Des articles mais aussi des diaporamas à l »ère » de la pandémie du Covid-19 qui a été « l’événement » de l’année 2020 dans le Monde. Même si tous les pays n’ont pas été touchés de la même façon par la pandémie.
Une cousine africaine parlait au téléphone, de l’autre côté de la rue, il y a quelques heures, à Argenteuil. Avant le couvre-feu. Elle portait un tailleur, des talons aiguilles, et malgré son masque anti-covid, personne, pas même un représentant de la BNP, n’aurait pu hypothéquer le bel arrangement de son apparence.
Quelques mètres plus haut, j’ai croisé une autre cousine. Alors qu’elle s’éloignait, et distançait peu à peu un cousin de l’âge de son père, celui-ci a regardé son postérieur. Il était aussi large qu’un avenir limitrophe mais encore trop proche des frontières d’un pays qu’il ne pourrait jamais atteindre. Et, il le savait.
Ces remarques n’ont rien à voir avec la rubrique Vélo Taffe puisque je revenais à pied – et bredouille- du magasin Babou lorsque j’ai assisté à ces deux micro-scènes de la vie courante. Mais je les trouve amusantes. Beaucoup plus que ce qui concerne les campagnes de vaccination et les vaccins anti-covid ( Pfizer, Moderna, Astrazeneca, Sputnik V, Johnson&Johnson) ou la manière dont il aurait fallu ou dont il faudrait s’occuper de l’épidémie du Covid. Peut-être que de même qu’il y a trois ou quatre opérateurs de téléphonie mobile qui se répartissent le marché des téléphones portables en France, qu’il y aura bientôt trois ou quatre labos qui se répartiront le marché de notre santé en France ou dans le monde. Mais nous sommes encore un petit peu loin de tout ça.
Il y a deux ou trois jours, maintenant, je suis tombé devant chez moi sur un couple d’amis. Nous nous sommes reconnus malgré nos masques.
Ils découvraient le magasin de produits exotiques africains qui a ouvert il y a bientôt six mois maintenant. Ils étaient là à regarder la vitrine sans trop oser y entrer quand j’y repense maintenant. Ils m’ont demandé si les articles alimentaires étaient bons. Oui. Ce magasin marche plutôt bien. Nous saluons régulièrement la commerçante.
Je n’avais pas croisé ces amis depuis un moment. Ils habitent à une dizaine de minutes de chez nous.
En discutant avec eux, j’ai compris qu’ils n’étaient plus sortis de chez eux depuis plusieurs semaines ou plusieurs mois. Lui, m’a dit : » On respecte les consignes ». Ils m’ont expliqué qu’ils pouvaient travailler depuis chez eux. Moi, j’avais un peu l’impression qu’ils sortaient de leur caisson de cryogénisation. Même s’ils étaient parfaitement présentables et que nous avons eu une conversation tout à fait convenable, comme « auparavant ». Ils avaient toujours la même syntaxe. Au moins en apparence. Car j’ai compris avec eux qu’il existait des comportements radicalement opposés par rapport à cet événement qu’est le Covid. Ou la Covid. Y compris au sein des couples.
Le Covid nous met devant nos rapports personnels avec la mort. Il y a très peu de mise en scène possible avec nos angoisses. Ce couple d’amis était apparemment encore uni et raccord par rapport à ce sujet. Lui, avait attrapé des cheveux blancs depuis la dernière fois que je l’avais rencontré. Cela n’a peut-être aucun rapport avec l’épidémie mais ça m’a fait un drôle d’effet.
Je ne leur ai pas dit que le matin, dans une pharmacie à Odéon, j’avais passé mon premier test antigénique. Car un de mes collègues était présumé positif au Covid. Et que, comme mes autres collègues, j’avais été considéré » cas contact ». J’ai eu le résultat au bout de quinze minutes comme deux employés sympathiques des impôts dont l’un des collègues avait attrapé le Covid :
Nous étions tous les trois négatifs.
Pour moi, le pire de l’angoisse, comme je l’ai répété à ce couple d’amis, même si depuis les variants du Covid se multiplient et que de plus en plus d’enfants l’attrapent apparemment( six classes ont été fermées dans l’école de ma fille après qu’un enfant ou une personne ait été positive au Covid dans chacune de ces classes), ça a été au mois de mars de l’année dernière.
Les premières semaines du premier confinement de l’année dernière avaient été les plus angoissantes. Je continuais comme aujourd’hui d’aller au travail. Et, au départ, il y avait une pénurie de masques. Jusqu’au début du mois de Mai où les masques avaient commencé à être « parachutés » dans les supermarchés et les pharmacies.
Puis, à partir de mi-juillet de l’année dernière, en partant quelques jours en vacances, je m’étais un peu plus « séparé » de l’angoisse. Même si je continue de vivre masqué lorsque je sors de chez moi.
Mais lorsque je suis à vélo pour partir au travail, je retire mon masque pour pédaler. Pour écrire aussi, sans doute.
Quelques remarques complémentaires à propos de l’expérience vélo pliant
Pour ce deuxième article de la rubrique Vélo Taffe après ( Vélo Taffe : une histoire de goudron), je joins des photos prises pendant mon trajet de travail lors de ces mois de février-mars 2021.
Si ma lampe avant- fixée à mon vélo lors de la vente- ne marche déja plus sans doute du fait des piles, je continue mes parcours à vélo pour aller au travail. Je viens de commander une lampe avant et une lampe arrière de la marque Lezyne que je ne connaissais pas. Je me suis fié au site d’un magasin de vélo devant lequel je passe, boulevard Raspail, en allant au travail. Magasin, ou plutôt chaine de magasins, que je ne connaissais pas non plus avant ces itinéraires à vélo : En selle Marcel.
Sur la route, je croise différentes sortes de vélos. Pliants, non pliants, course, non-course, vélib. Je me demande si, un jour, un type ou deux ou trois types de vélos s’imposeront. En espérant que ce ne soit pas le Vélib actuel. « Le » Brompton, dans les vélos pliants, continue d’avoir une aura particulière à mes yeux. Depuis mon premier article, j’ai appris en discutant un peu à un feu rouge avec un « bromptonien » que si le vélo est très bien, ses accessoires coûtent cher : 35 euros pour changer une plaquette de freins ? Mais ses pièces durent peut-être plus longtemps.
Le Brompton a aussi pour particularité d’avoir des roues de 16 pouces. Contre 20 pour mon vélo pliant (je m’étais trompé en disant que c’était des roues de 26 pouces). Concernant son prix, j’ai vu sur le site de En Selle Marcel qu’il est possible de payer son Brompton en quatre fois sans frais. Mais il faut quand même pouvoir donner 300 à 400 euros quatre mois de suite. Une seule mensualité de 400 euros, pour un Brompton, équivaut presque au prix de mon vélo B’Twin.
Je reste tout autant perplexe devant le nombre de têtes recouvertes par le casque de la marque Kask. Plus de cent cinquante euros, près de deux cents euros ou plus, le casque. On le leur aura peut-être offert.
Je croise aussi assez fréquemment des livreurs Deliveroo ou Uber Eats à vélo. Je m’applique généralement à les laisser passer. Leurs conditions de travail sont si difficiles.
Pour mes premiers trajets « vélo taffe », je passais par le carrefour de l’Odéon, un endroit très sensible pour la circulation. Que ce soit à vélo ou à pied. J’ai changé de parcours et je m’en trouve mieux. Même si le Boulevard Raspail m’apparait encore un peu long à monter.
Les photos seront sûrement un peu dans le désordre.
Franck Unimon, ce mercredi 31 mars 2021.
Cette photo a été prise il y a plusieurs semaines, maintenant. Il s’agit du théâtre de l’Odéon où des banderoles sont toujours présentes comme on le verra sur deux photos plus récentes.
En 1999, il y a 22 ans, j’aidais Vassili, un ancien collègue, à emménager dans son nouvel appartement à Asnières. Nous devions être quatre ou cinq.
Nous nous étions finalement retrouvés tous les deux, lui et moi, à transporter ses meubles depuis son appartement d’Auvers sur Oise jusqu’à son nouvel appartement à Asnières sur Seine. Près de la gare de Bécon les Bruyères. Un appartement de 60 mètres carrés ou un peu plus dans un immeuble ancien des années 30.
A cette époque, j’étais encore locataire. Et je n’avais encore jamais été « propriétaire » moi-même de mon propre appartement…moyennant un crédit immobilier de plusieurs années. Il m’avait fallu du temps pour accepter de changer de mentalité :
Pour passer de locataire où je payais un loyer mensuel. A l’idée d’un crédit immobilier que j’allais m’engager à rembourser tous les mois pendant plus de quinze ans. Car j’avais bénéficié, pour partie, d’un prêt à taux zéro. Ce qui était une nouveauté à l’époque, pour inciter à acheter.
Je connaissais des collègues, souvent en couple avec enfants, qui avaient « acheté » leur maison depuis plusieurs années. Leur exemple et les encouragements de certains d’entre eux avaient fini par me convaincre que c’était une bonne décision, pour moi, à mon tour, bien qu’encore célibataire, « d’acheter » et de devenir propriétaire, même d’une petite surface.
En 1999, j’aurais été incapable d’acheter cet appartement que venait d’acquérir Vassili. Plus âgé que moi d’environ dix années, Vassili avait aussi économisé. Vassili n’est pas du genre « coquet ». Il fait peu de dépenses. Moins que moi. Je crois aussi qu’il avait perçu un peu d’héritage. Son appartement me faisait envie pour sa surface, sa localisation et sa proximité avec Paris. Mais je crois n’avoir jamais eu les moyens de m’en acheter un pareil. A l’époque, je crois qu’il l’avait acheté – moyennant un apport financier et un crédit immobilier- 550 000 francs. A l’époque, ma capacité d’emprunt maximale était de 430 000 francs sur vingt ans. Je m’en étais tenu à un prêt de 350 000 francs pour l’appartement que j’allais acheter ensuite sur plan. Un 23 mètres carrés.
J’aurais sûrement « dû » prendre une surface plus petite que son appartement en cherchant dans l’ancien comme lui. Mais, à l’époque, j’avais besoin d’acheter dans du neuf. Cela me rassurait. J’avais sûrement besoin, aussi, de rester près de ma famille à Cergy-Pontoise :
De ma mère, de ma sœur et de mon frère au moins. Ma sœur avait alors 22 ans et commençait à peine à travailler pour gagner sa vie. Notre frère, lycéen, avait 17 ans. Bientôt, à la demande de notre mère, j’allais finalement accepter de renoncer à ma vie de célibataire et de locataire. Afin de permettre à ma sœur et à mon frère de vivre avec moi dans un F3 que nous allions louer et obtenir de la mairie de Cergy-St–Christophe en moins de trois mois. Ce qui serait impossible aujourd’hui en 2021 où toute demande de location prend facilement deux à trois ans voire plus, je crois, avant d’obtenir une réponse ou d’être satisfaite.
Enfin. En 1999, Vassili et moi en avions chié pour son déménagement. Sortir ses meubles de son appartement d’Auvers sur Oise avait été simple :
C’était au rez de chaussée.
Les monter dans son nouvel appartement avait été plus épuisant :
C’était au quatrième étage sans ascenseur.
Vers la fin, alors que nous avions monté une bonne partie des meubles, cela en devenait comique, Vassili décrétait que tout nouveau meuble qui restait allait finir sa marche :
« A la cave ! ».
J’étais sous le coup d’une rupture amoureuse. Cette rupture amoureuse m’avait donné suffisamment de motivation pour ces travaux de « force ». Mais, malgré elle, à la fin, j’avais approuvé ces décisions de fourguer ce qui restait des meubles…à la cave !
Après que nous ayons eus terminés, Vassili m’avait dit :
« Je te remercie infiniment ». Il avait aussi parlé d’une « reconnaissance éternelle ». Ces propos m’avaient un peu étonné.
Mais il est vrai que, même si par la suite, lui et moi nous sommes modérément revus ou appelés, notre relation est restée. Et, chaque fois que je l’ai sollicité par la suite pour un de mes déménagements, il a toujours été présent.
Depuis 1999, notre monde et nos vies ont plus que changé.
Prince et Michaël Jackson sont morts. Le Rap et internet ont essaimé. Les réseaux sociaux, les sites de rencontres type Tinder, Tok Tok ( Tik Tok ? ), Twitter, Snapchat, Instagram et autres aussi.
Le Ghosting s’est normalisé au même titre que la marchandisation des rapports humains.
On parle des mouvements Me#too et de Balance ton porc.
La numéro 2 de Facebook, une Américaine, Sheryl Sandberg, proclame :
« Le monde irait mieux avec les femmes aux commandes ». Mais aussi :
« Les pays gouvernés par des femmes ont eu les taux de mortalité dus au coronavirus les plus bas » (page 11 du journal « gratuit » Vingt minutes du lundi 22 mars 2021). « (….) Lorsque les hommes réussissent, les gens attribuent cela à leurs compétences. Lorsqu’une femme réussit, on attribue cela à la chance et au travail (….) ».
Toute personne qui a du succès ou une certaine réussite sociale, femme ou homme, blanche ou noire, le doit souvent, à mon avis, en plus de ses compétences, à la chance et au travail.
Chance d’être « arrivé » au bon moment, au bon endroit. « Chance » d’avoir rencontré les bonnes personnes au bon moment. A la place, d’autres, tout autant « compétentes » et « travailleuses » ont plutôt la malchance de rencontrer leur « fossoyeur », leur futur proxénète, leur exploiteur ou la mauvaise substance qui va les liquider.
