. J’avais prĂ©vu d’écrire sur cette exposition comme sur ce film mais je ne l’ai pas encore fait.

Cette photo fait partie de celles prises par le photographe Gianni Giardinelli lors de la derniÚre tournée du groupe NTM. Les photos ont été exposées sous la canopée des Halles du 20 février au 10 mars 2020.

 

Dans le magasin de disques, ce jour-lĂ , je me suis rapidement retrouvĂ© avec plusieurs disques. Un classique. C’est pareil dans un magasin de dvds et de blu-rays. Et c’est aussi comme ça dans la librairie et la mĂ©diathĂšque de ma ville en temps usuel.

 

AprĂšs plusieurs hĂ©sitations et quelques Ă©coutes, et en comparant aussi le rapport qualitĂ©/prix, j’étais reparti avec l’album de DanyĂšl Waro
.et cette compilation de Manu Dibango.

 

Autant l’album de DanyĂšl Waro ne m’a pas, pour l’instant, entraĂźnĂ©, autant la compilation de Manu Dibango m’a rapidement plu.

 

 

 

J’avais dĂ©jĂ  Ă©coutĂ© du Manu Dibango, il y a plusieurs annĂ©es. Je l’avais aussi vu en concert Ă  Cergy St-Christophe, sur l’esplanade de Paris, il y a environ vingt ans, lors d’un concert gratuit. J’ai le souvenir d’un trĂšs bon concert. Un trĂšs bon bassiste figurait parmi ses musiciens.

 

Manu Dibango, DanyĂšl Waro, Arno et d’autres font partie de ces artistes qui sont lĂ  pour la vie. Au delĂ  de soixante ans, on les voit sur scĂšne avec une envie et une Ă©nergie que beaucoup ont dĂ©ja perdu lorsqu’ils ont Ă  peine passĂ© les limites de l’adolescence. Je m’inquiĂšte par moments de ce qu’il me reste de ce passĂ©. 

 

Un article signĂ© Youness Bousenna dans le TĂ©lĂ©rama de cette semaine parle du documentaire La DisgrĂące  rĂ©alisĂ© par Didier Cros. Ce documentaire passe ce soir sur France 2 Ă  23h40. La DisgrĂące est fait du tĂ©moignage de cinq personnes dont le visage dĂ©figurĂ© occasionne une grande souffrance personnelle. Souffrance due Ă  la dĂ©formation de leur visage mais aussi Ă  la violence du regard des autres.

 

Dans cet article, Youness Bousenna Ă©crit entre-autres :

 

«  (
.) Sans commentaire, le film les laisse raconter leur souffrance initiale et la violence que le regard des autres y ajoute, la tentative d’apprivoiser son visage en mĂȘme temps que la solitude que celui-ci leur inflige Â».

 

J’ai beaucoup aimĂ© que Youness Bousenna me fasse entrevoir que chaque visage, dĂ©formĂ© ou non, est une solitude.  En marge de l’article, j’ai Ă©crit de la main gauche :

 

«  De cette solitude, certains visages Ă©mergent plus que d’autres Â».

 

 

Cet article m’a rappelĂ© le dĂ©but du livre de Nina Bouraoui, Tous les hommes dĂ©sirent naturellement savoir. Je savais oĂč je l’avais rangĂ© alors je l’ai rapidement retrouvĂ©. C’est un livre paru en 2018 et que j’ai sĂ»rement achetĂ© dĂšs sa sortie. Un de plus, parmi tous ceux que j’ai achetĂ©s, que je n’ai pas encore lus, et dont le dĂ©but est :

 

«  Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, malheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la Seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant ils sont mes miroirs. Nous formons un seul cƓur, une seule cellule. Nous sommes vivants Â».

 

Manu Dibango Ă©tait un homme joyeux. En tout cas sur scĂšne Ă  ce que j’ai vu. Son rire grave est aussi cĂ©lĂšbre que sa musique. Figure de Bokassa ou de CoupĂ©-ClouĂ© (les Antillais de plus de 50 ans sauront de qui je parle), Manu Dibango avait une stature et une autoritĂ© plus frĂ©quentables que celle de bien des dictateurs. Je me rappelle comment il avait expliquĂ© en rigolant que MichaĂ«l Jackson avait « oubliĂ© Â» de lui payer des royalties lorsqu’il avait utilisĂ© un de ses airs de musique pour composer un de ses titres.

Je me rappelle que lors d’un festival de Jazz retransmis Ă  la tĂ©lĂ©, Claude Nougaro s’était inclinĂ© devant Miles Davis, mon musicien prĂ©fĂ©rĂ©, alors que Manu Dibango existait de par sa seule prĂ©sence. Si la musique est aussi solitude, la sienne avait Ă©mergĂ© sans difficultĂ© cette soirĂ©e-lĂ  comme tant d’autres fois.

 

En prenant le temps de lire la prĂ©sentation de la compilation par Iain Scott, j’avais appris qu’avant d’ĂȘtre connu, Manu Dibango avait entre-autres jouĂ©, en France, avec Nino Ferrer mais aussi Dick Rivers et Johnny Halliday. Je suis souvent Ă©tonnĂ© par les alliances de certains artistes, que celles-ci soient musicales ou simplement amicales (telle l’amitiĂ© d’un Jacques Brel avec Johnny Halliday) comme par leur ouverture Ă  d’autres genres musicaux. Et, question ouverture, on peut dire qu’en Ă©coutant cette compilation de Manu Dibango, on entend aussi bien du Jazz, de l’Afro Beat, du Reggae, de la musique africaine. Et l’on comprend que le chanteur et bassiste Richard Bona (Ă©galement d’origine camerounaise) lui « doit Â» sans doute quelque chose.

 

Concernant la version Reggae de son Soul Makossa avec le duo Robbie Shakespeare et Sly Dunbar, en l’écoutant, on pense immĂ©diatement Ă  Serge Gainsbourg qui avait Ă©galement jouĂ© avec eux ainsi qu’avec les I-Threes « de Â» Bob Marley. Peu importe de savoir lequel avait eu l’idĂ©e le premier, Manu Dibango Ă©tait sans frontiĂšres question crĂ©ation musicale. Et le Rap ne lui a pas fait peur.

 

En Ă©coutant sa compilation, j’avais aussi beaucoup aimĂ© sa version de A La Claire Fontaine que j’avais postĂ©e sur ma page Facebook un ou deux jours avant d’apprendre sa mort. 

J’avais aussi eu envie de savoir quand il repasserait en concert. J’avais regardĂ©: un concert Ă©tait prĂ©vu en Martinique dans quelques mois. Ça faisait dĂ©ja un peu loin. 

 

Le rire de Manu Dibango est désormais entouré de silence. Mais sa musique continue de nous dire que nous sommes vivants. Et, ça, ça fait aussi beaucoup de bien à nos organes.

 

Franck Unimon, ce mardi 24 mars 2020.