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Refaire le match

 

Refaire le match

 

Le match et son enjeu sportif me sont totalement passĂ©s au dessus de la tĂȘte. J’étais au travail lorsqu’il a eu lieu. Mais j’aurais nĂ©anmoins pu en voir des images. Aujourd’hui, nous avons tout ce qu’il faut Ă  notre disposition pour faire le plein d’images. Il n’y a rien de plus facile que de trouver un rĂ©servoir Ă  images en accĂšs libre et illimitĂ©.

 

Lorsque mon collĂšgue mĂ©decin a eu fini de regarder le match, je n’ai mĂȘme pas pensĂ© Ă  lui en parler. J’étais concentrĂ© sur ma lecture du livre de Kersauson, Le Monde comme il me parle. Tout en me postant Ă  un endroit stratĂ©gique pour repĂ©rer l’adolescent qui viendrait Ă©ventuellement se prĂ©senter devant la porte de la chambre de sa dulcinĂ©e.

 

On peut avoir des idĂ©es suicidaires,  des pensĂ©es et des humeurs incertaines entre la psychose et la nĂ©vrose, un trauma personnel, se scarifier quelques fois et avoir une libido en bonne et due forme. Comme connaĂźtre des moments d’appartenance Ă  l’adolescence la plus frondeuse et la plus insouciante. C’est la vie.

 

Mais c’est aussi notre responsabilitĂ© d’adultes et de soignants de nous assurer que le service ne se confonde pas avec un foyer oĂč se pratiquerait la fĂ©condation in vivo. Nous pourrions ĂȘtre bien embarrassĂ©s si, un jour, une adolescente quittait le service en Ă©tant enceinte de quelques semaines ou de plusieurs jours.

 

Ce serait dommage d’attraper un torticolis

 

J’ai vu les images du rĂ©sultat du match le lendemain matin. Du match de Foot Bayern de Munich contre le PSG de Neymar et M’BappĂ©. Je ne parle pas ici du match sportif qui oppose spermatozoĂŻdes et ovocytes. 

 

C’était pendant ma sĂ©ance de kinĂ©.

Mon kinĂ© a vu que j’étais happĂ© par les images qui ont suivi le rĂ©sultat du match ainsi que par les commentaires sur Cnews.  Il m’a alors proposĂ© de m’installer en face de la tĂ©lĂ©. Il m’a dit :

« Ce serait dommage que vous attrapiez un torticolis. Et que je vous soigne ensuite pour un torticolis».

Le sensationnel et le répétitif

 

Je pense beaucoup de mal de cette tĂ©lĂ© allumĂ©e en permanence dans cette grande salle de rĂ©Ă©ducation Open space. D’autant qu’elle est braquĂ©e sur la chaine Cnews qui fait beaucoup dans le sensationnel et le rĂ©pĂ©titif. Le sensationnel angoissant. MĂȘme s’il sort de ce que je vois de cette chaĂźne de tĂ©lĂ© une certaine vĂ©ritĂ©, elle prend les Ă©vĂ©nements d’une telle façon que son traitement de l’info agit comme un tord-boyaux :

 

DiarrhĂ©e et pensĂ©es suspectes vous encombrent aprĂšs l’avoir regardĂ©e. Parce-que vous avez peur ou ĂȘtes en colĂšre.

Beaucoup est fait sur cette chaine pour avoir peur ou ĂȘtre en colĂšre. Pour donner la part belle Ă  tout ce qui peut faire peur ou mettre en colĂšre.

 

Une chaine de télé commotionnelle

 

«  La peur fait vendre Â» ai-je lu rĂ©cemment. Il suffit de regarder Cnews pour en avoir une idĂ©e. On dira que je la considĂšre comme une chaine commotionnelle.

 

C’est plutĂŽt particulier, dans un cabinet de kinĂ© oĂč l’on s’occupe de rĂ©Ă©ducation, d’avoir choisi de planter Cnews , chaine commotionnelle, presque constamment.

 

Cependant, Cnews m’a permis ce matin-lĂ  de dĂ©couvrir des images que, sans doute, la majoritĂ© des autres patients, soit chez eux, soit sur leur tĂ©lĂ©phone portable toujours allumĂ© pendant leur sĂ©ance, avaient dĂ©jĂ  vues.

 

Je n’ai pas la tĂ©lĂ©. Et si je l’avais, je ne regarderais pas les « informations Â».

AprĂšs avoir regardĂ© les « informations Â» chez mes parents pendant des annĂ©es, j’en suis arrivĂ© Ă  me convaincre que le but des « informations Â» est souvent de faire peur, d’inquiĂ©ter ou de mettre en colĂšre. Il se trouve trĂšs peu de recul et de perspective dans le journal des « informations Â». La prioritĂ© semble ĂȘtre de fournir rĂ©guliĂšrement des « nouvelles Â» qui crĂ©ent un malaise, un suspense, du sensationnel. Pas de faire Ă©voluer les mentalitĂ©s. Pas d’apprendre aux gens Ă  relativiser, Ă  nuancer ou Ă  mieux comprendre les Ă©vĂ©nements exposĂ©s.

 

Les journaux d’informations ne prĂ©parent pas Ă  la vie

 

 On a compris : pour moi, bien des journaux d’informations ne prĂ©parent pas Ă  la vie. Ils prĂ©parent plutĂŽt aux anxiolytiques et aux antidĂ©presseurs, aux guerres et Ă  l’armement (toutes sortes d’armements et toutes sortes de guerres) comme Ă  la mĂ©fiance voire au racisme envers ses contemporains. Et je regarderais donc des journaux d’informations, certains journaux d’informations, (et d’intimidation) pour ça ?!

Des images de casse prÚs des Champs Elysées

 

J’ai donc « vu Â» ces images de casse prĂšs des Champs ElysĂ©es. J’ai entendu certaines rĂ©actions. De Michel Onfray, le philosophe mĂ©diatique, qui constate que le gouvernement passe Ă  tabac les gilets jaunes lorsque ceux-ci manifestent. Mais qu’il laisse faire lorsque des dĂ©linquants cassent. Parce-que le gouvernement a «  peur Â». Et, de ce fait, la situation empire.

 

Sur le plateau de tĂ©lĂ© de CNews, j’ai perçu le mĂȘme Ă©lan et les mĂȘmes remontrances, en gĂ©nĂ©ral, envers le gouvernement. Celui-ci est trop mou et trop complaisant envers «  la racaille Â». D’autres parlent « d’ensauvagement Â». De « sauvageons Â». Une autre personne a parlĂ©, aussi, de certains jeunes « issus de l’immigration Â». Une autre personne encore, qui reprĂ©sentait- Ă©videmment- le Rassemblement National ( ex- Front National) a mis cette violence sur le compte d’une immigration trop importante et mal contrĂŽlĂ©e.

 

Les images montrĂ©es et remontrĂ©es de jeunes qui cassent des voitures. De jeunes qui se filment. De jeunes qui, fiĂšrement, se montrent dĂ©fiant l’AutoritĂ© et, sans doute, la RĂ©publique française, sont Ă©loquentes.

 

Plainte pour « non assistance Ă  personnes en danger Â»

 

Les tĂ©moignages de victimes (voitures cassĂ©es, vitrines de magasins brisĂ©es), sont tout autant incontestables. De mĂȘme que leur grand sentiment de vulnĂ©rabilitĂ©, de colĂšre et d’impuissance. Dans le 8Ăšme arrondissement de Paris, je crois, plainte a Ă©tĂ© dĂ©posĂ©e contre l’Etat pour « non assistance Ă  personnes en danger Â».

 

DĂ©bat sur Cnews

 

Sur CNews, une certaine majoritĂ© des intervenants, le journaliste animateur en tĂȘte, estime qu’il faut rĂ©primer. Qu’il faut une tolĂ©rance zĂ©ro. Qu’il n’y a qu’en France qu’on laisse faire ça ! Qu’il existe un sentiment d’impunitĂ© chez ces « racailles Â». l’Etat  français est responsable de ce sentiment d’impunitĂ© des « racailles Â». l’Etat français ne fait rien parce-qu’il a « peur Â» ! Peur d’une bavure policiĂšre.  l’Etat français veut ou croit acheter la « paix sociale Â» en laissant faire ces « casseurs Â» !

 

Tout en faisant ma rĂ©Ă©ducation, j’ai Ă©coutĂ© et regardĂ© ça, en veillant Ă  ne pas me faire mal. A bien expirer lors de l’effort. A bien respirer. Je n’ai eu, alors, aucun avis particulier en prime abord. Cela fait des annĂ©es que nous assistons Ă  des scĂšnes de violence en France. Cela fait des annĂ©es que l’on parle de « racailles Â» et de « sauvageons Â». Il y a des saisons oĂč on en parle davantage. Ainsi que des Ă©vĂ©nements qui forcent le passage vers la premiĂšre place des sujets traitĂ©s dans les mĂ©dia.

 

Désolé pour les victimes

Je suis Ă©videmment dĂ©solĂ© pour toutes les victimes directes ou indirectes de ces accĂšs de violence.  Je ne vais pas non plus « excuser Â» toute cette casse. Mais lorsque je dis ça, je redis ce qui a dĂ©jĂ  Ă©tĂ© dit depuis des annĂ©es. Et ce que certains mĂ©dia se sont presque dĂ©ja engagĂ©s Ă  rĂ©pĂ©ter lors des siĂšcles suivants. Avant cela, dans 50 ans, devant certaines manifestations de violence, des mĂ©dia et des citoyens rĂ©clameront aussi encore plus de rĂ©pression.

Plus de rĂ©pression :

Certaines personnes considĂšrent qu’il faudrait plus de rĂ©pression pour rĂ©duire ou Ă©teindre ces accĂšs de violence comme ceux qui ont suivi le match de Foot Bayern de Munich/ Le PSG.

 

Il faut bien-sĂ»r une certaine rĂ©pression. Si une personne casse, agresse, tue ou vole, la Loi doit pouvoir le freiner. Pour commencer. Ce qui signifie quand mĂȘme rĂ©pondre Ă  la violence par une autre violence. La violence de l’Etat supposĂ©e ĂȘtre « bonne Â», « Ă©quitable Â»â€Šet dĂ©mocratique. Ce qui peut dĂ©jĂ  faire un peu ricaner car on peut ĂȘtre un citoyen honnĂȘte au casier judiciaire vierge et irrĂ©prochable. Et avoir des doutes sur l’Etat français « bon Â», « Ă©quitable Â» et « dĂ©mocratique Â». Mais on s’en accommode assez facilement parce-que l’on sait aussi que dans d’autres pays, c’est pire. Ou que  Ă§a peut ĂȘtre pire.

 

Il y a des Etats bien plus limitĂ©s que l’Etat français lorsque l’on parle de « bontĂ© Â», « d’équitĂ© Â» et de «dĂ©mocratie Â».

Je prĂ©fĂšre vivre en France qu’en Afrique du Sud par exemple. Et je me rappelle encore d’un camarade de fac qui m’avait fait comprendre que lors d’un sĂ©jour aux Etats-Unis, autant, lui, pourrait passer facilement dans certains Etats parce qu’il Ă©tait blanc. Autant, pour moi, ça pourrait se gĂąter parce-que je suis noir. Or, la police des Etats-Unis est selon moi plus frontale et bien plus agressive que la police française. MĂȘme sans homicide.

Une de mes copines de Fac, une belle eurasienne plutĂŽt tranquille, m’avait racontĂ© l’interpellation qu’elle et son copain (blanc) avaient connus aux Etats-Unis. Alors qu’ils visitaient en voiture
.un parc national. Ils avaient eu droit Ă  l’interpellation comme «  dans les films Â». Mains sur le capot etc
.Tout ça juste pour un contrĂŽle de papiers.

Il y a quelques mois, un ami a fait un pĂ©riple en voiture aux Etats-Unis avec un de ses fils. Il a pris la route du Blues. Un trĂšs beau sĂ©jour de plusieurs mois au cours duquel il a pu prendre de trĂšs belles photos. Cela a Ă©tĂ© plus fort que moi pendant son pĂ©riple. Je me suis demandĂ© si, moi, homme noir, j’aurais pu faire le mĂȘme pĂ©riple aux Etats-Unis. Sans connaĂźtre certains dĂ©sagrĂ©ments « causĂ©s Â» par ma seule couleur de peau. Je reste persuadĂ© que j’aurais connu quelques difficultĂ©s Ă  certains endroits.

L’Aveuglement

 

Ce qui m’ennuie avec la rĂ©pression rĂ©clamĂ©e par ces personnes si sĂ»res d’elles qu’elles se contentent de s’exprimer sur un plateau de tĂ©lĂ© ou Ă  travers des mĂ©dia, c’est que la rĂ©pression est aveugle. A l’aveuglement de ces personnes qui rĂ©clament plus de rĂ©pression, correspond l’aveuglement de la rĂ©pression.

 

Lorsque l’on devient une machine Ă  rĂ©pression, on ne fait plus dans le dĂ©tail. Tout ce qui dĂ©passe ou n’est pas dans les cases ou dans le protocole est bon pour la matraque, le clĂ© de bras, les gaz lacrymogĂšnes, le plaquage au sol ou le cercueil.

 

On tape d’abord. On rĂ©flĂ©chit peut-ĂȘtre ensuite.

 

Il y a des fois oĂč c’est bien-sĂ»r comme ça qu’il faut agir. Et d’autres fois oĂč ça sera inadĂ©quat de rĂ©primer pour rĂ©primer.

 

 

RĂ©primer pour faire respecter la Loi dans l’instant, Oui. Tu casses une voiture, un endroit ou une personne, il est normal qu’on t’arrĂȘte. Si tu veux casser selon les rĂšgles, tu t’en prends Ă  quelqu’un qui est prĂ©venu, qui est d’accord pour te combattre, et, Ă©ventuellement, pour te casser aussi. Parce qu’il sait et peut se dĂ©fendre. Si tu t’en prends Ă  ton Ă©gal en matiĂšre de violence, cela peut ĂȘtre acceptable. Par contre, dans le cas de figure, oĂč, en sociĂ©tĂ©, tu t’en prends Ă  plus vulnĂ©rable que toi, il est normal que la Loi te reprenne. Parce-que nous sommes dans une dĂ©mocratie. Et d’autres ajouteraient : Parce-que nous sommes dans une rĂ©publique et entre personnes civilisĂ©es.

 

Donc, au dĂ©part, rĂ©primer des casseurs est justifiĂ©. Sauf qu’au sein des casseurs, les profils sont diffĂ©rents.

 

D’abord, il faudrait parler de l’effet de groupe.

 

L’effet de groupe

 

On peut parler de « racailles Â», de « sauvageons Â» et « d’ensauvagement Â» si on veut. Mais c’est selon moi trĂšs insuffisant. Il faut parler de l’effet de groupe. Je serais trĂšs curieux de savoir comment se comportent ces casseurs que nous avons aperçus Ă  la tĂ©lĂ© dans la vie de tous les jours. Et lorsqu’ils sont seuls. On ne le saura jamais avec exactitude. Mais je m’attends Ă  certaines surprises.

 

D’abord, on va parler des casseurs pour lesquels il est dĂ©jĂ  « trop tard Â» pour espĂ©rer les rĂ©insĂ©rer. Qu’ils soient meneurs dans la casse ou suiveurs.

 

Je vais rappeler ce que l’on sait dĂ©jĂ  et qui, pourtant, est souvent oubliĂ© dans certains mĂ©dia depuis des dizaines d’annĂ©es. Vous allez voir le scoop !

 

On ne naĂźt pas casseur. On ne naĂźt pas racaille. Et on ne naĂźt pas violent sur la place publique. Je ne crois pas que beaucoup de parents aient dit de leur enfant dĂ©linquant :

« DĂšs sa naissance, dĂ©jĂ , il cassait tout dans son berceau  ! Â».

 

Lorsque Simone de Beauvoir Ă©crit «  On ne naĂźt pas femme, on le devient Â», encore aujourd’hui, on trouve ça trĂšs sensĂ©. Et on opine plutĂŽt facilement de la tĂȘte. Mais, Ă©tonnamment, on n’applique pas ce raisonnement pour la « racaille Â» et les « casseurs Â».

 

Les casseurs « endurcis Â»

 

Ceci pour dire que cela prend un certain temps pour devenir un « casseur Â» et une « racaille Â». Quelques annĂ©es. Et lors de ces manifestations de violence comme ce week-end, certains de ces casseurs sont dĂ©jĂ  beaucoup trop engagĂ©s dans la violence.  Et leurs capacitĂ©s d’insertion dans la sociĂ©tĂ© sont devenues proportionnellement si restreintes que les rĂ©primer aura pour effet de les stopper provisoirement. Puis, de contribuer, comme une sorte de retour de flammes, Ă  les radicaliser et Ă  les enrager davantage contre la sociĂ©tĂ©.

 

Ces casseurs  » endurcis » ne sont pas seulement engagĂ©s dans la violence. Leur rĂ©putation au sein du groupe auquel ils se rĂ©fĂšrent et auquel ils appartiennent est aussi engagĂ©e. Avoir une rĂ©putation de «dur Â» au sein de certains groupes, c’est beaucoup plus valorisant et porteur que d’ĂȘtre celui ou celui sur qui tout le monde peut pisser et cracher. Et c’est aussi plus valorisant et porteur d’avoir une rĂ©putation de dur que d’aller pointer Ă  Pole Emploi si l’on est sans travail. Ou si l’on a du mal Ă  en trouver.

 

Ça peut aussi ĂȘtre plus valorisant et plus porteur d’avoir un CV de « dur Â» que d’accepter un emploi oĂč l’on est en bas de l’échelle sociale et que l’on vous donne des ordres. C’est Ă©galement plus valorisant d’ĂȘtre connu comme Ă©tant «  un dur Â»  que d’accepter de faire un travail oĂč l’on s’ennuie.

 

Dans la vie de tous les jours, celles et ceux qui sont Rock and roll attirent les regards et le dĂ©sir mĂȘme s’ils s’attirent aussi des ennuis avec la justice et la santĂ©. A cĂŽtĂ©, celles et ceux qui respectent toutes les lois, qui sont toujours « gentils Â» et « polis Â», apparaissent souvent fades. On les « aime bien Â» mais on ne recherche pas auprĂšs d’eux le grand frisson
.

 

 

Ces casseurs « endurcis Â» voire « Ă©mĂ©rites Â», au pire, seront des futurs candidats pour toutes sortes de dĂ©linquances, le grand banditisme ou le terrorisme. Au « mieux Â», ce seront des futurs dĂ©pressifs, des futurs alcooliques, des futurs toxicomanes (s’ils ne le sont pas dĂ©jĂ ) ou de futurs suicidĂ©s.  Quand leur violence, qui leur sert  de bouclier et d’élan vital, s’effritera en se frottant de trop prĂšs Ă  l’impuissance.

 

Quelques uns de ces casseurs « endurcis Â» peuvent s’en tirer, faire repentance et monter l’échelle sociale. Par exemple dans le milieu artistique et culturel. Ou peut-ĂȘtre en montant un commerce qui marche bien.  En se convertissant Ă  une religion. En trouvant un emploi pĂ©renne. Et ils peuvent ĂȘtre citĂ©s en exemple. Comme susciter beaucoup d’attirance au sein du « systĂšme Â» car ils ou elles sont hors norme. Ils ou elles sont si « spĂ©ciaux ». Ils sont revenus de tout. 

 

Mais pour des exceptions comme eux, combien de futurs braqueurs ? De futurs terroristes ? De futurs dĂ©pressifs ? De futurs macchabĂ©es  aprĂšs une overdose, Ă  la suite d’un accident de la route ou un rĂšglement de comptes qui a mal tournĂ© ?

 Ces chiffres-lĂ , si on les connaĂźt, on n’en veut pas sur la place publique. Parce-que l’on a « besoin Â» de « racailles Â», de « sauvageons Â» et « d’ensauvagement Â» pour s’enivrer de sensationnel. C’est presque aussi bon que la cocaĂŻne et c’est lĂ©gal.

 

C’est aussi pratique d’avoir des « sauvageons Â» et de la « racaille Â» pour pratiquer une certaine politique. Sur le plateau de Cnews, mais il n’était pas le seul, le reprĂ©sentant du Rassemblement National a Ă©tĂ© particuliĂšrement bon Ă©lĂšve pour rĂ©citer ses Ă©lĂ©ments de langage. Il avait trĂšs bien assimilĂ© ses fiches mĂ©mo-techniques.   

 

Un effet paradoxal :

 

 

RĂ©primer et seulement rĂ©primer ces casseurs « endurcis Â» a un effet paradoxal. Il faut bien-sĂ»r les rĂ©primer et les arrĂȘter. Mais seulement et toujours les rĂ©primer aura pour effet de les renforcer dans leurs accĂšs de violence.

 

 C’est un travail trĂšs difficile d’accrocher humainement avec une personne violente. De croire en elle et de lui proposer des perspectives qui pourront, peut-ĂȘtre, aprĂšs plusieurs annĂ©es, lui permettre de prĂ©fĂ©rer la vie en sociĂ©tĂ© Ă  la violence. Il faut prendre le temps d’apprendre Ă  la connaĂźtre. Avoir suffisamment de patience, d’empathie voire de sympathie pour elle malgrĂ© ce qu’elle a pu faire. MalgrĂ© ses limites, ses impatiences et ses moments de violence.