Mais peu importe que ce que raconte Sheryl Sandberg puisse manquer de nuance ou occulter les travers de la firme puissante (Facebook) qu’elle représente. Comme toute personne qui a réussi (femme ou homme, de couleur blanche ou autre) ses paroles, du fait, de son « succès » auront toujours plus d’éclat et plus de légitimité que ceux de la personne lambda.
Même si Sheryl Sandberg – comme toute personne publique ayant réussi- raconte n’importe quoi. Cela me rappelle ces propos d’un joueur de Foot qui, après avoir rencontré Lilian Thuram, avait dit un jour à son propos :
« C’est un Monsieur ! ».
Là encore, peu importe d’être d’accord avec les positions de Lilian Thuram à propos du racisme, ou d’autre sujets. Puisque son très bon palmarès- récent et encore dans les mémoires– de Footballeur professionnel lui attribuait une aura immédiate. Sauf que si Lilian Thuram avait eu les mêmes idées en n’ayant qu’un CV de Footballeur de quatorzième division, le même footballeur professionnel, en le rencontrant, l’aurait sans doute à peine considéré.
Nous sommes nombreux à avoir ce genre d’attitude. Nous sommes souvent ébahis devant telle personne parce qu’elle a accompli ce que nous aimerions accomplir ou que peu ont accompli. Ce faisant, nous oublions qu’à notre niveau, nous réalisons l’impossible bien plus souvent que nous ne le croyons. Sauf que ce n’est pas médiatisé. Et que nous avons le tort, aussi, de l’oublier ou d’estimer que cela a bien moins de valeur que les actions de toutes ces « grandes personnes » surmédiatisées – souvent très bien entourées– que nous regardons. Parce-que, contrairement à elles, nous ne sommes pas le numéro un ou le numéro deux d’une émission de télé, d’une grande entreprise, d’un média réputé ou d’une équipe de Foot prestigieuse.
Lorsque hier matin, je me suis préparé pour aller donner un coup de main à Vassili pour ce déménagement, j’ai eu un moment de doute. Je me suis demandé pourquoi, à nouveau, j’allais me retrouver dans une situation où nous allions être si peu pour ce déménagement : Même la chaine TF1 serait absente.
En plus, la veille, j’avais commencé à avoir mal au genou au point de me demander si j’allais pouvoir être en capacité d’y participer. J’aime participer à des déménagements. Mais vingt deux ans étaient passés.
Pendant le déménagement, j’ai aussi connu quelques moments de flottement devant l’organisation un peu « empirique » de mon ami Vassili. Lorsqu’arrivés devant la porte du garage donnant accès au double box où nous allions entreposer ses meubles, lui-même ignorait si le camion allait « passer ». Il a aussi exposé quelques limites lorsqu’il s’agissait de piloter le dit-camion.
Le camion ne pouvait pas passer. Et entrer dans le garage. Heureusement que nous avons pris le temps de vérifier tous ensemble au préalable.
J’ai un peu entrevu le moment où ce déménagement supposé être « light » pouvait se transformer en épopée ou en sinistre. Ou en supplice de longue durée.
Finalement, cela s’est bien passé. Il a fallu un peu guider notre ami de temps à autre pour bien diriger le camion. Ainsi que dans les escaliers de l’immeuble en descendant un ou deux meubles volumineux assez lourds. Ou lui rappeler, en pleine pandémie du Covid, la nécessité de porter un masque voire lui en donner un alors que nous nous retrouvions à trois, côte à côte, dans le même camion.
Cependant, vingt deux ans plus tard, à nouveau, tout s’est bien déroulé.
Ce déménagement m’a permis de rencontrer une personne qui s’avère être scénariste de documentaires, être allé plusieurs fois en Afrique et dont la compagne est monteuse. Soit une personne que je suis en principe appelé à revoir.
Et, à la fin, notre ami Vassili, nous a pleinement exprimé sa reconnaissance. Alors que nous n’attendions rien de particulier de lui à ce moment-là, je crois, l’autre ami et moi.
Il m’a semblé que tous les vaccins contre le Covid, et tout ce fatras de certitudes que nous pouvons avoir sur bien des sujets ne valaient alors pas grand chose en comparaison avec ces remerciements de Vassili, cet engagement commun de nos corps pour réaliser ce déménagement, et la concrétisation ou la confirmation de cette amitié.
Sans doute parce-que je suis vieux jeu, has been mais aussi un loser. Car ce n’est certainement pas en m’y prenant comme ça que je passerai à la télé ou deviendrai numéro deux d’un grand média ou d’une grande entreprise.
A chaque coup de pédale, je prends le pouls du macadam. Je m’écarte de l’écrou des tumeurs que sont les correspondances du métro. Des cycles de « Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée ». (cf. Une ligne 14 à bloc ! )
Pour fuir cette mauvaise fumée et ces rimes qui puent des pieds, cela fait un peu plus d’un mois maintenant que je me rends à vélo au travail.
Quelques uns de mes critères pour le choix d’un vélo :
Depuis des années – bien avant la pandémie du Covid et premier confinement de l’année dernière qui a stimulé l’usage du vélo – je lorgnais sur le vélo pliant.
Je possède le même VTT plutôt léger depuis plus de vingt ans. Je suis déjà allé au travail avec lui depuis chez moi. Mais son inconvénient est que je dois le laisser dans un local fermé à dix minutes à pied de chez moi. Par manque de place à la maison.
Même s’il a vieilli et qu’il ne s’agit ni d’un vélo de luxe ou de compétition, je refuse de l’attacher dehors et de prendre le risque de me le faire voler.
L’avantage du vélo pliant est de pouvoir se ranger facilement chez soi. Mais aussi de pouvoir être amené à peu près partout avec autant d’aisance. En plus, en se renseignant un peu, on apprend qu’un vélo pliant peut être aussi rapide qu’un « vrai » vélo :
Un vélo de plus grande taille, avec braquets et plusieurs vitesses.
A condition de bien choisir son vélo pliant. Bien-sûr, il existe des premiers prix à 150 ou 200 euros mais j’ai facilement accepté le conseil d’éviter ces premiers prix. Il y a ce que j’appelle les « fausses économies» :
On prend un article le moins cher possible en pensant que cela ne vaut pas le coût. Et, finalement, en pratique, on le paie plus cher à mesure des ennuis mécaniques ou autres. Sauf que, là, personne ne vous dira « Veuillez nous excuser pour la gêne occasionnée » pendant que vous regarderez passer les autres cyclistes bien heureux de continuer de rouler tout en vous ignorant ou, au mieux, en vous offrant un air désolé.
Il y a donc un minimum à mettre dans un vélo, pliant ou non, afin de se garantir une bonne durée de vie. Il y a plus de vingt ans, j’avais décidé de mettre 3000 francs dans mon VTT. Je m’étais renseigné auparavant sur la qualité des pièces de la marque Shimano qui constituaient le vélo. C’était une somme assez importante même pour l’époque. Mais je pouvais alors me le permettre. Et, aujourd’hui, plus de vingt ans plus tard, je peux témoigner du fait que je n’ai pas eu de mauvaise surprise ou de regret concernant cet effort financier.
Je me suis surtout servi de mon VTT pour des parcours que l’on réserve aux VTC ou aux vélos de course. Je suis un vététiste du dimanche. Mais je voulais un vélo solide qui puisse aller partout si j’en avais le besoin. Et puis, je considère le vélo comme l’une des meilleures inventions mécaniques de l’être humain. Aussi, je crois qu’il faut savoir mettre le prix lorsque l’on s’achète un vélo.
Il y a encore des gens qui gardent leur vélo toute leur vie et qui le transmettent à leurs enfants. Pour moi, ce genre de bien a une valeur particulière en plus d’avoir un usage pratique évident. Je m’en rends bien compte lorsque je croise de temps en temps, celles et ceux qui partent fourailler dans les poubelles récupérant ce dont d’autres se débarrassent. Ces « fourailleurs » sont souvent à vélo. Car c’est plus pratique pour se déplacer sur des kilomètres et pour transporter des objets en faisant le moins d’efforts possibles.
La marque Brompton :
La marque Brompton est actuellement, et depuis des années, la Rolls du vélo pliant. La première fois que j’avais croisé un Brompton, c’était au quartier de la Défense, au centre commercial Les Quatre Temps il y a plusieurs années. C’était dans un magasin de bricolage. Le vélo se trouvait avec son propriétaire. Celui-ci m’avait répondu en être content.
Le vélo m’était apparu beau. Il m’avait donné envie. Mais, à l’époque, je n’avais pas de besoin particulier de vélo pliant. Je n’ai aucune idée ou aucun souvenir de son prix. Par contre, aujourd’hui, le prix d’un Brompton est exorbitant. Je veux bien mettre de l’argent dans un vélo mais, psychologiquement, et financièrement, j’ai des limites.
Le premier prix pour un Brompton dépasse les 1200 euros. Ensuite, il y a tout un tas d’autres critères à prendre en compte :
Le nombre de vitesses, le poids etc….
Il m’a été conseillé de prendre un vélo pliant qui dispose au moins de six vitesses. Quant à la taille des roues, je crois que l’on m’avait recommandé un diamètre de 26 pouces.
Mais lorsque l’on se trouve sur un site qui vous présente les vélos Brompton, vous avez un certain nombre de modèles sauf que le prix, lui, reste de plus en plus agressif pour votre compte en banque.
J’achèterai peut-être un Brompton, un jour, pour me faire plaisir d’autant que pour en avoir croisé quelques uns sur la route, les Brompton me semblent pourvus de spécificités qui les rendent particulièrement aérodynamiques et performants. Sans forcer. Mais, pour l’instant, c’est trop cher pour moi.
La marque Tern :
Moins connue que Brompton, assez confidentielle, cette marque semble offrir des gages de fiabilité mais aussi d’accessibilité financière plus facile par rapport à la marque Brompton. Mais son premier prix se situe aux alentours de 800 euros si j’ai bien retenu. A nouveau, je veux bien mettre de l’argent dans cette technique de pointe qu’est le vélo pliant, mais j’ai pour l’instant du mal à allonger 800 euros dans un vélo pliant qui, pour moi, reste un vélo miniature. Même si j’ai pu apprendre qu’un « vélo pliant peut être aussi rapide qu’un vélo normal…. ».
Pour choisir son vélo, on peut aussi le faire selon des canons esthétiques. Pour ma part, je trouve qu’esthétiquement, il y a aussi des beaux vélos dans la marque Tern. Pour faire un jeu de mot très facile: les vélos Tern sont loin d’être ternes.
Mais le premier prix est à 800 euros ensuite ça grimpe assez haut, aussi.
La Marque Moma :
Je n’ai rien lu de particulier sur cette marque. Mais d’après ses prix, je trouve cette marque sur la ligne des prix pratiqués par la chaine Décathlon. Je parle de cette marque parce-que j’en ai croisé quelques uns et que leurs propriétaires en semblaient satisfaits. Le vélo était assez passe-partout et jouait son rôle de vélo pliant.
Mon attirail :
J’ai opté pour ce qui est actuellement le vélo pliant le plus haut de gamme chez Décathlon : Le B’Twin Tilt 900 qui coûte 499 euros et un petit peu plus si l’on prend la formule crédit pour l’acheter. En trois ou quatre fois. Ce que j’ai fait.
Pourquoi ce modèle ?
Tout d’abord, j’avais et ai un a priori défavorable sur la marque B’Twin de Décathlon. Même si je veux bien croire que la chaine Décathlon fasse des recherches pour améliorer ses produits et les amener au prix le plus accessible en fonction des possibilités de sa clientèle, pour moi, Décathlon reste connoté comme une sorte de TATI des articles de sport. Même si j’ai pu acheter bien des articles de sport à Décathlon et en ai été plutôt satisfait.
Mais il y a un déficit d’image ou d’éducation de ma part envers la marque Décathlon:
Pour moi, un vélo Décathlon est de qualité moyenne. Peut-être parce-que Décathlon reste une chaine de grande surface et, qu’en tant que telle, je crois qu’elle ne peut offrir qu’un conseil bas de gamme puisqu’elle privilégie les gros volumes lorsqu’elle vend des produits. Et vu qu’ils sont à un prix courant ou « facile », ce n’est pas grave, si, à un moment ou à un autre, l’article que l’on a acheté « chez » Décathlon nous lâche. Il suffit d’aller en racheter un autre à un prix tout autant abordable que le premier.
Par ailleurs, des avis que j’ai pu lire sur le B’Twin Tilt 900 sur le net étaient très critiques. Même si, ensuite, des avis relativisaient expliquant que, depuis, Décathlon avait rectifié ce qui n’allait pas. Mais sans communiquer à ce sujet.
C’est après avoir vu le film Maudit !- un film d’Emmanuel Parraudd’Emmanuel Parraud en projection de presse que je me suis décidé à aller commander mon vélo pliant. C’était pendant les vacances scolaires du mois de février.
Dix jours plus tard, je recevais un mail ou un sms m’informant de son arrivée dans le magasin où je l’avais commandé.
J’ai opté pour le B’Twin Tilt 900 car 500 euros était le maximum que je pouvais accepter de mettre, psychologiquement, dans l’acquisition d’un vélo pliant. Et je me suis dit qu’en prenant le haut de gamme actuel de Décathlon, je pourrais me faire une idée assez juste de ce que peut offrir un vélo pliant à peu près convenable.
Qu’a mon vélo pliant de convenable ?
Son poids, par exemple : 12, 2 kgs. Certains vélos pliants font 14 kgs. D’autres peuvent ne faire que 8 kgs mais ils sont nettement plus chers que le mien. J’ai oublié le poids de mon VTT. Mais 12,2 kgs, c’est assez facile à soulever.
Son nombre de vitesses : Il en a neuf. Certains vélos pliants n’ont pas de vitesse ou en ont six. D’autres en ont peut-être plus.
Concernant la façon de le plier, j’ai compris que la façon de plier son vélo varie selon la marque. Vu qu’il s’agit de mon premier vélo pliant, je n’ai aucun élément de comparaison. Mais je peux néanmoins dire que s’il est affirmé qu’il suffit de quinze secondes pour le plier et le déplier, que je continue plutôt de mettre une bonne minute pour le faire. Je ne suis peut-être pas très doué alors que le personnel de Décathlon, lui, subit peut-être des entraînements intensifs de pliage et de dépliage de vélo. Mais ça n’est pas grave. Car même en prenant une minute ou deux pour le plier ou le déplier, c’est assez simple. Ensuite, c’est agréable de pouvoir s’en aller sur son vélo et de voir comme on se déplace aisément plus rapidement que les piétons.
De toute façon, même déplié, le vélo prend en effet une place raisonnable dans le train. En effet, si je me passe du métro dans Paris pour aller au travail et en repartir, je continue de prendre le train pour aller jusqu’à Paris et en repartir.
Gare d’Argenteuil, février 2021.
La maniabilité de mon vélo me paraît bonne.
Question vitesse, je peux confirmer qu’il m’est arrivé, à mes débuts, de surprendre quelques cyclistes, sur leur vélo « monté » en les rattrapant sans trop forcer puis en les dépassant y compris dans une montée. En remontant le boulevard St Michel par exemple vers le jardin du Luxembourg. Ce fut assez amusant de facilité.
Ses limites :
A la fin de ma première journée de vélo pliant, j’ai quitté le travail tout content. Et puis, sur les pavés de la place de la Concorde, alors que j’étais à quelques minutes de « l’arrivée » ( la gare St Lazare, pour moi), ma roue avant a déchaussé sans que je ne comprenne pourquoi.
Quelques secondes plus tard, j’étais en train d’essayer de me rattraper sur mes deux pieds alors que je me dirigeais dans un sprint survolté vers le haut trottoir qui borde les pavés. Prêt à tenter les qualifs pour le championnat de France des dix mètres. J’ai réussi à éviter de heurter la « haie » du trottoir. Mais, malgré toute ma volonté pour m’arrêter, mon avant-bras gauche a buté contre un feu de signalisation. L’arrière gauche de mon casque, dans un élan de solidarité, a suivi. Je me suis aussi fait mal au majeur de ma main droite. Depuis, à cette main-là, j’ai encore le doigt d’honneur un peu douloureux. Mais ça va de mieux en mieux même si je m’en sers peu.
Je ne roulais pas particulièrement vite lors de ma chute. Le sol était plutôt sec. Il faisait plutôt jour. Je n’avais de problème de visibilité particulier. Je n’étais pas fatigué plus que de raison ou distrait.
Très vite, deux cyclistes se sont arrêtés à ma hauteur sur le haut trottoir. Ils allaient dans le sens inverse. Ils m’ont demandé si ça allait bien. Mais, oui ! Même si je ne voyais pas ce qui avait bien pu se passer.
Le cycliste le plus proche m’a dit :
« ça a été impressionnant à voir ! ». Je les ai remerciés. Puis, ils sont partis.
Je n’ai pas eu le temps d’avoir peur. J’ai plutôt été en colère. Une chute aussi idiote dès le premier jour. Alors que tout allait bien.
Par précaution, avant de prendre le train, je suis allé voir les pompiers de la gare St Lazare afin qu’ils m’examinent. J’ai ainsi appris qu’était est fréquent que des personnes glissent sur les pavés de la place de la Concorde. Depuis, même si j’ai vu et continue de voir des cyclistes prendre ce passage avec leur vélo pliant, je l’évite en passant sur le trottoir. A ce jour, je n’ai pas fait d’autre chute. Et, Boulevard Raspail, à quelques mètres derrière moi, récemment, un jour de pluie, c’est un conducteur de Vespa qui a chuté. Sans gravité. J’avais entendu parler du fait que les Vespa ont une très mauvaise stabilité. Pourtant, les pneus de la Vespa sont plus larges que ceux de mon vélo pliant qui sont d’ailleurs supposés bénéficier d’une bonne adhérence.
J’ai oublié de dire qu’après ma chute, je me suis racheté un nouveau casque de vélo. Alors, je vois assez régulièrement des personnes porter le très beau casque de la marque Kask. Je me demande souvent comment elles font. Ce casque coûte plus de 150 euros. Je trouve ça très cher. Même si je tiens à ma vie et à ma tête. Le nouveau casque, de la marque Abus, que j’ai acheté (chez Décathlon) m’a coûté 50 euros.
L’autre limite que je vois concernant mon vélo, c’est sa « sujétion » au vent. Lorsque je pédale et que je reçois un vent de travers, j’ai un peu l’impression d’être sur la mer, emporté par le courant. Mais ce n’est peut-être qu’une impression.
Les pièges du vélo d’une manière générale :
Libéré du carcan des correspondances de métro comme de l’attente de son moyen de transport pour se rendre d’un point A à un point B, la tentation est grande de vouloir décider de fractionner l’espace-temps. Et de foncer. Peu importe la signalisation- ou les autres- et peu importe quelques mesures de précaution.
Je peux ainsi témoigner du fait que Batman fait du vélo. Il a la trentaine, pédale sans casque, sur un vélo de course de taille normale, mesure environ 1m65 pour une cinquantaine de kilos. Et sprinte, avec son manteau de Columbo grand ouvert, au point de laisser sur place le cycliste sportswear qui porte un sac de la marque WANDRD PRVKE , qui, au feu rouge, ne peut que le voir disparaître, une fois son excès de vitesse accompli.
Mais ne me faites pas dire que Batman est seulement un homme. Avec ou sans Brompton – qui semble optimiser les effets de la poussée rectale de celles ou ceux qui avancent sur ce genre de vélo- Batman peut aussi être une femme.
Des livreurs de Mc Do, après l’heure du couvre-feu durant la pandémie du Covid, près du Panthéon, février ou mars 2021.
Batman peut aussi être un livreur (je vois beaucoup moins de livreuses de repas). Un livreur qui, près du carrefour de l’Odéon, s’engueule avec un chauffeur de bus alors que celui-ci a la priorité ( à droite) lorsqu’il débouche assez subitement. Le livreur voit alors le chauffeur de bus comme celui qui l’empêche de faire son travail et de gagner sa vie ! Tout ça, pour s’arrêter à peine cinquante mètres plus loin où se trouve sa « base » en quelque sorte.
La vitesse est l’un des ennemis des cyclistes. Prendre son vélo pour aller plus vite est selon moi un des grands pièges. En ce moment, après plusieurs essais d’itinéraires, je mets entre 27 et 32 minutes pour aller au travail et en revenir. Un de mes collègues, pour le même trajet, met….18 minutes. Tranquillement. Il m’a précisé qu’au début, il mettait 30 minutes, tout transpirant. Mais je ne me lancerai pas dans une compétition du chrono à vélo pour aller au travail.
Les avantages et les bénéfices du vélo pour aller au travail :
Outre l’aspect pratique, se rendre là où l’on a besoin ou envie d’aller, il y a le fait, de concilier comme on le dit « l’utile et l’agréable ». On ne dépend pas d’un métro ou d’un bus. On a donc une certaine liberté ou une certaine autonomie. Et, en plus, on fait du sport sans se dire forcément que l’on fait du sport. Ce qui reste l’une des meilleures manières de faire du sport : en réalisant un acte concret et utile. Et, mieux, de manière ludique.
Si je mets entre 27 et 32 minutes pour réaliser mon trajet, c’est parce-que je ne force pas trop pour aller vite. Parfois oui, parfois non. Et, dès qu’à un endroit, je trouve que ce serait bien de prendre une ou deux photos, je m’arrête pour prendre ma photo. Je peux même faire un petit détour s’il le faut. Puisque, de toute façon, j’ai prévu large en partant de chez moi. Et, quand je rentre du travail, je ne fais pas la course.
Mais l’avantage et le bénéfice les plus étonnants à aller au travail à vélo à chaque fois comme je le fais depuis que j’ai mon vélo pliant, c’est qu’en quelques semaines, j’ai déjà pratiquement oublié ce que ça fait de sortir de son train, descendre les escalators, rejoindre sa correspondance, poireauter sur un quai de métro (ou de RER) en attendant que le véhicule ferroviaire arrive. Monter, descendre des escalators, des escaliers. C’est vraiment une vie de con ! Et, le pire, c’est qu’on l’accepte rapidement, cette vie de con.
Rouler sous la pluie m’invite à la prudence pour la glisse. Mais, à part ça, avec des vêtements adéquats, ça se passe très bien. En arrivant au travail, comme je suis en avance, je me douche, je me change puisque j’ai cette possibilité-là. Et puis, c’est parti pour la journée ou la nuit de travail.
S’il fait froid, faire du vélo, avec, là aussi, les vêtements adéquats, ça réchauffe et ça stimule. Le point sensible reste les mains. Trouver des bons gants lorsqu’il fait froid selon la thermorégulation qui est la nôtre peut être un exercice assez difficile. Mais la solution est sûrement à portée de main dans un article ou une astuce que l’on n’a pas encore dénichée.
C’est plutôt s’il fait très chaud que cela m’incommoderait un peu de faire du vélo.
Mais le risque maximal, pour moi, c’est en cas de verglas voire de neige. Ce serait, pour moi, les seules raisons qui pourraient, pendant deux ou trois jours, me décider à recommencer à venir au travail en prenant le métro etc….à ceci près que, je peux aussi marcher. Si je m’y prends suffisamment à l’avance. Si ce n’est pas trop loin. ça me fait sourire lorsque, dans la rue, on me dit que « c’est loin », alors qu’il s’agit de marcher quinze minutes.
Vélo Taffe : pourquoi ce titre ?
J’ai découvert l’expression « vélo-taf » il y a seulement quelques mois. Mais au moment d’écrire cet article, il m’a amusé de faire un jeu de mot.
Si je suis non-fumeur depuis toujours, j’aime ces moments, où, l’on prend le temps de s’apesantir comme lorsque l’on prend une taffe. C’est un petit peu mon équivalent du Birth of the Cool de Miles Davis, lorsqu’il avait décidé de ralentir le tempo du Jazz qui se jouait alors.
Donc, Vélo Taffe, non pour se remplir les poumons et le cerveau- ou les autres organes- de tumeur et de nicotine. Mais pour prendre le temps de respirer. Pour retrouver son souffle et son inspiration. En regardant à nouveau autour de soi.
Si l’article de cette nouvelle rubrique a été long, c’est parce-que cela faisait plusieurs semaines que je pensais à m’y atteler. Mais je ne disposais pas du temps nécessaire. Les articles suivants devraient être plus courts.
Article écrit avec le concours de l’album Myopia d’Agnes Obel, et, avant cela, de l’album The Good, The Bad & The Queen du groupe du même nom ( avec Feu Tony Allen) et de l’album Meat is Murder de The Smiths que je découvrais.
Vouloir faire resurgir le passé, c’est aspirer au voyage avec le navire coulé.
Ce jour que l’on voit enfin se rapprocher arrive peut-être avec une pierre. Et cette pierre sera pour nous. Même si l’on a travaillé avec intelligence afin que notre trajectoire s’améliore.
Il y aura bientôt pire que ce que nous vivons. Je suis désolé de l’écrire. Ce n’est pas dans mes habitudes d’être pessimiste. Et, je ne me sens pas particulièrement pessimiste, ce qui est peut-être pire.
Si la majorité l’emporte en théorie, je constate autour de moi que la majorité n’attend qu’une chose. Car, comme la majorité, je suis très nombriliste et résume le monde à ce que je vis et à mon entourage immédiat :
Recommencer à vivre, aussi vite que possible, comme « avant » l’épidémie. Retrouver certaines libertés.
Forum des Halles, Février 2021.
Les vaccins anti-Covid sont beaucoup attendus parce-que l’on espère qu’ils vont aussi nous inoculer le passé d’avant l’épidémie.
Je « sais » très bien que des personnes ont perdu leur emploi, vont le perdre ou risquent de le perdre à cause du Covid et ses variants. Ainsi qu’à cause du bizness que font certains labos- et quelques gouvernements- avec les vaccins.
Je « sais » aussi que d’autres personnes sont décédées, vont décéder, ont perdu un proche ou une connaissance ou sont tombées malades. Et, je peux faire partie d’eux bientôt sans le voir venir même si j’ai été prévenu.
Je m’abstiendrai de comparer ma vie à celle d’une personne en prison que ce soit dans un centre pénitentiaire ou enfermée dans une maladie mentale et physique. En ce moment, alors que j’écris, j’ai toute latitude pour exposer mon idiotie. Et comme tout idiot, je me répands en me croyant un peu original. Je ferais sûrement mieux de faire des mots croisés ou de regarder une série dans mon coin comme d’autres le font. D’ailleurs, j’ai commencé à regarder la dernière saison, la cinquième, de la série LeBureau des Légendes crééé par Eric Rochant. Je n’envie pas du tout la vie de ces agents secrets qui passent leur temps à frôler leur dernier souffle comme à se méfier de tous.
Il y a tellement de décisions et d’habitudes que nous prenons de nous-mêmes depuis des années et qui nous verrouillent un peu plus tous les jours. Pour toutes sortes de raisons que nous sortons de notre manche et que nous justifions. C’est notre magie personnelle. Celle qui nous guidait et va continuer de le faire. Comme avant l’épidémie. On peut donc comparaitre libre tous les jours et être déjà plus ou moins en prison. Et aussi contribuer à emprisonner d’autres personnes autour de nous.
C’est ce que j’appelle des conventions.