 

Il est sĂ»rement beaucoup plus facile, et plus rapide, par contre, de parler sur un plateau de tĂ©lĂ©, ou ailleurs, et d’affirmer qu’il faut plus de rĂ©pression. De la mĂȘme façon qu’il y a des endurcis et des rĂ©cidivistes de la « casse Â» et de la « violence Â», en face, il y a aussi des endurcis et des rĂ©cidivistes qui exigent constamment « plus de rĂ©pression Â».

 

On voit la suite : l’escalade de part et d’autre. Plus de violence d’un cĂŽtĂ© et plus de rĂ©pression de l’autre.

 

Mais il est vrai que certains casseurs endurcis sont sans doute dĂ©jĂ  perdus pour la vie « normale Â» quoiqu’on puisse leur proposer. Parce-que c’est trop tard. Lorsqu’ils faisaient moins de bruit, moins de dĂ©gĂąts, et qu’ils Ă©taient encore « rĂ©cupĂ©rables Â», c’était lĂ  qu’il aurait fallu tenter de les aider Ă  sortir d’une certaine violence.

 

Vorace :

 

 

Je le rappelle : je suis pour une certaine rĂ©pression. Mais pas pour une rĂ©pression totale comme semblent le rĂ©clamer et le fantasmer certaines personnes qui, Ă  mon avis, dĂ©chanteraient si elles avaient Ă  vivre dans la dictature qu’elles demandent Ă  demi mot. Parce-que la rĂ©pression que ces personnes exigent est vorace. Elle s’étendrait, aussi, Ă  un moment ou Ă  un autre, Ă  des honnĂȘtes citoyens. Car aprĂšs l’avoir utilisĂ©e contre les « sauvageons Â» et les «  racailles Â», certaines de ses pratiques ayant fait leurs « preuves Â», il se trouverait et se trouveront des sensibilitĂ©s et un certain Pouvoir pour les appliquer Ă  une nouvelle catĂ©gorie de personnes. Mais avant d’en arriver lĂ , il faudra d’abord en « finir Â» avec les casseurs.

 

 

Les casseurs « opportunistes Â» ou de passage :

 

Ce paragraphe me sera sĂ»rement reprochĂ©. Car on aura peut-ĂȘtre –encore- le sentiment ou la conviction, en le lisant, que je cautionne les manifestations violentes rĂ©centes. Alors que je condamne ces violences. Mais voici ce que je crois :

On dit bien, « il faut que jeunesse se passe Â». Ou «  Il faut que jeunesse se fasse Â». On pourrait ironiser en Ă©crivant :

 

«  Il faut plutĂŽt que certaines jeunesses se cassent Â» ou « Il faut que certaines jeunesses se tassent Â».

 

Il y a sĂ»rement des personnes d’un Ăąge adulte assez avancĂ© (25-30 ans) parmi ces casseurs que l’on a aperçus dans ces quelques images montrĂ©es sur Cnews et ailleurs.

 

Mais je crois plutĂŽt Ă  des jeunes dont l’ñge moyen se situe autour des 25 ans au maximum. Contrairement Ă  la moyenne d’ñge des gilets jaunes probablement plus Ă©levĂ©e. Cependant, je n’ai pas de preuves. Je n’étais pas avec ces jeunes au moment des faits. Je ne les connais pas. Et je n’en n’ai rencontrĂ© aucun.

 

Mais j’ai Ă©tĂ© jeune. Je travaille avec des jeunes. Cela ne fait bien-sĂ»r pas du tout  de moi la personne la plus efficiente. Cela ne fait pas non plus de moi un modĂšle d’ouverture et de sagesse.  Je peux ĂȘtre trĂšs rigide. Je ne suis pas toujours la personne la mieux inspirĂ©e au travail comme avec ma propre fille pour commencer.

 

Mais me rappeler encore un peu de ma jeunesse et travailler avec des jeunes me permet ou « m’aide» Ă  revoir certaines particularitĂ©s de cette pĂ©riode de vie comprise entre, disons, 14 et 25 ans. Parce que la rencontre, dans mon travail,  de jeunes diffĂ©rents, filles comme garçons, de milieux sociaux et de cultures variĂ©es, aux comportements divers, dans un certain nombre de circonstances me donne aussi des indices. Et entretient peut-ĂȘtre une certaine mĂ©moire.

 

Une certaine mĂ©moire d’une certaine « jeunesse Â»

 

Je « sais Â» ou me souviens que dans cette fourchette d’ñge comprise entre 14 et 25 ans, pour schĂ©matiser, alors que se rapproche l’ñge adulte, on  a peur.

 

Individuellement, on a peur de ne pas ĂȘtre Ă  la hauteur de certaines responsabilitĂ©s qui nous attendent. Quel que soit le profil que l’on a. Que l’on soit d’un bon milieu social ou non. Que l’on soit un bon Ă©lĂšve ou non. Et notre norme de pensĂ©e de rĂ©fĂ©rence, c’est plutĂŽt celle du groupe. Celle des copines et des copains de notre Ăąge. Pas celle des adultes. Puisque l’on est adolescent ou jeune adulte. A moins, bien-sĂ»r, d’avoir un adulte de rĂ©fĂ©rence, parent, Ă©ducateur ou autre. Mais ce n’est pas toujours le cas. Et cet adulte de rĂ©fĂ©rence n’est pas toujours prĂ©sent. Et on ne lui dit pas tout non plus. Lorsque vous Ă©tiez plus jeunes (je m’adresse principalement aux adultes de plus de trente ans qui liront cet article) vous avez racontĂ©, vous, Ă  un adulte ? :

 

« Aujourd’hui, j’ai commencĂ© Ă  me masturber Â». « Hier, j’ai fumĂ© un joint Â». « J’ai couchĂ© avec untel Â».

« L’autre jour, je suis allĂ© voler dans un supermarchĂ©. Personne ne m’a attrapĂ© Â».

 

On fait des conneries. Certaines plus graves que d’autres. Et, en groupe, cela s’amplifie. Cela est d’ailleurs vrai mĂȘme pour les adultes. MĂȘme s’il s’agit d’autres sortes de conneries moins visibles sur la place publique qu’une casse de voitures dans une rue prĂšs des Champs ElysĂ©es.

 

Parmi les jeunes casseurs « opportunistes Â» ou de « passage Â», il doit bien s’en trouver quelques uns qui ont cassĂ© ce week-end pour faire comme les copains.

Pour ĂȘtre avec les copains.  Pour kiffer. Pour se sentir trĂšs forts. Sans rĂ©flĂ©chir aux consĂ©quences. Et le reste du temps, ces mĂȘmes jeunes casseurs « opportunistes Â» ou de « passage Â»  sont plutĂŽt tranquilles. Ce sont peut-ĂȘtre des jeunes bien Ă©levĂ©s et de « bonne famille Â». Qui sont bons Ă  l’école ou en sport. Ou qui pourraient ĂȘtre bons.

 Il ne s’agit pas d’une attitude rĂ©flĂ©chie de leur part. Je ne pense pas que ces jeunes, casseurs opportunistes ou de passage, se soient dit :

« Je suis un bon Ă©lĂšve en classe. Mon casier judiciaire est vierge. Je suis un jeune sans problĂšmes. Tout le monde me connaĂźt et j’ai une bonne cote. C’est bon, j’ai une trĂšs bonne couverture. Je peux aller casser quelques voitures et quelques vitrines de magasins avec les copains. On ne pourra pas me retrouver. Il ne m’arrivera rien Â».

Quelques uns de ces jeunes «  bien sous tous rapports Â» ont peut-ĂȘtre eu ce raisonnement trĂšs calculateur mais ils sont Ă  mon avis une minoritĂ©.

 

Le piÚge du tout répressif

 

Le « piĂšge Â», avec ce tout rĂ©pressif demandĂ© par certaines personnes est qu’il suffit que ces jeunes casseurs opportunistes ou de passage assistent Ă  une bavure ou soient victimes d’une bavure pour que cela se passe trĂšs mal ensuite. On dira :

« Ils n’avaient pas  Ă  ĂȘtre lĂ  Ă  tout casser. Tant pis pour eux ! Et les victimes de leurs comportements, vous pensez aux victimes de leurs comportements ?! Â».

 

Oui, je pense aux victimes de leurs comportements. A celles et ceux qui n’ont rien demandĂ© et qui se sont trouvĂ©es sur leur passage. Des personnes, d’ailleurs,  ( les victimes) qui pourraient autant faire partie des patients que mes collĂšgues et moi rencontrons
. comme certains de ces jeunes casseurs ou agresseurs.

Un casseur de passage ou opportuniste qui est le tĂ©moin direct d’une bavure ou qui en est victime du fait d’une rĂ©pression jusque-boutiste peut se radicaliser. Et il peut devenir un violent d’un autre type. Du type plus persistant. Du genre politisĂ© tendance extrĂ©miste ou terroriste. 

 

A l’inverse, un casseur de passage ou opportuniste, peut, aussi, passĂ©e une certaine pĂ©riode, de lui-mĂȘme, ou aprĂšs avoir Ă©tĂ© interpellĂ©, se retirer de ce genre de manifestation violente. Parce qu’il a compris la « leçon Â» et la sanction. Parce qu’il a compris de lui-mĂȘme que la violence Ă©tait allĂ©e trop loin du cĂŽtĂ© de ses copains.

Parce qu’il a d’autres projets et d’autres intĂ©rĂȘts dans l’existence. Et qu’il a les moyens de les rĂ©aliser.

 

Cependant, il y a aussi parmi ces casseurs, endurcis ou de passage, des personnes qui sont soit des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal Ă  se dĂ©terminer d’un point de vue identitaire.

 

Des individus habituellement de seconde zone ou qui ont du mal Ă  se dĂ©terminer d’un point de vue identitaire

 

Sur CNews et ailleurs, il y a eu un fait qui s’est Ă  nouveau rĂ©pĂ©tĂ© et qui se rĂ©pĂšte depuis des annĂ©es voire depuis plusieurs gĂ©nĂ©rations sur les plateaux de tĂ©lĂ© et dans certains mĂ©dia. Je ne sais pas si je suis obsĂ©dĂ© par cette observation.  SĂ»rement. Mais je crois que ce fait  change, aussi, un peu, la façon de voir les Ă©vĂ©nements. Parce-que, je peux ĂȘtre trĂšs satisfait de mon analyse et me tromper totalement. Mais si mon analyse est juste, je n’ai aucun mĂ©rite. Parce-que j’écris, je crois, des Ă©vidences qui sont pourtant souvent absentes de certains plateaux tĂ©lĂ© comme de certains mĂ©dia lorsque l’on parle de certains faits de violence dus Ă  des jeunes ou Ă  certains jeunes « issus de l’immigration Â».

 

Sur le plateau de Cnews, lors du « dĂ©bat Â» concernant les faits de violence de la veille, une majoritĂ© de blancs, femmes comme hommes. Bien-sĂ»r, on peut ĂȘtre blanc et ĂȘtre trĂšs ouvert Ă  l’autre. Comme on peut ĂȘtre noir et ĂȘtre raciste et trĂšs Ă©troit d’esprit.

 

Alors, je continue : je me demande lesquels, parmi ces intervenants lors de ce dĂ©bat sur Cnews, et dans quelles proportions, Ă©taient issus d’un milieu social modeste ou dĂ©favorisĂ© ? Ou, tout simplement:

Lesquels,  parmi ces intervenantes et intervenants, et dans quelles proportions, et combien de temps, avaient grandi dans une citĂ© ou un quartier Ă©quivalent oĂč la rĂ©putation d’ĂȘtre « un dur Â» (ou « une dure Â») est plus gratifiant que d’avoir de bonnes notes Ă  l’école ou d’ĂȘtre calme et sans histoires ?

 

Je me rĂ©pĂšte : je n’approuve pas ces actes de violence qui ont suivi le match Bayern de Munich/ Le PSG. Et, plus jeune, je n’aurais pas fait partie des casseurs parce qu’à cette heure-lĂ , j’aurais Ă©tĂ© chez mes parents. Soit couchĂ©. Soit en train de faire mes devoirs ou en train de lire. Quoiqu’il en soit, mes parents ne m’auraient pas permis, mĂȘme Ă  18 ans, d’aller sur les Champs ElysĂ©es aprĂšs la fin d’un match de Foot. On pourra dire que j’ai eu une bonne Ă©ducation. Je ne suis pourtant pas persuadĂ© qu’avoir une Ă©ducation trĂšs sĂ©curitaire, et parfois trĂšs enfermĂ©e, comme celle que j’ai pu avoir, ait toujours Ă©tĂ© une Ă©ducation appropriĂ©e me prĂ©parant toujours au mieux pour ma vie d’adulte. Mais ce qui est certain, c’est qu’en pratique, en Ă©tant chez mes parents Ă  « l’heure des poules Â», je n’aurais pas pu faire partie des casseurs de ce dimanche soir. Il y a pourtant sĂ»rement eu un certain nombre de jeunes sortis dimanche soir, et d’autres soirs, « issus de l’immigration Â» ou non, qui n’ont rien cassĂ© du tout. Mais, comme souvent, on parle, on parlera et on reparlera de celles et ceux qui cassent et agressent.

 

Je suppose que ceux qui ont cassĂ© dimanche soir, pour les plus actifs et les plus meneurs, sont ordinairement des individus de « seconde zone Â». Des individus que l’on ne voit pas. Ou, en tout cas, que l’on ne voit pas lorsqu’ils sortent de chez eux : lorsqu’ils sortent de leur quartier. Lorsque l’on y regarde bien, il y a aussi quelque chose de trĂšs triste et d’assez pathĂ©tique dans cette jeunesse qui a cassĂ© ce dimanche soir :

 

Pour s’illustrer et se faire remarquer (j’ai aperçu quelques jeunes filmant l’action avec leur tĂ©lĂ©phone portable) ils en sont rĂ©duits Ă  tout casser. Si les dĂ©gĂąts qu’ils ont causĂ©s sont bien sĂ»r un  grave prĂ©judice pour leurs victimes, ils s’occasionnent au passage un prĂ©judice dont ils ignorent sĂ»rement certaines consĂ©quences. Ils se coupent un peu plus de la sociĂ©tĂ©. Et, s’ils ont Ă©tĂ© victimes eux-mĂȘmes ou se sentent victimes, de façon lĂ©gitime ou non, de la sociĂ©tĂ© française, on les enferme et on les enfermera uniquement dĂ©sormais dans la case des « sauvageons Â» et de «  la racaille Â».

 

 Avant de les enfermer en prison.

 

 

Une prison identitaire

 

Surtout qu’il y a sĂ»rement une prison dans laquelle se trouve en partie, ou beaucoup, certains de ces jeunes casseurs de ce dimanche soir et d’autres fois. La prison identitaire.

 

Lorsque l’on est enclavĂ© entre deux directions identitaires apparemment incompatibles, l’une française et l’autre Ă©trangĂšre, entre l’enfance et l’ñge adulte, entre la rĂ©ussite personnelle et sociale et le sentiment d’échec ou d’errance, on peut soit dĂ©primer et s’effondrer. Soit parvenir Ă  se maintenir la tĂȘte hors de l’eau par diffĂ©rents moyens. Soit exploser. Et casser.

 

Et, face Ă  cela, certains affirment qu’il faut
. plus de rĂ©pression. RĂ©pression. Ce mot lĂ  les fait rĂȘver. On dirait que ce mot est tout pour eux. On va « juste Â» rĂ©primer et tout va aller mieux ensuite.

 

D’un autre cĂŽtĂ©, ĂȘtre jeune et ĂȘtre dĂ©jĂ  prisonnier d’une rĂ©putation de « sauvageon Â» et de « racaille», c’est quand mĂȘme plus dĂ©courageant et plus handicapant que d’ĂȘtre perçu comme « un espoir Â» ou un « prodige Â». MĂȘme si les jeunes qualifiĂ©s de « racailles Â» et de « sauvageons Â» vont affirmer fiĂšrement, devant les copains, qu’ils s’en battent les couilles ou se marrer.

Parce qu’une fois que l’on a fini de tout casser, avec les copains, que l’on s’est bien dĂ©foulĂ©, ou amusĂ© Ă  le faire, et que l’on a remportĂ© quelques trophĂ©es, l’ordinaire du quotidien nous reprend. Et casser plus de voitures et de vitrines de magasins ne changera rien, au fond, Ă  la vie qui nous effraie et qui nous frustre. MĂȘme en volant quantitĂ© d’objets. MĂȘme en suscitant l’admiration ou la crainte dans notre entourage direct. On finira bien par s’en apercevoir un jour ou l’autre. Qu’il y ait la rĂ©pression de la police et de la justice ou non.

 

Une casse d’autant plus mal perçue d’un point de vue moral

 

Mais ce qu’une partie des citoyens « veut Â», c’est des rĂ©sultats immĂ©diats. Je le comprends : je n’aurais pas aimĂ© retrouver  la vitrine de mon magasin Ă©clatĂ©e en mille morceaux. Je n’aurais pas aimĂ© ĂȘtre agressĂ© physiquement par plusieurs personnes.

 

En plus, les consĂ©quences Ă©conomiques du Covid-19, que l’on appelle de plus en plus « La Â» Covid, comme si ce virus Ă©tait hermaphrodite ( on va bientĂŽt apprendre que ce virus a Ă©tĂ© finalement transmis par des escargots) ont rendu toute cette casse d’autant plus « sensible Â» d’un point de vue moral :

 

On considĂšre sĂ»rement ces jeunes casseurs comme d’autant plus irresponsables alors que l’on « sait» que la pandĂ©mie du Covid-19 a mis des gens au chĂŽmage ; va en mettre d’autres au chĂŽmage ; Et avoir d’autres effets catastrophiques Ă  court et Ă  moyen terme sur l’ensemble de la sociĂ©tĂ©.

 

Ces jeunes casseurs ne se sentent pas concernĂ©s a priori par tout ça du fait, en partie, de leur insouciance (ça va avec leur Ăąge). Mais peut-ĂȘtre aussi parce qu’ils n’ont rien Ă  perdre. Ou parce qu’à peine adultes, ils ont dĂ©jĂ  tout perdu ou Ă  peu prĂšs tout perdu. Ou qu’ils se considĂšrent dĂ©jĂ  comme exclus de la sociĂ©tĂ© française et de la sociĂ©tĂ© des adultes travailleurs.

 

Mais ce genre de considĂ©rations est secondaire pour les adeptes de la rĂ©pression car l’urgence est Ă  l’ordre. Et, pour que la rĂ©pression soit active, il faut d’abord que la police intervienne et ait les moyens d’intervenir au lieu de laisser faire «  la racaille Â» et «  les sauvageons Â».

 

La police

 

Je n’aimerais pas ĂȘtre agent de la paix en 2020 dans les zones urbaines oĂč des affrontements frĂ©quents ont lieu entre certains jeunes et les forces de l’ordre.

 

RĂ©sumer la police Ă  une meute de racistes et d’incapables revient au mĂȘme, pour moi, que rĂ©sumer des jeunes « issus de l’immigration Â» Ă  des sauvageons et Ă  de la racaille.

 

Il y a des racistes, des incapables ainsi que des casseurs dans la police. De mĂȘme qu’il y a des erreurs mĂ©dicales Ă  l’hĂŽpital. Ou des erreurs de jugement. Cela ne signifie pas que tous les policiers sont des incapables, des casseurs et des racistes. Et qu’il n y a que des erreurs mĂ©dicales et du personnel mĂ©dical et paramĂ©dical incompĂ©tent et des juges dilettantes.

 

 

Je n’aimerais pas ĂȘtre agent de la paix en 2020 parce-que si certains jeunes sont entravĂ©s entre deux directions de vie apparemment inconciliables, bien des policiers se sentent  sĂ»rement certaines fois en contradiction avec certaines de leurs valeurs lorsqu’ils doivent exĂ©cuter certaines directives.

 

Faire peur :

 

On rĂ©pĂšte que la police ne fait plus peur. Qu’elle puisse et sache se faire respecter, c’est nĂ©cessaire. Mais je trouve ça Ă©tonnant que l’on attende avant tout de la police qu’elle fasse principalement peur. Voire qu’elle ne puisse faire que ça. Inspirer de la peur. 

 

Si la police n’inspirait que de la peur, nous vivrions sous  un autre rĂ©gime politique. MĂȘme le citoyen lambda et innocent la fuirait. Croiser une voiture de police sur la route alors que l’on conduit en respectant scrupuleusement le code de la route nous donnerait des palpitations.  Il suffirait qu’un policier ou une policiĂšre nous regarde pour avoir aussitĂŽt le sentiment d’ĂȘtre indigne d’exister.  En nous rendant Ă  un commissariat pour dĂ©clarer que la vitre avant de notre voiture a Ă©tĂ© cassĂ©e et le vol de certains objets, nous n’aurions qu’à acquiescer sans reprendre ou contredire l’agent de police si celui-ci a mal compris nos propos.

 

Une police qui fait peur est aussi une police qui compterait plus d’agents qui pourraient se permettre à peu prùs n’importe quoi.