Des conventions de pensée. Des convictions intimes. Des conventions de comportements et d’attitudes envers la vie. L’inconvénient des conventions – ou des protocoles – c’est que même si elles sont foireuses, une fois rôdées, on les laisse nous guider de manière automatisée. Puisque la majorité les adopte ou les accepte, c’est donc qu’elles sont justifiées. Et puis, une fois lancées, il est très difficile de les arrêter.
C’est bon, pour vous ?!
Ce jeudi matin, la secrétaire de cette clinique du 15ème arrondissement de Paris finalise au téléphone la prise d’un nouveau rendez-vous. Elle a la trentaine. Un peu plus tôt, de manière accueillante, elle m’a reçu. J’avais quinze minutes d’avance. J’ai fait un peu d’humour quand elle a d’abord cru comprendre que j’étais pompier. Elle a souri.
Puis, je me suis installé dans la salle d’attente vide où se trouvaient deux stagiaires en pédicurie-podologie. Peu après, ceux-ci sont partis rejoindre un des chirurgiens dans son bureau. De temps à autre, par les portes restées ouvertes des bureaux, j’entends donc des bouts de conversation. La leur. Et celle que la secrétaire a de temps à autre avec une autre femme qui se trouve dans un des bureaux. L’ambiance est détendue. Bien qu’il ait gelé la veille ou l’avant veille et qu’il fasse assez froid dehors, il y a également une belle luminosité. En arrivant, j’ai repéré une boulangerie qui m’a l’air de faire du bon pain. J’y passerai après mon rendez-vous.
Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.
La secrétaire vient de m’apprendre que la chirurgienne que je viens consulter va avoir « quinze minutes de retard ». J’accepte assez facilement les retards des autres. D’abord parce qu’il m’arrive d’être en retard. Mais aussi parce-que je trouverais idiot d’avoir un accident parce-que l’on se presse pour un rendez-vous pour lequel on est en retard. Ce qui m’importe, c’est, une fois sur place, la disponibilité que l’on a pour l’autre ou pour son travail. Bien-sûr, Il y a des rendez-vous où il faut être ponctuel ou en avance. Il ne servirait à rien de se rendre à un aéroport en retard et de crier depuis le taxi alors que notre avion a décollé : « Maintenant, je suis disponible ! ».
Je viens voir cette chirurgienne pour un troisième avis. En banlieue parisienne, à Cormeilles en Parisis, un chirurgien m’a bien opéré il a trois ans. Il est réputé dans son domaine. Mais chaque fois que je lui pose certaines questions, il ne me répond pas vraiment. Je vais le revoir bientôt à Eaubonne. A cause du Covid et de mon emploi du temps qui a changé en commençant un nouvel emploi, j’ai dû repousser plusieurs fois ma prochaine consultation avec lui.
Pendant les vacances de Noël, j’ai vu un second chirurgien dans une clinique du 16ème arrondissement de Paris. Sympathique, celui-ci a aussi été pédagogue et suffisamment convaincant pour l’opération du pied à propos de laquelle je m’interroge. Deux techniques sont possibles. J’avais refusé jusqu’alors l’une des deux techniques. Ce chirurgien m’a donné des bons arguments. Puis, il m’a invité à prendre le temps de la réflexion. J’avais dit à ce chirurgien que je sortais d’une nuit de travail et que j’étais infirmier. Il a refusé de me répondre lorsque je lui ai demandé le coût de l’opération. Le premier chirurgien, lui, m’avait donné son tarif quand je lui avais posé la question : 400 euros. Une toute petite partie remboursable selon ma mutuelle. Mes consultations avec lui me coûtent entre 50 et 80 euros. C’est déjà cher pour moi. Mais l’opération était nécessaire. Et j’ai préféré mettre le prix pour me garantir la meilleure opération possible. Plutôt que de me livrer au premier chirurgien venu.
Dans la clinique du 16ème arrondissement, la consultation avec le second chirurgien m’avait coûté environ 110 euros. Quand j’avais présenté ma carte bancaire, la secrétaire m’avait rappelé que l’on pouvait payer uniquement en espèces ou par chèque ! C’était indiqué ! Il y avait bien un distributeur de billets mais c’était « loin » m’avait-t’elle alors répondu. Elle allait donc attendre que je lui envoie mon chèque par la poste pour m’adresser ensuite ma feuille de soins me permettant d’être remboursé. Partiellement. Puisque ce chirurgien pratique aussi le dépassement d’honoraires.
Je ne compte plus toutes ces personnes qui m’ont affirmé qu’un lieu était « loin » dès lors qu’il s’agit de marcher quelques minutes.
J’avais pris soin d’aller tirer de l’argent dans ce DAB qui était « loin » et de revenir quelques minutes plus tard donner l’argent de la consultation à la secrétaire de cette clinique du 16ème arrondissement.
La chirurgienne que je viens voir aujourd’hui dans le 15ème arrondissement de Paris m’a été recommandée par le médecin du sport fédéral que je consulte ces derniers mois. Il m’a dit que l’atout de cette chirurgienne est qu’elle n’a pas :
« Le bistouri entre les dents ! ».
Je consulte ce médecin du sport à Levallois, une ville de banlieue parisienne, dans les Hauts de Seine, le département du 92. Levallois est une ville plutôt cossue. C’est la petite sœur de Neuilly, dans le 16èmearrondissement. Depuis un peu plus de dix ans, je suis venu habiter à Argenteuil pour me rapprocher de Paris. L’immobilier, dans l’ancien, y était plus abordable que là où j’habitais auparavant à Cergy-le-Haut, une ancienne ville nouvelle plus éloignée de Paris et plus proche du Vexin.
Ce médecin du sport de Levallois m’a aussi conseillé un nouveau podologue. J’étais devenu insatisfait du second podologue que je voyais depuis quelques années dans la ville de St-Leu la Forêt.
La veille de mon rendez-vous avec cette chirurgienne, j’ai revu ce nouveau podologue dans un cabinet situé près du jardin du Luxembourg. Pour venir chercher mes nouvelles semelles orthopédiques. La pratique du sport et l’âge m’ont rendu indispensable l’usage de semelles orthopédiques. On peut aimer les œufs sur le plat. J’ai les pieds plats. C’est moins grave que d’avoir le diabète, un cancer, une psychose, de l’hypertension, des problèmes de poids, de dos…. ou le Covid.
Mais, d’un point de vue biomécanique et pratique, avoir les pieds plats, lorsque l’on sollicite son corps sur la terre en faisant du sport, cela entraîne des déséquilibres et des tensions de l’appareil locomoteur qui peuvent donner des tendinites, des douleurs musculaires ou ligamentaires. Si j’étais une personne strictement sédentaire et imperméable au sport, évoluant uniquement dans l’eau, sur l’eau, ou dans les airs, ou jouant régulièrement d’un instrument de musique, j’aurais peut-être pu me passer de ces semelles. Mais le sport terrestre fait partie de ma vie. Même si j’en pratique moins qu’auparavant et moins que je ne le voudrais.
Pour ce podologue, avec mes nouvelles semelles conçues avec la 3D, une opération du pied n’est plus justifiée. Le cabinet de ce podologue se trouve donc près du jardin du Luxembourg, à Paris. Cet endroit, pas plus que le 15èmearrondissement ou le 16ème arrondissement de Paris, ou Levallois, ne fait partie de mes foyers de vie. J’ai beau avoir un travail et un salaire fixe depuis plus d’une vingtaine d’années, je n’en n’ai pas les moyens. J’ai toujours vécu en banlieue parisienne. Dans une ville où se loger était financièrement plus accessible. Lorsque j’entendais parler d’un loyer de 3000-3500 francs en plein Paris pour un appartement de 25 à 30 mètres carrés, un montant courant dans les années 90, je me comportais comme un cheval refusant mentalement et physiquement de franchir l’obstacle.
Je suis allé très loin dans mon refus et mon ignorance : Il y a plus de vingt ans, lorsque le prix de l’immobilier à l’achat, à Paris, dans l’ancien, était encore présentable, j’ai raté le coche. J’ai préféré jouer la « sécurité ». Faire un prêt immobilier sur 15 ans pour acheter sur plan dans le neuf un studio de 23 mètres carrés à Cergy-le-Haut, dans le Val d’Oise, une ville que je connaissais et où j’habitais depuis une quinzaine d’années. A plus de 45 minutes en transports en commun du jardin du Luxembourg ou du 15 ème arrondissement où j’ai rendez-vous avec cette chirurgienne.
Je me rendais alors à Paris, souvent dans les mêmes endroits, toujours pour mes loisirs ou pour des achats.
Pour le même prix que mon studio, un ou deux ans plus tôt, une de mes amies qui vivait alors à Paris, avait acheté dans le 19ème arrondissement, près de la Villette, un appartement de 45 mètres carrés, en loi carrez, dans l’ancien, au sixième et dernier étage sans ascenseur d’un immeuble. Elle avait fait faire quelques travaux.
Elle avait eu une très bonne intuition. C’était avant le passage à l’euro.
A moins d’être « parrainé » par quelqu’un de bienveillant et de clairvoyant, lorsque l’on ignore la façon dont tourne l’horloge du monde ou d’une société, on accumule rapidement plusieurs fuseaux horaires de retard. On prend donc de plus ou moins bonnes décisions en s’appuyant sur nos conventions. Même si l’on est travailleur et passablement intelligent. Et nos décisions, lorsqu’elles sont mauvaises, peuvent être de bonnes décisions que nous avons prises avec plusieurs fuseaux horaires de retard….
Je ne suis pas riche. Mais, comme beaucoup, je suis travailleur et je peux me lever tôt. Y compris pour effectuer un certain travail non rémunéré. On dit qu’il faut aussi faire ce que l’on aime par plaisir et sans attendre pour autant de faire de l’argent avec. J’applique cette convention au moins pour ce blog mais aussi en amitié et dans mon métier d’infirmier en psychiatrie et en pédopsychiatrie : lorsque je m’engage dans mon travail, généralement, je ne pense pas à l’argent qui va arriver sur mon compte en banque. Ce n’est pas ma première motivation. Et, c’est sans doute, aussi, ce qui, depuis des années, m’a lourdement pénalisé. Pour ne pas dire « planté » dans une certaine évolution personnelle et sociale.
Car, pour ma santé, que j’estime prioritaire, par contre, j’accepte de mettre le prix lorsque je pars consulter. On est bien capable de lâcher bien plus d’argent dans une nouvelle paire de sneakers, des écouteurs bluetooth – qui nous rendront peut-être sourds-, un nouveau téléphone portable ou pour tout un tas de vêtements et d’objets que l’on utilisera assez peu et que l’on oubliera ensuite. Nous sommes incités à ça en permanence.Cela fait partie des conventions de la majorité d’entre nous.
Quelques jours avant les fêtes de Noël 2020, près des Galeries Lafayette et des Magasins Printemps, à Paris près de l’Opéra Garnier.
Mais je ne crois pas non plus que les meilleurs spécialistes de la santé soient toujours celles et ceux qui nous font payer leurs consultations les plus chères ou qui disposent du matériel le plus moderne. Mais pour commencer à le comprendre, j’ai d’abord dû passer à la caisse plusieurs fois….
D’ailleurs, dans cette clinique du 15ème arrondissement, le chirurgien qui m’avait opéré il y a trois ans pour 400 euros consulte aussi. Mais un autre jour.
Gare de Paris St-Lazare, novembre 2020.
Plus jeune, en particulier à l’adolescence, et même un peu après, j’avais tendance à négliger tout ce qui est suivi médical après une blessure sportive. Il est convenu dans la mentalité de bien des sportifs, qu’il faut être prêt à se faire mal lorsque l’on pratique. Donc, une blessure, ça peut aussi attendre pour être soignée ou correctement soignée. Lorsque j’allais consulter, plus jeune, je ne faisais pas toujours attention au fait que certains médecins se contentaient d’appliquer des protocoles de traitements.
Avec l’expérience, plus d’une fois, c’est moi qui ai dû demander la prescription d’un certain nombre de séances de kinésithérapie en plus du traitement médicamenteux censé tout résoudre par lui-même. Je prends le moins de médicaments possible.
Après mon intervention chirurgicale du pied il y a trois ans, le chirurgien m’avait prescrit une certaine quantité d’antalgiques qui aurait permis à un toxicomane de monter un petit commerce. Ou à une personne lambda de peut-être devenir toxicomane. Cette pharmacie aurait aussi pu constituer le début d’un trésor pour de la médecine de guerre. Il fallait bien compenser l’absence de présence médicale- et surtout paramédicale- alors que la personne opérée retourne chez elle quelques heures après l’intervention chirurgicale.
J’avais dû insister auprès de ce chirurgien pour obtenir un certain nombre de séances de kiné pour ma rééducation. Il était persuadé que son intervention chirurgicale se suffisait et que je pouvais reprendre le travail après trois semaines d’arrêt. A l’écouter, je me devais seulement de faire ma rééducation tout seul chez moi.
Il m’avait fallu deux bonnes semaines d’arrêt de travail supplémentaires, davantage de séances de kiné et en retournant au travail, je boitais encore du fait de la douleur consécutive à l’opération chirurgicale.
La profession infirmière, aussi, même non sportive, peut avoir tendance à se surmener ou à être surmenée même lorsqu’elle devrait lever le pied. Il existe aussi d’autres professions, paramédicales, ou autres, qui sont soumises durablement aux mêmes conflits de loyauté entre leur sens du Devoir ou du sacrifice et leurs conditions de vie, de travail ou salariales, plutôt défavorables. C’est peut-être le cas de cette secrétaire qui m’a accueilli pour cette consultation.
Et c’était comme ça bien avant l’épidémie du Covid.
En venant voir cette chirurgienne ce jeudi, j’aimais, aussi – c’est peut-être un cliché- l’idée d’obtenir l’avis d’une femme.
Venir en avance m’a donné le temps d’apprendre le montant de la consultation : 112 euros. Déduction faite de ce que me rembourseraient la sécurité sociale et ma mutuelle, 93 euros resteraient à ma charge. Le prix de cette consultation, 112 euros, correspond à peu près à ce que je gagne en une journée de travail comme infirmier après bientôt trente ans d’ancienneté.
Comme j’attends, une jeune femme vient se présenter au secrétariat. Elle explique avoir trente minutes de retard. Elle avait rendez-vous à 9h15. Il est 9h45. J’avais quant à moi rendez-vous à 9h30. Et je suis là depuis 9h15.
Quelques minutes plus tard, la chirurgienne, la cinquantaine, sort de l’ascenseur. Je suis assis presque en face, à côté du secrétariat. La secrétaire lui dit bonjour en l’appelant par son prénom alors qu’elle file vers un bureau. Bureau où elle est bientôt rejointe par la secrétaire. Je l’entends donner des nouvelles de sa fille qui vient d’emménager avec son copain. « C’est bien » conviennent, ravies, la secrétaire avec l’autre femme qui était déjà présente dans un des bureaux à mon arrivée.
La chirurgienne reparaît quelques minutes plus tard. Elle appelle la personne qui est arrivée avec trente minutes de retard. Laquelle se lève et va à la rencontre de la chirurgienne. Je la laisse partir. Je me lève alors calmement. Je viens annoncer à la secrétaire, revenue à sa place, que je m’en vais.
Bien que je n’aie ni la tête et ni la voix de Serge Gainsbourg, il faut quelques secondes à la secrétaire pour rassembler l’information que je viens de lui donner. Alors, je l’aide avec mes mots qui ne deviendront jamais un tube à la radio :
« J’ai passé trois quarts d’heure dans les transports en commun pour venir. Je suis arrivé avec 15 minutes d’avance. Madame arrive avec 20 minutes de retard et prend une personne qui est arrivée après moi…. ».
La secrétaire, demi-sourire gêné, je crois qu’elle a subitement chaud au visage, reste professionnelle et pédagogue. Et m’explique :
« Oui, j’ai bien vu que vous veniez de loin. …c’est une patiente qui avait rendez-vous avant vous…. ». Je lui fais comprendre que cet argument, pour moi, ne tient pas. Elle n’insiste pas :
« Je le lui dirai. Je vous laisse rappeler pour reprendre rendez-vous ? ».
« Peut-être, peut-être pas ! ». Puis, je m’en vais en prenant le temps de passer aux toilettes auparavant.
Confinement doré
Dans le train Paris-Argenteuil, fin janvier 2021.
Depuis le début de l’épidémie du Covid, nous nous plaignons du couvre-feu, du confinement. Et, nous avons raison de nous plaindre de la perte de libertés occasionnée – ou justifiée- par l’épidémie. Je pense à certains lieux obligés de rester fermés telles que les salles de cinéma, les musées et les salles de théâtre dont nous avons aussi besoin. Comme certains lieux de pratique sportive. Voire, de restauration…
A côté de ça, pour moi, la secrétaire et la chirurgienne de cette clinique, au moins, et toutes les personnes qui leur ressemblent, femmes comme hommes, vivent dans un monde confiné. Dans un confinement doré. Et cela n’est pas dû à l’épidémie du Covid. C’était déjà comme ça avant l’épidémie du Covid.
Je n’ai pas de problème particulier, au départ, avec le fait de parcourir un certain nombre de kilomètres ou de passer un certain temps dans les trajets pour me rendre quelque part. Si j’ai une bonne raison de m’y rendre. Mais c’est peut être un tort. Et cela peut être une très mauvaise habitude, le résultat de mon éducation, que j’ai contractée tôt, avant l’âge adulte et qui consiste en quelque sorte à être capable de se donner, de manière répétée, sans compter. Car, selon le type d’interlocuteur ou d’interlocutrice auquel on a affaire, accepter facilement ou comme une évidence de réaliser certains efforts- et trouver cela normal de manière implicite- créé d’emblée un handicap ou un rapport de dominé-dominant. Cela revient à se brader même si on vous parlera de « gentillesse » ou de « générosité » vous concernant :
Dans le monde confiné de cette secrétaire ou de cette chirurgienne, dans leur royaume, il est « normal » de faire attendre des patients. De disposer d’eux. Et de les faire raquer ensuite. Il y a bien d’autres fois où je l’ai accepté.
J’accepte que la chirurgienne ait eu une bonne raison d’être en retard. J’aurais même accepté qu’elle prenne le temps de se rendre aux toilettes ou de se laver les mains si elle en avait eu envie ou besoin.
Par contre, j’ai plus de mal à digérer l’absence de bonjour de cette chirurgienne en arrivant après quinze à vingt minutes de retard. Pour une consultation à 112 euros. Or, cette absence de « bonjour » d’une professionnelle de la santé qui passe devant la salle d’attente de son lieu de consultations est aussi une convention très courante.
Pour moi, l’ambition de la secrétaire ne doit pas se limiter au fait de pouvoir appeler la chirurgienne par son prénom. Si elle peut appeler la chirurgienne par son prénom, alors, elle est aussi capable de faire valoir à cette chirurgienne le fait que j’étais le patient à voir d’abord. Mais il y a une telle habitude à ce que les gens qui viennent consulter s’en tiennent à certaines conventions de prosternation totale devant des professionnels de la santé.
Pourtant, je n’ai rien de particulier contre les chirurgiens et les médecins. Et, j’ai été très fréquentable. Voire sans doute trop fréquentable. Car j’ai respecté certaines conventions de politesse et de diplomatie. D’autres personnes, plus « nerveuses » ou plus « fières », à ma place, auraient retourné la salle d’attente.
Visiblement, cette secrétaire et cette chirurgienne ne connaissent pas cette vie-là. Où un certain manque de considération peut se payer cash. Leur confinement est un confinement doré.
Je n’attends aucun changement particulier dans leurs conventions de pensées. Je suis sûrement passé pour un « caractériel » ou pour quelqu’un qui ne sait pas vivre.
En sortant de la clinique, je me suis rendu à la boulangerie que j’avais repérée en arrivant. Les baguettes traditions que j’ai achetées y sont vraiment bonnes.
Puis, j’en ai profité pour marcher jusqu’à apercevoir la Tour Eiffel.
Février 2021. Non, il ne fait pas froid !
J’ai eu une pensée pour cet homme qui, poussé par ses hallucinations vraisemblablement, s’est rendu à la Tour Eiffel, et s’est mis à errer autour. Lorsque la police, appelée par un employé de la Tour Eiffel, est arrivée à quatre heures du matin, l’homme n’a pas pu expliquer la raison de sa présence. Il semblait confus, ne pas avoir toute sa tête, bien que très calme.
Ensuite, j’ai pris le bus 80 vers St Lazare.
En passant près de Matignon, j’ai pensé à cette femme venue chercher protection auprès du Président Macron. Un mois et demi plus tôt, elle s’était rendue au commissariat pour les mêmes raisons. Mais on ne l’avait pas crue. Alors, cette fois, elle avait décidé de s’adresser à plus haut. Elle craignait pour sa vie. Elle était « Un Trésor vivant » mais personne ne voulait la croire !
Elle avait sur elle sa clé de voiture, ses papiers, son téléphone portable, trois cartes bancaires, deux chéquiers et quelques affaires.
Ces deux personnes, on s’en doute, bien que de bonne foi, avaient contre elles d’avoir enfreint les «bonnes » conventions. Les conventions où l’on reste à sa place. Et où l’on s’en tient aux horaires et aux lieux où l’on a le droit d’agir et de se comporter d’une certaine façon. Les religions, aussi, peuvent fournir et prescrire leur lot de conventions. La particularité de certaines conventions, même lorsqu’elles nous interdisent de vivre, c’est d’avoir une date de péremption très lointaine ou indéfiniment renouvelable.
Si j’avais retourné la salle d’attente de cette clinique, peut-être que, comme cet homme et cette femme, j’aurais, moi, aussi, été interpelé par les forces de police.
Gare de Lyon, ce vendredi 12 février 2021 au matin, vers 9h10. Cette rame du ligne 14 du métro vient d’arriver à la gare de Lyon après être restée immobilisée trente minutes dans le tunnel. Jusqu’à ce qu’une agent de la RATP parvienne à la conduire manuellement. Cette rame de métro va repartir sans passagers.
Une ligne 14 à bloc !
Le Grand Paris, environ trente millions d’habitants, c’est pour bientôt. Les Jeux olympiques de 2024 en France, et ses millions ou ses milliards de visiteurs, ses heures de retransmissions et ses pubs, encore plus tôt.
Si cette date est retenue. Si nous avons le droit de sortir.
Les pharaons d’Egypte, en exploitant et en tuant dans l’oeuf des quantités indénombrables d’ouvriers, ont entre-autres laissé des pyramides qu’aujourd’hui, nous admirons. Car elles sont bien plus célèbres que tous ces clandestins, aujourd’hui disparus, qui auront contribué à leur élévation.
Nous, pour nos grands projets, nous avons besoin de transports en commun ad hoc. Et, peu importe que nous soyons anonymes. Pourvu que ça roule dans la farine.
Pour cela, nous pouvons compter sur la Ligne 14 entièrement automatisée. La ligne 14, ça fuse ! Et ça ne se refuse pas. Depuis la gare St Lazare, la ligne 14 a été bien des fois mon arme de réduction temporelle pour aller dans les salles de cinéma.
Mais depuis plusieurs mois, les cinémas et les salles de théâtre sont fermées, remplacées par les festivals pandémie, vaccins, couvre-feu et confinement qui s’opposent aux rapprochements humains. Heureusement que des bibliothèques et des librairies sont ouvertes ou ont rouvert pour compenser un peu ce traitement au scalpel – sans anesthésie- que subissent bien des espaces culturels.
Pour le bien-être de l’économie, il a aussi été plus rapidement permis de s’attrouper de nouveau aux heures de pointe dans les transports en commun parisiens. Comme ce matin, ce vendredi 12 février 2021, ou, après une nuit de travail de douze heures, je me dirige vers la ligne 14 à la station Bercy. La température extérieure est alors d’environ -1 degré. Nous connaissons une vague de froid depuis deux à trois jours.
Mon rêve, alors qu’il est près de 8h30, en finir au plus vite avec ce trajet jusqu’à Paris St Lazare. Puis, là, prendre mon train de banlieue. J’aurais bien-sûr préféré vivre dans un appartement avec vue dégagée sur la Pyramide du Louvre. Mais on fait ce que l’on peut. Même si c’est sûrement de ma faute si j’ai raté une bonne partie de ma vie. Je n’avais qu’à choisir de devenir pharaon au lieu de manquer d’ambition. Quand on veut, on peut.
Faute d’ambition, je me contente ce matin d’avoir une place assise dans la ligne 14. Et de me dire que dans dix minutes, je marcherai vers le grand hall de la gare St Lazare. C’est un bon début vers mon destin de moins que rien.
Mais j’ai à peine imaginé ce scénario de film de série V que le métro de la ligne 14 se bloque sur les rails en plein tunnel. Sans doute la ligne 14 a-t’elle été vexée par mes pensées indignes. Parce-que, très vite, je me fais la remarque que, première lame des rails pendant des années, la ligne 14 semble être devenue un second couteau alors qu’elle dessert, depuis quelques semaines maintenant, les nouvelles stations Sanofi, 4 milliards, Actionnaires, et Vaccin anti-Covid prévu pour la fin de l’année. Heureusement qu’elle ne dessert pas en plus les stations Pfizer, Moderna, Astrazeneca, Sputnik V, Masque chirurgical. Mais ça viendra sûrement. Chaque pirogue en son temps. Mais comme c’était mieux, lorsque la Ligne 14 avait Paris St Lazare pour départ et terminus.
Assez rapidement, une voix Off nous informe que nous sommes arrêtés. Cette voix nous quittera seulement lorsqu’une femme agent de la RATP viendra nous rejoindre afin de conduire « manuellement » la superbe ligne 14.
Heureusement, notre sauveuse arrive assez rapidement. Cela fait alors environ quinze minutes que nous sommes dans l’au-delà des rails. Là où je suis, pratiquement en tête du métro, au niveau des troisièmes portes, personne ne panique. Tout le monde reste calme même s’il semblerait qu’une personne essaie, sans insister, d’ouvrir les portes. L’agent de la RATP lui demande de ne rien en faire. L’homme avorte sa tentative.
Un autre passager s’avance pour prendre une photo puis retourne à sa place. Une autre passagère, assise en face de moi, prévient qu’elle sera en retard pour son rendez-vous de 9h. Il lui est proposé un autre rendez-vous à 11h15.
Avant de me décider pour la ligne 14, j’avais testé d’autres itinéraires. Depuis deux à trois semaines, j’ai l’impression que les défauts techniques dans les transports en commun se multiplient. Ligne J, Ligne 6 du métro. Une amie m’a parlé de la ligne B du RER. L’usure due à la pandémie semble avoir gagné le matériel qui nous transporte. Or, les transports en commun, lorsqu’ils permettent à des femmes, des enfants et des hommes, de se rendre d’un point vers un autre, afin d’accomplir leur mission, leur travail ou un projet quelconque, deviennent l’équivalent du système sanguin d’une société.
Si le système sanguin d’une société se bloque, celui-ci peut finir par se détériorer. Car il a besoin d’échanges entre son intérieur et l’extérieur. D’une certaine fluidité comme d’une certaine mobilité. Une société qui se fige peut ainsi finir par se retrouver sous dialyse ou sous galère.