 

Avoir du Pouvoir, en particulier celui d’intimider et de commander, inspire quand mĂȘme Ă  quelques personnes une certaine ivresse des grandeurs.  Ainsi qu’ une certaine paresse de la rĂ©flexion et de l’autocritique. Cela peut venir trĂšs rapidement lorsque l’on voit certaines femmes et hommes politiques dĂšs qu’ils accĂšdent au Pouvoir. Ou, plus simplement, certaines personnes qui deviennent cadres au sein d’une entreprise tandis que leurs collĂšgues sont restĂ©s de « simples Â» employĂ©s.

Alors, un agent de police qui ferait exclusivement peur, serait d’autant plus effrayant qu’il porte sur lui  une arme lĂ©tale que le citoyen « normal Â» n’a pas le droit d’avoir sur lui.

Un citoyen « normal Â» qui peut ĂȘtre menottĂ©, immobilisĂ© et qui peut ĂȘtre contraint de rendre des comptes sans s’opposer ni rĂ©sister. Qu’il soit Ă  pied ou dans un vĂ©hicule.  Qu’il se rende Ă  son travail ou chez le mĂ©decin. Qu’il ait une urgence personnelle ou non. Qu’il soit seul ou avec sa femme et ses enfants.

 

Selon certains syndicats policiers, l’impunitĂ© dont jouissent certains dĂ©linquants rĂ©cidivistes met Ă  mal leur travail et leur crĂ©dibilitĂ©. Je les comprends. Mais ce qui me dĂ©range aussi, c’est que la police soit Ă  la fois la baĂŻonnette et  la marionnette dont l’Etat se sert contre certains mouvements sociaux (gilets jaunes et autres). Alors que ces mouvements sociaux proviennent, aussi, comme pour les jeunes casseurs,  mais pour d’autres raisons peut-ĂȘtre, de dĂ©gradations de conditions de vie rĂ©pĂ©tĂ©es sur plusieurs annĂ©es.

 

 

Les parents des « sauvageons Â» et de la « racaille Â» :

Assez frĂ©quemment, on « aime Â» bien aussi taper sur les parents des « sauvageons Â» et de la «racaille Â». Ces parents sont souvent considĂ©rĂ©s comme des irresponsables responsables des exactions de leurs enfants. C’est vrai qu’il y a un hĂ©ritage. Mais il faut voir de quel hĂ©ritage on parle. On « sait Â» que l’on peut ĂȘtre pauvre, dĂ©favorisĂ©, noir, arabe, chinois, musulman, juif, « issu de l’immigration Â» et ĂȘtre en rĂšgle avec la Loi. Lorsqu’il a Ă©tĂ© nommĂ© derniĂšrement Ministre de l’IntĂ©rieur, GĂ©rald Darmanin a cru judicieux de faire savoir qu’il Ă©tait petit fils « d’immigrĂ© Â» ou qu’il avait des origines immigrĂ©es. J’ai trouvĂ© ça trĂšs hypocrite ou trĂšs fayot de sa part. MĂȘme si, Ă©videmment, c’était sa façon de dire que l’on peut ĂȘtre d’origine immigrĂ©e en France et y rĂ©ussir socialement.

Mais j’ai trouvĂ© ça trĂšs hypocrite  et trĂšs calculĂ© de sa part car je crois qu’il faut ĂȘtre trĂšs hypocrite ou vraiment trĂšs ignorant pour passer sur le fait que la couleur de peau importe presque autant, voire plus, que les origines personnelles pour accĂ©der Ă  une certaine rĂ©ussite sociale en France. Et il en est de mĂȘme pour les prĂ©noms que l’on porte : ça passe mieux de s’appeler Mathilde ou Sandrine que de s’appeler AĂŻcha ou Aya si l’on aspire Ă  certaines (bonnes) Ă©coles.  MĂȘme si on peut certainement trouver des AĂŻcha et des Aya dans les bonnes Ă©coles.

 

Dans le monde du travail, s’appeler Mouloud ou GĂ©rald ne produit pas le mĂȘme effet sur un CV selon l’endroit oĂč l’on postule en France. Si l’on postule en tant que balayeur, on peut s’appeler Mouloud. Aucun problĂšme. On peut mĂȘme s’appeler Mamadou. Cela ne sera pas un handicap. Par contre, si l’on postule en tant que consultant ou en tant qu’ingĂ©nieur, s’appeler GĂ©rald sera en France plutĂŽt un bon dĂ©but. MĂȘme si Mouloud pourra malgrĂ© tout obtenir le poste finalement. Car il y a de bonnes surprises aussi en France.

 

Mais on « sait Â» aussi que si l’on a des parents pauvres, dĂ©pressifs, au chĂŽmage, alcooliques, exploitĂ©s, larguĂ©s, humiliĂ©s, Ă©puisĂ©s moralement et physiquement, qui ont des tĂȘtes et des vies de vaincus plutĂŽt que des tĂȘtes et des vies de vainqueurs, que cela joue un peu quand mĂȘme quant au modĂšle Ă  suivre lorsque l’on est enfant. Que ces parents soient blancs, jaunes, arabes, noirs ou jupitĂ©riens.

 

Et ces parents larguĂ©s et dĂ©possĂ©dĂ©s d’eux-mĂȘmes ne sont pas tous des parents parasites ou haineux envers la France et la sociĂ©tĂ©. Ce peut ĂȘtre des parents qui ont vĂ©ritablement donnĂ© de leur personne et qui se sont entamĂ©s pour obtenir une vie courante qui fait difficilement rĂȘver. Et, selon l’environnement oĂč ils habitent et vivent avec leurs enfants, il peut y avoir plus de dĂ©bouchĂ©s et d’exemples immĂ©diats dans la dĂ©linquance que dans les Ă©tudes et l’emploi.

 

Dans mon collĂšge, j’ai pu ĂȘtre marquĂ© par certains Ă©lĂšves qui faisaient partie de la section haut niveau de natation de la ville. Dans la cour de l’école, ils  dĂ©notaient. Les cheveux assez souvent dĂ©colorĂ©s par le chlore, ils se regroupaient souvent ensemble. J’en ai connu deux dans une de mes classes. Ils Ă©taient  plutĂŽt bons Ă©lĂšves. La mĂšre de l’un des deux m’a  gracieusement donnĂ© des cours de maths en 4Ăšme ou en 3Ăšme. Mais malgrĂ© mon assiduitĂ© Ă  ces cours particuliers, j’étais dĂ©jĂ  une cause perdue pour les maths oĂč son fils, par contre, mon camarade de classe, Ă©tait bon. Un de ses frĂšres aĂźnĂ©s dĂ©tenait un record de France en athlĂ©tisme. Leur pĂšre Ă©tait mĂ©decin et avait son cabinet. Et ils vivaient dans une maison individuelle. Dans la mĂȘme ville, Ă  Nanterre, je vivais quant Ă  moi au 6Ăšme Ă©tage dans un appartement, en location, avec mes parents, dans un immeuble HLM de 18 Ă©tages. C’était un petit peu le jour et la nuit, quand mĂȘme, non ?

 

Ces collĂ©giens qui appartenaient Ă  la section haut niveau de natation faisaient partie des bons Ă©lĂ©ments du collĂšge. Ils se singularisaient en tout cas plus de cette façon que comme des collĂ©giens bagarreurs ou Ă  problĂšmes. On retrouve Ă  nouveau le phĂ©nomĂšne de groupe et aussi d’identification Ă  un groupe dans lequel ils se sentaient vraisemblablement valorisĂ©s mais aussi entraĂźnĂ©s. Sauf que, lĂ , il s’agissait d’un groupe vertueux et modĂšle. Et non d’un groupe de casseurs ou de bagarreurs. La bagarre et la casse ne faisaient pas partie des valeurs premiĂšres de ce groupe de jeunes nageurs de haut niveau. Cela n’empĂȘche pas et n’a sans doute pas empĂȘchĂ© qu’ensuite, certains « membres Â» de ce groupe de natation de haut niveau aient pu mal « tourner Â» Ă  partir de la fin du collĂšge et des annĂ©es de lycĂ©e. Ou ensuite. NĂ©anmoins, la « photo Â» que je garde de ce groupe de nageurs de haut niveau lorsque je repense Ă  cette Ă©poque, est celle de jeunes qui avaient la rĂ©putation de faire des vagues seulement dans un bassin de natation. Certainement que par la suite, il en a Ă©tĂ© tout autrement pour quelques unes ou quelques uns de ces nageurs. Mais, en attendant, plusieurs de nos « casseurs Â» de ce week-end, Ă  la mĂȘme pĂ©riode de leur vie, celle du collĂšge, faisaient sĂ»rement dĂ©jĂ  des vagues autour d’eux.

 

Une autre sorte de prison

 

LĂącher- en apparence- la bride aux jeunes casseurs et « tabasser Â» les gilets jaunes via la police est peut-ĂȘtre un acte de lĂąchetĂ© de l’Etat. Mais c’est peut-ĂȘtre, aussi, une dĂ©cision choisie. Et stratĂ©gique. Cela permet de laisser pourrir un certain climat social.

Et d’obtenir l’accord voire la bĂ©nĂ©diction de la population pour plus de police. Pour plus de contrĂŽles. Moins de libertĂ©s individuelles. Pour plus de rĂ©pression. Pour plus de « sĂ©curitĂ© Â». Pour plus de justice expĂ©ditive et punitive. Pour plus de prisons. Pendant le dĂ©bat sur Cnews, il a aussi pu ĂȘtre affirmĂ© qu’il fallait plus de prisons !

 

Il faut sĂ»rement plus de prisons comme il faut aussi de la rĂ©pression face Ă  la casse. D’accord. Mais il faut voir ce qui se passe ensuite dans les prisons. Ce qu’on y fait. Et pour qui. Si c’est pour crĂ©er, au travers de nouvelles prisons, de nouvelles pĂ©piniĂšres de radicalisation et d’inadaptations sociales, il est difficile de se contenter de ces seules solutions. Parce qu’un certain nombre des dĂ©tenus sortent un jour de prison. Et s’ils sont encore plus inadaptĂ©s Ă  la sortie qu’à l’arrivĂ©e, ils retourneront Ă  ce qu’ils savent faire et iront retrouver les seuls qui les accepteront. Leurs proches et celles et ceux qui leur ressemblent
..

 

Avec la pandĂ©mie du Covid-19, et le plan Vigie Pirate en raison du risque terroriste, sans omettre la façon dont nous sommes pistĂ©s sur internet chaque fois que nous nous connectons ou effectuons un achat ou une recherche, nos libertĂ©s individuelles ont dĂ©jĂ  perdu une certaine amplitude. Nous avons appris Ă  nous en accommoder. Or, tout ce que l’on nous promet pour cette rentrĂ©e Ă  venir et pour les deux ou trois prochaines annĂ©es, c’est plus d’efforts Ă  produire, donc plus d’enfermement d’une façon ou d’une autre.

 

Finalement, j’ai l’impression que ces dĂ©bats rĂ©pĂ©tĂ©s et millimĂ©trĂ©s, autour de la « racaille Â» et des «sauvageons Â» qui n’ont pas Ă©voluĂ© tant que ça depuis des annĂ©es, sont aussi une autre sorte de prison. Et que nous sommes encore (trĂšs) loin ĂȘtre sortis de ce type de prison. Parce-que la principale finalitĂ© de cette prison- mentale- est de s’auto-rĂ©gĂ©nĂ©rer indĂ©finiment. Seuls les visages et les noms de ses reprĂ©sentants et de ses gardiens changent.

 

Une chaine comme Cnews ou tout autre mĂ©dia identique qui tourne en boucle nous hypnotise avec du vide. Le vide de l’angoisse, de la peur, du sensationnel et de l’amnĂ©sie. Le plus ironique serait d’apprendre qu’un certain nombre des casseurs de ce week-end, lorsqu’ils sont devant la tĂ©lĂ©,  perçoivent Cnews comme une des chaines de rĂ©fĂ©rence. Comme l’une des chaines tĂ©lĂ© qu’il convient de regarder rĂ©guliĂšrement.

 

Franck Unimon, mercredi 26 aout 2020.

 

 

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Echos Statiques

Situation irréguliÚre

 

                                                       Situation irrĂ©guliĂšre

 

 

 

 

Ils font partie des mutants. «  Ils Â» : ils et elles.

 

Ils sont les rĂ©sidents de situations particuliĂšres. Dans la fourmiliĂšre en mouvement que peut ĂȘtre un pays, une localitĂ© ou une rĂ©gion,  ou parfois un souvenir, ils sont celles et ceux qui voient, Ă©coutent, touchent de prĂšs les transes et les errances tandis que d’autres peuvent se permettre de les ignorer, de dĂ©battre ou de dĂ©jeuner tranquillement Ă  cĂŽtĂ© en terrasse, entre collĂšgues, entre amis ou en famille.

 

Les mutants essaient de remĂ©dier Ă  ce qu’ils voient, Ă  ce qu’ils vivent, Ă  ce qu’ils dĂ©codent de l’envers de ces personnes dont ils ont la charge. Chacune de ces personnes est Ă  sa maniĂšre un SOS ambulant.

 

Certains SOS sont temporaires. D’autres sont des SOS permanents.  SOS :

 

« Save our souls Â».

 

Peu importe le contexte : crise, chĂŽmage, Ă©pidĂ©mie, confinement, dĂ©confinement, montĂ©e des os, effondrement, conflits, suicides rĂ©els ou supposĂ©s, Ă©vĂ©nements immĂ©diats ou Ă  venir. Quel que soit le rĂ©gime alimentaire, religieux, ethnique ou politique, ils et elles seront prĂ©sents et essaieront d’ĂȘtre des escortes de la vie jusqu’à la voir repartir. MĂȘme si,  bien des fois, celle-ci restera enfermĂ©e dans des escaliers ou sera happĂ©e par le gravier. 

 

Il en faut des pouvoirs pour, la mission terminĂ©e, malgrĂ© les collisions et les accidents de parcours,  continuer Ă  servir tout en ayant un comportement compatible avec la vie sociale.

 

 

Souvent, on dit d’eux qu’ils ont «  la vocation Â». C’est peut-ĂȘtre vrai. Mais c’est aussi plus pratique comme ça afin de parler de leur mĂ©tier. Et aussi afin de pouvoir les juger lorsque leurs comportements dĂ©plairont. Le contraire de la « vocation Â» est la rĂ©vocation. Et la rĂ©vocation embroche sur l’opprobre et le bannissement :

 

Tant que tu es parfait(e), tu as la vocation. DĂšs que tu cesses de l’ĂȘtre, tu mĂ©rites le dĂ©goĂ»t.

 

Ce serait trop facile de dire que l’on parle d’un mĂ©tier ou d’une personne en particulier. De les borner avec un identifiant dĂ©finitif afin, une fois encore, de boucler rapidement le sujet parce qu’on a d’autres choses Ă  « faire Â». HĂ© bien, on va faire aussi compliquĂ© que la vie.

 

Ces mutants sont semblables Ă  celles et ceux que l’on peut voir dans les comics, dans les films ou dans les sĂ©ries :

 

Pourvus d’aptitudes particuliĂšres soit du fait d’une sensibilitĂ© ou d’une infirmitĂ© qui leur est propre ou d’un traumatisme connu ou ignorĂ© d’eux, ces mutants sont tantĂŽt recherchĂ©s, tantĂŽt  banalisĂ©s ou rejetĂ©s. Selon les humeurs et les besoins du pays, de la rĂ©gion, de la sociĂ©tĂ©, d’une pĂ©riode de vie ou d’une Ă©poque.

 

 

Ces mutants peuvent donc aussi ĂȘtre des migrants. Ce n’est pas Ă©tonnant.  

 

Notre monde nous confronte Ă  des frontiĂšres et des contrĂŽles permanents. Des cookies qu’il faut accepter pour pouvoir lire un simple article sur un site, aux codes Ă  passer ou Ă  fournir pour entrer chez soi ou accĂ©der Ă  ses comptes bancaires. L’argent aussi est une frontiĂšre et un contrĂŽle. Certains quartiers et certains milieux. Ainsi qu’un certain Savoir (oĂč ses revers : la peur et l’ignorance) comme le fait de dĂ©pendre d’une  piĂšce d’identitĂ©.

 

Certaines informations rĂ©pĂ©tĂ©es, y compris par nos proches et par nous-mĂȘmes, sont aussi des frontiĂšres et des contrĂŽles. Certaines fois, nous rĂ©ussissons Ă  passer les frontiĂšres et les contrĂŽles. D’autres fois, non.

 

Plusieurs fois par jour, on peut devenir un migrant et un mutant Et certaines personnes plus que d’autres. Nous sommes ainsi, mutants et migrants, ignorants aussi, expulsĂ©s rĂ©guliĂšrement de notre horloge interne et passant une bonne partie de notre vie Ă  courir aprĂšs un badge qui nous ouvrira l’heure.

 

Certaines fois, il nous faudrait un bon marabout pour nous y retrouver. On l’a peut-ĂȘtre dĂ©jĂ  croisĂ© plusieurs fois, sous diffĂ©rentes formes, sauf que, pour nous, il sera d’abord classĂ© comme individu suspect ou en situation irrĂ©guliĂšre.

 

 

Franck Unimon, vendredi 19 juin 2020.

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Cités Numériques

                                                                   CitĂ©s NumĂ©riques     

 

J’ai le moral. Je me sens bien. Et vous ?    

 

Depuis que j’ai regardĂ© un documentaire sur le « quartier Â» des Canibouts, Ă  Nanterre,  en 1981, grĂące aux archives de L’INA, j’estime m’ĂȘtre plus dĂ©conditionnĂ© de l’épidĂ©mie du Coronavirus.   Initialement, aprĂšs avoir lu une interview de Fary, j’avais d’abord cherchĂ© Ă  regarder des prestations de l’humoriste Gaspard Proust. Puis, j’ai regardĂ© Haroun. Thomas N’Gigol. JĂ©rĂ©my Ferrari (dont j’apprĂ©cie le gros travail de recherche et certaines rĂ©flexions mais qui ne me fait pas rire). Il y a longtemps que je me dis que ce serait bien de prendre le temps de regarder le travail fourni par des humoristes. Femmes et hommes. Je regrette de ne pas prendre ce temps. Puis ces archives de l’INA sur Les Canibouts sont restĂ©es lĂ , Ă  me faire de l’Ɠil, sur la droite de l’écran. J’ai fini par cliquer dessus.   

 

 

 

Cinquante minutes durant, j’ai regardĂ© ce documentaire. MĂȘme s’il est triste de se dire que pratiquement tous les problĂšmes rencontrĂ©s dans certaines banlieues et dans certaines citĂ©s aujourd’hui sont lĂ , dans ce documentaire, qui date de 1981 :   Les jeunes originaires d’AlgĂ©rie, nĂ©s en France, qui doivent choisir entre la NationalitĂ© algĂ©rienne ou la NationalitĂ© française. Et qui, s’ils ne choisissent pas, sont considĂ©rĂ©s comme « sans papiers Â» Ă  18 ans. Et, lorsqu’ils ont des papiers français sont dĂ©favorisĂ©s lors de leur recherche d’emploi : «  Quand on est Français, on ne s’appelle pas SaĂŻd Â».  

 

La Drogue. LSD, cocaĂŻne, HĂ©roĂŻne….  

 

La mauvaise cohabitation entre les jeunes, en « meutes Â», et les adultes travailleurs, retraitĂ©s ou joueurs de boules. Une mixitĂ© sociale qui existait alors encore et qui, depuis, a Ă©clatĂ© et disparu, tels des couples et des familles qui, aprĂšs plusieurs annĂ©es de tentatives de vie commune, ont dĂ©cidĂ© de divorcer et de s’affronter.  

La BMW et la Golf, dĂ©jĂ , Ă©taient les voitures de rĂ©fĂ©rence. Comme aujourd’hui, encore, pour certains, dans certaines banlieues et certaines citĂ©s.  

En regardant ce documentaire, je me suis dit que les Ă©lites de l’époque, en particulier politiques, ont soit continuĂ© leur Guerre d’AlgĂ©rie, aprĂšs la Guerre d’AlgĂ©rie, sur le dos de milliers de jeunes originaires d’AlgĂ©rie. Ou Ă©tĂ© proches, finalement, de certaines idĂ©es de l’ExtrĂȘme Droite, dont on devine quelques futurs Ă©lecteurs parmi ces adultes (tous d’origine europĂ©enne et blancs pour ceux que l’on voit) habitant aux Canibouts et excĂ©dĂ©s par les frasques des jeunes des Canibouts majoritairement d’origine maghrĂ©bine pour ceux que l’on voit.  

 

Plus jeune, je connaissais Les Canibouts de « rĂ©putation Â».  J’avais 13 ans en 1981 et je vivais Ă  Nanterre oĂč je suis nĂ©.  

La rĂ©putation des Canibouts Ă©tait mauvaise.  