Après quinze minutes d’échanges d’un certain nombre de protocoles et de procédures techniques avec son collègue- ou son supérieur- l’employée de la RATP réussit à redonner un élan vital au métro de la ligne 14. On dirait Sigourney Weaver aux commandes d’un vaisseau dans Alien. La gare de Lyon, et la sortie du tunnel, n’était pas si loin que ça, finalement. L’état de choc du métro de la ligne 14 aura duré trente minutes.
Des applaudissements justifiés saluent la réussite de l’agent de la RATP. Après ça, il faut trouver un itinéraire bis. Pour moi, ça sera la ligne A du RER jusqu’à Opéra. Puis, je préfère marcher jusqu’à la gare St Lazare.
Gare de Lyon, ligne 14 ce vendredi 12 février 2021 vers 9h10. Après avoir réussi à rejoindre la gare de Lyon, il nous est demandé de descendre et de prendre un autre itinéraire pour la suite de notre voyage. Le temps que le trafic de la ligne 14 vers St Ouen reprenne.
Contraint à lézarder avec d’autres dans le métro immobilisé, j’ai repensé au vélo pliant que j’avais commandé la semaine dernière. Car j’en avais assez de dépendre de ces « défauts techniques » répétés. En moins d’un mois, j’estime avoir rencontré plus de déconvenues dues à des » défauts techniques » liés aux transports en communs qu’en plusieurs années de trajets. Néanmoins, un de mes nouveaux collègues, adepte de la ligne 13 du métro, m’avait dit que je m’étais un peu trop précipité. J’avais commencé à me dire que partir plus tôt de chez moi permettait d’échapper à ce genre de désagrément. Et, ce collègue avait même réussi à me convaincre de recommencer à prendre la ligne 13, une ligne de métro dont j’ai choisi de limiter l’usage au strict minimum pendant des années. Au point de presque exclure son existence de ma mémoire. Alors que la ligne 13, lorsqu’elle marche, est en effet rapide.
Mais tout usager de la ligne 13 connait sa réputation de ligne souvent marquée par les arrêts pour causes techniques ou de sur-encombrement. Sans oublier la « culture » de pickpocket qui lui est accolée. Mais l’extension de la ligne 14 a aussi pour but d’alléger la ligne 13. Et, je me suis dit que ce collègue avait finalement raison. En prenant la ligne 13, cela s’était bien passé. Jusqu’à ce que je m’aperçoive qu’un autre collègue, un mordu de la ligne 14, avait pu mettre encore moins de temps que moi pour son trajet.
Mais maintenant…..
Gare de Lyon, ce vendredi 12 février 2021. Le trafic est interrompu jusqu’à environ 9h15 sur la ligne 14 du métro du fait de l’impair technique que nous avons connu pendant trente minutes. Il est donc demandé aux voyageurs que l’on voit en haut d’attendre la reprise du trafic de la ligne 14 vers la Porte de St Ouen.
J’ai aperçu son visage grâce à la porte entre-ouverte de son bureau. C’était la première fois que je le voyais vraiment. Lui et tous les autres se connaissaient depuis des années. Mais, moi, le petit nouveau, je les découvrais tous à cette époque des masques. Cela faisait à peine un mois que j’étais avec eux, et ce que je voyais, c’étaient des yeux, des fronts, des cheveux et assez peu de visages sauf, bien-sûr, au moment des repas. Pour ceux que je partageais avec certaines et certains d’entre eux. Ou épisodiquement lors de certaines pauses.
Je devais avoir presque dix ans, lorsque je me suis avancé pour lui dire :
« Ah ? Tu ressembles à ça ?! ». Il était près de 19H. Comme la veille, pour débuter cette journée qui allait se terminer vers 20h, je m’étais levé à 5h50. Et, jusque là, tout s’était bien passé avec l’ensemble des personnes et des situations rencontrées.
Après avoir dit ça, je suis resté là, sur le seuil. Il était seul, assis derrière son bureau. Il n’avait pas l’air occupé. Quelques jours plus tôt, lors de notre première rencontre où il avait opté pour garder son masque alors que je déjeunais, ça s’était passé de façon détendue. J’avais fait de l’humour à propos de son refus de se découvrir. J’avais mentionné l’importance de préserver sa pudeur. Il l’avait bien pris.
Il a commencé à m’expliquer plutôt sérieusement qu’il s’était laissé pousser la moustache. C’était comme une sorte de confession que je ne demandais pas. J’ai compris qu’il n’était pas très satisfait du résultat. Mais qu’il avait fait de son mieux. Et puis, il a tiqué sur le terme : « Tu ressembles à ça ?! ». J’ai aussitôt récupéré toutes mes années. Je n’avais pas dix ans. J’étais dans mon nouvel emploi depuis à peine un mois. Et, j’y faisais connaissance avec un nouvel environnement ainsi qu’avec une bonne cinquantaine de nouvelles et de nouveaux collègues. Dès les débuts, j’avais déjà entendu parler de Radio Langue de pute, qui, ici, émettait sur bien des fréquences comme partout. Sauf qu’ici, les fréquences affleuraient davantage au grand jour. Le matin, un collègue qui terminait sa nuit, proche de la retraite, que je croisais pour la première fois, m’avait dit avec le sourire :
« J’ai entendu parler de toi. Tu verras, ici, c’est une petite famille…. (sous-entendu : tout se sait rapidement et les ragots sont fournis avec le wifi et la fibre optique intégrés) ».
Debout, de l’autre côté du bureau de ce nouveau collègue, je l’ai regardé buter sur ce que je venais de dire. Nos propos peuvent être bilingues ou trilingues. Mais il était trop tard pour que je me reprenne. Ni lui ni moi n’avions dix ans. Je savais pertinemment qu’isolé et pris au pied de la lettre, le terme « ça » pouvait être dégradant. Mais ce n’était pas mon intention en disant « ça ». Et le contexte avait aussi son importance :
Hormis nos proches et celles et ceux que nous connaissions déjà avant la pandémie du covid et l’épopée des masques que nous vivons depuis plusieurs mois, notre cerveau compose une certaine image avec le peu que nous voyons du visage des autres. Le décalage est fréquent mais il nous apprend quelque chose sur notre perception- imparfaite- et immédiate de notre environnement. Et ce n’est pas une histoire de manque d’intérêt.
Un peu plus tôt, ce jour-là, je crois, alors qu’elle déjeunait, j’avais vu de profil une personne que j’avais vue jusque là seulement de face. Mais que je connaissais uniquement porteuse d’un masque. En la voyant démasquée pour la première fois alors qu’elle mangeait devant moi, je m’étais demandé si c’était bien la même personne. Alors que je savais que c’était elle ! Je pensais, pourtant, l’avoir plus d’une fois plus que que bien regardée :
Je l’avais rencontrée lors de mes trois entretiens de pré-embauche, elle comme moi portant notre masque. Je la trouvais plutôt sympathique. Elle était désormais ma supérieure hiérarchique en chef.
Mais impossible de parler de ça à mon nouveau collègue. J’étais trop imbibé par ce qui était en train de se dérouler. D’autant qu’à deux reprises, pour essayer de désamorcer le malentendu, j’avais baissé mon propre masque et lui avais dit avec le sourire :
« Moi, je ressemble à ça ! ».
A le voir continuer de régurgiter ma phrase « Tu ressembles à ça ?! », je me suis dit :
Soit cet homme, toute sa vie durant, a aspiré à s’élever socialement.
Soit, malgré son envergure, il a toujours eu une mauvaise image de lui. Et moi, le « jeune » nouveau collègue, en moins de dix secondes, j’avais écrabouillé tout ça.
Je n’avais pas rêvé de lui par la suite. Mais j’allais savoir assez vite lorsque je retournerais au travail si Radio Langue de pute avait lancé un avis de recherche à mon sujet. Ou si une vendetta était en cours me concernant.
Des histoires de vengeance peuvent se décider pour bien moins que ça.
Lorsque l’on est assuré d’avoir le ventre plein, on peut trouver plus séduisant que l’étalage d’un stand de marché derrière des bâches en plastique.
En 1960, sur le marché d’Héloïse de la ville d’Argenteuil, il y avait des moutons, des chèvres, de la volaille. Et une brocante.
C…, agriculteur et producteur, était présent. C’était avant l’édification de la salle des fêtes Jean Vilar aujourd’hui plus ou moins menacée de destruction selon les divers projets hôteliers – de luxe- et commerciaux du maire, Georges Mothron. Afin, officiellement, de tenter d’augmenter l’attractivité de la ville.
C…est le le doyen des commerçants. Il me raconte un peu avant tout ça. Il y a deux ans maintenant, à peu près, je le lui avais demandé. Il avait accepté à condition de ne pas faire de politique. Puis, c’était moi, le jeune, qui, comme tous les jeunes, avait délaissé ce qui lui avait préexisté. J’avais toujours trouvé mieux à vivre, à écrire ou à faire ailleurs.
En revenant quelques fois sur le marché, je venais lui dire bonjour et lui rappeler que je reviendrais. Comme une bouchée de politesse qu’on adresse à quelqu’un pour le faire patienter au bord d’une piste de danse. Alors que cette personne ne nous a rien demandé. Alors que l’on se croit le gardien de l’éternité. Mais on n’est jamais rien d’autre que le plus grand gardien de nos infirmités.
Puis, du temps est passé. J’ai arrêté de venir sur le marché. Ensuite, il y a eu cette mêlée -ou cette épidémie- qui, plus vite que la Junk food, a rempli nos assiettes et nos viscères avec du mastic à partir de mars 2020. Toutes les pistes de danse se sont vidées. C’était l’année dernière.
Heureusement, C…a encore tout son temps et toute sa tête. Peut-être plus que beaucoup d’autres qui ont pourtant moins que ses 84 ans.
Il fait 0°C, ce dimanche 10 janvier 2021, lorsqu’enfin, j’honore ce que je m’étais dit à moi-même. J’arrive un peu avant 9 heures. J’aurais voulu venir plus tôt. Il y aura davantage de monde à partir de 10 heures. C…lui, s’est levé à 4h30 et est sur le marché depuis 6h30. Il partira à 13h30 et m’annonce :
« Ceux dehors partent à 15 heures ».
Je lui demande : « Comment faites-vous avec le froid ? ».
C…rigole : « Comme tout le monde ! ».
Il est aussi sur le marché d’Ermont deux fois par semaine. Ses fils ont leur stand sur les marchés de St Denis, Puteaux, sur le marché des Bergères à Nanterre et aussi à Paris. Il me fait les éloges du marché des Bergères. C’est celui de mon enfance. Je n’y suis pas retourné depuis des décennies. A cette époque, dans les années 70, cette partie de Nanterre était sûrement plus populaire qu’aujourd’hui. Il m’invite à y aller.
Sur le marché d’Argenteuil, il paie son abonnement 250 euros pour 15 jours. Pour l’instant, personne ne peut prendre sa succession car la mairie tient absolument à trouver un producteur. Il y en a de moins en moins, m’affirme C. Il a connu le grand-oncle du maire d’Argenteuil actuel. Ce grand-oncle vendait des fruits et des légumes. Tout comme le grand-père.
Le grand-oncle a vendu son corps de ferme à Argenteuil puis est parti vivre dans le Vexin. Mothron, le maire actuel (précédemment déjà édile plusieurs fois de la ville) n’a pas pris la suite de son grand-père et de son grand-oncle. Il est devenu ingénieur. Et maire.
Le neveu du maire, m’apprend C, vend du café un peu plus loin, sur le marché.
Sur le marché d’Ermont, c’est différent. C a pris la suite de ses parents. Et, il tient à « prolonger le plus longtemps possible ».
Un habitué, d’origine arabe, arrive. Il porte un liseré de moustache. Après avoir salué C, il sort une bouteille dont il nous apprend la composition : de l’eau, du miel et des agrumes. Il dit en boire tous les jours :
« C’est ça, notre pharmacie ! » déclare-t’il en désignant les fruits vendus par C et la poissonnerie voisine. Il refusera de faire le vaccin anti-Covid quand il deviendra obligatoire ! Quitte à rester chez lui !
C, avec un grand sourire tranquille, répond : « Moi, je le ferai ».
L’homme poursuit :
« J’ai plus de 60 ans. Je me porte bien… ».
C s’esclaffe et me prend à témoin : « Il est jeune ! ».
Une femme d’origine antillaise passe rapidement devant le stand :
« Salut Papy ! ».
« Salut, ma belle ! » répond C.
Après avoir pris quelques fruits, le client argumente :
« Je suis médecin….même si je ne suis pas reconnu » ajoute-il un peu à voix baisse comme à lui-même.
J’avais oublié toute cette dramaturgie que l’on peut obtenir dans un marché. Il suffit de s’y promener.
J’ai bien sûr pris des fruits à C. Des pommes, des poires, des kakis. Et je l’ai remercié. Il a accepté facilement que je prenne son stand en photo. Mais quand j’ai parlé de le photographier, il a disparu. Au point que je me demande si je l’ai inventé. Et aussi, si c’est bien lui qui m’a laissé ce texte :
Vols ancrés
Même si ce sont souvent les mêmes, nos pensées sont des milliers d’oiseaux qui en enfantent d’autres. Il faut apprendre à regarder pour savoir, selon nos priorités, sur lesquels s’appuyer pour s’orienter. Ils ne se valent pas tous. Certains sont des leurres. D’autres, des impasses. Mais ils proviennent tous de nos cages et cherchent tous à retrouver l’atmosphère où ils étaient avant de nous rencontrer. Car nous les avons capturés. Nous avons besoin de nos pensées comme des oiseaux car ils savent toujours où se trouve le ciel. Et nous, sans eux, nous ne savons pas.
Ecrire, c’est déplacer nos cages. C’est plonger dans la page certains oiseaux plutôt que d’autres et permettre à d’autres, qui les regardent et les écoutent, de trouver leur direction et, peut-être, de trouer certaines interdictions qui les clouaient à l’impuissance.
Photo prise devant le conservatoire d’Argenteuil, ce lundi 25 janvier 2021.
Le marché d’Argenteuil, Boulevard d’Héloïse, ce vendredi 8 janvier 2021.
Sur le marché de Dieu
« Certains estiment avoir été secourus parce qu’ils ont été élus.
D’autres estiment avoir le droit de tuer parce qu’ils ont été élus.
Moralité : Dieu nous sauvera tous ».
Hier matin, j’avais quitté ce délirium très mince ainsi que ma colère envers Dieu et certains de ses adeptes, lorsqu’à l’entrée de l’école de ma fille, je me suis adressé au directeur.
Celui-ci m’a répondu qu’il partageait mon inquiétude. Les absences répétées de la maitresse depuis la rentrée au mois de septembre ne lui permettaient pas, jusqu’alors, de « visibilité ». Mais, celle-ci étant désormais officiellement en congé, depuis ce mois de janvier, du fait de sa grossesse, il allait pouvoir véritablement faire les démarches. Pour obtenir une remplaçante ou un remplaçant attitré (e). Mais, impossible pour lui de savoir quand cette remplaçante ou ce remplaçant arriverait.
Il m’a conseillé de me rendre sur le site du CNED, en accès libre, afin de trouver des cours en rapport avec la scolarité de ma fille. Tout en reconnaissant que cela ne vaudrait pas la présence d’une maitresse ou d’un maitre. Il a ajouté que si la nomination d’une remplaçante ou d’un remplaçant traînait, qu’il solliciterait l’association des parents d’élèves ou FCPE dont il se trouve que je suis un des membres intermittents.
Malgré ses éléments de langage, j’ai cru en la sincérité du nouveau directeur de l’école publique où ma fille est scolarisée. Croisant la maitresse de l’année dernière de ma fille, nous nous sommes mutuellement adressés nos vœux de bonne année. Celle-ci m’a dit qu’elle espérait vraiment qu’il y aurait une remplaçante ou un remplaçant pour la classe de ma fille.
Après ça, je me suis rendu dans mon service, à Paris, à quarante cinq minutes de là en transports en commun. Pour mon pot de départ. Dans quelques jours, je commencerai dans un nouvel établissement.
J’étais en retard à mon pot de départ mais j’ai choisi de prendre mon temps. Au lieu de débuter à 10h comme je l’avais annoncé, mon pot a plutôt débuté vers 10h50. Il devait se terminer pour midi.
En raison des mesures sanitaires dues à la pandémie, nous étions un nombre limité de personnes dans la salle à manger du service. Pas plus de quinze. Cela n’avait rien à voir avec ces pots de départ d’ « avant », où nous pouvions être une quarantaine ou beaucoup plus dans une même salle et sans masques. Mais, alors, que courent angoisse et polémiques à propos de la nécessité –ou non- de la vaccination anti-covid, ce pot de départ, même s’il signifiait la fin de mon histoire dans ce « pays » qu’ a été ce service, était pour moi capital. Dans ce contexte où nos peurs deviennent nos plus vibrantes ambitions, ou nos nouveaux extrémismes, tout moment de réjouissance, en respectant les gestes barrières, est un acte de résistance. Je crois que dans toute épreuve, les fêtes et les périodes de pause permettent- en prenant certaines précautions- de passer des caps difficiles. Cela peut nécessiter parfois de l’entraînement ou de devoir produire certains efforts pour s’obliger à continuer de vivre alors que notre premier réflexe- ou notre humeur- serait d’attendre dans un coin.
A chaque fin d’année, nous achetons des objets de « bonheur ». Nous en offrons par affection. Mais nous en offrons aussi par obligation.
Mon âge ou le corona circus fait que les cadeaux qui m’ont le plus porté pendant mon pot de départ- et aussi en dehors de lui- ont d’abord été ces collègues présents, leurs regards, leurs sourires, leurs rires ainsi que leurs mots en public ou en aparté.
Je suis revenu le soir pour dire au revoir à d’autres collègues. A nouveau, des moments qui comptent. Même si j’étais fatigué en rentrant chez moi, pendant les horaires du couvre-feu. A la gare St-Lazare, en attendant l’affichage de la voie de mon train de 23h43, il y avait pratiquement autant voire plus d’agents de sécurité que de « voyageurs ». Je me suis partiellement endormi dans le train comme d’autres fois. Mais je me suis réveillé au bon endroit et au bon moment.
Ce matin, après avoir emmené à nouveau ma fille à l’école, je suis retourné au marché d’Argenteuil. Pour la première fois depuis le premier confinement de mi-mars 2020. Dehors, il faisait un degré celsius.
Sur le marché d’Argenteuil, Bd Héloïse, ce vendredi 8 janvier 2021.
J’ai été content de le revoir. Lui, le doyen du marché, avec ses plus de 80 ans. Il connaît le marché d’Argenteuil depuis environ cinquante ans. Il y a bientôt deux ans maintenant, je lui avais dit que je reviendrais l’interroger. Pour mon blog. Il avait accepté. Mais je ne l’avais pas fait. Nous avons pris rendez-vous pour ce dimanche où il sera sur le marché à partir de 6h30.
Devant la poissonnerie, une femme m’a interpellé, tout sourire. Je l’avais connue quelques années plus tôt à l’atelier d’écriture animé à la médiathèque d’Argenteuil. Il était arrivé de nous recroiser par la suite dans la ville. Avec son masque sur le visage, je ne l’avais pas reconnue. Infirmière anesthésiste à la retraite, elle m’a appris continuer de faire quelques vacations à l’hôpital d’Ermont. Elle avait pris sa retraite après quinze ans et quelques mois d’activité professionnelle après avoir été maman trois fois.
Elle m’a expliqué, un peu ironique, que son nombre de vacations était limité. Plus on a travaillé en tant qu’infirmière durant sa carrière et plus on peut faire de vacations, une fois à la retraite. Elle se trouve dans la situation inverse.
Elle m’a dit que les noix de st Jacques se congelaient très bien. Qu’elle les faisait décongeler dans du lait de vache et un peu d’eau, la veille pour le lendemain.
Plus loin, la commerçante à qui j’achetais des pains aux dattes ainsi que des Msemen m’a appris que son père était décédé en avril. Il avait 75 ans. Elle m’a précisé qu’il n’était pas mort du coronavirus. Avant de mourir, celui-ci lui a dit de continuer son commerce :
« Même si c’est un euro, gagne-le avec ton travail ». Je voyais bien qui était son père, assez souvent là, avec deux de ses frères et, quelques fois, une de ses jeunes sœurs.
Trente ans qu’elle est là. Je me souviens que deux ou trois ans plus tôt, elle m’avait expliqué comme le froid lui rentrait dedans alors qu’elle travaillait sur le marché. Je lui avais conseillé de se procurer l’équivalent d’une polaire. Elle m’avait écouté avec attention. Mais je doute qu’elle n’ait fait le déplacement pour s’acheter le vêtement en question.
La dame qui faisait les Msemen et les pains aux dattes a arrêté. C’était déjà le cas avant la pandémie. Je m’étais déplacé une ou deux fois en vain jusqu’au marché.
La pâtissière, âgée de 66 ans, que je n’ai jamais vue, a des problèmes de santé avec son bras. Notre «virtuose » des pains aux dattes et des Msemen, ai-je appris ce matin, les faisait bénévolement, sans rien dire. Pour aider des pauvres. L’argent donné pour acheter ses pains aux dattes et ses Msemen permettait d’aider des pauvres.
Sur le marché, d’autres personnes font aussi des Msemen continue la commerçante, qui vend aussi du pain et des croissants, mais ce n’est pas fait de façon traditionnelle et c’est moins bon. J’acquiesce.
Avant de la quitter, elle me demande si ça va bien pour moi. Ma famille. Si j’ai une famille. Et, elle me souhaite le meilleur et de prendre soin de moi, Inch Allah. Je pars en la saluant.
Alors que, mes courses contre moi, je me rapproche de l’avenue Gabriel Péri, je laisse passer un homme derrière moi. Casquette type béret, baskets Nike, Jeans, manteau type redingote, l’homme élégant me remercie rapidement. Un sac de pain à la main, il revient vraisemblablement aussi du marché. C’est alors que je vois sa silhouette s’éloigner devant moi que je crois le reconnaître.
Quelques années plus tôt, cet homme tenait une boulangerie-pâtisserie, de l’autre côté de l’ avenue Gabriel Péri, quelques dizaines de mètres devant nous. Issu d’un milieu modeste peut-être de la ville d’Argenteuil où il est sans doute né et a vécu bien plus longtemps que moi, il avait réussi à faire une école dans la restauration plutôt prestigieuse. Son portrait avait été fait dans le magazine local – gratuit- quelques mois après l’ouverture de son commerce.
Je faisais partie de « ses » clients. Ses produits étaient bons voire très bons. Pourtant, chaque fois que j’avais essayé de nouer une forme de contact un peu personnel avec lui, il avait toujours esquivé, méfiant. Etrange pour un commerçant qui a plutôt intérêt à fidéliser sa clientèle. Chez le marchand de primeurs du centre ville où j’ai mes habitudes, et où il avait les siennes, je l’avais vu, une fois, s’empiffrer comme un crevard, de quelques bouchées d’un fruit. Hilare, il avait été content de son coup. Comme celui qui, gamin, avait beaucoup manqué. Sauf qu’il était alors un commerçant respecté et plutôt en bons termes avec le marchand de primeurs.
A Argenteuil, le bail commercial de la première année est offert par la ville. A la fin de cette première année, « notre » boulanger-pâtissier avait disparu. Un jour, on avait retrouvé son commerce fermé. Le marchand de primeurs m’avait appris que notre homme aurait été infidèle à sa femme. Laquelle tenait régulièrement la caisse.
Ce matin, alors que je marche derrière notre homme, je le vois qui regarde une première femme, de l’autre côté de la rue. Alors qu’il traverse le boulevard Gabriel Péri et s’arrête au milieu afin de laisser passer les voitures, à quelques mètres, sur sa droite, une femme lui fait face. Nouveau regard très concerné de notre boulanger-pâtissier.
Il m’arrive aussi de regarder les femmes de façon aussi pavlovienne. Mais je repense à l’historique de « notre » homme. A la façon dont il a coulé sa propre entreprise -qui ne demandait qu’à marcher- pour s’enfuir. Puis, pour réapparaître plus tard dans la ville, incognito, comme s’il lui était impossible de s’en dissocier. Tout ça, pour mater comme un affamé ou un mendiant la moindre femme qu’il aperçoit. Préférer les miettes à un festin. Préférer les oubliettes à un destin…. Je me dis que cela est pour lui une addiction. On ne peut pas bien nourrir les autres avec sa boulangerie et sa pâtisserie si l’on pétrit en soi -en permanence- un gouffre.
Pourtant, il a une belle allure et marche bien plus vite que moi. A cause de mon masque et de mon souffle, j’ai de la buée sur mes lunettes. Je ne fais donc que l’apercevoir pour la dernière fois avant qu’il n’entre dans un immeuble qui borde le boulevard Gabriel Péri où se trouvait son commerce. Je ne peux pas affirmer que c’était véritablement lui. Cependant, Dieu, lui, n’a jamais de buée devant les yeux. Et, il le sauvera aussi.
Sur le marché d’Argenteuil, Bd Héloïse, ce vendredi 8 janvier 2021.
« Ellen MacArthur, dans le Vendée Globe, c’est 200 000 euros de facture téléphonique ». Dans cette phrase laconique (son livre Olivier de Kersauson- Le Monde comme il me parle ), Olivier de Kersauson, « mon » Bernard Lavilliers des océans, résumait l’évolution matérielle des conditions de navigation lors du Vendée Globe. Course maritime qui se tient encore en ce moment. Evolution confirmée par le navigateur Fabrice Amedeo qui, ce 11 décembre dernier, a dû abandonner la course après que son système informatique de bord ait lâché en pleine mer.
Peiné d’avoir dû abandonner, Fabrice Amedeo a néanmoins expliqué que « Tabarly doit sans doute se retourner dans sa tombe » au vu de la dépendance aux ordinateurs de plusieurs des participants du Vendée Globe. Amedeo a ajouté qu’il aurait pu continuer « à l’ancienne ». Mais que sans l’assistance de ses ordinateurs de bord, son bateau serait devenu « diabolique ».
Je crois que son ami Yannick Bestaven, actuellement en tête, peut gagner le Vendée Globe. Lorsque Charlie Dalin « menait » la course , j’avais été marqué par la tranquillité de Bestaven, alors qu’il était sur une mer agitée. Mais aussi par sa façon de rassurer- tel un bercement- quant au fait que le bateau se portait bien. Plus tard, j’avais appris qu’il avait dû attendre 12 ans pour participer à nouveau à la course du Vendée Globe. Je crois voir en Bestaven un certain croisement du nouveau et de l’ancien monde dans le domaine de la navigation plus que chez Charlie Dalin. Un peu comme s’il était « entre » un Jean Le Cam et un Charlie Dalin.