Au collĂšge puis au lycĂ©e, j’ai connu quelques personnes qui en « venaient Â» ou y habitaient. Toutes ces personnes n’étaient pas des « mauvais Â» Ă©lĂ©ments. Bien des jeunes qui habitaient aux Canibouts ou prĂšs des Canibouts Ă©taient de trĂšs bons Ă©lĂšves et se « tenaient bien Â». Mais ceux qui «dĂ©vissaient» le plus, eux, ont suffi Ă  donner une mauvaise rĂ©putation. Et je ne les connaissais pas pas. C’Ă©taient des personnages tĂ©nĂ©breux.   

En repensant au documentaire hier soir ou ce matin, je me suis aperçu que les filles en sont absentes. On aurait dit qu’il y avait uniquement des garçons adolescents aux Canibouts. OĂč Ă©taient les filles alors que l’on parle trĂšs peu de religion dans ce documentaire ? Et alors que l’on ne parlait pas, Ă  l’époque, d’intĂ©grisme religieux qu’il soit musulman ou catholique. On ne parlait pas non plus de barbu ou de femme voilĂ©e. Aucun des jeunes arabes que l’on voit  l’écran, en 1981,  dans ce documentaire, ne porte la barbe.  

 

Dans ce documentaire, je me rappelle aussi de cette mĂšre, une des seules personnes de sexe fĂ©minin que l’on voit parmi les personnes originaires du Maghreb, qui s’exprime :   C’est la mĂšre d’un des jeunes, SaĂŻd, je crois.

Cette mĂšre nous apprend qu’elle travaille de 6h du matin jusqu’à 21h. 15 heures de travail quotidien.  

ça me rappelle un peu le sketch de Pierre Desproges, Rachid, je crois, oĂč il dit Ă  peu prĂšs :  

«  C’est drĂŽle, comme, pour des fainĂ©ants, les Arabes sont des gens qui se couchent tard et se lĂšvent tĂŽt Â».

HĂ© bien, la mĂšre de SaĂŻd est l’illustration concrĂšte de cela. Peu de personnes accepteraient de trimer comme elle le fait.  Pour un travail qui consiste Ă  faire des mĂ©nages.    

 

Dans le documentaire, cette mĂšre finit par expliciter qu’elle n’a pas le courage d’aller voir deux de ses fils incarcĂ©rĂ©s Ă  Fleury-MĂ©rogis. Vaillante et lasse, elle explique qu’elle « comprend Â» que ses deux fils aient fait des bĂȘtises qui les ont envoyĂ©s en prison car ils n’ont pas de travail. Ils n’arrivent pas Ă  en trouver. Elle le dit sans colĂšre et sans mĂȘme souligner le fait que leurs origines maghrĂ©bines ont plombĂ© leurs recherches d’emploi. On en a une dĂ©monstration lorsque SaĂŻd, filmĂ©, se dĂ©place Ă  l’ANPE ( l’ancien nom de Pole Emploi) de Nanterre-UniversitĂ© ( Au dessus de la gare de Nanterre-UniversitĂ©, anciennement appelĂ©e Nanterre-La-Folie et pas trĂšs loin de la Fac de Nanterre).  

Un peu plus tĂŽt, il est mentionnĂ© que la citĂ© des Canibouts est accolĂ©e Ă  la Maison de Nanterre (L’hĂŽpital de Nanterre) qui est « aussi un lieu d’exclus Â». Et que, peut-ĂȘtre que cette proximitĂ© avec la Maison de Nanterre, a-t’elle entraĂźnĂ© cette citĂ© dans l’exclusion.   J’ai trouvĂ© ce rapprochement un peu facile : car de la Maison de Nanterre comme des Canibouts, il est aussi sorti du bon. Et non loin des Canibouts, aux PĂąquerettes par exemple, il y avait aussi des «problĂšmes Â». Mais il est vrai que Les Canibouts ont sans doute concentrĂ© les problĂšmes.

Il n’y a pas si longtemps, j’avais cru comprendre que les Canibouts, Ă  Nanterre, avait la rĂ©putation d’ĂȘtre une plaque tournante de la drogue. Mais c’est sĂ»rement aussi le cas dans certains coins d’Argenteuil oĂč je vis. Et c’est sĂ»rement aussi le cas dans d’autres endroits Ă  Nanterre. Dans d’autres villes en France. En banlieue parisienne ou en province.  

 

Quoiqu’il en soit, en 1981, j’avais 13 ans. J’étais donc un peu plus jeune de 4 ou 5 ans que ces jeunes que l’on voit dans ce documentaire.  

1981, c’est l’annĂ©e de l’élection historique de François Mitterrand. Il m’a fallu des annĂ©es aprĂšs sa mort (rĂ©cemment) pour comprendre et apprendre que Mitterrand a souvent Ă©tĂ© un homme politique plus prĂ©occupĂ© par sa carriĂšre politique et le Pouvoir que par la sociĂ©tĂ© française. C’est aussi, rĂ©cemment, que j’ai dĂ©couvert son rĂŽle peu honorable d’homme d’Etat français pendant la Guerre d’AlgĂ©rie. Et je me demande ce que son Ă©lection avait pu faire Ă  certaines AlgĂ©riennes et Ă  certains AlgĂ©riens qui avaient connu la Guerre d’AlgĂ©rie (1954-1962).  

Je me rappelle encore des cris de joie de mes parents dans notre appartement de HLM, dans le salon, lors de l’élection de Mitterrand en 1981. Plusieurs des jeunes que nous voyons dans ce documentaire, pour ceux qui sont d’origine algĂ©rienne, sont sans doute des enfants de celles et ceux qui avaient connu la Guerre d’AlgĂ©rie.  

 

A cĂŽtĂ© de ça, (1981, c’est aussi l’annĂ©e de la mort de Bob Marley) en regardant ce documentaire, je me suis aussi dit que je m’en Ă©tais vĂ©ritablement plutĂŽt « bien Â» sorti compte-tenu de la citĂ© oĂč j’avais grandi Ă  Nanterre.    

 

D’une part parce qu’à l’époque, ça ne s’était pas autant dĂ©gradĂ© comme par la suite. MĂȘme si j’ai connu- de prĂšs ou de loin- quelques personnes  qui ont « mal tournĂ© Â» Ă  partir de l’adolescence, dans ma citĂ©, ça allait « mieux Â» que dans d’autres citĂ©s et dans d’autres villes de banlieue hier et aujourd’hui.  

 

Je pense Ă  la Seine Saint Denis dont sont originaires Kool Shen et Joey Starr du groupe de Rap NTM dont j’ai le mĂȘme Ăąge Ă  un ou deux ans prĂšs. La Seine Saint Denis reste, je crois, le dĂ©partement le plus pauvre de France. Alors que le 92, oĂč j’ai grandi (dans une tour HLM de 18 Ă©tages) est encore Ă  ce jour, le plus riche de France. Mais comme on le voit dans ce documentaire sur les Canibouts, on peut vivre dans le 92 et ĂȘtre mal parti dans l’existence. On peut aussi venir du 92 ou y habiter (je n’ai pas vĂ©rifiĂ©) et ĂȘtre l’un des Rappeurs les plus populaires depuis des annĂ©es : Booba.

De toute façon, question musique, on peut venir de partout. Si ce que l’on fait plait, celles et ceux qui Ă©coutent ne nous demanderont pas nos papiers.  

 

D’autre part, je m’en suis sans doute bien sorti parce-que mes parents ont su me donner des limites. Parce-que j’ai Ă©tĂ© en mesure de les accepter.  Parce qu’ils ont Ă©tĂ© suffisamment solides mentalement dans la vie et qu’ils ont toujours eu un emploi qui leur a permis d’assurer les frais de la vie quotidienne. Mon pĂšre n’est pas alcoolique. Ma mĂšre n’était pas dĂ©pressive. Mes parents ont continuĂ© de faire « couple Â» comme on dit, pour le pire et le meilleur. On peut s’en sortir sans ça mais c’est plus difficile.

 

J’ai aussi reçu de l’amour d’une façon ou d’une autre quand j’ai grandi. On peut aussi vivre sans amour, Romain Gary l’explique trĂšs bien, mais c’est aussi plus difficile.  

 

Je m’en suis Ă©galement Ă  peu prĂšs sorti parce que mes parents ont pu nous emmener ailleurs (colonies de vacances pour moi – c’était moins cher Ă  l’époque- moments de retrouvailles avec d’autres membres de la famille,  fĂȘtes foraines,  fĂȘtes antillaises, sĂ©jours en Guadeloupe par le biais des congĂ©s bonifiĂ©s).   

Et aussi parce-que mon pĂšre m’a permis, avec des mĂ©thodes pĂ©dagogiques personnalisĂ©es datant de la bible,  Ă  la lumiĂšre flottante de la bougie et Ă  coups de ceinture pĂ©nĂ©trante, de raccrocher le wagon de la scolaritĂ© que j’avais commencĂ© Ă  laisser filer :

Je me sentais peu concernĂ© par l’école en prime abord au CP, prĂ©fĂ©rant rĂȘver. Jouer. Et regarder la tĂ©lĂ©. Quelles drĂŽles d’idĂ©es !

GrĂące Ă  mon pĂšre, je suis devenu performant Ă  l’école. Et, lorsque j’écris un nouvel article, afin de m’encourager, je dĂ©pose toujours une petite ceinture Ă  cĂŽtĂ© de moi. Et, j’allume une bougie. Quelques fois, quand ça ne marche pas comme je veux, je frappe l’écran de l’ordinateur Ă  coups de ceinture. AprĂšs ça, je me sens mieux. Je vois mieux oĂč j’en suis et je peux reprendre mon article.

Vous n’avez aucune idĂ©e du nombre de coups de ceinture que mon Ă©cran d’ordinateur a pu recevoir juste pour cet article.   

Puis, j’ai dĂ©couvert le plaisir de la lecture et l’existence de la bibliothĂšque municipale, endroit magique, par le biais d’un de nos instituteurs de l’école primaire (publique).  

 

Dans ce documentaire sur les Canibouts, j’ai aimĂ© entendre – sans doute pour la premiĂšre fois- Yves Saudmont, l’ancien maire communiste de Nanterre, qui avait longtemps eu pour moi l’image du maire inamovible jusqu’à ce que sa supplĂ©ante, Jacqueline Fraysse-Casalis, ne prenne sa succession. Jusqu’aux annĂ©es 2000 et la la tuerie qui avait eu lieu lors d’un conseil municipal prĂ©sidĂ© par Jacqueline Fraysse-Casalis.

J’avais entendu parler de la tuerie par les mĂ©dia ainsi que par un collĂšgue qui avait aussi grandi Ă  Nanterre.   

La mairie de Nanterre, oĂč a eu lieu la tuerie, est proche de la bibliothĂšque de Nanterre. Un parvis les sĂ©pare. Mes parents s’y sont mariĂ©s en 1985. En 1985, aprĂšs avoir Ă©tĂ© au collĂšge Evariste Galois, aprĂšs avoir Ă©tĂ© Ă  l’Ă©cole primaire Robespierre, j’Ă©tais au LycĂ©e Joliot-Curie.

Une rue sépare le Lycée Joliot-Curie de la mairie comme de la bibliothÚque. Environ cinq cents mÚtres.

La bibliothĂšque est en hauteur. A mon Ă©poque, la bibliothĂšque « surmontait » un supermarchĂ© Casino. Casino oĂč j’ai rarement fait des achats ( biscuits ou autres friandises) : les prix de ce Casino m’ont toujours marquĂ© par leur « hauteur ». Plus Ă©levĂ©s que le supermarchĂ© Sodim, puis le FĂ©lix Potin, de ma citĂ©. Plus Ă©levĂ©s que le Suma prĂšs du collĂšge Evariste Galois. Ce qui ne m’a pas empĂȘchĂ© de voler dans leurs rayons. Et de finir par me faire attraper- pour un vol de crĂȘpes bretonnes ( 5,25 francs les 10)-  par le « vigile » de Suma. Un homme d’origine asiatique.

 

Lorsque j’arrivais Ă  la bibliothĂšque, toujours Ă  pied, j’Ă©tais auparavant passĂ© « devant » le thĂ©Ăątre des Amandiers. ThĂ©Ăątre oĂč je suis, Ă  ce jour, allĂ© une seule fois dans ma vie. C’Ă©tait avec notre prof de Français de 3Ăšme, Mme Askolovitch/ Epstein, afin d’aller y voir Combats de NĂšgres et de chiens. PiĂšce de thĂ©Ăątre qui m’avait moins plu- que j’avais moins bien comprise- que le film E.T de Spielberg que nous Ă©tions aussi allĂ©s voir avec elle au cinĂ©ma de la DĂ©fense de l’Ă©poque. 

AprĂšs ĂȘtre passĂ© « devant » le thĂ©Ăątre des Amandiers, je passais devant la piscine de Nanterre oĂč j’Ă©tais allĂ© Ă  la piscine avec l’Ă©cole et oĂč mon pĂšre m’a appris Ă  nager la brasse Ă  sa façon avant de m’inscrire Ă  des cours de natation auxquels je n’ai pas toujours Ă©tĂ© assidu.

Puis, suivait le stade de Foot avec sa piste d’athlĂ©tisme que j’ai connue en cendrĂ©e, avant celle en tartan du stade Jean Guimier construite plusieurs annĂ©es plus tard, en bordure du parc de Nanterre.

Mes années Carl Lewis. Mes années Miles Davis, Jazz, Dub et Reggae.

Mes annĂ©es « Conscience Noire » avec des modĂšles noirs principaux amĂ©ricains mĂȘme si je connais AimĂ© CĂ©saire et la NĂ©gritude de nom. Le Zouk de Kassav’, et, avant lui, d’autres tubes de groupes antillais- dont des groupes haĂŻtiens, me parle aussi. J’ai aimĂ© The Message de Grand Master Flash quelques annĂ©es plus tĂŽt. Mais j’ai aussi aimĂ© Gaby, oh, Gaby de Bashung. Comme j’ai aimĂ© Ă©couter Love on the beat  de Gainsbourg, Everything wants to rule the world  de Tears For Fear, le Tainted Love de Soft Cell ou des tubes de Depeche Mode.

Par contre, je n’aime pas le Hard Rock. Je n’Ă©coute pas la musique classique. Et je rejette la variĂ©tĂ© française que je vois comme de la crĂ©celle. Je suis admiratif devant le Break Dance et tout ce qui concerne la danse Hip-Hop. Bien-sĂ»r, James Brown et d’autres artistes noirs amĂ©ricains tirant dans le Funk et la Soul font partie de mes modĂšles. Dont MichaĂ«l Jackson. 

Mais je ne comprends rien Ă  cet engouement ainsi qu’Ă  tout ce tapage autour du groupe U2 avec l’album War

 

A l’extĂ©rieur de ce cirque aussi mental que musical, il est un autre endroit Ă  cette Ă©poque oĂč je fais beaucoup de cercles :

Je connais le parc de Nanterre beaucoup plus pour y avoir fait des footing et des entraĂźnements d’athlĂ©tisme que pour m’y ĂȘtre promenĂ©. Avec mon club d’athlĂ©tisme, l’Entente Sportive de Nanterre, ou ESN, qui reste un des meilleurs exutoires de mon adolescence.

Le thĂ©Ăątre des Amandiers a le parc de Nanterre derriĂšre lui. Le thĂ©Ăątre des Amandiers est Ă  quelques centaines de mĂštres de l’arrĂȘt de bus 304 qui permettait (qui permet?) en prenant la direction de Colombes, d’aller Ă  la PrĂ©fecture, accessible Ă  pied, Ă  la gare de Nanterre-UniversitĂ©, mais aussi de se rendre Ă  la Maison de Nanterre ( l’hĂŽpital de Nanterre) proche des Canibouts.

Si l’on prenait ( si l’on prend ?) le bus 304 dans la direction de la place de la Boule, on arrive rapidement devant le LycĂ©e Joliot-Curie, la bibliothĂšque et la mairie de Nanterre. 

 Lorsque je me rapprochais, enfant, puis collĂ©gien et lycĂ©en, de l’entrĂ©e de la bibliothĂšque de Nanterre, on pouvait voir la mairie de Nanterre en contrebas, sur la droite.

 

  Je connaissais « le tueur » de la mairie de Nanterre.  Je l’avais connu au lycĂ©e Joliot-Curie de Nanterre. Je me souviens bien de lui ( Au LycĂ©e). J’avais alors Ă  peu prĂšs l’ñge qu’ont ces jeunes des Canibouts dans le documentaire. L’une des seules personnes rencontrĂ©es dans ma jeunesse Ă  Nanterre qui a pu faire parler de lui, mĂ©diatiquement, est un tueur. Une personne qui, aprĂšs son acte, s’est suicidĂ©e en se jetant par la fenĂȘtre du commissariat.   

 

Dans le documentaire sur les Canibouts, en 1981, en Ă©coutant Yves Saudmont  j’ai pu m’apercevoir- et m’étonner- de son Ă©rudition et de sa grande aisance pour s’exprimer. Aisance supĂ©rieure pour ce que j’en ai vue Ă  celle du Maire actuel d’Argenteuil, Georges Mothron.  

Mais, pour rĂ©sumer, il suffit de regarder ce documentaire pour Ă  la fois penser au film Le ThĂ© au harem d’ArchimĂšde de Mehdi Charef. Pour penser Ă  certaines Ă©meutes dans « les Â» banlieues. Pour comprendre que l’avĂšnement du Rap comme prise de parole d’une certaines jeunesse et d’une certaine catĂ©gorie de la population française (au dĂ©part plutĂŽt dĂ©favorisĂ©e socialement, Ă©conomiquement voire racialement) allait couler de source. Mais aussi que le FN, devenu RN, allait connaĂźtre une ascension constante. Ainsi que l’intĂ©grisme religieux. Mais aussi le terrorisme. Comme certaines mouvances fascistes et nĂ©o-fascistes. Et certains groupes d’autodĂ©fense. Et, Ă©videmment, tant de mouvements de contestation sociale.  

 

Voir dans ce documentaire que le quartier de la DĂ©fense Ă©tait devenu une sorte de « paradis Â» pour les jeunes des Canibouts (mais aussi pour bien d’autres jeunes, dont j’ai fait partie) avec la crĂ©ation du centre commercial Les Quatre Temps est tout un symbole :  

Le quartier de la DĂ©fense est un quartier d’affaires.  

 

Pendant que nous Ă©tions des milliers de jeunes Ă  venir baver sur des vitrines et sur une richesse matĂ©rielle qui nous semblait le but principal Ă  atteindre dans une vie au point d’ĂȘtre toujours volontaires pour dĂ©penser un argent qui nous manquait tout le temps, quitte Ă  chouraver dans les rayons, apprenant en cela notre future activitĂ© d’addicts et de consommateurs, d’autres, que nous ne voyions pratiquement jamais ou alors sur un Ă©cran ou dans un journal, faisaient de vĂ©ritables affaires et voyaient beaucoup plus loin que nous dans l’espace et dans le temps.  A dĂ©faut de croire en nos capacitĂ©s d’aller sur la lune un jour, nous voulions bien nous contenter de nous rendre dans un centre commercial. Ça compensait.  

 

La Défense, aperçue, au fond, avec la Grande Arche, depuis le parc de Nanterre.

Quarante ans plus tard, en 2020,  notre monde a Ă©voluĂ© : En plus des boutiques physiques,  Internet et nos vies numĂ©riques se sont dĂ©veloppĂ©es entre-temps et nous nous y sommes acculturĂ©s. Nous sommes contents de pouvoir baver en illimitĂ©, si nous le voulons, Ă  n’importe quelle heure, sur quelque chose Ă  mater, Ă  chouraver, Ă  consommer ou Ă  acheter. On peut mĂȘme l’écrire, le filmer ou le photographier et le mettre en ligne. Aux lignes de coke que l’on sniffe s’ajoutent dĂ©sormais nos vies que nous mettons nous-mĂȘmes en ligne et que d’autres peuvent sniffer, identifier ou dĂ©tester.   

 

Aujourd’hui, nos citĂ©s sont aussi devenues numĂ©riques. Et nous avons parfois beaucoup de mal Ă  en sortir. Peut-ĂȘtre rĂ©apprenons-nous en permanence Ă  vider notre mĂ©moire et Ă  devenir amnĂ©siques. Le pied !    

Franck Unimon, vendredi 10 avril 2020. ( Photos prises en Mars 2019).  

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Contrainte et motivation

 

                                                            Contrainte et motivation

 

J’étais en train de sortir mon vĂ©lo de son local lorsque j’ai entendu un bruit Ă©trange.  C’est peut-ĂȘtre ce son particulier- Ploc-ploc- qui m’a d’autant plus donnĂ©, instinctivement, l’idĂ©e de tĂąter mon pneu arriĂšre. Il Ă©tait crevĂ©. Je me suis dit :

 

Soit j’ai trĂšs mal mis ma chambre Ă  air arriĂšre la derniĂšre fois (il y ‘a deux ou trois mois tout au plus). Soit la nouvelle chambre Ă  air, un premier prix, que j’avais mise Ă©tait de trĂšs mauvaise qualitĂ©. J’ai un moment pensĂ© Ă  une de mes collĂšgues, qui, lors de la grĂšve des transports en DĂ©cembre, pour protester contre la rĂ©forme des retraites, avait crevĂ© deux fois en l’espace de quelques jours.