Dans mon article sur le livre ( il en a écrit d’autres) de Kersauson, Le Monde comme il me parle, je n’avais pas cité cette phrase à propos d’Ellen MacArthur. Car, pour ironique ou vacharde que soit cette formulation selon moi assez « Kersausonienne », j’admire toutes ces personnes que je viens de citer. D’Ellen MacArthur à Fabrice Amedeo. En incluant Kersauson évidemment. Je n’oublie pas qu’avant de devenir une navigatrice reconnue, MacArthur avait été une jeune femme. Et, qu’à 16 ou 17 ans, seule sur son bateau ( Kersauson l’ignore peut-être ou l’a peut-être oublié) elle avait tourné le dos à un certain conformisme. Conformisme dans lequel, pour ma part, j’étais devenu de plus en plus performant. Alors que j’affirmais m’en éloigner. Ce qui est pire.
Devant mon « indulgence », pour les navigateurs actuels « aidés » par la technologie, on pourra penser que je ne me mouille pas. Que je suis « mou » du genou. Ou que je manque d’aplomb pour parler proprement. De mon côté, système informatique ou pas, si je « donne » à Kersauson et aux autres anciens une dimension a priori plus imposante qu’aux navigateurs actuels dans le Vendée Globe, cette épreuve reste néanmoins hors de portée de l’individu ordinaire et lunaire. Hors de ma portée en tout cas.
Car il s’agit toujours de réaliser un tour du Monde en solitaire sur un bateau avec tous les risques que les vagues, les vents, les courants, l’environnement et l’épuisement produisent et imposent. De jour comme de nuit. Avec pour seuls pouls et seuls réconforts, la peau, les os, les muscles et ce que l’on a dans la tête. C’est d’abord la femme et l’homme sur le bateau qui décide de quitter le port. Et de poursuivre la mer. Aucun système informatique ou téléphonique aussi ergonomique soit-il, à moins d’être kidnappé, distrait ou endormi au moment du départ du bateau, ne prendra cette décision.
On a sans doute pu s’émerveiller, bien tranquillement chez soi, du sauvetage de Kevin Escoffier par Jean Le Cam comme si le scénario avait été écrit à l’avance. Et penser ou croire que ce sauvetage avait été une formalité. Vu qu’il a été « réussi » et que, depuis, Jean Le Cam, a repris sa route. On est souvent très inspiré pour banaliser rapidement ce qui a été réussi. Et pour ensuite « passer à autre chose ».
Lorsque je le pourrai, je relirai et regarderai à nouveau le récit de ce sauvetage en mer.
On peut aussi envier ces participantes et ces participants devant le spectacle de cette liberté dont ils nous envoient régulièrement- grâce aux innovations technologiques- l’image et le son. Liberté qui contraste encore plus que d’habitude avec nos vies du fait de nos moeurs doublement confinées pour raisons sanitaires.
On peut aussi reprocher à ces aventuriers d’être plus ou moins les complices- ou les ouvriers- sponsorisés d’une certaine société spectacle qui fait de nous des êtres de plus en plus passifs, soumis, et rapidement adeptes du premier anxiolytique; du premier antalgique; ou du premier programme venu au moindre inconfort.
Mais je « plains » aussi ces marins- femmes et hommes- lorsque je pense à leur retour au bercail. Lorsqu’elles et ils devront tenir sur terre en réduisant de nouveau leurs empreintes aux cendres et aux confettis d’une vie « ordinaire ». Car il faut bien une certaine force surhumaine pour rester à l’endroit et endurer une vie quotidienne qui nous entraîne régulièrement, et assez facilement, à partir de travers.
En attendant, ces chemins qu’ont pris et prennent ces femmes et ces hommes sur leur bateau restent des horizons dégoupillés. Aujourd’hui ou demain, on ne sait pas ce qui peut en sortir. Un accident, un imprévu. Tout peut survenir. Le naufrage ou l’état de grâce. Peu importe la beauté des photos ou des vidéos envoyées antérieurement. Peu importe la « noblesse », « l’intelligence », « l’expérience », « la vaillance » ou le « courage » de celle ou celui qui se retrouvera en état de faiblesse convoqué par ses dernières limites. Elle ou il remplacera alors le chaînon manquant entre la parole et le silence.
C’est pour beaucoup la peur d’une disparition effrayante, et solitaire, qui nous fait accepter 365 jours sur 365, une certaine vie plus terre à terre, routinière, sécurisante. En grappillant, après en avoir demandé l’autorisation, ça et là, quelques « sorties » destinées à nous permettre de nous « vider la tête ». Pour ensuite recommencer à la remplir avec diverses pollutions.
Système informatique performant ou non, la peur d’une mort imposée a peu changé. Hormis peut-être sa présentation.
Il y a quelques mois, Mi-Mars, lors du premier confinement dû au Covid, était considérée comme naïve , ou le crâne porté par la cocaïne, toute personne pensant que le Monde allait changer. Aujourd’hui, neuf mois plus tard, il est sans doute plus facile de s’apercevoir que le Monde a changé. Et qu’il va continuer de changer du fait de la pandémie du Covid. Comme il avait déjà changé après d’autres événements. Qu’il s’agisse d’attentats ou d’autres catastrophes marquantes ici et ailleurs. Mais le changement, même s’il s’affirme, peut être moins perceptible que lorsqu’une navigatrice ou un navigateur, en pleine mer, cesse d’émettre pour disparaître.
On s’habitue et on s’adapte aussi plus ou moins au changement. Pour l’instant, cela me fait tout drôle, lorsque je vais consulter mon « ethno-médecin », spécialisée en médecine chinoise, de pouvoir payer par avance par virement. J’ai encore l’impression, si je le faisais, que mon argent partirait directement sur un compte occulte dans les îles Caïman. En la payant à chaque fois en espèces, j’ai l’impression d’être un mafieux qui blanchit de l’argent ou d’être un homme qui la drague et qui veut lui en mettre plein la vue avec ses- petits- billets de banque.
Cela reste étonnant de recevoir ses prescriptions par mail.
Cela me fait encore un peu drôle de prendre certains rendez-vous médicaux sur le net sans passer par une personne «réelle » que j’ai d’abord au bout du fil.
Je suis encore déconcerté de n’avoir jamais rencontré la conseillère en gestion de patrimoine qui nous a pourtant permis de renégocier- l’an passé- le rachat de notre prêt immobilier. Je ne lui ai parlé qu’une fois directement au téléphone. Ensuite, tout s’est fait exclusivement par mails. Chaque fois que je l’appelle, je tombe systématiquement sur son répondeur. Elle me rappelle ensuite et me laisse un message. Mais elle me répond surtout par mails. Je vais finir par croire qu’elle m’évite ou qu’elle est un logiciel.
A côté de ces expériences de « vie » de plus en plus dématérialisées ou « augmentées », il reste encore possible de faire des rencontres en « direct ». Mais, peut-être qu’un jour, il sera devenu normal de dire :
« Ma relation avec untel, c’est 25 millions de sms. Donc, c’est une relation qui a compté. Par contre, untel, 10 millions de sms, c’était juste une relation de boulot. Et, lui, 75 000 sms. Une relation de politesse ! Juste bonjour, au-revoir ».
Pour terminer cet article, un petit jeu en laissant la parole à quatre anciens. A vous d’attribuer le bon auteur aux affirmations suivantes :
» Il ne faut jamais se laisser emmener par les éléments, il faut aller « avec », il faut tenter de les accompagner et de les comprendre ».
» S’il arrive que tu tombes, apprends vite à chevaucher ta chute. Que ta chute devienne cheval, pour continuer le voyage ».
» Pour avoir l’idée d’un mouvement, il faut le faire mille fois. Pour le connaître, il faut le répéter dix mille fois. Et pour le posséder, il faut l’accomplir cent mille fois ».
» La berceuse démente des tempêtes les balançait dans sa camisole de force« .
( Frankétienne. Melville, extrait de son livre Moby Dick. Olivier de Kersauson. Un proverbe japonais ancien).
J’étais très content de devoir aller dans une agence de l’opérateur Orange. Il fallait faire tester la livebox. Eventuellement en avoir une nouvelle qui marcherait mieux que celle que j’avais depuis des années.
Et me faire tester aussi, peut-être. J’étais parfois saisi de microcoupures. Alors, j’avais du mal à me connecter. Quand on me parlait, j’avais la parole vide. Cela devenait une idée fixe.
Au bout du fil, quelques jours plus tôt, Anissa, la technicienne que j’avais contactée, avait fait son possible. Elle avait fait des tests à distance. Pour conclure qu’il me fallait me rapprocher physiquement d’une agence de l’opérateur Orange. Celle de ma ville, et peut-être de ma vie, avait fermé deux ou trois ans plus tôt.
J’ai pris le train.
Cela m’a semblé plus pratique d’aller à l’agence d’Opéra. Près de l’Opéra Garnier. Internet et la téléphonie mobile côtoyaient la musique classique. Nous habitons dans ces paradoxes en permanence. Et cela nous semble normal.
Très vite, en arrivant à Paris, je me suis retrouvé dans les décors de Noël. Il y avait du monde dans les rues et devant les magasins. Les achats de Noël. C’était une seconde raison d’être content. Cette obligation de faire la fête sur commande. De faire des achats.
Impossible de changer de cerveau. Aussi, tout ce que je voulais, c’était que l’on me change ma livebox. Mais le manager m’a très vite contrarié. Il m’a expliqué qu’il me fallait un bon. La technicienne ne m’en avait pas fourni. Tout ce qu’il pouvait faire, c’était tester la livebox. Il m’a demandé de patienter. Cela pouvait prendre cinq ou dix minutes.
Nous étions dans un sous-sol sans fenêtres et surchauffé. Un éclairage veillait à simuler la lumière du jour mais elle échouait à faire oublier notre enfermement. Enfermement auquel les employés semblaient indifférents. Quelques ordinateurs, quelques stands, l’esprit d’équipe et une fonction définie pour quelques heures suffisaient pour oublier.
Moi, je n’oubliais pas. J’avais dû me déplacer.
Je suis reparti avec ma livebox. Elle marchait très bien. Le manager m’a remis le bordereau du test. Par geste commercial ou par diplomatie, il m’a remis une clé 4 G wifi provisoire valable deux mois. Il m’en a expliqué le fonctionnement très simple :
« On allume là où on éteint ».
La bonne nouvelle, c’est que j’avais peu attendu dans l’agence.
Dans une rue que je n’avais aucune raison de prendre dans ce sens vu qu’elle m’éloignait de la gare du retour, j’ai croisé un homme. Le magasin Le Printemps était sur ma gauche de l’autre côté de la rue.
Plus petit que moi, l’homme avançait masqué comme nous tous en cette période Covid. Il portait un catogan. Ce que j’ai perçu de son visage m’était familier. Le temps que son identité se forge dans mes pensées, il m’avait presque passé. Je me suis retourné et l’ai regardé marcher. Ses jambes étaient très arquées. Alors qu’il s’éloignait, j’ai imaginé les moqueries, plus jeune, et une de ses phrases :
« J’ai eu une jeunesse un peu compliquée » qui laissait supposer qu’il avait dû beaucoup se bagarrer, enfant.
Son sac sur le dos, un repas de l’enseigne Prêt à manger à la main, le voilà qui s’arrête à cinquante mètres. Il a enlevé son masque et commence à boire à la paille ce qui est peut-être une soupe. Je me rapproche.
Mon masque sur le visage, je le salue et lui demande :
« Vous êtes Léo Tamaki ? ». Mais avant même qu’il ne me le confirme, je savais.
Je lui ai parlé de son blog, de Jean-Pierre Vignau ( Arts Martiaux : un article inspiré par Maitre Jean-Pierre Vignau). Il m’a écouté. Je me demandais s’il était encore dans son école vu que j’avais cru comprendre qu’il était souvent en voyage. Avec le sourire, il acquiesce concernant ses voyages fréquents. Puis, me précise qu’il est toujours présent dans son école qui se trouve « à quinze minutes à pied d’ici ». Qu’il espère rouvrir en janvier.
Sa question arrive vite : « Vous avez déjà pratiqué ? ». « J’ai pratiqué un peu de judo ».
Lorsque je lui parle de mes horaires de travail de nuit, je retrouve le tranchant de sa pensée telle que je l’ai perçue dans une vidéo où il est face à Greg MMA. Mais aussi dans ses articles pour les magazines Yashima et Self& Dragon. C’est un homme qui réagit avant même que l’on ait eu le temps de saisir les conséquences de ce que l’on formule. On imagine facilement que c’est pareil en cas d’attaque.
L’échange est bref. Un moment, j’enlève mon masque afin qu’il voie mon visage lorsque je me présente. Je me dis souvent que cela doit être insolite de se faire aborder par un inconnu masqué. Mais cela ne semble pas le désarmer plus que ça. C’est une question de contexte et de tranquillité d’esprit peut-être. Nous sommes en plein jour, dans une grande avenue fréquentée. Et, je suis venu calmement. Il y a quelques années, assis dans un recoin de la rue de Lappe, en soirée, j’avais aperçu l’acteur Jalil Lespert qui passait avec ses deux enfants. C’est un acteur dont j’aime beaucoup le jeu. Dont la carrière est étonnamment discrète. Je l’avais salué à distance. Mais, à sa façon de faire avancer ses enfants, j’avais compris que je l’avais surpris et un peu effrayé. Ça m’a étonné d’apprendre récemment que Jalil Lespert, le discret, vit désormais une idylle avec Laeticia Halliday, la « veuve » de Johnny. Celle qui pleurait son « homme » il y a encore deux ans. Mais on a le droit de vivre.
Léo Tamaki, c’est un autre monde que Johnny, Laeticia, Jalil Lespert et le cinéma. C’est le monde de l’Aïkido et des Arts martiaux. Les deux mondes peuvent se concilier : show « bises » et Arts Martiaux. Mais pour cela, dans le désordre, il faut avoir quelque chose de particulier qui répond à une nécessité voire des affinités et, avant cela, des lieux de fréquentation communs.