 

Fort heureusement, j’avais des chambres Ă  air de rechange, en principe de bonne qualitĂ© vu le magasin de cycles oĂč je les avais achetĂ©es. Du temps de la grĂšve des transports en DĂ©cembre. Ce magasin, aujourd’hui, est sĂ»rement dĂ©sormais fermĂ©  depuis le couvre-feu consĂ©cutif Ă  l’Ă©pidĂ©mie. 

 

Mais je ne pouvais pas me permettre de prendre le temps de changer la chambre Ă  air de mon pneu arriĂšre.

 

Le local oĂč je mets mon vĂ©lo est Ă  dix minutes Ă  pied de chez moi. En m’y rendant, je m’éloigne de la gare
de dix minutes. Il devait ĂȘtre entre 19h30 et 19h40. Je reprenais le travail Ă  21h. Avec la diminution des transports, le fait que je ne m’étais pas renseignĂ© sur les horaires de train, impossible pour moi de savoir quand j’aurais un train. Mais j’avais bon espoir.

 

J’ai laissĂ© mon casque, mes lunettes et mon bidon d’eau dans le local. Fort heureusement, j’avais toujours sur moi mon Pass Navigo. J’allais devoir prendre les transports en commun pour aller au travail.

 

A la gare, premiĂšre information aprĂšs avoir passĂ© les portes de validation « ouvertes Â» :

 

Le prochain train, direct pour Paris St Lazare arrivait trente minutes plus tard. Soit entre 20h15 et 20h20. Je pouvais donc, dĂ©sormais, ĂȘtre en retard alors qu’avec mon vĂ©lo en Ă©tat de marche, je serais arrivĂ© avec quelques minutes d’avance.

 

Je suis repassĂ© chez moi. J’ai expliquĂ© ce qui se passait Ă  ma compagne. Je me suis changĂ©. J’étais prĂȘt Ă  prendre mes baskets afin d’aller au travail en footing depuis St Lazare. J’avais commencĂ© Ă  enfiler mon collant de footing. Ma compagne m’en a dissuadĂ© : j’avais dĂ©jĂ  fait assez d’efforts physiques cette semaine en m’y rendant Ă  vĂ©lo. Et, lĂ , d’un seul coup, je me prenais pour « un grand sportif ?! Â».

Je lui ai rĂ©pondu : «  Mais je suis un sportif ! Â». Un ancien sportif, Ă©videmment. Qui a vieilli en plus.

J’ai Ă©coutĂ© ma compagne. Je me suis habillĂ© comme quelqu’un qui allait prendre toute la chaine des transports en commun depuis chez lui.  A aucun moment, je n’ai envisagĂ© de prendre ma voiture. Le temps moyen habituellement pour me rendre Ă  mon travail en transports en commun est d’environ 45 minutes. Contre 1h05 au mieux Ă  vĂ©lo. Si je ne traine pas. Si les feux de circulation sont «clĂ©ments».

Comme on me l’avait dit, assez peu de monde dans le train. Par contre, en approchant de St Lazare, le train se met  au ralenti. Cela fait quelques minutes que je suis devant les portes pour sortir lorsqu’un homme d’une trentaine d’annĂ©es vient se placer Ă  cĂŽtĂ© de moi, sur ma droite, sans vraiment donner l’impression de tenir compte de la distance de prĂ©vention sanitaire de un mĂštre. As usual. Cet homme qui a mis du  Â« sent-bon Â»  croit peut-ĂȘtre que le parfum le protĂšge du virus.  Alors que le train se rapproche un peu plus de St Lazare,  je me surprends Ă  sentir se dĂ©placer en moi une certaine agressivitĂ© :

Je pourrais frapper cet homme. Juste parce-que, lĂ , alors qu’il y a tout l’espace nĂ©cessaire pour respecter une certaine distance, il est venu se mettre lĂ , juste Ă  cĂŽtĂ© de moi. Je tourne ma tĂȘte dans le sens opposĂ© Ă  sa prĂ©sence et attends la dĂ©livrance.

Cette rĂ©action ne me ressemble pas. En temps ordinaire, mĂȘme dans un train ou dans un mĂ©tro bondĂ©, je fais avec. Mais lĂ , coronavirus Covid-19 + sentiment d’enfermement dans les transports en commun+ les contrĂŽles de police ou de contrĂŽleurs font que je suis montĂ© dans ce train, auquel je n’ai pu Ă©chapper ce soir, sans doute avec un certain Ă©tat de tension inhabituel.

 

Le train arrive Ă  quai. J’ouvre et je me porte sur le quai. Je redĂ©couvre la gare St Lazare aprĂšs quelques jours de trajet Ă  vĂ©lo. 

TrĂšs vite, je m’aperçois qu’il m’est impossible de choisir l’endroit oĂč je vais prendre les escalators. La gare est quadrillĂ©e. Des sorties habituellement « praticables Â» sont barrĂ©es par des bandes adhĂ©sives blanches et rouges. Nous sommes arrivĂ©s sur la voie 26 ou 27. Il nous faut tourner Ă  droite et aller jusqu’aux premiĂšres voies de la gare pour accĂ©der Ă  la sortie. Je comprends Ă©videmment les raisons sanitaires de ce parcours mais j’ai l’impression que nous sommes traitĂ©s comme du bĂ©tail.

 

Enfin, la sortie de la gare. Juste devant, quatre ou cinq policiers en bas des escalators en tenue. Des gorilles. Ils doivent bien faire entre 100 et 120 kilos chacun. Noirs, crĂąne rasĂ©, sans masque sur le visage. Ils sont dĂ©tendus et ont l’air trĂšs sĂ»rs d’eux. Pas de contrĂŽle. Tant mieux. En passant, je me dis que leur assurance est une erreur. MĂȘme si je sais que le port du masque n’est pas obligatoire dehors en l’absence de symptĂŽmes,  je sais aussi que l’on peut ĂȘtre un «  trĂšs beau bĂ©bĂ© Â» et se faire aplatir mĂ©chamment Ă  coups de massue par un tout petit virus de rien du tout.

 

Je suis obligĂ© de me presser pour prendre le mĂ©tro automatisĂ© et sans conducteur de la ligne 14 car le prochain arrive dans cinq minutes. Il y en a moins que d’habitude. Et je n’ai pas envie de prendre le prochain. Je suis dedans. Le mĂ©tro est Ă  peine parti qu’un homme vient me demander l’heure. Plus ou moins SDF, plus ou moins passager. Habituellement, je rĂ©ponds tranquillement. LĂ , je rĂ©ponds mais Ă  distance. Je suis mĂ©fiant. Pour raisons sanitaires.

 

AprĂšs lui, c’est une jeune femme d’une trentaine d’annĂ©es qui passe. Sac chargĂ© sur le dos, un ou deux autres sacs Ă  la main, elle non plus, n’est pas trĂšs angoissĂ©e comme celui qui m’a demandĂ© l’heure. Elle, ce qu’elle voudrait, c’est une petite piĂšce. Elle m’explique que les foyers n’ont pas voulu d’elle ou qu’il n y’a pas de place pour elle. Elle accepte mon refus de lui donner une piĂšce avec un sourire de comprĂ©hension et poursuit sa quĂȘte dans le mĂ©tro.

 

C’est Ă  la gare de Lyon, ou j’hĂ©site un peu entre les diffĂ©rentes sorties, en commençant Ă  marcher, que je m’aperçois que je suis comme la roue arriĂšre de mon vĂ©lo : crevĂ©.

En traversant la Seine, j’aperçois le mĂ©tro aĂ©rien de la ligne 5 qui se dirige vers la gare d’Austerlizt. Je me dis que je vais tenter le prendre vu mon Ă©tat de fatigue. Et mon retard. Car, oui, dans Ă  peine une ou deux minutes, je serai en retard au travail. J’avais prĂ©venu les collĂšgues qui m’avaient dit que ça allait aller. Dont une collĂšgue de jour qui m’a dit qu’elle pourrait attendre. NĂ©anmoins, j’aurais aimĂ© ĂȘtre Ă  l’heure.

 

En montant les marches pour prendre le mĂ©tro ligne 5, je croise Ă  nouveau un SDF, assis tranquillement. Je ne sais pas si c’est parce qu’il y a nettement moins de monde dehors et qu’on les voit plus mais ça donne l’impression que les transports en commun, Ă  cette heure, deviennent leur territoire.

 

 

Le temps de me changer, de remettre la tenue de bloc avant d’aller dans le service, j’ai bien prĂšs d’une demie heure de retard. La nuit se passe bien. Mais je vĂ©rifie Ă  nouveau que lorsque l’on est fatiguĂ©, le moral descend. Mon autodiagnostic se fait au petit matin :

Je suis dĂ©primĂ©. Lorsque l’intellect reste aussi affĂ»tĂ© alors que notre moral, Ă©moussĂ©, se fait poussif, c’est que l’on est dĂ©primĂ©.

 

Je me demande ce qui me dĂ©prime. Je ne crois pas ĂȘtre dĂ©jĂ  Ă©puisĂ© physiquement. Le contexte peut-ĂȘtre. Ce n’est pas une pĂ©riode festive. Oui, je crois que c’est ça. Le contexte. La charge anxiogĂšne massive  que l’on s’est tous pris dans la figure, tous azimuts, en quelques jours.

 

Je « sais Â» aussi qu’ĂȘtre dĂ©primĂ©, avoir un moment de dĂ©prime, fait partie de ces moments oĂč l’on est en train de s’adapter, corps et Ăąme, Ă  un stress important. Ce qu’il faut, c’est ne pas se laisser border depuis l’écume de la dĂ©prime vers l’enclume de la dĂ©pression.

 

En pĂ©riode de guerre ou d’épreuve, on s’attache beaucoup aux hĂ©roĂŻnes, aux hĂ©ros, Ă  celles qui ont du charisme, des gestes magnifiques et dĂ©finitifs mĂȘme si ces gestes, surtout si ces gestes Ă©chouent ainsi qu’Ă  celles et ceux qui accomplissent des exploits. Mais tout le monde compte dans un conflit comme dans cette Ă©pidĂ©mie. N’importe quelle action peut avoir son importance. Pour ma part, j’attache toujours beaucoup d’importance au fait de rester d’humeur Ă©gale. Et aussi de faire rire. Mais rester d’humeur Ă©gale ou faire rire lorsque votre moral Ă©choue voire vous « tue Â», cela demande beaucoup d’efforts.

 

Alors, je fais au mieux avec ma collĂšgue de nuit. Nous faisons notre travail. Nos relations restent correctes. Et, le matin, je prends sur moi lorsque notre premiĂšre collĂšgue de jour arrive. Je rĂ©ussis Ă  me dĂ©coincer question humour lorsque la deuxiĂšme collĂšgue de jour arrive. Contrairement Ă  ses habitudes, elle a lĂąchĂ© ses cheveux. Elle a un peu le visage serrĂ©. Peut-ĂȘtre la contrariĂ©tĂ© au vu du contexte, de son retard. Mais je m’entends bien avec elle. Alors, je la chambre avec ses cheveux lĂąchĂ©s : «  Caliente ! Caliente ! Â». Elle sourit. Nous rions tous. Je commence Ă  me dĂ©sengager un peu de cette dĂ©prime.

 

Avant de partir du service, je prends une bonne douche. J’ai dĂ©cidĂ© d’en faire un rituel depuis le couvre-feu. Que ce soit pour des raisons tant sanitaires que morales. Prendre une bonne douche avant de partir du travail. Et, comme d’habitude, avant la douche, prendre un petit-dĂ©jeuner. Je bois du thĂ© vert japonais depuis deux ou trois ans. Et depuis quelques mois,  du thĂ© Gyokuro en particulier. Ce n’est pas pour frimer. J’aime le thĂ© vert japonais. J’ai bien-sĂ»r lu que c’était bon pour la santĂ© : antioxydants etc


 

J’utilise aussi quelques huiles essentielles. Ma collĂšgue de nuit et moi commençons Ă  avoir un rituel. Une goutte d’huile essentielle de Tea-Tree sur un poignet. On frotte ensuite sur notre autre poignet. Et on respire aussi un peu l’odeur en faisant attention Ă  nos yeux. J’utilise aussi l’huile essentielle de Niaouli, de Ravintsara. Nous restons dans une pĂ©riode de l’annĂ©e oĂč les tempĂ©ratures sont fraĂźches. Et, bien-sĂ»r, se laver les mains avec du savon rĂ©guliĂšrement. Maintenir autant que possible la distance sociale du mĂštre. Mais ce n’est pas toujours possible lorsque l’on prend la tempĂ©rature d’un patient. Qu’on lui donne son traitement. Il y a la distance sociale de prĂ©vention sanitaire. Et il y a la distance sociale relationnelle. Les deux distances peuvent se gommer mĂȘme si nous ne sommes pas Ă   la distance d’un slow lors de nos Ă©changes avec les patients .

 

Ce matin-lĂ ,  en quittant le service, je suis ensuite allĂ© interroger silencieusement le PanthĂ©on :

 » Aux Grands Hommes, La Patrie Reconnaissante ». Qu’est-ce que ça veut dire ?

Et j’ai Ă  nouveau pris des photos comme j’en parle dans mon article Manu Dibango. Puis, je suis allĂ© prendre des photos de Notre Dame que je n’étais pas allĂ© revoir depuis des annĂ©es. MĂȘme lors de son incendie si mĂ©diatisĂ©.

 

J’aime prendre des photos car on peut dire beaucoup de choses avec une photo sans un seul mot.

J’aime prendre des photos car je trouve que c’est un bon anxiolytique.

J’aime prendre des photos car elles nous permettent de nous constituer une mĂ©moire de moments dont on ne mesure pas toujours l’importance.

Enfin, j’aime prendre des photos car en les revoyant ensuite, on voit souvent ce que l’on ne voit pas au moment prĂ©sent.

 

Je prends mon temps pour rentrer ce matin-lĂ . Je sais qu’une fois rentrĂ©, je resterai enfermĂ©. Peut-ĂȘtre que je prends mon temps aussi afin de continuer de me dĂ©toxiquer de mes Ă©motions nĂ©fastes. Bien-sĂ»r, j’ai prĂ©venu ma compagne. Je croise quelques policiers qui font des contrĂŽles. Personne ne m’arrĂȘte. Il fait trois degrĂ©s. 

 

En rentrant chez moi, je m’empresse de me rĂ©chauffer le plus possible. Je ne veux pas attraper froid.  Cela me contrariait de devoir rester chez moi pour cause de rhume ou de grippe surtout aussi tĂŽt dĂšs les premiers jours du couvre-feu pour rĂ©pondre Ă  l’Ă©pidĂ©mie. Pour une raison que je ne peux pas m’expliquer, je tiens particuliĂšrement Ă  « assurer » mes horaires de travail dans le service.Et, je dĂ©ploie tout un arsenal de boissons chaudes et autres : citron, cannelle, miel etc….Je mange mĂȘme les feuilles du thĂ© Gyokuro aprĂšs les avoir utilisĂ©es plusieurs fois. J’ai appris il y a environ deux mois lors d’un sĂ©jour dans la rĂ©gion d’Angers par le revendeur de thĂ© que les amateurs du thĂ© Gyokuro finissaient par en manger les feuilles.  Je mange d’abord quelques bouchĂ©es de feuilles de thĂ© Gyokuro comme ça. Puis, pendant notre dĂ©jeuner, j’essaie de les accommoder avec de la sauce de soja au citron. J’ai prĂ©fĂ©rĂ© sans. 

 

J’Ă©chappe au froid. Cette nuit-lĂ , Ă  3 heures du matin, j’entends ma fille en pleurs. Ces derniers temps, j’ai laissĂ© ma compagne s’en occuper. Je l’entends avant ma compagne.

Cette fois,  je vais voir notre fille. Pourquoi tu pleures ? Elle m’explique. Assez vite, je me montre ferme. Car j’estime qu’elle est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que Ma-man ou Pa-pa monte pratiquement Ă  la moindre contrariĂ©tĂ© pour rĂ©soudre le problĂšme dont elle me fait part. Un problĂšme qu’elle a dĂ©jĂ  rencontrĂ© maintes et maintes fois. Pour lequel, sa mĂšre et moi, nous l’avons entraĂźnĂ©e maintes et maintes fois. Donc, moi, son pĂšre, j’estime que notre fille, au vu de ses multiples expĂ©riences, est capable d’autre chose que de pleurer et d’attendre que la solution vienne de nous. D’autant qu’en pareille situation, elle a dĂ©jĂ  « rĂ©ussi Â» bien des fois.

Résistance et refus de ma fille. Elle déploie son attirail : bras croisés, tape du pied, pleurs, mal-soudain- au genou.

Je commence Ă  me fĂącher vraiment.  Tu peux taper du pied, croiser les bras, donc, tu as l’énergie qu’il faut pour rĂ©soudre ton problĂšme. Ma fille avance au ralenti et commence Ă  s’engager. Finalement, sa mĂšre vient nous rejoindre. Vous allez rĂ©veiller « tout le monde » dans l’immeuble ! Moi, je m’en fiche de rĂ©veiller tout l’immeuble. D’une, je ne crois pas que nous allons rĂ©veiller tout l’immeuble. D’autre part, cĂ©der devant un enfant parce-que l’on a peur de faire du bruit ou de se faire remarquer, quelle erreur ! Ensuite, notre fille peut faire bien mieux que ce qu’elle fait. Elle n’est pas dĂ©bile. Elle n’est pas handicapĂ©e. Elle n’est pas un bĂ©bĂ©. Elle n’est pas une victime. Ce n’est pas une petite malheureuse abandonnĂ©e dĂšs sa naissance dans un orphelinat mal famĂ©. Et, ce n’est pas elle qui commande nos nuits !

Maman-sauveuse engueule tout de mĂȘme notre fille. Mais, pour moi, ça fait trop de bĂ©nĂ©fices vu le nombre de fois oĂč ce genre de rĂ©veils et de sollicitations nocturnes se rĂ©pĂšte. Et, cette nuit, en plus, deux parents pour une seule enfant ! Qui plus est pour une enfant capable de faire beaucoup mieux. Je le dis avant de quitter la scĂšne. Et je prĂ©dis Ă  ma fille que La fessĂ©e va arriver un de ces jours ! Que maman soit d’accord ou pas d’accord !

 

Ce qui s’est passĂ© cette nuit est une raison supplĂ©mentaire pour passer la journĂ©e du lendemain (hier) avec ma fille. Le matin, aprĂšs les retrouvailles affectueuses, ma fille se rappelle du pain au chocolat que je lui ai achetĂ© la veille pour le petit-dĂ©jeuner. Je le lui avais appris au moment du coucher aprĂšs lui avoir massĂ© le dos ainsi que les pieds. Notre fille avait Ă©tĂ© trĂšs contente d’apprendre que je lui avais achetĂ© un pain au chocolat. Elle m’avait embrassĂ© sur la tĂȘte et m’avait dit, contente :  » Tu penses Ă  tout ! ». Ce matin, aprĂšs le bonjour affectueux,  je lui reparle du « cinĂ©ma » de cette nuit. Oui, elle s’en souvient un peu. Elle me dit de quoi elle se souvient. Je complĂšte et lui passe un savon. Ma fille marque d’abord le coup. Puis, aprĂšs quelques minutes,  elle commence Ă  soupirer et me dit :

«  Je m’ennuie
. Â». Je lui dis que cette nuit, c’est moi qui soupirais. Et qu’il aurait fallu qu’elle soit aussi grande qu’elle se montre maintenant. Tu t’ennuies ? Tu vas aller passer un peu de temps dans ta chambre. Tu as faim ? On verra aprĂšs.

 

AprĂšs le petit-dĂ©jeuner (environ cinq minutes plus tard) tout se passe bien. Jusqu’à ce qu’un moment, mademoiselle fasse traĂźner les choses lorsqu’il s’agit d’aller se brosser les dents. Quelques minutes plus tĂŽt, elle Ă©tait d’accord lorsque je l’ai prĂ©venue. LĂ , lorsque je l’appelle, il faut qu’elle ait prĂ©cisĂ©ment quelque chose Ă  faire. Jouer par exemple. Installer tel jouet comme ça. Et celui-ci comme ça. Je confisque. Et je mets ça en haut de l’armoire. Direction la salle de bain oĂč le brossage de dents se dĂ©roule sans trop de façons. Puis, dans quelques minutes, ce sera les devoirs. D’accord.

 

Je suis en train de repasser et j’entends un bruit suspect. J’appelle ma fille. Non, non, je ne touche Ă  rien ! Me dit-elle. Je me dis que j’ai peut-ĂȘtre imaginĂ© des choses. Que je suis trop dans le contrĂŽle.

 

Quelques minutes plus tard, je suis en train de me brosser les dents quand j’ai une « Ă©claircie Â». Je vais voir ce que j’ai confisquĂ©. Ce n’est plus en haut de l’armoire. A la place, il reste une trace du dĂ©lit par terre devant l’armoire. Saisie par mon interpellation quelques minutes plus tĂŽt, ma fille n’aura pas pensĂ©, ensuite, Ă  venir rĂ©cupĂ©rer ce qui restait du crime. Je rappelle ma fille. Je suis ferme et calme. Je la confonds sans problĂšme. Je lui demande de remettre en haut de l’armoire exactement ce que j’y avais mis. Elle s’exĂ©cute. Elle prend un tabouret, monte et remet tout en haut de l’armoire. Voyant l’ingĂ©niositĂ© ainsi que l’audace ( audace que je ne dĂ©couvre pas tant que ça) je lui dis :

« Tu vois, lĂ , tu n’as pas eu besoin de moi pour rĂ©cupĂ©rer tes jouets dĂšs que j’ai eu le dos tournĂ©. Et je ne t’ai pas entendu pleurer ! Tu as mĂȘme pu me mentir. C’est ça que je veux, la nuit ! Tu rĂšgles ton problĂšme sans nous solliciter ta mĂšre et moi ! Â».

 

Ce matin, au rĂ©veil, ma fille m’a sautĂ© dans les bras, trĂšs contente de me faire savoir que, cette nuit, elle avait su rĂ©gler son problĂšme toute seule, sans nous rĂ©veiller sa mĂšre et moi. Elle m’a rĂ©pondu que c’était facile et m’a expliquĂ© comment elle s’y Ă©tait prise. Je l’ai fĂ©licitĂ©e.

 

Par cet exemple, j’ai compris que devant une certaine contrainte, pour peu que ma fille ait la motivation et l’envie nĂ©cessaire d’atteindre son but, qu’elle savait dĂ©ployer son intelligence et son corps de maniĂšre adĂ©quate. Sans cette motivation et cette envie, la contrainte, voire le dĂ©couragement, prennent rapidement le dessus et son rĂ©flexe est de se dĂ©courager, de refuser de faire des efforts…et d’appeler au secours alors qu’elle est parfaitement capable de s’en sortir toute seule. Sa mĂšre et moi ne sommes pas des ThĂ©nardier : notre fille le sait plus que parfaitement. Elle est habituĂ©e Ă  pouvoir compter sur notre disponibilitĂ©. Voire, sur notre culpabilitĂ©, si nous la laissons trop dans la difficultĂ©, la pauvre petite ! 

 

 

Vis-Ă -vis de l’épidĂ©mie, nous sommes pareils. Chacun a un seuil personnel de contrainte et d’effort qu’il peut supporter. Et notre motivation et notre envie varient aussi afin d’atteindre notre but. Il convient donc, bien-sĂ»r, au besoin, de savoir s’entourer de personnes qui peuvent nous aider Ă  maintenir un niveau de motivation et d’envie suffisant afin d’accepter certaines contraintes, de rĂ©aliser certains efforts, en vue de surmonter un obstacle comme celui de l’épidĂ©mie.

Cet entourage peut faire montre de fermetĂ©. Mais il doit aussi ĂȘtre bienveillant. Associer les deux attitudes est difficile, surtout sur la durĂ©e.  Et je rappelle que chez l’ĂȘtre humain, selon ce que je comprends, la norme, c’est l’extrĂȘme : Donc, souvent, l’ĂȘtre humain fait montre soit  de trop de fermetĂ©, soit de trop de bienveillance.Il y a bien-sĂ»r des lois et des rĂšgles ou des protocoles. Mais celles et ceux qui les font appliquer sont des ĂȘtres humains. Il y a donc souvent du bon. Mais aussi du mauvais selon les circonstances.  Et je ne suis pas pressĂ© que l’informatique ou des robots prennent le contrĂŽle en ce qui concerne l’application des lois : certains ĂȘtres humains se comportent dĂ©ja suffisamment comme des robots borgnes et bornĂ©s. 

 

Au vu de ce que j’écris ce matin, on peut considĂ©rer que je vais mieux qu’avant hier soir. Sauf que l’épidĂ©mie est une Ă©preuve d’endurance. Il s’agit donc de savoir se mĂ©nager.  De rester prudent. De s’aĂ©rer la tĂȘte dĂšs qu’on le peut par des moyens autorisĂ©s qui sont compatibles avec les recommandations sanitaires. Faute de ne pas rĂ©ussir Ă  s’aĂ©rer, certaines personnes Ă©chapperont nĂ©anmoins au coronavirus covid-19, mais elles risquent d’ĂȘtre particuliĂšrement Ă©puisĂ©es moralement et physiquement aprĂšs l’épidĂ©mie. Un autre effet secondaire Ă  l’Ă©pidĂ©mie est le risque d’accoutumance Ă  cette pĂ©riode que nous vivons. Cela peut paraĂźtre paradoxal mais nous vivons quand mĂȘme une pĂ©riode qui nous engage d’une maniĂšre particuliĂšre et, mĂȘme si cela peut nous demander certains efforts, voire de grands efforts, certaines personnes peuvent trouver dans cette Ă©preuve un sentiment d’existence dĂ©cuplĂ© car il s’agit de donner le meilleur de soi.

 

Cette pĂ©riode de contrainte peut aussi ĂȘtre une pĂ©riode de grande crĂ©ativitĂ©. Je le perçois Ă  travers mes articles mĂȘme si je les trouve « trop » stimulĂ©s par l’omniprĂ©sence de l’Ă©pidĂ©mie dans nos pensĂ©es.

Notre vie habituelle peut nous empĂȘcher de donner le meilleur de nous-mĂȘmes car nous nous sommes parfois laissĂ©s enfermer dans un sillon dont on a du mal Ă  sortir. Alors, que, lĂ , au cours de cette Ă©pidĂ©mie, nous n’avons pas le choix et nous avons une cause Ă  dĂ©fendre qui est celle, en principe, du plus grand nombre : survivre. Jaillir hors du sillon tout tracĂ©. Ou que l’on soit.

MĂȘme s’il semble que l’Ă©pidĂ©mie du coronavirus covid-19 touche certaines rĂ©gions du monde mais pas toutes. Une aide-soignante intĂ©rimaire d’origine thaĂŻlandaise particuliĂšrement volubile m’a rĂ©cemment assurĂ© qu’il y avait peu de personnes touchĂ©es par le coronavirus covid-19 en ThaĂŻlande. Elle m’a mĂȘme donnĂ© le nom d’un traitement qui, Ă  l’entendre, serait trĂšs bon Ă  prendre de maniĂšre prĂ©ventive. Je n’ai pas su quoi faire de cette information. D’un cĂŽtĂ©, sa sollicitude m’a fait plaisir. D’un autre cĂŽtĂ©, je me suis dit qu’avec la peur de la mort, il devait sĂ»rement y avoir plein de personnes prĂȘtes Ă  tout prendre comme traitement si on leur garantissait que celui-ci pouvait les sauver. 

 

Il y a deux nuits, j’avais massĂ© ma fille et ma compagne. Le dos de ma fille, un peu son thorax, ainsi que ses pieds. Et le dos de ma compagne.  Une goutte d’huile essentielle de Niaouli et de Ravintsara dans de l’huile vĂ©gĂ©tale pour notre fille. Une goutte d’huile essentielle de girofle et de Niaouli ( dans de l’huile vĂ©gĂ©tale) pour ma compagne qui m’a ensuite rendu la politesse.

 

Je pense que se faire masser habillĂ©  (donc sans huile essentielle et sans huile vĂ©gĂ©tale) peut aussi ĂȘtre un bon moyen de s’aĂ©rer et de rĂ©cupĂ©rer physiquement et moralement. Ça fait du bien Ă  la personne massĂ©e, si elle est Ă  l’aise avec le fait d’ĂȘtre massĂ©e. Et ça peut aussi faire du bien Ă  la personne qui masse. Pour les personnes confinĂ©es, ça peut ĂȘtre un plus. En l’absence d’huile essentielle ou d’une huile vĂ©gĂ©tale dite de « massage Â», on peut utiliser un peu d’huile d’olive si possible bio. Le massage peut se faire en musique ou sans musique mais autant que possible dans une atmosphĂšre dĂ©tendue. Je parle Ă©videmment de massage bien-ĂȘtre. 

 

 

Franck Unimon, mercredi 25 mars 2020.

 

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Manu Dibango

 

 

 

 

                                                      Manu Dibango

 

 

 

Hier matin, en sortant du travail, je suis retournĂ© devant le PanthĂ©on. Il faisait trois degrĂ©s. J’étais retournĂ© lĂ  car, aprĂšs l’avoir plusieurs fois Ă©voquĂ© dans des articles prĂ©cĂ©dents ( tel que Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020 par exemple),  je voulais, cette fois-ci, silencieusement interroger ce symbole :

 

« Aux Grands hommes, La Patrie Reconnaissante Â»

 

J’ai Ă  nouveau pris des photos. Puis, j’en ai profitĂ© pour aller voir du cĂŽtĂ© de Notre Dame pour laquelle des milliardaires ont Ă©tĂ© prĂȘts Ă  mettre la main Ă  la poche afin de la faire reconstruire. Alors que l’on entend moins parler de ces milliardaires et de bien des cĂ©lĂ©britĂ©s quand il s’agit de rĂ©parer les hĂŽpitaux publics.

 

 

J’avais prĂ©vu de me servir de ces photos pour illustrer un article qui devait s’appeler :

 

Le silence des organes.

 

J’ai pris des notes pour Ă©crire cet article. Je savais qu’il serait long. J’étais inspirĂ©.

Je pourrais encore l’écrire. Mais je me suis dit qu’il y avait d’autres prioritĂ©s. Que je m’étais dĂ©jĂ  suffisamment exprimĂ© sur l’épidĂ©mie que nous connaissons. Qu’il me fallait revenir Ă  d’autres sujets davantage pourvoyeurs de vie.

 

« Le silence des organes Â» est une expression que j’avais dĂ©couverte Ă  la fin des annĂ©es 80 Ă  l’hĂŽpital de Nanterre qui s’appelait encore la Maison de Nanterre. Laquelle Ă©tait, Ă  ce que m’en avait dit ma mĂšre, une ancienne prison pour femmes.

La Maison de Nanterre Ă©tait aussi le « havre Â» de certains SDF. J’ai connu cet hĂŽpital dĂšs mon enfance. Ma mĂšre y a Ă©tĂ© aide-soignante pendant des annĂ©es dans un service de rĂ©animation. Et deux de mes tantes y ont aussi travaillĂ©.  

 

Lors d’un de nos cours, pendant mes Ă©tudes d’infirmier, nous avions rĂ©flĂ©chi Ă  la dĂ©finition que nous pourrions donner au fait d’ĂȘtre en bonne santĂ©. La personne qui animait le cours, ce jour-lĂ , nous avait sorti cette expression de ses recherches. Je me rappelle de mon amie BĂ©a, mon aĂźnĂ©e de plusieurs annĂ©es, une pointure en tant qu’infirmiĂšre, qui s’était exclamĂ©e :

« C’est fort ! Â».

Le silence des organes n’a donc a priori rien Ă  voir avec la mort. MĂȘme si on y pense trĂšs fort en ce moment et que le musicien Manu Dibango est mort aujourd’hui ou hier.  Du Coronavirus Covid-19. J’ai appris son dĂ©cĂšs tout Ă  l’heure par hasard, sur le groupe What’s App de ma famille.

 

Il est nĂ©anmoins quelque chose de trompeur dans cette expression, «  silence des organes Â», pour parler du fait que l’on est en bonne santĂ©. Car  chaque organe a son bruit spĂ©cifique lorsqu’il va bien. Par contre, son bruit se dĂ©range lorsqu’il va mal. Rappelez-vous lorsqu’un mĂ©decin vous dit de tousser, ou de dire « 33 Â», vous ausculte, alors que vous le consultez parce-que vous ne vous sentez pas bien. Entendre, Ă©couter les mouvements internes d’un corps, c’est aussi ce qui permet de savoir s’il est en « paix Â».

Il en est de mĂȘme lorsque l’on Ă©coute la voix d’un proche ou d’une proche. Il nous est souvent possible de dĂ©celer si elle ou s’il est dans son assiette si l’on connaĂźt cette personne vĂ©ritablement. 

Si l’on est un peu attentif, on peut assez bien percevoir si son attitude et son regard concordent avec ses propos pour peu que cette personne soit « vraie Â» devant nous. Pour peu qu’elle ne porte pas un masque et ne soit pas experte dans cette grande comĂ©die sociale qui consiste Ă  dire que tout va bien quand ça va mal mais aussi Ă  dire que ça va trĂšs mal alors que cela ne va pas si mal que ça.

 

Mais des organes vĂ©ritablement et dĂ©finitivement silencieux, Ă  moins d’ĂȘtre dans un Ă©tat de lĂ©thargie particuliĂšrement complexe et indĂ©tectable, et encore !, signifient quand mĂȘme notre arrĂȘt de vie dĂ©finitif. Tout au moins sous notre forme humaine habituelle. Ensuite, on peut Ă  peu prĂšs tout concevoir. Et, c’est ainsi que je me raccroche Ă  nouveau Ă  Manu Dibango, dĂ©cĂ©dĂ© Ă  86 ans.

 

Je ne pensais pas Ă  Manu Dibango lorsque dans un de mes rĂ©cents articles, j’écrivais qu’il y avait sĂ»rement des personnes que je « connaissais Â» qui allaient mourir dans l’épidĂ©mie. Pourtant, je pensais Ă  lui depuis quelques jours.

 

Il se trouve qu’il y a bientĂŽt deux semaines, ou un peu moins, je m’étais rendu dans un magasin afin d’aller acheter le dernier album de l’artiste de Maloya, DanyĂšl Waro.

 

DanyĂšl Waro fait actuellement partie des artistes auxquels je suis particuliĂšrement attachĂ©. Avec une Ann  O’Aro par exemple. Le Maloya est pour moi tellement proche du Gro-Ka, du LĂ©woz et du Bel-Air des Antilles qu’il a fini par me rattraper avec les annĂ©es. La boite de nuit parisienne,  Le Manapany, est sans doute l’endroit oĂč j’avais entendu du Maloya pour la premiĂšre fois dans les annĂ©es 90. Pourtant, j’ai oubliĂ© oĂč elle se trouve.

 

Et, il y a quelques jours, c’est en allant acheter le dernier album de DanyĂšl Waro, que j’ai fini par fureter dans les rayons de disques comme lors de mon adolescence. Peut-ĂȘtre le jour oĂč j’étais allĂ© voir l’exposition de la derniĂšre tournĂ©e de NTM – en accĂšs libre-  sous la canopĂ©e aux Halles encore pour un jour. Exposition (du 20 fĂ©vrier au 10 mars 2020)  dont j’avais appris l’existence par hasard ainsi que la fin le lendemain en me rendant au cinĂ©ma. En allant voir, je crois, le film L’appel de la ForĂȘt. J’avais prĂ©vu d’écrire sur cette exposition comme sur ce film mais je ne l’ai pas encore fait.

Cette photo fait partie de celles prises par le photographe Gianni Giardinelli lors de la derniÚre tournée du groupe NTM. Les photos ont été exposées sous la canopée des Halles du 20 février au 10 mars 2020.

 

Dans le magasin de disques, ce jour-lĂ , je me suis rapidement retrouvĂ© avec plusieurs disques. Un classique. C’est pareil dans un magasin de dvds et de blu-rays. Et c’est aussi comme ça dans la librairie et la mĂ©diathĂšque de ma ville en temps usuel.

 

AprĂšs plusieurs hĂ©sitations et quelques Ă©coutes, et en comparant aussi le rapport qualitĂ©/prix, j’étais reparti avec l’album de DanyĂšl Waro
.et cette compilation de Manu Dibango.

 

Autant l’album de DanyĂšl Waro ne m’a pas, pour l’instant, entraĂźnĂ©, autant la compilation de Manu Dibango m’a rapidement plu.

 

 

 

J’avais dĂ©jĂ  Ă©coutĂ© du Manu Dibango, il y a plusieurs annĂ©es. Je l’avais aussi vu en concert Ă  Cergy St-Christophe, sur l’esplanade de Paris, il y a environ vingt ans, lors d’un concert gratuit. J’ai le souvenir d’un trĂšs bon concert. Un trĂšs bon bassiste figurait parmi ses musiciens.

 

Manu Dibango, DanyĂšl Waro, Arno et d’autres font partie de ces artistes qui sont lĂ  pour la vie. Au delĂ  de soixante ans, on les voit sur scĂšne avec une envie et une Ă©nergie que beaucoup ont dĂ©ja perdu lorsqu’ils ont Ă  peine passĂ© les limites de l’adolescence. Je m’inquiĂšte par moments de ce qu’il me reste de ce passĂ©. 

 

Un article signĂ© Youness Bousenna dans le TĂ©lĂ©rama de cette semaine parle du documentaire La DisgrĂące  rĂ©alisĂ© par Didier Cros. Ce documentaire passe ce soir sur France 2 Ă  23h40. La DisgrĂące est fait du tĂ©moignage de cinq personnes dont le visage dĂ©figurĂ© occasionne une grande souffrance personnelle. Souffrance due Ă  la dĂ©formation de leur visage mais aussi Ă  la violence du regard des autres.

 

Dans cet article, Youness Bousenna Ă©crit entre-autres :

 

«  (
.) Sans commentaire, le film les laisse raconter leur souffrance initiale et la violence que le regard des autres y ajoute, la tentative d’apprivoiser son visage en mĂȘme temps que la solitude que celui-ci leur inflige Â».

 

J’ai beaucoup aimĂ© que Youness Bousenna me fasse entrevoir que chaque visage, dĂ©formĂ© ou non, est une solitude.  En marge de l’article, j’ai Ă©crit de la main gauche :

 

«  De cette solitude, certains visages Ă©mergent plus que d’autres Â».

 

 

Cet article m’a rappelĂ© le dĂ©but du livre de Nina Bouraoui, Tous les hommes dĂ©sirent naturellement savoir. Je savais oĂč je l’avais rangĂ© alors je l’ai rapidement retrouvĂ©. C’est un livre paru en 2018 et que j’ai sĂ»rement achetĂ© dĂšs sa sortie. Un de plus, parmi tous ceux que j’ai achetĂ©s, que je n’ai pas encore lus, et dont le dĂ©but est :

 

«  Je me demande parmi la foule qui vient de tomber amoureux, qui vient de se faire quitter, qui est parti sans un mot, qui est heureux, malheureux, qui a peur ou avance confiant, qui attend un avenir plus clair. Je traverse la Seine, je marche avec les hommes et les femmes anonymes et pourtant ils sont mes miroirs. Nous formons un seul cƓur, une seule cellule. Nous sommes vivants Â».

 

Manu Dibango Ă©tait un homme joyeux. En tout cas sur scĂšne Ă  ce que j’ai vu. Son rire grave est aussi cĂ©lĂšbre que sa musique. Figure de Bokassa ou de CoupĂ©-ClouĂ© (les Antillais de plus de 50 ans sauront de qui je parle), Manu Dibango avait une stature et une autoritĂ© plus frĂ©quentables que celle de bien des dictateurs. Je me rappelle comment il avait expliquĂ© en rigolant que MichaĂ«l Jackson avait « oubliĂ© Â» de lui payer des royalties lorsqu’il avait utilisĂ© un de ses airs de musique pour composer un de ses titres.

Je me rappelle que lors d’un festival de Jazz retransmis Ă  la tĂ©lĂ©, Claude Nougaro s’était inclinĂ© devant Miles Davis, mon musicien prĂ©fĂ©rĂ©, alors que Manu Dibango existait de par sa seule prĂ©sence. Si la musique est aussi solitude, la sienne avait Ă©mergĂ© sans difficultĂ© cette soirĂ©e-lĂ  comme tant d’autres fois.

 

En prenant le temps de lire la prĂ©sentation de la compilation par Iain Scott, j’avais appris qu’avant d’ĂȘtre connu, Manu Dibango avait entre-autres jouĂ©, en France, avec Nino Ferrer mais aussi Dick Rivers et Johnny Halliday. Je suis souvent Ă©tonnĂ© par les alliances de certains artistes, que celles-ci soient musicales ou simplement amicales (telle l’amitiĂ© d’un Jacques Brel avec Johnny Halliday) comme par leur ouverture Ă  d’autres genres musicaux. Et, question ouverture, on peut dire qu’en Ă©coutant cette compilation de Manu Dibango, on entend aussi bien du Jazz, de l’Afro Beat, du Reggae, de la musique africaine. Et l’on comprend que le chanteur et bassiste Richard Bona (Ă©galement d’origine camerounaise) lui « doit Â» sans doute quelque chose.

 

Concernant la version Reggae de son Soul Makossa avec le duo Robbie Shakespeare et Sly Dunbar, en l’écoutant, on pense immĂ©diatement Ă  Serge Gainsbourg qui avait Ă©galement jouĂ© avec eux ainsi qu’avec les I-Threes « de Â» Bob Marley. Peu importe de savoir lequel avait eu l’idĂ©e le premier, Manu Dibango Ă©tait sans frontiĂšres question crĂ©ation musicale. Et le Rap ne lui a pas fait peur.

 

En Ă©coutant sa compilation, j’avais aussi beaucoup aimĂ© sa version de A La Claire Fontaine que j’avais postĂ©e sur ma page Facebook un ou deux jours avant d’apprendre sa mort. 

J’avais aussi eu envie de savoir quand il repasserait en concert. J’avais regardĂ©: un concert Ă©tait prĂ©vu en Martinique dans quelques mois. Ça faisait dĂ©ja un peu loin. 

 

Le rire de Manu Dibango est désormais entouré de silence. Mais sa musique continue de nous dire que nous sommes vivants. Et, ça, ça fait aussi beaucoup de bien à nos organes.

 

Franck Unimon, ce mardi 24 mars 2020.

 

 

 

 

 

 

 

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L’Avenir de l’HumanitĂ©

 

Mais qu’est-ce qu’elles ont ? Je suis Ă©tonnĂ© par le nombre de femmes que je croise dehors depuis le dĂ©but du couvre-feu. 

 

Ce samedi matin, les premiĂšres personnes que je croise dans la rue en sortant  du travail  sont des femmes. Elles courent. Elles marchent. Il fait 7 degrĂ©s. La tempĂ©rature s’est rafraĂźchie.

 

Hier soir, en allant au travail Ă  nouveau Ă  vĂ©lo, j’avais un pied posĂ© Ă  terre au feu rouge avant d’entrer dans la ville de Levallois lorsqu’une fusĂ©e m’a dĂ©passĂ©. Une femme Ă  vĂ©lo.

En moins d’une minute, elle m’a mis cent mĂštres dans le regard. Une imparable application de la distanciation sociale prĂ©conisĂ©e dans notre contexte d’épidĂ©mie. Merci Madame.

 

Quelques kilomĂštres plus loin, j’étais sur le point d’arriver Ă  mon travail lorsque je suis montĂ© sur le trottoir. Par instinct, j’ai regardĂ© sur ma gauche. Une jeune femme en cycliste, avec un fessier de pistarde, s’était mise en danseuse sur son vĂ©lo. Elle grimpait la route avec conviction. Sans casque comme la prĂ©cĂ©dente.

 

En rentrant ce matin, je suis cette fois passĂ© devant le PanthĂ©on. Dans la rue dĂ©serte, on voyait trĂšs bien son drapeau bleu, blanc, rouge que je n’avais pas remarquĂ© la derniĂšre fois, la veille de la manifestation des Gilets jaunes le samedi 14 mars. ( Gilets jaunes, samedi 14 mars 2020)

 

J’ai pensĂ© m’arrĂȘter pour prendre une photo du PanthĂ©on mais je l’avais dĂ©jĂ  dĂ©passĂ©.  Je ne l’ai pas fait. Je voulais rejoindre ces quais de Seine oĂč j’avais vu plusieurs fois des personnes courir. Je voulais voir jusqu’oĂč ces quais pouvaient me rapprocher de la Place de la Concorde qui est dans ma direction pour rentrer chez moi.

En me rapprochant de ces quais,  je suis tombĂ© sur  cette exposition de photos de femmes militant pour le respect des droits des femmes. Parmi ces photos, une de l’actrice AĂŻssa MaĂŻga dont le discours aux CĂ©sars 2020 a pu dĂ©ranger et dĂ©plaire. « Racialiste Â», « Embarrassant Â» ( Le discours de l’actrice AĂŻssa MaĂŻga aux CĂ©sars 2020 ).

Pour un de mes amis, le discours d’AĂŻssa MaĂŻga tient plus du discours « Noiriste Â» de l’ancien dictateur haĂŻtien Duvalier que de celui de la NĂ©gritude de CĂ©saire, Senghor et Damas. Je ne suis pas de l’avis de cet ami. Lui et moi en discuterons sans doute oralement aprĂšs l’épidĂ©mie.

 

 

Ces photos accrochĂ©es Ă  cet endroit, sur les grilles de l’ancien ( depuis 2016) Tribunal de Grande Instance de Paris, ont d’autant plus de force symbolique. Et sans doute encore plus, en cette pĂ©riode d’épidĂ©mie, de couvre-feu et de peur. Alors, je m’arrĂȘte et prends quelques photos.

L’ancien Tribunal de Grande Instance ( judiciaire) de Paris.

 

 

 

Mais comme nous sommes en plein couvre-feu et que nous sommes incitĂ©s Ă  rentrer chez nous le plus rapidement possible et Ă  limiter nos dĂ©placements, je n’ai pas envie de passer pour un provocateur et un irresponsable en prenant le temps de faire des photos. D’autant que derriĂšre les grilles du Tribunal de Grande Instance, mĂȘme si on ne les voit pas, il y a des policiers. Alors, je ne traĂźne pas.

 

Les quais que je voulais emprunter sont interdits d’accĂšs m’indique un employĂ© en chasuble des pieds Ă  la tĂȘte. Il porte un masque sur le visage. Et semble un peu agacĂ© par mon comportement. Je m’exĂ©cute. Je repars par oĂč je suis venu.

 

Les contrĂŽles policiers ? Je croise plusieurs fois des policiers en rentrant ce matin. Le plus souvent, en vĂ©hicules.

Hier soir , dĂ©jĂ , en allant au travail en quittant le Louvre. J’allais passer devant un car de police ou de CRS stationnĂ© sur le trottoir. Je me demandais si j’allais ĂȘtre contrĂŽlĂ©. Non. A la place, un jeune homme Ă  vĂ©lo, noir, sans casque je crois, l’a Ă©tĂ© juste avant moi.

 

Ce matin, je croise mĂȘme deux policiers qui marchent sur le trottoir. Je les salue de la tĂȘte en passant en sens inverse Ă  vĂ©lo. Ils rĂ©pondent Ă  mon salut. C’est quelques kilomĂštres plus loin que je m’avise que l’on me voit de loin. Et que je dois, pour l’instant, transpirer le mec en rĂšgle Ă  deux cents mĂštres: casque, lunettes, chasuble, sac Ă  dos de couleur voyante, lumiĂšres la nuit. Ce matin, j’ai mĂȘme pris une douche au travail avant de partir. Je sens peut-ĂȘtre encore un peu le savon.

 

 

En me rapprochant d’AsniĂšres par le Bd Malesherbes, je tombe Ă  nouveau sur l’affiche du film Brooklyn Secret dont la sortie en salles a Ă©tĂ© reportĂ©e Ă  plus tard ( Brooklyn Secret).

 

Revoir Ă  nouveau cette affiche dans ce contexte d’épidĂ©mie et de couvre-feu lui donne aussi d’autant plus de force symbolique. Ce que nous vivons actuellement peut ressembler en partie Ă  ce que vit l’hĂ©roĂŻne du film,  interprĂ©tĂ©e par Isabel Sandoval, Ă©galement rĂ©alisatrice, scĂ©nariste et monteuse du film. Comme la sortie du film a Ă©tĂ© retardĂ©e, j’ai pu prendre le temps de lire que les critiques sont bonnes envers ce film. MĂȘme PremiĂšre en dit du bien. « Sublime Â», je crois. La critique du journaliste Sorj Chalandon dans Le Canard EnchaĂźnĂ©  de cette semaine est Ă©galement Ă©logieuse : 

 

 

 

 

Ce matin ( hier, samedi 21 mars 2020), Ă  voir toutes ces femmes dehors, mĂȘme si depuis mon dĂ©part du travail, des hommes sont « apparus Â» entre-temps, je finis par me convaincre que si l’HumanitĂ© dĂ©cline un jour et qu’il reste quelques survivants, il y aura assurĂ©ment une ou plusieurs femmes parmi eux. L’émission Koh-Lantah nous dit peut-ĂȘtre cette vĂ©ritĂ© :

 

Si dans notre sociĂ©tĂ© et dans notre monde, les femmes sont encore autant relĂ©guĂ©es au fond de la classe des postes de dĂ©cision, c’est peut-ĂȘtre parce-que, dans l’Histoire, elles ont plein de fois supplantĂ©- devancĂ©- les hommes et que le cerveau reptilien de ceux-ci s’en souviennent.

 

Alors que je pĂ©dale, je me dis que j’ai un peu changĂ© ces derniers temps. Je suis peut-ĂȘtre en train de devenir une femme. Il faudra que je m’examine.

 

( Ps :  Hier soir vers 22h, une collĂšgue m’a appris que le jeune rĂ©cemment hospitalisĂ© dans notre service que l’on pensait peut-ĂȘtre positif aprĂšs avoir Ă©tĂ© en contact avec une personne porteuse du coronavirus civid-19 Objectif de conscience va bien et est nĂ©gatif. Cette nouvelle est rassurante. Mais il convient de rester prudent.

Un article dans le journal allemand Der Spiegel informe qu’en Allemagne le dĂ©placement Ă  vĂ©lo est prĂ©conisĂ© en matiĂšre de prĂ©vention sanitaire vis-Ă -vis du coronavirus Covid-19. Merci Ă  ma compagne pour m’avoir fait connaĂźtre cet article). 

 

Franck Unimon, dimanche 22 mars 2020.

 

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Une occupation invisible

 

L’occupant est « partout Â». MĂȘme notre parole est occupĂ©e. Si l’on prĂ©sentait devant moi un groupe de personnes en me sommant de dire qui est ou n’est pas contaminĂ©, je serais incapable de rĂ©pondre. Sauf, peut-ĂȘtre, si on me menaçait d’ĂȘtre exĂ©cutĂ©. Et encore. Ça reste Ă  voir. Je me montrerais peut-ĂȘtre hĂ©roĂŻque. Pour une fois.

 

Comme on ne sait pas qui est contaminĂ© ou peut ĂȘtre contaminĂ© par l’ennemi, cet ennemi invisible, nous devrions, nous pourrions imaginer que tout le monde autour de soi est suspect. Tout le monde. MĂȘme si on ne le sait pas. MĂȘme si on n’ose pas le dire.

 

Il a suffi de quelques jours, nous en sommes Ă  peine Ă  la premiĂšre semaine du couvre-feu, pour que dĂ©jĂ , une certaine forme de paranoĂŻa se pose parmi nous comme on peut poser chez soi du papier peint que l’on est allĂ© acheter dans un magasin. Cette forme de parano est autant notre ennemi que ce virus. Elle, aussi, nous occupe.

Face Ă  cela, tout le monde s’organise comme il le peut. La plupart se confinent comme cela a Ă©tĂ© indiquĂ© par les AutoritĂ©s.

D’autres prennent l’air en donnant carte blanche Ă  leurs angoisses et Ă  leurs peurs sur les rĂ©seaux sociaux. Tout le temps. Tout le temps. Tout le temps. Il faut bien s’occuper.

D’autres sortent malgrĂ© les consignes. Enfin, c’est ce que l’on suppose car ces personnes que l’on voit dehors, on ne les connaĂźt pas. On les aperçoit. On ne leur parle pas. On les Ă©vite et on les juge plus vite que d’habitude. Parce-que l’on a plus peur que d’habitude, on voit des collabos, des irresponsables et des idiots partout.

 

Cette occupation est trĂšs effrayante : lorsqu’elle devient visible, il est peut-ĂȘtre trop tard.

 

Voici pour moi, pour l’instant, l’une des plus grandes vĂ©ritĂ©s de cette Ă©pidĂ©mie :

 

Nous n’avons jamais Ă©tĂ© libres.

 

Et lorsque tout cela sera « terminĂ© Â», que nous fĂȘterons la « fin Â» du  couvre-feu  et de la mort, que nous pleurerons et compterons nos dĂ©funts, que nous ouvrirons nos procĂšs pour condamner celles et ceux qui nous ont trompĂ©s, nous oublierons peut-ĂȘtre rapidement que nous n’avons jamais Ă©tĂ© libres. Ce sera notre façon de continuer d’accepter que notre vie est, le plus souvent, occupĂ©e.

 

Je m’attends Ă  ce que bien des records soient battus – et sans dopage- aprĂšs cette pĂ©riode d’enfermement et de peur. Battre des records fait aussi partie de nos tentatives afin d’essayer d’oublier- d’exorciser- le fait que nous ne sommes pas libres.

 

Cet article fait partie d’un trio. Celui-ci est le premier du trio, suivi de Objectif de conscience

puis de L’Avenir de l’HumanitĂ©.

Franck Unimon, samedi 21 mars 2020.

 

 

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Nouvelle Ă©preuve olympique

 

 

 

 

 

                                                    Nouvelle Ă©preuve olympique

 

 

On devrait inscrire le dĂ©ni au tableau des Ă©preuves olympiques. On assisterait Ă  des  performances Ă©blouissantes. Tous les jours, des records mondiaux seraient battus. Et tout cela sans le moindre microgramme de dopage. Enfants, adolescents, femmes, hommes. Beaucoup d’entre eux ridiculiseraient par leur trĂšs haut niveau de compĂ©tence nos champions habituels.

 

Cette nuit, j’ai essayĂ© de dĂ©montrer Ă  une de mes collĂšgues comment, en tant qu’infirmiers, nous sommes arrimĂ©s Ă  notre planning. Tout est parti d’une discussion Ă  propos de la gentillesse. Lorsque l’on est trop gentil, on se fait marcher dessus. C’est ce que j’ai affirmĂ© Ă  nouveau devant elle. Elle s’est presque mise en colĂšre :

 

Les gens trop gentils, ça n’existe pas ! Pour elle, on parlait plutĂŽt de personnes « faibles Â» lorsque l’on parle de personnes qui se font marcher dessus !  

 

J’en suis arrivĂ© Ă  parler de cette violence qui peut nous ĂȘtre infligĂ©e Ă  travers le planning.

 

On parle souvent de la pĂ©nibilitĂ© du travail infirmier. Sa charge Ă©motionnelle. Ses responsabilitĂ©s. Ses horaires en dents de scie et possibles tous les jours de l’annĂ©e. Sa dĂ©valuation constante, annĂ©e aprĂšs annĂ©e. Ce nombre de jours de congĂ©s qui nous ont Ă©tĂ© supprimĂ©s. Ces primes de service bradĂ©es. Cette exigence de flexibilitĂ© («  Vous ĂȘtes titulaire mais pas titulaire de votre poste dans un service Â»). Ses effectifs diminuĂ©s. Cette carriĂšre rallongĂ©e de plusieurs annĂ©es pour un mĂ©tier dĂ©sormais dĂ©fini comme « sĂ©dentaire Â». « SĂ©dentaire Â» comme pĂ©pĂšre. Des pĂ©pĂšres qui, s’ils ont atteint leur nombre maximal de trimestres, pourront s’orienter vers une retraite Ă  taux plein Ă  peu prĂšs lorsqu’ils auront 64 ou 65 ans, on verra bien d’ici lĂ . OĂč on en sera du cĂŽtĂ© des assurances privĂ©es.

 

Dans cet organigramme des tours de vis que subit la profession infirmiĂšre- comme dans d’autres professions- presque de façon programmĂ©e, le planning occupe une place particuliĂšre dans nos cƓurs et dans nos artĂšres. Car il est notre horoscope intime. TantĂŽt abĂźme, tantĂŽt dĂ©livrance, c’est avec le stĂ©thoscope fĂ©brile et concentrĂ© que, souvent, on se penche au dessus de lui pour l’ausculter afin de savoir si notre avenir continue de luire entre les Ă©toiles oĂč s’il est devenu posthume. Pourrons-nous avoir la vie que nous souhaitons avoir en dehors de nos heures de travail ou serons-nous Ă  nouveau contraints Ă  faire plus d’efforts ? Pour « nĂ©cessitĂ©s de service Â». Pour les patients. Par solidaritĂ©. Par conscience professionnelle. Pour l’éthique.

 

Comme beaucoup, je connais tout cela. Ainsi que les arrangements de planning entre collĂšgues. Je connais aussi les hiĂ©rarchies compĂ©tentes, engagĂ©es et comprĂ©hensives. NĂ©anmoins, Ă  moins de passer toute sa vie professionnelle dans un bunker, toute infirmiĂšre et tout infirmier connaĂźtra le supplice du planning. Le tour de piste des collĂšgues, malades, non remplacĂ©s, de mauvaise foi ou rĂ©calcitrants Ă  remplacer. Les hiĂ©rarchies qui vous placeront une kimura entre votre dimanche et votre lundi ; qui rĂ©interprĂšteront votre planning- votre horoscope- autrement ou vous contacteront durant vos vacances.  

Si vous avez  encore un petit peu de chance et de l’argumentation, cela sera fait avec correction et vous trouverez des arrangements. Autrement, il vous faudra composer. N’oubliez pas en outre, qu’aujourd’hui, et c’est une rĂšgle pour l’instant implicite mais dĂ©jĂ  active, avec le tĂ©lĂ©phone portable et la boite mail, tout le monde est supposĂ© pouvoir ĂȘtre joint pratiquement vingt quatre heures sur vingt quatre.

 

On supporte et on accepte mieux certaines conditions de travail et sa communication selon ce que l’on a besoin de prouver ou de sauver.  Selon ce que l’on a besoin d’apprendre. Selon son Ăąge et sa situation personnelle, aussi.

 

Comme la majoritĂ©, j’ai participĂ© et continue de participer Ă  l’effort de guerre. Je l’ai fait et le fais encore volontairement. Mais on peut trĂšs bien consentir Ă  certains efforts ou sacrifices et palper encore un peu de luciditĂ© :

 

Si  dans le service, quelqu’un manque Ă  l’appel et Ă  l’appui sur la chaine de montage du soin, tout le reste s’effondre nous fait-on comprendre. MĂȘme si on sait aussi, au besoin, laisser filtrer dans notre cervelle que toute infirmiĂšre ou infirmier est interchangeable.

 

 

J’ai essayĂ© de faire comprendre Ă  ma collĂšgue que dans la SantĂ©, d’autres professions collĂšgues sont plus libres que nous par rapport au planning. Rien Ă  faire. A quelques voix de la retraite, celle-ci a considĂ©rĂ© qu’il Ă©tait beaucoup trop facile de s’en prendre aux hiĂ©rarchies ! Qu’elle avait toujours travaillĂ© en toute solidaritĂ© avec ses collĂšgues ! J’ai louĂ© et je loue ça. Pourtant, Ă  part ça, le planning de l’infirmiĂšre et de l’infirmier est tout de mĂȘme bien des fois un crucifix, non ? HĂ© bien, pour elle, non ! Nous nous sommes presque fĂąchĂ©s.  J’ai fini par lui dire :

 

«  Tant mieux pour toi ! Â». «  Tu as de la chance ! Â».

 

 

Avant de quitter notre service, un message vocal de ma compagne. Notre fille ayant encore fait de la fiĂšvre cette nuit (otite ? Angine ? ), elle me demandait si je pouvais rentrer plus tĂŽt afin qu’elle puisse partir au travail. Autrement, il allait manquer du personnel dans le service ce matin (oui, ma compagne est aussi infirmiĂšre). Dans son message, ma compagne se proposait de rentrer en dĂ©but d’aprĂšs-midi afin d’emmener notre fille chez le mĂ©decin. Je l’ai appelĂ©e. Je n’avais pas vu tous les messages. Entretemps, elle avait dĂ©cidĂ© de prendre une journĂ©e « enfant malade Â». 

 

 

AprĂšs ça, je suis parti Ă  la pharmacie. Afin de me faire rembourser les masques FFP2 dont j’ai parlĂ© dans Coronavirus. D’un commun accord, ma compagne et moi avons optĂ© pour nous procurer des masques Ă  un tarif plus frĂ©quentable. Elle savait comment. Un des articles de Le Canard EnchaĂźnĂ©  de ce mercredi 26 fĂ©vrier 2020 (Coronavirus : les prix des masques s’envolent en France  puis Le ( corona) virus du commerce ! ) m’a depuis malheureusement confortĂ© dans ce que j’avais compris :

 

 

«  (
.) Car, dans les hĂŽpitaux, les factures grimpent dĂ©jĂ  Ă  une vitesse vertigineuse. Exemple : entre le 20 janvier et le 4 fĂ©vrier, le tarif facturĂ© par un distributeur français, Paredes, a quasi triplĂ© Â».

 

« (
.) Sur internet, des petits malins ont aussi flairĂ© l’épidĂ©mie des bonnes affaires. Le dimanche 23 fĂ©vrier, un lot de 20 masques FFP2 Ă©tait en vente sur le site eBay au prix de 16 euros. Le lendemain matin, alors que l’Italie avait franchi un nouveau cap, le mĂȘme lot Ă©tait affichĂ© à
.32 euros ! Â».

 

Mais avant cela, toujours dans le mĂȘme article signĂ© J.C, page 3, ce passage :

 

« Le MinistĂšre de la SantĂ© a fait ses calculs : pour Ă©quiper les soignants, les flics et les pompiers face Ă  l’épidĂ©mie de coronavirus, «  il faudra 200 millions de masques FFP2 sur les trois prochains mois Â» confie une huile du ministĂšre. Ces masques qui empĂȘchent d’ĂȘtre contaminĂ© ont une « durĂ©e de vie Â» de trois heures seulement
. Â».

 

 

Une « durĂ©e de vie de trois heures seulement Â». Le pharmacien m’avait dit « huit heures Â». Je me suis vraiment fait couillonner il y a un ou deux jours avec l’achat de ces masques. Ce qui s’est vĂ©rifiĂ© sur place en retournant Ă  la pharmacie :

 

Impossible de les restituer pour des « conditions d’étanchĂ©itĂ© Â». Impossible d’obtenir un bon d’achat en contrepartie. C’est comme pour les mĂ©dicaments m’a-t’on expliquĂ© de façon aimable et intraitable : une fois vendus, on ne les reprend pas.   

 

J’ai donc payĂ© Ă  nouveau de ma poche pour les autres articles que j’avais prĂ©vus d’acheter en revenant dans cette pharmacie. Je vois ces trois masques que j’ai donc gardĂ©s comme des prĂ©servatifs un peu chers. Ce sont peut-ĂȘtre eux qui nous sauveront la vie puisqu’une seule fois suffit. Et cela me permettra peut-ĂȘtre un jour de lire El Watan.

 

 

J’avais quittĂ© la pharmacie depuis plusieurs minutes et me dirigeais vers la ligne 14 lorsque j’ai croisĂ© un homme et peut-ĂȘtre son fils, adolescent. Ils portaient tous les deux un masque et, la nouveautĂ©, c’est qu’il s’agissait lĂ  de deux europĂ©ens. Je me suis dit que ça commençait. BientĂŽt, on va voir de plus en plus de personnes portant un masque FFP2 au moins dans les rues de Paris ou dans dans ses transports en commun.

 

 

Mais cet article n’est pas encore terminĂ©.

 

 

Je me suis enfournĂ© dans le mĂ©tro de la ligne 14. Un homme d’une trentaine d’annĂ©es m’a accueilli presque bras ouverts. Le mĂ©tro Ă©tait bondĂ©. Normal aux heures de pointe. Ce qui a Ă©tĂ© inhabituel, cela a Ă©tĂ© les traits d’humour de cet homme qui s’est mis Ă  me parler. Des autres passagers plutĂŽt maussades. Du fait de partir au travail. Je lui ai dit que je venais de terminer. Son visage s’est Ă©clairĂ©. Le travail de nuit, c’est bien, m’a-t’il dit. MĂȘme si ce n’est pas trĂšs bon pour l’organisme a-t’il continuĂ©. J’ai acquiescĂ© et ajoutĂ© sans dĂ©velopper :

 

«  Pour la vie sociale, aussi Â». Il a haussĂ© un peu les Ă©paules. La vie sociale, ce n’était pas important. Il a Ă©voquĂ© son projet d’obtenir de faire du tĂ©lĂ©travail trois jours par semaine. Il m’a assurĂ© que si ses employeurs refusaient qu’il partirait. Il a ajoutĂ© :

 

«  De toute façon, je n’ai formĂ© personne. Ils ont besoin de moi Â».

 

A le voir habillĂ© en Jeans, basket, portant la veste, dĂ©contractĂ© et me parlant tĂ©lĂ©travail comme si son absence dans son service n’aurait aucune incidence, je me suis dit qu’il devait ĂȘtre informaticien. Ce que je lui ai demandĂ©. Celui-ci m’a rĂ©pondu :

 

« Dans l’informatique et la finance Â». Et sans que je lui en demande davantage, voilĂ  qu’il a commencĂ© Ă  me dire que, «  dans la finance Â», on Ă©tait crĂ©atif pour utiliser des « produits toxiques Â» de façon illĂ©gale. Ou en jouant avec la loi. Bien-sĂ»r, en entendant ça il me restait un fond de JĂ©rome Kerviel dans la tĂȘte.  Mais il m’a fallu rechercher son prĂ©nom et son nom sur le net pour la rĂ©daction de cet article. Car je les avais plus ou moins oubliĂ©s : JĂ©rome Kerviel Ă©tait un trader de 31 ans en 2008 lors de « l’affaire Â» de la SociĂ©tĂ© GĂ©nĂ©rale. A cette Ă©poque, je ne connaissais mĂȘme pas ma compagne et je travaillais ailleurs. On ne parlait pas de rĂ©forme de retraite. Il n y avait pas de gilets jaunes. Pas de coronavirus.

 

 

Avant que les portes du mĂ©tro de la ligne 14 ne s’ouvrent Ă  St Lazare, j’ai informĂ© mon interlocuteur que j’allais me dĂ©pĂȘcher. Il m’a souhaitĂ© une bonne journĂ©e. J’aurais pu rester discuter avec lui. Mais je n’aime pas piĂ©tiner dans la foule dans les escalators, dans les escaliers et dans les transports en commun. Je ne voulais pas non plus que notre conversation dure trop longtemps. Mais je crois qu’il Ă©tait bien dans l’informatique et dans la finance. Contrairement au livreur maussade qui est venu tout Ă  l’heure alors que j’étais encore dans cet article. La derniĂšre fois, ce livreur m’avait obligĂ© Ă  venir chercher notre commande dans la rue affirmant :

 

«  On n’a pas le droit de monter. C’est interdit Â».

 

Aujourd’hui, il a dĂ» monter. Avec une certaine colĂšre en sourdine, devant moi,  le livreur m’a demandĂ© : « Vous avez un stylo ? Â». Oui, j’avais un stylo. Studieusement, je suis parti chercher un stylo. Il m’a indiquĂ© avec autoritĂ© :

 

« Vous marquez votre nom lĂ  et vous signez Â». J’ai marquĂ© mon nom et j’ai signĂ©. Il est ensuite parti, remontĂ©. A la prochaine livraison, il me descendra peut-ĂȘtre.

 

Franck Unimon, ce jeudi 27 février 2020.

 

 

 

 

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Coronavirus

 

 

Coronavirus : un petit sursis pour l’homme, un grand profit pour les pharmacies.

 

 

Je me trouvais du cĂŽtĂ© de la Gare du Nord. Je me suis dit que j’allais essayer de me procurer un numĂ©ro d’El Watan. Depuis que dans le 8Ăšme arrondissement de Paris, j’ai croisĂ© un journaliste d’El Watan, je me suis mis en tĂȘte de le lire. C’était avant d’interviewer le rĂ©alisateur Abdel Raouf Dafri dont j’ai dĂ©jĂ  reparlĂ© rĂ©cemment. ( A Voir absolument ).

 

A entendre ce journaliste, il Ă©tait facile de l’acheter dans un kiosque Ă  journaux. C’était il y a plusieurs semaines. Toujours dans le 8 Ăšme arrondissement, j’ai recroisĂ© ce journaliste il y a quelques jours alors que je me rendais Ă  la projection de presse du film Brooklyn Secret (Brooklyn Secret.) Mais avant que je puisse lui exposer mes difficultĂ©s pour trouver Ă  la vente ce journal qui le rĂ©munĂ©rait, il avait disparu.

 

Dans un point presse bien pourvu du 13Ăšme arrondissement oĂč on ne le vend plus depuis une dizaine d’annĂ©es, on m’avait suggĂ©rĂ© que j’avais mes chances Ă  BarbĂšs. C’est lĂ  que des anciens clients de ce point presse se rendraient dĂ©sormais pour acheter El Watan.

 

Je me suis imaginĂ© que j’avais mes chances Ă  la Gare du Nord. Puisque c’est proche de BarbĂšs. Je me suis trompĂ©. A la place, le vendeur a fait de l’humour. El Watan ? L’AlgĂ©rie ? J’ai commencĂ© moi aussi Ă  faire de l’humour :

« Vous savez que l’AlgĂ©rie existe ? Â». Il m’a rĂ©pondu sans dĂ©tour :

« Je sais que l’armĂ©e existe
je suis algĂ©rien Â».

Il m’a confirmĂ© qu’il Ă©tait probable que El Watan soit en vente Ă  BarbĂšs. Mais je ne me voyais pas aller jusqu’à BarbĂšs. Je me suis contentĂ© du New York Time  et de El Pais.

 

Par paresse, je lis trĂšs peu de presse Ă©trangĂšre. C’est un tort. C’est un tort de se contenter du minimum de ce que l’on sait et de ce que l’on a pu apprendre ou commencĂ© Ă  apprendre Ă  l’école ou ailleurs. De rester dans son confort. C’est comme ça qu’ensuite, avec l’habitude, le quotidien, notre regard sur nous-mĂȘmes et sur notre environnement se rĂ©trĂ©cit et qu’aprĂšs on pleure sur soi-mĂȘme parce-que notre vie est pourrie. Qu’il ne s’y passe jamais rien ou pas suffisamment selon nous.

Mais, lĂ , j’ai achetĂ© The New York Times  et El Pais. MĂȘme si je savais que je les lirais trĂšs partiellement, cela me permettrait dĂ©jĂ  de partir ailleurs.

J’ai plus feuilletĂ© le New York Times car mon manque de pratique de l’Espagnol m’handicapait avec El Pais.

 

Dans le train du retour, je me suis assis Ă  quelques mĂštres d’un SDF bouffi par l’alcool que je connais de vue. Je crois qu’il rĂ©side dans ma ville. Une dame venait de lui donner de l’argent. Mais dĂšs qu’il m’a aperçu prĂšs de lui, il m’a sollicitĂ© et en a redemandĂ©. A dĂ©faut d’argent, il m’a d’abord demandĂ© l’heure car il ne pouvait pas voir. Puis, il a fini par me demander de lui donner un journal. Pour lire. Pour s’informer. Il avait manifestement envie de parler Ă  quelqu’un. Lorsque je lui ai dit que les journaux Ă©taient en Anglais et en Espagnol, il a renoncĂ©. Par contre, lorsque quelques minutes plus tard, un autre homme est venu faire la manche dans le mĂȘme wagon en passant parmi les voyageurs, il l’a aussitĂŽt menacĂ© et lui a dit de se casser. L’autre homme a poursuivi son Ɠuvre avec le sourire.

 

Ce matin, je suis passĂ© Ă  la pharmacie. Je savais que je n’y trouverais pas El Watan. Aussi me suis-je abstenu de le demander. J’étais lĂ  pour acheter une lotion capillaire pour ma compagne. J’ai dĂ©jĂ  fait « pire Â» :

Je devais avoir Ă  peine une vingtaine d’annĂ©es lorsque ma mĂšre m’avait demandĂ© de lui acheter une paire de collants. Cela ne m’avait pas dĂ©rangĂ©. Depuis le temps que ma mĂšre m’envoyait faire des courses. J’étais ressorti du supermarchĂ© et, dans les rues de Pointe-Ă -Pitre, j’avais rapidement compris que certaines personnes qui m’avaient croisĂ© avaient des yeux de drones leur permettant de voir parfaitement Ă  travers le sac en plastique transparent que je portais en toute dĂ©contraction.

 

Ce matin, pas de collant parmi mes achats. J’étais Ă  la caisse quand j’ai entendu un homme plus jeune que moi demander Ă  une autre caisse un masque FFP2. J’ai aussitĂŽt fait le rapprochement avec le coronavirus Covid-19 bien que, sans cet homme, j’aurais Ă©tĂ© incapable de savoir le dĂ©finir de cette façon.

Devant moi, le pharmacien qui me servait m’a rĂ©pondu qu’il allait voir s’il en restait. Il m’a d’abord dit qu’un masque coĂ»tait 2,99 euros, l’unitĂ©. Puis, revenant avec trois masques, il m’a prĂ©sentĂ© ses excuses : un masque coĂ»tait 3,99 euros. Je les ai nĂ©anmoins pris tous les trois.

 

Le pharmacien m’a confirmĂ© que, oui, c’était bien les masques prĂ©ventifs pour le coronavirus. Il m’a dit qu’il espĂ©rait que cela allait s’arranger. Il m’a rĂ©pondu qu’ils n’en n’avaient pas toujours mais qu’il y avait en ce moment une certaine demande surtout des touristes. Il se trouve que les seuls touristes « reconnaissables Â» que j’ai pu voir dans cette pharmacie parisienne sont asiatiques. Peut-ĂȘtre chinois. Peut-ĂȘtre japonais.

 

Jusqu’à maintenant, j’ai entendu parler du coronavirus Covid-19 sans m’en inquiĂ©ter plus que ça. Mais, ce matin, je me suis dit que cela pouvait ĂȘtre bien de « s’équiper Â». En sachant que, selon les dires de ce pharmacien un masque a une durĂ©e d’efficacitĂ© de 8 heures. Il serait donc convenable si l’épidĂ©mie du coronavirus arrive en France qu’elle soit trĂšs rapide. Ou d’avoir de quoi acheter un nombre plutĂŽt consĂ©quent de masques. Mais je me suis dit ça aprĂšs avoir quittĂ© la pharmacie et aprĂšs avoir payĂ© les trois masques. Parce qu’en reprenant le mĂ©tro, j’ai pris le temps de lire le journal gratuit distribuĂ© devant la pharmacie. J’ai jetĂ© ce journal depuis. Mais je me souviens qu’aprĂšs un match laborieux, le PSG, hier, a battu Bordeaux 4-3 au parc des Princes. Que El Matador « Cavani Â» a marquĂ© son 200Ăšme but avec le PSG toutes compĂ©titions confondues. Que Neymar a trouvĂ© le moyen d’écoper d’un second carton jaune et de se faire exclure. Il sera donc absent pour le prochain match face Ă  Dijon. Qu’au dĂ©but du match, des supporters avaient montrĂ© une pancarte demandant Ă  M’bappĂ©, Neymar et Marquinhos de « porter leurs couilles Â».

A part ça, l’équipe de France de Rugby, en battant le Pays de Galles, confirmait qu’elle Ă©tait une trĂšs belle Ă©quipe. Et puis, tout au dĂ©but du journal, le coronavirus en Italie. L’inquiĂ©tude en Europe. Deux morts.

En rentrant, j’ai regardĂ© Ă  nouveau Le New York Times et El Pais. Hier, dans Le New York Times, j’avais pris le temps de lire l’article consacrĂ© Ă  l’acteur, scĂ©nariste et rĂ©alisateur amĂ©ricain Ben Affleck qui parlait de son addiction Ă  l’alcool. Au fait que son propre pĂšre Ă©tait devenu sobre alors qu’il avait 19 ans. L’alcoolisme de son frĂšre Casey, que l’on n’a plus vu depuis quelques temps sur les Ă©crans, Ă©tait aussi mentionnĂ©.

 

 

C’est sur El Pais que j’ai vu l’article dont s’est sans doute inspirĂ© le journal gratuit d’aujourd’hui concernant le coronavirus. Entre-temps, les prĂšs de 4 euros par masque avaient commencĂ© Ă  me peser. Lorsque j’en ai discutĂ© avec ma compagne, j’ai Ă©tĂ© obligĂ© de me rendre compte que je m’étais fait arnaquer. Comme d’autres. PrĂšs de 4 euros pour un masque qui ressemble Ă  un petit slip jetable pour bĂ©bĂ© et dont le coĂ»t Ă  la fabrication doit se compter en centimes et peut-ĂȘtre mĂȘme en micro-centimes. Pour un slip jetable qui est peut-ĂȘtre fabriquĂ© en Chine, ce qui serait comique en plus.

 

L’anxiĂ©tĂ© et l’esprit de prĂ©vention avaient encore frappĂ©. Lorsque ce n’est pas sous forme de pub sur le net, dans la boite Ă  lettres, Ă  la tĂ©lĂ©, au cinĂ©ma, Ă  la radio, dans la rue, dans les transports en commun, sur le tĂ©lĂ©phone portable, la tablette ou Ă  la banque, c’est sous forme de terrorisme, d’extrĂ©misme politique, de catastrophe, de meurtres ou d’épidĂ©mie sanitaire qu’ils s’infiltrent. Avant que le moindre virus n’ait eu le temps de visiter nos poumons, nous sommes dĂ©jĂ  contaminĂ©s par l’anxiĂ©tĂ© et l’achat de prĂ©vention qui sont une forme de crachat civil rĂ©servĂ© Ă  ces ĂȘtres civilisĂ©s et socialisĂ©s que nous sommes. Jusqu’à ce qu’une rupture de stock apparaisse….

 

Mais je crois encore que je rĂ©ussirai Ă  me rendre Ă  BarbĂšs afin d’y trouver El Watan avant que le coronavirus ne trouve l’adresse de mon organisme.  

 

Franck Unimon, lundi 24 février 2020.

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Echos Statiques

CratĂšres de lacunes

 

 

En Rap, j’ai des cratĂšres de lacunes. Je vois et j’entends parler de diffĂ©rentes cultures de Rap : elles sont si nombreuses qu’elles semblent venir d’une carriĂšre mystĂ©rieuse. Bien-sĂ»r, c’est tout simplement parce-que je ne suis pas Ă  la page. Je devais faire mes courses chez Picard ou lire la notice de la machine Ă  laver pendant toutes ces annĂ©es oĂč ces dĂ©clinaisons du Rap se sont dĂ©veloppĂ©es.  Et puis, il y a des tempĂ©raments.

 

Il y a le Rap conscient. Hardcore. Et celui de la rĂ©clame. Il y a le Rap domestiquĂ© par les maisons de disques.  Celui oĂč le mĂ©cano d’une crame hypnotique et funĂ©raire prend les neurones des autres pour les prochaines Ă©tapes de sa chaine de vĂ©lo.  Le Rap oĂč l’on crĂąne et oĂč, sans fin, on se retape les fesses et la carrosserie comme si on Ă©tait dispensĂ© de la moindre obligation sanitaire.

 

Multiple, rĂ©cidiviste et mutant, le Rap est comme l’existant. Antidote aux cellules de formol dans lequel sont capturĂ©es bien des bouches et des prĂ©sences privĂ©es, plusieurs fois par jour, de parole, d’électricitĂ© et d’oxygĂšne, le Rap est le genre musical le plus Ă©coutĂ© en France depuis des annĂ©es. Ne pas l’écouter, ne pas l’avoir Ă©coutĂ©, ne serait-ce qu’un tout petit peu, mĂȘme en se cachant en sachet, c’est ĂȘtre marginal, retraitĂ© ou congelĂ©.

 

Il y a quelques jours, Ă©couter et voir des clips de Rap m’a remontĂ©. Et, encore plus rĂ©cemment, en quittant certains amis, je me suis dit que je vivais un  certain dĂ©doublement de personnalitĂ© car il m’était impossible de les imaginer Ă©coutant ou dansant sur du Rap. Pourtant, j’écoute assez peu de Rap.

 

Pourtant, le Rap est l’équivalent du Blues. Du Maloya et du Gro-Ka.  Le cousin de la techno. Il bouscule le Rock. Doit quelque chose au Funk, au Reggae, au Jazz et peut-ĂȘtre mĂȘme au Gospel pour certaines tĂȘtes. Il est un dĂ©dale en furie et une musique  dĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e pour certains  hĂ©misphĂšres cĂ©rĂ©braux. Avec le sexe, la mort, la drogue, la folie, le fanatisme, la faim, l’amour, le dĂ©sespoir, la pauvretĂ©, le nuclĂ©aire et le napalm, il n’y a peut-ĂȘtre pas d’expĂ©rience plus extrĂȘme et plus personnelle que la musique qui est un Ă©chantillon de tout cela et qui, en quelques mesures, nous en fait le rappel. De ce que nous sommes sur terre, de nos combines pour continuer, de ce qui nous arrĂȘte, nous pousse et nous conditionne.

 

Ce qui fait du bien Ă  notre corps en mercure sera du cyanure pour celle ou celui d’à cĂŽtĂ©. Iconoclaste ou icĂŽnes de clash, le Rap permet le grand Ă©cart. Mais contrairement Ă  la musique classique, la grĂące n’est pas ce qui est recherchĂ©e en premier.  On entendra peut-ĂȘtre un jour une rappeuse ou un rappeur dĂ©rouler des entrechats avec une voix et une diction de kora.  La grĂące, c’est ce que l’on voit en premier chez celles et ceux qui sont au sommet et qui pourraient aussi tomber car ils n’auront pas su bien se dĂ©fendre. Et, le Rap, c’est le moment de la revanche plutĂŽt que de la dĂ©faite. Une revanche, c’est toujours bon Ă  prendre. Je ne connais personne qui affirme :

« Moi, surtout, ce que j’adore avant tout dans la vie, c’est perdre ! Â».

 

Le Rap peut ĂȘtre le voisin, le collĂšgue, le conjoint, l’ami, l’enfant  ou la police, qui, rĂ©guliĂšrement, vient vous interrompre au plus mauvais moment pour vous.  Et vous allez devoir vous y remettre. RĂ©installer les syllabes. DigĂ©rer le souffle en six balles. Parcourir des sĂ©ries de typhon l’horizon. Garder sa constance entre quatre sons.

« Papa, t’étais oĂč ?! Â». Au turbin, mon enfant. J’ai essayĂ© de fuguer. De refuser la tapine. J’ai obtenu quelques victoires mĂȘme si on ne m’a jamais donnĂ© de mĂ©daille et que l’on ne me verra jamais me faire homologuer sur grand Ă©cran ou Ă  la tĂ©lĂ©. Mais j’ai attrapĂ© la routine. Quand tu me regardes, si tu me regardes, fais en sorte, si tu peux, avant que l’artĂšre de la derniĂšre thune me confisque mon dernier souffle pour un Ă©niĂšme dĂ©faut de paiement, de voir autre chose qu’un pansement en 3D et  un adulte qui a Ă©chouĂ©. Car ton regard sera ce qui restera de moi. Au fait, n’oublie jamais :

Le sanibroyeur du 2Ăšme empĂȘche de dormir au 1er et au 3Ăšme.

Rappelle-toi aussi ce qu’a pu dire Tricky, autodidacte de la musique :

 

« Seule compte l’énergie ! Â».

 

Franck Unimon